SEANCE DU 14 FEVRIER 2002
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Autorité parentale.
- Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi en deuxième
lecture (p.
1
).
Article 1er. - Adoption (p.
2
)
Article 2
bis
(p.
3
)
Amendement n° 16 rectifié
bis
de M. Philippe Darniche. - MM. Hubert
Durand-Chastel, Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois ; Mme
Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes
handicapées. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article 4 (p.
4
)
Article 373 du code civil
(p.
5
)
Amendement n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Adoption de l'article du code, modifié.
Article 373-1 du code civil. - Adoption
(p.
6
)
Article 373-2-6 du code civil
(p.
7
)
Amendement n° 17 rectifié ter de M. Philippe Darniche. - MM. Philippe Darniche, le rapporteur, Mme le ministre délégué, MM. Hubert Durand-Chastel, René Garrec, président de la commission des lois. - Rectification de l'amendement.
Suspension et reprise de la séance (p. 8 )
Amendement n° 17 rectifié
quater
de M. Philippe Darniche. - MM. Philippe
Darniche, le rapporteur, Mme le ministre délégué, M. Christian Cointat. -
Adoption.
Amendement n° 18 rectifié
ter
de M. Philippe Darniche. - MM. Philippe
Darniche, le rapporteur, Mme le ministre délégué. - Retrait.
Amendement n° 19 rectifié
ter
de M. Philippe Darniche. - MM. Philippe
Darniche, le rapporteur, Mme le ministre délégué. - Rejet.
Adoption de l'article du code, modifié.
Article 373-2-7 du code civil. - Adoption
(p.
9
)
Article 373-2-8 du code civil
(p.
10
)
Amendement n° 2 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Adoption de l'article du code, modifié.
Article 373-2-9 du code civil (p. 11 )
Amendement n° 20 rectifié de M. Philippe Darniche. - MM. Philippe Darniche, le
rapporteur, Mme le ministre délégué. - Retrait.
Amendement n° 3 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Amendement n° 4 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Adoption de l'article du code, modifié.
Article 373-2-10 du code civil (p. 12 )
Amendement n° 5 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Amendement n° 6 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Amendement n° 7 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Amendement n° 8 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Adoption de l'article du code, modifié.
Article 373-2-11 du code civil (p. 13 )
Amendement n° 21 rectifié de M. Philippe Darniche. - MM. Philippe Darniche, le
rapporteur. - Retrait.
Adoption de l'article du code.
Articles 373-2-12 et 373-2-13 du code civil. -
Adoption
(p.
14
)
Adoption de l'article 4 modifié.
Article 5 (p. 15 )
Amendement n° 9 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 7 bis (p. 16 )
Amendement n° 10 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Article 8. - Adoption (p.
17
)
Article 9
bis
A (p.
18
)
Amendement n° 11 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Article 9
bis
(supprimé)
Article additionnel avant l'article 12 (p.
19
)
Amendement n° 25 rectifié bis de M. Robert Badinter. - Mme Michèle André, MM. le rapporteur, Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. - Irrecevabilité.
Article 12 (p. 20 )
Amendement n° 26 rectifié
ter
de M. Robert Badinter. - MM. Robert
Badinter, le rapporteur, Mme le ministre délégué, M. Jean-Pierre Fourcade, Mme
Nicole Borvo, MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat. -
Adoption.
Amendement n° 30 rectifié de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le
rapporteur, Mme le ministre délégué, MM. Jean-Louis Lorrain, Christian Cointat.
- Adoption.
Article 225-12-1 du code pénal (p. 21 )
Amendement n° 27 rectifié de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le
rapporteur, Mme le ministre délégué. - Retrait.
Amendement n° 29 rectifié
bis
de M. Robert Badinter. - MM. Robert
Badinter, le rapporteur, Mme le ministre délégué. - Adoption.
Adoption de l'article du code, modifié.
Article 225-12-2 du code pénal (p. 22 )
Amendement n° 31 rectifié de M. Robert Badinter. - Adoption.
Amendement n° 32 rectifié de M. Robert Badinter. - MM. Robert Badinter, le
rapporteur, Mme le ministre délégué. - Adoption.
Adoption de l'article du code, modifié.
Articles 225-12-3 et 225-12-4 du code pénal. -
Adoption
(p.
23
)
Amendement n° 35 rectifié
ter
de M. Robert Badinter. - MM. Robert
Badinter, le rapporteur, Mme le ministre. - Adoption.
Adoption de l'article 12 modifié.
Article 12 bis (p. 24 )
Amendements n°s 38 du Gouvernement et 36 rectifié de M. Robert Badinter. - Mme
le ministre délégué, MM. Robert Badinter, le rapporteur. - Adoption de
l'amendement n° 38, l'amendement n° 36 rectifié devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.
Article 12
ter.
- Adoption (p.
25
)
Article additionnel après l'article 12
ter
(p.
26
)
Amendement n° 22 rectifié de M. Philippe Darniche. - MM. Hubert Durand-Chastel, le rapporteur, Mme le ministre délégué. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article 13 (p. 27 )
Amendement n° 24 de M. Robert Bret. - MM. Robert Bret, le rapporteur, Mme le
ministre délégué. - Rejet.
Adoption de l'article.
Article 15 (p. 28 )
Amendement n° 12 de la commission. - Adoption.
Amendement n° 13 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 16 (p. 29 )
Amendement n° 14 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 17 (p. 30 )
Amendement n° 15 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le ministre délégué.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article additionnel après l'article 17 (p. 31 )
Amendement n° 23 rectifié ter de M. Philippe Darniche. - MM. Hubert Durand-Chastel, le rapporteur, Mme le ministre, M. Christian Cointat. - Rejet.
Vote sur l'ensemble (p. 32 )
Mme Nicole Borvo, MM. Claude Estier, Jean-Pierre Fourcade, Christian Cointat,
Jean-Louis Lorrain, le rapporteur, Mme le ministre délégué.
Adoption de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance (p. 33 )
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
3.
Mission d'information commune
(p.
34
).
MM. le président, Nicolas About, président de la commission des affaires
sociales.
4.
Démission d'un membre d'une délégation
(p.
35
).
5.
Candidatures à des organismes extraparlementaires
(p.
36
).
6.
Réforme des tribunaux de commerce.
- Rejet d'un projet de loi déclaré d'urgence (p.
37
).
Discussion générale : Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la
justice ; M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois.
Mme le garde des sceaux.
