SEANCE DU 22 OCTOBRE 2002
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
(p.
1
).
3.
Questions orales
(p.
2
).
fonctionnement du système scolaire
dans le département de la gironde (p. 3 )
Question de M. Philippe Madrelle. - MM. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire ; Philippe Madrelle.
postes de surveillants et d'aides-éducateurs (p. 4 )
Question de Mme Hélène Luc. - M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire ; Mme Hélène Luc.
distillation à domicile (p. 5 )
Question de M. Joseph Ostermann. - MM. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur ; Joseph Ostermann.
devenir de vivendi environnement (p. 6 )
Question de Mme Marie-Claude Beaudeau. - M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur ; Mme Marie-Claude Beaudeau.
conséquences des affaissements miniers
en lorraine (p.
7
)
Question de M. Jean-Louis Masson. - MM. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur ; Jean-Louis Masson.
Suspension et reprise de la séance
(p.
8
)
aménagement de la loire
et prévention des inondations (p.
9
)
Question de M. Dominique Leclerc. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ; M. Dominique Leclerc.
réglementation du prix de l'eau (p. 10 )
Question de M. Jean-Claude Carle. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ; M. Jean-Claude Carle.
règles de sécurité
applicables aux pêcheurs à la ligne (p.
11
)
Question de M. Jean-Patrick Courtois. - Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ; M. Jean-Patrick Courtois.
renforcement de l'attractivité sociale
du secteur de l'artisanat (p.
12
)
Question de Mme Brigitte Luypaert. - Mmes Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ; Brigitte Luypaert.
procédure d'extension du périmètre
des communautés d'agglomération (p.
13
)
Question de M. Jean-Paul Alduy. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Jean-Paul Alduy.
effets de la loi du 11 mai 1998
par rapport à l'asile territorial (p.
14
)
Question de M. Louis Souvet. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Louis Souvet.
aides financières de l'état
en faveur des départements (p.
15
)
Question de M. Claude Biwer. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Claude Biwer.
conditions d'exercice du droit de vote (p. 16 )
Question de M. André Trillard. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; André Trillard.
avenir du commissariat de police de lure (p. 17 )
Question de M. Bernard Joly. - MM. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales ; Bernard Joly.
développement de soins palliatifs à domicile (p. 18 )
Question de M. Georges Mouly. - Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées ; M. Georges Mouly.
attribution du titre de reconnaissance de la nation
aux réfractaires au sto (p.
19
)
Question de M. René-Pierre Signé. - MM. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants ; René-Pierre Signé.
avenir du détachement de fourchambault (p. 20 )
Question de M. Didier Boulaud. - MM. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants ; Didier Boulaud.
retrait des insecticides gaucho et régent (p. 21 )
Question de M. Jacques Oudin. - MM. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants ; Jacques Oudin.
Suspension et reprise de la séance (p. 22 )
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
4.
Souhaits de bienvenue à une délégation du Sénat roumain
(p.
23
).
5.
Salaires, temps de travail et développement de l'emploi.
- Discussion d'un projet de loi (p.
24
).
Discussion générale : MM. François Fillon, ministre des affaires sociales, du
travail et de la solidarité ; Louis Souvet, rapporteur de la commission des
affaires sociales.
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
MM. Georges Mouly, Bernard Seillier, Gilbert Chabroux, le ministre, Mme Annick
Bocandé, MM. Roland Muzeau, Alain Gournac, Jean-Pierre Fourcade, Mme Sylvie
Desmarescaux, MM. Jean-Pierre Godefroy, René Trégouët, Bernard Joly, Henri
Weber.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre.
Motion d'ordre (p. 25 )
M. le président.
Suspension et reprise de la séance (p. 26 )
PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL
Article 1er (p.
27
)
M. Roland Muzeau.
Amendement n° 76 de M. Roland Muzeau. - MM. Roland Muzeau, le rapporteur, le
ministre. - Rejet.
Amendement n° 35 de M. Gilbert Chabroux. - MM. Jean-Pierre Godefroy, le
rapporteur, le ministre. - Rejet.
Amendement n° 77 de M. Roland Muzeau. - MM. le rapporteur, le ministre. -
Rejet.
Amendements identiques n°s 36 de M. Gilbert Chabroux et 78 de M. Roland Muzeau
; amendement n° 79 de M. Roland Muzeau. - MM. le rapporteur, le ministre. -
Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 1er (p. 28 )
Amendement n° 80 de M. Roland Muzeau. - MM. Guy Fischer, le rapporteur, le ministre. - Rejet.
Article additionnel avant l'article 2 (p. 29 )
Amendement n° 37 de M. Gilbert Chabroux. - MM. Jean-Pierre Godefroy, le rapporteur, le ministre, Roland Muzeau. - Rejet.
Article 2 (p. 30 )
M. Roland Courteau.
Amendement n° 38 de M. Gilbert Chabroux. - MM. Claude Domeizel, le rapporteur,
le ministre, Eric Doligé, Henri Weber. - Rejet.
Amendements n°s 39 de M. Gilbert Chabroux, 81 de M. Roland Muzeau, 1, 2 de la
commission et 125 de M. Philippe Marini. - MM. Claude Domeizel, Guy Fischer, le
rapporteur, Philippe Marini, le ministre, Roland Muzeau. - Rejet des
amendements n°s 39 et 81 ; adoption des amendements n°s 1 et 2, l'amendement n°
125 devenant sans objet.
MM. le président de la commission des affaires sociales ; le ministre.
Renvoi de la suite de la discussion.
6.
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
31
).
7.
Ordre du jour
(p.
32
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président.
M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les névroses
traumatiques de guerre, établi en application de l'article 130 de la loi de
finances pour 2002.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
3
QUESTIONS ORALES
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME SCOLAIRE
DANS LE DÉPARTEMENT DE LA GIRONDE
M. le président.
La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 12, adressée à
M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
M. Philippe Madrelle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la veille
de la discussion budgétaire et au moment où l'éducation nationale a cessé
d'être une priorité gouvernementale, il apparaît légitime de poser une nouvelle
fois le fameux problème de l'inadaptation du mode de calcul utilisé pour la
répartition des postes budgétaires d'instituteurs entre les départements.
L'inadaptation de ce mode de calcul a des conséquences très négatives pour le
département de la Gironde ; je m'en faisais déjà l'écho à cette même tribune
voilà deux ans presque jour pour jour. Mais la situation s'est aggravée
dangereusement cette année.
C'est ainsi que, malgré l'octroi de 218 postes supplémentaires depuis cinq
ans, le rapport entre le nombre d'enseignants et le nombre d'élèves reste en
Gironde parmi les plus faibles de France. Alors que ce rapport est en moyenne
pour la France métropolitaine de 5,34 %, celui de la Gironde atteignait à peine
4,98 % à la rentrée 2001.
Pourtant, à la dernière rentrée scolaire, le département de la Gironde a
accueilli près de 120 000 élèves, soit environ 400 élèves supplémentaires par
rapport à la rentrée 2001.
Pour faire face à cette augmentation d'effectifs, 47 postes seulement ont été
attribués à la Gironde, alors que 350 postes seraient indispensables pour
rattraper le retard. La Gironde occupe le 97e rang des départements pour le
nombre d'élèves par classe.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, c'est sous votre haute autorité que
sont attribués les postes à l'académie et c'est ensuite au recteur qu'il
appartient de doter les départements. Or la répartition académique des postes
s'avère très pénalisante pour la Gironde ; en effet, bien que prenant en compte
les effectifs corrigés des critères sociaux et territoriaux, la dotation qui
est affectée à ce département fait apparaître un défaut de 350 postes. Les
disparités entre les cinq départements de l'académie sont très fortes. Ainsi,
en Gironde, 16,3 % des écoles sont en ZEP, zones d'éducation prioritaires,
alors que le pourcentage est de 3 % et de 4 % dans les autres départements de
l'académie. Les critères sociaux utilisés ne prennent pas en compte la réalité
de cette situation.
En effet, le poids social calculé en fonction du taux de population
défavorisée, de chômeurs et de RMIstes qui est de 20,8 % en Gironde contre 18,3
% à 20 % dans les autres départements, ne correspond pas à la réalité de la
situation scolaire.
Le taux de scolarisation des enfants âgés de deux ans n'y est que de 21 %
alors que, dans les autres départements, il est de 34 %, de 35 %, voire de 37
%. Rappelons que la moyenne nationnale est de 29,2 %. Autant de chiffres et
d'exemples qui illustrent l'inadaptation de la répartition des postes
budgétaires !
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous rappeler que la Gironde détient le
triste record des classes surchargées, des remplacements non effectués ; 7,38 %
des postes sont destinés au remplacement pour une moyenne nationale de 7,85 % ;
les formations continues sont amputées et de nombreux directeurs d'écoles ne
sont pas déchargés d'enseignement.
En Gironde, 110 écoles sur les 931 que compte le département n'ont pas de
directeur.
Cette situation de précarité entrave gravement les conditions d'exercice du
métier d'enseignant et bafoue un principe fondateur du service public :
l'égalité d'accès à la connaissance et à un enseignement de qualité.
Au moment où chacun s'accorde à reconnaître que l'éducation nationale porte en
elle l'avenir de la nation - c'est elle qui transmet les connaissances, les
apprentissages, les valeurs de la citoyenneté ; c'est elle qui constitue le
socle de la démocratie et de notre République - il apparaît pour le moins
paradoxal qu'elle ne bénéficie pas de tous les moyens lui permettant d'assumer
ses missions. L'Etat ne peut pas se résigner à ce que la fameuse égalité des
chances soit réduite à néant !
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Xavier Darcos,
ministre délégué à l'enseignement scolaire.
Monsieur le sénateur, avant
d'aborder le problème spécifique de la Gironde, je veux souligner que
l'éducation nationale reste une priorité, notamment dans le premier degré, qui
fait l'objet de votre question, puisque nous avons augmenté le nombre de postes
par rapport à ce qu'avait prévu le plan pluriannuel pour l'emploi de mon
prédécesseur.
Je voudrais cependant vous rappeler aussi, monsieur le sénateur, que, dans le
premier degré, la répartition des moyens repose à l'échelon national et
académique sur une méthode rénovée qui a été approuvée par tous nos
partenaires. Elle a d'ailleurs été définie par un groupe de travail national
comprenant des représentants des élus, de l'administration et de tous les
membres de la communauté scolaire. Cette méthode de répartition a été examinée
à plusieurs reprises par la commission « Ecole » du Conseil supérieur de
l'éducation nationale, qui en a garanti la validité et la fiabilité, ce qui
nous a confirmés dans le bien-fondé du système d'indicateurs que nous
utilisons.
Les critères de répartition renouvelés et transparents sont finalement peu
nombreux, parce qu'ils doivent rester compatibles avec la volonté de donner
toute sa place au pilotage académique et départemental.
L'objectif - vous avez raison, monsieur le sénateur - est d'assurer le respect
du principe d'équité dans la répartition des moyens en pondérant la démographie
scolaire par des critères sociaux, territoriaux, structurels. Ces critères sont
mesurés par des indicateurs objectifs et reconnus, établis à partir des données
de l'INSEE. Les dotations ainsi définies, notifiées globalement au recteur
d'académie, permettent la mise en oeuvre de la politique nationale dans chaque
académie.
Sur la base de ces critères et dans un souci d'équité entre les départements
de l'académie de Bordeaux, le département de la Gironde a bénéficié, pour le
premier degré, de l'attribution de 47 emplois lors de la rentrée scolaire de
2002 : ainsi, le taux d'encadrement global est passé, à la rentrée de 2002, à 5
postes pour 100 élèves.
Il est important, par ailleurs, de rappeler que la gestion est rendue
difficile en Gironde - vous le savez mieux que personne, monsieur le sénateur -
par l'hétérogénéité démographique du département, qui, à côté de l'importante
agglomération bordelaise, comprend une zone rurale assez étendue ; une école
sur trois ne compte que quatre classes, voire moins ; une école sur quatre
seulement a plus de sept classes.
Cela dit, depuis 1998, un effort important a été mis en oeuvre pour faire face
à l'augmentation des effectifs : 218 postes ont été attribués dans le premier
degré, 53 classes ont été créées à la rentrée de 2002, 175 postes ont été
implantés en collège, 39 en sections d'enseignement général et professionnel
adapté, les SEGPA, 85 en lycée. Sans nul doute, cet effort important n'est pas
étranger aux résultats satisfaisants que l'on a pu constater, résultats qui
furent même, pour le CAP ou le baccalauréat général, supérieurs aux moyennes de
l'académie.
Enfin, nous avons décidé d'attribuer, au 1er janvier de l'année prochaine, une
prime de 925 euros, quelle que soit la dimension de l'école, à tous les
directeurs de façon à susciter des vocations pour l'accomplissement de cette
mission.
Je tiens à vous assurer que l'effort accompli se poursuivra lors des
prochaines rentrées scolaires. Ainsi, le département de la Gironde disposera
des moyens nécessaires, tant pour faire face à l'augmentation des effectifs que
pour améliorer, de manière significative, les conditions d'enseignement.
M. le président.
La parole est à M. Philippe Madrelle.
M. Philippe Madrelle.
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais je ne peux que
continuer à dénoncer la pénurie d'enseignants du premier degré qui empêche
l'ensemble des écoliers de Gironde de bénéficier des conditions les plus
favorables à la réussite scolaire, et ne permet pas aux enseignants d'exercer
leur métier comme ils le souhaiteraient. Je vous demande donc, monsieur le
ministre, de porter une grande attention à la situation : selon le recteur
lui-même, il manque, en réalité, 350 postes.
POSTES DE SURVEILLANTS ET D'AIDES-ÉDUCATEURS
M. le président.
La parole est à Mme Hélène Luc, auteur de la question n° 37, adressée à M. le
ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le travail
de proximité assuré par les surveillants et les aides-éducateurs au service des
enfants et des équipes éducatives est reconnu par tous comme indispensable au
bon fonctionnement de nos établissements scolaires.
La forte mobilisation des surveillants et aides-éducateurs du 24 septembre,
puis l'action de jeudi dernier, 17 octobre, qui a regroupé tous les personnels
de l'éducation nationale, traduisent l'inquiétude forte de ces personnels de
voir fragiliser des situations souvent difficiles et précaires. Aujourd'hui,
ces postes sont remis en cause par l'annonce de l'abandon du plan
emplois-jeunes qui concerne 20 000 aides-éducateurs, et la suppression de 5 600
postes de surveillants.
Pour justifier sa décision, M. Ferry invoque la nécessaire adaptation de ces
emplois aux réalités et aux évolutions de l'éducation nationale.
Il est certain qu'il faut adapter et faire évoluer le système suivant les
besoins mais, monsieur le ministre, il faut surtout engager une réflexion sur
la pérennisation du statut des aides-éducateurs et sur la création d'un corps
avec des missions définies.
Les raisons avancées et les nouvelles mesures envisagées pour remplacer le
système actuel sont tout à fait insatisfaisantes et inadaptées.
Grâce à ces emplois, nombreux sont ceux qui ont trouvé l'espoir. Ils se sont
découvert une vocation pour l'enseignement, ont par la suite passé le concours
d'entrée à l'IUFM, le CAPES ou l'agrégation, ou encore ont postulé pour entrer
à EDF, aux impôts ou à La Poste. Etant membre du conseil d'administration d'un
IUFM, je connais de nombreux exemples de ce genre.
Les apports des aides-éducateurs sont considérables : présence constante dans
les établissements, encadrement et écoute des élèves, soutien scolaire, aide et
accompagnement, etc. Quelles qu'en soient les modalités, les fonctions qu'ils
exercent sont désormais incontournables.
Quant aux surveillants, dont l'origine sociale est souvent modeste, ils ont à
coeur de réussir leurs études tout en travaillant, et la tâche n'est pas
aisée.
Ne faudrait-il pas d'ailleurs, dans ce contexte, repenser à une aide
supplémentaire qui serait apportée aux étudiants, comme je l'ai suggéré l'an
dernier lors du vote du budget ? Ne pourrait-on pas réintroduire un système du
genre des Instituts de préparation aux enseignements de second degré, les IPES
? Ce serait une mesure utile et juste.
En effet, les surveillants effectuent un travail essentiel en matière de
sécurité et de prévention de la violence en contrôlant les entrées et les
sorties des établissements. Le fait qu'ils soient souvent à peine plus âgés que
les élèves leur permet d'établir avec ceux-ci un lien privilégié de confiance
et de respect mutuel.
J'ose à peine imaginer, compte tenu de l'importance reconnue de la présence de
ces aides-éducateurs, ce qui se passerait s'ils venaient à disparaître, comme
vous le prévoyez en en remplaçant seulement 11 000 sur les 25 600 qui sont en
fin de contrat !
Selon une information qui vient de me parvenir, il semble qu'un avenant à leur
contrat doive être signé avant les vacances de la Toussaint, c'est-à-dire avant
le 31 octobre, pour qu'ils puissent exercer leurs fonctions jusqu'en 2003.
Voilà qui serait très grave. J'aimerais donc, monsieur le ministre délégué, que
vous me disiez si cette information est exacte.
Les 14 millions d'euros prévus au budget permettront le recrutement de 3000
assistants d'éducation, au plus. Dans ces conditions, qui assumera le coût
initial, et selon quelles modalités ?
Avant de supprimer des postes, monsieur le ministre, engagez le plus tôt
possible - avant même le 4 novembre - une réelle concertation avec tous les
intéressés, afin d'identifier et d'évaluer les besoins, et aussi pour leur
permettre de faire mieux profiter de leurs qualités les établissements qui les
emploient, à la fois en les formant et en leur proposant un statut de droit
public, comme Guy Fischer et moi-même l'avions demandé dès le début de la
discussion du projet de loi sur les emplois-jeunes, et non pas de droit
privé.
M. le Président de la République a déclaré vouloir faire de l'éducation
nationale une priorité, mais cela ne s'accompagne d'aucune hausse significative
du budget.
De plus, en transférant ces personnels aux collectivités locales, comme vous
en avez exprimé l'intention, vous remettriez en cause le caractère national du
service public de l'éducation nationale, que vous déclarez pourtant vouloir
préserver, puisque le nombre de surveillants et d'aides-éducateurs dépendrait
alors de la volonté et des moyens, fort variables d'un cas à l'autre, des
régions, des départements et des communes.
(Applaudissements sur les travées
du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Xavier Darcos,
ministre délégué à l'enseignement scolaire.
Madame la sénatrice, je vous
indique d'abord que les avenants aux contrats des aides-éducateurs que nous
faisons signer actuellement ont pour objet de permettre auxdits
aides-éducateurs de rester dans leurs fonctions jusqu'en juin 2003 et donc de
finir l'année scolaire. En effet, nos précédesseurs avaient simplement oublié
que l'année civile et l'année scolaire ne correspondaient pas ! Si nous
n'avions rien fait, ces postes auraient effectivement disparu au 31 décembre
2002. Madame la sénatrice, je crois donc pouvoir considérer que vous vous
félicitez que nous ayons pris cette initiative...
Il n'en demeure pas moins qu'une analyse critique de l'implantation des postes
d'aides-éducateurs et des fonctions remplies par ceux-ci doit être sérieusement
conduite. Il faut savoir que le dispositif précédent a été dicté moins par une
véritable analyse des besoins des établissements que par la volonté de créer
des dizaines de milliers d'emplois financés sur fonds publics. Les fonctions
assurées par les aides-éducateurs ont été très diverses, certaines
intéressantes, d'autres un peu moins. C'est l'analyse de ces fonctions qui
guidera l'implantation des emplois d'aides-éducateurs qui seront recrutés à la
rentrée 2003.
Par ailleurs, il est clair que le statut des MI-SE, les maîtres d'internat et
surveillants d'externats, qui date, je le rappelle, des années trente, ne
répond plus du tout aux besoins de surveillance qui se manifestent aujourd'hui
dans les établissements scolaires.
Il est donc cohérent de mettre en place un nouveau dispositif plus efficace,
pour succéder à la fois à celui des aides-éducateurs et à celui des MI-SE, et
pour faire en sorte que continuent d'être assurées les fonctions de
surveillance et d'encadrement de proximité, dont vous avez souligné à juste
titre l'importance, madame la sénatrice.
Concernant les MI-SE, la multiplication des implantations de collèges et de
lycées qui a suivi l'« explosion scolaire » du dernier demi-siècle - dans les
années soixante-dix, on créait, en France, un collège par jour ! - et
l'alourdissement des études universitaires rendent aujourd'hui très difficiles
l'exercice simultané d'un emploi de surveillant à plein temps et la poursuite
d'études universitaires.
Les emplois du temps des surveillants sont davantage conçus, d'ailleurs, en
fonction des contraintes de leurs études que des besoins des établissements.
Dans les établissements éloignés des centres universitaires, il n'y a plus de
candidats pour les postes de surveillants. En outre, les surveillants sont
souvent absents des établissements scolaires lors des sessions d'examens
universitaires, c'est-à-dire au moment où les établissements eux-mêmes
organisent les examens du second degré.
Le projet de loi de finances pour 2003 prévoit donc les moyens d'amorcer la
mise en place d'un nouveau dispositif, celui des « assistants d'éducation ».
Dès la rentrée prochaine, ces assistants d'éducation assureront mieux encore
qu'auparavant les fonctions de surveillance et d'accompagnement de nos
politiques.
Mme Hélène Luc.
Assureraient !
M. Xavier Darcos,
ministre délégué.
Je dis bien : « assureront ».
Mme Hélène Luc.
Ce n'est pas décidé !
M. Xavier Darcos,
ministre délégué.
Nous allons le décider, madame.
Il faut en effet concevoir un nouveau statut, permettant de mieux répondre aux
besoins réels d'encadrement des élèves par des personnes adultes, en milieu
scolaire comme en milieu périscolaire, ce statut ayant en outre une vocation
d'aide sociale pour les étudiants qui seront recrutés.
C'est dans cette voie que le ministère de l'éducation nationale va s'engager -
voilà pourquoi j'utilisais le futur, madame la sénatrice -, en concertation
avec les représentants des personnels, ainsi que vous le souhaitez, et avec les
collectivités locales.
Une table ronde, qui s'ouvrira sur ce sujet, non pas aux calendes grecques
mais dès le mois de novembre prochain, permettra de réfléchir aux besoins des
établissements, aux missions prioritaires des assistants d'éducation et au
cadre juridique, qui devra être précisé. Rien n'est exclu, pas même ce que vous
avez évoqué en parlant des IPES, c'est-à-dire un système de pré-recrutement. De
fait, nous avons aussi besoin de recréer, à cette occasion, des viviers pour
les concours nationaux des professeurs du second degré.
Sans doute faut-il tempêter contre l'encadrement immédiat de nos élèves mais,
je le dis devant le Sénat, il faut plus encore s'inquiéter de notre capacité à
former des viviers pour les concours de recrutement qui interviendront dans les
dix ans qui viennent. Là, les pétitions de principe ne suffiront plus : il
faudra créer des vocations et, surtout, former les universitaires dont nous
aurons besoin.
M. le président.
La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le ministre, je transmettrai votre réponse aux personnels intéressés,
qui l'attendent avec impatience. Pour ma part, je la trouve tout à fait
insuffisante.
Je m'attendais quand même à ce que vous employiez un peu plus le conditionnel.
En effet, vous avez annoncé des décisions avant que la concertation n'ait lieu.
Pour un Gouvernement qui prétend faire de la concertation la base de son
action, c'est un très grave manquement !
Le ratio entre les départs et les recrutements se traduira, qu'on le veuille
ou non, par la perte de 14 600 postes, alors que ces postes sont absolument
indispensables.
L'appel massif à des personnes de bonne volonté, par exemple, relève en fait
des économies de bouts de chandelle, même si des expériences peuvent se
développer. Cela aboutirait à priver des jeunes de perspectives de formation et
d'emploi au moment de l'ouverture d'une troisième voie de concours fondée sur
l'expérience.
J'aimerais également élargir la réflexion aux aides-éducateurs présents dans
les associations pour la jeunesse, les associations sportives, les associations
à vocation sociale ou encore les associations de femmes, dont ils constituent
des piliers indispensables. Eux aussi méritent qu'on s'intéresse à leur statut
et à leur avenir.
Enfin, monsieur le ministre, tous les enfants de France ont droit à une
égalité de traitement, égalité qui ne pourra être assurée si la présence de
personnels de l'éducation nationale en vient à dépendre du bon vouloir et des
moyens financiers des collectivités locales. Nous aurons l'occasion d'en
discuter très largement lorsque, à partir de mardi prochain, nous traiterons de
la décentralisation. Cela étant, M. le ministre de l'éducation nationale a déjà
opéré des transferts financiers, avant même que la loi ne soit votée.
Sachez-le, monsieur le ministre, le groupe communiste républicain et citoyen
est bien décidé à défendre, aux côtés des jeunes, les fondements de la
République une et indivisible, avec les services publics dont nous sommes
fiers.
(Mme Marie-Claude Beaudeau applaudit).
DISTILLATION À DOMICILE
M. le président.
La parole est à M. Joseph Ostermann, auteur de la question n° 41, adressée à
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Joseph Ostermann.
J'ai souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur la fermeture récente de
la recette locale des douanes et droits indirects de Villé, dans le Bas-Rhin,
ainsi que sur le resserrement des critères relatifs à l'utilisation des
alambics personnels pour les personnes qui ne bénéficient pas du privilège des
bouilleurs de crus dans le canton.
Les élus du canton de Villé s'inquiètent en effet, tout d'abord, de la
fermeture croissante des services de proximité en milieu rural.
En outre, ils estiment que la distillation à domicile de sa propre récolte
avec son alambic et pour son compte personnel fait partie d'une tradition
locale qui permet de valoriser et d'entretenir les vergers du canton.
Ils craignent ainsi que le scellement des alambics privés ne démotive les
quelques personnes concernées par cette activité et n'entrave très fortement la
dynamique d'entretien du paysage que la communauté de communes encourage
vivement.
La distillation à domicile constitue, en Alsace en général et dans le canton
de Villé en particulier, un dossier extrêmement sensible. Monsieur le ministre
délégué au commerce extérieur, vous vous souvenez certainement des batailles
homériques que livra à ce sujet celui qui fut votre prédécesseur à l'Assemblée
nationale, François Grussenmeyer.
S'agissant du canton de Villé, ne conviendrait-il pas de procéder à un
réexamen de ces deux dossiers dans les meilleurs délais, afin de préserver le
dynamisme de ce territoire ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos,
ministre délégué au commerce extérieur.
Monsieur le sénateur, je suis
heureux d'avoir l'occasion de répondre à une question relative à un dossier qui
a été pendant trente-cinq ans le sujet de prédilection de la circonscription
qui m'a élu et dont, à mon avis, on n'a pas fini de parler.
(Sourires.)
Vous avez attiré l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et
de l'industrie sur la situation des bouilleurs de cru du Bas-Rhin, qui, selon
vous, sont confrontés à la fermeture de services administratifs de proximité,
tout particulièrement dans le canton de Villé, ainsi qu'au renforcement des
contrôles sur les alambics qu'ils détiennent.
L'administration des douanes s'est engagée, à l'occasion du resserrement de
son réseau de recettes locales, dans une démarche de simplification
administrative, notamment en ce qui concerne les contributions indirectes.
S'agissant des opérations de distillation, cette simplification s'est traduite
par la suppression des trois imprimés antérieurs et leur remplacement par un
document unique et allégé. S'y ajoute désormais la possibilité de transmettre
ce document par voie postale sans avoir l'obligation de se déplacer à la
recette locale des douanes.
Le régime actuellement en vigueur en Alsace-Moselle prévoit la dispense de
scellement des appareils à distiller en contrepartie d'une remise des
chapiteaux d'alambic dans un local désigné par l'administration. Cela résulte
d'un décret du 27 juin 1930, qui fixe les dispositions spécifiques à
l'Alsace-Moselle, plus favorables - peut-être faudra-t-il le rappeler aux
personnes concernées ! - que celles qui s'appliquent dans le reste de la
France.
Il n'est pas envisagé, à ce jour, de modifier ce dispositif. Au demeurant,
toute modification dans ce domaine ne pourrait se faire qu'en étroite
concertation avec les professionnels du secteur. Sachez, monsieur le sénateur,
que nous sommes à votre entière disposition pour une discussion approfondie sur
cette question.
M. le président.
La parole est à M. Joseph Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse.
Je m'inquiète toujours un peu, lorsque l'on parle de simplification
administrative, car il arrive que ce soit alors le contraire qui se produise
dans la mesure où cette simplification se traduit parfois par la disparition
des services publics de proximité dans nos zones rurales. Or, en milieu rural,
le contact avec les services d'Etat me semble hautement nécessaire. Au moment
où la concentration dans les grandes villes s'avère, hélas ! chaque jour plus
dangereuse, faute de la présence de ces services, nous aurons bien du mal à
convaincre nos concitoyens de s'installer en milieu rural.
Je souhaite simplement que le Gouvernement ne reproduise pas les erreurs du
passé et qu'il soit sensible au rapprochement entre les services publics et la
population.
DEVENIR DE VIVENDI ENVIRONNEMENT
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, auteur de la question n° 39,
adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le ministre, l'endettement de Vivendi Universal est une réalité : le
groupe n'a-t-il pas, de 1998 à 2002, racheté trente-deux entreprises pour 100
milliards d'euros et vu, dans le même temps, sa dette s'élever à 19 milliards
d'euros ?
Fin septembre, nous apprenions dans le quotidien
La Tribune
que Vivendi
Environnement était en quête de repreneur. Jean-René Fourtou laissait entendre
qu'une vente était possible, qu'il avait même présenté le dossier à quelques
sociétés - françaises, il est vrai - comme le groupe de concessions Vinci ou
Areva.
Il est vrai également que Vivendi Universal s'est engagé à conserver sa
participation dans la société de services jusqu'au début de l'année 2004. A mon
avis, ce n'est pas un argument, car la clause peut s'appliquer à un
repreneur.
Je suis persuadée, monsieur le ministre, que vous avez été attentif à ces
différentes déclarations.
Au demeurant, je ne suis pas seule à ressentir une grande inquiétude. Ainsi,
le syndicat des eaux d'Ile-de-France a rappelé il y a un mois, dans un
communiqué, « son extrême vigilance sur toute modification de capital de
Vivendi Environnement, et notamment sur toute prise de participation étrangère
».
La tentation est grande, pour la maison mère de la filiale propriétaire de
40,8 % des titres, de résorber une partie de ses dettes.
Ma question est simple, monsieur le ministre : que pensez-vous des projets de
Vivendi Universal concernant Vivendi Environnement ? Estimez-vous qu'il y a un
risque ? Que comptez-vous faire pour vous y opposer ?
Vous comprendrez que ma question n'est pas anodine, pour trois raisons.
Premièrement, l'Etat a engagé beaucoup d'argent au profit de Vivendi Universal
: crédits d'impôts, exonérations de charges, taxe professionnelle et bien
d'autres avantages ont détourné l'investissement vers la spéculation, au
détriment de la gestion d'un service essentiel pour le bien-être de nos
concitoyens.
Deuxièmement - c'est l'objet principal de ma question -, quelles seraient les
conséquences d'une telle vente sur la vie des Français ? Vivendi, c'est
l'emploi de 381 000 personnes dans le monde, dont 100 000 en France. Que
deviendraient-elles ?
Troisièmement, nous n'oublions pas que huit mille collectivités locales, soit
vingt-six millions de Français, sont concernées par le service public de l'eau,
notamment en termes de gestion financière et de santé publique.
Je rappelle que Vivendi Environnement est le premier groupe mondial pour la
distribution de l'eau et qu'il dessert cent dix millions d'habitants dans plus
de cent pays.
Par ailleurs, vous savez comme moi, monsieur le ministre, que seule la moitié
du prix de l'eau est consacrée à ce produit, l'autre moitié servant au
financement de l'assainissement et du traitement des eaux, voire des déchets :
la seule branche eaux usées et déchets génère plus de 40 % des résultats du
groupe, son chiffre d'affaires se monte à 29 milliards d'euros et son bénéfice
d'exploitation à près de 2 milliards d'euros.
Pour maîtriser ce marché de l'eau et éviter la recherche de profit sur ce qui
constitue une richesse pour la vie de tous, ne pensez-vous pas que la
nationalisation des services de distribution de l'eau serait un moyen efficace
de résister aux spéculations de Vivendi et de répondre aux besoins des Français
?
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos,
ministre délégué au commerce extérieur.
Madame le sénateur, le
Gouvernement est pleinement conscient de la place qu'occupe le groupe Vivendi
Environnement auprès des communes françaises et, à travers elles, auprès de
nombreux citoyens français. Il en va de même pour son principal actionnaire, le
groupe Vivendi Universal, qui occupe, lui, une place centrale dans notre
industrie culturelle. Le Gouvernement suit donc avec une attention toute
particulière les évolutions de ce grand groupe français.
Pour autant, Vivendi Environnement est un groupe privé, dans la gestion ou
l'actionnariat duquel l'Etat n'a pas à intervenir. Au contraire, dans le souci
d'apporter aux communes et à leurs habitants le meilleur service au meilleur
coût, le secteur de l'eau doit connaître une concurrence réelle à travers le
maintien de plusieurs acteurs indépendants et solides. Tel est aujourd'hui le
cas.
Par ailleurs, il peut être rappelé que l'actionnariat de Vivendi Environnement
est composé, à côté de son actionnaire historique, qui détient 40 % du capital,
d'investisseurs institutionnels français de premier plan, qui assurent
l'ancrage français de l'entreprise.
Ainsi, dans le cadre de l'augmentation de capital qui leur a été réservée, la
Caisse des dépôts, Groupama, BNP-Paribas, la Société générale, Dexia, AGF, le
Crédit Lyonnais, la Caisse d'épargne et Natexis ont acquis, cet été, 9,4 % des
parts de Vivendi Environnement, qui viennent s'ajouter aux participations
qu'ils détenaient auparavant ou qu'ils ont acquises dans le cadre de
l'augmentation du capital ouverte au public.
S'agissant de la nationalisation, que vous avez évoquée, des services de
distribution de l'eau, je ne vous surprendrai pas en vous indiquant qu'elle ne
me paraît ni adaptée ni réaliste.
La gestion de l'eau, qui est de compétence communale dans notre pays, est,
dans les faits, majoritairement assurée par des entreprises privées dans le
cadre de délégations de service public. Aujourd'hui, à peine un quart de la
population française dépend d'un réseau de distribution d'eau potable public
géré en régie, mais les collectivités, qui restent propriétaires de leurs
actifs dans le cadre de notre modèle français, ont toute latitude pour choisir
leur mode de gestion : elles ont donc la possibilité de revenir à une gestion
en régie, si elles le souhaitent, à l'expiration des contrats existants.
Les compagnies privées des eaux, parce qu'elles gèrent un grand nombre de
contrats et qu'elles sont présentes à l'étranger, bénéficient d'économies
d'échelle et possèdent une capacité d'innovation et d'expertise importante.
Leur capacité financière leur permet de procéder aux investissements
nécessaires au respect d'exigences accrues en matière de qualité de l'eau
potable, d'assainissement ou de traitement des déchets.
Je ne pense donc pas qu'une nationalisation des compagnies des eaux
conduirait,
in fine
, à une meilleure qualité de service pour les
usagers.
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le ministre, je suis particulièrement inquiète que vous ne me
répondiez pas au sujet du risque que représenterait la vente éventuelle de
Vivendi Environnement par Vivendi Universal. Je suis extrêmement surprise que
vous méconnaissiez l'inquiétude qui est née non seulement chez les élus locaux
mais également au sein de certains syndicats, tels que le syndicat des eaux
d'Ile-de-France.
Nous sommes en présence d'un danger réel, et la nationalisation de la
distribution de l'eau permettrait d'assurer véritablement le service public. Je
m'étonne que, sur un sujet aussi important que la production de l'eau, vous
laissiez des sociétés privées réaliser des profits !
CONSÉQUENCES DES AFFAISSEMENTS MINIERS
EN LORRAINE
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Masson, auteur de la question n° 40, adressée à
Mme la ministre déléguée à l'industrie.
M. Jean-Louis Masson.
Monsieur le ministre, je souhaite attirer particulièrement votre attention sur
le dossier récurrent des affaissements miniers dans les mines de fer de
Lorraine.
Le précédent gouvernement a temporisé sur ce dossier en espérant que les
décisions importantes seraient prises après les élections. Mais je crains
aujourd'hui, comme tous les Mosellans, que l'on ne continue à reporter
éternellement les mesures qui s'imposent.
Ce problème est extrêmement grave et je veux très solennellement tirer ici la
sonnette d'alarme. Il me paraît tout à fait anormal de mener en la matière la
politique de l'autruche : actuellement, rien n'est fait, les pouvoirs publics
attendent que des villages entiers s'effondrent pour ensuite déclarer
l'urgence. Or il est notoire que certains endroits présentent des risques
d'affaissement. La moindre des choses serait tout de même d'examiner la
question afin d'étudier quelles mesures prendre !
Aujourd'hui, l'ennoyage du bassin Nord a été reporté de deux ans, pour
permettre la recherche de solutions. Mais un an est déjà passé et, l'an
prochain, l'ennoyage sera mis en oeuvre dans l'urgence, sans que rien n'ait été
tenté auparavant.
Ce dossier doit faire l'objet d'un traitement correct et attentif de la part
des pouvoirs publics. Il est impossible d'attendre davantage !
Sur trois points, je souhaite obtenir une réponse précise, au-delà de simples
voeux pieux.
En premier lieu, s'agissant de l'ennoyage du bassin Nord, le sursis qui a été
octroyé sera-t-il oui ou non utilisé pour prendre des mesures de consolidation,
comme cela avait été promis ? Pour l'instant, rien n'a été entrepris, sauf dans
les endroits où les affaissements se sont déjà produits ; mais c'est alors trop
tard !
En deuxième lieu, la création d'une agence de prévention et de surveillance
des risques miniers a été décidée il y a trois ans par le Parlement. Or cette
agence n'est toujours pas en place. C'est véritablement anormal, monsieur le
ministre, surtout compte tenu de l'urgence que je viens d'évoquer !
Enfin, en troisième lieu, ce problème pèse lourdement sur les collectivités
locales. Ainsi, lorsque des affaissements miniers se produisent, il faut certes
se préoccuper de l'indemnisation des propriétaires de maisons, mais les
pouvoirs publics devraient aussi se pencher mieux qu'ils ne le font aujourd'hui
sur les séquelles subies par les communes au niveau des réseaux souterrains. En
effet, en cas d'affaissement, même si les maisons ne s'effondrent pas, les
canalisations d'eau et le réseau d'assainissement sont touchés, et il faut tout
recommencer. Lorsqu'on sait ce que coûte la réfection totale de ces
canalisations et des réseaux d'électricité enfouis, on se rend compte de la
gravité du problème.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos,
ministre délégué au commerce extérieur.
Monsieur le sénateur, j'ai bien
compris que votre question précise appelait une réponse tout aussi précise.
Concernant la sécurité minière, nous avons tous à coeur d'apporter des
solutions, que ce soit en Lorraine ou ailleurs, et ce sujet doit être traité
avec la plus grande vigilance. Vous dites que cela fait plusieurs années que
les dossiers ne sont pas réglés, mais nous n'y sommes, cette fois non plus,
pour rien, car nous ne sommes aux affaires que depuis quelques mois.
Nous sommes bien conscients que ce sujet comporte des enjeux de sécurité pour
les biens et pour les personnes, et la vigilance sera le principe directeur de
notre action qui impliquera, naturellement, le respect du cadre juridique
défini par le législateur au travers du code minier, lequel prévoit notamment
les mesures de sauvegarde à prendre pour les populations exposées en cas de
risque.
Je souhaiterais maintenant répondre de façon plus précise aux trois questions
que vous m'avez posées.
Sur la première, qui concerne l'instabilité de certains ouvrages miniers, je
dois d'abord vous dire que l'expertise géotechnique de l'Institut national de
l'environnement industriel et des risques, l'Ineris, sur les zones
d'affaissement potentiel du bassin Nord a été menée à son terme au début de
cette année. Les résultats de cette analyse ont mis en évidence deux secteurs à
risque d'affaissement brutal : l'un sur la commune de Thil, l'autre sur la
commune de Fontoy.
Sur la commune de Thil, la configuration particulière des ouvrages miniers et
leur accessibilité ont d'ores et déjà permis de prendre la décision de combler
les vides souterrains laissés par les anciennes exploitations minières.
A Fontoy, le risque exige un traitement dans les formes définies par la loi du
30 mars 1999. Cela se traduira,
in fine
, soit par le comblement des
cavités, soit par l'expropriation des populations exposées à ce risque.
Par ailleurs, un troisième site, dit « de Nondkeil », qui, en première
analyse, ne présentait pas de risque d'affaissement brutal, fait actuellement
l'objet d'une contre-expertise afin de confirmer ou non ce premier diagnostic,
notamment au niveau des paramètres géologiques utilisés.
Au total, le report à novembre 2004 de l'ennoyage du bassin Nord décidé par
mon précédesseur, M. Christian Pierret, doit permettre à l'Etat de clarifier le
risque à Nondkeil et d'apporter une solution à Fontoy.
Enfin, je tiens à souligner que les autres zones reconnues instables, bien que
ne présentant pas de risque d'affaissement brutal, sont également surveillées :
dès qu'un aléa d'affaissement progressif est identifié, il entre immédiatement
dans un processus de surveillance sur le long terme, mis en oeuvre par la
direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, la
DRIRE, de Lorraine.
S'agissant maintenant du deuxième point, je vous confirme que l'agence de
prévention des risques miniers est effectivement appelée à jouer un rôle
important, tant dans la collecte et la conservation des dossiers d'arrêt des
travaux miniers que lors de l'élaboration des plans de prévention des risques
miniers.
Le conseil d'administration de l'agence est en cours de constitution. Les
représentants des assemblées parlementaires sont M. Daniel Reiner et vous-même
pour le Sénat, et MM. Jean-Louis Decool et Jean-Yves Le Déaut pour l'Assemblée
nationale.
La nomination de son premier directeur doit également intervenir prochainement
et des crédits permettant sa mise en place ont été dégagés.
L'agence devrait ainsi être opérationnelle au début de l'année 2003.
Enfin, troisième point de votre question, s'agissant de l'endommagement des
réseaux souterrains de canalisations par des affaissements miniers, il
convient, à mon sens, d'appliquer strictement et pleinement la loi de 1999 qui
prévoit que « l'exploitant est responsable des dommages causés par son activité
». L'intervention de l'Etat n'est donc prévue qu'en cas « de disparition ou de
défaillance de l'exploitant responsable ».
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Masson.
M. Jean-Louis Masson.
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la partie très précise de votre
réponse, mais je voudrais attirer votre attention sur les deux exemples que
vous avez cités : Fontoy et la partie meurthe-et-mosellane du bassin minier.
Vous avez dit : on est en train de faire quelque chose. Mais, pour l'instant,
à Fontoy, seule la commune a agi. Quant aux pouvoirs publics, ils n'ont rien
fait.
Et, pour ce qui est du bassin minier de Meurthe-et-Moselle, on fait quelque
chose, certes, mais après l'effondrement du site et non de manière préventive.
On a attendu que cela s'effondre et, quand cela s'est effondré, il a bien fallu
boucher le trou !
Je remercie l'Etat d'avoir agi après l'effondrement, mais ce n'est pas cela
mettre en oeuvre une politique raisonnable de prévention des affaissements
miniers !
M. le président.
Mes chers collègues, en attendant l'arrivée de Mme Roselyne Bachelot-Narquin,
nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quinze, est reprise à dix heures
vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
AMÉNAGEMENT DE LA LOIRE ET PRÉVENTION
DES INONDATIONS
M. le président.
La parole est à M. Dominique Leclerc, auteur de la question n° 29, adressée à
Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
M. Dominique Leclerc.
Madame le ministre, à la suite des inondations dans le Gard, vous avez
annoncé, le 24 septembre dernier, à Nîmes, vouloir faire de la prévention des
risques naturels, et plus particulièrement des inondations, une grande cause
nationale. Sénateur d'Indre-et-Loire et maire d'une commune riveraine de la
Loire, je vous en félicite.
Je reviendrai cependant sur le passé. L'ensemble des élus du bassin de la
Loire, grâce à la volonté farouche de Jean Royer, avaient mis en place, en
1994, le plan Loire grandeur nature.
Adopté par le gouvernement de l'époque, ce plan retenait trois priorités : la
sécurité des populations face au risque d'inondation ; l'animation de la
gestion de la ressource en eau, des espaces naturels et ruraux des vallées ; la
mise en valeur du patrimoine naturel paysager et culturel des vallées
ligériennes.
Le financement de l'Etat, des collectivités locales et de l'agence de l'eau
était acquis.
En 1999, Mme Voynet a souhaité réorienter l'action de l'Etat par des solutions
alternatives. C'est la nouvelle philosophie de la seconde phase du plan Loire
grandeur nature.
La priorité devient la réduction de la vulnérabilité des zones inondables, qui
passe par un contrôle de l'urbanisme à travers les plans de prévention des
risques naturels et prévisibles, les PPR, une prévision des crues renforcées
par l'extension du réseau Cristal, une restauration de la culture du risque et,
enfin, une préparation à la gestion de la crise.
Toutes ces actions préventives sont indispensables. En revanche, et c'est
l'objet essentiel de mon interrogation de ce matin, nous abandonnons une grande
partie des investissements de protection des populations déjà présentes dans le
lit de la Loire. Ainsi, le barrage de Chambonchard, déclaré d'utilité publique
en 1996 et dont le financement avait été partiellement engagé, a été
abandonné.
Par ailleurs, qu'en est-il de la réalisation d'un ouvrage écrêteur du Veurdre
pour abaisser la ligne d'eau de la Loire, qui a été préconisé par l'équipe
pluridisciplinaire en 1995 ?
En dépit du contrat de plan Etat-région 2000-2006, plusieurs années de retard
ont été prises dans le renforcement des levées. La continuité du renforcement
des digues est essentielle pour accroître leur efficacité.
Lors des grandes crues du siècle dernier, celles de 1846 et de 1856, c'est
dans la commune de La Ville-aux-Dames, dont je suis maire, que leur rupture
s'est produite. Des travaux auraient pu y être entrepris. Eh bien non : ce fut
fait uniquement en amont et en aval !
Face au risque d'inondation, c'est la sécurité des personnes et des biens qui
doit rester la priorité de l'Etat. La prévention du risque ne peut être
totalement privilégiée au détriment de la sécurité de ces populations.
Après les catastrophes que notre pays vient de connaître, il convient de
prendre toutes les mesures possibles pour réduire les risques d'inondation. La
prévention et l'information sur ces risques sont bien évidemment
indispensables. Mais il faut aussi mettre en oeuvre des investissements visant
à protéger les populations déjà présentes dans les zones à risques, selon les
schémas qui ont été initialement prévus par l'EPALA, l'établissement public
d'aménagement de la Loire et de ses affluents.
Aujourd'hui, lorsque de grandes catastrophes se produisent, nos concitoyens
exigent la recherche des responsabilités. Leur émotion, leur détresse sont
partagées par l'ensemble du pays grâce à la télévision. Il faudra donc leur
expliquer que la Loire a été inscrite au patrimoine mondial et que l'Etat ainsi
que les collectivités ont mis en place le réseau d'alerte Cristal, des projets
d'intérêt général, des PIG, des PPR, des DICRIM, des documents d'informations
communaux sur les risques majeurs, la valorisation des paysages, la route du
saumon et le suivi des populations migratoires de saumons par radiopistage,
etc.
Toutefois, tout cela ne suffira pas à atténuer le désespoir des populations
inondées devant un risque connu et évalué maintes fois, et ce depuis
longtemps.
De grâce, madame le ministre, que le Gouvernement réaffirme sa volonté
politique et qu'il respecte ses engagements.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narqui,
ministre de l'écologie et du développement durable.
Monsieur le sénateur,
vous avez bien voulu attirer mon attention sur l'impérieuse nécessité de
prévenir les catastrophes naturelles, notamment les inondations. Je vis, comme
vous, dans un bassin de crues et en pleine zone inondable ; je suis donc
sensible à cette question en ma qualité de ministre de l'écologie et du
développement durable, mais également en tant que présidente de la commission
de l'aménagement du territoire et de l'environnement de la région Pays de la
Loire. Les récentes inondations dans le Gard et les départements voisins sont
là pour nous rappeler ce qu'il en est.
J'avais inscrit la prévention des risques naturels et technologiques dans les
priorités de mon action ministérielle dès le mois de mai 2002.
La prévention des inondations a été le thème de mon premier déplacement dans
le département des Ardennes, le long de la vallée de la Meuse.
Une de mes premières décisions budgétaires a consisté à mettre en place, en
mai 2002, 7 millions d'euros d'autorisations de programme pour les tranches
2000 et 2001 des travaux de restauration du lit et des levées de la Loire,
autorisations de programme dont la délégation avait été retardée avant mon
arrivée.
Je réponds ainsi à l'une de vos premières préoccupations.
Grâce à un important travail préalable effectué dès mon arrivée, j'ai pu faire
connaître à Nîmes, le 24 septembre 2002, tout un ensemble de mesures destinées
à relancer vigoureusement la politique de prévention des inondations qu'avait
initiée mon prédécesseur, M. Michel Barnier, en 1994, et qui s'était - il faut
bien le dire - essoufflée depuis quelques années.
Comme vous le savez, 130 millions d'euros seront dégagés sur le budget général
du ministère et sur le fonds national de solidarité pour l'eau, le FNSE, et ce
sur quatre ans, afin, notamment, de soutenir des investissements des
collectivités locales dans quinze bassins stratégiques. Ces moyens devront
financer des ouvrages permettant de réguler le débit en amont des zones
urbanisées en tête des bassins versants.
Au-delà des moyens, il s'agit bien là d'une rupture dans la méthode : nous ne
nous contentons pas de protéger en aval, même si c'est absolument indispensable
- j'y reviendrai -, nous essayons aussi de mieux contrôler le danger en
amont.
