SEANCE DU 8 OCTOBRE 2002
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau, auteur de la question n° 23,
adressée à Mme la ministre déléguée à l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la ministre, ma question porte sur l'avenir des centres de tri du
courrier, qui constituent une pièce maîtresse du service public de La Poste.
Au nombre de 104 dans tout le pays, soit donc environ un par département, ils
seraient l'objet d'un vaste mouvement de concentration qui pourrait impliquer,
à terme, une très forte diminution de l'activité des deux tiers d'entre eux,
voire leur suppression pure et simple : ils seraient alors supplantés par de
gros établissements régionaux hautement automatisés.
Pour le moment, cette perspective ne fait l'objet que d'une rumeur, puisque le
nouveau schéma directeur de traitement et de transport du courrier établi par
la direction de La Poste n'a toujours pas été communiqué. Cependant, les
restructurations en cours entrent clairement dans une telle perspective : des
transferts de trafic sont organisés de centres départementaux vers des centres
à vocation régionale, comme de Mâcon vers Saint-Priest, ou de Blois -
l'activité « écoplis » - vers Clermont-Ferrand.
De façon plus évidente encore, la délégation régionale de La Poste
d'Ile-de-France a annoncé, au début de l'été, la suppression du traitement du
courrier dans cinq des huit centres de tri de Paris
intra muros
- Paris
VIIIe, Paris XIe, Paris XVIIe, Paris XVIIIe et Paris XXe - remplacés, d'ici à
la fin de 2004 ou au début de 2005, par un nouveau centre qui serait construit
à Gonesse, en banlieue nord, sans même, d'ailleurs, que la municipalité en ait
été informée.
L'achat de quatre-vingts nouvelles machines de tri adaptées à ce type de
nouveau centre a été voté par le conseil d'administration en début d'année :
cela confirme le sens des restructurations en cours de l'ensemble du traitement
du courrier national, sans parler de la restructuration radicale des centres de
tri internationaux, puisqu'il n'en resterait qu'un seul, implanté à Roissy.
Madame la ministre, quels sont exactement les plans actuellement retenus par
la direction de La Poste et par le Gouvernement concernant l'avenir du
traitement du courrier sur le territoire national ? Reconnaissez-le, il est
anormal que la parlementaire que je suis soit informée de toutes ces questions
uniquement par les organisations syndicales.
Le nouveau contrat de plan conclu entre l'Etat et La Poste est en pleine
élaboration. Est-il conforme à votre conception du dialogue social d'en tenir
éloignés les salariés de La Poste et leurs organisations syndicales ? J'espère
que non !
« Le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous », affirmait le slogan
d'une autre entreprise publique. La concentration des centres de traitement du
courrier et leur automatisation à outrance sont loin de correspondre, je le
crains, à une amélioration de la qualité du service rendu pour tous les
usagers, à une amélioration de l'emploi et des conditions de travail des
personnels et au renforcement du service public.
Ce mouvement de concentration ne va-t-il pas, d'abord, à rebours de l'objectif
de décentralisation, si largement affiché par le Gouvernement, mais dont serait
exclue La Poste ? Il entraînerait en tout cas une forte augmentation - bien peu
écologique et qui ne serait guère synonyme de gain de temps - du transport du
courrier, désormais effectué uniquement par camions privés. Songeons à
l'exemple des centres du nord de Paris : habitant Sarcelles, près de Gonesse,
je connais biens les temps de transport nécessaires pour rejoindre ou quitter
Paris. Trouvez-vous logique, madame la ministre, qu'une lettre postée dans le
XVIIe arrondissement à destination du XIe arrondissement transite par Gonesse
et que son acheminement subisse les embouteillages ?
L'annonce de la suppression des centres de Paris a coïncidé avec le lancement
par La Poste de sa nouvelle gamme d'offre spécifique dénommée « Tem'post », en
direction de ses plus gros clients. Je pense que ce n'est pas un hasard et que
la nouvelle conception du traitement du courrier correspond à la priorité
donnée, dans une perspective concurrentielle, au courrier industriel, qui
représente déjà près de 30 % du chiffre d'affaires de l'activité, avec des
marges bénéficiaires très importantes, de l'ordre de 20 % !
Avec Tem'post, les gros clients - facturiers, banques, assurances, vépécistes,
routeurs, publiposteurs, etc. - bénéficient d'un tarif attractif et de
garanties de délais de deux à sept jours, sous peine de remboursement partiel
par La Poste. Ce système établit ainsi la priorité de traitement pour ce
courrier industriel sur le courrier prioritaire et même Cedex, pourtant destiné
à être délivré le lendemain, selon la norme J + 1.
Les centres de tri régionaux et les machines dont ils seront dotés seront
adaptés sur mesure à ce courrier industriel, souvent préconditionné dans les
cellules « courrier » de ces entreprises ou par des sous-traitants, totalement
privés et employant du personnel précaire.
Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que cette évolution va à l'encontre
des principes même du service public : égalité de traitement, péréquation
tarifaire, qualité de service pour tous ?
Enfin, concernant l'emploi et les conditions de travail, les organisations
syndicales estiment que la concentration envisagée des centres de tri
aboutirait à la suppression de 4 000 à 7 500 emplois et à l'extension, à
l'intérieur et en dehors de La Poste, de la précarité. Je souligne que, bien
que l'activité courrier soit toujours en croissance - l'Union postale
universelle vient de prévoir un accroissement annuel moyen de 3 % pour les
années à venir -, la situation de l'emploi s'est fortement dégradée ces
dernières années, avec un recours croissant à des personnels contractuels : 6
500 sur 33 000. Les rémunérations sont faibles et certains contrats de travail
sont proprement scandaleux : je pense, par exemple, à ces étudiants qu'on
emploie quatre heures par jour, de dix-huit heures à vingt-deux heures, pour
450 euros par mois.