MM. Jean-Pierre Fourcade, François Trucy, Philippe Marini, Laurent Béteille,
François Gerbaud, Robert Bret, Jean-Jacques Hyest, Mme Michèle André.
Clôture de la discussion générale.
Question préalable (p. 38 )
Motion n° 1 de la commission. - MM. le rapporteur, Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement ; Jean-Jacques Hyest, Jacques Blanc,
Laurent Béteille. - Adoption de la motion entraînant le rejet du projet de
loi.
7.
Modification de l'ordre du jour
(p.
39
).
MM. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement ; le
président, René Garrec, président de la commission des lois.
8.
Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
(p.
40
).
9.
Transmission de propositions de loi
(p.
41
).
10.
Dépôt de rapports d'information
(p.
42
).
11.
Ordre du jour
(p.
43
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
AUTORITÉ PARENTALE
Suite de la discussion et adoption d'une proposition
de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, de la
propositon de loi (n° 131, 2001-2002), adoptée avec modifications par
l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'autorité parentale.
[Rapport (n°s 2001-2002).]
La discussion générale a été close le jeudi 7 février dernier.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des propositions de loi, la discussion des
articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont
pas encore adopté un texte identique.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - I. -
Non modifié.
« II. - L'article 286 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 286
. - Les conséquences du divorce pour les enfants sont réglées
selon les dispositions du chapitre Ier du titre IX du présent livre. »
« III. - L'article 256 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 256
. - Les conséquences de la séparation pour les enfants sont
réglées selon les dispositions du chapitre Ier du titre IX du présent livre.
»
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2 bis
M. le président.
« Art. 2
bis. -
L'article 371-2 du code civil est ainsi rédigé :
«
Art. 371-2
. - Chacun des parents contribue à l'entretien et à
l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre
parent, ainsi que des besoins de l'enfant.
« Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l'enfant est majeur.
»
L'amendement n° 16 rectifié
bis,
présenté par MM. Darniche,
Durand-Chastel et Seillier, Mme Desmarescaux, MM. Natali, Türk, Pelchat, Adnot,
Vasselle et Fournier, est ainsi libellé :
« Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article
371-2 du code civil, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf meilleur accord des parties, la contribution est versée en alternance
avec les parts fiscales relevant du quotient familial. »
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Après la séparation ou le divorce, la « coresponsabilité parentale » s'analyse
comme le prolongement évident du partage des tâches, des droits et obligations
des parents envers leurs enfants, mais surtout de l'égalité de leurs
responsabilités.
Si l'enfant des couples séparés ou divorcés doit avoir le « droit à ses deux
parents », la reconstruction du lien affectif passe également par la mise en
cohérence des situations des couples séparés avec le droit fiscal et social.
Cet amendement vise à favoriser pleinement la parité fiscale entre les mères
et les pères en définissant l'alternance de la contribution à l'entretien et à
l'éducation des enfants avec l'alternance - les années paires et impaires - des
parts fiscales du quotient familial.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Certes, le
problème posé est réel et il conviendrait, s'agissant des parts fiscales,
notamment, d'instaurer une véritable égalité entre chacun des parents, surtout
lorsque ces derniers accueillent l'enfant dans le cadre de la garde alternée.
Il n'y a pas de raison, en effet, que la demi-part fiscale soit attribuée à
l'un plus qu'à l'autre. Une évolution de nos règles fiscales est donc
nécessaire pour que chacun des parents bénéficie de cette demi-part ou, au
moins, qu'elle soit partagée entre eux. Cette question figure d'ailleurs parmi
celles qui ont été traitées par M. Michel Yahiel dans son rapport.
Toutefois, le système qui est proposé par nos collègues est très complexe, et
je crains qu'il ne permette pas de rétablir véritablement une égalité entre les
parents ou alors ce serait une égalité soumise elle-même à une alternance,
chacun des parents bénéficiant tour à tour d'un avantage. C'est pourquoi la
commission souhaite le retrait de cet amendement. S'il était maintenu, elle
serait obligée d'émettre un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées.
Le Gouvernement partage l'avis de la commission.
La suggestion que vous faites, monsieur le sénateur, correspond, j'en
conviens, à l'esprit de cette proposition de loi, dont l'objet est bien de
renforcer l'égalité parentale. Toutefois, je crois qu'un mécanisme automatique
conduirait à des iniquités. Par ailleurs, les parents peuvent toujours se
mettre d'accord et c'est aussi un objectif de ce texte que de favoriser la
médiation familiale.
Mais, pour répartir les charges entre les deux parents, il faut prendre en
compte bien d'autres éléments que la charge fiscale. Par conséquent, cette
répartition ne peut être réglée que par le juge, en cas de désaccord, ou par la
médiation.
De plus, la garde alternée n'est pas forcément une « garde » arithmétiquement
partagée en deux.
Je souhaite donc, comme l'a suggéré le rapporteur, que vous retiriez cet
amendement qui est en quelque sorte satisfait, puisque les nouvelles
dispositions législatives encourageront précisément le juge à partager
équitablement les charges.
En outre, le Gouvernement vient de mettre en place une réforme qui est très
importante et qui permettra aux couples de déduire de leurs revenus imposables
les charges correspondant au versement des pensions alimentaires, fixées par un
accord amiable des parents. Il ne sera donc plus nécessaire de passer devant le
juge : une simple déclaration sur l'honneur du père et de la mère suffira
désormais.
Cette disposition va aussi dans le sens d'un encouragement des deux parents à
s'entendre sur la répartition des charges matérielles.
M. le président.
L'amendement est-il maintenu, monsieur Durand-Chastel ?
M. Hubert Durand-Chastel.
Compte tenu des arguments qui viennent d'être développés par M. le rapporteur
et par Mme le ministre, je le retire.
M. le président.
L'amendement n° 16 rectifié
bis
est retiré.
Je mets aux voix l'article 2
bis.
(L'article 2
bis
est adopté.)
Article 4
M. le président.
« Art. 4. - I, II et II
bis.
-
Non modifiés.
« III et III
bis.
-
Supprimés.
« III
ter.
- Les articles 373 et 373-1 du même code sont ainsi rédigés
:
«
Art. 373
. - Est privé de l'exercice de l'autorité parentale le père
ou la mère qui est hors d'état de manifester sa volonté, en raison de son
incapacité, de son absence ou de toute autre cause, ou s'il s'est rendu
coupable d'un déplacement illicite de l'enfant vers l'étranger.