J'ajoute qu'au cours de 2003 je conduirai avec le ministre chargé de
l'équipement, M. Gilles de Robien, une réforme profonde du dispositif national
de prévision des crues afin de lui donner plus d'efficacité. Une attention
particulière - vous le comprendrez, même s'il ne s'agit pas de notre région
ligérienne - sera consacrée aux orages cénevols - c'est dans cette région que
les crues sont les plus meurtrières - avec la création, dès 2003, d'un centre
hydrométéorologique qui renforcera les liens entre les services de prévision
des crues et Météo France. Le bassin de la Loire, au sort duquel nous sommes
tous les deux très attachés, bénéficiera à due proportion de ces mesures, qui
viendront s'ajouter aux mesures du plan Loire grandeur nature.
La politique que j'entends promouvoir pour améliorer la prévention des
inondations comporte aussi des mesures législatives, en particulier
l'élaboration d'un titre consacré à la prévention des risques naturels, que je
me propose d'ajouter dans le projet de loi relatif à la prévention des risques
technologiques, qui sera débattu au Parlement au cours du premier semestre
2003. Figureront dans ce titre des dispositions tendant à mieux informer sur
les risques, afin de créer ce que vous avez appelé une véritable « culture » du
risque - je préfère le terme de « conscience » - dans la population, et des
mesures visant à apporter une meilleure aide, en cas de sinistre.
En effet, comme vous l'avez justement remarqué, outre l'existence des plans de
prévention des risques, il convient aussi d'aider les personnes déjà
installées, parfois depuis plusieurs générations, dans les zones inondables à
mieux protéger leurs maisons, leurs installations commerciales ou
industrielles. Des mesures financières seront étudiées lors de l'examen du
projet de loi précité.
Le 26 septembre, je suis allée à Orléans annoncer les mesures prises pour
donner une nouvelle impulsion au volet relatif à la prévention des inondations
du plan Loire. Il avait pris un grand retard ces dernières années, malgré la
disponibilité de moyens financiers réservés au budget de l'Etat et des
collectivités locales. Ces moyens étaient en effet restés inutilisés en raison
d'une mauvaise organisation des services de l'Etat, que la Cour des comptes
avait fort justement relevée.
L'équipe de projet de l'Etat sera renforcée dès 2003 d'une douzaine de postes,
notamment d'ingénieurs, afin de consolider les actions mises en oeuvre, souvent
assez complexes à conduire, pour ne pas dire très complexes. Je songe, en
particulier, à la sécurisation des digues.
Par ailleurs, le préfet coordonnateur de bassin a été chargé explicitement par
M. le Premier ministre d'une fonction de pilotage. Des pouvoirs nouveaux,
notamment financiers, sont associés à cette fonction interrégionale.
Pour revenir à la question que vous m'avez posée, les ouvrages de protection
en aval sont tout à fait nécessaires. Mon plan n'est pas en contradiction avec
ces ouvrages. Quant au barrage de Chambonchard, que vous avez cité, ce n'est
pas un ouvrage écrêteur de crues ; c'est un simple barrage de soutien d'étiage.
Il n'a donc aucun effet sur la protection des inondations.
S'agissant de la réalisation d'un ouvrage écrêteur des crues du Veurdre, qui
aurait un impact considérable sur l'environnement, j'ai annoncé à Orléans ma
décision non pas de la supprimer, mais de la retarder en attendant de savoir si
cet ouvrage sera toujours nécessaire une fois que les opérations de
ralentissement dynamique auront été menées en amont.
Monsieur le sénateur, je peux vous garantir mon implication totale en matière
de lutte contre les inondations.
M. le président.
La parole est à M. Dominique Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Madame la ministre, j'ai écouté avec attention tous les propos que vous avez
tenus ces derniers mois. Ils ont été suivis d'une relance de l'action de l'Etat
non seulement pour le bassin ligérien, mais plus généralement en matière
d'inondations dans notre pays.
La prise de conscience, je retiens votre vocable, est indispensable. Sachez
que, nous, élus ligériens, avons multiplié les documents d'information.
A Tours s'ouvre aujourd'hui un colloque traitant de prévention et visant à
imprégner les consciences, notamment des plus jeunes, de ce risque
d'inondations.
Mais les derniers événements de cet été, dus à des perturbations
météorologiques qui ont largement dépassé nos frontières, nous ont fait
comprendre que le risque zéro n'existait pas et que, même si la Loire n'était
pas concernée, ce risque existait toujours.
Tout un déroulement historique a conduit à l'installation de populations dans
le lit de la Loire. Aujourd'hui, en Indre-et-Loire, ce sont 160 000 personnes
qui représentent 60 % de la vie économique des rives de la Loire.
Devant le désespoir et l'amertume de ces populations, je voulais vous rappeler
qu'au-delà des mesures de prévention indispensables il est des mesures à
prendre qui nécessitent de forts investissements. Si certains ont été
abandonnés à juste titre, ce n'est pas le cas pour d'autres. Il faut agir
d'autant plus rapidement que, une fois la catastrophe survenue, ce ne sont pas
les indemnités, toujours partielles, et de simples mesures financières qui
permettront de venir au secours de la population ligérienne en cas
d'inondations.
Tel était, madame la ministre, le message d'urgence que je voulais vous faire
passer. Je vous remercie de l'avoir compris.
RÉGLEMENTATION DU PRIX DE L'EAU
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 50, adressée à
Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question
concerne la réglementation actuelle fixant le prix de l'eau.
La facturation est fonction de la consommation effectuée. Cette mesure, fondée
sur le principe d'égalité de tous les usagers, s'avère particulièrement
inéquitable dans nombre de communes touristiques. Ces dernières doivent faire
face à des investissements surdimensionnés pour répondre aux besoins des
résidences secondaires.
A titre d'exemple, la commune de Saint-Gervais-les-Bains, en Haute-Savoie, qui
compte environ 5 400 habitants, doit faire face à des investissements
équivalents à ceux d'une commune de 30 000 à 40 000 habitants.
Compte tenu de la réglementation en vigueur, ce sont donc les habitants
permanents qui assument la plus grosse partie de la charge de ces surplus
d'investissements.
Le prix du mètre cube d'eau peut atteindre 4,5 euros - c'est le cas de
Saint-Gervais - alors que l'exploitation même de l'eau est d'un coût très
faible.
Plusieurs communes, dans un souci d'équité, ont mis en place une part fixe qui
intègre cet impératif de surdimensionnement des réseaux et des stations
d'épuration. Comme vous le savez, madame la ministre, elles se sont vu débouter
par les tribunaux compétents.
Je vous demande donc quelles mesures spécifiques vous comptez prendre à
l'égard de ces communes, à l'heure où celles-ci doivent faire face à des
investissements énormes comme la reconstruction de leur station d'épuration.
Ces mesures sont urgentes et indispensables, faute de quoi les communes seront
dans l'incapacité de réaliser ces mises aux normes.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin,
ministre de l'écologie et du développement durable.
Monsieur le sénateur,
la fixation du prix de l'eau, sujet sur lequel vous avez appelé mon attention,
plus généralement les modalités d'organisation des services publics de
distribution d'eau et d'assainissement, relèvent de la compétence directe des
collectivités territoriales. Comment ne pas vous le rappeler, mesdames,
messieurs les sénateurs, vous qui les représentez et qui souhaitez poursuivre
le mouvement de décentralisation ?
Les collectivités doivent fixer les tarifs pour garantir l'équilibre des
budgets et pour s'assurer de la pérennité des services d'eau et
d'assainissement. Elles doivent aussi provisionner les sommes nécessaires au
renouvellement et à la modernisation des services. Le législateur en 1992 et,
plus récemment, le pouvoir réglementaire en 2000 ont précisé les modalités de
tarification de ces services publics.
Ainsi, aux termes de l'article L. 214-15 du code de l'environnement, « Toute
facture d'eau comprend un montant calculé en fonction du volume réellement
consommé par l'abonné à un service de distribution d'eau et peut, en outre,
comprendre un montant calculé indépendamment de ce volume, compte tenu des
charges fixes du service et des caractéristiques du branchement. »
De plus, le décret n° 2000-237 du 13 mars 2000, pris pour l'application des
articles L. 2224-7 à L. 2224-12 du code général des collectivités
territoriales, précise l'application à l'assainissement collectif de ce
principe de tarification proportionnel au volume, avec la possibilité
d'instaurer une partie fixe.
Ainsi, « la partie variable est déterminée en fonction du volume d'eau prélevé
(...) dont l'usage génère le rejet d'une eau usée collectée par le service
d'assainissement. (...)
« La partie fixe est calculée pour couvrir tout ou partie des charges fixes du
service d'assainissement. »
Ainsi, qu'elles soient ou non touristiques, les collectivités territoriales
peuvent fixer librement le montant des parties fixes de leur service d'eau et
d'assainissement collectif.
Dans les choix qui sont opérés au niveau local pour la fixation de ce montant,
un juste équilibre doit simplement être trouvé pour s'assurer que la
tarification retenue incite à une bonne gestion de l'eau, comme nous le demande
la directive européenne du 23 octobre 2000 fixant un cadre pour une politique
communautaire de l'eau. Nous aurons bientôt, au début de 2003, l'occasion de
transposer la directive - cadre sur l'eau.
En ce qui concerne l'eau, monsieur le sénateur, seules deux personnes «
mythiques » peuvent être sollicitées, l'usager ou le contribuable. Il est à mon
sens tout à fait logique que ce soit l'usager qui paie sa facture d'eau et,
bien entendu, que des communes modestes qui doivent faire face à de gros
investissements se tournent vers la solidarité nationale, sous forme d'une
péréquation qu'il ne sera sans doute pas inutile d'évoquer dans le débat qui
nous attend sur la décentralisation.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Madame la ministre, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu
m'apporter, même si la notion de part fixe reste floue, en particulier la
fixation de son montant. Je souhaite donc, comme vous l'avez dit, que cela soit
précisé lors de l'examen d'un prochain texte en la matière, afin de tenir
compte de la spécificité de ces communes qui voient leur population multipliée
par deux, par trois, par cinq, voire par dix, cela pendant deux à six mois de
l'année.
Il faut que la loi tienne compte de cette réalité afin d'éviter la
jurisprudence qui place les maires dans des situations difficiles, car ils ne
savent pas quelle position adopter et se voient souvent reprocher par les
habitants un prix de l'eau exorbitant.
Madame la ministre, si vous en êtes d'accord, je souhaite que cette réflexion
soit menée en concertation avec les élus concernés. Dans mon département, les
maires de Saint-Gervais et de Chamonix, en particulier, sont prêts à vous
recontrer. Je vous remercie par avance de votre souci de concertation et de
votre écoute.
M. le président.
Monsieur Carle, moi, à Marseille, j'ai baissé le prix de l'eau et personne ne
s'en est rendu compte !
(Sourires.)
M. Jean-Claude Carle.
Le pastis n'a pas augmenté !
(Nouveaux sourires.)
RÈGLES DE SÉCURITÉ APPLICABLES
AUX PÊCHEURS À LA LIGNE
M. le président.
La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question n° 3, adressée
à M. le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
M. Jean-Patrick Courtois.
Madame la ministre, j'appelle votre attention sur la sécurité des pêcheurs à
la ligne à bord de leur bateau sur les rivières.
Voies navigables de France, VNF, recommande à ces pêcheurs à la ligne de
porter un gilet de sauvetage. Cela paraît compréhensible, notamment l'hiver,
dans la mesure où l'eau des rivières est froide. Une chute par-dessus bord
pourrait ainsi leur être fatale.
Cependant, l'été, le port du gilet de sauvetage paraît moins justifié. L'eau
est en effet plus chaude et, en cas de chute par-dessus bord, les pêcheurs
pourraient facilement regagner les rives à la nage, d'autant qu'elles sont
relativement étroites dans les rivières. De surcroît, les pêcheurs sont
extrêmement gênés, compte tenu de la chaleur, de porter durant toute la journée
un gilet de sauvetage.
En conséquence, je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'indiquer si les
pêcheurs à la ligne doivent obligatoirement porter un gilet de sauvetage
lorsqu'ils pêchent à bord de leur bateau et, dans l'affirmative, s'ils risquent
d'être verbalisés dans l'hypothèse où ils n'en porteraient pas, ou s'il s'agit
d'une simple recommandation.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin,
ministre de l'écologie et du développement durable.
Je remercie M.
Courtois de sa question. En effet, même si elle est adressée à mon collègue M.
Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, j'y suis
particulièrement sensible puisque je suis la ministre de la pêche en rivière
!
Monsieur le sénateur, vous attirez l'attention sur la sécurité des pêcheurs à
la ligne à bord de leur bateau et la réglementation édictée par Voies
navigables de France.
Les dispositions sur le port du gilet de sauvetage pour les pêcheurs sont
prises par arrêté préfectoral en application du règlement général de police de
la navigation intérieure annexé au décret n° 73-912 du 21 septembre 1973.
Des dispositions spécifiques existent effectivement sur certains cours d'eau
domaniaux rendant obligatoire le port du gilet de sauvetage. Ainsi, l'arrêté du
20 décembre 1974 fixant le règlement particulier de police de la navigation sur
le canal de la haute Seine, la Seine, l'Yonne, la Marne et l'Oise, définit
précisément les conditions dans lesquelles le port du gilet de sauvetage est
obligatoire. Il s'agit, notamment, des personnes qui se déplacent en dehors des
logements, de la timonerie et de toute surface de circulation protégée contre
le risque de chute dans l'eau lorsque le bateau fait route. Dans les autres
cas, le port du gilet de sauvetage est recommandé, sans être obligatoire.
En conséquence, lorsque le bateau est en stationnement ou sur l'ancre, le port
du gilet de sauvetage est une simple recommandation de prudence, notamment aux
pêcheurs à la ligne à l'arrêt.
De façon plus générale, il convient que les pêcheurs consultent les règlements
particuliers de police spécifiques au cours d'eau dans lequel ils pêchent pour
connaître la règlementation précise sur le port du gilet de sauvetage.
Je ne peux donc pas, monsieur le sénateur, répondre de façon générale à votre
question. Des règlements particuliers sont pris par arrêté préfectoral sur
chaque rivière et il convient donc de s'y référer. Mais, dans ce domaine comme
dans l'autre, on ne peut qu'inciter les pêcheurs à la plus extrême prudence,
car, hélas ! dans un sport et dans une activité de loisir qui est toute de
tranquillité, chaque année, nous avons à regretter des accidents, qui
concernent tout particulièrement des enfants.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois.
Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse qui, effectivement,
clarifie la situation. En effet, récemment, j'étais à l'assemblée générale des
pêcheurs, et la question s'est posée de savoir si les services de la
gendarmerie, qui, maintenant, vont sur l'eau, pouvaient ou non verbaliser.
Désormais, nous saurons qu'il convient de vérifier l'existence d'un arrêté
préfectoral à cet égard, auquel cas les contrevenants pourront être
verbalisés.
Par ailleurs, je m'associe à la recommandation que vous venez de faire.
RENFORCEMENT DE L'ATTRACTIVITÉ SOCIALE
DU SECTEUR DE L'ARTISANAT
M. le président.
La parole est à Mme Brigitte Luypaert, auteur de la question n° 15, adressée à
M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à
l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation.
Mme Brigitte Luypaert.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi
d'orientation du commerce et de l'artisanat, adoptée par le Parlement en 1973,
dont nous allons bientôt fêter le trentième anniversaire, avait inscrit en
lettre d'or l'égalité fiscale et l'égalité sociale en faveur des commerçants et
des artisans parmi les principes fondamentaux qui devaient être mis en oeuvre
dans les meilleurs délais.
Force est de reconnaître que, malgré les nombreux progrès enregistrés dans ces
deux domaines depuis lors, il demeure encore certaines lacunes, s'agissant
notamment de l'égalité sociale ou de l'attractivité sociale dans le secteur de
l'artisanat.
En effet, sur les 836 000 entreprises que compte le secteur des métiers en
France, la très grande majorité d'entre elles sont des entreprises
individuelles avec, dans de nombreux cas, une très forte implication du
conjoint dans l'activité de l'entreprise. Ainsi, tous les risques financiers
pèsent, en réalité, sur la famille, avec une fiscalité plus lourde et surtout
une protection sociale qui ne se situe toujours pas au même niveau que celle
dont bénéficient les ressortissants au régime général de la sécurité
sociale.
Quelles sont les améliorations qui pourraient être apportées au régime social
des artisans ? De mon point de vue, quatre pistes de travail pourraient être
explorées.
En premier lieu, il faudrait instaurer un mécanisme de cessation anticipée
d'activité en faveur des artisans. En effet, certains d'entre eux commencent
très tôt leur activité professionnelle et, par ailleurs, de nombreux métiers
ont un degré de pénibilité tel qu'un départ anticipé à la retraite peut se
justifier. Ajoutons que le secteur des métiers est l'un des rares secteurs
professionnels à ne pas bénéficier d'un tel dispositif.
En deuxième lieu, il conviendrait de pérenniser les régimes de retraites et
d'assurer l'équité des prestations. Je sais que ce dossier fait partie des
préoccupations du nouveau Gouvernement. La réforme des régimes de retraite,
outre le fait qu'elle devra leur assurer un financement stable et durable,
devrait également placer à égalité, en matière d'accès à l'assurance vieillesse
et de prestations, toutes les catégories socio-professionnelles.
En troisième lieu, il importerait d'aligner sur le régime général de sécurité
sociale les indemnités journalières des artisans en supprimant, notamment, les
délais de carence actuellement appliqués en cas d'hospitalisation, de maladie
ou d'accident : il semble normal de faire bénéficier les artisans de la même
protection sociale que les salariés face à la maladie ou à
l'hospitalisation.
En quatrième lieu, il faudrait améliorer le statut des conjoints d'artisans et
limiter, autant que faire se peut, le recours aux cautions solidaires. La loi
du 10 juillet 1982 met à la disposition des conjoints d'artisans ou de
commerçants trois possibilités de statut : collaborateur, salarié ou associé.
Or il semblerait que les deux tiers des conjoints d'artisans ou de commerçants
n'en bénéficient pas. De deux choses l'une : ou bien ces dispositions sont mal
connues, ce qui serait tout de même étonnant, ou bien elles nécessiteraient
quelques améliorations afin de les rendre plus attractives.
Il conviendrait peut-être, premièrement, de permettre d'inclure dans les
charges de l'entreprise la totalité du salaire du conjoint, quel que soit son
régime matrimonial ; deuxièmement, d'ouvrir le statut de conjoint-collaborateur
aux conjoints des gérants non salariés des sociétés anonymes à responsabilité
limitée, les SARL, ou des associés uniques des entreprises unipersonnelles à
responsabilité limitée, les EURL ; troisièmement, d'accroître la possibilité de
cumuler une activité salariée à temps partiel avec le statut de
conjoint-collaborateur ; quatrièmement, d'aligner les prestations maternité des
conjoints-collaborateurs sur celles des femmes chefs d'entreprise ; enfin,
cinquièmement, d'ouvrir le bénéfice de l'allocation parentale d'éducation aux
conjoints-collaborateurs.
Telles sont les améliorations qui pourraient être apportées au statut social
des artisans, des commerçants ou de leurs conjoints. Je fais confiance au
Gouvernement et au secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises,
notamment, pour prendre en compte ces préoccupations et faire en sorte qu'au
cours de la présente législature satisfaction puisse leur être donnée. Nous
savons tous le rôle éminent que jouent les entreprises artisanales dans notre
pays ; il convient de ne pas les décevoir.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin,
ministre de l'écologie et du développement durable.
Madame la sénatrice,
vous avez appelé l'attention de M. Loos, ministre délégué au commerce
extérieur, et de M. Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes
entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la
consommation, sur un secteur tout à fait capital de notre économie, et les
propositions que vous avez avancées sont très pertinentes.
En effet, rendre l'artisanat attractif suppose que l'on s'intéresse au statut
même de l'artisan, à ses charges sociales, à la protection de son patrimoine, à
sa formation et à sa retraite. C'est aussi s'intéresser aux conditions dans
lesquelles les artisans peuvent trouver de la main-d'oeuvre qualifiée.
A cet effet, le plan en faveur de la création Enfind'entreprise proposé par M.
le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à
l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation comprend des
mesures qui vont en ce sens : détermination d'un patrimoine d'affectation, pour
sécuriser la situation personnelle du créateur d'entreprise ; différé de
paiement des charges sociales la première année ; développement de l'esprit
d'entreprendre en faisant mieux connaître l'entreprise dans les programmes
scolaires.
La formation professionnelle continue des artisans eux-mêmes est en cours
d'examen, et les questions du statut - le statut du conjoint, en particulier,
sur lequel vous avez très justement appelé l'attention du Gouvernement - et des
retraites vont être étudiées dans les prochains mois.
Le Gouvernement, au-delà d'une réflexion plus large sur la politique de
formation des jeunes, en particulier l'apprentissage, a d'ores et déjà
entrepris d'agir sur l'embauche en allégeant de façon significative les charges
sociales sur les bas salaires grâce à des exonérations sur les charges sociales
jusqu'à 1,7 SMIC en 2005.
Les contrats « jeunes en entreprises » que le Gouvernement vient de mettre en
place devraient faciliter les recrutements des jeunes les moins qualifiés dans
les entreprises artisanales et favoriser leur accès aux dispositifs de
validation des acquis de l'expérience professionnelle. J'ajoute que les
contrats « jeunes en entreprises » sont exonérés totalement de charges la
première année et de manière dégressive les trois années suivantes.
Enfin, le Fonds national de promotion et de communication de l'artisanat, le
FNPCA, a été créé pour contribuer au développement de l'artisanat en valorisant
son image, et des campagnes de communication telles que celles qui présentent
l'artisanat comme la première entreprise de France sont appelées à produire des
effets très positifs sur l'attractivité du secteur.
En tout état de cause, le Gouvernement veillera à accompagner, dans le cadre
de son domaine d'intervention, les secteurs qui engageront les efforts
nécessaires pour accroître l'attractivité des métiers.
M. le président.
La parole est à Mme Brigitte Luypaert.
Mme Brigitte Luypaert.
Je remercie Mme la ministre de sa réponse. Je serai attentive à toute
amélioration qui sera apportée dans ce secteur, notamment sur le statut social
des conjoints.
PROCÉDURE D'EXTENSION DU PÉRIMÈTRE
DES COMMUNAUTÉS D'AGGLOMÉRATION
M. le président.
La parole est à M. Jean-Paul Alduy, auteur de la question n° 36, adressée à M.
le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
M. Jean-Paul Alduy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi
Chevènement a permis le développement en France d'un fort courant
d'intercommunalité, sauf peut-être en région parisienne. Il s'agit d'un effet
positif. Mais l'application de cette loi pose de nombreuses difficultés. Je
souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, sur l'une d'entre
elles, qui risque de remettre en cause de nombreux établissements publics de
coopération intercommunale.
Les arrêtés qui ont constitué ces établissements publics de coopération
intercommunale ont été pris, en général, avant le 12 juillet 2002,
c'est-à-dire, aux termes de la loi, dans une période où la procédure était
conduite par le préfet et nécessitait l'accord de la majorité qualifiée des
communes, soit la moitié des communes représentant les deux tiers de la
population ou les deux tiers des communes représentant la moitié de la
population.
Un recours intenté aujourd'hui contre ces arrêtés - ou, plus grave encore,
dans un an, dans deux ans ou dans trois ans - qui conduirait à leur annulation
après le 13 juillet 2002, obligerait à redéfinir les périmètres des EPCI, mais
cette fois dans le cadre d'une procédure nouvelle, à savoir l'accord individuel
de chaque commune et à condition qu'aucune enclave n'apparaisse dans le
périmètre proposé.
Dès lors, une commune « bien située » pourrait interdire la reconstruction
d'un établissement public qui aura pourtant fonctionné deux ou trois ans, car
les procédures juridiques sont assez longues. De nombreux établissements
publics de coopération intercommunale pourraient ainsi être mis en péril.
Monsieur le ministre, ne serait-il pas possible, sans doute par voie
législative, en cas de recours abouti après le 13 juillet 2002, de conserver le
principe de la majorité qualifiée ?
C'est la seule façon, me semble-t-il, de protéger les établissements publics
actuels, tout en laissant évidemment aux communes le droit de coordonner leur
action, mais sur la base d'une majorité qualifiée.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Monsieur le sénateur, vous avez
bien posé le problème, encore qu'il ne concerne que les extensions. Il est vrai
que la loi permettait, jusqu'au 12 juillet 2002, de procéder à une extension de
périmètre malgré le refus d'une des communes. Depuis, ce n'est plus possible.
S'agissant de la Constitution, cela demeure possible au travers de la majorité
qualifiée.
Le Gouvernement est attaché à la fois à la pérennisation des EPCI qui ont été
raisonnablement construits et au principe de liberté des communes. Car il y a
une forme de violence dans l'extension malgré le refus d'une commune.
En fait, vous soulevez le problème de la transition, du passage d'une
situation à une autre. Comme vous l'avez rappelé, seule une modification
législative permettra de remédier à cette situation puisque c'est l'article L.
5216-10 du code général des collectivités territoriales qui permet de procéder
ainsi.
Je puis vous dire que, en accord avec Gilles de Robien et Jean-Paul Delevoye,
mon ministère travaille à trouver une solution de cohérence dans les lois de
périmètre. Après la réforme constitutionnelle et la nouvelle loi organique, un
débat aura lieu devant le Parlement sur ce point notamment, dans le souci de ne
pas mettre en péril des communautés existantes.
Le Gouvernement est donc conscient de ce problème dont le Parlement sera saisi
l'année prochaine.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Paul Alduy.
M. Jean-Paul Alduy.
Je suis tout à fait satisfait de votre réponse, monsieur le ministre :
rendez-vous, donc, lorsque ces lois seront « toilettées ».
M. le président.
Cela nous intéresse tous !
EFFETS DE LA LOI DU 11 MAI 1998
PAR RAPPORT À L'ASILE TERRITORIAL
M. le président.
La parole est à M. Louis Souvet, auteur de la question n° 17, adressée à M. le
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Louis Souvet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le problème
que je souhaite soulever aujourd'hui est grave. En 1998, du fait des
contraintes générées par la géopolitique, il a fallu canaliser, légaliser une
pratique introduite par les instructions ministérielles, c'est-à-dire sans
caractère légal : je veux parler de l'asile territorial.
Nous étions confrontés, d'un côté, à l'afflux de réfugiés - issus par exemple
de l'ex-Yougoslavie ou de l'Algérie - et, de l'autre, à une référence très
stricte, à savoir la convention de Genève.
Face à cette inadéquation patente, il devenait urgent de trouver un moyen
terme, d'où les règles du jeu de l'asile territorial. Cela permettait de sortir
d'un flou artistique. Cependant, l'utilité
ab initio
a laissé place à
ce qu'il est convenu d'appeler - sans grossir le trait - des effets pervers.
Pourquoi ? Après quelque temps, les délais de procédure étant très longs du
fait du nombre de demandeurs, l'intéressé ne veut plus rester à la charge de la
structure familiale. Il se tourne alors obligatoirement vers les services
sociaux, l'interdiction lui étant faite de travailler. Ce processus favorise
l'assistanat, mais également le travail au noir.
De 1999 à 2000, le nombre des demandes d'asile territorial a été multiplié par
deux, passant, selon les chiffres officiels, de 6 984 à 11 810. Et encore, tous
les cas ne sont pas recensés du fait du caractère le plus souvent familial de
l'accueil. Selon des avis autorisés, ce nombre pourrait être multiplié par
trois pour correspondre à la réalité.
Quand une loi ne répond plus à son objectif, quelles que soient ses qualités
initiales, et lorsqu'elle produit plus d'effets négatifs qu'elle ne règle de
problèmes, il convient de s'interroger, monsieur le ministre, sur la nécessité
de la réformer.
Soulignons que le caractère familial de l'hébergement initial rend attractives
les régions fortement industrialisées où résident de nombreuses familles issues
d'une immigration plus ancienne.
Nous sommes en présence d'une triple problématique : d'abord, ne doit-on pas
autoriser ces demandeurs d'asile territorial à travailler durant l'instruction
de leur dossier, comme peut le faire le demandeur d'asile politique ? Ensuite,
comment éviter que la procédure d'asile territorial ne soit considérée - par le
demandeur, bien sûr - comme « un appel » de la décision négative rendue dans le
domaine de l'asile politique ? Enfin, comment mettre un terme à l'engorgement
des centres d'urgence ? Dans mon département, le Doubs, 550 places sont
disponibles pour 800 demandes !
Le cadre législatif initial, il est vrai, n'est pas seul en cause.
L'annulation par le Conseil d'Etat - par son arrêt du 26 janvier 2000,
Association France Terre d'Asile. Amnesty International
- d'un certain
nombre de dispositions de la circulaire du 25 juin 1998 n'a pas amélioré la
situation, bien au contraire. L'élargissement du champ d'application de l'asile
territorial a conduit aux effets précédemment énoncés.
Je me réjouis que le Gouvernement ait pris en compte l'ampleur du problème,
les demandes manifestement infondées n'étant plus filtrées par les autorités
françaises, comme le rappelait dans une note M. le directeur des Français à
l'étranger en France.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, comment peut être évité
de
facto
l'enchaînement des procédures : asile conventionnel, puis asile
territorial - particularisme français, soit dit en passant.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Monsieur le sénateur, quelle est
tout d'abord la situation juridique ?
Juridiquement, la procédure de l'asile territorial dépend de la loi relative à
l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, dite loi
RESEDA, du 11 mai 1998, dont l'objet est d'accorder un droit au séjour en
France d'une année, renouvelable, à un ressortissant étranger qui peut faire
état dans son pays d'origine de menaces sur sa liberté ou sur sa vie.
Il s'agit d'une protection complémentaire par rapport à celle qui est contenue
dans la convention de Genève de 1951.
Quelles sont, ensuite, les données chiffrées ? Elles sont encore plus
alarmantes que celles que vous avez citées puisqu'en 2001 plus de 30 000
personnes se sont présentées dans les préfectures pour entamer une procédure
d'asile territorial. Ce phénomène a évidemment entraîné des engorgements à tous
les niveaux.
Le situation du demandeur d'asile territorial n'est pas la même que celle du
demandeur d'asile conventionnel : il est exclu du dispositif d'accueil, car il
n'a pas, lui, le droit de bénéficier de conditions d'hébergement et de
prestations sociales spécifiques. Mais il peut accéder par ailleurs à des
prestations pour sa famille ou à la couverture maladie universelle, ce qui est
de nature à créer une situation largement incontrôlée.
Quelles sont, enfin, les initiatives que le Gouvernement a prises ?
Dès le 25 septembre dernier, le conseil des ministres a arrêté les plans d'une
réforme qui devra être totalement en vigueur au 1er janvier 2004 ; nous prenons
d'ores et déjà les mesures, mais il faut du temps.
Cette réforme, inspirée par la volonté d'accroître les moyens et de simplifier
un dispositif global passablement complexe, comporte plusieurs innovations :
l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sera seul
compétent, non seulement en matière d'asile conventionnel, mais aussi d'asile
territorial.
Je réponds donc à votre demande : les deux procédures, celle de l'asile
conventionnel et celle de l'asile territorial, seront rassemblées au sein de la
même organisation, l'OFPRA.
Les préfectures continueront de délivrer des autorisations de séjour aux
demandeurs d'asile. L'OFPRA sera déconcentré dans les régions d'accueil des
demandeurs d'asile, en cohérence avec la pratique de nos partenaires européens.
La France élargira le statut de réfugié, mais l'origine étatique des
persécutions cessera d'être le critère automatique. Le corollaire de la mise en
oeuvre de cette réforme de l'asile sera la reconduite effective à la frontière
des étrangers déboutés dans des délais n'excédant pas deux mois, du moins
l'espérons-nous.
Cette réforme suppose une modification de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952
relative au droit d'asile et de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945
relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et
portant création de l'Office national d'immigration.
M. le président.
La parole est à M. Louis Souvet.
M. Louis Souvet.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de la précision de vos propos. La
direction que vous nous avez donnée correspond certainement aux souhaits des
uns et des autres.
Cependant, vous ne m'avez pas répondu quant aux possibilités de faire
travailler les personnes qui attendent l'instruction de leur dossier. Mais, à
partir du moment où les délais seront considérablement raccourcis, je comprends
qu'on ne réponde pas à cette question.
AIDES FINANCIÈRES DE L'ÉTAT
EN FAVEUR DES DÉPARTEMENTS
M. le président.
La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 6, adressée à M. le
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Claude Biwer.
Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, au
cours du mois de juillet 2002, la presse s'est largement fait l'écho de la
situation paradoxale à laquelle nos compatriotes allaient être confrontés cette
année. Au moment même où le Gouvernement confirmait, à juste titre, la baisse
de l'impôt sur le revenu des personnes physiques, les départements allaient, de
leur côté, devoir augmenter les impôts locaux, au risque de brouiller le
message gouvernemental.
Dans ces conditions, les contribuables peuvent se demander si on ne leur
reprend pas d'une main ce que l'on leur donne de l'autre !
Comment en est-on arrivé là ? Tout simplement parce que le gouvernement
précédent a, directement ou indirectement, transféré un certain nombre de
charges aux départements sans prévoir aucune compensation financière.
Je pense, tout d'abord, à la réforme des SDIS, les services départementaux
d'incendie et de secours, réforme qui se traduit par une montée en puissance
progressive des engagements substantiels de dépenses pour les départements.
Ainsi, les dépenses de fonctionnement des SDIS augmentent de plus de 10 % en
2002 par rapport à 2001.
Je pense, ensuite, à la généralisation des 35 heures à la fonction publique
territoriale qui a été mise en place sans aucune concertation préalable avec
les associations représentatives d'élus.
Elle n'est, bien entendu, assortie d'aucune aide financière de l'Etat,
contrairement à ce qui se passe pour les entreprises du secteur privé. C'est
ainsi que l'application de cette mesure a imposé de nombreuses embauches de
personnels dans les conseils généraux et dans les établissements de soins
départementaux. Les dépenses liées à la mise en place des 35 heures augmentent
donc de 7,6 % en 2002 par rapport à 2001.
Je pense, enfin, à la mise en oeuvre de l'APA, l'allocation personnalisée
d'autonomie. Dieu sait si le Sénat et l'Assemblée des départements de France
avaient, en leur temps, tiré la sonnette d'alarme ! Mais rien n'y fit !
Aujourd'hui, nous voyons la traduction chiffrée de cette réforme. Une fois de
plus, l'Etat a été particulièrement généreux avec les deniers des départements
et, donc, des contribuables locaux.
L'APA est, en effet, financée pour plus des trois quarts par les départements.
L'Observatoire national de l'action sociale décentralisée a chiffré le surcoût
pour ceux-ci à 1,7 milliard d'euros pour la période 2002-2003, soit 11
milliards de francs. L'augmentation globale du poids de l'aide sociale s'élève
à environ 13 % par an. En 2002, les départements vont consacrer près de 4
milliards d'euros aux personnes âgées, soit une progression de 42,5 % par
rapport à 2001.
Contrairement au budget de l'Etat, les budgets de fonctionnement des
départements doivent être équilibrés. Dès lors, il ne faut guère s'étonner
qu'après une pause fiscale de plusieurs années ces derniers se voient, la mort
dans l'âme, dans l'obligation de majorer leur fiscalité. Ainsi, la direction
générale des collectivités locales, la DGCL, vient de confirmer que
soixante-huit départements ont relevé leur taux d'imposition en 2002 !
Il convient d'ajouter que leur situation financière est également rendue
difficile du fait de la suppression d'un certain nombre d'impôts. Ils sont
remplacés par des compensations dont le montant est fixé par l'Etat :
suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, suppression de la
vignette automobile, baisse des droits de mutation.
Non seulement l'autonomie fiscale des départements s'en trouve
considérablement réduite, mais, de plus, ils subissent une perte nette de
recettes, les compensations étant toujours insuffisantes.
Ainsi les conseils généraux sont-ils condamnés à un redoutable effet de
ciseaux : baisses de leurs recettes, d'une part, majoration de leurs dépenses,
d'autre part.
L'inscription dans la Constitution du principe de l'autonomie fiscale des
collectivités territoriales constituera une bonne et saine réforme, mais elle
ne suffira pas à régler les problèmes que je viens d'évoquer.
Permettez-moi donc de vous demander, monsieur le ministre, quelles mesures
vous comptez proposer afin que soit compensé, pour les départements, le
surcroît de dépenses provoqué par la mise en oeuvre de l'APA.
Par ailleurs, la volonté décentralisatrice exprimée par le Président de la
République et par le Premier ministre - que je partage pleinement - ne devra
pas se traduire, de la part de l'Etat de plus en plus impécunieux, par des
transferts de compétences supplémentaires en direction des régions et des
départements, transferts qui seraient, à nouveau, insuffisamment compensés.
Il faudra, dès lors, envisager, de façon concomitante, le transfert partiel
d'un impôt d'Etat, faute de quoi les dérives que je viens de dénoncer ne
pourront que s'aggraver.
Je compte beaucoup sur vous, monsieur le ministre, pour tenir compte des
préoccupations que je viens d'évoquer et pour les relayer. Comme vous le savez,
les prélèvements obligatoires sont constitués par la fiscalité d'Etat tout
autant que par la fiscalité locale. Il ne servirait à rien de baisser la
première et de favoriser l'augmentation de la seconde, car cela ne changerait
rien au niveau global des prélèvements et ce seraient toujours nos compatriotes
qui auraient à en supporter le poids.
En vérité, il faut tout mettre en oeuvre pour garantir aux départements, mais
aussi aux régions, aux communes et à l'intercommunalité des ressources
suffisantes et évolutives leur permettant de faire face à leurs dépenses. Pour
concrétiser cette ardente obligation, vous pourrez compter, monsieur le
ministre, sur l'appui du Sénat.
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Monsieur Biwer, la description que
vous donnez de la situation est exacte.
Celle-ci est en effet particulièrement critique pour l'allocation
personnalisée d'autonomie. Je rappelle les chiffres : le gouvernement précédent
avait prévu d'accorder une dotation pour l'APA de 800 millions d'euros par an ;
or, à elle seule, l'APA coûtera 2 milliards d'euros en 2002 et 3,5 milliards
d'euros en 2003, la part de l'Etat restant de 800 millions d'euros.
Le Gouvernement étudie donc un dispositif de nature à soutenir les
départements, car cette dépense considérable a une forte incidence sur leur
fiscalité.
S'agissant des SDIS, l'article 72 du projet de loi de finances pour 2003
prévoit un fonds d'aide à l'investissement.
Au-delà de ces phénomènes conjoncturels, auxquels il faut faire face et qui
font partie, en quelque sorte, de l'héritage, c'est la réforme
constitutionnelle qui protégera dorénavant les collectivités territoriales de
telles dérives.
Quatre principes seront posés dans le dispositif financier.
Premier principe, la libre disposition de leurs ressources par les
collectivités territoriales sera affirmée expressément dans la Constitution.
Ainsi, sans même parler de transfert, l'Etat ne pourra plus créer de nouvelles
prestations et en imposer, par la voie législative, la charge aux collectivités
locales.
Deuxième principe, dont la pleine application impliquera nécessairement une
montée en puissance progressive, les ressources propres des collectivités
territoriales devront représenter une part déterminante de l'ensemble de leurs
ressources. J'indique à ce propos que le Conseil d'Etat a estimé que l'adjectif
« déterminant » avait plus de force que l'adjectif « prépondérant », dont le
Sénat défendait l'emploi.
Troisième principe qui sera transcrit dans la Constitution, les transferts de
compétences seront obligatoirement accompagnés du transfert des ressources
correspondantes qui étaient affectées à l'exercice de cette compétence par
l'Etat.
Ce principe avait déjà été énoncé dans le cadre des réformes Deferre, mais il
l'avait été dans la loi ordinaire. De ce fait, le Conseil constitutionnel ne
sanctionnait pas son non-respect. Dorénavant, il figurera dans la Constitution
et s'imposera donc avec force.
Quatrième principe, l'Etat aura désormais l'obligation de corriger les
inégalités de ressources des territoires, notamment par la péréquation, et
cette obligation sera générale.
L'inscription de ces quatre principes dans nos fondements institutionnels
conduira par la suite, bien sûr, à des réformes financières et fiscales qui
garantiront à l'avenir la libre autonomie financière des collectivités
territoriales. La réforme constitutionnelle devrait donc, sur le fond, vous
donner satisfaction, monsieur le sénateur.
M. le président.
La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos propos rassurants. Je note la
volonté de changer de méthode et de manière.
Je rappelerai seulement qu'il appartient aux collectivités départementales et
communales aussi de favoriser la création d'emplois sous différentes formes, en
mettant en place les dispositifs utiles et les équipements qui créent
l'environnement de l'entreprise. Il faut donc absolument que ces collectivités
aient la possibilité d'exercer pleinement leurs pouvoirs, c'est-à-dire qu'elles
puissent consacrer les impôts qu'elles votent à leurs investissements, ce qui
implique qu'elles ne soient pas trop « pompées ».
J'observe à ce propos, étant maintenant plus souvent à Paris, que les impôts
locaux y sont moins chers que dans ma région.
(Sourires.)
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
Paris est riche !
CONDITIONS D'EXERCICE DU DROIT DE VOTE
M. le président.
La parole est à M. André Trillard, auteur de la question n° 4, adressée à M.
le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
M. André Trillard.
Monsieur le ministre, l'importante abstention qui a caractérisé les deux
élections du printemps dernier doit assurément être replacée dans un contexte
plus ancien tant il est vrai que, pour spectaculaire qu'il soit, ce taux
d'abstention n'est pas un phénomène nouveau.
Néanmoins, pour difficile à accepter que soit ce constat, force nous a été de
reconnaître que, parmi les raisons de fond de cette faible participation, la
désaffection progressive des Français à l'égard du monde politique et de ses
représentants n'était pas la moindre. A cet égard, l'impérieuse nécessité de
restaurer la confiance du citoyen dans la politique est un défi qu'il
appartient à nous, élus, de relever, indépendamment de nos clivages politiques,
et à tous les niveaux d'intervention qui sont les nôtres.
Si la participation des citoyens à une consultation est avant tout un acte de
foi dans la démocratie et dans ses représentants, le réalisme commande
toutefois de ne pas négliger un aspect plus concret, celui de l'adaptation du
dispositif législatif et réglementaire qui permet aux citoyens empêchés de
voter. Tous les observateurs avisés de la vie politique et tous les élus
appelés à tenir un bureau de vote s'entendent en effet sur un point : les
dispositions du code électoral doivent être revues pour prendre en compte une
caractéristique fondamentale de notre époque, la mobilité.
Résultat d'un choix ou d'une nécessité, professionnelle, de loisir ou
d'étudiant, régulière ou occasionnelle, de courte ou de longue durée, la
mobilité est aujourd'hui le fait de toutes les tranches d'âge et de tous les
groupes sociaux.
Dès lors, le système conçu, pour l'essentiel, voilà vingt-six ans afin de
permettre de voter par procuration aux seuls citoyens placés dans des
situations limitativement énumérées et à même de produire un justificatif, dont
la validité est appréciée dans des conditions fatalement différenciées et
subjectives, me semble devenu obsolète. Plus grave, il est inéquitable et
décourageant. Il est enfin peu lisible : en témoignent les cas, paradoxaux mais
pas très rares, de mandataires titulaires d'une procuration et s'abstenant
doublement, dans l'ignorance où ils sont de la durée exacte de leur
procuration, laquelle peut être, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le
ministre, valable pour un an ou pour un seul scrutin.
(M. le ministre
délégué acquiesce.)
Les élus de terrain que nous sommes sont conscients de ce que le sujet est
complexe et qu'il importe, avant tout, de se garder de la tentation d'une
simplification abusive : si le vote par correspondance a été supprimé en France
en 1975, c'est notamment en raison des risques de fraude et, dans l'état actuel
des choses, il semblerait que le vote électronique, même sécurisé, ne puisse
offrir toutes les garanties voulues, s'agissant notamment de celles qui sont
liées à l'indépendance de l'électeur.
Il reste que les règles de nos voisins européens apparaissent dans l'ensemble
moins contraignantes que les nôtres et que l'efficacité de certains des
dispositifs mis en place à l'étranger, tels que le vote par anticipation - je
cite cet exemple mais il y en a d'autres -, mériterait d'être analysée au
travers du triple critère de la sécurité, de la participation et de la
simplicité.
Quant aux motifs justifiant le recours à cette procédure, ils doivent
indéniablement être élargis, et je ne vois pas, pour ma part, ce qui
s'opposerait à ce que le vote par procuration, quelles qu'en soient les
modalités, soit non plus dérogatoire mais de droit.
Monsieur le ministre, répondant à la question écrite posée par deux de nos
collègues députés, le ministre de l'intérieur a indiqué que le Gouvernement
engageait une réflexion sur l'adaptation du droit de vote par procuration. Je
me réjouis de constater que cette préoccupation, partagée, je le sais, par
beaucoup d'entre nous, recueille un écho favorable auprès du Gouvernement.
Pourriez-vous nous donner quelques détails sur les objectifs qui seront
assignés à cette réflexion - s'agit-il d'une refonte ou d'un « toilettage » du
dispositif existant ? -, les délais dans lesquels vous envisagez de la conduire
et la façon dont y seront associés les élus locaux ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Monsieur Trillard, l'abstention,
c'est vrai, se développe. Par exemple, au premier tour de l'élection
présidentielle, elle était de 28 % tandis qu'elle était de 35 % pour le premier
tour des élections législatives.
Cependant, notre pays n'est pas le plus mal loti parmi les démocraties en
matière de développement de l'abstention. Que l'on songe aux Etats-Unis, où
l'élection présidentielle ne suscite guère plus de 50 % de participation,
personne ne mettant d'ailleurs en cause le caractère démocratique des
Etats-Unis.
Pour ma part, j'ai tendance à considérer que, la démocratie, c'est d'abord le
droit de voter contre. Or, d'une certaine manière, il y a une forme de
consentement. « Qui ne dit mot consent », dit le proverbe.
Il faut donc relativiser l'atteinte à la démocratie que porterait en elle
l'abstention. J'observe d'ailleurs que, plus une société est consensuelle, plus
la participation diminue. Quand il y a de grands enjeux ou de grandes tensions,
voire quand on est au bord de la guerre civile, la participation est très
forte. L'abstention est donc à la fois la meilleure et la pire des choses,
aurait dit Esope.
Je suis cependant d'accord avec vous, monsieur Trillard, sur le fait que
l'usage du droit de vote doit être favorisé, car le scrutin est un hommage
rendu à la démocratie et la marque d'un enracinement dans les institutions.
Certaines pistes doivent être cependant écartées, car elles ont montré
qu'elles n'étaient par pertinentes.
Ainsi en est-il d'abord du vote par correspondance, qui a été supprimé en
1975, car il donnait lieu à de nombreuses fraudes.
L'étalement du vote sur plusieurs jours, avec la création de bureaux
temporaires et itinérants, est d'une particulière lourdeur et pose un problème
de surveillance des urnes. Là aussi, le risque de fraude est important.
Je crois, comme vous, que la piste qui doit être suivie est celle de
l'extension du vote par procuration.
En arrivant au ministère, je me suis tout de suite préoccupé de cette question
et un projet est presque prêt, projet qui ressortit plutôt au domaine de la loi
qu'à celui du règlement, car il s'agit non pas d'un simple toilettage mais
d'une réforme de la procédure du vote par procuration.
Premièrement, il faut assouplir les conditions d'ouverture du vote par
procuration, car elles sont trop restrictives. Certains citoyens absents de
leur commune le jour du scrutin pourraient ainsi voter par procuration alors
qu'ils ne le peuvent pas aujourd'hui. Il me semble qu'une déclaration sur
l'honneur devrait suffire. Demander aux électeurs de justifier du motif réel de
leur absence - par exemple, leur demander de présenter le faire-part de la
communion de leur petite fille - relève d'une méfiance de mauvais aloi à
l'égard du citoyen qui ne veut qu'exercer son droit de vote. Il me semble que
la seule affirmation de son indisponibilité et de son désir de voter par
procuration doit donc être suffisante.
M. Jacques Pelletier.
Très bien !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Deuxièmement, il faut sans doute
transférer l'établissement des procurations vers d'autres services publics,
parce que ce sont toujours les mêmes services, et notamment les commissariats
de police, qui y procèdent alors que ce n'est pas leur vocation. Ils ont
d'autres problèmes à régler.
Troisièmement, il faut davantage simplifer le formulaire de vote par
procuration, qui - ceux qui ont tenu un bureau de vote le savent - n'est pas
d'une grande clarté.
C'est vers ces pistes que nous nous acheminons. Mon projet est prêt, reste à
l'inscrire à l'ordre du jour du Parlement. J'en ai saisi M. le Premier ministre
: cela pourrait se faire dans l'année à venir.
M. le président.
La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard.
Monsieur le ministre, je vous remercie vivement de cette réponse dont l'esprit
correspond à mes attentes : je me réjouis de ce que l'on fasse désormais
confiance aux citoyens quant à la réalité de leur absence afin que tous
puissent voter.
AVENIR DU COMMISSARIAT DE POLICE DE LURE
M. le président.
La parole est à M. Bernard Joly, auteur de la question n° 64, adressée à M. le
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
M. Bernard Joly.
Toute réforme, aussi fondée soit-elle, entraîne des interrogations quant aux
conséquences de ses applications. Il en est ainsi s'agissant du commissariat de
police de la commune de Lure, sous-préfecture de la Haute-Saône.
En s'adressant aux préfets, en juillet dernier, M. le ministre de l'intérieur,
de la sécurité intérieure et des libertés locales a exposé la nécessaire
réorganisation des forces de police, de gendarmerie et de gendarmerie mobile,
visant à optimiser le potentiel d'action de celles-ci. Le message du premier
tour de l'élection présidentielle a été entendu : la sécurité est bien la
première des libertés, elle conditionne l'exercice des droits de l'homme.
