SEANCE DU 8 OCTOBRE 2002
M. le président.
La parole est à Mme Brigitte Luypaert, auteur de la question n° 14, adressée à
M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires
rurales.
Mme Brigitte Luypaert.
Monsieur le ministre, le 10 juillet dernier, le commissaire européen à
l'agriculture a présenté un certain nombre de propositions sur « la révision à
mi-parcours de la politique agricole commune », qui ont provoqué une vive
inquiétude chez un très grand nombre d'agriculteurs français.
Cette initiative pose en tout premier lieu un problème de fond : faut-il
modifier le cadre défini en 1999 à Berlin pour la période 2000-2006 s'agissant
de la politique agricole commune ?
Pour ma part - et je crois que le Gouvernement est également sur cette ligne -
je pense qu'il serait souhaitable que les engagements pris par les Etats
membres de l'Union européenne soient observés jusqu'à leur terme, c'est-à-dire
jusqu'en 2006.
D'aucuns semblent néanmoins prétendre que, à cette date, la France pourrait se
retrouver bien seule pour défendre ses spécificités, alors qu'aujourd'hui elle
dispose encore d'un certain nombre d'alliés : ce risque, s'il existe et s'il
s'avère très important, mériterait d'être pris en considération !
Certaines propositions formulées par le commissaire européen paraissent, en
l'état, inacceptables. Je pense notamment à l'instauration d'une aide unique
par exploitation déconnectée du système de production et fondée sur des
références historiques. Cette idée me paraît dangereuse et sa mise en oeuvre
entraînerait de grandes disparités : ainsi, les exploitations bénéficiant de
bonnes références percevraient ce que l'on peut appeler « une rente de
situation », alors que les autres seraient très largement perdantes. A terme,
où se situerait l'équité entre exploitations et quelles seraient les
conséquences de cette réforme pour l'image de l'agriculture ?
Je pense aussi à la baisse des prix de certaines productions. Ainsi, une
baisse de 5 % du prix garanti interviendrait pour le blé, le maïs et l'orge,
dont le prix a déjà été réduit de 15 % sur deux ans.
Je pense ensuite à l'« éco-conditionnalité » des aides : un audit des
exploitations touchant plus de 5 000 euros d'aides serait réalisé et, en cas de
non-respect du principe d'« éco-conditionnalité », les paiements directs
seraient réduits, voire supprimés ! Inutile de dire qu'il s'agirait là d'une
nouvelle construction technocratique. Or, à l'heure où le nombre d'emplois
directement liés à la production est en diminution constante, comment
pourrions-nous accepter une augmentation permanente des emplois administratifs
en charge du contrôle ?
Je pense, enfin, à la modulation des aides. Ainsi, à partir de 2004, une
réduction annuelle de 3 % serait appliquée aux paiements pendant cinq ans. Les
moyens ainsi dégagés seraient utilisés afin de favoriser le développement
rural, c'est-à-dire des modes d'exploitation moins intensifs. Alors que la
France sous-consomme les aides du deuxième pilier de la PAC, pourquoi accepter
un prélèvement sur le premier pilier ?
Toutes ces mesures, si elles étaient mises en oeuvre, entraîneraient
de
facto
une baisse sensible du revenu des producteurs et des éleveurs
français, alors que beaucoup d'entre eux sont d'ores et déjà dans une situation
plus que préoccupante. Quant à la baisse des aides au revenu, elle entraînerait
ni plus ni moins la disparition de plusieurs dizaines de milliers
d'exploitations agricoles !
Je crois sincèrement, comme l'a fort judicieusement précisé la mission
d'information du Sénat sur la PAC, qu'il faudrait réfléchir à une réforme en
vue d'aboutir à une politique agricole profondément remaniée, visant à assurer
un revenu décent à l'ensemble des producteurs agricoles à travers une
revalorisation des prix.
Les agriculteurs français ne sont pas très heureux d'avoir été transformés, au
fil des ans, en quémandeurs de subventions européennes : ils préféreraient, et
de très loin, pouvoir bénéficier de prix rémunérateurs pour leurs productions.
Cela paraît possible. Ainsi, au 1er octobre, le blé d'export américain est 36 %
plus cher que le blé français : 160 euros la tonne contre 117,50 euros la
tonne.
Nous comptons beaucoup sur vous, monsieur le ministre, et sur l'ensemble du
Gouvernement pour que, à l'instar de ce qui vient d'être décidé aux Etats-Unis
à travers le
farm bill,
soit préservée l'intégrité du premier pilier de
la PAC qui, en soutenant la production et en régulant les marchés, est seul à
même de garantir la compétitivité de l'agriculture européenne. Dans cet esprit,
il convient de refuser la réduction des aides directes et la réduction des prix
d'intervention sur certaines productions suggérées par la Commission
européenne. Il convient aussi d'éviter de transformer l'agriculture européenne,
qui doit être productive et rentable, en simple agriculture de services chargée
d'entretenir le territoire.
Il faut redonner confiance et espoir à tous les agents économiques du monde
agricole et agroalimentaire, et notamment aux producteurs français : ils
comptent beaucoup sur nous et sur vous ; il s'agit de ne pas les décevoir.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Hervé Gaymard,
ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires
rurales.
Madame le sénateur, je vous remercie de votre question très
argumentée. L'avenir de la politique agricole commune est effectivement d'une
importance majeure pour l'Europe, notamment pour la France.