«
Art. 373-1
. - Si l'un des père et mère décède ou se trouve privé de
l'exercice de l'autorité parentale, l'autre exerce seul cette autorité. »
« IV. - Avant l'article 373-3 du même code, il est inséré un paragraphe 3
ainsi rédigé :
« 3. - De l'intervention du juge aux affaires familiales. »
«
Art. 373-2-6
. - Le juge du tribunal de grande instance délégué aux
affaires familiales règle les questions qui lui sont soumises dans le cadre du
présent chapitre en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des
enfants mineurs.
« Le juge peut prendre les mesures permettant de garantir la continuité et
l'effectivité du maintien des liens de l'enfant avec chacun de ses parents.
«
Art. 373-2-7
. - Les parents peuvent saisir le juge aux affaires
familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils organisent
les modalités d'exercice de l'autorité parentale et fixent la contribution à
l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
« Le juge homologue la convention sauf s'il constate qu'elle ne préserve pas
suffisamment l'intérêt de l'enfant ou que le consentement des parents n'a pas
été donné librement.
«
Art. 373-2-8
. - Le juge peut également être saisi par l'un des
parents ou le ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers,
parent ou non, à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité
parentale et sur la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant.
« Le parent qui ne respecte pas les devoirs qui s'attachent à l'autorité
parentale peut se voir rappeler ses obligations.
«
Art. 373-2-9
. - En application des deux articles précédents, la
résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des
parents ou au domicile de l'un d'eux.
« A la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le
mode de résidence de l'enfant, le juge peut, sauf si l'intérêt de l'enfant s'y
oppose, ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il
détermine la durée. Cette durée ne peut excéder six mois. Au terme de celle-ci,
le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant en alternance au
domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un deux.
«
Art. 373-2-10
. - En cas de désaccord, le juges'efforce de concilier
les parties.
« A l'effet de faciliter la recherche par les parents d'un exercice consensuel
de l'autorité parentale, le juge peut leur proposer une mesure de médiation et,
après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur pour y procéder, à
moins que les violences constatées au sein de la famille ne rendent cette
mesure inappropriée.
« Il peut leur enjoindre de rencontrer un médiateur familial agréé qui les
informera sur l'objet et le déroulement de cette mesure à laquelle ce dernier
procédera le cas échéant.
«
Art. 373-2-11
. - Lorsqu'il se prononce sur les modalités d'exercice
de l'autorité parentale, le juge prend notamment en considération :
« 1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords
qu'ils avaient pu antérieurement conclure ;
« 2° Les sentiments exprimés par l'enfant mineur dans les conditions prévues à
l'article 388-1 ;
« 3° L'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les
droits de l'autre ;
« 4° Le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte
notamment de l'âge de l'enfant ;
« 5° Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes
et contre-enquêtes sociales prévues à l'article 373-2-12.
«
Art. 373-2-12
. - Avant toute décision fixant les modalités de
l'exercice de l'autorité parentale et du droit de visite ou confiant les
enfants à un tiers, le juge peut donner mission à toute personne qualifiée
d'effectuer une enquête sociale. Celle-ci a pour but de recueillir des
renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles
vivent et sont élevés les enfants.
« Si l'un des parents conteste les conclusions de l'enquête sociale, une
contre-enquête peut à sa demande être ordonnée.
« L'enquête sociale ne peut être utilisée dans le débat sur la cause du
divorce.
«
Art. 373-2-13
. - Les dispositions contenues dans la convention
homologuée ainsi que les décisions relatives à l'exercice de l'autorité
parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la
demande des ou d'un parent ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi
par un tiers, parent ou non.
« V. -
Supprimé
. »
ARTICLE 373 DU CODE CIVIL
M. le président.
L'amendement n° 1, présenté par M. Béteille au nom de la commission, est ainsi
libellé :
« A la fin du texte proposé par le III
ter
de l'article 4 pour
l'article 373 du code civil, supprimer les mots : ", ou s'il s'est rendu
coupable d'un déplacement illicite de l'enfant vers l'étranger ". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Avec cet amendement, nous abordons un problème délicat qui ne
peut laisser aucun de nous indifférent, celui du déplacement illicite d'un
enfant vers l'étranger, c'est-à-dire de l'enlèvement international. Il s'agit
d'un véritable fléau qui tend à se développer avec la multiplication des unions
extranationales.
Pour tenter de remédier à cette situation, l'Assemblée nationale a proposé de
priver automatiquement de l'exercice de l'autorité parentale celui des parents
qui s'est rendu coupable d'un tel déplacement pour ramener son enfant dans son
pays d'origine. Après avoir analysé la question et procédé à des consultations,
nous nous sommes aperçus que cette disposition risquait d'aller à l'encontre de
l'objectif visé par le texte en instituant la privation de l'exercice de
l'autorité parentale comme sanction.
En outre, si un tribunal français prive de manière automatique ce parent de
l'autorité parentale, on ouvre des possibilités de recours qui risquent d'être
exploitées et d'aller à l'encontre des dispositions de la convention de La
Haye, laquelle prévoit le retour de l'enfant, car cela peut inciter des juges
étrangers à priver de l'autorité parentale le parent français.
De plus, une telle disposition se retournerait contre des parents français
résidant dans un pays dont la législation ne répond pas forcément aux mêmes
critères que la nôtre, et souhaitant rapatrier leur enfant vers la France. Ce
serait une conséquence particulièrement grave et choquante, qui n'a
manifestement pas été prévue par l'auteur de l'amendement à l'Assemblée
nationale.
Pour toutes ces raisons, je demande au Sénat de bien vouloir supprimer cette
disposition permettant la privation automatique de l'exercice de l'autorité
parentale, d'autant qu'un tribunal a toujours le pouvoir de prononcer cette
privation.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Cette question, difficile et douloureuse, des
déplacements illicites d'enfants, a donné lieu à un débat très long et très
approfondi à l'Assemblée nationale.
Je suis favorable à cet amendement n° 1, car je partage l'avis de la
commission : un tel déplacement ne peut pas entraîner de façon automatique la
perte de l'exercice de l'autorité parentale. Celle-ci constituant en effet un
ensemble de droits autant que des devoirs - qui seront rappelés solennellement
dans cette proposition de loi -, la perte d'un tel exercice doit donc non pas
être maniée comme une menace ou une sanction, mais être adaptée au cas par cas
par le juge aux affaires familiales selon l'intérêt de l'enfant, ce dernier ne
devant pas devenir un enjeu important dans un conflit qui opposerait les
parents.