Le premier texte soumis au Parlement avant l'été a permis de définir les
mesures d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure. Un
second texte nous sera proposé afin de mettre en place de nouvelles
dispositions juridiques qui permettront de donner aux forces de sécurité
intérieure les moyens de lutter plus efficacement contre la délinquance.
M. le ministre a indiqué que la réforme serait menée à partir de propositions
émanant de la base et non pas bâtie selon des schémas imposés par les
administrations centrales. Les préfets devaient recevoir au mois d'août les
documents nécessaires pour dresser un état des lieux et engager la
concertation. La centralisation des observations était prévue pour la
mi-octobre, les arbitrages devant être rendus à la fin du même mois, après un
travail conduit avec les directions générales de la police et de la
gendarmerie.
Malgré cette transparence et cette démarche pragmatique, des inquiétudes se
font jour et s'expriment. Elles se fondent sur des informations, vérifiées ou
non, qui, néanmoins, s'accréditent au fil des jours. On rapporte ainsi que la
tendance serait à la fermeture des petits postes, or le commissariat de Lure
est l'un des plus petits de France.
Ce site a un effectif de quarante-cinq personnes ; sa modestie même le rend
indispensable par son implication dans l'accomplissement des diverses missions
qui lui sont confiées. Aux activités classiques relatives à la sécurité et à la
proximité s'articulent celles de brigade de recherches et, enfin,
d'administration pour le ministère public. Ce dernier aspect n'est pas le
moindre, puisque, sur environ 700 faits traités par an, plus de la moitié sont
directement liés au fonctionnement du tribunal d'instance et de grande instance
de la commune. Pour apprécier le volume de l'ensemble des tâches confiées par
la justice au commissariat, il convient de préciser que ce sont trois postes à
plein temps qui y sont affectés en permanence.
Ce que redoutent les fonctionnaires de police, mais aussi la population, c'est
« l'effet de dominos », où la chute de l'un entraîne celle de tous les autres :
suppression du commissariat, puis du tribunal, puis de la sous-préfecture... Le
souvenir du repli de la présence, notamment militaire, de l'Etat reste vif dans
les esprits, et les compensations n'ont pas été au niveau des engagements
pris.
Aussi, monsieur le ministre, ma question est-elle simple : quel est l'avenir
du commissariat de police de Lure ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué aux libertés locales.
Monsieur Joly, la gendarmerie et
la police sont désormais soumises à la même autorité, celle du ministre de
l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Cela conduit à
un redéploiement affectant les zones de compétence respectives de la police et
de la gendarmerie nationale.
M. Raymond Courrière.
A des suppressions !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
En fait, la répartition actuelle date de 1941 et n'est
plus adaptée, à l'évidence, à la situation que nous connaissons aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle le redéploiement est nécessaire. Cependant, notre
action, à la différence de celle que nos prédécesseurs avaient engagée,...
M. Raymond Courrière.
Et la loi de M. Juppé ?
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
... s'accompagne d'une augmentation des effectifs
(rires sur les travées socialistes),...
M. René-Pierre Signé.
Pas dans les zones rurales !
M. Patrick Devedjian,
ministre délégué.
... et non d'une diminution de ceux-ci.
Le but, monsieur le sénateur, c'est non pas de faire des économies de
personnel, mais d'être plus cohérents et plus efficaces. La loi d'orientation
et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, prévoit, d'ici à
2007, 7 000 gendarmes et 6 500 policiers supplémentaires. Leur répartition doit
s'effectuer de manière cohérente : quand on sait que le réseau radio de la
gendarmerie et celui de la police ne peuvent pas communiquer entre eux
(
exclamations sur les travées du RPR),
on mesure qu'il reste quand même
quelques progrès à faire sur le plan de la cohérence de nos personnels de
sécurité ! C'est précisément l'objectif du Gouvernement.
S'agissant des situations locales, il a été demandé aux préfets, par une
circulaire en date du 25 septembre - vous avez parlé du mois d'août, monsieur
Joly, mais nous avons pris un peu de retard - de les analyser et de les prendre
en compte. Les choses seront déterminées au cas par cas sur le terrain et non
pas depuis Paris. Il leur a été demandé également d'adresser leurs réponses
pour le 15 novembre. Le délai n'est pas encore expiré, et les préfets
continuent donc leurs travaux, notamment en matière de concertation.
Par conséquent, je peux vous assurer, monsieur Joly, qu'aucune décision n'a
été prise à ce jour à Paris ni dans aucune région de France, parce que les
informations qui ont été demandées aux préfets ne nous sont pas encore
parvenues. S'agissant, en particulier, du commissariat de Lure, une décision ne
sera arrêtée qu'au vu de la concertation et de l'analyse qui auront été menées
localement, monsieur le sénateur.
M. Réné-Pierre Signé.
Il n'a pas l'air convaincu !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly.
Je vous remercie, monsieur le ministre, des assurances que vous venez de me
donner : pour l'heure, aucune décision n'est donc prise.
Je crois avoir compris que vous hésitiez entre accroître les effectifs de la
gendarmerie et augmenter ceux de la police : ma foi, dans un cas comme dans
l'autre, nous serons satisfaits !
DÉVELOPPEMENT DE SOINS PALLIATIFS À DOMICILE
M. le président.
La parole est à M. Georges Mouly, auteur de la question n° 45, adressée à M.
le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
M. Georges Mouly.
Madame la secrétaire d'Etat, le réseau ONCORESE 19 constitue un réseau
expérimental mis en place dans le cadre des ordonnances du 24 avril 1996. Il a
reçu un agrément ministériel par arrêté du 26 novembre 1999 et a pour objet
principal de permettre la prise en charge à domicile des patients traités par
chimiothérapie ou soumis à des soins palliatifs.
Ce réseau, innovant et peut-être unique en France, est né d'une ambition
commune du service d'oncologie du centre hospitalier de Brive et de la caisse
primaire d'assurance maladie de la Corrèze : celle d'offrir une solution de
rechange à l'hospitalisation dans les meilleures conditions de prise en charge
et d'éviter ainsi, compte tenu de la saturation permanente des quinze lits du
service d'oncologie corrézien, le transfert des patients vers des structures
situées hors du département, voire l'extension du service. Ce réseau permet
également de diminuer le nombre des hospitalisations de jour.
Il s'inscrit donc dans une expérimentation menée à l'échelon national,
financée à 90 % par l'assurance maladie pendant trois ans, qui arrivera à
échéance le 31 décembre 2002.
Le bilan est assez élogieux : les résultats montrent que le réseau a examiné
la situation de 450 patients et pris en charge 338 d'entre eux ; la file active
du réseau n'a cessé de s'allonger, pour atteindre aujourd'hui 74 prises en
charge simultanées.
Le réseau offre une réponse humaine et de qualité aux malades et à leurs
familles. Le taux de satisfaction avoisine en effet les 100 %, puisqu'il est de
96 %. En outre, l'adhésion des professionnels de santé libéraux est large : 485
professionnels du département font partie du réseau, dont 65 % des médecins
généralistes, 90 % des pharmaciens et 80 % des infirmières, ce qui témoigne de
son intérêt « technique ».
Le service d'oncologie a ainsi pu accroître son activité sans augmenter le
nombre de ses lits. Le niveau de compétence - évalué, il est vrai, par un
cabinet de conseil en économie médicale - des professionnels de santé s'est
considérablement élevé, et une collaboration fructueuse s'est établie entre ces
derniers et l'hôpital, permettant, par un suivi coordonné, une vraie continuité
des soins et le développement d'une nouvelle culture de travail qui contribue à
un changement profond des mentalités et des modes d'exercice. Cela semble être
une avancée majeure pour le système de soins.
Ce bilan positif a conduit les autres régimes - le régime agricole et celui
des travailleurs non salariés - à solliciter leur admission dans le réseau. Or,
l'échéance arrive, le financement est épuisé. Que vont devenir les patients
pris en charge ? Que va-t-il rester de ce formidable espoir, partagé par les
patients et les professionnels, d'une prise en charge et de soins « à visage
humain » ?
Depuis longtemps déjà, il est question de privilégier les soins ambulatoires,
et le Président de la République lui-même a déclaré que la lutte contre le
cancer doit être une priorité nationale. Doit-on aujourd'hui envisager la
disparition d'un outil garantissant une qualité de soins qui n'est contestée ni
par l'assurance maladie ni, à ma connaissance, par le ministère ?
Quelles mesures peut-on plutôt envisager de prendre afin, dans un premier
temps, d'assurer le maintien du réseau ONCORESE 19, puis, dans un second temps,
de permettre une éventuelle extension aux départements limitrophes, ainsi que
son ouverture aux autres régimes ?
Je ne peux croire, madame la secrétaire d'Etat, que l'on puisse se résoudre à
la disparition d'un outil de cette qualité !
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Thérèse Boisseau,
secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d'abord de bien vouloir excuser
l'absence de M. Jean-François Mattei, qui est retenu par d'autres
obligations.
Monsieur Mouly, je vous remercie de votre question, qui permet de mettre en
lumière un exemple innovant de changement dans les pratiques professionnelles
des équipes soignantes hospitalières et libérales.
Le réseau ONCORESE 19 offre, en effet, une solution de rechange de très grande
qualité à l'hospitalisation, en favorisant les soins de proximité et en
assurant une prise en charge pluridisciplinaire du patient. Les malades peuvent
bénéficier des meilleurs traitements possibles tout en restant à leur
domicile.
Le cas d'ONCORESE 19 illustre parfaitement les avantages offerts par les
réseaux de santé. Ceux-ci échappent, en effet, au mode de fonctionnement
vertical qui peut caractériser notre système de santé et facilitent une prise
en charge coordonnée des patients. Cette coordination est d'autant plus
essentielle lorsqu'il s'agit de cancers, car le traitement de la maladie
nécessite une approche pluridisciplinaire dès les premiers stades.
Pour l'heure, mon souci reste de fédérer les moyens de la lutte contre le
cancer, élevée au rang de priorité nationale par le Président de la République,
et de développer l'approche de complémentarité rendue possible par les
réseaux.
La poursuite de la réorganisation de l'offre de soins correspond, en outre, à
une volonté forte du Gouvernement de confier certaines compétences aux
partenaires de terrain que sont, en matière de santé, les agences régionales de
l'hospitalisation, les ARH, et les unions régionales des caisses d'assurance
maladie, les URCAM.
Dès ma prise de fonctions, je me suis exprimée clairement sur mon intention de
poursuivre et d'accentuer le développement des réseaux de santé.
Faisant partie des quelques réseaux expérimentaux autorisés il y a trois ans,
ONCORESE 19 verra cependant les autorisations dont il bénéficie arriver à
échéance très prochainement. Je peux, monsieur le sénateur, d'ores et déjà vous
rassurer : le relais des financements expérimentaux de ces réseaux est prévu.
Il s'agit d'une enveloppe spécifique de l'ONDAM, intitulée « dotation nationale
de développement des réseaux ». Cette dotation, d'un montant de 20 millions
d'euros, a été déléguée dans chaque région où les ARH et les URCAM pourront
choisir, de façon conjointe, les réseaux dont ils souhaitent poursuivre le
financement. L'utilisation de cette enveloppe est tributaire de deux décrets
dont la publication devrait intervenir avant la fin du mois de novembre.
Pour tous les réseaux expérimentaux qui seraient amenés à poursuivre leur
activité, cette nouvelle modalité de financement marque une étape importante.
Elle leur permettra, en effet, de sortir du cadre expérimental et d'acquérir
une certaine stabilité de nature à en améliorer l'efficacité. Pour tous les
réseaux expérimentaux qui seraient amenés à poursuivre leur activité, cette
nouvelle modalité de financement marque une étape importante. Elle leur
permettra, en effet, de sortir du cadre expérimental et d'acquérir une certaine
stabilité de nature à en améliorer l'efficacité.
Je vous informe enfin, monsieur le sénateur, que j'ai décidé d'amplifier de
façon très significative l'effort financier dévolu au développement des réseaux
en 2003. J'entends ainsi donner aux URCAM et aux ARH les moyens d'accompagner
ces modes innovants d'organisation.
Le devenir d'ONCORESE 19 n'est donc absolument pas menacé.
M. le président.
La parole est à M. Georges Mouly.
M. Georges Mouly.
Il est de tradition de remercier les ministres pour leurs interventions,
quelle que soit la teneur de ces dernières, dirais-je.
En tout cas, en ce qui me concerne, madame la secrétaire d'Etat, au nom des
malades, de leur famille, des responsables corréziens politiques,
professionnels et socioprofessionnels, je vous dis un grand merci pour votre
réponse !
ATTRIBUTION DU TITRE DE RECONNAISSANCE
DE LA NATION AUX RÉFRACTAIRES AU STO
M. le président.
La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 25, adressée à
M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
M. René-Pierre Signé.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai voulu attirer votre attention sur les
réfractaires au service du travail obligatoire, le STO, et sur leur souhait de
se voir attribuer le Titre de reconnaissance de la nation. Le TRN a été créé
pour les militaires de tous grades et de toutes armes ayant pris part aux
opérations d'Afrique du Nord à une époque où ces opérations n'ouvraient pas
droit à la carte du combattant. Le TRN a ensuite été attribué aux combattants
des conflits antérieurs ou postérieurs.
Dans le respect intégral de la loi du 22 août 1950 caractérisant un acte de
réfractaire comme un acte de résistance ayant fait courir des risques graves à
ceux qui l'accomplirent, ne pourrait-on permettre aux réfractaires ne possédant
pas la carte du combattant de bénéficier du Titre de reconnaissance de la
nation ?
Il s'agirait d'un témoignage renouvelé de reconnaissance morale à leur égard.
Les réfractaires ont pris des risques pendant la Seconde Guerre mondiale, au
péril de leur vie. Ils ont aussi refusé de prêter la main à toute production de
guerre allemande. Ils semblent avoir ainsi mérité notre reconnaissance et,
au-delà, celle de la nation.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hamlaoui Mékachéra,
secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
Monsieur le sénateur, nos
compatriotes qui ont refusé de répondre au service du travail obligatoire
pendant l'Occupation souhaitent se voir attribuer le Titre de reconnaissance de
la nation.
Je salue naturellement le courage exemplaire dont ils ont fait preuve dans des
circonstances particulièrement périlleuses, comme chacun de nous le sait. Mais
la question ancienne de l'attribution du Titre de reconnaissance de la nation
n'a pas été réglée jusqu'à présent, pour la raison suivante.
Le Titre de reconnaissance de la nation a été créé - vous venez de le
rappeler, monsieur le sénateur - par une loi de 1967 pour les militaires ayant
pris part, pendant quatre-vingt-dix jours, à ce que l'on appelait alors « les
événements d'Algérie », à une époque où les opérations n'ouvraient pas droit à
la carte du combattant.
Comme vous l'indiquez également, monsieur le sénateur, une loi de 1993 a
étendu l'attribution de ce titre de reconnaissance aux participants des autres
conflits.
De ces textes, il ressort clairement que c'est la participation à un conflit
armé comportant un risque d'ordre militaire qui constitue le principe fondateur
de ce titre.
(MM. René-Pierre Signé et Raymond Courrière
s'exclament.)
La situation des réfractaires au Service du travail obligatoire, bien que
ceux-ci aient été contraints de vivre dans la clandestinité dans des conditions
qui, bien évidemment, nous sensibilisent au plus profond de nous-mêmes, ne
relève pas de ce principe.
Bien entendu, les personnes qui ont été réfractaires et qui ont rejoint la
Résistance - il y en eut beaucoup - et qui ont servi à ce titre pendant au
moins trois mois, sont admises au bénéfice du titre si elles présentent les
justifications nécessaires.
Je tiens à dire avec force que les éléments que je viens d'exposer n'enlèvent
rien au respect que nous devons à ces personnes pour le courage qu'elles ont
manifesté.
Néanmoins, pour l'instant, je le répète, l'attribution du Titre de
reconnaissance est réservé aux catégories qui ont été prévues, quels que soient
les termes de la loi du 22 août 1950.
M. le président.
La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé.
Comme l'a dit mon collègue M. Mouly, il est de tradition de remercier le
Gouvernement de sa réponse. Je me plierai à cet usage bien que, en
l'occurrence, cette réponse ne puisse tout à fait me satisfaire.
En effet, dois-je rappeler que ces réfractaires, s'ils étaient arrêtés,
étaient traduits devant les tribunaux militaires et qu'ils encouraient de très
lourdes peines ? Dois-je rappeler qu'ils fournissaient un contingent d'otages à
l'armée d'occupation et que, s'ils n'étaient pas exécutés, ils risquaient fort
d'être déportés en Allemagne ?
L'attribution de ce titre permettrait de faire connaître aux jeunes le combat
obscur qu'ont mené les réfractaires, les risques et les souffrances qui furent
les leurs.
Même si, comme vous le dites, ils n'ont pas participé directement à un combat
armé, il n'empêche que leur combat fut assez déterminant dans la mesure où ils
refusèrent de contribuer à la production allemande. C'est pour cela que je me
suis permis d'intervenir en leur faveur.
AVENIR DU DÉTACHEMENT DE FOURCHAMBAULT
M. le président.
La parole est à M. Didier Boulaud, auteur de la question n° 34, adressée à Mme
la ministre de la défense.
M. Didier Boulaud.
J'ai souhaité attirer l'attention de Mme la ministre de la défense sur
l'avenir de la 13e base de soutien du matériel de l'armée de terre, région
Terre Nord-Est, BSMAT, dont je rappelle qu'elle est répartie sur trois sites :
Clermont-Ferrand, Moulins et Fourchambault. C'est plus particulièrement de
l'avenir de ce dernier site que je désire parler. Le détachement de
Fourchambault comprend 7 militaires et 193 personnes civils. La moyenne d'âge
des personnels civils ouvriers, les PCO, est de 48 ans. D'ici à 2010, un grand
nombre d'entre eux partiront à la retraite.
Ils le feront, soit à 55 ans, en bénéficiant des avantages donnés pour
l'accomplissement de travaux insalubres - l'effectif des PCO sera de 88 en 2010
-, soit à 60 ans - et l'effectif des PCO sera alors de 120 en 2010. La tendance
actuelle montre que l'effectif serait en fait voisin de 90 en 2010.
Cette diminution du nombre de PCO pose de sérieux problèmes pour la
réalisation des activités de maintenance prescrites et pour la conservation,
puis la transmission des compétences spécifiques détenues par le site.
Le détachement de Fourchambault est chargé, notamment, de rénover des
véhicules de l'avant blindés, les VAB, pour le programme SIR, système
d'information régimentaire - ils seront 200 jusqu'en 2008 -, et de réparer des
VAB dans le cadre de chutes techniques. Le détachement participe à la
rénovation de l'AMX 10 RC en partenariat avec le détachement de Gien de la 12e
BSMAT. Enfin, le détachement répare les matériels du génie.
Une activité d'approvisionnement et de stockage est entretenue :
approvisionnement et constitution de lots d'outillage commun pour l'armée de
terre et stockage de lots et d'engins.
De plus, le détachement dispose d'un bureau d'études, section technique de
marques, pour le suivi et l'évolution des matériels pour les matériels du
génie, le VAB et les outillages communs.
En fonction des missions présentées ci-dessus, le détachement de Fourchambault
possède des pôles de compétences uniques pour l'armée de terre.
Il dispose d'un pôle de traitement de surface comprenant deux cabines de
décapage, dont une par procédé médiaplastique - d'un coût de 2 millions de
francs et réalisée en 2000 - et d'une cabine de peinture de grandes dimensions
- 25 mètres de long, 15 mètres de large et 15 mètres de hauteur.
S'agissant de la mécano-soudure, il a un savoir-faire spécifique pour le
traitement des caisses des engins en acier et en aluminium. En matière
d'hydraulique, il a la capacité de réparer et de tester toutes les boîtes de
vitesse de toutes générations. Un banc d'un coût de 150 000 euros a été
installé à cet effet en 2002. Enfin, pour ce qui concerne le stockage, 18
enceintes doubles à hygrométrie contrôlée ont été installées en 2002.
En outre, les ateliers de maintenance sont vastes : la hauteur sous crochet
est de 15 mètres. Les personnels disposent pour travailler d'un environnement
spacieux d'environ 30 mètres carrés par ouvrier. Ces installations pourraient
accueillir un nombre plus important de personnels civils ouvriers.
Or, un accord relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail a
été signé le 11 juillet 2001 en accord avec M. le ministre de la défense. Aux
termes de cet accord, l'état-major de l'armée de terre devait bénéficier de 630
embauches d'ouvriers d'Etat. Selon la répartition effectuée par la direction
centrale du matériel de l'armée de terre, dix-sept ouvriers devaient être
affectés à la 13e BSMAT, alors que le détachement de Fourchambault, qui
appartient à cette section, ne se trouve, quant à lui, doté que de deux postes
tandis que ses missions ne cessent de croître.
Ainsi, les besoins réels en dotations de personnels existants au sein du
détachement de Fourchambault n'ont pas été pris en considération. C'est
pourquoi je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, dans quels délais le
Gouvernement envisage-t-il de procéder à une nouvelle affectation ou à une
réaffectation de postes d'ouvriers d'Etat prévus par l'accord relatif à
l'aménagement et à la réduction du temps de travail.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hamlaoui Mékachéra,
secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
Monsieur le sénateur, tout
d'abord, je vous prie de bien vouloir excuser Mme le ministre de la défense,
qui, en déplacement ce matin, ne peut répondre personnellement à votre
question. Elle m'a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
L'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail qui a été signé
par le prédécesseur de Mme Alliot-Marie, le 11 juillet 2001, s'est fait sans
création de postes budgétaires, à l'exception notable de 171 postes de
fonctionnaires destinés aux hôpitaux de l'armée. La professionnalisation de
l'armée a, comme vous le savez, touché toutes les composantes de son service de
santé.
Il est toutefois exact que le ministère de la défense a obtenu 900
autorisations d'embauche sur ses propres emplois budgétaires, qui avaient été
préalablement « gelés » par la direction du budget.
Ces 900 embauches d'ouvriers étaient la contrepartie des efforts considérables
de réorganisation des armées, afin qu'elles ne soient pas pénalisées dans la
réalisation de leur professionnalisation.
Ces recrutements ont donc permis de renforcer les organismes dans la mesure du
nécessaire, sans, toutefois, que soient perdus de vue l'objectif de
rationalisation des cycles de travail ni la recherche de productivité,
notamment dans les fonctions de soutien.
C'est ainsi que 620 autorisations d'embauche d'ouvriers d'Etat ont été
accordées à l'armée de terre. Celle-ci a bien évidemment procédé à une
répartition de ses embauches en fonction des besoins réels de ses organisations
de soutien : elle a autorisé 18 embauches au profit de la 13e base de soutien
du matériel, dont 2 pour le détachement de Fourchambault, comme vous venez de
le dire.
Les efforts de rationalisation mis en oeuvre permettront d'absorber les
diminutions de capacité théorique de cet établissement - en tout cas, nous
ferons tout pour qu'il en aille ainsi - mais, pour l'instant, il n'est pas
envisagé d'y autoriser d'autres embauches d'ouvriers.
M. le président.
La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie, même si votre réponse n'est
sans doute pas celle qu'espéraient les personnels de la BSMAT, en particulier
ceux du détachement de Fourchambault, dont les effectifs sont voués à décroître
inexorablement si les personnels qui partent à la retraite ne sont pas
remplacés.
Le site de Fourchambault est composé de personnels ayant des métiers et des
compétences indispensables au maintien en condition des matériels de l'armée de
terre. Pour que le détachement puisse garder ses compétences et mener à bien
les missions qui sont les siennes aujourd'hui, il est indispensable d'envisager
un plan d'embauche de personnels civils ouvriers.
Pérenniser le détachement de Fourchambault de la 13e BSMAT est un souhait que
formulent tant le commandement que les personnels civils pour conserver les
compétences et mener à bien les missions présentes et futures de la maintenance
de l'armée de terre.
Si rien n'était fait, c'est l'existence même du site qui se trouverait
menacée. Dans un tel cas, il serait absolument nécessaire que les élus locaux
et les personnels civils en soient informés.
RETRAIT DES INSECTICIDES GAUCHO ET RÉGENT
M. le président.
La parole est à M. Jacques Oudin, auteur de la question n° 42, adressée à M.
le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires
rurales.
M. Jacques Oudin.
Le problème que je souhaite évoquer est ancien mais il s'aggrave d'année en
année. Il s'agit de la mortalité des abeilles due à l'utilisation de certains
insecticides.
Déjà, le 19 février dernier, j'adressais à M. Jean Glavany, une question qui y
était consacrée. Au nom de la rigueur scientifique, il avait alors retardé
toute décision politique, en attente des conclusions d'une étude
multifactorielle qui aurait dû être lancée depuis déjà plus d'un an et qui
piétine.
J'ai également abordé ce sujet avec Hervé Gaymard au cours d'un entretien que
nous avons eu en juillet dernier et à travers différents courriers. Il m'a
laissé entendre que l'incrimination des produits Gaucho et Régent dans cette
affaire n'était pas encore complètement prouvée.
Je comprends qu'il convient de fonder les décisions gouvernementales sur des
données sûres et vérifiées. Cependant, les abeilles sont systématiquement
décimées chaque été au moment de la floraison. Cette destruction ne peut en
rien être assimilée aux conséquences isolées de mauvaises pratiques agricoles,
explication qui a parfois été avancée.
Aujourd'hui, il ne subsiste plus aucun doute quant à la culpabilité des
matières actives incriminées. En effet, les derniers résultats scientifiques
présentés en juin 2002 par le CNRS et l'INRA confirment la présence de matière
active du Gaucho dans les fleurs de maïs ainsi que la présence, dans le nectar
de tournesol, d'une dose moyenne d'imidaclopride vingt fois supérieure à la
dose minimale susceptible de faire mourir les abeilles.
Au regard de ces résultats, le Conseil d'Etat, dans sa décision du 9 octobre
dernier, a demandé au ministre de l'agriculture le réexamen de l'autorisation
de mise sur le marché du Gaucho dans un délai de trois mois.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de l'écologie et du développement durable,
s'est elle-même montrée favorable à l'interdiction de l'emploi du Gaucho et du
Régent sur toutes les cultures. Les associations de consommateurs, elles aussi,
s'inquiètent de l'utilisation de matières actives dans la mesure où leurs
effets sur la santé humaine n'ont même pas été vérifiés.
Le monde agricole peut produire sans ces matières actives. Les programmes
excluant tout usage de semences traitées au Gaucho ou au Régent, proposés à
l'échelle de leurs deux départements par l'ensemble des syndicats agricoles de
Vendée et des Deux-Sèvres, en témoignent.
Les enrobages des semences avec les produits Gaucho et Régent vont reprendre
dès la fin du mois. Si l'on veut éviter une sixième année noire pour les
apiculteurs, il faut réagir rapidement.
De surcroît, en l'absence de soutien économique d'urgence de la part du
Gouvernement, les pertes massives d'abeilles, répétées chaque été depuis cinq
ans, ont amené de nombreux apiculteurs à cesser leur activité au cours des
dernières années, ce qui est catastrophique pour le tissu économique rural et
l'aménagement du territoire.
Le simple principe de précaution, rappelé à maintes reprises par le Président
de la République, a déjà été appliqué dans ce dossier en 1999. Mais faudra-t-il
attendre une catastrophe encore plus grave pour prendre enfin les mesures qui
s'imposent ?
Compte tenu des résultats particulièrement probants qui ont déjà été obtenus,
l'attente des conclusions d'une nouvelle enquête multifactorielle n'a plus
d'utilité.
C'est pourquoi je souhaite savoir si M. le ministre de l'agriculture entend
prendre trois décisions immédiates, essentielles à la survie de nos apiculteurs
: premièrement, le retrait immédiat du Gaucho, comme l'a préconisé le Conseil
d'Etat, compte tenu des résultats présentés par des laboratoires scientifiques
publics et, j'insiste sur ce point, indépendants ; deuxièmement, la suspension
du Régent, au nom du principe de précaution, et ce pour une durée de trois ans
minimum, afin d'effectuer les contrôles qui s'imposent, étant entendu qu'il
serait possible, ensuite, soit de l'interdire définitivement si les récoltes
retrouvaient un meilleur niveau, soit de remettre le Régent sur le marché si
les problèmes perduraient ; troisièmement, la mise en place d'aides économiques
d'urgence aux apiculteurs, accompagnées d'un plan de relance de l'apiculture,
et le maintien des mesures collectives agri-environnementales contenues dans
les contrats techniques d'exploitation apicole, qui viendraient en complément
des aides à la reconstitution du cheptel déjà prévues.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hamlaoui Mékachéra,
secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
Monsieur le sénateur, retenu
ce matin au Parlement européen, M. Gaymard, ministre de l'agriculture, m'a
demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
La situation de la filière apicole préoccupe le Gouvernement. En effet,
celle-ci est confrontée à un manque de structuration, à des importations
accrues, à une baisse sensible de ses performances techniques ainsi qu'à
l'arrivée du varroa, cet acarien parasite des abeilles, et de nouveaux virus.
S'y ajoute une interrogation sur l'incidence des traitements insecticides sur
la santé des abeilles.
Depuis 1997, les apiculteurs font état de baisses imporantes des miellées de
tournesol et de troubles du comportement des abeilles, phénomènes qu'ils
imputent au Gaucho.
Ce produit, homologué depuis 1990 dans une centaine de pays, n'avait fait,
jusqu'alors, l'objet d'aucune critique.
En janvier 1999, en application du principe de précaution, le ministre de
l'agriculture a décidé le retrait provisoire de l'autorisation de mise sur le
marché du Gaucho pour le traitement des semences de tournesol, le produit
restant autorisé pour le traitement des semences de maïs et de betteraves.
Toutefois, en octobre 2000, le même ministre a refusé le retrait du Gaucho
pour les usages liés au traitement des semences de tournesol, de maïs et de
betterave.
Le 9 octobre dernier, le Conseil d'Etat a annulé ce refus pour le traitement
du maïs, ne le mettant pas en cause s'agissant de la betterave.
Comme l'y invite le Conseil d'Etat, M. Gaymard va donc statuer à nouveau dans
un délai de trois mois sur le retrait de l'autorisation de mise sur le marché
du Gaucho pour le traitement des semences de maïs.
Il va saisir à cet effet, dans les plus brefs délais, la commission d'étude de
la toxicité et le comité d'homologation, afin que ceux-ci réexaminent la
question au vu de l'ensemble des données scientifiques disponibles, de manière
à obtenir une certitude quasi absolue.
C'est ensuite que sera prise la décision de maintenir ou non l'autorisation de
mise sur le marché du Gaucho pour le traitement des semences de maïs.
Parallèlement, le ministre de l'agriculture entend que soit menée à terme
l'étude épidémiologique multi-factorielle visant à faire la lumière sur
l'ensemble des causes potentielles de mortalité rapportée dans les ruches,
notamment les incidences possibles du Gaucho et du Régent.
Le comité scientifique et technique lui remettra dans les toutes prochaines
semaines un rapport d'étape qui sera naturellement rendu public.
De plus, les services du ministère de l'agriculture se sont engagés dans un
important travail de clarification sur la question de l'utilisation des
mélanges de pesticides.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que m'a chargé de
vous apporter le ministre de l'agriculture, qui juge indispensable de conforter
la structuration de la filière, notamment en associant plus étroitement les
apiculteurs au réseau de surveillance mis en place cette année, et de mieux
intégrer l'apiculture dans l'agriculture française.
M. le président.
La parole est à M. Jacques Oudin.
M. Jacques Oudin.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous
m'avez apportées.
Le fait de poursuivre les discussions avec les apiculteurs est une bonne
chose. Cela dit, je n'ignore rien des intérêts économiques qui sont en jeu dans
cette affaire.
Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas que se reproduisent, fût-ce à une
moindre échelle, les problèmes que nous avons connus avec les farines animales.
On savait que l'utilisation de ces farines était néfaste mais on a quand même
continué à les produire.
Dans le cas des pesticides cités, il n'y a plus de doute. De nombreux
organismes ont été consultés, les scientifiques en ont débattu. Le Conseil
d'Etat, qui n'est tout de même pas une instance frivole, s'est prononcé au vu
des pièces du dossier d'homologation, lequel est accablant, ainsi que j'ai
moi-même pu le constater.
Peut-être de nouvelles consultations sont-elles encore nécessaires, mais il y
a un moment où il faut bien prendre une décision. En l'occurrence, il faut la
prendre de toute urgence.
J'ai demandé au ministre de l'agriculture qu'une décisoin intervienne avant la
fin du mois de novembre. Si cette décision n'est pas prise rapidement et que
des conséquences graves s'ensuivent, on nous reprochera, à nous,
parlementaires, de ne pas avoir été assez vigilants et à vous, Gouvernement, de
ne pas avoir suivi le Parlement sur ce point.
Nous avons, au Sénat, l'avantage de la durée. Eh bien, nous sommes décidés à
suivre ce dossier année après année, mois après mois. Nous pensons qu'il y a là
un vrai problème et qu'il faut le résoudre promptement. Pour ma part, je fais
confiance à Hervé Gaymard et au Gouvernement pour y parvenir.
M. le président.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
maintenant interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures cinq,
sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
4
SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION DU SÉNAT ROUMAIN
M. le président.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune
officielle, d'une délégation du Sénat roumain conduite par son président, M.
Nicolae Vacaroiu, accompagné de notre collègue M. Henri Revol, président du
groupe d'amitié France-Roumanie.
Cette visite s'inscrit tout naturellement dans le cadre des échanges entre
deux pays qui ont la langue française en partage.
Animés par la même volonté de conforter l'apport du bicamérisme au
renforcement des institutions démocratiques, le Sénat roumain et le Sénat
français viennent de signer un accord de coopération.
Je me réjouis que cette visite ait contribué, s'il en était besoin, à
renforcer les liens d'amitié entre nos deux pays et je formule des voeux pour
que, dans un avenir proche, la Roumanie puisse rejoindre dans de bonnes
conditions l'Union européenne.
Je vous souhaite, mesdames, messieurs, une cordiale bienvenue au Sénat
français, où nous sommes heureux de vous accueillir. Nous espérons que vous
garderez de votre passage, à notre regret trop court, le meilleur souvenir.
(M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et
applaudissent.)
5
SALAIRES, TEMPS DE TRAVAIL
ET DÉVELOPPEMENT DE L'EMPLOI
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de
l'emploi (n° 21, 2002-2003). [Rapport n° 26 (2002-2003].)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
Monsieur
le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le
projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de
l'emploi, que j'ai l'honneur de vous soumettre, est inspiré par une idée
dynamique du progrès économique, indissociable du progrès de la justice
sociale. Dans un monde ouvert et compétitif, l'efficacité et la solidarité
doivent être réconciliées et mises au service de la relance de la
croissance.
Depuis près de deux ans, cette croissance s'est tarie, et le chômage n'a cessé
d'augmenter depuis plus d'un an. Certes, la morosité de la conjoncture
internationale y est pour beaucoup, mais il existe aussi dans notre pays des
blocages qui freinent la respiration de notre pacte économique et social et qui
pèsent sur l'emploi puisque, en dépit des 35 heures et du recours massif aux
emplois aidés dans le secteur public, notre pays se situe, en matière de
chômage, au douzième rang en Europe.
Face à cette situation, le Gouvernement a choisi, dans un même élan, d'unir
trois objectifs : l'assouplissement des 35 heures, l'harmonisation rapide et
ambitieuse des SMIC et l'amplification de la baisse des charges destinées à la
maîtrise du coût du travail.
Ce schéma volontariste s'inscrit dans une politique globale mise au service de
la croissance et de l'emploi. Nous voulons dynamiser le marché du travail en
offrant davantage de libertés aux entreprises et aux salariés et en
réhabilitant la valeur du travail.
Nous cherchons par ailleurs à augmenter le taux d'emploi et à favoriser
l'insertion, notamment celle des jeunes avec le nouveau contrat qui leur est
proposé dans le secteur privé.
Nous entendons aussi encourager l'initiative et l'effort en réduisant le poids
de la fiscalité sur les ménages et en augmentant les plus bas salaires à
travers l'aménagement de la prime pour l'emploi et l'unification des SMIC par
le haut, tous ces objectifs contribuant à alimenter le moteur de la
consommation.
Enfin, nous souhaitons moderniser les pouvoirs et les pratiques avec le
renforcement de la démocratie locale et de la démocratie sociale, cette
redistribution des pouvoirs et des libertés se mariant avec la réforme de
l'Etat.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter s'inscrit dans cette
dynamique générale. Il a été élaboré en concertation avec les partenaires
sociaux
(Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen),
conformément à l'engagement du
Président de la République et du Premier ministre de renouer avec la pratique
du dialogue social.
La commission nationale de la négociation collective a été également consultée
le 6 septembre dernier, notamment sur la question de la sortie des
multi-SMIC.
M. Guy Fischer.
Elle a été informée !
M. François Fillon,
ministre.
Il en a été de même pour les conseils d'administration des
caisses nationales de sécurité sociale pour ce qui relève du nouveau dispositif
d'allégement de cotisation.
J'ai jugé ces consultations constructives. Elles m'ont permis de saisir le fil
de l'intérêt général.
Certaines des observations et préoccupations énoncées par les partenaires
sociaux ont été prises en compte. Derrière le mur apparent des critiques
actuelles, nul ne doit se tromper sur le diagnostic établi par la majorité
d'entre eux sur le dossier mal ficelé des 35 heures...
M. Alain Gourmac.
Très mal ficelé !
M. François Fillon,
ministre.
... et sur celui, indéchiffrable et inéquitable, des
multi-SMIC.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Ce projet a pour objet de rebattre les cartes. Il est équilibré, volontariste.
Il respecte les intérêts des entreprises et ceux des salariés. Bref, il est,
selon moi, conforme à l'intérêt national.
M. Gérard Braun.
Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux.
C'est vous qui le dites !
M. François Fillon,
ministre.
Le fil rouge de ce projet de loi, c'est la méthode singulière
qui y préside, c'est sa philosophie, qui, contrairement à celle en vigueur par
le passé, vise à mettre les partenaires sociaux en situation de
responsabilité.
C'était d'ailleurs déjà le cas avec la loi relative aux contrats jeunes en
entreprise, qui, volontairement, ouvre des espaces de négociation et de
création aux partenaires sociaux. Nous rejoignons là l'esprit politique qui
nous anime et qui consiste à fixer le cap par la loi et à élargir le champ de
la négociation dans les branches et dans les entreprises.
En somme, ce fil rouge consiste à mettre les Français et les corps
intermédiaires en situation de mouvement et de proposition. La France
d'aujourd'hui ne peut plus être gouvernée comme celle d'hier, c'est-à-dire par
le haut, de façon uniforme, sans prendre en considération la complexité des
situations économiques et sociales.
Avec ce projet, chacun des partenaires sociaux comprend maintenant qu'il lui
faudra assumer ses responsabilités. Cette approche a un double mérite : elle
préfigure, d'une part, la démocratie sociale vivante et constructive que nous
ambitionnons ; elle respecte, d'autre part, la diversité des besoins exprimés
ou ressentis sur le terrain.
Voilà pour la philosophie et la méthode.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les 35 heures seront donc, si vous en
décidez ainsi, assouplies. Nous mettrons du pragmatisme dans le dogmatisme
d'une loi à l'évidence trop rigide. Cette rigidité a entraîné dans certains
secteurs d'activité, faute d'autres marges de manoeuvre, une flexibilité mal
vécue par les salariés, et - je l'ai déjà indiqué - une stagnation des
salaires.
Sans entamer un débat idéologique sur la réduction du temps de travail,
permettez-moi simplement de constater que ce nouveau dispositif n'a permis de
créer ou de préserver en cinq ans que 300 000 emplois...
M. Alain Gourner.
seulement !
M. Claude Domeizel.
C'est déjà pas mal !
M. François Fillon,
ministre.
... d'ailleurs largement imputables aux allégements de charges
qui les accompagnaient, quand, au même moment, la croissance en créait près de
1,4 million.
Les 35 heures uniformes et imposées se sont donc moins avérées être le levier
structurel du plein emploi que le symbole d'un certain malthusianisme. Cela
étant dit, les 35 heures font désormais partie de notre paysage,...
M. Raymond Courrière.
C'est sûr !
M. François Fillon,
ministre.
... même si elles recueillent un avis mitigé des intéressés. Il
s'agit donc de faire avec ou, plus précisément, de faire mieux avec !
Le point essentiel de la réforme s'articule, vous le savez, autour du régime
des heures supplémentaires dont dépendent en réalité tant le rythme de travail
des salariés que l'organisation du travail au sein des entreprises. Nous sommes
là au coeur du dispositif sur l'aménagement du temps de travail.
Le système actuel se caractérise par sa complexité, puisqu'il faut distinguer
entre le contingent dont le dépassement est subordonné à l'autorisation de
l'inspecteur du travail et le contigent dont le dépassement implique l'octroi
du repos compensateur. L'un peut être négocié par les partenaires sociaux et
l'autre est fixé unalitéralement par l'Etat, par voie de décret. A cela
s'ajoute un régime complexe définissant les conditions de rémunération des
heures supplémentaires.
La réforme que le Gouvernement vous propose se caractérise par trois principes
: la simplicité d'abord ; la souplesse et la volonté de s'adapter à la
situation de chaque branche ou de chaque entreprise, ensuite ; le maintien des
équilibres essentiels par l'Etat, enfin.
La simplicité, c'est le sens de l'uniformisation des contingents. Il existera
désormais un contingent unique déterminant tant l'autorisation administrative
que le déclenchement du repos compensateur.
Ce souci de simplicité ne doit toutefois pas aller jusqu'à méconnaître la
situation spécifique des petites entreprises, qui font l'objet de dispositions
particulières en matière de majoration des heures supplémentaires et de repos
compensateur obligatoire. En ce qui concerne les entreprises de moins de vingt
salariés et à défaut d'accord de branche, le taux actuel de 10 % sera maintenu
jusqu'au 31 décembre 2005 afin de leur laisser davantage de temps pour
s'adapter.
Le choix de la souplesse et de l'empirisme se traduit, quant à lui, par un
renvoi aux partenaires sociaux sur la fixation du niveau du contingent des
heures supplémentaires et des conditions de leur rémunération. Il inspire
également les dispositions relatives au compte épargne temps. Les partenaires
sociaux pourront désormais prévoir que les éléments du compte pourront être
valorisés en argent et non pas obligatoirement en temps.
Une plus grande latitude sera enfin donnée aux partenaires sociaux dans la
définition des différentes catégories de cadres. L'Assemblée nationale a du
reste précisé la définition des cadres dits « intégrés ».
Pour autant, cette orientation globale, favorable à la négociation sur le
terrain, ne se traduit pas, je l'ai dit, par un désengagement de l'Etat.
S'agissant d'une question aussi essentielle pour les salariés que celle de la
rémunération des heures supplémentaires, la loi fixe les modalités de l'accord
qui en déterminera le régime, en exigeant un accord de branche étendu. La loi
fixe par ailleurs un seuil minimal en dessous duquel les partenaires sociaux ne
sauraient valablement aller en prévoyant que le taux de majoration ne peut être
inférieur à 10 %.
Enfin, tant en matière de fixation du niveau du contingent que pour les
conditions de rémunération des heures supplémentaires, l'Etat fixe la règle
supplétive qui s'applique en l'absence d'accord.
A défaut d'accord, un décret fixera donc le niveau du contingent à 180 heures.
Le renvoi à la négociation prévu par la loi n'aurait guère de sens si,
parallèlement, l'Etat fixait de manière définitive le niveau supplétif du
contingent. Ce serait perçu comme une forme déguisée d'intervention de l'Etat
sur les futures discussions affectant le contenu des négociations.
Le décret sera pris rapidement parce que notre économie est à la recherche
d'un horizon précis, mais il sera réexaminé dans dix-huit mois, au vu du
contenu des négociations et des pratiques dans les branches et dans les
entreprises. A cette échéance, le Gouvernement devra prendre définitivement
position sur le niveau optimal du contingent qui doit s'appliquer en l'absence
d'accord. Selon le souhait du Premier ministre, il le fera après consultation
de la Commission nationale de la négociation collective, mais aussi après avis
du Conseil économique et social.
Ces mêmes exigences de souplesse et de clarification inspirent d'autres
dispositions plus techniques concernant les 35 heures et que je veux vous
citer.
Ainsi, les durées horaires annuelles de travail seront calculées, comme le
prévoient déjà de nombreuses conventions, sur la base d'un niveau forfaitaire
annuel de 1 600 heures, et ce indépendamment des variations du nombre de jours
fériés d'une année à l'autre. Le seuil de dix salariés applicable en matière de
repos compensateur sera porté à vingt salariés, ce qui représente une mesure de
simplification pour les entreprises, mais surtout de cohérence par rapport au
seuil qui avait été choisi en 2000.
Un amendement adopté à l'Assemblée nationale a également permis, dans la ligne
de la directive européenne de 1993 et de la jurisprudence de la Cour de justice
des Communautés européennes, de clarifier la situation du salarié lorsque, bien
que d'astreinte, il n'est pas sollicité.
Concernant cette nouvelle disposition, soyons clairs : il ne s'agit pas de
supprimer les avantages négociés, en particulier sous la forme de
rémunérations, en contrepartie de l'astreinte. Celle-ci ne peut donc pas être
assimilée purement et simplement à un repos. Mais il était bien opportun, comme
l'a souhaité l'Assemblée nationale, de conforter la doctrine, qui correspond
d'ailleurs à l'esprit de la loi de 2000, selon laquelle le décompte des temps
de repos hebdomadaires et journaliers n'est pas affecté par le temps
d'astreinte sans intervention.
Enfin, à travers un nouvel article 13 relatif à la sécurisation des accords
collectifs conclus en application des lois de 1998 et de 2000, le législateur
valide les précédents accords au regard des règles posées par la loi et par son
décret d'application qui portera à 180 le contingent des heures
supplémentaires.
Ces accords parfois ambigus avaient été conclus entre 1998 et 2000 pour nombre
d'entre eux, dans un cadre juridique bien incertain, dans l'attente de la
deuxième loi Aubry.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l'esprit de la réforme qui vous est
présentée. Cette adaptation pragmatique des 35 heures...
M. Gilbert Chabroux.
Son abrogation !
M. François Fillon,
ministre.
... constitue non pas un retour en arrière, mais un retour à la
raison ! La durée légale de 35 heures est maintenue, mais elle est organisée
sur un mode qui permet aux acteurs sociaux, s'ils le souhaitent, de l'aménager,
bref de se l'approprier.
(Très bien ! sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Définie par ce projet de loi, la convergence des SMIC sera par ailleurs
engagée.
(Très bien ! sur les mêmes travées.)
Constatée au cours des dernières années, la stagnation des bas salaires s'est
apparentée, aux yeux des Français les plus modestes, à une véritable panne de
l'ascenseur social.
(Tout à fait ! sur les même travées.)
En valeur absolue, les salariés modestes ont perdu entre 1 et 2 points de
pouvoir d'achat depuis trois ans quand les cadres dirigeants voyaient le leur
croître.
Cette stagnation s'est aggravée sous les effets des deux lois relatives à la
réduction du temps de travail qui ont introduit, avec la multiplication des
SMIC, une nouvelle injustice sociale et affaibli le rôle de référent du salaire
minimum. Le SMIC est plus qu'une variable technique, il est un symbole. Avec
six SMIC différents, ce symbole est aujourd'hui éclaté et ne joue plus, dans le
monde du travail, son rôle de référent économique et social.
Le SMIC concerne aujourd'hui plus de deux millions de salariés. Il détermine
le minimum horaire auquel doit correspondre toute rémunération et constitue une
valeur cardinale dans la fixation et dans l'évolution des basses rémunérations.
La mise en place des 35 heures et des multiples garanties mensuelles qui ont
été instituées dans la foulée a brouillé tout cela.
Le principe posé par l'article 32 de loi du 19 janvier 2000 était en apparence
simple : il fallait faire en sorte que, pour les salaires les plus bas, le
passage aux 35 heures ne se traduise pas par une réduction de la rémunération.
De même, le principe de la convergence entre la garantie mensuelle et le SMIC,
posé par ce même article, ne semblait pas soulever de difficultés
particulières.
La réalité, maintes fois et - je crois que l'on peut le dire - unanimement
dénoncée, vous la connaissez : une multiplication des valeurs de référence, une
complexité inextricable tant pour les salariés que pour les employeurs et une
complexité d'autant moins acceptable qu'elle ne permet même pas d'atteindre les
objectifs visés par les auteurs du texte.
En effet, contrairement à ce qui avait été dit, le dispositif ne permettait
pas d'obtenir par lui-même la convergence du SMIC à terme et de la garantie
mensuelle, puisque toute augmentation du SMIC entraînait la création d'une
nouvelle garantie, repoussant d'autant la convergence.
Le dispositif ne permettait pas davantage d'assurer la justice sociale
puisqu'il entraînait, au contraire, des disparités entre les salariés, selon
que leur entreprise était ou non passée aux 35 heures ou selon la date du
passage à un horaire collectif de 35 heures.
Chacun se perdait dans cet imbroglio et il devenait de plus en plus difficile
de fixer, dans les accords salariaux de branche, une valeur de référence et de
comparaison dans la détermination des minima de branche.
Inéquitable et illisible pour le salarié, complexe et coûteux pour les
entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles, il fallait
impérativement sortir de ce piège. C'est sur la base de ce constat que le
Premier ministre, dès l'installation du Gouvernement, a saisi le Conseil
économique et social.
A partir de ses travaux et des différents scénarios qu'il avait envisagés, le
Gouvernement a tranché. Il vous propose aujourd'hui de sortir rapidement et par
le haut de la situation confuse et injuste des multi-SMIC.
Si vous en décidez ainsi, l'unité du SMIC sera restaurée par un mécanisme de
convergence qui devra aboutir au 1er juillet 2005. Il aura pour effet une
augmentation du SMIC horaire de 11,4 % en termes réels au cours des trois
prochaines années.
