SEANCE DU 20 FEVRIER 2002
M. le président.
L'article 5
bis
A a été supprimé par l'Assemblée nationale.
L'amendement n° 11, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Rétablir l'article 5
bis
A dans la rédaction suivante :
« L'article 308 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« I. - Dans le deuxième alinéa, les mots : "d'un enregistrement sonore" sont
remplacés par les mots : "en tout ou partie, d'un enregistrement audiovisuel ou
sonore".
« II. - Dans la première phrase du quatrième alinéa, après les mots :
"L'enregistrement" sont insérés les mots : "audiovisuel ou".
« III. - La seconde phrase du quatrième alinéa est ainsi rédigée :
"L'enregistrement audiovisuel ou sonore peut encore être utilisé devant la cour
d'assises statuant en appel, devant la Cour de cassation saisie d'une demande
en révision, ou, après cassation ou annulation sur demande en révision, devant
la juridiction de renvoi." »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Nous abordons un point très important sur lequel j'ai insisté
dans mon exposé liminaire. Nous débattons en effet d'un texte renforçant non
seulement la protection de la présomption d'innocence mais également les droits
des victimes.
C'est un vrai problème. La victime existe, et il n'est que justice d'en tenir
compte. Si l'appel criminel est une très bonne chose, les victimes font
toutefois remarquer, dans certaines affaires, combien il peut être difficile,
voire douloureux de répéter intégralement en appel les faits extrêmement durs
qu'elles ont évoqués en première instance.
Tout le monde sait que, aujourd'hui les cours d'assises sont appelées à juger
en majorité des affaires de moeurs. Il peut être particulièrement pénible pour
les victimes, spécialement en ce domaine, de répéter à plusieurs reprises, et
de revivre en quelque sorte le calvaire qu'elles ont eu à subir.
Avec le présent amendement, nous proposons donc, comme en première lecture, un
enregistrement audiovisuel facultatif - j'insiste beaucoup sur ce terme - des
procès d'assises, qui pourrait donc être utilisé en appel. Nous avons voulu
tenter de soulager - s'il est possible - la douleur des victimes et de leur
famille.
On nous a opposé que ce système pourrait porter atteinte au principe sacré de
l'oralité des débats. Mais la diffusion de l'enregistrement ne pourra pas
dispenser la victime ou le témoin de comparaître. Cet amendement a simplement
pour objet de limiter la durée des auditions, d'éviter que la vicime ne réponde
à nouveau à certaines questions.
En première lecture, vous nous avez dit, madame le ministre, que
l'enregistrement pourrait se retourner contre la victime. Certes, mais nous
n'avons pas prévu de laisser à la discrétion des parties la décision de
diffuser l'enregistrement. Cette décision reviendrait au président de la cour
d'assises, ce qui limite la portée de votre objection.
Je rappelle par ailleurs que ce dispositif est entièrement facultatif et qu'il
ne porte pas atteinte aux principes fondamentaux du procès pénal. L'appel en
matière criminelle doit prendre en considération la difficulté considérable
pour les victimes, notamment en matière d'infraction sexuelle, de répéter et de
revivre à plusieurs reprises des faits abominables. Je me permets d'insister
lourdement sur ce point.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Moi aussi, j'insiste lourdement : je suis toujours
opposée à votre amendement, monsieur Schosteck.
Je rappelle que l'enregistrement audio est déjà prévu. Quant à
l'enregistrement vidéo, en particulier des très jeunes, certains ont bien
expliqué qu'il s'agissait, à partir de l'étude du visage, de voir si le jeune
disait vraiment la vérité, s'il avait subi des pressions, s'il était franc,
s'il était sincère, si les propos qu'il tenait ne lui aient pas été
inculqués.
Lorsqu'il s'agit de la déposition d'une victime, il est hors de question de
vérifier sur une bande vidéo si elle dit bien la vérité, si on ne lui a pas «
soufflé » des arguments, si elle n'essaie pas de tromper le jury. Non, il
s'agit d'une victime, donc d'une personne qui souffre, et le président du
tribunal peut fort bien utiliser un enregistrement audio.
N'oublions pas que la victime sera présente lors de la diffusion de
l'enregistrement. Il n'est pas utile de lui imposer la vue de son visage. Un
travail important reste à faire quant à l'utilisation possible ou probable de
la vidéo. J'ignore aujourd'hui quel usage on peut faire d'un tel enregistrement
au vu des motivations qui ont conduit à enregistrer les dépositions : l'étude
des visages.