Une telle disposition serait de nature, en effet, à nuire également au bon
fonctionnement des conventions internationales relatives au déplacement de
l'enfant puisque ces conventions posent le principe que l'Etat vers lequel
l'enfant est enlevé ordonne le retour de l'enfant au lieu de sa résidence
habituelle une fois le caractère illicite du déplacement constaté.
Je rejoins donc tout à fait l'argumentation que vient de développer M. le
rapporteur.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 373 du code
civil.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 373-1 DU CODE CIVIL
M. le président.
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 373-1 du code civil.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 373-2-6 DU CODE CIVIL
M. le président.
L'amendement n° 17 rectifié
ter
, présenté par MM. Darniche,
Durand-Chastel, Seillier et Revol, Mmes Olin et Desmarescaux, MM. Dulait, Türk,
César, Moinard, Gournac, Pelchat, Vasselle et Fournier, est ainsi libellé :
« Compléter le texte proposé par le IV de l'article 4 pour l'article 373-2-6
du code civil par deux alinéas ainsi rédigés :
« Si l'intérêt et la sécurité de l'enfant le commandent ou lorsqu'il existe un
réel risque de déplacement illicite de l'enfant mineur, le juge peut, d'office
ou à la demande d'un des parents, prononcer une interdiction de sortie du
territoire pour l'enfant mineur.
« Cette interdiction est inscrite sur le passeport des parents du mineur,
transmise aux services compétents et portée aux fichiers des organismes
nationaux, internationaux et européens de personnes disparues ou recherchées.
»
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Cet amendement tend à renforcer l'interdiction de sortie du territoire pour
l'enfant mineur.
Le juge du tribunal de grande instance délégué aux affaires familiales règle
les questions qui lui sont soumises dans le cadre du chapitre relatif à
l'autorité parentale. Sa mission consiste, en particulier, à « veiller
spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ».
Cette sécurité, qui est impérative pour l'intérêt de l'enfant, passe par
l'application, dans certains cas, de l'interdiction de sortie du territoire.
Cette mesure judiciaire doit devenir un véritable outil de prévention du
déplacement illicite ou de l'enlèvement pur et simple de l'enfant mineur par un
des parents « rapteurs ».
Il est du devoir du législateur de donner la possibilité non seulement au juge
aux affaires familiales, mais également aux parents concernés, de recourir à ce
dispositif judiciaire préventif. En cas de danger pour l'enfant, de fuite
possible d'un des deux parents vers l'étranger, avant ou pendant la procédure
de séparation ou de divorce, l'interdiction de sortie du territoire doit
s'affirmer comme un véritable « outil » à la disposition des parents et du
juge, pour sauvegarder les intérêts et défendre la sécurité physique de
l'enfant mineur.
En effet, la réalité dramatique des situations d'enlèvements parentaux
d'enfants vers l'étranger démontre bien que, tous les jours, des sorties
illicites de mineurs hors de l'espace Schengen sont organisées par l'un des
parents et sans l'autorisation de l'autre. Ainsi, des enfants en bas âge ont
été enlevés, soit par le père, soit par la mère, vers le Pakistan, le Liban,
l'Australie, la Roumanie ou le Maghreb.
Par ailleurs, les frontières européennes étant devenues totalement perméables,
il apparaît nécessaire de pouvoir matérialiser l'interdiction de sortie du
territoire de l'enfant sur sa propre carte nationale d'identité et sur son
passeport. Il en va de même pour la case qui lui est réservée sur le passeport
et les pièces d'identité de chacun des parents séparés ou divorcés.
En effet, en inscrivant la mention « République française. Interdiction de
sortie du territoire, ordonnance du tribunal de grande instance de..., le... »,
les personnels des douanes, les officiers de police judiciaire, la gendarmerie
nationale pourront vérifier si l'enfant n'est pas inscrit sur le fichier des
organismes nationaux, internationaux et européens compétents et retrouver, à
l'occasion de vérifications d'identité, les enfants disparus et attendus depuis
de nombreuses années par leurs parents ou grands-parents.
Enfin, dans la perspective de la mise en place d'un mandat d'arrêt européen au
sein de l'espace judiciaire européen, l'interdiction de sortie du territoire
demeure un instrument judiciaire d'avenir face au nombre, hélas ! croissant des
familles binationales européennes, mais aussi des couples franco-français qui
enlèvent leurs propres enfants vers l'étranger sans informer l'autre parent,
meurtri par un deuil impossible.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission est bien consciente qu'il s'agit d'un problème
grave auquel il faudrait parvenir à trouver des solutions plus satisfaisantes
que celles qui existent actuellement.
Nous savons que l'interdiction de sortie du territoire peut déjà être
prononcée par le juge. Elle peut également être ordonnée, à titre provisoire,
pour une durée de quinze jours, en s'adressant à la préfecture, ce qui permet
d'attendre le prononcé d'un référé ou la décision du juge de la mise en état.
Aussi, le problème soulevé n'est pas tant de se prononcer sur l'interdiction de
sortie du territoire que sur son application.
Il est vrai que dès lors que le fichier des personnes recherchées comporte
bien le nom de l'enfant, l'interdiction de sortie du territoire s'applique,
notamment dans les aéroports, où la police de l'air et des frontières veille à
empêcher toute dérogation à cette interdiction lorsqu'elle a été prononcée.
Toutefois, au sein de l'espace Schengen, les contrôles aux frontières
terrestres ont été supprimés, ce qui permet à celui des parents qui a
l'intention d'emmener son enfant à l'étranger de prendre d'autres dispositions
: il ira, par exemple, à l'aéroport de Bruxelles ou d'ailleurs, où le contrôle
n'aura pas lieu.
Même si l'on ne peut qu'approuver un dispositif qui permettrait de résoudre
ce grave problème, une inscription de l'opposition à la sortie du territoire
sur les documents d'identité est une mesure d'ordre réglementaire. En outre,
cette disposition, trop rigide, aurait plus d'inconvénients que d'avantages
pour le mineur lui-même et elle ne serait pas forcément utile s'il n'en est pas
tenu compte à l'étranger.
Par conséquent, la France devrait plutôt se rapprocher de ses partenaires de
Schengen pour essayer de trouver un dispositif efficace. Mais ce n'est pas au
travers du code civil français, qui ne s'applique pas au-delà des frontières,
que l'on réglera ce problème complexe.
C'est la raison pour laquelle la commission souhaite le retrait de cet
amendement. A défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je partage tout à fait les arguments que vient de
développer M. le rapporteur. J'insisterai toutefois sur l'un d'entre eux, qui
me paraît essentiel puisqu'il apporte partiellement satisfaction à l'auteur de
l'amendement.