M. Raymond Courrière.
On verra !
M. François Fillon,
ministre.
Globalement, les deux tiers des salariés rémunérés par
référence à l'un des SMIC verront leur pouvoir d'achat progresser de façon
significative, en tout cas plus rapidement que si l'on en était resté aux
dispositions actuelles.
La restauration de l'unité du SMIC passe par un mécanisme volontaire de
convergence, dont je vais énoncer les termes.
Le cycle de création, chaque année, de nouvelles garanties mensuelles sera
stoppé. La dernière garantie sera donc la cinquième, celle qui a été fixée en
juillet 2002.
A partir de là, un double mouvement de convergence sera opéré, le point final
de convergence étant fixé au 1er juillet 2005.
Pendant les trois années qui nous séparent de cette date, le premier mouvement
de convergence concernera les garanties mensuelles qui, tout en augmentant
chaque année en fonction de l'évolution de l'indice des prix, feront l'objet
d'une revalorisation, par « coups de pouce » successifs, afin de permettre leur
alignement à la date fixée sur la garantie mensuelle la plus haute,
c'est-à-dire celle de juillet 2002.
Cette dernière garantie verra préserver son pouvoir d'achat dans la mesure où,
comme les autres garanties, elle évoluera chaque année, pendant cette période
de trois ans, en fonction de l'indice des prix.
Le second mouvement de convergence concernera le rapport entre les garanties
mensuelles et le SMIC, puisque ce dernier, par rattrapages successifs incluant
tant l'évolution des prix que les « coups de pouce » nécessaires, rejoindra par
paliers successifs le différentiel de 11,4 % qui le sépare, en valeur réelle,
de la dernière garantie mensuelle.
Vous l'aurez noté, cette dernière convergence implique que les règles de
calcul du SMIC soient modifiées, mais cette dérogation ne sera que temporaire
et exclusivement justifiée par les besoins de l'opération. Il y sera évidemment
mis fin pour revenir aux règles habituelles.
Voilà pour la procédure.
L'efficacité économique comme la justice sociale militent pour ce choix rapide
et ambitieux, qui participera au dynamisme de notre économie et à la
revalorisation du travail par rapport aux revenus de la solidarité.
Cet effort n'est pas neutre du point de vue macroéconomique. C'est la raison
pour laquelle le Gouvernement a souhaité qu'il soit réparti.
L'Etat, par la voie des allégements de charges, en supportera la plus grande
part. Le nouveau schéma d'allégement de charges, qui montera en puissance au
même rythme que convergeront les SMIC, garantit non seulement une large
compensation au niveau du SMIC, mais plus encore un allégement net du coût du
travail pour les salaires au-dessus du SMIC jusqu'au niveau moyen de salaire
des Français.
Nous envisageons de simplifier les mécanismes actuels d'allégements, en
unifiant la ristourne sur les bas salaires créée en 1995 et les diverses
dispositions mises en oeuvre par la loi du 19 juin 2000.
Ce nouveau dispositif d'allégement se mettra en place à partir du 1er juillet
2003. Il s'appliquera à toutes les entreprises, indépendamment de leur durée
collective.
Les allégements de charges augmenteront de 6 milliards d'euros d'ici à 2006 et
seront, je le souligne - je suis sûr que le Sénat y sera attentif - compensés
aux régimes de sécurité sociale. Ils seront fortement concentrés sur les
salaires modestes et moyens. Ils se traduiront par une diminution nette du coût
du travail - j'insiste sur ce point - allant jusqu'à plus de 5 % pour les
salaires moyens, dans neuf entreprises sur dix, parmi lesquelles la plupart
sont des PME. Pour les grandes entreprises caractérisées par de hauts salaires,
l'effort ne me paraît pas démesuré, puisqu'il est au plus de 1,5 % du coût du
travail sur la période de trois ans dans des secteurs où celui-ci n'apparaît
pas comme la composante essentielle de la valeur ajoutée.
En résumé, cette amplification des allégements de charges profitera à
l'emploi, comme toutes les enquêtes sur le sujet le démontrent ; accompagnera
les entreprises à passer le cap de la sortie multi-SMIC ; aidera celles d'entre
elles qui ne sont pas passées aux 35 heures, pour l'essentiel des PME ; enfin,
profitera fortement aux entreprises dont les salaires sont concentrés entre 1,2
et 1,7 SMIC.
Cette politique favorable aux bas salaires, jointe aux allégements de charges,
permet au Gouvernement de servir tout à la fois la feuille de paie et l'emploi.
Elle participe d'une politique économique de soutien à la demande intérieure.
Celle-ci est nécessaire dans cette période où la conjoncture hésite.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les
sénateurs, j'ai le sentiment qu'avec ce projet volontariste et équilibré nous
tenons le cap. Nous sommes fidèles à nos engagements, et seulement à nos
engagements. Nous agissons de façon rapide et concertée. Le curseur entre
l'efficacité économique et la justice sociale est correctement placé. Nous
élargissons au surplus les espaces de négociation entre les partenaires
sociaux.
Cette approche marque notre volonté de faire évoluer notre pays sur les bases
d'un progrès économique et social plus dynamique et mieux partagé.
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. René-Pierre Signé.
On verra la suite !
M. Alain Gournac.
Vous, on vous a vus avant !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des débats précédant l'adoption
des lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000, la commission des affaires
sociales du Sénat avait exprimé une triple inquiétude au regard de la politique
de réduction du temps de travail voulue par le précédent gouvernement.
Ainsi, dès 1998, nous avions exprimé la crainte que les incidences du passage
aux 35 heures sur les rémunérations mensuelles minima n'aient pas été
suffisamment prises en compte, provoquant
de facto
un éclatement du
SMIC et une augmentation du coût du travail lourde de conséquences.
Nous avions également regretté que la logique retenue soit celle d'une
réduction autoritaire du temps de travail, risquant alors de réduire la place
du dialogue social à la portion congrue et de complexifier à l'extrême un droit
du travail déjà singulièrement illisible.
Nous avions enfin observé que le dispositif d'aide financière et d'allégement
de charges lié à ces deux lois était un modèle de complexité dont l'efficacité
n'était pas garantie et dont les conditions de financement pérennes n'étaient,
à l'évidence, pas maîtrisées.
La réalité n'a, hélas ! pas démenti ces trois inquiétudes.
En effet, que constate-t-on aujourd'hui ?
L'éclatement des salaires minima, lié à l'apparition annuelle de « garanties
mensuelles de rémunération », a introduit d'intolérables inégalités entre
salariés, touchant de surcroît principalement les plus modestes d'entre eux. Le
principe, pourtant fondamental, « A travail égal, salaire égal » n'est plus
respecté.
Le caractère autoritaire des 35 heures s'est ensuite heurté aux réalités et
aux contraintes des entreprises, pour ne pas parler du secteur public. De fait,
au 31 mars 2002, seules 13 % des entreprises sont effectivement passées aux 35
heures. Encore faudrait-il observer que la réduction du temps de travail
introduit de nouvelles inégalités entre salariés et entreprises. Ainsi, à cette
date du 31 mars, 45 % des entreprises de plus de vingt salariés sont aux 35
heures, contre 10 % pour celles de vingt salariés et moins. Et les évolutions
restent très fortes et très hétérogènes selon les secteurs et les régions.
Enfin, le détournement systématique des recettes des régimes sociaux pour
alimenter le déficit chronique du fonds de financement de la réforme des
cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, nous a, malheureusement,
une nouvelle fois, donné raison sur ce point.
M. Henri Weber.
La « ristourne Juppé » !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'est à ce triple échec, c'est aux trois inquiétudes qu'avait
exprimées votre commission que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui
tend à apporter une réponse. Cette réponse est nécessairement pragmatique,
puisque, conformément aux engagements du Président de la République, la durée
légale du temps de travail reste fixée à 35 heures.
Pour ce faire, le projet de loi ouvre trois chantiers, en apparence
parallèles, mais dont la conjonction constitue une réponse globale aux défauts
originels des lois précédentes.
Tout d'abord, il prévoit un schéma de convergence des différents salaires
minima à l'horizon 2005.
Ensuite, il introduit certains assouplissements aux 35 heures en renvoyant
très largement à la négociation de branche.
Enfin, il réforme nos dispositifs d'allégements de charges pour mettre en
place un nouveau système unifié et simplifié visant à favoriser l'emploi en
réduisant le coût du travail, notamment pour les salariés les moins
qualifiés.
Le projet de loi va d'abord engager le processus de convergence de ce qu'il
est désormais convenu d'appeler les multi-SMIC.
Le principe posé par l'article 32 de la loi du 19 janvier 2000 semblait
simple, en apparence, mais il s'est révélé être une véritable bombe à
retardement.
Afin d'éviter que la réduction du temps de travail ne se traduise, pour les
salariés au SMIC, par une baisse de leur rémunération mensuelle, cet article 32
avait posé le principe d'une garantie mensuelle de rémunération, la GMR, lors
du passage aux 35 heures. Puis, en instituant des modalités différentes de
revalorisation annuelle de ces GMR et du SMIC, il postulait leur convergence à
terme.
Ce cercle vertueux ne s'est pas produit et ne pouvait d'ailleurs pas se
réaliser car, du fait de la création d'une nouvelle garantie mensuelle chaque
année, l'écart entre la dernière GMR et le SMIC mensuel base 35 heures restait
constant à 11,4 %.
L'article 1er du présent projet de loi apporte donc une réponse à cette
convergence introuvable.
Se fondant sur l'analyse des différents scénarios d'harmonisation des salaires
minima réalisée en juillet dernier par le Conseil économique et social à la
demande du Premier ministre, il retient le scénario d'une harmonisation par le
haut en trois ans. C'est ce scénario qui était d'ailleurs privilégié par le
Conseil économique et social, comme son rapporteur nous l'a confirmé lors de
son audition par la commission.
Cette convergence se fera en trois étapes.
Cela impose d'abord la fin de la création de nouvelles GMR après le 1er
juillet 2002.
Il est prévu de revaloriser la dernière garantie, qui constitue le point de
convergence, en fonction de la seule évolution des prix ; son pouvoir d'achat
est donc maintenu.
Est posé, enfin, le principe d'une revalorisation différenciée et constante
des autres garanties et du SMIC sur la période 2003-2005, afin qu'ils
atteignent le point de convergence au 1er juillet 2005.
Cela correspond à une augmentation annuelle moyenne du SMIC, en termes réels,
de 3,7 %.
La commission des affaires sociales souscrit pleinement à ce scénario de
convergence qui lui paraît être le seul valablement praticable pour en finir
avec l'éclatement des référents salariaux. Elle n'a donc pas souhaité
l'amender.
Pour les salariés, ce scénario permettra de mettre fin, en trois ans, aux
flagrantes inégalités salariales existantes, tout en garantissant au minimum le
maintien du pouvoir d'achat. La majorité d'entre eux bénéficiera d'ailleurs
d'une hausse substantielle de leur pouvoir d'achat, sans doute largement
supérieure à l'augmentation qui aurait résulté de l'application mécanique des
règles actuelles de revalorisation du SMIC.
Pour les entreprises, ce scénario est loin de ne présenter que des
inconvénients. Certes, on peut craindre, à juste titre d'ailleurs, les
conséquences de la hausse du coût salarial. Mais le nouveau dispositif
d'allégement de charges permettra de compenser en très grande partie le coût
salarial supplémentaire. Le dispositif retenu permet en outre de lisser sur
trois ans l'inévitable hausse de 11,4 % du SMIC et offre en cela une lisibilité
inédite sur l'évolution à venir des salaires. En effet, les entreprises
connaissent, dès maintenant, les hausses de salaires qu'elles devront pratiquer
pendant les trois prochaines années.
Je souhaite d'ailleurs que cette lisibilité nouvelle soit l'occasion, pour les
partenaires sociaux, de relancer leurs négociations sur les minima
conventionnels. Aujourd'hui, les trois quarts des branches ne sont pas
conformes au SMIC. Cette situation, comme l'a d'ailleurs rappelé récemment M.
le Président de la République, n'est pas saine : elle conduit à un écrasement
de la hiérarchie salariale en bas de grille et,
in fine
, à un
rétrécissement des perspectives de carrière des salariés les moins
qualifiés.
Le titre II du projet de loi concerne le temps de travail.
C'est ici que se trouvent les assouplissements aux 35 heures qui ne remettent
pas toutefois en cause, je le répète, la durée légale du travail.
L'assouplissement essentiel touche le régime des heures supplémentaires.
A l'heure actuelle, ce régime, issu de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000
relative à la réduction négociée du temps de travail, se caractérise par son
extrême complexité et sa forte rigidité.
Coexistent, en effet, trois régimes différents selon la taille de
l'entreprise. Le premier s'applique aux entreprises de un à dix salariés ; le
deuxième aux entreprises de onze à vingt salariés et le troisième aux
entreprises de plus de vingt salariés.
A cela s'ajoutent des modalités différentes de bonification des heures
supplémentaires en repos compensateur de la 36e à la 39e heure, puis en
majoration salariale pour les heures suivantes.
Surtout existent parallèlement deux types de contingents. Le contingent dit
légal ou réglementaire, fixé par décret, sert de référence pour le
déclenchement du repos compensateur obligatoire. Le contingent conventionnel,
négocié au niveau de la branche, sert lui de référence pour l'autorisation de
l'inspecteur du travail en cas de dépassement.
Dans ce paysage éclaté, le projet de loi apporte une nouvelle lisibilité.
Il tend d'abord à unifier les modes de bonification des heures
supplémentaires, ensuite à uniformiser les conséquences juridiques attachées
aux différents contingents et, enfin, à fusionner le régime applicable aux
entreprises de dix salariés et moins et le régime dont relèvent les entreprises
de onze à vingt salariés.
Mais le projet de loi renforce surtout le rôle du dialogue social en la
matière.
Ainsi, ce seront désormais les partenaires sociaux qui détermineront, au
niveau de la branche, la nature et le taux de majoration des heures
supplémentaires. La loi n'en conserve pas moins son rôle de garant de l'ordre
public social puisque, d'une part, elle fixe un taux minimal de 10 % et que,
d'autre part, en l'absence d'accord, ce seront les taux actuels qui
s'appliqueront de droit.
Surtout, ce sera à l'avenir le dépassement du contingent conventionnel - et
non plus du contingent légal - qui déclenchera l'octroi d'un repos compensateur
obligatoire. Là encore, la loi exerce une fonction subsidiaire : en l'absence
d'accord, ce sera le dépassement du contingent légal, désormais fixé à cent
quatre-vingts heures, qui déclenchera le repos compensateur.
Le projet de loi prend enfin en compte les spécificités des petites
entreprises pour lesquelles la réduction du temps de travail s'avère, vous le
savez tous, très difficile.
Pour favoriser leur adaptation, le projet de loi prolonge de trois ans la
période de transition ouverte par la loi du 19 janvier 2000. Pour les
entreprises de vingt salariés et moins, le taux de majoration des quatre
premières heures supplémentaires est donc maintenu à 10 % jusqu'au 31 décembre
2005.
Plus grande lisibilité, renforcement du rôle de la négociation collective,
prise en compte des petites entreprises : toutes ces évolutions apparaissent
incontestablement positives à votre commission.
Au-delà du seul régime des heures supplémentaires, le projet de loi apporte
d'autres types d'assouplissements.
Le premier concerne le temps de travail des cadres.
Le projet de loi tend, notamment, à renforcer le rôle de la négociation
collective en la matière, particulièrement pour la définition des cadres au
forfait en jours : celle-ci a été assouplie.
Je crois toutefois qu'il existe encore une marge d'amélioration pour renforcer
plus encore l'autonomie des partenaires sociaux en la matière ; la commission
vous présentera un amendement en ce sens. J'indique d'ailleurs qu'il répond
très largement aux aspirations des cadres, qui considèrent que le forfait en
jours constitue un instrument adapté pour l'encadrement de leur temps de
travail.
J'estime également nécessaire d'étendre le système du forfait en jours aux
salariés itinérants non-cadres ; cela fera l'objet d'un autre amendement.
Le deuxième assouplissement concerne la « monétarisation » du compte
épargne-temps. La commission en partage le principe. Il devrait permettre à ce
dispositif utile, mais encore trop peu utilisé, de trouver son rythme de
croisière en rendant son utilisation plus large et plus facile. Mais encore
faut-il s'assurer que la réforme proposée ne remettra pas en cause les règles
actuellement applicables en matière de congés payés. La commission vous
présentera donc un amendement en ce sens.
J'attire enfin votre attention sur un article additionnel introduit à
l'Assemblée nationale - il s'agit de l'article 13 - relatif à la sécurisation
des accords actuellement en vigueur. Les conséquences de cet amendement
méritent d'être examinées avec soin. Celui-ci apporte, certes, des premières
précisions sur la légalité des accords déjà conclus, mais il n'aborde pas la
question, pourtant fondamentale, des effets de la future loi sur l'équilibre
général de ces accords. A l'évidence, ces effets ne seront, pas neutres du fait
des modifications apportées par le projet de loi en matière de déclenchement
des repos compensateurs obligatoires.
Respectueuse du dialogue social, la commission ne souhaite pas que cette
mesure entraîne le bouleversement de l'équilibre général des accords, souvent
conclus au prix de négociations difficiles, mais constructives.
Si elle suit les propositions que je compte lui faire, la commission vous
proposera d'apporter, à l'article 2, une réponse équilibrée à cette question,
en prévoyant de limiter la portée des contingents conventionnels actuels, en
matière de déclenchement du repos compensateur, au niveau du nouveau contingent
réglementaire. Cette solution nous apparaît, en effet, la seule en mesure de
concilier, au nom de l'intérêt général, l'exigence de sécurité juridique et le
respect de l'équilibre des accords déjà conclus.
Ce sera donc l'objet d'un nouvel amendement, qui traduit la poursuite de notre
réflexion. Sans anticiper la décision de la commission, je tenais à en faire
état dès aujourd'hui, afin que vous en soyez pleinement informés, mes chers
collègues.
J'en viens maintenant au titre III du projet de loi, qui vise à réformer les
dispositifs d'allégements de charges et à mettre en place un nouveau système
unifié et simplifié.
Ce dispositif remplacera, à compter du 1er juillet 2003, les deux principaux
allégements en vigueur, à savoir, d'une part, la ristourne dégressive sur les
bas salaires, dite « ristourne Juppé », et, d'autre part, l'allégement lié à la
réduction du temps de travail, dit « allégement Aubry II ».
La nouvelle réduction concerne les cotisations de sécurité sociale,
d'accidents du travail et d'allocations familiales acquittées par les
employeurs. Selon le régime définitif défini à l'article 6, qui entrera en
vigueur à compter du 1er juillet 2005, l'allégement ainsi accordé sera de 26
points de cotisations, sur un total dû de 30,2 points, pour une rémunération
horaire égale au SMIC. Il deviendra nul pour une rémunération horaire égale à
1,7 fois le SMIC. Toutefois, et afin d'accompagner la convergence des minima
salariaux, des modalités transitoires de calcul de cet allégement sont prévues,
à l'article 7, pour les années 2003 à 2005.
Comparé à la « ristourne Juppé », dont il s'inspire directement, ce dispositif
est plus favorable, qu'il s'agisse du montant maximal de l'allégement, soit 26
points de coisations contre 18,2 points pour la « ristourne Juppé », ou du
plafond de l'exonération, fixé à 1,7 fois le SMIC contre 1,3 fois le SMIC
antérieurement.
Par rapport à l'« allégement Aubry II », le montant maximal d'exonération au
SMIC est identique, soit 26 points, et le plafond de l'exonération se situe à
un niveau équivalent. En revanche, l'entrée en vigueur du nouveau dispositif
entraînera la suppression de l'aide pérenne à la réduction du temps de travail,
d'un montant fixe et forfaitaire, et qui était accordée, dans le cadre de l'«
allégement Aubry II », pour les salaires supérieurs à 1,8 fois le SMIC.
La commission a parfaitement conscience que la suppression de cette aide
pérenne peut représenter, pour certaines grandes entreprises, un manque à
gagner non négligeable. Toutefois, cet inconvénient lui paraît largement
compensé par l'un des avantages essentiels de la nouvelle réduction par rapport
à l'« allégement Aubry II », à savoir sa neutralité à l'égard de la durée du
travail.
En effet, cette réduction est calculée sur la base du salaire horaire, et non
de la rémunération mensuelle. Elle est ainsi cohérente avec les principes
généraux du présent projet de loi qui assouplit, sous réserve d'accords
collectifs, le recours aux heures supplémentaires.
Il convient donc que le coût de ces heures supplémentaires ne soit pas si
dissuasif qu'il vide de sens la possibilité ainsi ouverte aux partenaires
sociaux. Or, actuellement, le coût effectif d'une heure supplémentaire au
niveau du SMIC est de l'ordre de 190 % pour une entreprise appliquant les 35
heures, et de plus de 200 % pour une entreprise soumise aux 39 heures. La
raison en est simple : la « ristourne Juppé » et l'« allégement Aubry II »
étant calculés sur la base de la rémunération mensuelle du salarié, chaque
heure supplémentaire accroît cette rémunération et diminue automatiquement le
montant de l'aide, qui est dégressive en fonction du niveau du salaire.
En revanche, dans le cadre du nouveau dispositif, calculé sur la base du
salaire horaire, seule la bonification de l'heure supplémentaire contribuera à
augmenter le salaire horaire moyen et, par conséquent, à réduire le montant de
l'allégement accordé à l'entreprise.
Ainsi conçu, le nouvel allégement des charges patronales s'avère adapté aux
trois objectifs que lui a assignés le Gouvernement.
Il s'agit, d'abord, de compenser le coût, pour les entreprises, de
l'unification progressive des minima salariaux d'ici à 2005. La nouvelle
exonération sera, en effet, maximale au niveau du SMIC. Cela ne laissera à la
charge des entreprises restées à 39 heures de travail hebdomadaire que 4,6
points d'augmentation de salaire à « absorber » en trois ans.
Cette réduction des charges patronales se traduira également par une baisse
significative du coût du travail, de plus de 4 %, pour les salaires situés
entre 1,2 et 1,6 fois le SMIC. Or on sait que les emplois concernés sont ceux
pour lesquels l'élasticité de la demande de travail est la plus forte. C'est
donc sur ce « créneau » que le nouveau dispositif sera le plus favorable à
l'emploi.
En outre, le nouvel allégement profitera à l'ensemble des entreprises, et ne
sera plus réservé à celles qui sont passées aux 35 heures. Or je rappelle que
seule une entreprise sur dix était passée aux 35 heures au printemps dernier.
Près de 90 % des entreprises vont ainsi voir leurs charges diminuer, au premier
rang desquelles figurent les petites et moyennes entreprises. Ce sont justement
ces entreprises qui cumulent les handicaps dans leur recherche de main-d'oeuvre
et qui ne sont pas passées, pour nombre d'entre elles, aux 35 heures. La fin de
l'inégalité créée, en termes de coût du travail, à leur détriment, par l'«
allégement Aubry II », doit donc être saluée comme il convient.
La nouvelle réduction de cotisations sociales vise également à favoriser la
création d'emplois. Plus au fait des réalités de la vie économique que son
précédesseur, le Gouvernement n'a pas fait de promesses quantifiées en ce
domaine. En effet, dans le monde d'aujourd'hui, les créations d'emplois ne se
décident pas par la loi, même si celle-ci peut définir, comme le présent projet
de loi, les conditions propices à ces créations d'emplois.
Il me paraît toutefois utile de rappeler que, selon une étude de l'INSEE, la «
ristourne Juppé », dont le nouveau dispositif s'inspire directement, a permis
de créer environ 460 000 emplois dans les années 1994-1997. Elle aurait ainsi
contribué à enrayer, à partir de 1994, le déclin tendanciel de l'emploi non
qualifié dans notre pays.
Ces résultats sont à comparer avec le bilan de la réduction du temps de
travail, remis le 6 septembre dernier à la Commission nationale de la
négociation collective, qui évalue à 300 000 les créations d'emplois
correspondantes ; vous l'avez rappelé, monsieur le ministre. Encore convient-il
d'observer que ces créations sont moins imputables aux 35 heures proprement
dites qu'aux baisses de charges qui les accompagnaient.
Enfin, le nouveau dispositif d'allégement de charges se veut simple et facile
à appliquer par les entreprises. Je vous épargnerai ici l'exposé détaillé de la
formule de calcul de l'« allégement Aubry II » ou la lecture exhaustive de ses
circulaires d'application. Il suffit de rappeler que, pour être compréhensible
par les chefs d'entreprise, le barème de l'« allégement Aubry II » avait fait
l'objet d'une version dite « simplifiée », de plusieurs pages, publiée une fois
par an au
Journal officiel.
Rien de tel dans le nouveau dispositif que
nous propose le Gouvernement ! Les entreprises n'auront qu'à appliquer une
simple formule de calcul, unique pour l'ensemble des salariés concernés, et
aisément « paramétrable » dans les logiciels de paie existants. En outre, les
formalités à la charge des employeurs sont limitées au strict nécessaire.
Enfin, je ne peux terminer cette présentation de la nouvelle réduction de
cotisations sociales sans évoquer un point sur lequel la commission est
toujours extrêmement vigilante, à savoir le coût de cette mesure et les
modalités de son financement. Le coût net de la mesure est estimé à 1 millard
d'euros en 2003 et à 6 milliards d'euros d'ici à 2006.
Dès l'année prochaine, les pertes de recettes en résultant pour la sécurité
sociale lui seront intégralement compensées par le FOREC. Celui-ci disposera
donc de deux ressources nouvelles qui, à la différence des années précédentes,
n'auront pas été préalablement confisquées aux régimes de sécurité sociale. Il
s'agit de l'augmentation, d'une part, des droits de consommation sur les tabacs
et, d'autre part, de la fraction du produit de la taxe sur les contrats
d'assurance affectée au FOREC.
Au total, la commission considère que ce projet de loi est à la fois
pragmatique et équilibré. Sans remettre en cause la durée légale du travail, ce
texte lui paraît à même de répondre avec efficacité aux principales difficultés
nées de la réduction du temps de travail, en conciliant au mieux les
aspirations des salariés et les contraintes des entreprises.
La commission des affaires sociales vous proposera toutefois d'adopter une
quinzaine d'amendements qui, sans remettre en cause l'équilibre général du
texte, en prolonge la logique et lui apporte de nécessaires précisions.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 39 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 18 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Georges Mouly.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. Georges Mouly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que n'ai-je
lu et entendu ? « Il n'y a rien dans cette loi... C'est un coup d'épée dans
l'eau !... C'est une loi de régression sociale. » Pour les uns, elle va trop
loin ; pour les autres, pas assez. Certains font le reproche de travailler dans
l'urgence, alors que le temps presse... Peu de monde y trouve amplement son
compte - c'est une litote !
Mais il n'est pas interdit de penser, devant ce constat, que ce projet de loi
relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi va
précisément dans le bon sens. Il y a là - en tout cas, telle est ma conviction
! - la recherche d'une nécessaire réforme équilibrée : harmoniser les SMIC,
assouplir par la négociation les règles sur le temps de travail et amplifier la
baisse des charges pour mieux maîtriser le coût du travail.
Conformément aux engagements du Président de la République, il fallait
proposer une autre politique ; nous avons aujourd'hui, monsieur le ministre, à
en décider.
Nous sommes devant une absolue nécessité en ce qui concerne le temps de
travail si l'on veut bien considérer - c'est un fait ! - que l'application du
même régime pour tous, c'est la condamnation pour beaucoup. Qui d'entre nous
ayant participé aux assemblées de chambres de métiers, de chambre de commerce,
du Bâtiment et des travaux publics, le BTP, de l'Union professionnelle
artisanale, l'UPA, n'a pas été frappé par les difficultés trop souvent
insurmontables du passage aux 35 heures ?
(MM. Paul Blanc et Alain Gournac acquiescent.)
Pour beaucoup, on observe un risque d'asphyxie, au point qu'à peine 10 % des
entreprises de moins de vingt salariés sont actuellement aux 35 heures, 35
heures dont il faut dire et redire que reste en vigueur la loi qui les a
instituées.
On constate trop de rigidités, donc un assouplissements s'impose,
essentiellement par modification du régime des heures supplémentaires avec,
entre autres, une plus grande lisibilité du dispositif, de même que la prise en
compte des spécificités des petites entreprises. Une autre mesure concerne les
cadres, je veux parler du compte épargne-temps, le tout moyennant une plus
grande place faite, et ce n'est pas mineur, au dialogue.
Au total, je souscris à l'analyse qu'a faite de ce texte notre éminent
rapporteur, mais je tiens à rappeler, à propos des heures supplémentaires,
quelle utilisation en est faite d'ores et déjà dans les secteurs de la
métallurgie, du bâtiment, de la réparation automobile ou de la propreté.
Je ferai une remarque, monsieur le ministre, sur le régime de l'astreinte.
J'avoue que j'ai du mal à me ranger à la position prise par l'Assemblée
nationale. Je veux espérer une évolution au cours des débats.
Au coeur de nos discussions figure précisément la lutte contre le chômage, et
l'on ne saurait être trop modeste en la matière. Je ne me lancerai donc point
ici dans une querelle de chiffres. Simplement, je constate que le chômage est
reparti à la hausse il y a de cela plusieurs mois déjà, alors que la croissance
que la France avait connue durant plusieurs années diminue.
M. Paul Blanc.
Voilà !
M. Georges Mouly.
Mais je me contente ici d'un simple rappel.
Plusieurs organismes ont démontré que, plus que la réduction du temps de
travail, c'est la baisse des charges qui est propice à la création d'emplois.
L'allégement des cotisations est donc une évidente nécessité si nous voulons
être compétitifs. Comment ne pas comprendre que les 35 heures ont, entre autres
conséquences, limité les capacités de réagir à la demande, effet mécanique à
quoi s'ajoute parfois, ici ou là - et l'on ne peut que le regretter -, une
certaine dépréciation du travail ?
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Georges Mouly.
Un but : diminuer le coût du travail ; un moyen : la baisse des charges à
travers un système simplifié, unifié, avec pour cible, notamment, les bas
salaires, et ce n'est pas sans intérêt.
Je n'irai pas plus loin, n'ayant voulu mettre l'accent ici que sur ce que je
crois être un constat d'évidence et qui mérite une suite.
Le troisième volet de la réforme proposée concerne l'harmonisation des SMIC.
Car nous avons six SMIC, ce qui est ingérable, évidemment, et, de surcroît,
source d'inégalités outrancières, soit un tort fait à des millions de salariés,
ce qui n'est pas rien. Cette harmonisation est la mesure la moins contestée,
quand elle n'est pas tout à fait approuvée. Voilà en tout cas ce que l'on
pourrait appeler, monsieur le ministre, mes chers collègues, une « sortie par
le haut » ! On peut simplement regretter qu'elle ne se soit pas faite, par
exemple, en deux ans plutôt qu'en trois...
(M. le ministre marque son
scepticisme.)
Je faisais, voilà un instant, une remarque concernant l'astreinte. Je veux
dire ici tout l'intérêt que je porte au sort des personnels des établissements
médicosociaux et la satisfaction que j'éprouve à savoir que l'article 5
convient.
Je veux encore dire, revenant sur le chômage, que le surcroît d'heures
supplémentaires ne saurait favoriser systématiquement sa montée. C'est plutôt,
en maints secteurs, tout le monde le sait, d'un défaut de main-d'oeuvre, hélas
! que nous souffrons : affaire de formation pour partie, de culture,
d'orientation. C'est une importante question maintes fois abordée ; j'ai cru
pouvoir la rappeler ici.
C'est après le vote d'un texte concernant les jeunes en entreprise que ce
texte nous est présenté : lutte contre le chômage, toujours. Est-il besoin de
préciser, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion de ce bref
propos, combien j'adhère aux dispositions de ce texte, habité du ferme espoir
que je veux mettre en leur succès ?
(Applaudissements sur les travées du
RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Bernard Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
souhaitons tous que le travail soit dominé par l'homme et non pas l'inverse.
C'est pourquoi, traditionnellement, des actions sont menées par en optimiser la
durée, la rémunération et, plus largement, l'environnement. La portée de la
question est non seulement individuelle, mais aussi collective, puisque l'ordre
social est largement déterminé par l'organisation du travail.
Or la loi de 1998 que nous sommes amenés à corriger se fixait pour objectif de
créer des emplois selon un mécanisme contraignant de partage du travail.
L'intention demeure louable dans l'absolu, mais sa mise en oeuvre est
inadéquate. Elle l'est déjà au plan philosophique, car l'horizon même d'une
civilisation des loisirs qu'elle comporte en filigrane est bien flou ; ensuite,
elle est trop simplificatrice, car la genèse de la création d'emplois repose
moins sur le « saucissonnage » de la durée des tâches que sur leur
diversification, et donc sur l'innovation ; enfin, la rigidité de la démarche
aboutissait à de nombreux paradoxes. Outre que la compétitivité de certaines
entreprises était altérée, elle entraînait un sentiment global d'aliénation par
rapport à une contrainte nouvelle imposée de l'extérieur, à l'inverse
finalement du processus de libération recherché. Je n'étais pas le seul à avoir
souligné cette faiblesse conceptuelle lors de la discussion générale du 3 mars
1998.
Aujourd'hui, puisque l'occasion nous est donnée de corriger ce texte relatif
aux 35 heures, il nous faut enrichir la méthode retenue pour la rendre
efficace.
La complexité introduite dans la gestion des entreprises a contrarié
l'objectif fixé. Le nombre d'emplois créés a été moins important qu'il n'avait
été escompté. Personne ne peut comptabiliser, en outre, ceux qui ont été
délocalisés. Comment apprécier encore la frustration ressentie par ceux qui
auraient privilégié l'élévation de la rémunération à la réduction du temps de
travail ? La solidarité du partage, objectif noble s'il en est, ne peut être
imposée que si son efficacité est incontestable. Sinon, le sentiment éprouvé de
non-sens est socialement et humainement très grave, car il y a perversion. Tel
est, hélas ! trop souvent le cas.
Les entreprises qui ont pu créer des emplois en nombre significatif au titre
de cette loi sont d'une taille suffisamment importante et l'ont souvent fait en
recourant au travail en quatre équipes. C'est alors fréquemment la vie
familiale qui a perdu au change. Le prix à payer était-il à la hauteur de
l'enjeu ? Qui recensera les PME et les PMI qui ont, de leur côté, franchi la
porte du tribunal de commerce, affaiblies par une loi dont l'universalité et la
complexité étaient un défi au bon sens ?
Il suffit d'imaginer l'application de cette loi au travail des parlementaires
que nous sommes pour en appréhender les limites.
(Sourires.)
Il est bon de chercher à partager le travail ; encore faut-il recourir aux
moyens convenables et éviter ceux qui, non seulement se révèlent inefficaces,
mais, surtout, sont contre-performants en termes de libération de l'homme, sans
parler des dommages induits tels que la désintégration du SMIC.
M. Henri Weber.
Il faut l'abolir, alors !
M. Bernard Seillier.
On peut dire brièvement que l'erreur de la loi de 1998 a été de rester à un
niveau macroéconomique abstrait, ignorant de ce fait gravement la réalité
concrète de la situation des salariés et des entreprises.
Il ne faut pas oublier les conditions actuelles et concrètes du travail,
jusque dans la réalité des ateliers et des bureaux. A l'époque où la
décentralisation politique s'impose pour des considérations pratiques de
réalisme, l'approche microéconomique s'impose en matière d'organisation du
travail pour des raisons analogues.
C'est cette réalité que votre projet de loi prend en compte, monsieur le
ministre, pour l'introduire dans la législation antérieure. Vous opérez une
greffe de bon sens sur une loi pavée de bonnes intentions, mais décalée par
rapport au réel. C'est ce qu'ont bien compris la commission des affaires
sociales et son excellent rapporteur, notre collègue Louis Souvet, que je tiens
à saluer pour le travail précis qu'il a accompli.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, exprime votre volonté de progresser
de manière réaliste, dans une perspective clairement humaniste. Il a toutes les
chances de rendre opératoire et efficace la législation actuelle sur la durée
du travail, en dégrippant les engrenages bloqués. Vous instaurez un bon dosage
entre les libres négociations des partenaires sociaux et les actes régulateurs
de l'autorité de l'Etat.
Les risques sont inhérents à la vie, et la bonne méthode pour les minimiser
est d'introduire un processus itératif dans l'action. C'est cette qualité que
je trouve dans votre approche des problèmes graves et urgents à résoudre qui
ont été accumulés par une loi trop rigide et trop complexe. Grâce à la réforme
que vous nous proposez, vous restaurez un espoir de réel partage du travail par
une procédure libérée, mais régulée. Nous savons, par ailleurs, à travers vos
récentes déclarations, que vous vous préoccupez des laissés-pour-compte de la
croissance, qui ont des problèmes spécifiques d'accès à l'emploi.
Ainsi, les trois fonctions à concilier seront bien prises en compte à travers
la politique de l'emploi que vous conduisez : amélioration de vie de ceux qui
ont un emploi ; accès au travail de ceux qui en ont les capacités ; enfin,
accès au processus d'intégration de ceux qu'une simple augmentation physique de
l'offre d'emploi ne suffit pas à insérer.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gilbert Chabroux.
M. Henri Weber.
Enfin un peu de lumière !
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le ministre, vous avez qualifié de « majeur » le projet de loi
relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi que
vous nous présentez. Il serait, je vous cite, « la clef de voûte de la
politique économique et sociale du Gouvernement pour relancer la croissance et
l'emploi ».
Si, pour être « majeur », il suffit de porter un coup d'arrêt à ce qui a été
et restera dans notre histoire comme l'une des plus belles conquêtes sociales,
les 35 heures
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur
certains travées du RDSE)
, et de détruire ce qui a été fait avec la RTT,
alors, sans nul doute, votre texte est majeur par tout ce qu'il comporte de
négatif !
M. Jean Chérioux.
Je rêve !
M. Raymond Courrière.
Et tout ce qu'il a de réactionnaire !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
C'est vraiment attristant d'entendre cela !
M. Gilbert Chabroux.
Vous dites aussi que ce texte était très attendu. Il l'était, en effet, par la
droite et par un certain nombre d'employeurs qui ont de la peine à cacher leur
satisfaction ou même leur jubilation.
M. Raymond Courrière.
Il était attendu par les patrons !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Par les petits salaires
!
M. Gilbert Chabroux.
Mais il serait faux de dire que les salariés approuvent votre démarche,
puisque 59 % d'entre eux sont satisfaits du passage aux 35 heures, on ne peut
rien y changer,...
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Vous pensez qu'ils
étaient satisfaits du blocage du SMIC !
M. Gilbert Chabroux.
... alors que seulement 13 % d'entre eux ne le sont pas. Ce sont les chiffres
de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques,
la DARES. Je peux en citer d'autres, encore plus éloquents, selon une enquête
de la CFDT,...
M. Paul Blanc.
Il n'y a pas que des fonctionnaires dans notre pays !
M. Gilbert Chabroux.
... 80 % des salariés passés au régime des 35 heures ne veulent surtout pas
revenir en arrière.
M. Bernard Murat.
Et les autres ?
M. Gilbert Chabroux.
L'urgence n'est donc pas là où vous la placez. Elle est sans aucun doute dans
la lutte contre le chômage, qui est à nouveau la première préoccupation des
Français et qui devrait donc être la priorité absolue du Gouvernement.
M. Raymond Courrière.
Ce qui n'est pas le cas !
M. Gilbert Chabroux.
Mais vous connaissez comme moi les résultats du sondage réalisé les 20 et 21
septembre derniers par l'Institut Louis Harris : si 59 % des Français placent
le chômage au premier rang de leurs soucis, 26 % seulement pensent que les
mesures et les propositions du Gouvernement vont dans le bon sens,...
M. Raymond Courrière.
C'est le bon sens même !
M. Claude Domeizel.
Vous faites bien de le leur rappeler !
M. Gilbert Chabroux.
... tandis que 64 % considèrent qu'elles vont dans le mauvais sens. Là aussi,
vous ne pouvez rien y changer, tels sont les chiffres.
M. Alain Gournac.
On ne gouverne pas avec des sondages, vous le savez bien !
M. Gilbert Chabroux.
L'opinion a pris la mesure du problème, et le seul débat utile que nous
pourrions avoir devrait porter sur les moyens à mettre en oeuvre pour infléchir
la courbe du chômage au lieu de chercher à détruire les outils...
M. Paul Blanc.
Lesquels ?
M. Gilbert Chabroux.
... qui ont donné des résultats appréciables.
Vous voulez supprimer ou rogner tous les outils de la politique de l'emploi
sans exception : les emplois jeunes, les contrats aidés, les CES ou contrats
emploi-solidarité, les CEC ou contrats emplois consolidés,...
M. Roland du Luart.
C'est faux !
M. Gilbert Chabroux.
... le programme TRACE et la bourse d'accès à l'emploi, sans oublier les 35
heures.
M. Alain Gournac.
Tout !
M. Gilbert Chabroux.
Pourquoi recherchez-vous ainsi l'affrontement droite contre gauche ? Pourquoi
voulez-vous régler des comptes, alors que l'heure devrait être à la
mobilisation et aux efforts de tous dans la lutte contre le chômage ?
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
Vous répétez sans cesse que la gauche serait la cause de la situation, et
particulièrement les lois emblématiques de Martine Aubry,...
M. Alain Gournac.
Les Français ont voté contre !
M. Jean Chérioux.
De quoi est-ce l'emblème ?
M. Gilbert Chabroux.
Il faut reconnaître et saluer le courage, la ténacité et le talent de Mme
Aubry.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Tenace, oui !
M. Jean Chérioux.
Talent mal utilisé !
M. Gilbert Chabroux.
Si elle était là, vous n'en diriez pas autant !
Ces lois seraient donc la cause de la situation dans laquelle se trouve notre
pays.
M. Alain Gournac.
Les Français ont jugé !
M. Paul Blanc.
C'est de la provocation !
M. Jean-Pierre Demerliat.
Nous y reviendrons !
M. Gilbert Chabroux.
Mais vous avez oublié la situation catastrophique qui était celle de 1997
(Protestations sur les travées du RPR),
quand le taux de chômage était
de 12,6 %. Vous oubliez tout simplement d'où nous sommes partis.
Le Gouvernement Jospin a pu, et a su, grâce au retour de la confiance...
M. Jean Chérioux.
Vous aviez la croissance avec vous !
M. Gilbert Chabroux.
... et à la reprise de la croissance,...
M. Paul Blanc.
Tout de même !
M. Jean Chérioux.
Vous l'avez gaspillée, la croissance !
M. René-Pierre Signé.
C'est vous qui l'avez tuée !
M. Gilbert Chabroux.
... sur cinq ans, deux millions d'emplois et réduire de 930 000 le nombre des
chômeurs. Le taux de chômage est descendu à 8,9 %.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Oui, avec les emplois-jeunes !
M. Gilbert Chabroux.
Puis, il est un peu remonté, c'est vrai, pour se situer aux alentours de 9,2
%. Pendant ces cinq ans, contrairement à ce que vous dites, monsieur le
ministre, notre pays a fait mieux que tous les autres pays européens en matière
de lutte contre le chômage.
M. Paul Blanc.
C'est faux !
M. Jean Chérioux.
Ce sont des contrevérités ! Nous sommes pratiquement les derniers de la classe
en Europe !
M. Alain Gournac.
Nous sommes au douzième rang sur quinze !
M. Henri Weber.
Non ! C'est le
Financial Times
qui le dit !
M. Gilbert Chabroux.
Puissiez-vous réaliser, monsieur le ministre, les mêmes progrès au cours des
cinq ans qui sont devant vous !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Pas de la même manière !
M. Gilbert Chabroux.
Alors, à quoi cela sert-il de nier les efforts accomplis et les résultats
obtenus ? Si nous ne sommes pas mieux placés sur le plan européen, c'est, je le
répète, parce que nous sommes partis de trop bas.
(Rires sur les travées du
RPR.)
M. Jean Chérioux.
Il faut dire que, depuis 1981, vous les avez accumulés !
M. Alain Gournac.
Vous devriez nous remercier !
M. Gilbert Chabroux.
Il faut donc prolonger notre effort en utilisant tous les outils qui ont été
mis en oeuvre, particulièrement les 35 heures.
(Protestations sur les mêmes
travées.)
Les 35 heures, vous avez fini par le reconnaître, monsieur le ministre, ont
permis, jusqu'à la fin de 2001, de créer 300 000 emplois dans le secteur
marchand
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées),
sans compter
les emplois induits : selon les URSSAF, 25 000 emplois s'y seraient ajoutés
depuis le 1er janvier 2002. La CFDT comptabilise 412 000 emplois en tout à la
fin du mois de juin 2002.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Et la CGT ?
M. Paul Blanc.
Et ceux qui sont partis pour cause de délocalisation ?
M. Gilbert Chabroux.
On pourrait également tenir compte des emplois créés dans les collectivités
territoriales, qui ont fait un gros effort, et dans la fonction publique
hospitalière, par exemple...
M. Paul Blanc.
Oui, mais il n'y a pas d'infirmières !
M. Gilbert Chabroux.
... même si les emplois annoncés, 45 000, ne peuvent évidemment pas être déjà
tous pourvus. Ces chiffres ne sont pas contestables, sauf à faire preuve de
mauvaise foi.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Ils le sont, de mauvaise foi !
M. Jean Chérioux.
Ce sont les bases qui sont fausses !
M. Bernard Murat.
C'est honteux !
M. Gilbert Chabroux.
Ils émanent de la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des
études et des statistiques de votre propre ministère !
Fallait-il, monsieur le ministre, que les syndicats de votre ministère vous
rappellent qu'« ils sont établis de façon rigoureuse » et que « leur mise en
cause n'a aucun fondement sérieux » ? Vous avez fini, aujourd'hui, par parler
de 300 000 emplois, alors que vous disiez zéro. Il y a donc un petit progrès,
vous pouvez encore mieux faire !
(Nouvelles protestations sur les mêmes
travées.)
M. Alain Gournac.
Ce n'est pas vrai ! Le ministre n'a jamais dit cela !
M. François Fillon,
ministre.
C'est absolument faux ! Il ne faut pas mentir comme cela !
Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Gilbert Chabroux.
Je vous en prie !
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Raymond Courrière.
Parlez-nous du Front populaire ! Parlez-nous de Pétain !
M. François Fillon,
ministre.
Je suis tout à fait désolé de vous interrompre, monsieur
Chabroux, mais, avec votre autorisation, je vous rappellerai ceci : j'ai
toujours cité le chiffre de 300 000 emplois, tout en soulignant que, de mon
point de vue, il ne tenait compte ni des emplois qui n'avaient pas été créés,
ni de l'impact des allégements de charges. Mais, monsieur le sénateur, vous ne
pouvez pas me faire dire que les 35 heures n'ont pas créé d'emplois, parce que
cela n'est pas exact.
M. Claude Domeizel.
C'est bien de le reconnaître !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Nous apprécions, monsieur le ministre, que vous reconnaissiez, même du bout
des lèvres, que 300 000 emplois ont été créés. Vous avez mis, il est vrai,
cette création d'emplois sur le compte de la croissance.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Non, ce n'est pas ce que vient de dire M. le ministre !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
M. Chabroux fait de la
provocation tout le temps !
M. Gilbert Chabroux.
La croissance a joué un rôle...
M. Jean Chérioux.
Déterminant !
M. Gilbert Chabroux.
... mais vous ne pouvez pas nier que cette croissance a été enrichie en
emplois.
M. René-Pierre Signé.
Ils ne savent pas faire ! Ils ne savent pas gouverner !
M. Gilbert Chabroux.
Je le répète, si nous ne sommes pas mieux placés sur le plan européen, c'est
parce que nous sommes partis de trop bas. Il faut donc, je le redis, prolonger
notre effort...
M. Alain Gournac.
Surtout pas !
M. Gilbert Chabroux.
... et utiliser tous les outils qui ont été mis en oeuvre.
Nous restons surpris, même s'il y a manifestement progrès, par l'ambiguïté de
vos propos, monsieur le ministre, par leur double sens, à moins que ce ne soit
leur sens le plus évident, par exemple, quand vous parlez du Front populaire
!
Mardi dernier en tout cas, et aujourd'hui encore devant la commission des
affaires sociales, puis ici même, il y a quelques instants, vous avez réaffirmé
que « au-delà des critiques très convenues », vous pouvez vous prévaloir « d'un
accord général avec les partenaires sociaux » sur ce projet de loi.
M. Henri Weber.
C'est faux ! C'est un mensonge.
M. Gilbert Chabroux.
Or, la commission des affaires sociales a reçu mercredi l'ensemble des
organisations syndicales et patronales : aucune d'entre elles, à l'exception de
la CGPME, ne vous a donné son accord.
M. Guy Fischer.
J'étais témoin !
M. Gilbert Chabroux.
Au contraire, les critiques sont extrêmement vives. Nos collègues membres de
la commission peuvent en témoigner.
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas exact ! C'est une déformation de la réalité !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Et le MEDEF ?
M. Gilbert Chabroux.
Je tenais ainsi à rectifier les propos que vous tenez assez légèrement.
M. René-Pierre Signé.
C'est mensonger !
M. Alain Gournac.
Ils font de la politique !
M. Gilbert Chabroux.
De la même manière que nous devrions nous mettre d'accord sur les chiffres
concernant les créations d'emplois - au moins 300 000, j'insiste là-dessus -
nous devrions nous accorder sur ce que coûtent les 35 heures et sur ce qu'ont
coûté les allégements de cotisations sociales décidés par les gouvernements
Balladur et Juppé d'une part, et par le gouvernement Jospin d'autre part. Si
les montants sont à peu près équivalents, la contrepartie n'est pas la même.
L'effet des allégements de cotisations sociales sur l'emploi paraît faible
selon l'étude commandée par M. Alain Juppé en 1996 au Centre d'études des
revenus et des coûts, le CERC : elle estime les créations d'emplois entre 41
000 et 200 000 pour la période comprise entre 1993 et 1997.