Un tiers des personnels fonctionnaires des centres de tri doit partir en
retraite d'ici à 2005. Je vous pose donc la question, madame la ministre :
combien d'emplois de fonctionnaires comptez-vous créer pour les remplacer ?
Combien de contractuels envisagez-vous de titulariser ?
Madame la ministre, les salariés de La Poste et leurs organisations syndicales
font des propositions pour moderniser tous les centres de tri en développant
l'emploi stable et en améliorant la qualité du service rendu pour renforcer,
par exemple, la norme J + 1, voire pour passer dans les villes à des courriers
distribués dans la journée. Des mouvements de revendications, vous le savez,
madame la ministre, sont prévus dans les semaines qui viennent. Les
entendrez-vous ?
M. le président.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Fontaine,
ministre déléguée à l'industrie.
Madame la sénatrice, La Poste est un
service public auquel les Français et le Gouvernement sont très attachés.
Cette entreprise se modernise constamment pour offrir un service de qualité à
tous ses utilisateurs, dans les meilleures conditions de coût. La Poste doit en
effet répondre aux demandes de ses clients, qui sont, vous le savez, madame la
sénatrice, de plus en plus diverses. Il s'agit de satisfaire les besoins
exprimés par les particuliers pour leur correspondance, mais aussi ceux - et il
sont de plus en plus importants - qui sont exprimés par les entreprises du
secteur de la vente par correspondance, par exemple, qui expédient tous les
jours des dizaines de milliers de messages commerciaux, ou encore par les
petites et moyennes entreprises, pour qui le courrier est un vecteur tout à
fait essentiel de développement.
Je puis vous dire, madame la sénatrice, que le Gouvernement veille à
l'amélioration constante de cette qualité. A cet égard, vous le savez, un
nouveau président a récemment été nommé à la tête de l'entreprise et j'ai eu
l'occasion de le rencontrer très longuement hier. Nous avons parlé de l'avenir
et j'ai pu constater que nous partagions la même ambition, qui est de faire en
sorte que La Poste conserve sa vocation de service public.
A cette fin, nous formulerons très prochainement des propositions concrètes,
et le Parlement sera, bien évidemment, très étroitement associé à toutes les
évolutions que nous envisageons. De même, le dialogue social devra être mené
avec une particulière attention.
Vous avez posé une question plus précise sur le projet de réorganisation du
traitement du courrier à Paris. Ainsi, cinq centres parisiens seront regroupés
dans un centre de tri de nouvelle génération, celui de Paris-Nord, situé à
Gonesse, dans le département du Val-d'Oise.
Ce projet de réorganisation s'inscrit dans la perspective d'une modernisation
absolument indispensable des organisations et des techniques, dont les
modalités font aujourd'hui l'objet d'une très large concertation : aucune
décision n'a encore été prise, des chantiers de travail ont été proposés sur
divers thèmes, parmi lesquels figurent les conditions de travail, la prévention
des accidents, les plans de formation.
J'ajoute que le nouveau centre de traitement du courrier de Paris-Nord,
essentiel pour l'avenir de La Poste à Paris et en Ile-de-France, sera le plus
important de France et le plus moderne d'Europe. Il entrera en activité au
début de 2004, lorsque nous aurons achevé la concertation actuellement en
cours. Il contribuera ainsi à réduire la quantité de camions circulant en
centre-ville, participant ainsi à l'amélioration du trafic dans certains
quartiers de la capitale. Il présente donc un certain nombre d'avantages
réels.
Je vous demande, madame la sénatrice, de faire confiance à ceux qui ont conçu
ce plan. Je vous confirme qu'ils souhaitent le mener à bien dans l'intérêt du
plus grand nombre, dans celui des usagers comme dans celui de l'ensemble du
secteur de La Poste.
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Cependant, je considère
que vous n'avez défini clairement ni les objectifs du schéma directeur ni la
place de La Poste dans le prochain contrat de plan.
Vous dites que le Gouvernement est, comme l'ensemble des Français, très
attaché au service public de La Poste, le courrier jouant un grand rôle dans la
vie quotidienne de chacun, et vous exprimez le souhait d'une modernisation de
ce service.
Nous ne refusons pas la modernisation dès lors qu'elle peut soulager le
travail accompli journellement par les postiers, mais nous ne croyons pas que
celle que vous nous proposez ira dans le sens d'une amélioration du service
public. En effet, vous vous préparez à livrer La Poste au secteur privé, à la
concurrence, et cela nous inquiète beaucoup.
Nous estimons que cette politique affaiblira La Poste en supprimant des
milliers d'agents pourtant très compétents et dévoués, d'agents qui s'honorent
d'être postiers. En livrant ce service au secteur privé, vous allez satisfaire
les concurrents de La Poste, qui se préparent à engranger de gros profits.
Je ne suis pas certaine, madame la ministre, que les postiers vont rester
longtemps des forces dociles. Vous le savez, des réactions très fortes se
préparent parce que, contrairement à ce que vous nous avez laissé entendre,
aucune concertation n'a été organisée entre la direction de La Poste et les
organisations syndicales.
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