En effet, en l'état actuel des dispositions, les mesures d'opposition à la
sortie du territoire peuvent être prises sur l'initiative de l'un des parents
qui, en s'adressant aux autorités préfectorales, ou au commissariat pendant les
périodes de fermeture des préfectures, obtient l'inscription de la mesure
d'interdiction sur le fichier des personnes recherchées. La décision du juge
indiquant que la sortie de l'enfant du territoire français nécessite
l'autorisation des deux parents permet une telle inscription.
Le Gouvernement se propose donc de donner des instructions beaucoup plus
fermes pour que ce dispositif puisse être plus fréquemment utilisé par les
parents, car, bien souvent, ils n'y ont pas recours faute de le connaître. Je
crois que c'est aussi cela qui freine l'application de ce dispositif. En
améliorant à la fois l'information et les instructions données aux
administrations, préfectures et commissariats, nous pouvons faire en sorte que
ce dispositif qui, je crois, vous donne satisfaction, monsieur le sénateur,
puisse être plus fréquemment utilisé.
M. le président.
L'amendement n° 17 rectifié
ter
est-il maintenu, monsieur Darniche ?
M. Philippe Darniche.
J'ai bien entendu M. le rapporteur et Mme la ministre, mais je reste persuadé
qu'il faut renforcer la mesure par l'inscription de l'interdiction de sortie du
territoire sur un document, tel le passeport, qui serait immédiatement
visible.
Tout à l'heure, M. le rapporteur a indiqué que, compte tenu de la porosité de
nos frontières, les personnes qui veulent quitter le territoire avec un enfant
vont prendre l'avion dans un autre pays, par exemple la Belgique, auquel cas
nous n'avons plus le moyen d'utiliser ce dispositif.
La mesure évoquée par Mme la ministre est, certes, intéressante, mais je
préfèrerais que la disposition française soit présentée à l'ensemble de nos
partenaires européens, qui pourraient l'adopter à l'échelon européen et
l'appliquer de façon plus ferme.
Cette disposition serait la seule, j'y insiste, susceptible de mettre fin à
ces départs d'enfants, ce qui n'est pas le cas des mesures actuelles, y compris
celle que vous avez présentée, madame la ministre.
C'est la raison pour laquelle j'indique solennellement que cet amendement me
paraît essentiel et c'est pourquoi je le maintiens.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 17 rectifié
ter.
M. Hubert Durand-Chastel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je
tiens à insister sur l'importance de cet amendement, en faveur duquel je
citerai deux arguments supplémentaires.
Premièrement, la mention de l'interdiction de sortie du territoire sur le
passeport est très dissuasive pour les parents, car ils ne peuvent alors
ignorer que, s'ils passent outre, ils commettront un délit grave. Ils
réfléchiront donc à deux fois avant d'opérer ce qu'il faut bien appeler un
enlèvement.
Deuxièmement, comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, il est vrai que
le juge aux affaires familiales peut prendre cette mesure quand bien même ce
n'est pas indiqué dans la loi, mais ce qui va de soi va souvent encore mieux en
le disant !
Il est d'autant plus nécessaire de lutter efficacement contre ces pratiques
que les divorces, qui en sont la cause véritable, sont de plus en plus
nombreux.
Certes, monsieur le rapporteur, il conviendrait de prendre des mesures à une
échelle plus large que la nation, mais les introduire dans notre code civil est
un premier pas. C'est un élément positif que je crois vraiment favorable à
l'enfant, ce qui est le but de cette loi.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Compte tenu des débats qui se déroulent actuellement
dans l'hémicycle, le Gouvernement pourrait accepter le second alinéa de
l'amendement, mais pas le premier. En effet, le juge civil ne peut pas statuer
d'office : il ne peut statuer qu'à la demande des parties.
En outre, dans la mesure où le juge peut déjà prononcer des interdictions de
sortie du territoire, le Gouvernement n'est pas hostile à ce que l'interdiction
de sortie du territoire prononcée par un juge pour un enfant mineur soit
inscrite sur le passeport des parents du mineur, transmise aux services
compétents et portée aux fichiers des organismes nationaux, internationaux et
européens des personnes disparues ou recherchées. Ces mesures sont en effet
cohérentes eu égard au dispositif que j'évoquais à l'instant et elles
permettent de le concrétiser dans le sens que j'exprimais tout à l'heure.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Je souhaiterais que Mme le ministre nous précise la rédaction
qu'elle propose, car le second alinéa risque d'être difficile à interpréter si
le premier est supprimé : comment comprendre la mention « Cette interdiction »
si l'on a supprimé auparavant ce dont il s'agit ?
M. Philippe Darniche.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Je serais prêt à accepter la suggestion de Mme le ministre, mais je
souhaiterais, moi aussi, que le texte proposé soit très clairement indiqué.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. René Garrec,
président de la commission.
Dans la rédaction que Mme le ministre vient
d'accepter figure la mention : « et portée aux fichiers des organismes
nationaux et internationaux... ». C'est impossible juridiquement, car nous
n'avons pas de convention en ce sens.
Je vous demande donc une suspension de séance de quelques minutes, monsieur le
président, afin que nous élucidions ce point.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
M. le président de la commission des lois a tout à
fait raison : il faut en effet supprimer la fin du second alinéa du texte
proposé. Il convient également de prévoir qu'il s'agit bien d'une interdiction
de sortie de l'enfant sans autorisation des deux parents et prononcée par le
juge.
Le Gouvernement souhaite également une courte suspension de séance.
M. le président.
Le Sénat va, bien sûr, accéder à la demande de Mme le ministre et de M. le
président de la commission des lois.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures, est reprise à dix heures cinq.)
M. le président.
La séance est reprise.
Je suis saisi d'un amendement n° 17 rectifié
quater,
présenté par MM.
Darniche, Durand-Chastel, Seillier et Revol, Mmes Olin et Desmarescaux, MM.
Dulait, Türk, César, Moinard, Gournac, Pelchat, Vasselle et Fournier, ainsi
libellé :
« Compléter le texte proposé par le IV de l'article 4 pour l'article 373-2-6
du code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Il peut notamment ordonner l'inscription sur le passeport des parents de
l'interdiction de sortie de l'enfant du territoire français sans l'autorisation
des deux parents. »
Monsieur Darniche, cette nouvelle rédaction, fruit d'un travail collectif,
vous convient-elle ?