M. Alain Gournac.
C'est bien !
M. Gilbert Chabroux.
M. le rapporteur a fait état de chiffres plus élevés, 460 000, selon une étude
de l'INSEE. En fait, il se réfère à un rapport de deux chercheurs, fortement
contesté au sein même de l'INSEE, et on comprend pourquoi quand on sait qu'il
n'y a eu, en tout et pour tout, que 174 000 créations d'emplois pendant cette
période.
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ains que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Gilbert Chabroux.
Il y a manifestement un doute quant à l'impact réel d'un tel dispositif
d'allégement de charges sur l'emploi. Peut-être est-ce pour cette raison,
monsieur le ministre, que vous vous refusez à toute estimation pour les années
à venir ? Si nous comprenons qu'il faille être humble face à tant
d'incertitudes, nous souhaiterions que cette attitude d'humilité...
M. Jean Chérioux.
Et vous ?
M. Gilbert Chabroux.
... vous conduise également non pas à opposer les dispositifs mais à les
conjuguer.
Je le répète, tous les outils qui peuvent jouer un rôle dans la lutte contre
le chômage doivent être mis en oeuvre sans parti pris, sans
a priori
idéologique. Il y a mieux à faire qu'à se livrer à des querelles politiciennes
et à vouloir prendre je ne sais quelle revanche qui se ferait au détriment des
travailleurs.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Votre modèle, c'est Mme
Aubry ?
M. Raymond Courrière.
Ils ne les aiment pas, les travailleurs !
M. Jean Chérioux.
Mais quel discours ! C'est affligeant !
M. Gilbert Chabroux.
La situation ne cesse de se dégrader. Les prévisions de croissance sont
régulièrement revues à la baisse.
M. Raymond Courrière.
Et ce n'est pas fini !
M. René-Pierre Signé.
C'est catastrophique !
M. Gilbert Chabroux.
Les plans sociaux se multiplient. Il n'est pas de jour sans que soit annoncé
un nouveau plan social touchant des centaines, voire des milliers d'emplois.
M. Alain Gournac.
Et Moulinex ?
M. Gilbert Chabroux.
Avez-vous fait le compte de toutes ces suppressions d'emplois ?
M. Roland du Luart.
C'était votre politique !
M. Jean Chérioux.
C'est votre oeuvre !
M. Alain Gournac.
Cinq ans de socialisme !
M. Gilbert Chabroux.
Pourquoi n'avez-vous pas déjà mis en place la cellule de crise que vous avez
annoncée le 12 juillet ? Pourquoi avoir nommé si tard - la semaine dernière -
un délégué au licenciement, un « monsieur plans sociaux » ?
M. Raymond Courrière.
Ils ne trouvaient pas de kamikaze !
M. Gilbert Chabroux.
La tâche est sans doute très lourde, mais nous ne pouvons penser un instant
que le point de vue du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
ait pu avoir une quelconque influence et que « les plans sociaux seraient
l'affaire, exclusive, des entreprises ».
Nous sommes véritablement très inquiets face à cette dégradation qui touche
tous les secteurs et toutes les régions de France, entre autres la région
Rhône-Alpes, particulièrement éprouvée ces dernières semaines. Et il sera
difficile - de plus en plus difficile ! - d'en imputer la faute aux 35 heures.
Vous serez de plus en plus seuls et de plus en plus démunis pour assumer
l'augmentation du chômage. C'est une lourde responsabilité !
M. Alain Gournac.
Vous avez l'air d'être content !
M. Gilbert Chabroux.
Cette situation nous alarme aussi s'agissant de la valeur du travail, qui se
trouve forcément dévoyée lorsque des entreprises, parfois par pure spéculation
boursière, privent des milliers et des milliers de nos concitoyens de leur
emploi. Alors que la gauche avait permis de ramener au travail près d'un
million de chômeurs, nous assistons aujourd'hui au mouvement inverse.
M. Roland du Luart.
Ça avait commencé du temps de Mme Guigou !
M. Alain Gournac.
C'est pour cela que les Français ont voté pour nous ! Ils ont tranché !
M. Guy Fischer.
Seulement 14 % des inscrits !
M. Gilbert Chabroux.
Nous sommes bien loin du débat philosophique sur la valeur du travail par
rapport au temps libéré, aux loisirs, au repos, s'il ne peut plus y avoir
d'équilibre entre le temps professionnel et le temps personnel, faute de
travail.
N'est-il pas mesquin, dans un tel contexte, de dénigrer les 35 heures, qui
auraient « dévalué » la valeur du travail...
M. Alain Gournac.
Eh oui ! Ce sont vos électeurs qui l'ont dit !
M. Gilbert Chabroux.
... alors que la productivité n'a cessé d'augmenter, que la France est, sur ce
plan, au premier rang des pays européens et que le nombre collectif d'heures
travaillées dans notre pays n'a cessé de croître au cours des cinq dernières
années ?
Une étude d'Eurostat montre que, si l'on mesure la production par heure
travaillée et par personne employée...
M. Paul Blanc.
Vous en avez des statistiques !
M. Raymond Courrière.
Elles vous gênent ?
M. Gilbert Chabroux.
... la France arrive en tête devant l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, le
Royaume-Uni étant loin derrière.
M. Paul Blanc.
Ils ne font pas 35 heures !
M. Gilbert Chabroux.
Face à la situation inquiétante dans laquelle se trouve notre pays, votre
projet de loi joue contre l'emploi. Il favorise l'allongement du temps de
travail.
M. Alain Gournac.
Oh là là, c'est terrible !
M. Gilbert Chabroux.
Il va falloir s'habituer à dire l'ATT, l'allongement du temps de travail,
après avoir parlé de la RTT.
M. René-Pierre Signé.
Eh oui !
M. Gilbert Chabroux.
Les heures supplémentaires sont plus nombreuses et moins bien rémunérées.
Elles sont à la discrétion des entreprises.
M. Bernard Murat.
Oui, vraiment, c'est affreux !
M. Gilbert Chabroux.
Elles sont, bien sûr, obligatoires pour les salariés et libres pour les
employeurs ! Elles pourront, dans une logique de banalisation des heures
supplémentaires, devenir des heures structurelles. Elles pourront, par exemple,
être utilisées pour obliger les salariés à travailler six jours sur sept.
M. Alain Gournac.
C'est affreux, on va se mettre au boulot !
M. Raymond Courrière.
Oui ! Elle est là, la réalité !
M. Gilbert Chabroux.
C'est le Premier ministre qui a le mieux résumé la situation le 6 septembre
dernier, à Strasbourg. Alors que les consultations des partenaires sociaux
n'étaient pas terminées, il a déclaré que « les entreprises pourraient revenir
à un dispositif de 39 heures,...
M. Claude Domeizel.
Il a dit la vérité !
M. Gilbert Chabroux.
... avec un coût de 10 % pour les quatre premières heures supplémentaires
».
M. Alain Gournac.
Et alors ?
M. Raymond Courrière.
Travaillez plus et gagnez moins !
M. René-Pierre Signé.
C'est monstrueux !
M. Gilbert Chabroux.
En fait, 10 % de majoration représente pour ces heures supplémentaires, cela
représente 1 % d'augmentation du salaire mensuel.
M. René-Pierre Signé.
C'est honteux !
M. Gilbert Chabroux.
Si l'on ajoute la suppression du repos compensateur entre la 130e et la 180e
heure - c'est-à-dire sept jours de repos en moins - les salariés se rendront
vite compte qu'ils sont victimes d'un marché de dupes et que l'on est loin du
slogan « travailler plus pour gagner plus ».
Le projet de loi supprime le lien entre le temps de travail et les aides à
l'employeur : il en résulte que l'on ne peut plus perdre ces aides, quelle que
soit la durée du travail dans l'entreprise.
C'est une arme redoutable entre les mains des employeurs pour tuer les 35
heures et une véritable incitation à en rester aux 39 heures. Les allégements
de cotisations sociales patronales, qui n'ont plus aucune contrepartie,
constituent un beau cadeau aux patrons qui leur permettra de gagner, pour des
salaires atteignant 1 800 euros environ, soit 1,7 fois le SMIC, jusqu'à 26
points de cotisation.
Est-il besoin de préciser que les cotisations payées par les salariés ne
seront, quant à elles, évidemment pas diminuées ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
C'était la même chose avec Mme Aubry !
M. Gilbert Chabroux.
Le projet de loi n'oublie pas les cadres. Les députés non plus, qui ont suivi
le MEDEF, et ont encore étendu le champ du forfait-jour en l'appliquant, non
plus aux seuls « cadres autonomes », mais aussi à des « cadres intégrés ». Ils
ont également étendu le champ annuel horaire à des salariés itinérants non
cadres. C'est la grande majorité des cadres qui sera concernée, contre 5 %
aujourd'hui.
M. Guy Fischer.
Eh oui !
M. Gilbert Chabroux.
On sait pourtant l'abus qui est fait de l'appellation de cadre. On qualifie
ainsi des personnes, par exemple des gérants de magasins qui gagnent le SMIC,
le but étant évidemment de les déclarer ensuite « cadres autonomes », pour les
soumettre au forfait-jour. Ainsi, 25 % de cotisants à l'association générale
des institutions de retraite des cadres, l'AGIRC, se situent en dessous du
plafond de la sécurité sociale.
La généralisation du forfait annuel en jours pose un problème très grave. Les
cadres et ceux qui y sont assimilés perdront toute référence horaire à la durée
du travail, avec les excès que l'on connaît, par exemple, des journées de
travail de treize heures, sans compensation - hélas ! Cela n'empêche pas,
malheureusement, le rapporteur et la commission des affaires sociales de
vouloir aller encore plus loin en appliquant le forfait-jour aux salariés non
cadres itinérants.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
A leur demande !
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le ministre, croyez-vous que c'est un progrès, au xxie siècle, de
compter le temps de travail en jours ?
M. Raymond Courrière.
C'est un recul !
M. René-Pierre Signé.
Eh oui !
M. Gilbert Chabroux.
Au chapitre des abus imputables aux députés de la majorité...
M. René-Pierre Signé.
Ils ont honte ! Ils se taisent !
M. Jean Chérioux.
Non, ils veillent !
M. Gilbert Chabroux.
... il faut réserver une mention particulière à l'amendement assimilant
l'astreinte au temps de repos. Ont-ils bien mesuré toutes les conséquences très
graves qui en découleraient ? C'est une incitation à placer les salariés en
astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et
pourquoi pas toute l'année !
M. Alain Gournac.
Tout le temps !
M. Gilbert Chabroux.
Voilà ! Vous l'avouez !
M. Jean Chérioux.
N'exagérons pas !
M. Paul Blanc.
N'importe quoi !
M. Gilbert Chabroux.
Apparemment, vous avez reculé sur ce point, monsieur le ministre. Vous avez
semblé revenir à la raison et à la jurisprudence établie en juillet dernier par
la Cour de cassation.
M. François Fillon,
ministre.
Pas du tout !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
M. Chabroux adore la
provocation !
M. Gilbert Chabroux.
Pour plus de certitude, nous présenterons un amendement de suppression.
Monsieur le ministre, vous avez parlé de : « dialogue social ». Mais qu'y
a-t-il à négocier ? Vous avez signé, mardi 15 octobre, le décret portant le
contingent d'heures supplémentaires de 130 à 180 heures ; vous l'avez signé
avant même que le débat sur votre projet de loi ne s'engage au Sénat, ce qui
montre le peu de considération que vous avez pour la Haute Assemblée.
M. Guy Fischer.
A quoi sert le débat parlementaire ? C'est scandaleux !
M. Gilbert Chabroux.
Vous étiez ce même mardi devant la commission des affaires sociales : le
décret était signé, et vous ne nous en avez rien dit !
M. René-Pierre Signé.
Mépris de la démocratie !
M. Gilbert Chabroux.
Quel peut être le sens de la négociation avec les partenaires sociaux puisque
la règle de l'accord majoritaire, qui prévalait pour la RTT et qui a nourri un
dialogue social très riche dans les entreprises, plus de cent mille salariés y
ayant directement participé, va être supprimée ? Les accords passés, signés par
la majorité des syndicats, pourront être renégociés par un seul syndicat
minoritaire, ce qui est la négation de la démocratie.
M. René-Pierre Signé.
Eh oui ! Mais ils ne savent pas ce qu'est la démocratie !
M. Gilbert Chabroux.
Nous nous interrogeons plus largement sur la place que vous voulez donner au
droit négocié, ou conventionnel, qui pourrait avoir la primauté sur le droit
issu du pouvoir législatif. C'est une revendication rémanente du MEDEF. Vous
reconnaissez-vous, monsieur le ministre, dans cette formule du rapporteur à
l'Assemblée nationale, M. Pierre Morange, qui déclarait : « le droit légal est
supplétif » ? Sommes-nous des supplétifs, monsieur le ministre ?
(Sourires sur les travées socialistes.)
Voulez-vous réduire la notion «
d'ordre public social » à son socle le plus étroit, par exemple les règles
minimales d'hygiène et de sécurité ?
Je voudrais maintenant m'arrêter un instant sur le problème du SMIC, qui sera
harmonisé, comme le prévoyait la loi « Aubry II »,...
M. Alain Gournac.
Ce n'est pas vrai !
M. Gilbert Chabroux.
... au plus tard le 1er juillet 2005.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Nous en sommes au cinquième SMIC !
M. Gilbert Chabroux.
L'harmonisation est positivie...
M. Jean Chérioux.
Pas possible !
M. Gilbert Chabroux.
... mais il faut regarder de plus près le mécanisme que vous proposez.
M. Guy Fischer.
Il est pervers !
M. Gilbert Chabroux.
Cette harmonisation se fera en effet au prix d'une forte pression sur le
pouvoir d'achat. La méthode que vous avez choisie ignore les préconisations du
Conseil économique et social, qui souhaitait que le SMIC reste bien un salaire
de croissance - comme le "C" l'indique - et bénéficie donc d'une participation
aux fruits de la croissance.
Concrètement, l'abandon de la référence à la progression du pouvoir d'achat du
salaire dans le calcul de la revalorisation du SMIC conduira à des pertes
importantes de pouvoir d'achat pour les salariés concernés.
M. le président.
Monsieur Chabroux, j'attire votre attention sur le fait que vous avez
largement dépassé votre temps de parole.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux.
J'ai été interrompu, monsieur le président !
M. le président.
Le dépassement sera décompté du temps imparti à vos collègues du groupe
socialiste.
(Protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux.
C'est tellement objectif, tellement intéressant qu'il serait dommage de s'en
passer !
M. Gilbert Chabroux.
Chers collègues, reconnaissez que vous m'avez interrompu !
M. le président.
Vous avez été interrompu par M. le ministre, qui a parlé moins d'une minute.
Veuillez poursuivre, monsieur Chabroux.
M. Jean Chérioux.
C'est grand dommage !
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le ministre, nous contestons le mécanisme que vous allez mettre en
place, puisque vous ne tenez plus compte du pouvoir d'achat. Si vous aviez
appliqué cette règle le 1er juillet dernier, la revalorisation du SMIC aurait
été non pas de 2,42 %, mais seulement de 1,49 %. Ce mécanisme conduit donc les
smicards à financer eux-mêmes une partie de la réduction de leur temps de
travail en réduisant la revalorisation salariale qui leur est actuellement
accordée par la loi.
M. Guy Fischer.
Voilà la perversité !
M. Gilbert Chabroux.
Plus grave encore, vous creusez, en réalité, les inégalités. Vous coupez la
France des entreprises et des salariés en deux : d'un côté, les grandes
entreprises passées aux 35 heures - il leur sera difficile de revenir en
arrière même si, avec votre texte, ce n'est pas impossible -, de l'autre, les
entreprises qui resteront à 39 heures, car elles n'auront plus aucun intérêt
financier à réduire leur temps de travail ; d'un côté des salariés, - un peu
plus de huit millions - à 35 heures, de l'autre des salariés - un peu moins de
huit millions - à 39 heures !
Ce n'est pas la « France d'en haut » et la « France d'en bas », mais cela y
ressemble ! C'est en tout cas la fracture du salariat, avec toutes les
conséquences et tous les risques qui peuvent en découler.
Ainsi que l'exprimait un représentant de la CFTC lors d'une audition, vous
gravez dans le marbre un statut inégalitaire, qui porte d'ailleurs atteinte à
la concurrence pure et parfaite chère aux libéraux.
Les petites entreprises seront pénalisées et leur marché du travail se
resserrera encore. C'est encore plus vrai pour les entreprises qui sont en
retard socialement, entreprises auxquelles on offre de surcroît la possibilité
d'aggraver les choses ! Pour certaines professions déjà peu attractives -
métiers de bouche, bâtiment -, le risque d'une pénurie de main-d'oeuvre à court
terme est réel. L'Union professionnelle artisanale, l'UPA, nous a fait part de
sa très vive inquiétude.
M. Philippe Nogrix.
Ils sont très contents de la réforme !
M. Gilbert Chabroux.
La distorsion de situations entre salariés d'entreprises différentes
s'accentuera, notamment entre petites et grandes entreprises, mais aussi dans
une même catégorie d'entreprises entre celles qui ont joué le jeu des 35 heures
et réellement réduit le temps de travail et celles qui ont traîné les pieds.
Il y aura également distorsion entre les entreprises qui payent bien leurs
salariés, et qui seront perdantes, et celles qui les payent aux alentours du
SMIC, et qui seront gagnantes. Il y a dans votre projet de loi, monsieur le
ministre, une incitation anti-sociale et des effets pervers dont vous n'avez
pas encore pris la mesure.
(Protestations sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac.
Il est rigolo !
M. Gilbert Chabroux.
Je pense aussi aux familles, aux parents, selon qu'ils seront à 35 heures ou
pas. Alors que l'on fait appel à la responsabilisation des familles, comment
peut-on admettre que la présence paternelle ou maternelle n'aurait pas la même
valeur selon que l'on est cadre ou salarié, que l'on travaille dans une grande
ou dans une petite entreprise ?
Il est clair, monsieur le ministre, que vous vous situez à contre-courant des
évolutions majeures de notre société dans son rapport au temps.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Réactionnaire !
M. Gilbert Chabroux.
Vous voulez jeter le discrédit sur le temps libre comme s'il y avait là
quelque chose de honteux.
M. Jean Chérioux.
Et vous sur le travail, comme s'il y avait là quelque chose de honteux !
M. Paul Blanc.
Vous dévalorisez le travail !
M. Gilbert Chabroux.
Mais ce temps libre, qui n'était que le résidu du temps de travail - il
fallait bien laisser aux ouvriers un temps de récupération -, est devenu un
temps autonome, un temps « choisi », pour reprendre l'expression de Jacques
Delors. On y sent un souffle de liberté, comme dans toutes les mutations de
notre société.
M. Bernard Murat.
Et la liberté de choisir ?
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le ministre, c'est un vrai projet de société que vous essayez de
remettre en cause.
M. René-Pierre Signé.
De détruire !
M. Gilbert Chabroux.
Vous aurez fort à faire pour y parvenir : la réduction du temps de travail a
surtout été vécue comme un changement culturel, particulièrement chez les
jeunes qui en ont bénéficié. La RTT leur a permis de rééquilibrer vie
professionnelle et vie personnelle. Vous ne pourrez pas les contraindre à
revenir en arrière. Les 35 heures sont une avancée sociale qui est inscrite
dans l'histoire sociale de notre pays.
M. René-Pierre Signé.
Ils ne connaissent que le recul !
M. Gilbert Chabroux.
Vous pouvez tout juste mener quelques combats d'arrière-garde. Nous mesurons
bien, hélas ! leur nocivité, mais vous ne pourrez changer le mouvement qui
transporte notre société et qui la conduit vers toujours plus de liberté.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Monsieur Chabroux, vous avez dépassé de sept minutes votre temps de parole.
J'en décompterai cinq sur le temps de parole de vos collègues du groupe
socialiste.
(Protestations sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux.
J'ai sans cesse été interrompu !
M. le président.
Y compris par vos collègues du groupe socialiste !
M. Jean Chérioux.
Vous n'avez pas été interrompu, vous avez été accompagné !
M. René-Pierre Signé.
Il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire ! Défendu de dire la vérité
!
M. le président.
La parole est à Mme Annick Bocandé.
Mme Annick Bocandé.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui
nous est proposé est une étape importante et nécessaire dans le cadre d'une
politique économique et sociale au service de la croissance, de l'emploi et du
travail.
Il est un signal fort en réponse au message lancé par les Français lors des
élections présidentielle et législatives.
En effet, depuis un peu plus d'un an, le chômage augmente de nouveau dans
notre pays ; la France se situe d'ailleurs au douzième rang européen.
M. Paul Blanc.
Voilà la vérité !
Mme Annick Bocandé.
La conjoncture internationale y est certes pour beaucoup, mais c'est
essentiellement la rigidité de notre organisation du travail et l'instauration
forcée des 35 heures qui en sont responsables.
M. Paul Blanc.
Exactement !
Mme Annick Bocandé.
Je ne peux manquer de citer les conclusions rendues en février 1998 par la
commission d'enquête sénatoriale chargée de recueillir les éléments
d'information sur les conséquences financières, économiques et sociales de la
décision de réduire à 35 heures la durée hebdomadaire du travail, commission
dont le rapporteur fut notre éminent collègue Jean Arthuis, aujourd'hui
président de la commission des finances.
La commission d'enquête avait conclu la réduction imposée du temps de travail
était un pari intellectuel et qu'il n'y avait aucune corrélation à l'échelle
internationale entre la durée du travail et le chômage. Cela est
malheureusement vérifié aujourd'hui.
M. Paul Blanc.
Les socialistes ont oublié !
Mme Annick Bocandé.
Dans ses conclusions, le rapporteur avait estimé que le projet de loi entrait
dans une logique étatiste par l'accroissement des aides publiques, des
contrôles et des moyens nécessaires à son application et une amplification de
la complexité.
M. Paul Blanc.
Exact !
Mme Annick Bocandé.
De plus, il avait précisé que, en annonçant sa décision de réduire d'une
manière rigide et autoritaire la durée légale hebdomadaire du travail à 35
heures, le gouvernement précédent avait dissimulé au Parlement le véritable
coût de la mesure pour les finances publiques.
M. Paul Blanc.
Très bien !
Mme Annick Bocandé.
Sur ce point, nous sommes allés de mauvaises surprises en mauvaises
surprises.
M. Philippe Nogrix.
C'est vrai !
Mme Annick Bocandé.
Ainsi, lors de la présentation des lois « Aubry I » et « Aubry II », qui, je
le rappelle, ont fait peser sur les finances publiques la charge excessive de
70 milliards de francs supplémentaires par an, on nous promettait la création
de milliers d'emplois. Or, on ne peut aujourd'hui attribuer à la réduction du
temps de travail que 300 000 emplois au mieux, soit 18 % des emplois créés sur
la période. Nous ne sommes pas, monsieur Chabroux, dans une meilleure situation
que les autres pays européens, qui n'ont pas fait le choix de dispositifs aussi
dispendieux pour les finances de l'Etat.
(Applaudissements sur les travées
de l'Union centriste et du RPR.)
M. Philippe Nogrix.
C'est vrai !
M. Jean Chérioux.
Beaucoup d'argent pour rien !
Mme Annick Bocandé.
Les lois Aubry ont de plus engendré des irrégularités entre les salariés du
fait de l'injustice des SMIC multiples en même temps qu'une baisse du pouvoir
d'achat entraînée par le gel des salaires dû à la diminution du nombre d'heures
supplémentaires.
MM. Jean Chérioux et Philippe Nogrix.
Absolument !
Mme Annick Bocandé.
L'harmonisation du niveau du SMIC telle que vous la proposez, monsieur le
ministre, est sans aucun doute un exercice difficile, et le délai de trois ans
qui nous est proposé peut paraître un peu court. Cependant, une harmonisation
est indispensable pour assurer la justice sociale telle que vous l'entendez,
telle que nous l'entendons. C'est une harmonisation par le haut, source de
simplification et de meilleure lisibilité du salaire minimum garanti, qui
permettra au SMIC de redevenir un vrai référent salarial.
Permettre à ceux qui veulent travailler plus de pouvoir le faire, en faisant
passer, par exemple, le contingent d'heures supplémentaires de 130 à 180,
offrira aux salariés la possibilité de bénéficier d'un gain substantiel de
pouvoir d'achat qui devrait aider à relancer la consommation - c'est nécessaire
- et à alimenter une croissance en panne.
M. Paul Blanc.
Très bien !
Mme Annick Bocandé.
Le présent projet de loi répond également à une profonde attente des
entreprises parce qu'il prône souplesse et simplification et parce qu'il
réhabilite la voie de la négociation collective.
Il prévoit un dispositif de baisse des charges pour compenser, en partie, la
hausse du SMIC. Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous ne
pouvons qu'approuver cette mesure ciblée sur les bas et moyens salaires dont
bénéficeront de manière significative neuf entreprises sur dix.
Nous nous félicitons de voir clarifié et simplifié le régime des allégements
de cotisations patronales. En effet, à leur multiplicité - il y en a plus d'une
trentaine - s'ajoute le fait qu'ils relèvent de logiques différentes.
Le dispositif que nous propose le Gouvernement constitue donc une étape
essentielle vers une plus grande cohérence et une efficacité accrue des
allégements de cotisations, dans le souci bien compris de favoriser l'emploi
par une baisse du coût du travail.
Déjà, en juillet dernier, lors de l'examen par le Sénat du projet de loi
portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes, je m'étais
réjouie qu'une nouvelle étape à la politique d'allégement des charges, à
laquelle j'adhère totalement, soit franchie.
L'occasion nous est à nouveau donnée aujourd'hui d'inverser les tendances et
de permettre à de nombreuses entreprises de notre pays, en choisissant la voie
de la réduction des charges sociales, de trouver le chemin des créations
d'emplois. La majorité sénatoriale avait, d'ailleurs, déposé une proposition de
loi en ce sens voilà quelques années.
C'est en effet en facilitant la gestion administrative des entreprises mais
aussi en diminuant le coût du travail que l'on crée de l'emploi.
Revalorisation du travail, baisse des charges au service de la création
d'emplois,...
M. Raymond Courrière.
Il ne faudrait pas baisser aussi le niveau de la protection sociale !
Mme Annick Bocandé.
... relance du dialogue, justice sociale sont les priorités de votre
politique, monsieur le ministre, politique qui est aussi la nôtre.
Le présent texte constitue une base solide qui permettra, dans un premier
temps, de résoudre les problèmes les plus urgents et les plus graves. Je ne
doute pas qu'il sera encore amélioré grâce aux négociations et aux
concertations avec les partenaires sociaux.
Concilier progrès social et efficacité économique est une ambition à laquelle
je ne peux qu'adhérer parce qu'elle redonne espoir à notre pays.
C'est pourquoi, avec le groupe de l'Union centriste, je voterai sans état
d'âme ce projet de loi, complété de façon pertinente par les amendements que
nous présentera M. le rapporteur, au nom de la commission des affaires
sociales.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, très
symboliquement, l'examen du projet de loi relatif aux salaires, au temps de
travail et au développement de l'emploi est l'occasion, pour le nouveau
gouvernement, de rouvrir le dossier emblématique de la réduction du temps de
travail et de commencer, selon vos propres termes, monsieur le ministre, « à
corriger quelques-unes des fautes les plus graves commises par le gouvernement
précédent dans les domaines économique et social ».
La prochaine étape, c'est la mise entre parenthèses de dispositions
importantes contenues dans le « volet anti-licenciements » de la loi de
modernisation sociale.
Il s'agit, là encore, de donner des signes forts aux entreprises, de
satisfaire le MEDEF, qui a farouchement bataillé contre ce qu'il appelle une «
loi paralysant les restructurations » et qui souhaite, comme pour le dispositif
des 35 heures d'ailleurs, une abrogation pure et simple.
Un projet de loi relatif à la renégociation collective et aux procédures de
licenciement économique est inscrit à l'ordre du jour prévisionnel des deux
assemblées. C'est par la presse, une fois de plus, que nous avons pris
connaissance de ses grandes lignes.
Vous envisagez notamment la suppression de la distinction entre la phase de
consultation du comité d'entreprise sur le projet de restructuration et celle
qui concerne le projet de licenciement collectif pour motif économique, du
droit d'opposition du comité d'entreprise au projet de restructuration et de
compression des effectifs, ainsi que de la saisine du médiateur : autant de
dispositions de nature à renforcer les droits des salariés, mais que la droite
parlementaire, dont vous-mêmes, mesdames, messieurs les membres de la majorité
sénatoriale, refusait au motif qu'elles étaient prétendûment rigides et
qu'elles limitaient beaucoup trop les marges de manoeuvre des chefs
d'entreprise.
Aujourd'hui, il est question de raccourcir les délais de procédure retardant
la mise en oeuvre des plans sociaux. Pourquoi alors remettre en cause l'étude
d'impact social et territorial, qui relève plus de la prévention des
licenciements ? Pourquoi allonger encore la liste des modifications en
réintroduisant le critère des qualités professionnelles pour définir l'ordre
des licenciements ?
Contrairement à ce que vous tentez d'afficher, monsieur le ministre, votre
démarche est dogmatique. C'est non pas le pragmatisme qui vous pousse à défaire
ce que le gouvernement précédent a construit, mais les seules exigences
économiques de compétitivité et de rentabilité financière relayées par le
MEDEF.
Pour faire bonne figure, un « monsieur licenciements » a été nommé à la tête
de la cellule de veille relative aux licenciements économiques.
Pour autant, le Gouvernement n'envisage pas d'infléchir l'économie. Bien au
contraire, il s'agit de laisser faire les actionnaires empêtrés dans la crise
financière ; pis encore, il s'agit de leur faciliter la tâche en leur
permettant de s'adapter aux conditions d'évolution des marchés.
Ces futures mesures, comme celles dont nous débattons cette semaine, portent
atteinte au droit du travail dans ses aspects les plus fondamentaux. Des
garanties essentielles pour les salariés sont sacrifiées. En revanche, la quête
du « toujours plus » en matière de flexibilité et d'allégements de charges de
tous ordres, notamment fiscales et sociales, est privilégiée.
A l'heure où les prévisions de croissance sont revues à la baisse, où la
situation de l'emploi se dégrade nettement, où les annonces de plans sociaux et
de suppressions d'emplois se multiplient, touchant tous les secteurs d'activité
et toutes les régions - 36 000 emplois sont immédiatement menacés - vous faites
le choix, comme le souligne Dominique Seux dans
Les Echos
du 19 octobre
dernier, « de lâcher du lest aux entreprises (...) idée naturellement risquée
».
La bataille pour l'emploi n'est pas, contrairement aux dires de M. Raffarin,
la priorité nationale : avec une baisse de 290 millions d'euros, le budget pour
2003 du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité
démontre le contraire.
La nette diminution, à hauteur de plus de 6 %, des crédits de l'emploi,
principalement de ceux qui sont affectés au traitement social du chômage,
traduit bien les choix faits en la matière.
En misant tout sur le secteur privé au détriment du secteur public et
associatif, vous faites le jeu d'un patronat qui, tout en réclamant moins
d'Etat, exige toujours plus de cadeaux fiscaux et sociaux financés sur fonds
publics.
La conjoncture médiocre a contraint le gouvernement auquel vous appartenez à
un peu plus de prudence. Mais, même réajustés, les crédits destinés au
financement des contrats aidés dans le secteur non marchand conduiront à
réduire drastiquement le nombre des entrées dans le dispositif des contrats
emploi-solidarité et, dans une moindre mesure, dans celui des contrats emplois
consolidés. Le dispositif TRACE - trajet d'accès à l'emploi -, ne sera pas
davantage renforcé. Aucun nouveau conventionnement n'est prévu en 2003 en ce
qui concerne les emplois-jeunes. Le dispositif est par conséquent amené à
s'éteindre au motif, à vous en croire, monsieur le ministre, « qu'il ne rendait
pas service aux jeunes (...) qu'il ne comportait pas de formation et
contribuait à mettre en place une fonction publique territoriale dégradée ».
L'échéance des premiers contrats, lesquels sont au nombre de plus de 73 000,
est proche.
Edith Arnoult-Brill, présidente du Conseil national de la vie associative,
s'est inquiétée de la disparition de ces emplois qui « ont apporté des
compétences, un moyen de conforter un projet associatif et de développer des
activités ».
L'inquiétude est d'autant plus grande que, dans certains secteurs, tels que le
secteur médico-social, les problèmes de recrutement sont énormes. L'Union
nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux,
l'UNIOPSS, dont nous avons rencontré les responsables, regrette, monsieur le
ministre, votre manque de vision politique des problèmes de la jeunesse.
Nous sommes conscients des problèmes soulevés par les emplois-jeunes,
notamment en matière de formation ou de salaire, et vous connaissez les
opinions et les propositions émises par les parlementaires communistes depuis
la création de ces contrats. Toutefois, nous n'acceptons pas que vous ayez
décidé de ne pas aller jusqu'au bout de la démarche. En ne prévoyant pas
l'intégration des jeunes dans leur emploi, vous prenez la responsabilité de les
renvoyer par milliers à la précarité !
Votre choix est clair : vous faites de l'abaissement du coût du travail l'axe
central de votre politique.
Vous avez commencé à décliner ce credo de la pensée capitaliste, donnant la
priorité à la baisse, voire à l'exonération totale de cotisations sociales
patronales, en mettant en place les nouveaux contrats jeunes en entreprise. Ces
derniers, je le rappelle, ne sont assortis d'aucune obligation de formation,
alors qu'ils s'adressent à des jeunes faiblement qualifiés et que nous savons
pertinemment, tout comme vous, monsieur le ministre, que l'exigence de
qualification croîtra de plus en plus à l'avenir, du fait des évolutions
technologiques.
Vous persistez aujourd'hui dans cette démarche en proposant, au titre III du
présent texte, un nouveau dispositif d'allégement de cotisations patronales qui
entraînera une nouvelle montée en puissance des dépenses publiques, évaluée à 6
milliards d'euros d'ici à 2005.
Je suis convaincu, à l'instar d'ailleurs de nombreux économistes, que la
massification des politiques d'allégement de cotisations sociales patronales,
orientation qui s'est imposée à droite mais aussi, malheureusement, au sein de
la gauche, n'est pas de nature à dynamiser l'emploi, tant quantitativement que
qualitativement.
Je déplore, monsieur le ministre, votre absence de réponse aux interrogations
des députés de gauche qui vous demandaient de chiffrer les effets, pour
l'emploi, de la mise en oeuvre de votre projet de loi. Votre silence est lourd
de sens !
Nous n'adhérons pas à la solution qui consiste à abaisser le coût du travail,
parce qu'elle est responsable du développement de l'emploi non qualifié et de
l'appauvrissement des salariés qui supportent un ensemble de graves
inégalités.
Monsieur le ministre, nous sommes d'autant plus opposés au nouveau dispositif
que vous nous présentez qu'il est totalement déconnecté de la réduction du
temps de travail. Pour mémoire, je vous rappelle que nous n'étions pas
satisfaits des allégements instaurés par la loi du 19 janvier 2000 relative à
la réduction négociée du temps de travail, dite loi « Aubry II ».
Nous nous opposerons donc fermement aux articles 6 à 12, qui visent à refonder
la ristourne Juppé et l'allégement prévu par la loi « Aubry II » et offrent aux
entreprises des avantages importants sans aucune contrepartie.
Par ailleurs, vous proposez de rétablir, pour les entreprises, la possibilité
de cumuler l'abattement spécifique au temps partiel avec la nouvelle mesure
d'allégement des cotisations sociales. Vous incitez les entreprises à recourir
au temps partiel, qui, au rebours de l'idée que vous défendez, est rarement
choisi mais au contraire massivement imposé.
Non seulement ces allégements pénaliseront les entreprises qui sont déjà
passées aux 35 heures, puisque, parallèlement, vous supprimez l'aide
structurelle, mais surtout vous portez atteinte à l'économie générale des
accords majoritaires signés en application de la loi « Aubry II ».
La lecture que nous faisons du premier volet de ce projet de loi, relatif au
salaire minimum de croissance, est tout aussi négative.
Votre discours présente le dispositif d'harmonisation des SMIC comme un moyen
d'augmenter substantiellement les salaires de l'ensemble des salariés payés au
SMIC ; c'est séduisant, mais c'est faux !
Sur ce point comme à propos de la RTT, vous jouez du mécontentement légitime
des nombreux salariés qui ont subi, à la suite du passage aux 35 heures, un gel
de leur salaire. Vous jouez aussi sur les divisions introduites entre les
salariés payés au SMIC et les autres.
Faute d'avoir prévu d'augmenter de 11,4 % le taux horaire du SMIC comme le
préconisaient alors les parlementaires communistes, la loi « Aubry II » est à
l'origine de la construction d'un mécanisme complexe et inégalitaire de
garantie mensuelle de rémunération qui a mis à mal l'unicité du SMIC. Je le dis
d'autant plus facilement que, à l'époque, nous avions combattu cette décision
et formulé des propositions.
Cette multiplicité des SMIC a servi de prétexte au gouvernement Raffarin pour
refuser, en juillet dernier, d'accorder un « coup de pouce » en supplément de
la revalorisation légale.
Aujourd'hui, vous évoquez la nécessaire harmonisation des SMIC selon l'un des
scénarii avancés par le Conseil économique et social, à savoir une «
harmonisation par le haut ». Mais vous l'utilisez pour porter un coup
supplémentaire à la vocation d'ascenseur social du SMIC, qui doit, selon la loi
de 1970, assurer « aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles,
la garantie de leur pouvoir d'achat et une participation au développement
économique de la nation ».
Monsieur le ministre, 14 % des salariés - des jeunes, des femmes, des
personnes employées dans les petites entreprises surtout - sont rémunérés à ce
niveau. Ce sont des salaires qui ne permettent pas de vivre normalement ni
décemment ; c'est dire l'importance des options choisies.
Il est certes positif d'annoncer une augmentation de 11,4 % du taux horaire du
SMIC, mais il est injuste, voire très dangereux, de laisser espérer de tels
gains de pouvoir d'achat.
Seuls ceux qui sont restés à 39 heures connaîtront cette augmentation sur
trois ans. En contrepartie - car là il y en a une - « pour ne pas asphyxier les
entreprises et tuer l'emploi », comme le dit le MEDEF, l'indexation du SMIC sur
les gains de pouvoir d'achat des salaires est supprimée !
Les syndicats, dans leur grande majorité, ont déploré la méthode choisie,
considérant ce « décrochage » du SMIC comme inadmissible et pervers.
Nous partageons leurs inquiétudes de voir un système transitoire perdurer et
venir « dynamiter » le SMIC, conformément aux souhaits du MEDEF d'annualiser et
de ne plus garantir, d'une année sur l'autre, montant de celui-ci.
Nous proposons, par le biais de nos amendements, une autre voie, une
convergence plus rapide, immédiate des GMR et du SMIC horaire, d'une part, et
le maintien des règles actuelles de revalorisation du SMIC, d'autre part.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Que ne l'avez-vous fait
!
M. Roland Muzeau.
Venons-en maintenant au titre II du projet de loi, relatif au temps de
travail.
Malgré vos affirmations, monsieur le ministre, selon lesquelles il ne s'agit
pas de relancer un débat idéologique sur la réduction du temps de travail, le
moins que l'on puisse dire c'est que vous vous êtes laissé aller à certains
dérapages.
Je pense en particulier ici à vos propos fâcheux attribuant au Front populaire
l'effondrement de la France ou à certaines petites phrases qui ont pour le
moins détérioré la qualité des débats.
Comme la grande majorité des élus de droite et des membres du patronat, vous
n'adhérez pas au mouvement, pourtant historique, de réduction du temps de
travail. Vous n'hésitez pas à le qualifier de « développement de la culture de
la paresse ». Cela explique pourquoi, à de nombreuses reprises, votre majorité
a fait référence au retour « aux valeurs et à la place du travail »,
ressuscitant ainsi des souvenirs peu reluisants.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Ce n'est pas très joli,
cela ! Vous êtes décevant, monsieur Muzeau !
M. Roland Muzeau.
Toutefois, il vous était politiquement impossible d'en finir officiellement
avec les 35 heures en touchant à la durée légale du travail. Comment, en effet,
revenir de front sur une réforme dont bénéficient 14 millions de salariés, tous
secteurs confondus ?
Je revendique, au fond, la démarche engagée dans ce domaine par le
gouvernement précédent. Les objectifs alors assignés à la RTT me paraissent
toujours justes : lutter contre le chômage en développant l'emploi ; répondre
aux aspirations personnelles des salariés, qui veulent avoir davantage de temps
pour eux, mais aussi à consacrer aux autres ; améliorer les conditions de
travail ; parfaire la démocratie sociale... Je regrette simplement que la
vision que nous avions de cette mesure, que nous voulions effectivement facteur
de progrès social, n'ait pas été plus largement adoptée.
Je suis conscient que les modalités pratiques de l'application de la RTT n'ont
pas toujours eu, loin s'en faut, des conséquences positives pour les salariés.
(Ah ! sur les travées du RPR.)
Nous payons aujourd'hui les refus d'hier d'inscrire dans la loi une obligation
de création d'emplois. La loi Aubry II a ouvert la boîte de Pandore s'agissant
du SMIC, de la rémunération des heures supplémentaires ou de la modulation.
(Eh oui ! sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Eh bien voilà !
M. Roland Muzeau.
Doit-on, pour autant, céder aux arguments de ceux qui n'ont d'autre ambition
que d'allonger la durée effective du temps de travail et de mettre encore
davantage l'accent sur les mécanismes privilégiant la souplesse ? Je ne le
pense pas, mais c'est pourtant l'objet de ce texte.
Monsieur le ministre, un fossé sépare vos objectifs réels de déréglementation
de la présentation que vous faites d'un projet de loi qui serait sous-tendu par
une fibre sociale. Votre texte est tout sauf équilibré. Vous avez réussi
jusqu'à présent à avancer masqué, excellant dans le rôle de modérateur social,
refrénant en apparence les ardeurs du MEDEF lors des consultations préalables à
l'élaboration du projet de loi.
Tout au long des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a dansé un
beau pas de deux avec l'UDF, qui a développé le jusqu'au-boutisme du MEDEF.
M. Pierre Laffitte.
C'est un procès d'intention !
M. Roland Muzeau.
Les quelques amendements adoptés, peu nombreux tant les consignes de ne pas
remettre en question l'équilibre du texte ont été respectées par l'UMP,
confirment nos craintes.
L'ajout de la disposition modifiant substantiellement le régime des astreintes
en assimilant celles-ci à des périodes de repos est une provocation de trop.
Les salariés, nombreux à être concernés dans les secteurs des services,
médico-social, des transports et de l'énergie, apprécieront sûrement le peu de
cas que vous faites, monsieur le ministre, des contraintes réelles qui pèsent
sur eux et sur leurs familles. Votre attitude est tout simplement dictée par le
fait que la jurisprudence n'est pas favorable aux employeurs ! Nous
reviendrons, au cours de la discussion des articles, sur ce point qui ne peut
rester en l'état.
Cette disposition relative au régime des astreintes, qui a soulevé un tollé du
côté des syndicats, illustre bien la logique du présent projet de loi, lequel
tend à aggraver la subordination du salarié à l'employeur.
Sous couvert d'assouplissement de notre droit du travail, le projet de loi
contribue en fait à priver de tout son intérêt la loi relative à la réduction
négociée du temps de travail votée en 2000.
Le régime des heures supplémentaires n'est pas simplement unifié, le seuil de
déclenchement du repos compensateur n'est pas simplement rehaussé. Ces mesures
auront des conséquences immédiates sur les conditions de travail et de vie des
salariés, qui perdront notamment des droits à repos.
Vous accentuez la différence de traitement existant entre les salariés des
petites structures et les autres salariés en institutionnalisant une
rémunération des heures supplémentaires dérogatoires limitée à 10 % dans les
entreprises de moins de vingt salariés. Vous « avalisez les conditions de
travail à deux vitesses », comme l'a très justement titré
La Tribune
le
10 septembre dernier.
Pourquoi, si effectivement le Gouvernement souhaite que ceux qui désirent
travailler plus puissent le faire en gagnant davantage, ne pas être allé
jusqu'à ouvrir cette possibilité aux salariés à temps partiel, par exemple ?
Pourquoi ne pas garantir la liberté de chaque salarié d'accepter ou de refuser
les heures supplémentaires « proposées » par l'employeur, ou ne pas rémunérer à
leur juste valeur les heures supplémentaires, les heures complémentaires et,
plus généralement, le travail des Français ?
Mme Nicole Borvo.
Très bonne question !
M. Roland Muzeau.
Sous couvert de simplification de notre droit du travail, vous bouleversez
toute la hiérarchie des normes.
M. Guy Fischer.
La vérité est là !
M. Roland Muzeau.
En séance publique, vous vous êtes demandé, monsieur le ministre, quelle
devait être la part de l'ordre public social par rapport à celle qui est
laissée à la négociation collective.
Cette question est essentielle, mais votre logique m'échappe. N'avez-vous pas
déjà apporté une réponse à propos des rapports entre la loi, qui deviendrait
subsidiaire, et la négociation, le contrat, en faisant notamment sortir du
domaine législatif la définition du niveau du contingent d'heures
supplémentaires ?
A cet égard, il est assez symbolique que vous n'ayez pas jugé utile,
préalablement, de définir avec les partenaires sociaux les champs de la
négociation collective.
Je suis étonné de vous entendre faire référence à la « position commune » du
16 juillet 2001 sur l'approfondissement de la négociation collective. Alors que
ce texte n'est qu'une simple déclaration d'intention, vous voulez l'utiliser
comme fondement d'un projet de loi que vous présenteriez au Parlement.
M. François Fillon,
ministre.
Absolument !
M. Roland Muzeau.
Vous savez comme moi que ce texte est fragile, dans la mesure où le MEDEF est
en désaccord avec les syndicats sur la notion d'ordre public social.
Vous avez pris l'engagement oral, monsieur le ministre, d'accorder l'agrément
aux seuls accords majoritaires. Pourquoi ne pas poser législativement cette
exigence démocratique dès maintenant ? Vous qui vous déclarez favorable à la
relance d'un dialogue social de qualité, acceptez nos amendements visant à
introduire le principe majoritaire.
Sous couvert de sécurisation, le projet de loi tente de mettre un terme à
plusieurs constructions jurisprudentielles jugées, par le MEDEF, trop
favorables aux salariés. C'est vrai non seulement pour le régime des
astreintes, mais également pour le paiement des heures supplémentaires
auxquelles ont droit les salariés du secteur social et médico-social, en plus
du versement de leur indemnité de RTT pour maintien de salaire.
S'agissant des cadres, catégorie de salariés qui est la plus satisfaite de la
RTT, vous envisagez de limiter la portée de la jurisprudence Aventis. En
affirmant que l'autonomie ne se décide pas mais qu'elle doit être réelle et
prouvée, le juge avait encadré les possibilités déjà laissées à l'employeur
pour définir les salariés cadres pouvant relever du forfait jour.
L'enjeu est de taille, le MEDEF l'a bien saisi d'ailleurs, la commission des
affaires sociales du Sénat aussi, apparemment, puisque, en élargissant la
définition de cette catégorie même à des non-cadres - itinérants, techniciens
-, on permettrait à l'employeur de se dédouaner des limites du droit commun en
matière de temps de travail.
Non seulement vous avez l'intention de limiter la portée des décisions de
principe de la Cour de cassation, mais en plus, une fois voté, ce texte devrait
permettre la validation d'accords actuellement contraires à la loi, en raison
du niveau du contingent d'heures supplémentaires, supérieur à 180 heures, ou
des dispositions relatives aux cadres. Tout cela est inacceptable.
Je viens de le démontrer, votre projet de loi, monsieur le ministre, annonce
des bouleversements essentiels dans le droit du travail. Beaucoup de
contradictions et de zones d'ombre demeurent.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen souhaite
pleinement s'inscrire dans le débat, en lui consacrant toute la place qu'il
mérite, et en cet instant, j'exprime notre désaccord devant la modification de
l'organisation de nos débats, qui n'augure rien de bon pour leur qualité.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur de nombreuses travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers
collègues, après cinq ans de politique socialiste de l'emploi, le gouvernement
actuel doit gérer un héritage qui ne satisfait personne.
Depuis dix-huit mois, le chômage augmente à nouveau. Le taux de croissance de
2002 est faible et la conjoncture économique pour 2003 s'annonce difficile.
M. Henri Weber.
Pas du tout : 2,5 % !
(Sourires sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac.
Les lois sociales mises en place par le gouvernement précédent ont détérioré
l'attractivité économique de la France.
La mise en place autoritaire et généralisée des 35 heures, une grande partie
du texte relatif à la modernisation sociale et l'obstination à ne pas réduire
les déficits budgétaires et sociaux émanant des lois de finances et des lois de
financement de la sécurité sociale sont autant de handicaps pour l'économie et
pour l'emploi.
(M. Gilbert Chabroux s'exclame.)
A cela s'ajoute le climat social sombre. Pas une profession n'a été épargnée
par les difficultés économiques et les partenaires sociaux se sont sentis
négligés, pour ne pas dire plus, durant la législature précédente.
Le bilan chiffré, lui non plus, n'est pas extraordinaire. L'analyse des
données contenues dans le projet de loi du gouvernement sur le bilan 2000-2001
concernant la réduction du temps de travail suggère que celle-ci aurait permis
la création de 300 000 emplois. Cela représente 18 % des 1 650 000 emplois
créés au cours de la période 1996-2001.
Il apparaît également que ces créations d'emploi sont largement dues à la
coïncidence de plusieurs facteurs : la période de croissance de la demande,
celle des besoins de main-d'oeuvre ressentis par les entreprises et, enfin,
l'opportunité offerte par l'Etat d'aider les embauches.
Il n'y a donc pas lieu de s'enorgueillir d'un si médiocre résultat pour un
coût financier exorbitant, facteur de déséquilibres budgétaires pour nos
comptes sociaux.
M. Claude Domeizel.
N'exagérez pas !