Je ne pense pas qu'il soit facile pour une victime de se voir témoignant. Nous
ne sommes pas prêts. Nous n'avons pas assez travaillé sur les conséquences du
recours à cette technique. La procédure de l'appel en assise est nouvelle. Je
plaide donc pour une très grande prudence et je reste très inquiète de l'usage
qui pourrait être fait de l'enregistrement vidéo.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 11.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Badinder.
M. Robert Badinter.
Comme je l'ai indiqué lors des précédentes lectures, l'enregistrement
audiovisuel n'est pas compatible avec la réalité d'une affaire criminelle.
Le principe majeur, fondamental, sur lequel repose la procédure criminelle en
cours d'assises, c'est l'oralité des débats. Ce principe se justifie par une
raison simple et essentielle : il peut toujours se produire, au cours d'un
procès en assises, des événements que personne n'avait prévus.
Nous sommes passés d'un degré de juridiction unique à un système comportant
deux degrés de juridiction. Ce progrès est dû, je le rappelle, à une initiative
du Sénat et de notre ancien collègue M. Jolibois. Le principe de l'oralité des
débats ne doit pas pour autant être limité aussi peu que ce soit.
En effet, il arrive que des témoins modifient leur déposition. On l'a très
souvent constaté lors de procès en correctionnelle. Je peux vous assurer que
dans des affaires criminelles venant sur renvoi de la Cour de cassation, l'on
voit des témoins changer leur déposition, et, pardonnez-moi de le dire, on voit
aussi des victimes modifier la leur.
Si vous n'avez pas, que ce soit pour le président, pour l'avocat général, pour
les avocats et, le cas échéant, pour les avocats des autres parties civiles, la
possibilité de poser des questions, quelle possibilité reste-t-il de faire la
vérité ? Tout le procès repose sur cette exigence !
Je suis le premier à respecter la sensibilité de la personne, parce que là il
s'agit plus d'une question de sensibilité et de difficulté émotionnelle que de
droit. Mais, pour l'avoir vécu, je peux vous dire que tous les présidents de
cour d'assises et tous les participants au débat prêtent la plus grande
attention à ces instants-là.
Même dans un second procès, il est impossible de substituer à la présence d'un
protagoniste essentiel de l'affaire criminelle un enregistrement vidéo. Cela
reviendrait véritablement à vider l'appel de son sens.
Je comprends bien la préoccupation humaine qui gouverne l'auteur de
l'amendement et la volonté du Sénat de ménager la sensibilité des victimes,
mais ces attitudes se heurtent à une impossibilité.
Lorsque l'on reviendra, au cours de la prochaine législature, hélas ! sur les
questions de la procédure pénale, on pourra s'interroger sur les procédés
techniques utilisés par le tribunal pénal international de La Haye concernant
les victimes d'actes de terrorisme et les risques qu'elles encourent. Devant ce
tribunal, on continue à interroger la victime, on continue à lui poser des
questions, la victime étant protégée par un dispositif qui permet de ménager sa
sensibilité.
Cette question de l'enregistrement est d'une extraordinaire complexité. Nous
ne devons pas prendre de décision aujourd'hui.
J'ajoute que laisser à la discrétion du président, aussi qualifié soit-il, le
choix de procéder ou non à un enregistrement fera naître des différences
sensibles d'une cour d'assises à une autre. C'est un risque considérable au
regard de l'égalité des justiciables.
Les accusés mais aussi tous ceux qui participent à la manifestation de la
vérité, ainsi que les jurés, parce que c'est leur conscience qui est en
question, doivent avoir devant eux les victimes.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. René Garrec,
président de la commission.
Madame le garde des sceaux, je voulais
revenir sur vos propos parce que nous ne raisonnons pas en nous plaçant sur le
même terrain.
Dans notre idée, était concerné un mineur victime. Il ne s'agissait absolument
pas de rechercher une preuve sur son visage ; il s'agissait d'éviter à un jeune
que nous considérons comme une victime, qui aura vécu des moments horribles et
déjà raconté ce qui lui est arrivé, de revenir sur les faits une seconde fois.
Ce dispositif allait non pas dans le sens de la recherche de la preuve, mais
dans celui de la protection du mineur.
A notre collègue M. Badinter, je peux lire l'exposé des motifs d'un amendement
identique, défendu par M. Schosteck, lors de la discussion de la loi du 15 juin
2000 relative à la présomption d'innocence : « Le présent article ne vise en
aucun cas à dispenser une personne de comparaître, ce qui serait contraire à
l'oralité des débats, mais cela doit permettre d'écouter éventuellement
certaines dépositions en évitant à une personne de répéter l'intégralité des
propos tenus en première instance. »
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 11, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 5
bis
A est rétabli dans cette rédaction.
Article 5 quater