M. Philippe Darniche.
Cette amélioration, importante, me convient tout à fait, monsieur le
président. J'aurais cependant souhaité que l'on procède à la même inscription
sur la carte nationale d'identité. Je n'ignore pas que cela pose des problèmes
matériels sans doute complexes, mais j'aimerais savoir si la chose est
juridiquement possible.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 17 rectifié
quater
?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission ne s'étant pas réunie sur ce sujet, il m'est
difficile de donner un avis. Mais il me semble que la rédaction proposée va
dans le sens que souhaitait la commission : si elle s'était réunie, elle aurait
émis un avis favorable !
(Sourires.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 17 rectifié
quater
.
M. Christian Cointat.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat.
Comme vous le savez, en première lecture, j'ai soutenu l'amendement présenté
par nos collègues et amis MM. Darniche et Durand-Chastel. Je reconnais qu'il
s'agissait non seulement d'améliorer la loi, mais également de sensibiliser
encore davantage le Parlement, le Gouvernement et les pouvoirs publics sur ce
douloureux problème.
Je ne peux donc que me réjouir de constater que cette initiative a porté ses
fruits et que, désormais, compte tenu des informations données par M. le
rapporteur, des précisions apportées par Mme le ministre et de la rectification
consentie par M. Darniche, nous pouvons véritablement améliorer le texte qui
nous est soumis.
C'est donc avec beaucoup de plaisir que je voterai l'amendement, qui constitue
une avancée significative.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié
quater,
accepté par la
commission et par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 18 rectifié
ter,
présenté par MM. Darniche,
Durand-Chastel et Seillier, Mme Desmarescaux, MM. Natali et Türk, Mme Olin, MM.
Gournac, Pelchat, Vasselle et Fournier, est ainsi libellé :
« Compléter le texte proposé par le IV de l'article 4 pour l'article 373-2-6
du code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Les documents d'information concernant la sécurité, la santé, l'entretien et
l'éducation de l'enfant sont transmis par les administrations compétentes à
chacun des parents. Pour les approuver, ils apposent la mention : "le père",
"la mère" et signent. »
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Cet amendement vise à instaurer une véritable « parité civique » de chacun des
parents à l'égard de l'administration.
En effet, force est de constater que, en matière d'exercice concret de
l'autorité parentale par les parents séparés ou divorcés, l'administration a
longtemps privilégié un seul et unique interlocuteur.
Ainsi, à l'école, le carnet de correspondance devrait être remis à chacun des
parents, qui devraient y apposer leur signature sous la mention « le père », «
la mère ». Il en va de même pour la carte nationale d'identité de l'enfant.
En effet, s'il est facile pour une maman de démontrer à un agent des forces de
police qu'elle se trouve bien en compagnie de son enfant, il est plus difficile
pour le papa - sans pièce d'identité ni photographie récente - d'assurer que
l'enfant qui l'accompagne est bien son fils ou sa fille.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission considère que le problème posé est tout à fait
réel. On sait que de gros progrès restent encore à faire pour que les
administrations reconnaissent la coparentalité.
Cela étant, une telle mesure nous semble relever plus de la circulaire que de
la loi. Je souhaite donc qu'une fois que Mme le ministre nous aura confirmé que
les administrations iront bien dans le sens indiqué ici, les auteurs retirent
l'amendement, car cette disposition n'a pas sa place dans le code civil.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement partage l'avis de la commission des
lois.
Il est vrai que cet amendement a pour objectif de progresser dans l'égalité
parentale, voire de l'instaurer, notamment d'encourager les pères à bien
assumer leurs droits et leurs devoirs, en particulier en ce qui concerne
l'école.
Vous savez que je me suis personnellement fortement impliquée dans ce
processus de promotion de l'égalité parentale, puisque j'ai rédigé des
instructions demandant aux établissements scolaires d'adresser les carnets de
correspondance et les relevés de notes aux deux parents lorsqu'ils sont séparés
ou divorcés.
Le dispositif proposé ici n'est pas de nature législative et relève des
instructions officielles du ministère. Cela étant, des progrès restent à faire,
car tous les établissements scolaires ne les appliquent pas.
En ce qui concerne les autres documents - carnet de santé, livret de famille
et carte nationale d'identité -, il faut informer et informer encore les
parents : je le redis sans cesse lorsque je suis saisie de ce problème, les
parents peuvent d'ores et déjà obtenir des duplicatas de ces documents.
De surcroît, parce je suis intervenue pour régler la question de la sécurité
sociale des deux parents, désormais, l'enfant relève de la sécurité sociale de
ses deux parents lorsqu'ils sont séparés ou divorcés, c'est-à-dire qu'un père
qui aura la garde de l'enfant pendant les vacances ne sera plus obligé de
demander à la mère son numéro de sécurité sociale et de faire l'avance des
frais, avec tous les problèmes de remboursement que cela suppose. L'enfant
pourra relever indifféremment de la sécurité sociale du père ou de la mère
selon qu'il résidera avec l'un ou l'autre.
J'observe, au surplus, que de plus en plus de parents demandent un duplicata
du livret de famille, de la carte d'identité ou du carnet de santé.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Darniche, considérant que vous avez
satisfaction, je vous demande de retirer votre amendement, compte tenu de
l'engagement que prend le Gouvernement devant vous de renforcer l'action
d'information et de sensibilisation des parents, et de renouveler les
instructions officielles du ministère de l'éducation nationale.
M. le président.
Monsieur Darniche, l'amendement n° 18 rectifié
ter
est-il maintenu ?
M. Philippe Darniche.
Compte tenu des explications que m'a données Mme le ministre, je retire
l'amendement, tout en réitérant mon souhait que l'administration reçoive des
instructions très précises sur ce point.
M. le président.
L'amendement n° 18 rectifié
ter
est retiré.
L'amendement n° 19 rectifié
ter,
présenté par MM. Darniche,
Durand-Chastel et Seillier, Mme Desmarescaux, MM. Natali et Turk, Mme Olin, MM.
Gournac, Pelchat, Vasselle et Fournier, est ainsi libellé :
« Compléter le texte proposé par le IV de l'article 4 pour l'article 373-2-6
du code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Chaque parent peut se porter personnellement candidat aux élections du
conseil des écoles de l'établissement où est scolarisé son enfant et être
éligible au poste de parent d'élève. »
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Cet amendement vise à favoriser en droit et dans les faits la «
co-responsabilité parentale » de chacun des parents séparés ou divorcés dans
l'éducation et la vie scolaire de l'enfant.
