SEANCE DU 14 FEVRIER 2002


M. le président. « Art. 9 bis A. - I. - A la fin du deuxième alinéa de l'article 318-1 du code civil, les mots : "sept ans" sont remplacés par les mots : "cinq ans".
« II. - Le dernier alinéa de l'article 339 du même code est ainsi rédigé :
« Quand il existe une possession d'état conforme à la reconnaissance, celle-ci ne peut être contestée que par son auteur, l'autre parent, ceux qui se prétendent les parents véritables ou l'enfant. L'action cesse d'être recevable quand la possession d'état a durée cinq ans depuis la reconnaissance. Elle demeure toutefois ouverte à l'enfant dans les dix ans qui suivent sa majorité lorsque la filiation a été établie pendant la minorité. »
L'amendement n° 11, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Supprimer l'article 9 bis A. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille, rapporteur. Ce texte relatif à l'autorité parentale a été considérablement « enrichi » de dispositions n'ayant pas grand-chose à voir, il faut bien le dire - nous en avons déjà eu quelques exemples et nous en aurons d'autres d'ici à la fin de notre débat - avec la question visée par son intitulé. Selon moi, nous avons abordé un certain nombre de problèmes d'une manière tout à fait discutable au regard de la qualité du travail parlementaire. En effet, certaines dispositions ont été adoptées sans avoir fait l'objet des débats qu'elles méritaient.
L'article 9 bis A traite de la filiation. Il est vrai que notre droit de la filiation mériterait d'être réformé et actualisé car les choses évoluent en la matière. Elles évoluent d'autant plus que la génétique a permis d'aboutir à des situations qui étaient inimaginables voilà encore quelques années.
La disposition qui a été votée d'abord au Sénat puis, après modifications, par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, limite à cinq ans les possibilités de contestation des filiations légitimes et naturelles, en restreignant les titulaires de l'action. Il s'agit là d'une question difficile, qui mériterait sans doute des débats approfondis, probablement aussi des auditions, pour déterminer l'équilibre à trouver entre une filiation raisonnée et une vérité biologique, désormais facile à obtenir.
Va-t-on régler le problème en interdisant une contestation de paternité alors que l'enfant aura la certitude biologique que celui qui, selon l'état civil, est son père en réalité ne l'est pas ? Cet enfant ne souffrira-t-il pas plus du désintérêt de ce père légal à son égard que du manque de stabilité de la filiation légale ? Autrement dit, une filiation, lorsqu'elle est établie, doit-elle avoir très vite une stabilité et ne pas pouvoir être remise en cause ? Ou bien, quand la vérité biologique apparaît, même quelques années plus tard, n'est-il pas souhaitable de pouvoir la faire rétablir à l'état civil ? Je le reconnais, je n'ai pas la réponse. Tout cela mériterait sans doute autre chose qu'un amendement voté en séance dans les conditions que nous connaissons.
Par ailleurs, je crains que, à l'heure actuelle, cette disposition ne soit en contradiction avec d'autres dispositions, notamment en matière de divorce. Certes, il existe des projets ou des propositions pour faire évoluer le droit du divorce, et c'est heureux, encore que tout dépend, bien sûr, des mesures qui seront prises en remplacement des dispositions actuelles.
Actuellement, on peut obtenir le divorce pour rupture de la vie commune après un délai de six ans. Aussi, il paraît difficile de limiter à cinq ans les cas de contestation de paternité. En effet, cela signifierait que, dans certains cas, la contestation de paternité serait interdite car le délai aura été dépassé, compte tenu du fait que la mère n'aura pas pu se séparer officiellement du père déclaré à l'état civil pour son enfant et qui n'est pas le vrai père.
Une telle disposition n'a pas sa place dans ce texte. Elle aurait nécessité une réflexion beaucoup plus approfondie, car les problèmes qu'elle pose sont sérieux. Nous sommes devant une contradiction d'intérêts qui n'est pas résolue à l'heure actuelle.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre déléguée. Cette disposition a effectivement été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale et par le Sénat, puis par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Quelle est sa philosophie ? Elle consiste à stabiliser le lien de filiation d'un enfant, c'est-à-dire à rééquilibrer un peu le rapport de force entre les adultes et les enfants. J'ai été saisie, par exemple, de plusieurs cas d'enfants qui ont changé de nom à trois reprises, au gré du « ballottement » entre leurs parents, des contestations de paternité par la mère au moment d'une procédure de divorce et d'un remariage du père qui conteste la paternité d'un enfant qu'il avait reconnu. Cela fait beaucoup de dégâts chez les enfants. Ces « violences sans violence » perturbent profondément l'identité de l'enfant et sa stabilité. Un enfant qui a été élevé pendant plus de cinq ans par un adulte a acquis le droit de disposer de façon stable de son identité, de son nom, de son histoire aussi. Or, vous le savez, les contestations de paternité entraînent également des changements d'identité. Après tout, ce n'est plus le nom du père, c'est celui de l'enfant ! Celui-ci a vécu avec son nom, il est allé à l'école avec son nom. L'esprit de la loi est aussi de conforter le lien de filiation, l'identité de l'enfant et son histoire.
Tel est l'objet de cette disposition, qui prévoit que l'action en contestation de paternité ne peut pas être introduite après que l'enfant a atteint l'âge de cinq ans, ce qui est tout de même un délai raisonnable ! Par ailleurs, l'article 339 du code civil relatif aux actions en contestation de la reconnaissance d'un enfant est également modifié afin de limiter la recevabilité de telles actions à une possession d'état de moins de cinq ans et de l'ouvrir à l'enfant dans les dix ans qui suivent sa majorité lorsque la filiation a été établie pendant sa minorité ; il s'agit, au fond, de fixer des délais raisonnables qui permettront, par exemple, d'éviter des exhumations pour des reconnaissances en paternité, comme on l'a vu dans un cas célèbre.
Sur le fond, la disposition contenue dans l'article 9 bis A est importante et elle respecte l'esprit du projet de loi. Mais, je le reconnais, monsieur le rapporteur, elle pourrait s'inscrire dans une réforme globale de la filiation, car, en ce domaine, d'autres dispositions doivent effectivement être révisées. Si la présente disposition a été « raccrochée » au projet de loi, c'est parce qu'elle m'a paru être la plus importante : elle permettrait de répondre à des souffrances d'enfants ballottés dans des conflits d'adultes qui pensent d'abord à eux, à leur propriété sur le nom qu'ils transmettent ou ne transmettent pas à l'enfant ; il est nécessaire de stabiliser l'enfant. Dès lors qu'un adulte a assumé la responsabilité éducative d'un enfant pendant au moins cinq ans, il a pris des engagements envers lui et il n'a plus le droit, pour des raisons de conflits entre adultes, d'aller le ballotter dans d'autres identités que celle qu'il lui a donnée pendant cinq ans.
Je vous rejoins sur le fait que le débat a eu lieu et même si la cohérence n'est pas non plus tout à fait établie à l'égard de ce texte puisque, je le répète, d'autres dispositions sur la filiation doivent être adoptées, il faudra réaliser cette réforme pour la stabilité de l'enfant et pour son devenir d'adulte.
Par conséquent, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 9 bis A est supprimé.

Article 9 bis

M. le président. L'article 9 bis a été supprimé par l'Assemblée nationale.

Article additionnel avant l'article 12