M. Henri Weber.
Ça c'est la « ristourne Juppé » ! Ne mélangez pas tout !
M. Alain Gournac.
C'est dans ce contexte général que nous examinons un projet de loi de relance,
qui tend à rétablir la justice sociale, à assouplir les 35 heures et à mettre
en place une politique dynamique d'allégement des charges.
Comment ne pas se féliciter du changement de philosophie et d'attitude qui
imprègne ce projet de loi ?
En effet, ce texte défend la valeur d'équité, en harmonisant les SMIC. Il
défend également la valeur du travail et de l'effort, en permettant à celui qui
veut travailler plus et gagner plus de le faire.
M. Gilbert Chabroux.
Ah ?
M. Alain Gournac.
Ce texte défend, en outre, la valeur de la simplicité, en instaurant un régime
souple et lisible d'allégement des charges. Ce texte défend, enfin, la valeur
du dialogue social, en ouvrant largement le champ de la négociation
collective.
Tout d'abord, il s'agit d'un texte de justice sociale.
Parmi les nombreux effets pervers de la RTT obligatoire, non anticipés par le
gouvernement précédent, figure la multiplication des garanties mensuelles,
aboutissant à la création de six SMIC différents.
Il était injustifiable qu'un travail soit payé plus ou moins cher selon la
taille de l'entreprise et la date à laquelle celle-ci est passée aux 35 heures.
Cette situation ne pouvait perdurer et c'est sous le signe de la concertation
et de l'équité que le Gouvernement a trouvé la solution de l'harmonisation par
le haut.
Le coût sera lourd pour certaines entreprises, notamment celles qui emploient
beaucoup de main-d'oeuvre non qualifiée, mais il est en grande partie compensé
par l'allégement des charges dont il est question au titre III.
Toutefois, monsieur le ministre, je me permets d'inviter le Gouvernement à une
grande vigilance tout au long de la période d'harmonisation. Des ajustements
seront peut-être nécessaires compte tenu de l'impact de ces mesures sur les
entreprises concernées.
M. Roland Muzeau.
Ah !
M. Alain Gournac.
Je fais naturellement confiance à votre pragmatisme. L'opposition, si prompte
à la critique, trouvera difficilement des arguments contre une telle
revalorisation des plus bas salaires : celle-ci est en effet sans précédent
depuis vingt ans.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Il est à noter que ce gain de pouvoir d'achat doit être l'occasion de
revaloriser le travail en creusant l'écart avec les revenus d'insertion, de
redonner confiance à ceux qui ont les salaires les plus modestes et de rendre
au travail son attractivité par rapport aux revenus d'assistance.
Venons-en aux 35 heures.
Loin d'être un progrès social indiscutable, les 35 heures ont créée des
conditions de travail dégradées : perte d'autonomie, accélération des rythmes,
augmentation des tâches, accentuation des inégalités, modulation imprévisible
du travail pour les moins qualifiés et stagnation du pouvoir d'achat.
M. Henri Weber.
Pourquoi ne les abrogez-vous pas ?
M. Alain Gournac.
Je les ai combattues, cher ami !
M. Henri Weber.
Pourquoi les maintenir ? Si elles sont aussi néfastes, ayez le courage de les
abroger !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Déposez un amendement,
monsieur Weber !
M. Henri Weber.
Non, car moi, j'en pense du bien !
M. Alain Gournac.
Les 35 heures imposées ont eu, entre autres conséquences, un effet négatif sur
la compétitivité des entreprises.
La nécessité d'assouplir l'application des 35 heures avait déjà amené notre
assemblée à adopter, en décembre 2000, une proposition de loi cosignée par les
présidents des groupes de la majorité sénatoriale, texte que j'ai eu l'honneur
de rapporter.
A l'époque, nous craignions que la fin du régime de transition concernant
l'application des 35 heures dans les entreprises de plus de vingt salariés et
la perspective de leur application aux petites entreprises n'accroissent les «
désajustements » sectoriels du marché du travail.
M. Paul Blanc.
Une bombe à retardement !
M. Alain Gournac.
De plus, le renchérissement des heures supplémentaires aurait eu pour
conséquence d'inciter les entreprises à moins y recourir.
Pour maintenir le niveau de production, les entreprises seraient alors dans
l'obligation d'augmenter la productivité, ce qui pourrait conduire à une
dégradation des conditions de travail. Elles pourraient aussi se trouver dans
l'incapacité de produire davantage en raison des difficultés réelles d'embauche
dans bon nombre de secteurs.
On a effectivement constaté des cas tout à fait regrettables dans lesquels des
entreprises, ayant à certains moments de l'année atteint le plafond des heures
supplémentaires, ont été contraintes de refuser des commandes ou de faire
fabriquer leurs produits dans d'autres usines du groupe, en Europe de l'Est !
Je peux vous fournir des précisions.
Le Gouvernement propose donc d'élargir et de clarifier le contingent des
heures supplémentaires en incitant, par ailleurs, les partenaires sociaux à
discuter des mesures qu'ils souhaitent voir mises en oeuvre dans un délai de
dix-huit mois. C'est un pari. Le pari du dialogue, le pari que les acteurs de
la négociation collective réussiront à trouver un dispositif qui ne leur sera
pas imposé d'en haut.
Cette mesure est perçue par les PME comme une excellente nouvelle, même si
elles regrettent qu'elle n'ait pas été appliquée plus tôt. Avec le
ralentissement de la croissance économique, son impact favorable sur les ventes
risque d'être un peu minoré.
En tout état de cause, cette disposition est de nature à redonner de
l'attractivité à la France, à attirer les investisseurs étrangers.
Car, n'en déplaise à certains, en libérant les potentiels de travail tout en
limitant les coûts pour l'entreprise, nous redonnons confiance aux
entrepreneurs. Notre pays a plus que jamais besoin d'eux pour préparer l'avenir
et créer des emplois. C'est la priorité des priorités.
Sur cet article en particulier, l'excellent rapporteur de la commission des
affaires sociales, notre collègue Louis Souvet, a effectué un travail
remarquable, qui a permis d'éclairer les débats en commission. Je soutiendrai
les judicieux amendements qu'il a présentés et qu'il défendra en séance
publique.
M. Guy Fischer.
Heureusement !
M. Roland Muzeau.
Ils sont obligés de les soutenir !
M. Alain Gournac.
J'en viens à la question des charges sociales qui pèsent sur les bas salaires
et sur les salaires moyens.
Enfin, des règles claires, unifiées et durables sont mises en place ! N'en
déplaise aux détracteurs de cette mesure d'allégement supplémentaire, les
économistes européens confirment de façon unanime que cette méthode a des
effets significatifs et reconnus sur la création d'emplois.
Il faut également souligner l'ampleur de cette mesure : ce sont six milliards
d'euros, en plus des quinze milliards d'euros actuels, qui sont investis dans
cette politique. Bien entendu, notre assemblée, qui a toujours défendu cette
stratégie pour l'emploi, ne peut que l'approuver.
D'autant plus que cette fois, ce n'est pas la sécurité sociale qui sera
ponctionnée, par le biais du FOREC, pour financer ces dépenses nouvelles. Les
comptes sociaux, menacés déjà par l'immobilisme du gouvernement précédent en
matière de réforme, n'avaient, en effet, pas besoin d'être mis à mal encore un
peu plus.
Conformément à la loi de juillet 1994 sur l'autonomie financière des branches
de la sécurité sociale et l'obligation de compensation des suppressions de
charges sociales décidées par l'Etat, c'est bien celui-ci qui prendra en charge
ces six milliards d'euros par un transfert de nouvelles recettes vers le
FOREC.
Cette décision est le signe d'une volonté, de la part du Gouvernement, de
clarifier les relations entre les comptes sociaux et le budget de l'Etat. C'est
une bonne décision.
Monsieur le ministre, je tiens à vous féliciter de ce texte, dont les
propositions équilibrées satisferont les salariés les plus modestes. Ceux-ci
vont gagner en pouvoir d'achat. Vos propositions apportent aussi une bouffée
d'oxygène aux entreprises, notamment aux PME.
En assouplissant l'organisation du travail, ces mesures sont de nature à
restaurer la confiance indispensable à la croissance de notre pays.
Je constate, sans surprise, que les engagements pris par le Président de la
République sont tenus par le Premier ministre et le Gouvernement. Je m'en
réjouis, non seulement pour moi-même, mais également pour mon pays. C'est
pourquoi j'apporterai tout mon soutien à ce texte quelque peu modifié par notre
assemblée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat
avait bien commencé par un exposé très clair de M. le ministre et par un
excellent rapport de M. Souvet. Puis, on s'est un peu perdu dans les sables et
un torrent de critiques s'est abattu sur la régression sociale que nous serions
en train d'organiser.
Pour ma part, monsieur le ministre, après mon collègue et ami Georges Mouly,
je tiens à vous apporter mon soutien total sur ce projet de loi, que je trouve
simplificateur, équilibré et favorable à l'emploi.
Il est simplificateur parce que la multiplicité des SMIC, chef d'oeuvre de
l'art administratif français, était une source extraordinaire de confusion et
parce que, par leur grande complexité, les régimes d'aide aux entreprises
favorisaient beaucoup plus les filiales des grandes entreprises internationales
installées dans notre pays que nos petites et moyennes entreprises. Or cela ne
vaut vraiment pas la peine de faire profiter d'un effet d'aubaine des
entreprises dont les centres de décision ne sont pas en Europe !
Ce texte est équilibré parce qu'il relance la négociation entre les
partenaires sociaux au niveau des branches. La commission propose d'ailleurs
d'aller plus loin et de développer des conventions au niveau des entreprises,
ce que j'approuve.
Il est équilibré également parce que l'unification des SMIC est compensée par
une aide renforcée aux entreprises. Cet équilibre tout à fait satisfaisant
permettra, je pense, d'obtenir de bons résultats.
Enfin, ce projet de loi est favorable à l'emploi. En effet, au lieu de
concentrer les avantages sur les très grandes entreprises, il cible son action
sur les entreprises de vingt salariés et moins.
Or l'expérience a montré, depuis une vingtaine d'années, que l'emploi se
développait beaucoup plus dans les entreprises de vingt salariés que dans les
très grandes entreprises.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous approuvons ce texte. Vous me
permettrez cependant, monsieur le ministre, dans le bref laps de temps qui
m'est imparti, de faire deux observations et d'exprimer deux regrets.
Tout d'abord, nous avons l'impression, en écoutant le débat, que nous ne
sommes pas en Europe, que la France n'a pas participé à la monnaie unique et
que nous pouvons régler nos affaires, en matière de temps de travail et de
compétitivité, comme si rien n'existait à côté de nous. Nous avons été la risée
de l'Europe quand nous avons, par la loi, réduit la durée du travail à 35
heures. Aussi, monsieur le ministre, votre première tâche, une fois ce projet
de loi adopté, sera de relancer la négociation pour aboutir à une harmonisation
européenne des conditions et de la durée du travail. Il n'est pas possible que
nous ayons une monnaie unique, que nous la soutenions et que nous conservions
des rythmes de travail totalement différents.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Avec nos partenaires anglais, espagnols, italiens, hollandais, etc, ainsi
qu'avec les nouveaux pays qui vont prochainement entrer dans l'Europe, il nous
faudra parvenir à harmoniser la réglementation de la durée du temps de
travail.
C'est une tâche primordiale. J'ai attiré l'attention sur ce point car, en tant
que membre du RDSE, je souhaite que la dimension européenne ne soit pas absente
de ce débat.
M. Jacques Pelletier.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
J'en viens à ma deuxième observation : entre la position du groupe communiste
républicain et citoyen, que je trouve parfaitement cohérente,...
M. Guy Fischer.
Merci, monsieur Fourcade ! Pour une fois, c'est agréable à entendre !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
In cauda venenum
!
M. Jean-Pierre Fourcade.
... puisque ce groupe a toujours demandé l'unification immédiate des SMIC, et
la position que vous défendez, monsieur le ministre, c'est-à-dire une
harmonisation sur trois ans, le Gouvernement va disposer d'une arme
anticyclique importante.
Les chiffres de la consommation des ménages sont en train de chuter. Notre
taux de croissance sera faible pour 2002 et celui de 2003 va dépendre
d'événements dont nous ne sommes pas maîtres. Par conséquent, plutôt que de se
triturer l'esprit pour trouver des mesures nouvelles afin de relancer la
consommation, créer des allocations, etc, il sera préférable, au milieu de
l'année prochaine, si l'on a l'impression que la conjoncture patine, que nous
ne sommes pas capables de retrouver un taux de croissance normal, de procéder à
l'unification des SMIC en deux ans au lieu de trois ans.
Vous aurez alors la certitude d'agir en faveur des salariés les plus
modestes, ceux qui touchent entre un SMIC et 1,7 SMIC. Vous exercerez ainsi un
effet immédiat sur le pouvoir d'achat. C'est donc d'un instrument conjoncturel
que vous vous dotez. Je vous en félicite, et j'espère que vous l'utiliserez.
Venons-en aux regrets.
Vous n'avez pas essayé, monsieur le ministre, mais peut-être était-ce trop
demander, de jouer sur le véritable réservoir d'emplois supplémentaires dont
nous disposons et qui jusqu'ici n'a pas été utilisé. Je veux parler du premier
emploi.
Notre pays compte un million d'entreprises unipersonnelles, qui ne parviennent
pas à embaucher en raison de la complexité des formalités, du coût du
recrutement, de la conjoncture difficile, etc. Je pense qu'un signe donné à ces
entreprises pour leur permettre de recruter le premier emploi eût été
bénéfique. Il aurait même fallu aller un peu plus loin, en réduisant les
charges sociales des salariés au titre de ce premier emploi, ce qui aurait
amélioré la feuille de paye de ces derniers mais aurait aussi favorisé la
relance de l'emploi dans un secteur qui possède un grand gisement alors qu'il
est quelque peu ignoré du législateur.
Mon second regret est simple : il porte sur le fait que ce texte ne s'applique
malheureusement pas aux trois fonctions publiques. Or, tous ceux qui sont
présents dans cette enceinte, tous ceux qui dirigent un établissement
hospitalier, qui gèrent une grande collectivité ou qui président aux destinées
d'une association ou d'un organisme quelconque savent parfaitement que
l'application des 35 heures a totalement démoli l'ensemble des équilibres et
des structures.
M. Paul Blanc.
Totalement !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaite que, dans un texte prochain, des
dispositions soient prises pour les fonctions publiques, qui subissent les
inconvénients des 35 heures de façon évidente. Et nul ne peut défendre la thèse
selon laquelle les 35 heures auraient constitué un progrès !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Remarquable !
M. le président.
La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.
Mme Sylvie Desmarescaux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au regard du
bilan des lois Aubry concernant la création d'emplois et la faiblesse du nombre
d'entreprises effectivement passées aux 35 heures, nul ne peut contester que le
projet de loi relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de
l'emploi va dans le bon sens.
Le présent projet de loi rend aux partenaires sociaux la liberté de
négociation que le gouvernement précédent avait remise en cause.
Il donne priorité aux baisses des charges, clé de voûte d'un système destiné à
préserver et à faire baisser le nombre de chômeurs. En outre, contrairement aux
critiques qui ont été exprimées, le texte qui nous est soumis n'en oublie pas
pour autant les salariés, dont le pouvoir d'achat sera soutenu grâce à
l'augmentation des bas salaires, mesure qui vient en complément de la
diminution de l'impôt sur le revenu et des dispositions relatives à la prime
pour l'emploi.
La préparation de ce projet de loi a montré la capacité du Gouvernement à se
faire le conciliateur des intérêts de chacun des partenaires sociaux, ce dont
je le félicite.
Je soutiendrai bien évidemment ce texte. Toutefois, je souhaiterais revenir
sur l'amendement adopté par nos collègues députés concernant les périodes
d'astreinte. En effet, selon cette proposition, le temps d'astreinte serait
comptabilisé comme une période de repos si le salarié n'est pas intervenu. Or,
aux termes de l'article L. 212-4
bis
du code du travail, l'astreinte
impose au salarié une obligation, celle de demeurer à son domicile ou à
proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au
service de l'entreprise.
La question mérite d'être soulevée, et je me permets de vous demander,
monsieur le ministre, de m'apporter une explication ou plutôt des
apaisements.
Certes, la chambre sociale de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 10
juillet 2002, estimé que le temps d'astreinte ne pouvait pas être considéré
comme un temps de travail effectif. Est-ce pour autant qu'il faille le
considérer comme un temps de repos ? Cette question n'a été tranchée ni par la
jurisprudence ni par la doctrine.
Dans le souci de toujours laisser plus de place à la négociation collective,
la compensation devrait prendre la forme qui sera déterminée par les accords de
branche ou d'entreprise. Cela irait, me semble-t-il, dans le sens du dialogue
social que souhaite rétablir le Gouvernement.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais
écourter un peu mon temps de parole afin de laisser quelques minutes à mon ami
Henri Weber et je ne m'attarderai que sur deux points essentiels.
M. Henri Weber.
Merci de votre compréhension, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Godefroy.
Je voudrais tout d'abord vous dire, monsieur le ministre, après mon collègue
Gilbert Chabroux, que ce projet de loi au titre ambitieux n'a, selon nous,
qu'un seul but : effacer les progrès de la loi Aubry, défaire les 35 heures. En
effet, vous avez beau parler d'assouplissement, M. le Premier ministre, lui, a
été beaucoup plus clair quand il a annoncé qu'il s'agissait bien de permettre
aux entreprises de revenir aux 39 heures.
Vous présentez ce texte comme une simple correction des excès et des rigidités
de la loi Aubry. En fait, il répond largement aux exigences patronales et ne
manquera pas, lorsque les salariés pourront en mesurer concrètement les effets,
de participer à l'alourdissement du climat social, qui n'en a pas besoin.
Ce texte est avant tout le rendez-vous manqué de la concertation. Comme l'a
dit le président de la CFTC, que l'on ne peut pas accuser d'être un syndicat
gauchiste : « Le projet de loi va permettre aux entreprises de faire travailler
les personnels de 35 à 43 heures par semaine sans préavis, sans planification,
avec une augmentation de salaire minime. La distorsion de situation entre les
salariés d'entreprises différentes s'accentue, notamment entre les grandes et
les petites. » - je reviendrai sur ce point tout à l'heure - « Ce premier
dossier social du Gouvernement nous apparaît comme un rendez-vous manqué. »
Vous deviez relancer le dialogue social prétendument mis à mal. Or, l'on
constate une succession de décisions prises unilatéralement. Ce projet de loi
lui-même est entaché d'un défaut initial : les syndicats n'ont été consultés
que sur un avant-projet qui, ensuite, a été modifié sans qu'ils en soient
informés. Ils n'ont donc pas été consultés sur la version définitive du texte,
contrairement à l'accoutumée.
M. Claude Domeizel.
Absolument !
M. Jean-Pierre Godefroy.
Vous vous prévalez de leur accord « au-delà des critiques convenues ». J'ai
noté, comme mon ami Gilbert Chabroux, la formule que vous avez utilisée en
commission des affaires sociales. Pourtant, lors des auditions organisées par
la commission, tous les syndicats - sauf un - ont multiplié les critiques à
l'égard de votre texte et des conditions de son élaboration.
Par ailleurs, monsieur le ministre, est-ce conforme à votre conception du
dialogue social que de signer le décret sur la hausse du contingent d'heures
supplémentaires alors que le débat ne fait que s'ouvrir au Sénat ?
Les lois Aubry, elles, ont bien permis un renouveau du dialogue social dans
les branches et les entreprises. Depuis 1998, plus de 35 000 accords ont été
signés chaque année concernant 8,6 millions de salariés.
Que dire, monsieur le ministre, de l'amendement voté, avec votre assentiment à
l'Assemblée nationale concernant les astreintes ? Il ne s'agit certainement pas
d'un exemple de dialogue social !
Que dire encore de votre argument relatif aux techniques modernes de
communication, aux portables ?
On peut, dans ces conditions, légitimement s'interroger sur la notion de repos
du salarié, qui ne doit pas seulement permettre la reconstitution de la force
du travail au bénéfice de l'entreprise, comme il en allait au xixe siècle, mais
qui doit aussi favoriser l'épanouissement personnel du salarié. Est-il dès lors
pensable qu'une personne en situation d'astreinte puisse aller au cinéma, au
théâtre, pratiquer un sport, garder les enfants si le conjoint travaille, le
portable à portée de main, avec l'obligation de tout laisser sur le champ si
une intervention s'impose ? Sa liberté est limitée. La question de la
dépendance du salarié à l'égard de l'entreprise est alors clairement posée. Il
nous semble tout à fait inacceptable dès lors de considérer ce temps comme du
repos, même s'il n'y a pas intervention.
Nous espérons, monsieur le ministre, que la répétition des critiques de bon
sens qui ont été émises au cours de ces derniers jours aura eu quelque effet
sur vous. J'ai eu un espoir en écoutant votre propos liminaire. Je vois qu'il
me faut faire machine arrière. Je pense pourtant que cette disposition devra
être revue.
A propos de cette disposition, un représentant syndical a dit : « Le MEDEF en
rêvait, l'Assemblée l'a fait. » Monsieur le ministre, pourriez-vous, avec
l'appui du Sénat, - certaines voix se sont élevées ici en ce sens -, rectifier
ce texte en rétablissant les salariés dans leur juste droit ?
Je ne doute pas que vous ayez conscience du grave problème qui se poserait en
cas de confirmation de cette mesure. En tout cas, toute décision législative de
cette nature devrait faire l'objet, pour le moins, d'un dialogue préalable et
d'un accord avec les organisations syndicales.
Nous ne pouvons que souscrire à l'harmonisation des SMIC. Cependant, nous ne
saurions accepter le mécanisme que vous nous proposez. Mon collègue Gilbert
Chabroux a déjà évoqué ce point, sur lequel nous défendrons des amendements.
L'impact de la RTT sur l'emploi est loin d'être négligeable.
Vous parlez des 300 000 emplois créés comme si ce nombre valait à peine d'être
mentionné. Mais 300 000 emplois, ce n'est déjà pas si mal ! Sans compter les
emplois induits dans le secteur du tourisme, de l'hôtellerie-restauration, des
loisirs, dont on ne parle pas assez. Nombre d'entreprises du secteur du
tourisme attribuent en effet leurs bons résultats en moyenne saison à la mise
en place de la réduction du temps de travail.
M. Henri Weber.
Très juste !
M. Jean-Pierre Godefroy.
Certes, le débat reste ouvert sur la question de savoir ce qui, de la RTT ou
de la conjoncture économique, a joué le plus dans la réduction du chômage. Mais
une chose est certaine : les mesures prises aujourd'hui pour revenir de fait
aux 39 heures, ainsi que la nouvelle conjoncture, risquent d'avoir un résultat
tout autre, qu'il nous appartiendra d'appréhender en son temps, en attribuant
sa véritable part à l'un et à l'autre.
Nous ne pouvons, aujourd'hui, que prendre rendez-vous, mais nous sommes
sceptiques.
En effet, monsieur le ministre, avec la suppression des emplois-jeunes, la
diminution des CES, l'abandon du programme TRACE et la création, par cette loi,
de deux catégories de salariés - ceux qui sont déjà passés aux 35 heures et qui
craignent à juste titre un retour sur ce progrès social, d'une part, et ceux
qui, travaillant dans une petite entreprise, n'en bénéficieront jamais, d'autre
part -, la France du travail se trouve divisée en deux : c'est la France du
travail à deux vitesses.
Cela ne manque pas d'inquiéter les entreprises artisanales, qui ont déjà des
difficultés pour trouver du personnel qualifié. Et ce ne sont pas les
contrats-jeunes n'intégrant pas une obligation de formation, qui permettront de
répondre aux besoins de ces entreprises. Celles-ci nous ont clairement fait
savoir qu'elles avaient besoin de personnels formés. Ces PME étaient pourtant
expressément désignées comme la cible de votre dispositif avant qu'un
amendement du Sénat, accepté par le Gouvernement, ne l'étende aux grandes
entreprises.
Sur ce point, la conjugaison des deux lois risque de poser de redoutables
problèmes.
On ne pourra pas reprocher aux salariés d'être plus enclins à se faire
embaucher dans une grande entreprise déjà passée aux 35 heures et ayant un
comité d'entreprise dynamique !
Ces deux mesures risquent de peser très lourdement sur les PME et sur les
artisans en ce qui concerne l'embauche et la durée de présence des salariés
dans l'entreprise. En fait, ces deux mesures conjuguées risquent de faire du
salariat des PME un réservoir pour les grandes entreprises.
Qui plus est, la logique inquiétante suivie par différents ministères en
matière d'emploi ne peut laisser indifférent. Je veux parler, en particulier,
de cette logique qui consiste à créer des vacations accessibles aux
retraités.
Ainsi, la fonction de juge de proximité est créée essentiellement pour des
retraités qui ont eu une carrière professionnelle leur assurant pourtant une
retraite satisfaisante. De même, le ministère de l'éducation nationale
envisage, pour pallier la suppression de postes d'aide-éducateur et de
surveillant, de faire appel à de nouvelles recrues, notamment des jeunes
retraités, selon une note adressée aux recteurs d'académie. C'est aussi le
secrétaire d'Etat aux transports et à la mer qui, lors de son audition par le
groupe sénatorial d'étude de la mer, fait part de son idée de recruter des
retraités navigants pour des vacations d'inspecteur des affaires maritimes.
Cette évolution, qui consiste à repousser de fait l'âge de la retraite, à
substituer des compléments de retraites à des embauches de jeunes - lesquels ne
trouveront pas d'emploi - entraîne une rupture totale avec la volonté du
gouvernement précédent de faire entrer, dans les meilleures conditions, les
jeunes dans la société du travail.
J'entends beaucoup parler de la valeur du travail. Les salariés, eux, savent
ce que cela signifie, car c'est leur vie, c'est leur existence. Il faut voir la
mobilisation des salariés quand des pans de restructuration d'une entreprise
mettent en péril leur avenir. Ils veulent travailler !
Le cataclysme que nous avons connu en Basse-Normandie avec Moulinex n'était
pas dû aux 35 heures : c'est la mauvaise gestion de l'entreprise qui était en
cause.
Pour toutes ces raisons, qui ne sont pas dogmatiques, mais très pragmatiques,
monsieur le ministre, nous avons plus qu'un doute sur la politique qui nous est
proposée par le Gouvernement. En conséquence, vous l'avez compris, nous ne
pouvons que nous opposer à l'ensemble de ces mesures.
(Applaudissements sur
les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain
et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. René Trégouët.
M. René Trégouët.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en moins de
dix ans, c'est la quatrième fois que nous avons, au Sénat, un débat de fond sur
la durée du travail.
A chacune de ces étapes, j'ai tenu à apporter à ce débat fondamental la
modeste mais pragmatique contribution du chef d'entreprise que je suis.
Le 3 novembre 1993, lorsque nous fut présenté par M. Michel Giraud, ministre
des affaires sociales dans le gouvernement de M. Balladur, le projet de la loi
quinquennal sur l'emploi, j'avais dit non. Or nous n'étions pas nombreux,
alors, à repousser ainsi la proposition qui nous était faite, après les
élucubrations de M. Larrouturou, de permettre à des entreprises de réduire, à
titre expérimental, à 32 heures la durée hebdomadaire du travail, et ce avec
l'aide de fonds publics.
Après avoir avancé de très nombreux arguments, je motivais ainsi mon vote
négatif : « Nous avons beau répéter que la semaine de 32 heures n'est mise en
place qu'à titre expérimental, très vite va cheminer dans l'esprit des Français
que le processus est maintenant inexorablement lancé. » Et je concluais mon
intervention par ces mots : « Dès les prochaines années, cette réduction du
temps de travail va devenir un thème majeur de société, sur lequel les Français
risquent de se diviser dangeureusement. »
Je n'imaginais pas, alors, à quel point la réalité allait, hélas ! rejoindre
mon intuition.
Le 21 mai 1996, devant M. Jacques Barrot, ministre du travail, venu défendre,
au Sénat, ce que nous appelions la « loi de Robien », j'ai réitéré mon avis
négatif en affirmant : « Laisser croire aux Français que, en travaillant moins,
notre pays a plus de chances de préparer son avenir n'est pas le meilleur
message qu'on puisse leur délivrer, surtout dans un contexte particulièrement
défavorable et dans une compétition qui se mondialise de plus en plus. »
J'ajoutais, en conclusion, qu'il est très difficile, en proposant de diminer
la durée du temps de travail, de donner confiance au pays.
Le 2 novembre 1999, la discussion sur la réduction du temps de travail
revenait devant notre assemblée, et c'est Mme Aubry qui, cette fois, occupait
le banc du Gouvernement.
En raison du caractère dogmatique et massif du dispositif proposé - la « loi
de Robien » semblait bien timide, sinon artisanale, en comparaison ! -, la
majorité du Sénat fut unanime pour s'opposer à ce projet de loi.
Voulant m'exprimer face à un ministre de gauche avec la même franchise, sinon
la même brutalité, que je l'avais fait quelques années auparavant face à deux
ministres de droite, je déclarai alors à Mme Aubry : « Si vous aviez voulu,
madame le ministre, faire une loi qui regarde vers l'avenir et qui vous aurait
fait entrer dans l'histoire, vous auriez dû nous proposer un texte qui protège
les plus démunis et les plus exposés dans le terrible combat qui s'annonce. Or,
loin de cela, le texte que vous présentez aujourd'hui, par son uniformité, par
sa rigidité, par l'intervention des pouvoirs publics dans le contrat privé, va
pénaliser davantage encore les plus faibles. »
La sanction est tombée au printemps dernier : le peuple a jugé.
(M. Weber
s'esclaffe.)
Nous voici donc, pour la quatrième fois en moins d'une décennie, réunis à
nouveau pour discuter un texte relatif au temps de travail. Mais, cette
fois-ci, contrairement à ce que j'ai fait en 1993, 1996 et en 1999,
j'approuverai complètement le texte, monsieur le ministre, parce que la logique
qui vous guide est fondamentalement différente de celles, bien proches les unes
des autres, qui ont mené vos prédécesseurs sur une voie sans issue.
A l'encontre de la démarche choisie par Mme Aubry, qui pensait sincèrement,
sans aucun doute, apporter le bonheur en réduisant le temps de travail de
chacun, vous nous proposez un texte équilibré et subtil. Tous les acteurs, que
ce soient les salariés, les entreprises ou les partenaires sociaux, sont
traités avec respect ; ils pourront faire beaucoup de chemin ensemble, sans
l'aide ni l'intervention des pouvoirs publics, s'ils utilisent avec
intelligence toutes les potentialités de ce texte.
Ainsi, en apportant beaucoup plus de liberté dans la fixation des temps de
travail, définis après négociation et avec responsabilité dans chaque branche,
le Gouvernement reconnaît enfin que les besoins en temps de travail ne sont pas
les mêmes dans une usine où sont fabriquées des chaussures, chez un maçon ou
dans une banque. Cette différenciation liée au métier devra être reconnue au
niveau des branches et se répercuter sur les salaires.
Pour compenser les pertes de pouvoir d'achat imposées aux revenus les plus
faibles par le gouvernement socialiste, vous proposez de faire fortement
évoluer le SMIC et de faire disparaître tous ses clones dès les prochaines
années.
Mais, avec ce sens de l'équilibre qui caractérise fondamentalement votre
texte, vous proposez aussitôt de diminuer substantiellement les charges des
entreprises qui emploient ces smicards, afin que le coût du travail non
qualifié, en particulier dans les entreprises de production soumises à forte
concurrence, n'augmente pas.
En traitant ainsi globalement de la condition du salarié dans notre pays et en
abordant, outre la question du temps de travail, celles des salaires des plus
démunis et du coût du travail, vous entreprenez, monsieur le ministre, de
sortir le char de l'Etat du bourbier dans lequel, il faut le reconnaître, il
s'était enlisé, non pas depuis 1999, mais depuis dix ans.
M. Henri Weber.
Quel poète !
(Sourires sur les travées socialistes.)
M. René Trégouët.
Oh, mais vous serez sûrement meilleur que moi, monsieur Weber !
Tous les acteurs, salariés, entreprises ou partenaires sociaux, y trouveront
leur intérêt.
Il était grand temps, car la dérive de la France dans la compétition mondiale
aurait été irrattrapable.
J'apprécie beaucoup l'humilité et le pragmatisme avec lesquels le gouvernement
de M. Raffarin remplit sa difficile mission.
Ainsi, contrairement à votre prédécesseur, vous reconnaissez, monsieur le
ministre, ne pas détenir la vérité. Vous faites confiance aux partenaires
sociaux, et je suis convaincu que votre secret espoir est de les voir, après
réflexion et expérimentation, choisir les voies les plus pertinentes, ce qui
vous dispensera d'imposer, au nom des pouvoirs publics, une solution forcément
moins bonne que celle qui aura été mûrement réfléchie par l'ensemble des
partenaires.
Cette voie du pragmatisme et de l'humilité est la bonne. Même si, à certains
moments, des vents contraires se lèvent, il vous faudra maintenir le cap. Vous
avez pour cela, monsieur le ministre, à la fois la compétence et la volonté
nécessaires.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bernard Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
dispositions contenues dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui
permettront, en mettant la négociation collective au sein de l'aménagement du
temps de travail, de repartir sur de nouvelles bases. Celles-ci sont
indispensables pour montrer qu'il existe un autre système économique que le
modèle anglo-saxon, dont la fragilité prouve les limites. A raisonner
exclusivement en termes de placements, de profits et de retour sur
investissements, on débouche sur les plans de restructuration dévastateurs dont
l'actualité plus ou moins récente fournit de tristes exemples.
Sur le Vieux Continent, l'économie dite « rhénane » s'appuie sur l'homme, le
produit, le service et la redistribution. Elle ne peut se développer que si les
partenaires sociaux sont mis en mesure de négocier et de trouver des accords
qui fondent à la fois la justice sociale et l'efficacité économique.
Le nouvel équilibre mondial, avec l'émergence d'une Union européenne très
élargie, constituant un bloc en parfaite équivalence avec les Etats-Unis
d'Amérique en termes de population, de puissance de production et de
commercialisation, implique que l'on restaure en France une liberté
d'entreprendre garantissant les droits fondamentaux du travail. Les
organisations au sein desquelles siègent les démocraties les plus puissantes
vont intégrer des pays jusqu'alors mis à l'écart, pour des raisons évidentes de
violation des droits de l'homme. Les défis de demain, pour ne pas dire
d'aujourd'hui, ne peuvent être relevés si la présence de l'Etat est trop
pesante ou si des mesures obligatoires sont appliquées uniformément. Les
propositions contenues dans ce projet de loi, elles, tiennent compte de ces
défis.
Qu'on le veuille ou non, les indicateurs économiques n'incitent pas à un
enthousiasme immodéré. L'incidence de la réduction du temps de travail n'a été
que très relative sur un marché de l'emploi essentiellement soutenu par une
activité dynamique.
Le ralentissement général repousse l'espoir d'un retour au plein emploi et les
entreprises ne voient aucune raison d'investir. Les prévisions sur le taux de
croissance laissent sceptique une population « échaudée » par les analyses de
commentateurs financiers, forcément avertis, qui n'ont pas vu venir
l'effondrement de valeurs pourtant sûres. Cependant, il est indispensable de
rétablir la confiance.
Privilégier la démarche selon laquelle il est toujours préjudiciable de
changer des règles à peine entrées en vigueur me paraît réaliste et sain.
Néanmoins, il convient d'avoir présent à l'esprit que 90 % des entreprises
employant un peu moins de la moitié de l'effectif national des salariés n'ont
pas souhaité avoir recours à la réduction du temps de travail. Parce que les
PME, qui n'emploient souvent que quelques dizaines de personnes, se trouvent
dans l'impossibilité d'appliquer une loi complexe qui ne tient pas compte des
réalités, elles ne peuvent supporter la hausse du coût du travail générée par
le dispositif et elles sont menacées de disparition. Donc, 35 heures il y a, et
le postulat est conservé.
Le Gouvernement a entendu les entrepreneurs demander un assouplissement de
cette durée légale maintenue. Le desserrement des heures supplémentaires est à
la fois une variable d'ajustement indispensable pour la fluctuation de
l'activité et un apport de rémunération apprécié des salariés. C'est par la
négociation que les partenaires sociaux parviendront à l'ajustement
nécessaire.
J'ai souhaité, par voie d'amendement, compléter le dispositif qui nous est
soumis, notamment avec une disposition qui, me semble-t-il, a parfaitement sa
place dans ce texte : effectuer ou non des heures supplémentaires,
éventuellement lors des ouvertures de magasin le dimanche - ce qui est encore
sujet tabou pour certains -, relève de la liberté individuelle, chacun devant
pouvoir gérer sa vie comme il l'entend. On a trop souvent voulu faire croire
que la pression du patronat s'assortissait du repérage des récalcitrants, qui
écopaient alors de sanctions. Mais on peut aussi choisir de travailler pour
obtenir ce que l'on privilégie, et la rémunération est, dans nos sociétés qui
ne sont pas fondées sur le troc, le moyen d'y parvenir !
Par ailleurs, l'adhésion au dispostif proposé en matière de temps de travail
supplémentaire négocié et accepté ne sera acquise qu'au prix du respect d'un
équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Cette recherche
d'adéquation suscite chez les cadres quelques inquiétudes si le forfait jour
est proposé sans discernement à toutes les catégories. Certaines ne doivent pas
être lésées du fait de leurs conditions de rémunération ! Or ce serait
notamment le cas pour 23 % de la population des cadres rémunérés en dessous du
plafond de la sécurité sociale, et il faut aussi parler de ceux dont
l'implication dans la recherche, dans l'aboutissement de travaux non sécables
ou dans la négociation de marchés extérieurs génère une accumulation de jours
de RTT impossibles à prendre accolés, ou même isolément.
L'harmonisation des SMIC est une mesure incontournable. Il est inconcevable,
pour une démocratie, de mettre de côté ceux dont le niveau de vie est le plus
vulnérable. La référence de base a été perdue, la complexité des niveaux a
généré une multiplication des taux ; finalement, ce sont les plus modestes qui
ont vu leur pouvoir d'achat diminuer. Il faut quand même le dire, car les
responsables de gauche sont très manichéens.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Bernard Joly.
A eux le monde de la générosité, du désintéressement et de la défense des
démunis, à la droite le soutien du pouvoir de l'argent asservissant
l'individu.
M. Henri Weber.
Mais non !
M. Bernard Joly.
Il faut rompre cette utopie. La gauche a fait du mal aux plus vulnérables
d'entre nous !
C'est pourquoi l'allégement des charges sur les emplois les moins qualifiés
constitue un instrument majeur. Ce n'est pas un cadeau aux entreprises, c'est
une chance donnée à ceux qui ont le plus de difficultés à rejoindre une
communauté active et un atout pour le pays afin d'accéder dans de bonnes
conditions à une Europe dont la crédibilité et le poids dépendent de la
solidité de ses composantes.
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que le surcoût pour les finances
publiques serait intégralement compensé pour les régimes de sécurité sociale.
Pourrait-on en savoir plus ?
Je souhaite très sincèrement, monsieur le ministre, que cette nouvelle
orientation de la politique économique et sociale de notre pays porte ses
fruits. Notre Haute Assemblée, par ses apports, espère y contribuer avec vous.
C'est dans cet esprit que j'ai déposé un certain nombre d'amendements, et un
avis favorable du Gouvernement à leur encontre me serait particulièrement
agréable.
(Sourires.)
Il convient de rompre le cycle actuel. En effet, l'économie se venge toujours
des mauvaises décisions politiques. Les trois fautes graves qui ont marqué ces
récentes années - l'instauration des 35 heures, le maintien en l'état du régime
des retraites et la création des emplois-jeunes - ont laissé des traces, créé
une fragilité et constitué des contentieux dont l'activité du pays traînera
encore longtemps les handicaps.
(Applaudissements sur les travées du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
Hélas !
M. le président.
La parole est à M. Henri Weber.
M. Henri Weber.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme un
certain nombre d'entre nous, j'ai participé, en mars 1998, au débat sur ce qui
allait devenir la première loi Aubry, et je me souviens des propos que nos
excellents collègues de la majorité sénatoriale ont tenus du haut de cette
tribune.
M. Jean Chérioux.
C'était prophétique !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Cela s'est révélé exact !
M. Henri Weber.
Selon eux, la loi sur les 35 heures allait casser notre croissance
économique,...
M. Eric Doligé.
C'est le cas !
M. Henri Weber.
... compromettre durablement la compétitivité de nos entreprises,...
M. Jean Chérioux.
C'est le cas !
M. Henri Weber.
... détourner les Français du travail et de la valeur « travail » au profit de
l'oisiveté, mère de tous les vices,...
M. Jean Chérioux.
Bravo !
M. Henri Weber.
... produire finalement le contraire de l'effet recherché. Cette loi allait
accroître le chômage au lieu de le réduire et étendre la pauvreté au lieu de la
résorber. Bref, c'était un bel exemple d'effets pervers.
M. Jean Chérioux.
Elle n'a pas résorbé la pauvreté !
M. Henri Weber.
Cinq ans plus tard, mes chers collègues, force est de constater - et nous nous
en réjouissons ! - qu'aucune de ces prophéties de malheur ne s'est vérifiée.
Notre croissance économique n'a pas été entravée : elle s'est révélée, au
contraire, avec 3 % par an en moyenne, la plus forte de celle des pays de la
zone euro.
La compétitivité de nos entreprises n'a pas été compromise : elle a été, au
contraire, améliorée, notamment grâce à l'amélioration de la productivité.
Nos exportations se sont accrues et notre balance commerciale est restée
fortement excédentaire,...
M. Jean Chérioux.
Elle est « restée » excédentaire !
M. Henri Weber.
... ce qui prouve que la compétitivité a été maintenue.
L'investissement n'a pas été découragé : il a, au contraire, atteint des
sommets, avoisinant 8 à 10 % en 1998, 1999 et 2000, pour s'établir à 5,3 % par
an sur la législature.
L'attractivité du site « France » n'a pas été ternie : notre pays s'est placé,
au contraire, au troisième rang dans le monde pour l'accueil des
investissements étrangers directs.
M. Jean Chérioux.
Et le rapport Charzat ?
M. Henri Weber.
L'emploi n'a pas été plombé : deux millions d'emplois supplémentaires...
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Aidés !
M. Henri Weber.
... ont été, au contraire, créés en cinq ans, dont quatre cent mille sont
directement dus à l'application des 35 heures.
Les Français ne se sont pas détournés du travail, au contraire : neuf cent
mille d'entre eux y sont retournés en quittant l'ANPE, et la masse des heures
de travail a augmenté de 9 %.
Les Français ne se sont pas détournés non plus de la valeur « travail » : ce
qui pourrait les détourner de cette valeur, mes chers collègues, ce n'est pas
la réduction de la durée du travail, c'est l'expérience traumatisante du
chômage de longue durée, des emplois précaires sous-rémunérés et la
surexploitation. Voilà ce qui atteint de plein fouet la valeur « travail » ! Ce
n'est pas la réduction du temps de travail ! Ou alors il vous faudra, mes chers
collègues, revenir sur la conquête des 40 heures pour retrouver les durées ô
combien favorables de nos aïeux !
Monsieur le ministre, c'est en faisant reculer ces trois fléaux que sont le
chômage de masse et de longue durée, le travail précaire qui s'étend et le
travail sous-rémunéré que vous réhausserez la valeur « travail » dans notre
pays.
Les Français ne se sont pas davantage appauvris : la consommation des ménages,
dopée par la reprise de l'emploi, a augmenté de 3 % par an et elle a constitué
l'un des moteurs les plus puissants de notre croissance économique.
La catastrophe annoncée ici même par nombre de nos collègues de l'actuelle
majorité ne s'est donc pas produite, bien au contraire.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Demandez à Jospin !
M. Henri Weber.
Cela étant, tout bilan honnête doit être contrasté.
Gilbert Chabroux rappelait à l'instant que 59 % des salariés qui sont passés
aux 35 heures, c'est-à-dire pratiquement les deux tiers, se déclarent
satisfaits. Cela fait tout de même 31 % qui ne le sont pas,...
M. Jean Chérioux.
Non, 41 % !
M. Henri Weber.
... dont 13 % se disent carrément mécontents or, 13 % de neuf millions, mes
chers collègues, cela fait tout de même beaucoup de monde !
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Henri Weber.
Nous savons que, là où le passage aux 35 heures a été mal négocié du fait de
l'absence ou de la faiblesse des syndicats ou pour d'autres raisons, il y a eu
des abus et des détournements de l'esprit de la loi et, en effet, quelquefois,
une augmentation de la précarité et de la surexploitation.
Nous savons aussi que beaucoup de salariés aux revenus modestes préfèrent
souvent faire des heures supplémentaires plutôt que de voir réduire leur temps
de travail.
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Henri Weber.
Mais ce qui leur était proposé, en 1997, face à un chômage massif qui touchait
3,5 millions de nos concitoyens, c'était justement de faire du recul du chômage
la priorité des priorités, au prix d'une modération salariale. Ce contrat a été
accepté, c'était celui sur lequel Lionel Jospin a gagné les élections
législatives de 1997.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Mais il a perdu l'élection suivante !
M. Henri Weber.
Evidemment, lorsque la perspective du plein emploi est apparue à nouveau à
portée de main, les aspirations ont changé de nature - c'est un phénomène que
l'on connaît bien - et elles se sont déplacées vers les rémunérations, nous en
sommes tout à fait conscients. Nous ne sommes pas des dogmatiques, mais des
pragmatiques,...
M. Jean Chérioux.
C'est un scoop !
M. Didier Boulaud.
Il y en a dans tous les camps !
M. Henri Weber.
... et nous avons reconnu très vite la nécessité de certaines adaptations dans
l'application des 35 heures, en particulier dans les petites entreprises ; nous
avons pris les mesures nécessaires en termes d'assouplissement et d'adaptation,
mesures que vous vous contentez d'ailleurs pour l'instant de proroger avant de
faire voter les vôtres.
Nous aurions préféré, évidemment, procéder à la réforme du temps de travail
par la négociation collective plutôt que par la loi. Mais la négociation sur la
réduction du temps de travail était bloquée en France depuis 1982, vous le
savez bien.
Ce ne sont pas les maigres résultats de la loi de Robien, rappellés ici même
par mon précédesseur à cette tribune - 2 300 accords concernant quelques
centaines de milliers de salariés -, qui auront permis de réviser ce constat.
Aussi avons-nous dû adopter une démarche en deux temps : d'abord une loi-cadre
en 1998, ouvrant une phase de négociation intensive - plus de 100 000 accords
ont été signés - puis une loi validant le résultat de ces négociations.
Mais les adéquations et les assouplissements que nous préconisons pour la loi
sur les 35 heures diffèrent radicalement de ce que vous nous proposez
aujourd'hui. Ils visent à améliorer cette loi, que nous considérons comme une
grande conquête sociale de notre peuple, et non à l'abroger, ce qui est la
finalité de votre texte, comme Gilbert Chabroux l'a brillamment démontré.
Votre projet cumule trois défauts majeurs.
En premier lieu, il va créer une France salariale à deux vitesses : les neuf
millions de salariés qui sont déjà passés aux 35 heures y resteront, car ils
sont attachés à cet acquis et sont bien décidés à le défendre. Mais l'autre
moitié des salariés, qui n'y est pas encore - essentiellement le salariés des
petites entreprises - n'y passera sans doute pas sous votre gouvernement, car
vous avez annulé toutes les mesures incitant à ce passage : le repos
compensateur, la forte majoration du coût des heures supplémentaires,
l'allégement des charges conditionné à la mise en oeuvre des 35 heures.
Cette discrimination entre deux salariats augmentera les difficultés de
recrutement de branches entières : je pense aux branches artisanales, aux
métiers de bouche, aux entreprises du bâtiment, qui éprouvent déjà beaucoup de
difficultés à trouver des jeunes pour travailler dans ces conditions.
En deuxième lieu, votre projet va aggraver la condition des salariés : en
majorant de 10 % seulement les heures supplémentaires, vous condamnez les
salariés à travailler plus si leur patron l'exige - car ce sont les patrons qui
exigent les heures supplémentaires, ce ne sont pas les salariés ! - alors même
qu'ils ne seront pas payés davantage.
En supprimant du code du travail toute référence aux 35 heures au profit de la
seule mention des 1 600 heures par an, vous favorisez les procédures
d'annualisation et la flexibilité du travail, qui est souvent l'autre nom de la
précarité du travail.
En dernier lieu, en décourageant le passage aux 35 heures et en encourageant,
au contraire, le recours aux heures supplémentaires, votre projet va aggraver
le chômage à un moment où tous les moyens de le contenir méritent, au
contraire, d'être pleinement mobilisés. Je pense, en particulier, aux contrats
emploi solidarité, que vous voulez réduire d'un tiers, aux bourses d'accès à
l'emploi, que vous vous apprêtez à supprimer, au programme TRACE, qui a
démontré son efficacité mais dont nous ne savons pas quel sort vous lui
réserverez, aux emplois-jeunes, que vous arrêtez sans être véritablement
assurés de l'efficacité des contrats que vous leur substituez.
Commentant votre politique, M. Ernest-Antoine Seillière.
M. Didier Boulaud.
Le baron !
M. Henri Weber.
... le baron - mais un baron qui aime rire - a déclaré : « Ce gouvernement
n'avance peut-être pas dans le bon sens ; en tous les cas, il recule dans la
bonne direction. »
M. Didier Boulaud.
Les yeux fermés !
M. Henri Weber.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues, que les
socialistes que nous sommes ne souhaitent pas reculer avec vous dans la
direction qui sied au président du MEDEF. C'est pourquoi nous voterons contre
votre projet de loi.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre.
Monsieur le président, je voudrais d'abord remercier le Sénat
pour le débat que nous venons d'avoir, tout particulièrement M. le
rapporteur.