Actuellement, le règlement dispose que seul le parent détenteur de la
résidence principale peut se présenter aux élections et être élu en tant que «
parent d'élève » dans l'établissement scolaire de l'enfant. Qu'en est-il
lorsqu'une résidence alternée - de fait ou de droit - est mise en place ?
En effet, dans la réalité, de nombreux parents ne peuvent s'impliquer
complètement dans la vie scolaire de leur enfant - accès aux informations,
prévision des événements culturels, organisation de la kermesse, information
sur l'état des locaux - alors qu'il en va de l'intérêt de leur enfant.
Cet amendement vise à permettre, légalement et de manière égalitaire, à
chacun, père ou mère, d'assurer pleinement un droit fondamental : celui de se
présenter librement à des élections et d'être démocratiquement élu.
Enfin, alors même que le Gouvernement a récemment instauré une allocation de
congé paternel, comment justifier qu'un père et une mère qui se seraient
toujours occupés de leur enfant, mais se seraient depuis séparés, ne puissent
continuer à assumer leurs responsabilités parentales, en ne pouvant ni
participer individuellement à la vie scolaire de leur enfant, ni s'impliquer
personnellement en tant que parent d'élève ?
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Lorsque les deux parents sont séparés, que la séparation soit
de fait ou reconnue en droit, que la résidence soit alternée ou située
uniquement au domicile de l'un des parents, il est indispensable que les deux
parents reçoivent les informations scolaires, notamment le carnet de notes, et
qu'ils puissent participer à la vie de l'école en se présentant aux élections
de parents d'élèves.
C'est un principe auquel nous souscrivons pleinement. Mais, comme pour
l'amendement précédent, la difficulté réside dans le fait qu'une telle mesure
ne relève pas du code civil. Il convient donc que le Gouvernement nous rassure
sur les dispositions qu'il pourra prendre pour garantir une véritable égalité
des parents qui, je le répète, est indispensable.
La commission souhaite donc le retrait de l'amendement n° 19 rectifié
ter
.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement partage l'avis de la commission.
L'éducation nationale est en train d'évoluer sur ce point. Des consultations
sont lancées avec les fédérations de parents d'élèves et les chefs
d'établissement, car ce sont eux qui devront gérer le doublement de la masse
des documents administratifs qu'implique l'égalité des droits des deux
parents.
Monsieur Darniche, la disposition que vous présentez est intéressante sur le
fond, car elle répond bien à l'objectif que nous nous fixons. Mais elle est
incomplète. En effet, je souhaite que les deux parents et non plus un seul
parent, comme c'est le cas aujourd'hui, puissent avoir le droit de voter pour
élire les délégués de parents d'élèves.
Il me paraît important de réaliser cette réforme. Si elle est actuellement un
peu bloquée, c'est parce que nous ne souhaitons pas donner davantage de droits
aux parents divorcés qu'à ceux qui vivent ensemble. En effet, si l'on donne un
droit de vote à la mère et au père d'un élève, il faut l'accorder à tous les
parents d'élèves.
L'esprit qui sous-tend ce texte est que tous les enfants ont le même statut,
quelle que soit l'histoire du couple formé par leurs parents. Il s'agit de
renforcer le lien de filiation à égalité entre le père et la mère.
La disposition que vous proposez appelle la même objection, car au nom de quoi
permettrions-nous à deux parents divorcés de se présenter séparément alors que
ce droit n'est pas accordé aux couples mariés ? En effet, un mari et une femme
ne peuvent être candidats tous les deux pour un même élève.
Cela étant, je pense qu'il faut évoluer dans cette direction et le
Gouvernement en prend l'engagement. Une première étape va être franchie, qui
consiste à envoyer des bulletins de vote au père et à la mère, quelle que soit
leur situation matrimoniale, afin de donner à chacun la possibilité de voter
pour les délégués de parents d'élèves. Cela pose un problème financier et
matériel puisqu'il s'agit de doubler les envois. Nous discutons donc avec les
chefs d'établissement pour qu'ils acceptent cette charge supplémentaire afin de
permettre aux deux parents de s'impliquer dans la vie de l'école.
M. le président.
Monsieur Darniche, l'amendement n° 19
ter
rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe Darniche.
J'ai bien entendu les explications de Mme le ministre et je les comprends tout
à fait. Cependant, je crains qu'il ne reste pas grand-chose de ce débat et que,
en dépit de la volonté manifestée par chacun d'avancer, nous n'ayons pas les
moyens de concrétiser cette avancée rapidement. C'est la raison pour laquelle
je maintiens cet amendement, préférant qu'il soit soumis au vote du Sénat.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 19
ter
rectifié, repoussé par la
commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 373-2-6 du code
civil.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 373-2-7 DU CODE CIVIL
M. le président.
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 373-2-7 du code civil.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 373-2-8 DU CODE CIVIL
M. le président.
L'amendement n° 2, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Supprimer le second alinéa du texte proposé par le IV de l'article 4 pour
l'article 373-2-8 du code civil. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Cet amendement tend à supprimer, comme en première lecture,
la disposition permettant au juge de rappeler à ses obligations un parent qui
ne respecte pas les devoirs s'attachant à l'autorité parentale. Au mieux, cette
disposition n'a aucun effet ; au pire, elle est source de difficultés et
d'encombrement des tribunaux.
On imagine mal un juge qui prend une disposition encourager celui des parents
qui y est astreint à ne pas la respecter. Lorsque le juge a en face de lui les
deux parents - j'ai une certaine expérience en la matière -, il leur rappelle
l'importance qu'il attache aux décisions qu'il prend. Par conséquent, si nous
prenions une telle disposition, elle n'aurait aucun effet pratique.
En revanche, si l'on estime que le juge peut, en dehors de toute mesure, être
saisi d'une demande de rappel aux obligations, on va vers une augmentation du
contentieux qui n'aura pas d'utilité. En effet, celui des parents qui se verra
convoqué uniquement pour un rappel de ses obligations n'aura pas forcément
envie de se rendre à la convocation.
Au pire, s'il répond à la convocation, je crains que la demande de l'autre
parent ne soit modifiée ; il peut, par exemple, réclamer une augmentation de la
pension alimentaire. Le parent qui est convoqué devant le juge pour un simple
rappel de ses obligations risque donc de devoir répondre à une question
imprévue, dans des conditions difficiles.