Dès sa mise en place en 1962, la politique agricole commune a été critiquée.
Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage... Les procès d'intention qui sont
faits à la politique agricole commune sont injustifiés. C'est d'ailleurs la
raison pour laquelle six ministres européens de l'agriculture et moi-même avons
publié, voilà deux semaines, dans vingt quotidiens européens en même temps, une
défense et illustration d'une PAC d'avenir.
En effet, s'agissant de la politique agricole commune, on entend beaucoup de
bêtises.
(M. Didier Boulaud s'exclame.)
Ainsi, elle serait trop
coûteuse. Or, elle représente 1 % de la richesse nationale des pays européens,
contre 1,5 % aux Etats-Unis. Elle serait productiviste, et en cela on se réfère
aux montagnes de beurre ou de poudre de lait des années soixante-dix et
quatre-vingt. Ce n'est heureusement plus le cas aujourd'hui. On accuse aussi la
PAC d'avoir provoqué la crise de la vache folle.
MM. Jean-Pierre Demerliat et Didier Boulaud.
Mme Thatcher !
M. Hervé Gaymard,
ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires
rurales.
Or, c'est l'absence de politique européenne suffisante en matière
de sécurité sanitaire qui en est à l'origine.
Nous n'avons donc aucune honte à avoir à défendre et à promouvoir une
politique agricole européenne ambitieuse, car il en va de notre indépendance
alimentaire. Chacun sait bien que l'arme agricole et l'arme alimentaire sont
des facteurs constitutifs de la puissance. Il n'y a aucune raison que l'Europe
abandonne aux Etats-Unis ou au groupe de Cairns la puissance économique
agricole et alimentaire.
Voilà trois ans, à Berlin, les pays européens se sont entendus sur un « paquet
» global, sur les fonds structurels, les fonds régionaux, sur la baisse de la
contribution britannique et sur l'agriculture.
S'agissant de l'agriculture, il a été décidé d'instituer une enveloppe
budgétaire valable jusqu'en 2006. Il a été ensuite décidé, à partir de 2002, de
revoir la PAC à mi-parcours. Il a été décidé, enfin, qu'il n'y aurait pas de
lien entre l'élargissement et cette revue à mi-parcours. C'est la raison pour
laquelle la France a défendu une revue ambitieuse à mi-parcours. En effet,
comme vous l'avez dit, madame le sénateur, des choses ne vont pas dans la
politique agricole européenne telle qu'elle est menée actuellement. Des
filières ne fonctionnent pas, des organisations communes des marchés sont
déficientes et le deuxième pilier, dont la France est également l'avocat,
fonctionne mal.
L'année dernière, notre ministère de l'agriculture a été condamné à payer une
amende de 21 millions d'euros pour non-consommation de crédits sur le deuxième
pilier. Cela montre bien que ce deuxième pilier tel qu'il est conçu
actuellement ne fonctionne pas.
La position française, par rapport à cette revue à mi-parcours, est simple :
premièrement, faisons une véritable revue à mi-parcours pour modifier ce qui ne
fonctionne pas dans la PAC ; deuxièmement, respectons l'accord de Berlin, car
il n'y a aucune raison de ne pas respecter un accord qui a été conclu voilà
trois ans, d'autant plus que l'enveloppe budgétaire est tenue. Travaillons pour
une nouvelle politique agricole européenne à partir de 2007. Nous nous mettrons
au travail à partir de 2004 pour bâtir cette nouvelle politique agricole
européenne. Dans l'intervalle, ne transformons pas cette revue à mi-parcours en
une réforme anticipée de la PAC, menée à la va-vite, en prenant en otage les
Etats qui vont nous rejoindre.
C'est pourquoi, lors du conseil des ministres du 15 juillet dernier à
Bruxelles, j'ai exposé la position de la France. Sur de nombreux points, elle
rejoint celle que vous avez exprimée.
Tout d'abord, on ne voit par pour quelle raison on diminuerait les prix
d'intervention, alors même que les prix sont déjà à un niveau historiquement
bas et que l'on demande aux agriculteurs toujours plus de traçabilité et de
mise en conformité aux normes européennes. Ensuite, s'agissant du « découplage
», il nous paraît un peu surprenant que la Commission propose cette solution
sans une étude d'impact environnemental, économique, financier et territorial.
Enfin, nous sommes bien évidemment d'accord pour débureaucratiser cette
politique agricole commune, qui n'est que trop complexe. De ce point de vue,
l'écoconditionnalité ne doit pas être un facteur de complication
supplémentaire.
Telle est, madame le sénateur, la position de la France. Je terminerai en
précisant que, contrairement à ce qui avait été dit au début du mois de
juillet, la France n'est pas isolée, puisque sept pays ont signé le document et
dix pays sur quinze ont refusé le découplage.
M. le président.
La parole est à Mme Brigitte Luypaert.
Mme Brigitte Luypaert.
Je remercie M. le ministre de sa réponse très complète.
S'agissant des effets de cette révision, dans mon département l'impact a été
mesuré, même si tous les éléments n'ont pas encore été pris en compte. Or
l'impact est très important : pour certaines exploitations, on aboutit à des
revenus négatifs !
Je fais confiance au Gouvernement et à M. le ministre pour défendre les
intérêts et la spécificité de l'agriculture française.
PROJET DE RÉORGANISATION
DES STRUCTURES DE L'ONF