M. Souvet a défendu le projet du Gouvernement en montrant bien qu'il était le
fruit d'une concertation avec les partenaires sociaux, qu'un équilibre était né
de cette concertation et qu'il ne devait pas être trop profondément bouleversé
par la discussion parlementaire sous peine de risquer de nous placer en dehors
du contrat qui a résulté de nos discussions.
Ce texte, vous l'avez bien dit, monsieur Souvet, n'est ni celui du MEDEF ni
celui des organisations syndicales.
J'ai bien noté aussi les critiques de l'opposition sur le fait qu'aucune
organisation syndicale - sauf une - n'aurait donné son accord. C'est une telle
conception de la négociation que le gouvernement précédent a tout simplement
renoncé à discuter avec les organisations syndicales !
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Car si l'on exige de la
négociation qu'elle satisfasse les revendications de l'ensemble des partenaires
sociaux, on ne peut qu'aller à l'échec !
J'ai écouté les partenaires sociaux. La discussion que j'ai eue avec eux m'a
permis de déterminer ce que je crois être aujourd'hui la ligne de l'intérêt
général.
Des critiques ont été formulées sur le texte de base - celui que nous avions
présenté aux partenaires sociaux - par les uns et par les autres, par les
organisations syndicales et par les représentants des entreprises. Nous les
avons prises en compte chaque fois que c'était possible, chaque fois que le
retrait des dispositions n'entamait pas l'équilibre général du texte, ne
faisait pas pencher les choses de manière excessive d'un côté ou de l'autre.
C'est en ce sens que le projet de loi est le résultat d'une concertation,
c'est en ce sens que je maintiens mon affirmation selon laquelle derrière le
mur apparent des critiques, les dispositions que nous présentons aujourd'hui
suscitent, de la part des partenaires sociaux, une attitude qui, certes, est
critique sur un certain nombre de points, mais qui est positive sur d'autres,
ce qui montre bien que le choix que le Gouvernement a fait ouvre des espaces de
négociation, des espaces de dialogue dont, demain, ils se saisiront.
Je remercie aussi M. le rapporteur d'avoir bien voulu appeler à la relance des
négociations sur les minima conventionnels, question fondamentale qui reste
pendante depuis de nombreuses années et que, évidemment, les lois sur les 35
heures n'ont pas résolue, au contraire. Je compte sur son soutien et sur celui
du Sénat pour m'aider à convaincre les partenaires sociaux d'engager les
discussions sur ce point.
Je remercie la majorité d'avoir mis l'accent sur la cohérence de notre
politique économique et financière et d'avoir remarqué avec nous qu'elle était
différente de celle qu'avait conduite le gouvernement précédent.
Oui, nous avons décidé de changer de politique de l'emploi ! Oui, nous avons
décidé de changer de politique économique et de politique sociale ! Les
critiques que l'opposition a formulées sur ce changement m'amènent à dire
quelques mots sur la politique de l'emploi et sur la politique économique du
gouvernement précédent.
En dépit d'une croissance inédite, sa politique ne s'est caractérisée ni par
une grande originalité, ni par une grande clarté, ni par une grande
efficacité.
Elle s'est tout d'abord appuyée sur les recettes traditionnelles, et souvent
conjoncturelles, de la lutte contre le chômage : embauches dans la fonction
publique, emplois-jeunes, emplois subventionnés et de solidarité.
Contrairement à ce que vous affirmez, mesdames, messieurs les sénateurs de
l'opposition - comme si, au fond, vous le souhaitiez pour pouvoir mieux asseoir
vos critiques -, le Gouvernement ne réduira pas d'un tiers le nombre des
contrats aidés. En fait, il a décidé d'adapter la politique en la matière aux
réalités de la situation économique et de la situation de l'emploi.
La conception de la politique de l'emploi du précédent gouvernement a certes
quelque utilité, mais n'a rien de très ambitieux puisqu'elle n'augmente pas
l'offre d'emplois de l'appareil économique et productif français.
Cette politique s'est appuyée aussi sur une réduction brutale du temps de
travail dont les résultats, en termes d'emplois, sont peu concluants : 300 000
emplois créés ou consolidés ! Or nul n'est véritablement en mesure de préciser
si ces emplois sont dus à la croissance ou aux allégements de charges. Et nul
n'est en mesure non plus d'évaluer le nombre d'emplois qui auraient été créés
si la règle des 35 heures n'avait pas été systématisée de façon aussi
rigide.
Puisque vous avez de bonnes lectures, je ne résiste pas au plaisir de vous
lire le passage du rapport de la DARES sur l'impact de la réduction du temps de
travail sur l'emploi de 1996 à 2001 inclus, que vous avez cité tout à l'heure
:
« L'observation comparée des entreprises passées à 35 heures et de celles
restées à 39 heures sur la base des données de l'enquête trimestrielle...
permet d'estimer à 300 000 les créations imputables à la réduction du temps de
travail et aux allégements de charges qui l'ont accompagnée, soit une
contribution de 18 %... »
« Il n'est sans doute pas indifférent de relever la coïncidence entre les
besoins en main-d'oeuvre ressentis par les entreprises au cours des dernières
années, qui ont été des années de croissance de la demande, et l'opportunité
offerte par l'Etat de soutenir les embauches correspondantes à l'occasion de la
mise en place des 35 heures,
via
les allégements de charges. »
Il est bon également de rappeler que la politique économique et sociale de nos
prédécesseurs a aussi beaucoup emprunté au libéralisme, à ce libéralisme qu'on
nous oppose tant aujourd'hui. J'en veux pour preuve l'accélération des
privatisations : il n'y en a jamais eu autant que sous le précédent
gouvernement ! L'enclenchement de la baisse de l'impôt sur le revenu en 2000,
l'allégement des charges sociales, que M. Roland Muzeau a critiqués tout à
l'heure, sont aujourd'hui vilipendés par une partie de la gauche, alors qu'ils
ont été largement - j'ai envie de dire : un peu cyniquement - utilisés par la
gauche elle-même pour financer en partie sa politique dite « sociale ».
En réalité, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est surtout la croissance
mondiale qui aura permis à nos prédécesseurs d'afficher des résultats en termes
d'emplois et de masquer les conséquences d'une politique qui s'est refusée à
tout renouveau intellectuel et à toute véritable réforme de structure.
C'est en cela que nous pouvons dire aujourd'hui que la croissance a été mal
exploitée. Les résultats sont là.
Vous avez dit tout à l'heure que la France était le pays qui avait le mieux
fait en matière de réduction du chômage. La France se situait au douzième rang
avant, elle est au douzième rang après ! Comment pouvez-vous dire que nous
aurions, avec les 35 heures, avec le retour massif aux emplois aidés, mieux
fait que les autres alors que finalement nous occupons toujours la même
position ?
En réalité, la performance française en matière de création nette d'emplois
marchands ne s'est pas écartée de la moyenne européenne - la France est partie
d'une position basse - malgré le recours à des politiques qu'aucun autre pays
européen n'a voulu mettre en oeuvre, comme l'a fait remarquer tout à l'heure M.
Fourcade.
Les réformes des retraites et de l'Etat n'ont pas été engagées et tout reste à
faire ! Nos prélèvements obligatoires continuent de se situer au-dessus de la
moyenne européenne et tout reste à faire ! Les déficits ont fortement dérapé en
2002 et tout reste à faire ! Malgré quatre ans de forte croissance, le taux de
pauvreté a atteint les 11 % et tout reste encore à faire !
Mais, au-delà de la polémique, les critiques formulées contre ce projet de loi
et contre le Gouvernement posent de vraies questions. Comment mieux orienter
notre politique de l'emploi ? Quelle orientation privilégier face à
l'augmentation continue du chômage depuis un an et demi ?
L'expérience et les chiffres démontrent que les recettes traditionnelles, sans
être inutiles, ne sont pas à la hauteur de nos espérances. D'où la nécessité
d'agir avec pragmatisme, mais aussi en cherchant à enrichir notre approche, en
trouvant d'autres leviers pour combattre le chômage.
Le Gouvernement sait bien que les personnes qui sont éloignées du travail
trouvent dans les contrats aidés par l'Etat un moyen de construire un parcours
vers l'emploi. Ces instruments de traitement social du chômage seront donc
utilisés, mais de façon ajustée.
Oui, donc, à un traitement social du chômage ajusté et ciblé, mais notre
principale ambition est bien de soutenir la création de vrais emplois offrant
de réelles perspectives professionnelles.
La première illustration de cette ambition, c'est la loi portant création d'un
dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise que vous avez
soutenue et votée.
Le deuxième volet de notre politique de l'emploi s'appuie précisément sur le
projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Il tend à donner plus d'oxygène
à notre économie et plus de pouvoir d'achat aux salariés les plus modestes. Il
s'inspire en premier lieu de la conviction, étayée par l'expérience, que les
baisses de charges patronales, orientées sur les bas salaires, sont efficaces
contre le chômage.
Le chômage touche, en effet, principalement les personnes les moins
qualifiées. Ce n'est pas anormal, compte tenu des effets de la globalisation de
l'économie qui font que, naturellement, les pays en voie de développement
aspirent au développement, se construisent progressivement un outil de
production industriel et viennent naturellement en concurrence avec nos
productions, en particulier dans les secteurs qui emploient une main-d'oeuvre
nombreuse et peu qualifiée.
Vous savez que le chômage dépasse aujourd'hui 14 % parmi les personnes dont le
niveau d'études est inférieur au second cycle de l'enseignement secondaire,
alors qu'il est de 5,7 % parmi celles qui ont suivi un enseignement
supérieur.
Lorsque la conjoncture est difficile, les moins qualifiés sont les premiers
exposés. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité, avec
l'harmonisation des SMIC et la reconfiguration du dispositif d'allégement de
charges sur les bas salaires et les salaires moyens, peser à la fois sur le
coût du travail et sur le pouvoir d'achat des salariés pour relancer notre
machine économique et donner à nos entreprises des moyens de mieux résister à
cette concurrence, au moins le temps que notre économie soit capable de
s'adapter aux conséquences de la mondialisation.
Bien entendu, celle-ci continuera de produire ses effets, parce qu'elle va
dans le sens de l'histoire. Que des pays pauvres veuillent se doter d'appareils
de production constitue pour nous un vrai défi à relever, mais personne ne peut
contester que cette réalité va dans le sens de l'histoire et du progrès à
l'échelle du monde.
La France a été, en 1993, l'un des premiers pays en Europe à expérimenter une
réduction générale des cotisations sociales. Depuis, d'autres ont suivi et, que
ce soit en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne ou en Italie, les résultats
observés ont toujours été positifs.
Les économistes considèrent que les allégements de charges ont permis
d'enrichir la croissance en emplois. Grâce à ces allégements, le seuil de
croissance à partir duquel l'économie française est créatrice nette d'emplois
serait passé de 2,5 % à 1,5 % dès 1994.
La baisse du nombre d'emplois peu qualifiés a été enrayée et la part des
emplois peu qualifiés dans le total des emplois, après avoir baissé de sept
points de 1983 à 1994, a recommencé à croître légèrement à partir de cette
date. Cette inversion de tendance est un phénomène important, non seulement
d'un point de vue économique, mais également pour notre cohésion sociale. Nous
ne pouvons pas accepter que les progrès de notre économie laissent les moins
armés dans la compétition sur le bord du chemin.
Voilà l'esprit général qui anime notre politique de l'emploi, qui a été à la
fois l'objet du soutien de la majorité et des critiques vives de l'opposition.
Nous continuerons à avoir ce débat. Mais, pour finir sur ce sujet, je souhaite
m'expliquer sur une question qui m'a été posée à plusieurs reprises, notamment
à l'Assemblée nationale, et qui recevra toujours la même réponse de ma part.
Elle se résume en ces termes : « Combien d'emplois allez-vous créer ? »
Telle est donc la conception que l'opposition a de l'économie. A ses yeux, il
appartient au Gouvernement de décider du nombre d'emplois qu'il entend
créer.
On l'a bien vu au moment des débats que rappelait à l'instant M. Weber : 750
000 emplois, tel était l'objectif de Mme Aubry grâce à la réduction du temps de
travail, 600 000 emplois-jeunes, mais aussi 300 000 dans le secteur public et
300 000 dans le secteur privé, c'était l'objectif.
On a vu le résultat ! L'emploi ne se décrète pas !
Pour ma part, j'aborde cette question avec une grande humilité. Je cherche
simplement à redonner aux entreprises les libertés qui vont leur permettre de
se développer. Je cherche à redonner à notre territoire de l'attractivité par
rapport notamment aux autres territoires européens. Je cherche enfin à redonner
aux salariés l'envie de se dépasser, de travailler et de se dire que, s'ils
travaillent, ils pourront recueillir les fruits de leurs efforts.
Plusieurs membres du Sénat m'ont interrogé sur le sujet de l'astreinte. Je
veux, une nouvelle fois, éclairer votre assemblée sur l'objectif de
l'amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale et que le Gouvernement
a soutenu.
Cet amendement reprend, mot pour mot - j'y insiste - les termes d'une
circulaire signée par Mme Aubry le 3 mars 2000 et prise en application de la
loi du 19 janvier 2000. Il s'agissait effectivement, pour le gouvernement
précédent, d'expliquer et de préciser l'impact de la loi en matière
d'astreinte, alors que se dessinait une jurisprudence qui s'écartait
manifestement de la volonté qui avait été celle du Gouvernement.
Il ne s'agit pas d'assimiler l'astreinte à un temps de repos, ni de revenir
sur les accords qui ont été négociés ou qui pourront l'être demain pour faire
en sorte que l'astreinte, quelles que soient les conditions dans lesquelles
elle se situe, soit rémunérée en tant que telle. Il s'agit simplement de faire
en sorte que l'astreinte ne soit pas invoquée, lorsqu'il n'y a pas eu
d'intervention, dans le décompte des temps de repos hebdomadaire et journalier.
C'est le seul objectif de cet amendement, comme c'était le seul objectif de la
circulaire de Mme Aubry, circulaire que je tiens, bien entendu, à la
disposition de tous ceux qui souhaiteraient s'informer sur ce sujet.
Plusieurs d'entre vous ont dit, notamment sur les travées de l'opposition, et
c'est bien normal, que le décret fixant le contingent d'heures supplémentaires
à 180 heures n'avait pas fait l'objet de discussion avec les organisations
syndicales et que sa publication en plein débat montrait que le Gouvernement
n'avait pas de considération pour le Sénat. C'est évidemment tout le contraire
!
D'abord, c'était déjà, dans le passé, un décret et non la loi qui avait fixé à
130 heures le contingent des heures supplémentaires.
Ensuite, le décret a été annoncé aux partenaires sociaux lors d'une réunion de
la Commission nationale de la négociation collective, le 6 septembre. Il a été
confirmé lors de la présentation du projet de loi en conseil des ministres, le
18 septembre, et il a été remis aux commissions compétentes lors de
l'engagement du débat.
Il fallait sortir ce décret rapidement dans l'intérêt général et dans
l'intérêt des entreprises et des salariés pour, sans attendre, permettre aux
entreprises qui n'ont pas d'accord dans ce domaine de s'engager, si elles le
souhaitent, dans la voie de l'augmentation du contingent d'heures
supplémentaires, même si - cela va sans dire - la durée de 180 heures n'est pas
applicable à l'ensemble de l'année 2002, le décret n'ayant pas d'effet
rétroactif. Il convient de proratiser cette durée pour les dernières semaines
de 2002, puisque c'est en général à la fin de l'année que l'on fait le décompte
des heures supplémentaires.
Enfin, ce décret ne rend pas la négociation caduque, bien au contraire. En
effet, c'est en partie en fonction des résultats de la négociation et des
discussions dans les entreprises et dans les branches, et après avis du Conseil
économique et social, que le Gouvernement fixera de manière définitive le
contingent d'heures supplémentaires. Si nous avons annoncé qu'il y aurait une
discussion sur ce sujet dans dix-huit mois, c'est bien parce que nous ne
voulons pas fermer la porte à la négociation !
Plusieurs intervenants ont, parfois de manière assez goguenarde, évoqué la
structure interministérielle que nous mettons en place pour faire face aux
conséquences des plans sociaux. Je ne suis pas sûr qu'ils aient été bien
inspirés de le faire, d'abord parce que nous avons tous eu à vivre, ces
dernières années, les conséquences de plans sociaux.
Tout à l'heure a été évoqué l'exemple de Moulinex. Il se trouve que, en tant
qu'ancien président de la région Pays de la Loire et ancien président du
conseil général de la Sarthe, j'ai connu deux crises Moulinex. Je suis donc
bien placé pour vous dire que l'absence de coordination entre les services de
l'Etat, l'absence d'une réponse globale de l'Etat, à la fois sociale et
économique, l'absence d'une coordination suffisamment organisée sur le terrain,
l'absence de coordination entre l'Etat et les collectivités locales ont eu,
bien évidemment, des conséquences sur la mise en oeuvre de ces plans
sociaux.
On peut railler la personne que nous avons désignée pour animer cette
coordination interministérielle en la traitant de « monsieur licenciement »
mais, en cas de crise, nombre d'entre vous seront heureux qu'une structure leur
permette d'avoir un accès direct à l'Etat de manière à envisager toutes les
conséquences de ces plans sociaux, notamment en termes de reclassement des
salariés et de réindustrialisation des bassins d'emplois.
Nous, nous ne voulons pas apporter à la question des restructurations
industrielles une réponse sous forme de garanties formelles. Nous ne voulons
pas non plus rester impuissants, comme l'avait été M. Jospin, alors Premier
ministre, à la suite de l'annonce de la fermeture de l'usine de Vilvorde ou
lors de l'affaire Moulinex.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. François Fillon,
ministre.
Nous pensons, en effet, que les garanties formelles figurant
dans la loi de modernisation sociale n'apportent aucune véritable sécurité aux
salariés, et cela se vérifie tous les jours.
Je l'ai dit au Sénat la semaine dernière, les plans sociaux ont augmenté de 40
% au cours seulement des cinq premiers mois de l'année 2002. Nous, nous pensons
que c'est aux partenaires sociaux de se mettre d'accord entre eux sur la
meilleure façon de gérer les conséquences de ces restructurations industrielles
qui sont, malheureusement, vous le savez bien, inévitables.
Une autre critique faite par plusieurs d'entre vous portait sur le fait que ce
projet créerait un système à deux vitesses. Mesdames, messieurs les sénateurs
de l'opposition, il fallait y penser quand vous avez voté le texte ! Qui
pouvait imaginer un instant qu'un jour les artisans, les commerçants, les
agriculteurs, les professions libérales, les travailleurs indépendants, les
petites entreprises auraient accès aux 35 heures ? Personne ! D'ailleurs, à
l'origine, le texte n'avait pas été conçu pour cela. Il n'avait même pas été
conçu pour la fonction publique. La France a deux vitesses, dans ce domaine-là,
c'est d'une certaine manière vous qui l'avez mise en oeuvre !
M. Alain Gournac.
Exact !
M. François Fillon,
ministre.
Il est vrai que le projet que nous proposons aujourd'hui ne
permet pas d'effacer les conséquences de ces décisions !
Il est une mesure que nous avons reprise car nous l'avions trouvée plutôt
bonne, c'est celle qui consistait à permettre aux entreprises de moins de vingt
salariés de ne pas appliquer le texte sur les 35 heures jusqu'à la fin de cette
année. Nous prolongeons de trois ans cette dérogation qui avait été accordée
par le gouvernement précédent.
Vous pouvez toujours dire que c'est trop long, mais vous ne pouvez quand même
pas aller jusqu'à critiquer, comme vous l'avez fait tout à l'heure, une mesure
que vous avez vous-mêmes portée et supportée !
Cela étant dit, peut-on penser que va perdurer une situation dans laquelle les
entreprises françaises ont des conditions de travail différentes ? Je ne le
crois pas. Pour ma part, je compte sur la négociation dans les branches pour
que, progressivement, la situation des petites entreprises se rapproche, autant
que possible, de celle des grandes entreprises. Si les petites et moyennes
enteprises connaissaient cette situation trop longtemps, alors que les
conditions démographiques peuvent provoquer des tensions sur le marché du
travail, elles risqueraient de rencontrer des difficultés pour recruter du
personnel qualifié.
Mais c'est aux entreprises, dans les branches, de trouver les bonnes réponses
à cette question. Rien ne les empêche d'ailleurs de prendre aujourd'hui les
mesures qu'elles entendent. Nous leur proposons, simplement, un cadre minimal à
partir duquel c'est à elles de décider.
Je voudrais remercier M. Fourcade d'avoir rappelé au Sénat que nous étions en
Europe et que nous avions mis en place une monnaie unique. Certains d'entre
vous y étaient favorables ; d'autres - dont je faisais partie - étaient plus
critiques.
M. Emmanuel Hamel.
Et vous aviez raison !
M. François Fillon,
ministre.
Ils pensaient en effet que l'harmonisation sociale et
l'harmonisation fiscale étaient un préalable nécessaire à l'euro.
Nous avons aujourd'hui la monnaie unique. Il nous faut maintenant travailler à
l'harmonisation fiscale et à l'harmonisation sociale qui sont indispensables,
faute de quoi notre territoire deviendrait de moins en moins attractif en
Europe et les comparaisons avec les autres pays seraient de plus en plus rudes
à soutenir. Je remarque d'ailleurs qu'aucun autre pays européen, qu'il soit
géré par la gauche ou par la droite, ne s'est aventuré sur la voie sans issue
que sont les 35 heures.
L'écart dans le temps de travail entre les différents pays européens pose
aujourd'hui un vrai problème économique.
M. Henri Weber.
Et la productivité ?
M. François Fillon,
ministre.
En Grande-Bretagne, pays qui n'est pas passé à la monnaie
unique, le temps de travail moyen est supérieur à 45 heures, comme me le
disait, voilà quelques jours, le ministre britannique du travail - un ministre
de gauche -, qui était de passage à Paris. Bien entendu, je souhaite une
diminution du temps de travail - il pensait la même chose d'ailleurs.
Pourrons-nous éternellement connaître une monnaie unique et un espace
économique européen avec des différences aussi importantes en ce qui concerne
le temps de travail ? Je ne le crois pas.
J'essaie, à la place qui est la mienne, de faire en sorte que la Convention
pour l'avenir de l'Europe, présidée par M. Valéry Giscard d'Estaing, prenne en
compte la dimension sociale dans la construction européenne. Il y a là un
équilibre à trouver avec l'ensemble des acteurs économiques.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je n'ai pas encore
fait référence, et vous me le pardonnerez, à l'intervention de M. Chabroux.
Pourtant, elle m'a posé plusieurs problèmes.
M. Alain Gournac.
C'est intéressant !
M. François Fillon,
ministre.
J'ai d'abord commis l'erreur d'interrompre M. Chabroux : je me
suis rendu compte assez rapidement que c'était ce qu'il cherchait !
M. Gilbert Chabroux.
Non !
M. François Fillon,
ministre.
Son intervention a été non seulement provocatrice, voire
parfois quelque peu insultante à l'égard du Gouvernement, notamment du ministre
qui défend ce texte, mais surtout truffée d'erreurs manifestes et de
caricatures. Je n'en citerai que deux pour éclairer la Haute Assemblée.
Emporté par son élan, M. Chabroux a souligné que nous avions décidé de baisser
à 10 % le taux de bonification des quatre premières heures supplémentaires. On
sait ce qu'il en est puisque c'est une décision que vous aviez appuyée en son
temps, monsieur le sénateur. Vous avez même ajouté pour que la coupe soit
pleine : « Et les suivantes » ! Eh bien non, monsieur Chabroux, parce que,
au-delà des quatre premières heures, c'est de nouveau la règle des 25 % qui
s'applique.
Vous avez dit ensuite qu'on pourrait faire travailler les gens sept jours sur
sept. Non, monsieur Chabroux : la loi relative aux 35 heures prévoit un repos
obligatoire et continue de s'appliquer.
M. Gilbert Chabroux.
Je n'ai pas dit cela ! J'ai parlé des astreintes !
M. François Fillon,
ministre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plutôt que de répondre à
toutes les critiques émises par M. Chabroux, je préfère laisser à la gauche le
soin de le faire. Je citerai simplement quelques interventions de ses amis sur
les 35 heures.
En juillet dernier, M. Lang s'emportait contre « les risques d'une législation
trop rigide et d'une application trop rapide ».
En juin 2002, M. Kouchner, avec beaucoup de franchise, précisait : « La façon
dont les 35 heures ont été mises en place et ressenties a été l'une des causes
fortes de l'échec de la gauche. »
M. Alain Gournac.
Tiens !
M. François Fillon,
ministre.
« Dans la campagne, personne n'a jamais défendu devant moi les
35 heures, sauf les cadres supérieurs (...). Les autres ont surtout mis en
avant les inconvénients de leur mise en place, les délais, les obstacles, les
complications. Aménager le temps de travail, concluait M. Kouchner, c'est une
affaire qui aurait dû être discutée sur plusieurs années. »
M. Henri Weber.
Plusieurs sondages y sont favorables !
M. François Fillon,
ministre.
En mai 2002, Mme Royal estimait que « les 35 heures ont dégradé
encore un peu plus les conditions de travail du monde salarié défavorisé ».
(M. Alain Gournac se réjouit.)
En juin 2002, Henri Emmanuelli déclarait pour sa part : « Quand nous avons
adopté la seconde loi Aubry, les salariés moyens ou modestes ont constaté des
baisses de salaire. »
M. Henri Weber.
Procédé misérable et stalinien !
M. Alain Gournac.
Ça les gêne !
M. René-Pierre Signé.
Il appelle la gauche à son secours !
M. François Fillon,
ministre.
« Qu'elles soient dues à la diminution du tarif des heures
supplémentaires ou du salaire, ça revenait au même pour eux ! »
M. René-Pierre Signé.
Ce n'est pas une bonne argumentation !
M. François Fillon,
ministre.
Je suis désolé de citer Marie-Noëlle Lienemann : « Les 35
heures, qui devaient être l'une des belles avancées de la gauche, ont vite
tourné au vinaigre ».
M. René-Pierre Signé.
Il manque d'arguments personnels !
M. François Fillon,
ministre.
Evoquant la multiplication des SMIC, elle déclare : « Le
mécanisme des cinq SMIC mérite de figurer dans le
Livre des records.
»
(M. Alain Gournac rit.)
« Une artillerie lourde, complexe, a été
inventée,...
M. René-Pierre Signé.
Il manque vraiment de souffle !
M. François Fillon,
ministre.
... rompant avec l'idée fondamentale : à travail égal, salaire
égal. »
Je pourrais aussi évoquer Maxime Gremetz
(Exclamations amusées sur les
travées du RPR),
qui réclamait, le 7 septembre 1999, « une augmentation de
11,4 % du taux horaire du SMIC,...
M. Roland Muzeau.
M. Fourcade l'a presque proposée !
M. François Fillon,
ministre.
... car le système mis en place n'est pas satisfaisant du tout
» ! Je reconnais à M. Muzeau la cohérence des positions du groupe communiste
sur ce point.
M. Allègre avoue, lui, en 2002 : « Je n'étais pas, à l'origine, un fana des 35
heures, car je préfère la diversité. Le même temps de travail pour tous, cela a
quelque chose de bizarre et d'un peu systématique. »
M. Alain Gournac.
Tiens !
M. François Fillon,
ministre.
Je ne sais pas si je peux citer, sans déclencher l'ire de
l'opposition, M. Jean-Pierre Chevènement, qui affirmait, pour sa part, au
printemps 2002,...
M. Henri Weber.
Cela prouve quoi ?
M. François Fillon,
ministre.
... qu'il était partisan « d'une mesure générale
d'assouplissement des 35 heures ».
M. Henri Weber.
De tels procédés rappellent l'école stalinienne de la falsification !
M. François Fillon,
ministre.
Enfin, car je le gardais pour la fin, en novembre 2000, M.
Laurent Fabius observait que « les situations des entreprises ne sont pas
toutes les mêmes ».
M. Henri Weber.
Très juste !
M. François Fillon,
ministre.
Il disait encore : « Pour certaines entreprises, les 35 heures
ne posent pas de problème, pour d'autres, c'est plus difficile. »
M. René-Pierre Signé.
Et alors ?
M. François Fillon,
ministre.
« Des lois ont été votées, on ne les annulera pas, mais nous
devons certainement traiter les situations diverses avec souplesse. »
(Exclamations amusées et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac.
Vive la souplesse !
M. François Fillon,
ministre.
Eh bien, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est précisément
ce que fait aujourd'hui le Gouvernement, qui laisse la conclusion de ce débat
aux partenaires sociaux, parce que c'est eux qui démontreront, avec le temps,
la capacité du corps social à utiliser les espaces de liberté que vous allez
leur donner,...
M. René-Pierre Signé.
Que vous supprimez !
M. François Fillon,
ministre.
... grâce au projet de loi que vous allez voter, pour adapter,
assouplir, améliorer à la fois les conditions de développement de notre
économie et la condition des salariés.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Motion d'ordre
M. le président.
Avant de suspendre la séance, je voudrais soumettre au Sénat une mesure
d'ordre relative à l'article 2.
Sur cet article, relatif au régime de la durée du travail, ont été déposés
soixante-cinq amendements, soit près de la moitié de la totalité des
amendements déposés sur le projet de loi.
M. Gilbert Chabroux et les membres du groupe socialiste ont déposé un
amendement n° 38 de suppression de l'article 2. Cet amendement a pour effet
mécanique de mettre en discussion commune la liasse des soixante-cinq
amendements, ce qui risque de rendre peu compréhensibles nos débats.
C'est pourquoi, à la demande de la commission des affaires sociales, je vous
proposerai, le moment venu, d'appeler d'abord en discussion l'amendement de
suppression de l'article, puis, s'il y a lieu,...
M. Claude Domeizel.
Pure hypothèse !
(Sourires.)
M. le président.
... d'examiner ensuite les autres amendements, séparément ou dans le cadre
des sous-discussions communes qui s'y rapportent, selon le cas.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Tout à fait !
M. le président.
Je consulte le Sénat sur cette façon de faire, qui contribuera à assurer la
clarté de nos débats sans altérer le droit de parole de tous les auteurs
d'amendements.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Très bien !
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-deux
heures, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)
PRÉSIDENCE de M. DANIEL HOEFFEL
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE 1er
DISPOSITIONS RELATIVES
AU SALAIRE MINIMUM DE CROISSANCE
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - L'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à
la réduction négociée du temps de travail est ainsi modifié :
« 1° Les deux premiers alinéas du I sont ainsi rédigés :
« Les salariés dont la durée du travail a été réduite à 35 heures ou plus à
compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 98-461 du 13 juin 1998
d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail ne
peuvent percevoir un salaire mensuel inférieur au produit du nombre d'heures
correspondant à la durée collective qui leur était applicable, dans la limite
de 169 heures, par le salaire minimum de croissance en vigueur à la date de la
réduction ou celui en vigueur au 1er juillet 2002 pour les salariés dont les
entreprises réduisent la durée collective de travail postérieurement à cette
date. Cette garantie est assurée par le versement d'un complément différentiel
de salaire.
« Le minimum applicable à chaque salarié concerné par le premier alinéa est
revalorisé au 1er juillet en fonction de l'évolution de l'indice des prix à la
consommation mentionné à l'article L. 141-3 du code du travail. Cette
revalorisation est majorée, par tranches annuelles égales, de sorte qu'au 1er
juillet 2005 au plus tard le minimum applicable à chaque salarié soit égal au
minimum revalorisé prévu au premier alinéa pour les salariés dont les
entreprises réduisent la durée collective de travail postérieurement au 1er
juillet 2002. Les taux de revalorisation ainsi déterminés sont fixés par
arrêté. » ;
« 2° Le V est ainsi rédigé :
« V. - A titre transitoire, par dérogation aux dispositions de l'article L.
141-5 du code du travail et jusqu'au 1er juillet 2005, le salaire minimum de
croissance prévu à l'article L. 141-2 dudit code est revalorisé chaque année,
avec effet au 1er juillet, selon les modalités prévues au premier alinéa de
l'article L. 141-3 dudit code. Cette revalorisation est majorée annuellement en
vue de rendre sans objet au 1er juillet 2005 la garantie mentionnée au I. »
M. le président.
La parole est à M. Roland Muzeau sur l'article.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le ministre, vous avez affiché votre volonté d'unifier les SMIC afin
de permettre à l'immense majorité des salariés concernés de voir augmenter leur
feuille de paie. C'est la promesse faite de « travailler plus pour gagner plus
».
On aurait presque envie d'applaudir une telle reconnaissance de la nécessité
d'augmenter le pouvoir d'achat des salariés !
Malheureusement, la réalité est tout autre.
Vous prétendez mettre fin à l'inégalité que constituent les différents
SMIC.
En réalité, les six SMIC sont maintenus jusqu'au terme maximal prévu par la
loi Aubry, soit 2005, alors que l'on aurait pu unifier les garanties mensuelles
de rémunérations, les fameux GMR, au 1er juillet 2003. A cette date, on aurait
pu relever le taux horaire du SMIC de 11,4 %, indépendamment des autres
mécanismes de relèvement, et appliquer le nouveau SMIC sur la base de 151,67
heures.
Or, la sortie du dispositif multi-SMIC est étalée dans le temps et se fait en
plusieurs étages.
Pour les salariés qui passeront aux 35 heures après le 1er juillet 2003, la
garantie sera celle en vigueur depuis le 1er juillet 2002, revalorisée selon
l'indice INSEE. Elle sera inférieure de 3,8 % au SMIC sur 169 heures. Il y aura
donc un risque de baisse de salaire au moment du passage aux 35 heures.
La loi n'assure même plus la garantie du maintien du salaire pour ces
salariés-là. Alors qu'ils auraient dû bénéficier au 1er juillet 2003 du « coup
de pouce » de 3,8 % en plus de l'inflation, et au moment du passage aux 35
heures, leur garantie sera calée sur le SMIC de 2002, simplement relevé de
l'inflation.
Les salariés qui passeront aux 35 heures à partir du 1er juillet 2002 ne
bénéficieront d'aucune progression de leur pouvoir d'achat jusqu'en 2005. C'est
un gel inadmissible, surtout s'agissant des plus bas salaires.
En outre, l'indexation de la garantie sur les gains de pouvoir d'achat du
salaire mensuel est supprimée jusqu'en 2005. Seule reste l'indexation sur
l'indice INSEE.
Quant aux autres salariés, couverts par une garantie mensuelle, la hausse
effective hors inflation s'échelonnera sur trois ans entre 0,6 % et 4,9 %. On
est donc bien loin des 11,4 % annoncés.
La hausse affichée de 11,4 % du SMIC horaire sera en fait obtenue en
supprimant, pendant trois ans, l'indexation du SMIC sur les gains de pouvoir
d'achat des salaires et en détournant les « coups de pouce » normalement
destinés à réévaluer le niveau du SMIC.
La suppression - fût-elle temporaire - d'une des clauses d'indexation du SMIC
est d'autant plus préoccupante que ce mécanisme intervient pour 40 % dans sa
hausse normale.
On prétend relever le SMIC horaire de 11,4 %, mais cela se fait au détriment
des mécanismes d'évolution normaux du SMIC. La méthode utilisée pour y parvenir
rend le dispositif pervers. En effet, une bonne partie de la hausse annoncée
aurait, de toute façon, été obtenue.
Pour les salariés qui sont passés aux 35 heures entre le 1er juillet 1999 et
le 30 juin 2000, la méthode utilisée par le Gouvernement leur fera perdre au
1er juillet 2003 1 092 euros de pouvoir d'achat par rapport au SMIC mensuel
calculé sur 169 heures.
En fait, tout est construit pour inciter les patrons à payer un salarié 39
heures au SMIC, plutôt que 35 heures à 1,3 ou 1,4 SMIC. C'est un effet
d'aubaine pour ceux qui ne réduiront pas le temps de travail. C'est une
incitation à baisser les salaires et à augmenter le temps de travail, à
recourir à l'emploi non qualifié contre l'emploi qualifié et bien rémunéré, et
à accroître le temps partiel et la précarité.
Dans ces conditions, les patrons sont appelés à revoir les accords déjà signés
!
Telle est la réalité sur les effets de votre projet de loi, monsieur le
ministre, que nous refusons et qui motivent nos amendements.
M. le président.
L'amendement n° 76, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Dans la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le 1° de cet
article pour modifier l'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000,
après les mots : "salaire minimum de croissance" supprimer les mots : "en
vigueur à la date de la réduction ou celui". »
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Permettez-moi, monsieur le président, de défendre en même temps quatre
amendements interdépendants, que nous avons déposés pour modifier l'article
1er, dans la mesure où ils ont un objet unique : proposer un autre schéma de
convergence du SMIC.
Le Conseil économique et social, dans son avis du 10 juillet 2002, a envisagé
trois solutions pour sortir de l'imbroglio actuel, où coexistent un SMIC
horaire et plusieurs garanties mensuelles.
Notre préférence va naturellement vers la solution impliquant une convergence
rapide par le haut, qui est la seule à pouvoir garantir aux salariés la
préservation de leur pouvoir d'achat et à pouvoir rétablir l'égalité de
rémunération à travail égal.
C'est une condition d'autant plus nécessaire que les salariés rémunérés au
SMIC, passés le plus tôt aux 35 heures, ont été les plus gravement pénalisés
par le dispositif inéquitable en vigueur.
Afin que les salaires les plus bas augmentent réellement, nous envisageons
d'aligner immédiatement - et non pas sur trois ans - le montant des différents
SMIC des salariés passés aux 35 heures sur le niveau du SMIC établi au 1er
juillet 2002 et d'augmenter de 11,4 % le SMIC au 1er juillet 2003.
Par ailleurs, nous souhaitons supprimer la modification des règles de
revalorisation du SMIC horaire.
Même transitoire, la désindexation du SMIC de l'augmentation du pouvoir
d'achat du salaire horaire moyen est inacceptable.
Contrairement au MEDEF, nous n'attribuons pas au salaire minimum un effet
négatif sur l'emploi. Nous ne pensons pas que la fonction du SMIC, conçue voilà
trente-deux ans, doive être clarifiée.
C'est pour éviter toute remise en cause du SMIC, de sa fonction sociale, que
nous nous opposons aujourd'hui fermement au maintien en l'état des dispositions
de cet article.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n°
76 au motif qu'il prévoit une convergence immédiate des différentes GRM.
Evidemment, telle n'est pas la structure - ou l'architecture à laquelle nous
nous sommes identifiés.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
Le choix du Gouvernement, qui a d'ailleurs suivi en cela très
largement l'un des scénarios proposés par le Conseil économique et social, est
un choix de convergence en trois ans. Beaucoup le considèrent comme audacieux,
trop audacieux même à en croire les responsables d'entreprise, car il va, selon
eux, peser sur le coût du travail. C'est d'ailleurs ce qui nous a conduits à
mettre en place une politique d'allégements également audacieuse.
Vouloir raccourcir le délai de convergence n'est évidemment pas raisonnable.
Le dispositif que nous proposons se soldera bien par une hausse de 11,4 % du
SMIC horaire, qui concerne aujourd'hui 40 % des salariés au SMIC. En moyenne,
il se traduira, pour l'ensemble des salariés au SMIC, par une hausse de 6,5 % à
laquelle il faut ajouter l'augmentation du coût de la vie.
Je rappellerai un point d'histoire à M. Muzeau, qui ne l'ignore sans doute pas
: la dernière fois qu'on a augmenté le SMIC dans cette proportion - 10 %, en
1981 - une dévaluation est rapidement intervenue...
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 76.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 35, présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et Domeizel,
Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe Socialiste, apparenté et
rattaché, est ainsi libellé :
« Compléter la première phrase du premier alinéa du texte proposé par le 1° de
cet article pour les deux premiers alinéas du I de l'article 32 de la loi n°
2000-37 du 19 janvier 2000 par les mots : "et en fonction de l'accroissement
annuel du pouvoir d'achat des salaires horaires moyens mentionné à l'article L.
141-5 du code du travail". »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy.
La loi « Aubry II » sur les 35 heures impose de revenir à l'harmonisation du
salaire minimum au plus tard le 1er janvier 2005. Le Gouvernement propose
d'atteindre cet objectif en procédant par étapes.
Vous bloquez d'abord la création de nouvelles garanties de rémunérations
mensuelles après le 1er juillet 2002. Vous freinez l'évolution de la dernière
GRM en l'indexant sur la seule hausse des prix INSEE.
Vous procédez ensuite à une majoration différenciée des autres GRM, en vue de
réaliser leur convergence au 1er juillet 2005 sur la valeur de la dernière
garantie créée le 1er juillet 2002.
Vous revalorisez enfin le salaire minimum en l'indexant, là encore, sur le
seul indice des prix. Vous abandonnez donc la référence à la progression du
pouvoir d'achat du salaire horaire, vous réservant d'accorder, autant que de
besoin, des « coups de pouce » annuels pour faire converger le SMIC versé pour
35 heures de travail hebdomadaire avec le niveau unique de la GRM prévu au 1er
juillet 2005.
Si nous nous réjouissons tous de l'harmonisation du salaire minimum en 2005,
nous contestons en revanche avec force la méthode choisie par le Gouvernement
parmi les propositions du Conseil économique et social. Ce dernier a en effet
exprimé le souhait que le SMIC reste bien un salaire de croissance - comme
l'indique le « C » - et intègre donc une participation aux fruits de la
croissance.
Or, si votre projet de loi était adopté, le SMIC décrocherait de la
croissance. Vous abandonnez en effet la référence à la progression du pouvoir
d'achat du salaire horaire dans le calcul de la revalorisation du SMIC, ce qui
conduira à des pertes importantes de pouvoir d'achat pour les salariés
concernés.
De 1997 à 2002, moins de la moitié de la progression du salaire minimum est
due au mécanisme d'indexation sur l'indice INSEE. Si votre proposition avait
été appliquée cette année, la revalorisation du SMIC aurait été amputée de 40 %
au 1er juillet pour s'établir à 1,49 % au lieu de 2,42 %. Ce dispositif conduit
donc les smicards à financer eux-mêmes une partie de la réduction du temps de
travail puisqu'il limite le niveau de la revalorisation salariale qui leur est
actuellement accordée par la loi.
Vous dites, monsieur le ministre, que cette remise en cause de la loi n'est
que transitoire et par dérogation jusqu'en 2005. Mais l'inquiétude est
toutefois permise quant à la validité de ce type de promesse. Et l'influence du
MEDEF sur le Gouvernement n'est pas de nature à nous rassurer. Ce que le MEDEF
réclame, c'est ni plus ni moins la mise à mort du SMIC. Il propose notamment de
confier, non plus au Gouvernement, mais à une commission indépendante, la
responsabilité de décider de la revalorisation en fonction des gains de
productivité réalisés par les salariés les moins qualifiés et des effets d'une
éventuelle revalorisation sur l'emploi. Tout un programme dont nous ne voulons
pas !
L'amendement n° 35 vise à rétablir la base de calcul de la revalorisation du
SMIC en tenant compte de la croissance et à nous prémunir contre le risque que
recèle la position du MEDEF.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement
qui vise à revaloriser les garanties mensuelles sur le modèle du SMIC. A moins
d'augmenter le SMIC de 20 à 25 %, son adoption rendrait impossible la
convergence recherchée.
J'ajoute que cet amendement porte sans doute sur la première phrase du
deuxième alinéa et non pas sur celle du premier alinéa de cet article. Il
s'agit vraisemblablement d'une erreur de nos collègues.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Premièrement, monsieur Godefroy, si la loi Aubry a fixé la date à laquelle la
convergence devait se produire, elle s'est bien gardée de préciser les
modalités de cette dernière.
Deuxièmement, le compromis que nous avons adopté, et qui fait partie des
scénarios élaborés par le Conseil économique et social, a été salué par
plusieurs organisations syndicales. Tout à l'heure, vous avez voulu faire
croire que, sur ce sujet, elles s'étaient toutes opposées aux propositions du
Gouvernement. Vous aurez l'honnêteté de reconnaître avec moi que la CFDT a
salué notre choix d'une convergence rapide et qu'elle n'a pas remis en cause le
dispositif soumis à votre examen.
Troisièmement, le Gouvernement est attaché au SMIC. Telle est la raison pour
laquelle je me suis opposé à toute réforme d'ensemble du salaire minimum, qui
était souhaitée par certains. Le SMIC est selon moi plus qu'une variable
technique. C'est un symbole et j'y vois un élément très important en matière de
politique salariale, un élément de référence qui avait justement perdu toute sa
visibilité avec la multiplicité des SMIC.
L'adoption de cet amendement rendrait la convergence pratiquement impossible,
en tout cas dans les délais que nous prévoyons, alors même que nombre des
salariés qui, grâce au dispositif du texte en discussion, vont voir leur
salaire augmenter de façon importante, ont subi un gel de salaire, alors même
que les salariés concernés par la dernière garantie mensuelle, ceux qui
travaillent dans les entreprises passées aux 35 heures après le 1er juillet
2002, représentent 10 % des salariés rémunérés au SMIC. Ce sont justement eux
qui ont eu les gains de pouvoir d'achat les plus importants par rapport à
l'ensemble des personnes rémunérées au SMIC - 5,7 % depuis 1998 - soit 1 % de
plus en moyenne que les autres catégories de smicards.
Je crois donc qu'il y a une vraie logique à suivre les propositions du
Gouvernement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 35.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 77, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Supprimer la dernière phrase du premier alinéa du texte proposé par le 1° de
cet article pour modifier l'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier
2000.»
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de cohérence, et, par cohérence,
nous y sommes défavorables.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
Même avis.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 77.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 36 est présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et Domeizel,
Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste, apparenté et
rattachée.
L'amendement n° 78 est présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer le 2° de cet article. »
L'amendement n° 79, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le texte proposé par le 2° de cet article pour le V de
l'article 32 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 :
« V. - Le salaire minimum de croissance prévu à l'article L. 141-2 du code du
travail est revalorisé de 11,4 % au 1er juillet 2003. »
Ces trois amendements ont déjà été soutenus.
Quel est l'avis de la commission !
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission a émis un avis défavorable : ces amendements
conduiraient à ne plus fixer dans la loi les moyens de l'harmonisation des
différents salaires minima.
J'ajoute que, lors de son audition par la commission, le rapporteur du Conseil
économique et social a confirmé que les revalorisations du SMIC seront sans
aucun doute largement supérieures à celles qui sont prévues par le mécanisme
actuel d'indexation.
Les craintes exprimées sont donc infondées, la présente mesure n'ayant que
vocation conservatoire.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
Défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 36 et 78.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 79.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président.
L'amendement n° 80, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 141-9 du code du travail est inséré un article ainsi
rédigé :
«
Art. L. ...
- Les barèmes de salaires des conventions ou accords
collectifs de travail ne peuvent comporter des rémunérations minimales
inférieures au SMIC. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer.
Le bilan 2001 de la négociation collective fait état de la dégradation des
minima de branche par rapport au SMIC et à la garantie mensuelle de
rémunération. Les minima de près des trois quarts des branches ne seraient pas
conformes au SMIC !
Dans le secteur de la métallurgie, parmi les cinquante-cinq branches disposant
d'un barème 39 heures, 93 % ont des barèmes de rémunérations minimales
inférieures au SMIC.
Face à un tel constat, nous ne pouvons nous satisfaire de votre souhait,
monsieur le ministre, de voir relancer les négociations sur les minima. Nous
sommes conscients des insuffisances de la négociation collective, en ce domaine
notamment.
Pour remédier à cette situation de blocage - préjudiciable aux salariés, qui,
légitimement, sont en droit d'attendre une augmentation de leur pouvoir d'achat
- due au refus des organisations patronales de réactualiser les grilles de
salaires, nous proposons par cet amendement d'inciter les partenaires sociaux à
engager des discussions.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
La commission a émis un avis défavorable.
En effet, cet amendement vise, semble-t-il, à revaloriser instantanément les
minima conventionnels pour les ramener au niveau du SMIC. Cette démarche semble
impraticable, car elle entraînerait une remise en cause totale de l'ensemble
des grilles de salaires.
En revanche, votre rapporteur est favorable à une révision négociée des minima
conventionnels - il l'a dit d'ailleurs dans la discussion générale.
Il n'est pas sain en effet, comme l'a observé M. le Président de la
République, que ceux-ci soient inférieurs au SMIC dans les trois quarts des
branches.
Sur ce point, je souhaite que la lisibilité inédite qu'offre le projet de loi
sur l'évolution des bas salaires sur trois ans constitue, monsieur le ministre,
une occasion de remettre à niveau les minima conventionnels. Je suis persuadé
que si vous vous attaquiez aussi à cette question, nombre de membres de la
commission des affaires sociales seraient pleinement satisfaits.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
Je l'ai dit tout à l'heure, le Gouvernement est favorable à la
reprise des négociations sur les minima de branches. Je l'ai d'ailleurs
signifié à plusieurs reprises aux partenaires sociaux.
En revanche, le Gouvernement est défavorable à l'adoption de l'amendement n°
80 parce que la négociation salariale doit résulter de l'accord entre les
partenaires sociaux. C'est la libre négociation entre les partenaires sociaux
qui peut, dans une économie moderne et ouverte comme la nôtre, permettre de
régler la question.
Il n'est cependant pas constestable que le choix que nous allons faire
d'augmenter le SMIC et de mettre en oeuvre un mécanisme de convergence rapide
pèsera sur l'ensemble des négociations dans le sens que souhaitent les auteurs
de cet amendement et M. le rapporteur.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 80.
(L'amendement n'est pas adopté.)
TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES
AU TEMPS DE TRAVAIL
Article additionnel avant l'article 2
M. le président.
L'amendement n° 37, présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et Domeizel,
Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste, apparenté et
rattachée, est ainsi libellé :
« Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Les heures supplémentaires constituent, pour les entreprises qui n'ont pas
recours à la modulation ou à l'annulation des horaires, la première variable
d'ajustement à leur disposition pour faire face aux variations d'activité
auxquelles elles sont confrontées.
« Leur utilisation apporte une réponse aux surcroîts ponctuels d'activité, en
particulier lorsqu'ils sont imprévisibles, et doit donc être limitée à cet
objet. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy.
L'article 2 conduit à la banalisation des heures supplémentaires, qui
deviendront des heures structurelles, logique qui permettra de revenir à un
dispositif de 39 heures grâce au coût très faible - plus 10 % - des quatre
premières heures supplémentaires. Comme dans la discussion générale, je ne fais
ici que citer M. le Premier ministre, qui s'exprimait ainsi à Strasbourg, le 6
septembre dernier.
Or ces heures supplémentaires ne peuvent être considérées comme des heures
structurelles : elles constituent pour les entreprises qui n'ont pas recours à
la modulation ou à l'annualisation des horaires la première variable
d'ajustement à leur disposition pour faire face aux variations d'activité
auxquelles elles sont confrontées. Leur utilisation apporte une réponse aux
éventuels surcroîts d'activité, en particulier lorsqu'ils sont imprévisibles,
et doit donc être limitée à cet objet.
L'amendement que nous présentons donne une définition des heures
supplémentaires et de leur objet conforme aux dispositions de l'accord national
interprofessionnel sur l'emploi du 31 octobre 1995. Il faut rappeler que, lors
de l'instauration en 1982 du contingent d'heures supplémentaires, il a été
précisé que celles-ci devaient se justifier par un surcroît d'activité.
L'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 vise quant à lui les
pointes d'activité imprévisibles.
La chambre sociale de la Cour de cassation a de longue date confirmé la
validité de ces critères que nous souhaitons voir maintenus.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Ce qui vient d'être dit ne s'applique évidemment pas à
l'ensemble des entreprises, et M. le ministre y répondra sans doute sur le
fond.
La commission a quant à elle émis un avis défavorable.
L'article L. 212-5 du code du travail définit les heures supplémentaires et il
apparaît donc inutile de les définir à nouveau,
a fortiori
de manière
restrictive.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement qui vise, en
effet, à introduire une nouvelle définition des heures supplémentaires conforme
à l'accord national interprofessionnel de 1995, accord auquel le gouvernement
que vous souteniez ne devait cependant pas être favorable, monsieur Godefroy,
car j'observe que la loi du 19 janvier 2000 reprend la définition des heures
supplémentaires qui figure à l'article L. 212-5 du code du travail.
Selon cette définition extrêmement simple, les heures supplémentaires sont les
heures effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail. Il n'y a donc
aucune raison, me semble-t-il, pour ne pas suivre des propositions qui étaient
les vôtres lors de l'examen des lois Aubry.
Je ne peux laisser dire par ailleurs, sans autre précision, que nous avons
décidé de rémunérer à 10 % les quatre premières heures supplémentaires. Vous
savez en effet que cette disposition ne concerne que les entreprises de moins
de vingt salariés et que vous l'avez vous-mêmes mise en oeuvre. Nous avons
seulement décider de prolonger de trois ans sa durée d'application.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Roland Muzeau pour explication de vote.
M. Roland Muzeau.
Je tiens à expliquer pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain
et citoyen soutiennent l'amendement qui vient de nous être présenté et qui vise
à inscrire dans le code du travail la définition des heures supplémentaires.
Le texte que nous examinons modifie en profondeur le régime des heures
supplémentaires et le niveau du contingent annuel. Nous pensons que nombre
d'employeurs utiliseront ces deux leviers pour contourner l'obligation de
respecter la durée légale du travail en recourant abusivement aux heures
supplémentaires.
Pour éviter les dépassements réguliers et structurels de la durée légale, il
convient donc de confirmer législativement le rôle des heures supplémentaires
et leur caractère exceptionnel, au sens de l'accord national interprofessionnel
du 31 octobre 1995 comme de la jurisprudence, laquelle précise en outre que les
heures supplémentaires doivent être motivées par un surcroît d'activité.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 37.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - Le code du travail est ainsi modifié :
« I. - A l'article L. 212-5 :
« 1° Les I et II sont remplacés par un I ainsi rédigé :
«
I.
- Les heures supplémentaires donnent lieu à une majoration de
salaire dont le taux est fixé par un accord de branche étendu. Ce taux ne peut
être inférieur à 10 %. A défaut d'accord, chacune des huit premières heures
supplémentaires donne lieu à une majoration de 25 % et les heures suivantes à
une majoration de 50 %. » ;
« 2° Le III devient le II ;
« 3° Au premier alinéa du II, les mots : "au II" sont supprimés.
« II. - A l'article L. 212-5-1 :
« 1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les heures supplémentaires de travail mentionnées à l'article L. 212-5 et
effectuées à l'intérieur du contingent conventionnel fixé selon les modalités
prévues au deuxième alinéa de l'article L. 212-6 lorsqu'il existe, ou, à
défaut, du contingent fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article
L. 212-6, ouvrent droit à un repos compensateur obligatoire dont la durée est
égale à 50 % du temps de travail accompli en heures supplémentaires au-delà de
quarante et une heures dans les entreprises de plus de vingt salariés. » ;
« 2° Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« Les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent conventionnel
fixé selon les modalités prévues au deuxième alinéa de l'article L. 212-6
lorsqu'il existe, ou à défaut, du contingent fixé par le décret prévu au
premier alinéa de l'article L. 212-6, ouvrent droit à un repos compensateur
obligatoire dont la durée est égale à 50 % de ces heures supplémentaires, pour
les entreprises de vingt salariés au plus, et à 100 % pour les entreprises de
plus de vingt salariés. »
« III. - Le deuxième alinéa de l'article L. 212-6 est ainsi rédigé :
« Le contingent d'heures supplémentaires pouvant être effectuées après
information de l'inspecteur du travail peut être fixé, par une convention ou un
accord collectif de branche étendu, à un volume supérieur ou inférieur à celui
déterminé par le décret prévu au premier alinéa. »
« IV. - A l'article L. 212-8 :
« 1° Au premier alinéa :
«
a)
Après les mots : "n'excède pas", la fin de la première phrase est
ainsi rédigée : "un plafond de 1 600 heures" ;
«
b)
La deuxième phrase est ainsi rédigée :
« La convention ou l'accord peut fixer un plafond inférieur. » ;
« 2° Au quatrième alinéa, les mots : "la durée moyenne annuelle calculée sur
la base de la durée légale selon la règle définie au premier alinéa et, en tout
état de cause, de" sont supprimés. Le même alinéa est complété par les mots :
"ou d'un plafond inférieur fixé par la convention ou l'accord".
« V. - Dans la deuxième phrase du premier alinéa du II de l'article L. 212-9,
les mots : "trente-cinq heures en moyenne sur l'année et, en tout état de
cause," sont supprimés. »
« V
bis.
- Au premier alinéa de l'article L. 212-10, les mots : "et aux
premier alinéa du I de l'article L. 212-5," sont remplacés par le mot : ", au".
»
« VI. - A l'article L. 212-15-2, les mots : "occupés selon l'horaire collectif
applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont
intégrés et pour lesquels la durée du travail peut être prédéterminée" sont
remplacés par les mots : "dont la nature des fonctions les conduit à suivre
l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe
auquel ils sont intégrés". »
« VII. - A l'article L. 212-15-3 :
« 1° Au deuxième alinéa du II, le mot : "et" est remplacé par le mot : "ou"
;
« 2° La quatrième phrase du premier alinéa du III est ainsi rédigée :
« La convention ou l'accord définit les catégories de cadres concernés dont la
nature des fonctions implique une réelle autonomie dans l'organisation de leur
emploi du temps. »
« VIII. - A l'article L. 227-1 :
« 1° Au premier alinéa, après les mots : "accord d'entreprise ou
d'établissement", sont insérés les mots : "n'ayant pas fait l'objet de
l'opposition prévue à l'article L. 132-26" ;
« 2° La première phrase du deuxième alinéa est complétée par les mots : "ou de
se constituer une épargne" ;
« 2°
bis
Au sixième alinéa, les mots : "de la bonification prévue aux
premier et deuxième alinéas du I de l'article L. 212-5, du repos compensateur
de remplacement défini au premier alinéa du III du même article" sont remplacés
par les mots : "du repos compensateur de remplacement défini au premier alinéa
du II de l'article L. 212-5" ;
« 3° Au onzième alinéa, les mots : "les modalités de conversion en temps des
primes et indemnités" sont remplacés par les mots : "les modalités de
valorisation en temps ou en argent des éléments affectés au compte". »
La parole est à M. Roland Courteau sur l'article.
M. Roland Courteau.
Comment ne pas être pris de vertige à la lecture de l'article 2, comme
d'ailleurs à celle de l'ensemble du projet de loi ? Cet article remet en cause,
d'un trait de plume, la loi relative à la réduction du temps de travail, loi
très largement appréciée par les salariés qui sont passés aux 35 heures,...
M. Gérard Braun.
Pas sûr !
M. Roland Courteau.
... et qui a permis l'engagement d'une profonde dynamique de négociations dans
les entreprises ayant conduit à la signature de dizaines de milliers d'accords
et à la création de plus de 300 000 emplois.
J'avoue ne pas comprendre, monsieur le ministre, cette obstination à faire le
procès des 35 heures pour mieux décapiter ensuite cet instrument de lutte
contre le chômage, au moment où la situation de l'économie et de l'emploi se
dégrade, où les annonces de plans sociaux se multiplient, dans une France qui
compte, encore et toujours, deux millions trois cent mille chômeurs !
Quels effets sur l'emploi peut-on en effet attendre d'une telle régression,
d'une telle marche arrière, si ce n'est un accroissement du chômage ? Vous
préferez aller contre un courant qui s'inscrit dans la longue marche de
l'humanité et dans les grandes conquêtes sociales du mouvement ouvrier.
« Requiem pour les 35 heures », titrait un journal : remise en cause du taux
de rémunération des heures supplémentaires - mesure d'ordre social instaurée en
même temps que les 40 heures en 1936 -, augmentation du quota d'heures
supplémentaires, limitation de l'obligation de compensation par le repos,
abaissement des charges des entreprises sans contrepartie...
Quant à la diminution de la flexibilité, seconde aspiration des salariés, elle
sera accrue du fait de la suppression de la référence aux 35 heures au profit
de la seule mention des 1 600 heures par an. Ce n'est plus un assouplissement
de la loi, c'est son anéantissement !
Voilà donc un projet qui non seulement alimentera la chaudière du chômage,
mais créera dans le même temps une France à deux vitesses, car il remet en
cause le principe de l'égalité devant le travail.
Mes collègues socialistes ont déjà insisté, mais, malgré votre réponse,
monsieur le ministre, je veux y revenir : inégalité entre les neuf millions de
salariés déjà aux 35 heures et ceux qui n'y seront jamais, du moins avec vous ;
inégalité entre les entreprises passées aux 35 heures et celles qui ne seront
plus incitées à le faire puisque les allégements seront déconnectés de la
réduction du temps de travail, ce qui se traduira, pour ces dernières, par des
difficultés de recrutement.
Vous n'avez pas osé vous en prendre aux 35 heures dans leur définition
juridique, mais la méthode du contournement aboutit au même résultat, à savoir
l'anéantissement d'une avancée sociale. Les propos du Premier ministre évoquant
clairement le retour aux 39 heures l'ont confirmé.
Que de prétextes n'a-t-on pas cherchés, monsieur le ministre !
J'ai entendu dire que la réduction du temps de travail aurait été imposée aux
entreprises, alors qu'elle a fait l'objet d'une formidable dynamique de
négociation, comme le pays n'en avait jamais connu.
J'ai entendu dire que la réduction du temps de travail aurait « dévalorisé les
valeurs de l'effort », alors que les 35 heures ont ramené au travail des
milliers de demandeurs d'emploi.
J'ai entendu dire que la réduction du temps de travail aurait porté atteinte à
la compétitivité de la France, alors que chacun a pu noter que la croissance,
au cours des quatre dernières années, a été supérieure, dans notre pays, à la
moyenne européenne, et que deux millions d'emplois ont été créés tandis que
l'on dénombrait 930 000 chômeurs de moins.
Enfin, comme l'a souligné mon collègue Gilbert Chabroux, la France est le pays
européen où le nombre d'heures travaillées a le plus progressé entre 1997 et
2002, grâce précisément à la réduction du chômage, dont les 35 heures ont été
un facteur essentiel.
En conclusion, j'ai envie de vous dire, monsieur le ministre : «
ressaisissez-vous ! »
(Sourires sur les travées du RPR.)
En effet, votre
dispositif va jouer contre l'emploi. A moins que vous ne vouliez donner raison
au président du MEDEF, qui a affirmé, comme Henri Weber l'a rappelé tout à
l'heure, que « le Gouvernement reculait dans la bonne direction »... Dans ce
cas, les mois à venir nous départagerons, mes chers collègues.
Voilà pourquoi le groupe socialiste demandera, entre autres suppressions,
celle de l'article 2.
M. le président.
Soixante-cinq amendements ont été déposés sur l'article 2, mes chers
collègues.
Je vous rappelle que, avant la suspension de la séance, le Sénat, dans un
souci de clarté des débats, a décidé, pour éviter la discussion commune de ces
soixante-cinq amendements, d'appeler d'abord en discussion l'amendement n° 38
de suppression de l'article, puis d'examiner ensuite les autres amendements
séparément ou dans le cadre des sous-discussions communes qui s'y rapportent,
selon le cas.
J'appelle donc l'amendement n° 38, présenté par MM. Chrabroux, Godefroy, Weber
et Domeizel, Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste,
apparenté et rattachée, qui est ainsi libellé :
« Supprimer cet article. »
La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel.
L'article 2 concerne le contingent d'heures supplémentaires, leur taux de
rémunération et le repos compensateur. C'est l'article clé du projet de loi :
il vise la remise en cause des 35 heures et non pas, comme vous l'avez dit,
monsieur le ministre, l'assouplissement du dispositif.
Je vais sans doute répéter des propos qui ont déjà été tenus, mais si, ce
faisant, je parvenais à vous convaincre, mes chers collègues, du bien-fondé de
la suppression de l'article 2, je n'aurais pas perdu mon temps.
Mes collègues Gilbert Chabroux, Jean-Pierre Godefroy et Henri Weber se sont
appuyés, au fil de leurs interventions, sur des arguments que je reprendrai à
mon tour. A l'instar de mon ami Roland Courteau, j'ai envie de vous dire,
monsieur le ministre : « Ressaisissez-vous ! »
En portant de 130 à 180 le contingent d'heures supplémentaires dont disposent
les entreprises, comme vous l'avez fait par un décret en date du 15 octobre
dernier, vous permettez finalement à celles-ci de revenir aux 39 heures. Le
Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, s'était d'ailleurs exprimé en ces
termes le 6 septembre, à Strasbourg, comme cela a déjà été souligné.
Il aurait également fallu préciser que le repos compensateur serait supprimé
pour les heures supplémentaires comprises entre la cent trentième et la cent
quatre-vingtième, soit sept jours de repos de moins. On est loin du slogan : «
Travailler plus pour gagner plus » !
Les heures supplémentaires sont donc plus nombreuses et moins bien rémunérées.
Elles sont en outre à la discrétion des entreprises, alors qu'elles sont
obligatoires pour les salariés. On entre dans une logique de banalisation de
ces heures supplémentaires, qui vont devenir des heures structurelles.
D'ailleurs, les syndicats ont pris toute la mesure de ce risque. J'en veux
pour preuve les propos tenus par le président de la CFTC, M. Alain Deleu : « On
risque de se retrouver tout simplement à 39 heures, sinon plus. Le projet va
permettre aux entreprises de faire travailler les personnels de 35 à 43 heures
par semaine, sans préavis, sans planification, avec une augmentation de salaire
minime. Il permettra, par exemple, de faire travailler les salariés six jours
sur sept ou un samedi sur deux toute la journée. »
Monsieur le ministre, sur un texte de cette importance relatif au contingent
d'heures supplémentaires, à leur taux de rémunération et au repos compensateur,
on aurait pu s'attendre à ce que le Gouvernement accorde une plus grande place
à la négociation. Or la concertation avec les syndicats a été fort brève, voire
entachée d'un défaut initial, puisque ces derniers ont été consultés sur un
avant-projet qui a été ensuite modifié sans qu'ils en aient été informés.
Contrairement à ce qui s'est toujours pratiqué, ils n'ont donc pas été
consultés sur la version définitive du texte avant son examen par le Conseil
d'Etat, et ils en ont conçu un certain dépit !
Il faut bien constater, je le répète, que la question de l'augmentation du
contingent d'heures supplémentaires a été réglée avant qu'intervienne la
discussion au Parlement, en tout cas au Sénat, au moyen d'un décret rehaussant
l'ensemble du contingent de 130 à 180 heures, sans concertation préalable.
Nous contestons donc tant la forme que le fond de la démarche, et nous
présenterons des amendements visant à abroger les principales dispositions de
l'article 2. Toutefois, de manière plus expéditive, je vous propose, mes chers
collègues, de supprimer purement et simplement celui-ci : tel est l'objet de
l'amendement n° 38.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Comme vient de l'indiquer M. Domeizel, l'amendement n° 38
vise à supprimer l'article 2. Ce n'est évidemment pas ce que nous souhaitons,
puisque cet article contient toutes les mesures d'assouplissement du dispositif
des 35 heures. Dans ces conditions, la commission ne peut bien entendu
qu'émettre un avis défavorable sur l'amendement n° 38.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon,
ministre.
La suppression de l'article 2 irait bien sûr à l'encontre de
l'ensemble du projet du Gouvernement. J'y suis donc défavorable pour les
raisons que j'ai déjà exposées en présentant le texte puis en répondant aux
orateurs qui sont intervenus lors de la discussion générale.
Toutefois, je voudrais formuler deux remarques pour compléter mon propos.
S'agissant tout d'abord de l'effet du dispositif des 35 heures sur l'emploi,
j'aimerais interroger à mon tour l'opposition, puisqu'elle m'a posé de
nombreuses questions. Comment expliquer que, en dépit de l'application des 35
heures, le chômage ait repris dans notre pays de manière importante depuis un
an et demi ? Comment expliquer que, malgré la mise en oeuvre des 35 heures,
nous n'ayons en rien amélioré nos positions, qui ne sont pas bonnes, je le
reconnais, et ce depuis longtemps, en raison de blocages structurels qui
existent dans notre organisation du travail ?
Nous n'en serions pas là si les 35 heures avaient un effet sur l'emploi aussi
positif que certains l'affirment et si était fondé le raisonnement éminemment
politique qui est en train de se construire, par lequel nos concitoyens ne se
laisseront pas tromper, consistant à donner à croire que, jusqu'à l'arrivée de
ce gouvernement, la situation de l'emploi était excellente grâce aux 35 heures
mais qu'elle va maintenant se dégrader en raison des mesures que nous sommes en
voie de prendre. Tout le monde sait bien que la réalité est très différente :
cela fait un an et demi que la situation de l'emploi se détériore de façon
extrêmement régulière, malgré la mise en oeuvre du dispositif des 35 heures.
S'agissant par ailleurs de la négociation sociale, nous n'en avons pas, je
l'ai déjà souligné tout à l'heure, la même conception que les membres de
l'opposition sénatoriale. Ceux-ci nous disent que le texte sur lequel les
syndicats ont été consultés a été modifié : il a en effet évolué au cours de la
négociation menée avec les organisations syndicales, en fonction de la
discussion, et celles-ci ont bien entendu eu la possibilité de se prononcer. La
grande différence avec l'élaboration de la loi instaurant les 35 heures, c'est
donc qu'une négociation avec les organisations syndicales a eu lieu.
(Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Eric Doligé pour explication de vote.
M. Eric Doligé.
Je ne voudrais pas que l'on puisse croire, à la lecture des débats du Sénat,
que nous pensons tous que l'instauration des 35 heures a été très appréciée des
salariés. Je viens d'entendre cette affirmation, et ne pas réagir reviendrait à
la faire nôtre.
M. Jean-Pierre Godefroy.
C'est une vérité !
M. Eric Doligé.
Il n'en est pas ainsi ! Il est possible que nos collègues de l'opposition
soient proches des grands groupes et que ce dispositif ait été apprécié au sein
de ceux-ci,...
M. Philippe Marini.
Ils ont mal interprété les élections !
M. Guy Fischer.
Dix-neuf pour cent !
M. Eric Doligé.
... mais, sur le terrain, dans les campagnes et les petites communes, j'ai pu
constater que les salariés des petites entreprises sont soulagés d'avoir appris
qu'ils pourront passer à 35 heures plus quatre heures supplémentaires par
semaine. En effet, ils retrouveront ainsi un pouvoir d'achat qu'ils avaient
perdu depuis un certain temps sans qu'aucune ouverture leur soit laissée.
(Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Je parle ici des petites entreprises, mes chers collègues ! J'ai visité hier
une entreprise de dix salariés ces derniers se réjouissaient, ils me l'ont dit,
à l'idée de pouvoir enfin travailler 39 heures par semaine, soit 35 heures plus
quatre heures supplémentaires.
M. Roland Courteau.
On en reparlera !
M. Eric Doligé.
Cela fait plaisir, je puis vous le dire, d'entendre des gens affirmer leur
envie de travailler quatre heures supplémentaires afin de gagner davantage. Par
conséquent, cessez de prétendre que le passage aux 35 heures a été apprécié par
tous les salariés. C'est faux !
M. Roland Courteau.
Nous persistons à le dire !
M. Eric Doligé.
Cela ne correspond pas à la réalité du terrain.
(Protestations sur les
travées socialistes.)
Pensez également aux petites entreprises, car
l'aménagement du territoire, ce n'est pas seulement les très grosses
entreprises dont les salariés ont pu bénéficier des 35 heures,...
M. Philippe Marini.
Ils ne s'intéressent qu'aux gros !
(Sourires.)
M. Eric Doligé.
... c'est aussi la multitude des petites entreprises qui ont besoin de pouvoir
faire travailler leurs salariés un certain nombre d'heures faute de trouver,
dans les campagnes, du personnel supplémentaire pour remplir les missions qui
sont les leurs. Ayez donc un peu de compassion pour les petites entreprises,
chers collègues de l'opposition, ainsi que pour les gens qui ont envie de
travailler plus de 35 heures, et ne faites pas circuler le message selon lequel
seul le dispositif des 35 heures peut permettre de faire tourner l'économie.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Henri Weber pour explication de vote.
M. Henri Weber.
Je profiterai de cette explication de vote pour répondre aux interpellations
de M. le ministre et de M. Doligé.
Tout d'abord, la seule explication au fait que le Gouvernement et sa majorité
ne proposent pas, comme le voudraient la clarté et le courage politique,
d'abroger purement et simplement le dispositif de réduction du temps de travail
instauré par les deux « lois Aubry », qu'ils ont pourtant accablé de tous les
maux en 1998, en 2000 et encore aujourd'hui, tient à ce qu'ils savent très bien
à quel point il est soutenu par une majorité du salariat. C'est la seule
explication ! Sinon, pensant ce que vous pensez, disant ce que vous dites,
pourquoi ne proposez-vous pas, purement et simplement, par mesure de salubrité
publique, d'abroger ces lois ? Ce serait logique !
M. Philippe Marini.
Nous sommes moins doctrinaires que vous !
(Sourires.)
M. Gérard Braun.
C'est de la démagogie !
M. Henri Weber.
Non, ce n'est pas une affaire de doctrine, c'est une affaire de tactique
politique ! C'est là une attitude politicienne, qui ne fait pas la clarté ! Il
faut être conséquent : lorsqu'on développe des analyses, lorsqu'on fait peser
sur une mesure tout le poids des difficultés qui ont été énumérées,...
M. Jean Chérioux.
N'en rajoutez pas !
M. Henri Weber.
... on doit être logique avec soi-même !
Pour notre part, nous ne pensons pas que la loi relative aux 35 heures soit la
panacée pour lutter contre le chômage, nous ne pensons même pas que telle soit
sa seule et unique fonction : nous considérons qu'elle fait partie d'une
panoplie de mesures, et les propos de M. le ministre peuvent d'ailleurs se
retourner contre tous les éléments de cette panoplie.
Ainsi, M. le ministre a fait tout à l'heure l'apologie de la baisse des
charges pesant sur les bas salaires. Je pourrais tenir le même raisonnement que
lui, et lui demander comment il explique que le chômage reprenne, en dépit de
cette baisse des charges affectant les bas salaires, que nous avons même
accentuée par le biais d'une aide au passage aux 35 heures.
Autrement dit, votre raisonnement est un sophisme, monsieur le ministre,
excusez-moi de le souligner. Le chômage a des causes multiples, c'est un
phénomène qui existe dans le monde occidental et au-delà, c'est un fléau qui
doit être combattu sur tous les fronts et en utilisant tous les outils dont
nous disposons. Ceux-ci sont multiples, aucun n'est vraiment efficace à lui
seul et chacun d'entre eux entraîne des effets pervers : en conséquence, on ne
peut pas attaquer un dispositif en excipant du fait que le chômage s'aggrave de
nouveau, car cette évolution relève de tout un ensemble de raisons que l'on
pourrait analyser ici et dont on voit bien quelle est la source. Il faudrait, à
ce stade, s'interroger sur l'état du capitalisme international.
M. Philippe Marini.
Ils n'ont rien appris ! Ils n'ont rien compris !
M. Henri Weber.
Ce qui se passe aujourd'hui, ce n'est plus une crise économique et financière
qui atteint la périphérie du monde industrialisé, c'est une crise qui frappe
celui-ci en plein coeur. Cela a quelque rapport avec le redémarrage du chômage,
et la suite aura beaucoup de rapport avec l'implosion de la bulle financière de
la bourse de New York et ses effets sur l'ensemble du système économique et
financier. Voilà une des sources majeures de la reprise du chômage et du
ralentissement de la croissance.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 38.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 39, présenté par MM. Chabroux, Godefroy, Weber et Domeizel,
Mmes San Vicente, Printz et les membres du groupe socialiste, apparenté et
rattachée, est ainsi libellé :
« Supprimer le I de cet article. »
L'amendement n° 81, présenté par M. Muzeau, Mme Demessine, M. Fischer et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le texte proposé par le 1° du I de cet article pour le I
de l'article L. 212-5 du code du travail :
« I. Chacune des huit premières heures supplémentaires donne lieu à une
majoration de salaire minimale de 25 % et les heures suivantes à une majoration
de 50 %. »
L'amendement n° 1, présenté par M. Souvet, au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« I. - Dans la première phrase du texte proposé par le 1° du I de cet article
pour le I de l'article L. 212-5 du code du travail, après les mots : "dont le
taux est fixé par", insérer les mots : "une convention ou" ; »
« II. - En conséquence, dans la dernière phrase du même paragraphe, après les
mots : "A défaut", insérer les mots : "de convention ou". »
L'amendement n° 125, présenté par M. Marini, est ainsi libellé :
« Après la première phrase du texte proposé par le 1° du I de cet article pour
le I de l'article L. 212-5 du code du travail, insérer une phrase ainsi rédigée
:
« Ce taux peut également être fixé par un accord collectif d'entreprise ou
d'établissement n'ayant pas fait l'objet de l'opposition prévue à l'article L.
132-26, peu important le taux éventuellement fixé par la convention ou l'accord
de branche étendu sauf stipulations contraires de ce dernier. »
L'amendement n° 2, présenté par M. Souvet, au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« Au 3° du I de cet article, remplacer les mots : "du II" par les mots : "du
III". »
La parole est à M. Claude Domeizel pour présenter l'amendement n° 39.
M. Claude Domeizel.
Nous entrons dans le détail de l'article 2.
Le paragraphe I de cet article concerne le taux de majoration des heures
supplémentaires. S'agissant du taux de majoration de 25 % qui a été établi lors
de l'instauration des 40 heures en 1936, sous le Front populaire, il prévoit de
le réduire à 10 % de manière pérenne. Cela conduirait à gommer toute différence
sensible de rémunération entre les heures effectuées dans le cadre de la durée
légale et les quatre premières heures supplémentaires. En réalité, c'est la
portée de la durée légale hebdomadaire du travail qui se trouve ainsi réduite.
En tout état de cause, cette mesure n'améliorera pas le pouvoir d'achat des
salariés.
Le paragraphe I prévoit également de confier à la négociation collective de
branche la fixation du taux de majoration des heures supplémentaires, ce qui
revient finalement à réduire un peu plus ce qui relève de la loi et du droit du
travail, et qui constitue une mesure sociale d'ordre public applicable à tous
les salariés. La négociation collective de branche variera donc d'un secteur
professionnel à l'autre, et aboutira inévitablement à différents régimes de
rémunération des heures supplémentaires.
Cette extension du droit conventionnel qui concerne une règle normative du
droit du travail rejoint certains projets du MEDEF, développés dans le cadre de
la refondation sociale et selon lesquels le droit conventionnel prime sur le
droit du travail, ce qui ne manque pas de nous inquiéter.
C'est la raison pour laquelle nous demandons la suppression du I de l'article
2.
M. le président.
La parole est à M. Guy Fischer pour défendre l'amendement n° 81.
M. Guy Fischer.
L'objet de cet amendement est clair : il s'agit de fixer par la voie
législative le régime de rémunération des heures supplémentaires à un taux de
25 % pour les huit premières heures et de 50 % pour les heures suivantes.
Nous marquons ainsi notre désaccord profond à l'égard du nouveau régime des
heures supplémentaires tel qu'il est envisagé par le Gouvernement.
Nous sommes là au coeur du dispositif qui risque de bouleverser le régime de
la convention et l'ordre public social. Les dispositions proposées par le
Gouvernement devraient conduire à réduire la majoration de salaire. En effet,
le taux de majoration des heures supplémentaires passerait de 25 % à un
plancher de 10 %. Contrairement aux engagements du Président de la République,
cette modification n'aura pas pour conséquence d'améliorer sensiblement le
pouvoir d'achat des salariés. Elle permettra bel et bien de banaliser le
recours aux heures supplémentaires conjoncturelles.
Ainsi, les 35 heures sont tuées. Finalement, c'est une manière élégante de
revenir aux 39 heures, surtout pour les petites entreprises. Le tour est donc
joué ! Des milliers de petites entreprises ne verront jamais les 35 heures
s'appliquer.
Par ailleurs, le dispositif vise également à étendre le droit conventionnel,
et c'est ce point que nous contestons, dans un domaine, en l'occurrence les
heures supplémentaires, où les garanties collectives revêtent un caractère
d'ordre public social. Sous le prétexte de renvoyer à des accords
conventionnels discutés au niveau des branches ou même, comme certains le
proposent, au niveau des entreprises, vous faites tout imploser.
Or, dans la mesure où ils doivent être les mêmes pour tous les salariés, ces
avantages « minimaux » - je dis bien : « minimaux » - ne sauraient être fixés
par des dispositions conventionnelles. D'autant que, et nous aurons l'occasion
de revenir ultérieurement sur ce point, les acteurs du dialogue social ne sont
pas aujourd'hui en mesure, compte tenu de la faible démocratisation du droit et
des règles de la négociation collective, de conclure des accords collectifs de
qualité, j'entends par là des accords équilibrés, traduisant bien la volonté
des salariés.
M. Roland Muzeau.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour présenter l'amendement n° 1.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de précision. Le projet de loi
prévoit que la rémunération des heures supplémentaires soit fixée par un accord
de branche étendu. Cette faculté doit également être ouverte à une convention
de branche étendue, ne serait-ce que par cohérence avec le type de négociations
qui est prévu pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires.
M. le président.
La parole est à M. Philippe Marini pour présenter l'amendement n° 125.
M. Philippe Marini.
Je propose une réflexion sur la place de l'accord collectif d'entreprise ou
d'établissement.
M. Guy Fischer.
Aïe !
M. Philippe Marini.
En effet, les conditions dans lesquelles l'organisation du travail peut être
décidée varient, me semble-t-il, assez naturellement selon les domaines
d'activité, voire selon les entreprises ou les établissements.
Bien entendu, je suis particulièrement attaché, comme la commission, à ce que
les branches puissent déterminer les règles. Donc, l'espace de liberté qui me
semble important pour les entreprises n'a, dans mon esprit, vocation à être
utilisé que si la convention de branche n'en dispose pas autrement. Si la
branche a permis l'ouverture d'une liberté de négociation plus grande dans
l'entreprise, voire dans l'établissement, pourquoi ne pas utiliser cet espace
de liberté ? Telle est, monsieur le ministre, la question que je voulais poser
à travers cet amendement.
J'avoue être surpris par certaines des interventions que je viens d'entendre,
qui témoignent d'une très grande réticence à l'égard de ce que peuvent décider,
par voie conventionnelle, les partenaires sociaux tant dans la branche que dans
l'entreprise. Lorsqu'on se dit démocrate, mes chers collègues, il faut l'être
complètement !
M. Guy Fischer.
Pas pour n'importe quelle démocratie !
M. Philippe Marini.
Un ordre public social est défini par la loi. Il est des principes qui sont
définis par la loi. Il faut bien sûr veiller à ce que ces principes traduisent,
à un moment donné, l'équilibre qui prévaut dans la société. Mais, au-delà de la
loi et sur le socle légal en quelque sorte, pourquoi se refuser au jeu de la
négociation collective, de la libre détermination par les partenaires sociaux,
dans le cadre de la loi, des dispositions qui leur conviennent ?
Voilà la problématique qui m'a conduit à poser cette question à M. le ministre
par l'intermédiaire de cet amendement.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour présenter l'amendement n° 2 et pour
donner l'avis de la commission sur les amendements n°s 39, 81 et 125.
M. Louis Souvet,
rapporteur.
L'amendement n° 2 vise simplement à rectifier une erreur
matérielle.
L'amendement n° 39 tend à supprimer deux dispositions importantes du projet de
loi : l'unification des modalités de bonification des heures supplémentaires et
le renvoi à la négociation de branche du soin de fixer leur taux de
bonification. Dans ces conditions, la commission ne peut se reconnaître dans ce
texte.
Aussi, elle émet un avis défavorable sur l'amendement n° 39.
Elle émet également un avis défavorable sur l'amendement n° 81. En effet,
celui-ci tend à revenir sur les nouvelles possibilités, qui sont offertes à la
négociation de branche, de fixer le taux de majoration des heures
supplémentaires. Cette disposition ne correspond pas à l'architecture retenue
par la commission.
S'agissant de l'amendement n° 125, M. Marini a dit lui-même ce que la
commission a dit, à savoir qu'il s'agit du régime des heures supplémentaires et
que le projet de loi a retenu le niveau de la branche. La commission s'est
montrée prudente car elle redoute de grandes disparités entre les entreprises.
Mais elle souhaite entendre M. le ministre sur ce point.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 39, 81, 1, 125 et 2
?
M. François Fillon,
ministre.
S'agissant de l'amendement n° 39, le Gouvernement souhaite, en
effet, que cette question soit renvoyée à la négociation de branche. Quant aux
remarques, qui ont été faites par plusieurs orateurs, sur la place respective
de la loi et du contrat, nous aurons un débat sur ce point dans les mois à
venir lorsque nous vous proposerons de traduire dans la loi un certain nombre
d'éléments qui sont dans la position commune signée par les partenaires
sociaux. C'est donc bien au Parlement qu'il appartiendra de décider de la ligne
de partage dans ce domaine.
Il est évidemment tout à fait caricatural de prétendre que c'est le MEDEF qui
veut que l'on donne plus de place au contrat par rapport à la loi. C'est
l'ensemble des partenaires sociaux, en tout cas une grande partie d'entre eux,
qui souhaitent pouvoir, sur un certain nombre de sujets, et dans le cadre
défini par la loi, négocier eux-mêmes, de manière différente d'une branche à
l'autre ou d'une entreprise à l'autre, en fonction des situations. Le
Gouvernement ne peut donc pas accepter ces dispositions. Il émet, par
conséquent, un avis défavorable sur l'amendement n° 39.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur l'amendement n° 81.
En revanche, il émet un avis favorable sur les amendements n°s 1 et 2.
J'en viens à l'amendement n° 125. J'ai cru comprendre que M. Marini allait le
retirer. En effet, il l'a présenté pour amorcer un débat et pour que le
Gouvernement lui réponde sur le choix de l'échelle des accords de branche pour
la négociation du régime des heures supplémentaires.
Dans l'état actuel de notre droit social et du dialogue social dans notre
pays, compte tenu des règles de validation des accords qui existent
aujourd'hui, il n'est pas possible, sur une question aussi importante que les
dispositions relatives au régime des heures supplémentaires, de descendre en
dessous de la négociation de branche, c'est-à-dire de se priver de l'accord de
branche étendu, à savoir la possibilité pour le Gouvernement de veiller à ce
que les accords signés soient compatibles avec les règles d'ensemble du droit
du travail et qu'ils reflètent un réel équilibre entre les partenaires
sociaux.
Demain, si nous allons vers une modification des règles en matière de
validation des accords, la question pourra se poser de manière différente.
Mais, aujourd'hui, le Gouvernement doit évidemment garder la possibilité de
juger de l'équilibre réel des accords, et ce n'est possible qu'à travers les
accords de branche étendus.
J'ajouterai un dernier argument, qui, je l'espère, convaincra M. Marini, c'est
celui, auquel il sera certainement sensible, des conditions de concurrence au
sein d'une même branche. Il n'est tout de même pas très sain de mettre en
oeuvre des différences aussi importantes s'agissant du temps de travail d'une
entreprise à l'autre, en fonction du climat social et du rapport de force. Il
est souhaitable que ces règles soient définies au niveau de la branche.
Telle est la raison pour laquelle, en attendant les discussions que nous
aurons l'année prochaine sur le dialogue social et sa modernisation, je
souhaite que M. Marini retire cet amendement auquel le Gouvernement n'est pas
favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 39.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 81.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
La parole est à M. Philippe Marini pour explication de vote sur l'amendement
n° 1.
M. Philippe Marini.
Je vais voter l'amendement n° 1, qui, je l'espère, sera adopté, ce qui fera
tomber l'amendement n° 125.
(Sourires.)
Je profite de l'occasion qui
m'est donnée pour remercier M. le ministre de la réponse qu'il a bien voulu me
faire et dans laquelle j'ai vu quelques ouvertures pour l'avenir.
(M. le
ministre fait un signe d'assentiment.)
Je souhaite par ailleurs rappeler que le contrat collectif d'entreprise, tel
qu'un certain nombre d'entre nous l'appelait, voilà quelques années, demeure
une référence importante pour faire évoluer le droit social. En effet, si l'on
permet, bien entendu en encadrant les choses au niveau de la branche, aux
acteurs sociaux de l'entreprise de globaliser leur discussion, de faire porter
cette discussion à la fois sur des éléments quantitatifs - les rémunérations,
le taux des heures supplémentaires - et qualitatifs - l'organisation du
travail, tout ce qui conditionne l'ambiance de travail dans l'entreprise -
éléments auxquels pourraient s'ajouter des préoccupations touchant à
l'actionnariat des salariés, aux retraites, bref à tout ce qui peut être mis en
commun dans une négociation globale, cela constituerait, me semble-t-il, un
véritable progrès social. Un bon équilibre pourrait être trouvé, bien entendu
dans le respect de l'ordre public social,...
Mme Michelle Demessine.
Il n'y en a plus !
M. Guy Fischer.
Vous le dynamitez l'équilibre social !
M. Philippe Marini.
... dans le respect des accords de branche. C'est ce que permet l'amendement
tout à fait excellent de la commission.
(Protestations sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Sous bénéfice de ces quelques observations, qui ont le malheur, semble-t-il,
de déplaire à quelques-uns de nos collègues, mais que je formule avec toute la
conviction qui m'anime
(Nouvelles protestations sur les mêmes
travées.)...
Mes chers collègues, les convictions sociales ne se trouvent pas uniquement de
votre côté de l'hémicycle, je vous prie de bien vouloir le reconnaître ; il y a
différentes façons de se dire, de se proclamer des républicains sociaux.
(Exclamations toujours sur les mêmes travées.)
Je disais donc que, sous le bénéfice des observations que j'avais formulées,
je voterai de façon tout à fait déterminée l'amendement n° 1.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Roland Muzeau pour explication de vote.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, si vous le permettez, je vais user du même stratagème
que mon collègue Marini. Je parlerai non pas de l'amendement n° 1 mais de
l'amendement n° 125, qui risque de tomber.
Dans son intervention, notre collègue a formulé un aveu de taille. S'adressant
à M. le ministre, qui a d'ailleurs hoché la tête dans le bon sens, il a dit : «
J'ai bien compris que vous considériez ma proposition comme une ouverture. »
Pour ma part, j'avais préparé une brève intervention que j'aurais prononcée si
l'amendement n° 125 était resté en discussion et dans laquelle je qualifiais la
proposition de notre collègue M. Marini de poisson pilote du Gouvernement. Elle
correspond probablement à une nouvelle annonce d'une réduction des droits des
travailleurs. En effet, prétendre que ramener la négociation à l'échelle de
l'entreprise est un grand acte de démocratie, c'est, me semble-t-il, commettre
une grave erreur, c'est en tout cas méconnaître totalement ce qu'est le monde
de l'entreprise. Il faut y mettre les pieds pour savoir comment...
M. Hilaire Flandre.
Vous voudriez que ce soit la CGT qui décide tout !
M. Roland Muzeau.
Monsieur, j'ai travaillé vingt ans en entreprise. J'en sais probablement plus
que vous.
M. Eric Doligé.
Moi, j'y ai travaillé vingt-cinq ans !
M. Roland Muzeau.
Nous pouvons en discuter. Pour l'instant, permettez-moi de terminer mon
propos.
C'est donc faire preuve d'une méconnaissance totale de ce qu'est la
négociation sociale dans les entreprises que de nous faire de telles
propositions.
Même dans les entreprises où il y a des organisations syndicales, ce qui n'est
réalisé que dans un nombre de cas limité, puisque la répression antisyndicale
est très forte quelles que soient les organisations syndicales et qu'il est
difficile d'exercer un mandat syndical dans une entreprise, quelle que soit sa
taille ou sa nature, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'un groupe
multinational, il est impossible de penser que l'on pourra rediscuter du code
du travail.
D'ailleurs, monsieur Marini, à ce propos, vous avez péché par un excès de
prudence. En fait, vous n'avez pas osé aller au bout de votre pensée. Si vous
proposez que la négociation ait lieu au niveau de l'entreprise, ce n'est pas
pour aller au-delà des accords de branches, de la loi ou du code du travail.
Bien au contraire - et là je poursuis votre pensée - c'est rester en deçà, pour
adapter de manière restrictive le droit du travail applicable à tous les
salariés. L'honnêteté aurait voulu que vous alliez jusqu'au bout de votre
démonstration. A un moment donné, vous avez dit : « J'assume ma pensée ». Eh
bien oui, faites-le ! Cela donnera d'ailleurs un peu de sens à nos débats, car
depuis le début de la discussion, la majorité sénatoriale a été bigrement
muette. Elle nous avait pourtant habitués à autre chose !
En tout cas, monsieur le ministre, si poisson pilote il y a, j'espère que vous
retiendrez une proposition, celle qui consiste à débattre du droit syndical
dans les entreprises et à constater, à partir d'un bilan, que la répression
antisyndicale est une réalité tout à fait catastrophique.
M. Hilaire Flandre.
Ce ne sont que lieux communs !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 1.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° 125 n'a plus d'objet. Je mets aux voix
l'amendement n° 2.
(L'amendement est adopté.)
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est M. le président de la commission.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
avec l'accord de M. le ministre, je souhaite que nous interrompions maintenant
nos travaux pour les reprendre, comme prévu, demain après-midi, à quinze
heures. En effet, par notre travail soutenu, nous sommes allés au bout des
amendements que la commission avait examinés. Celle-ci doit se réunir demain
matin à neuf heures trente pour poursuivre son travail.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande ?
M. François Fillon,
ministre.
Monsieur le président, comment pouvez-vous imaginer que M. le
président de la commission pourrait se prévaloir de mon accord si je ne le lui
avais pas formellement donné ?
(Sourires.)
M. le président.
Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande, monsieur le président de la
commission.
La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine
séance.
6
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Projet de position commune du Conseil 2002/.../PESC du... modifiant et
prorogeant la position commune 96/635/PESC relative à la Birmanie/au
Myanmar.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2112 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de directive du Conseil relative aux conditions d'entrée et de
séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d'études, de formation
professionnelle ou de volontariat.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2113 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux
précurseurs de drogues.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2114 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux
exigences en matière d'assurance applicables aux transporteurs aériens et aux
exploitants d'aéronefs.
Ce texte sera imprimé sour le numéro E-2115 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant les
offres publiques d'acquisition.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2116 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de décision du Conseil relative à la signature et à l'application
provisoire de certaines dispositions d'un accord d'association conclu entre la
Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République du
Chili, d'autre part. Proposition de décision du Conseil relative à la
conclusion d'un accord d'association entre la Communauté européenne et ses
Etats membres, d'une part, et la République du Chili, d'autre part.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-2117 et distribué.
7
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 23 octobre 2002, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale,
relatif aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi (n°
21, 2002-2003) ;
Rapport (n° 26, 2002-2003) de M. Louis Souvet, fait au nom de la commission
des affaires sociales ;
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Question orale avec débat (n° 1) de M. Josselin de Rohan à M. le ministre de
l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer sur la
politique ferroviaire ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 23
octobre 2002, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 360, 2001-2002) sur
la proposition de loi de M. Jean-François Le Grand relative à l'implantation
des éoliennes et la protection de l'environnement (n° 287, 2000-2001).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 23 octobre 2002, à
dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires économiques (n° 23, 2002-2003) sur
la proposition de loi de M. Bruno Sido et de plusieurs de ses collègues
relative à la couverture territoriale en téléphonie mobile de deuxième
génération par la mise en oeuvre prioritaire de prestations d'itinérance locale
entre opérateurs (n° 409, 2001-2002).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 23 octobre 2002, à
dix-sept heures.
Projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la
République (n° 24 rectifié, 2002-2003).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 28 octobre 2002, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 28 octobre 2002, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures dix.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD
QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Conditions d'accueil des gens du voyage
dans les petites communes
66.
- 21 octobre 2002. -
M. André Vallet
attire l'attention de
M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales
sur l'inadéquation du seuil de 5 000 habitants pour la mise en oeuvre des
schémas départementaux d'accueil des gens du voyage à la situation de
nombreuses communes rurales. Il lui rappelle que la loi n° 2000-614 du 5
juillet 2000 impose aux communes de plus de 5 000 habitants l'implantation sur
leur territoire d'un terrain d'accueil pour les gens du voyage et que cette
obligation est souvent très lourde pour les petites communes rurales. Il lui
indique que la localisation géographique de ce terrain est souvent délicate car
il doit satisfaire à d'élémentaires conditions d'hygiène et de sécurité, et
que, dans les petites communes rurales, la mise à disposition de terrains
répondant à ces critères n'est souvent pas possible. Il lui indique également
que la capacité d'accueil dans les écoles de la plupart des communes ne permet
pas la scolarisation dans de bonnes conditions de tous les enfants des gens du
voyage. De même, seule la présence d'une gendarmerie permet de « limiter les
conflits générés par la présence des gens du voyage, souvent anarchique et
conflictuelle », objectif fixé par la loi. Dès lors, s'il apparaît que la
présence d'une gendarmerie est indispensable pour l'encadrement des aires
d'accueil et de stationnement des gens du voyage, toutes les petites communes
rurales ne bénéficient pas de cette présence. Il lui précise enfin que les
finances communales ne peuvent souvent pas permettre de financer l'installation
et d'assurer le fonctionnement d'une aire de stationnement des gens du voyage
sans que ce coût n'ait de graves répercussions sur la vie de toute la
population de la commune. Il estime que le seuil des 5 000 habitants n'est pas
adapté à la situation et qu'il devrait être substantiellement relevé. Dès lors,
il lui demande si le Gouvernement envisage des solutions alternatives à
l'installation d'aires de stationnement des gens du voyage sur le territoire
des petites communes.
Pénurie d'infirmières dans les hôpitaux
67.
- 21 octobre 2002. -
M. André Vantomme
appelle l'attention de
M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées
sur la pénurie actuelle d'infirmiers et d'infirmières dans nos hôpitaux et sur
les conséquences résultant des nombreux départs en retraite dans les années qui
viennent. Il souligne que cette pénurie est renforcée dans ses effets par des
disparités régionales très fortes qui viennent d'être amplifiées par la mise en
place des 35 heures. Il lui demande de lui préciser, face à une situation qui
devient périlleuse, quelles mesures spécifiques il envisage afin qu'il y soit
remédié.
Application de la loi SRU dans les zones agricoles
68.
- 22 octobre 2002. -
M. Bernard Piras
attire l'attention de
M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de
la mer
sur une des dispositions de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à
la solidarité et au renouvellement urbains (loi dite SRU). En effet, le plan
local d'urbanisme comporte plusieurs zonages, dont la zone agricole, dite «
zone A ». Selon l'article R. 123-7 du code de l'urbanisme, dans son second
alinéa, « les constructions et installations nécessaires au service public ou
d'intérêt collectif et à l'exploitation agricole sont seules autorisées en zone
A ». Une application stricte de cette disposition conduit à ce qu'aucune autre
construction puisse être édifiée dans ces secteurs. L'objet de son intervention
ne porte pas sur les constructions nouvelles, puisqu'il est clair que la loi
SRU a notamment pour finalité de lutter contre le mitage, mais sur celles déjà
existantes en zone agricole. A ce titre, il s'avère que beaucoup de communes
possèdent sur leur territoire des bâtiments qui étaient destinés auparavant à
l'agriculture et, celle-ci ayant parfois décliné, les propriétaires desdits
bâtiments se retrouvent dans une impasse, ne pouvant même pas en changer la
destination, que ce soit en habitation ou activité autre. Outre la difficulté
de gestion créée pour les propriétaires, le risque bien présent est de voir
apparaître des constructions se délabrant et finissant en ruine. Une telle
issue n'est bien évidemment pas satisfaisante et de très nombreux élus locaux
sont confrontés à ce genre de situation. En conséquence, il lui demande quelles
dispositions il entend prendre rapidement pour régler cette difficulté apparue.