On sait que les procédures devant le juge aux affaires familiales sont très
souples et qu'elles peuvent donner lieu à ce genre de modification de demande
au dernier moment. Par conséquent, cette mesure ne me semble pas appropriée et
peut même se révéler dangereuse. Je demande donc au Sénat de la supprimer.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement émet un avis favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 373-2-8 du code
civil.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 373-2-9 DU CODE CIVIL
M. le président.
L'amendement n° 20 rectifié, présenté par MM. Darniche, Durand-Chastel,
Seillier et Türk, Mme Desmarescaux, MM. Natali, Pelchat et Adnot, est ainsi
libellé :
« Après le premier alinéa du texte proposé par le IV de l'article 4 pour
l'article 373-2-9 du code civil, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Sauf meilleur accord des parties, elle implique une répartition équitable et
alternée des avantages fiscaux, familiaux et sociaux. »
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Cet amendement vise à redonner l'égalité fiscale aux parents.
En effet, sauf meilleur accord des parents, la résidence alternée doit
impliquer un partage strict du temps de résidence de l'enfant, mais également
un partage équitable et alterné, par moitié, des avantages fiscaux, familiaux
et sociaux attachés à la présence d'un enfant au foyer.
Les avantages visés par cet amendement sont, entre autres, la demi-part
fiscale actuellement accordée au parent gardien, les allocations familiales et
l'indemnité de rentrée scolaire. Bien évidemment, cette liste n'est pas
exhaustive.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Là encore, il s'agit d'une disposition extrêmement
complexe.
Le juge a d'autres possibilités, sans doute plus efficaces, pour assurer
l'équité dans la répartition des frais engagés pour l'enfant, de façon à tenir
compte des avantages fiscaux, familiaux et sociaux. C'est d'ailleurs ce qui se
passe déjà à l'heure actuelle. En effet, avant de se prononcer sur le montant
de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, le magistrat se
renseigne et demande à chacun des parents de lui indiquer les avantages sociaux
dont il bénéficie, notamment les allocations familiales. Le juge tient compte
également des effets de sa décision en matière fiscale.
Je souhaite donc le retrait de cet amendement tout en soulignant qu'il a le
mérite non négligeable de rappeler la nécessité de garantir l'équité entre les
parents.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement partage l'avis de la commission.
M. le président.
Monsieur Darniche, l'amendement est-il maintenu ?
M. Philippe Darniche.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 20 rectifié est retiré.
L'amendement n° 3, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Dans la première phrase du second alinéa du texte proposé par le IV de
l'article 4 pour l'article 373-2-9 du code civil, supprimer les mots : ", sauf
si l'intérêt de l'enfant s'y oppose,". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission souhaite modifier le texte proposé par le IV de
l'article 4 pour l'article 373-2-9 du code civil.
Le texte de l'Assemblée nationale prévoit que, en cas de désaccord des
parents, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance «
sauf si l'intérêt de l'enfant s'y oppose. »
Nous pensons que cette formulation négative n'est pas bonne. En effet, toutes
les mesures prises en matière d'autorité parentale doivent l'être en fonction
de l'intérêt de l'enfant et non pas pour répondre à d'autres préoccupations.
Nous souhaitons donc la suppression des mots : « sauf si l'intérêt de l'enfant
s'y oppose ». Le reste du texte prévoyant que le juge aux affaires familiales
veille à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs, il n'est pas
nécessaire d'en modifier la rédaction. Il suffit simplement de supprimer cette
incidente réductrice.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 4, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Supprimer la deuxième phrase du second alinéa du texte proposé par le IV de
l'article 4 pour l'article 373-2-9 du code civil. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
L'amendement n° 4 concerne la durée de l'expérimentation de
la résidence en alternance en cas de désaccord des parents.
L'Assemblée nationale a imposé au juge une durée maximale de six mois. Au
cours des débats, certains ont préconisé une durée plus courte, d'autres ont
souhaité l'étendre à une année scolaire. Il me semble préférable de laisser au
juge le soin de déterminer lui-même la durée. Il peut être effectivement
intéressant d'aller jusqu'à une année scolaire.
Cet amendement vise donc à supprimer les mots : « Cette durée ne peut excéder
six mois. »
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
L'Assemblée nationale a longuement débattu de la question de la cohérence des
temps, celle de l'enfant ne correspondant pas forcément à celle des adultes. La
possibilité ouverte au juge de choisir la durée d'application de la mesure lui
permet de l'adapter à la fois à l'âge de l'enfant et aux circonstances
familiales, en évitant de s'engager dans des procédures trop contraignantes.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 4, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 373-2-9 du code
civil.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 373-2-10 DU CODE CIVIL
M. le président.
L'amendement n° 5, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Dans le deuxième alinéa du texte proposé par le IV de l'article 4 pour
l'article 373-2-10 du code civil, après le mot : "médiateur" insérer le mot :
"familial". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La rédaction proposée par l'Assemblée nationale fait état
d'un « médiateur », puis d'un « médiateur familial agréé ».
La commission vous propose d'opter, dans l'ensemble du texte, pour
l'expression de « médiateur familial ». Elle souhaite ainsi souligner que le
médiateur doit être compétent dans le domaine du droit de la famille, qui est à
nul autre pareil. Il s'agit de rappeler que la médiation familiale nous paraît
utile.
En revanche, nous en reparlerons à l'occasion de l'examen de l'amendement n°
7, il ne nous semble pas nécessaire de parler de « médiateur familial agréé »
dans la mesure où je n'ai pas l'impression que les travaux de l'instance
présidée par Mme Sassier prévoient nécessairement un agrément à ce stade de la
réflexion.
L'amendement n° 5 et l'amendement n° 7 visent donc à retenir la formule de «
médiateur familial ».
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet
amendement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 6, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après le mot : "procéder", supprimer la fin du deuxième alinéa du texte
proposé par le IV de l'article 4 pour l'article 373-2-10 du code civil. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Il s'agit ici d'un problème tout à fait délicat, qui a amené
nombre d'entre nous à réfléchir sur l'opportunité d'exclure le recours à la
médiation en cas de violences familiales.
En première lecture, nous avions supprimé cette restriction, estimant qu'il
convenait de laisser au juge le soin de trancher dans des circonstances aussi
graves. En effet, il nous paraît souhaitable de ne pas exclure
a priori
l'intervention d'un médiateur quand des violences, physiques ou morales, ont
été commises : il s'agit de décider si l'on fait confiance ou non à la
médiation, car si l'on prévoit qu'il ne sera fait appel au médiateur que pour
régler les situations les plus simples, on sera passé à côté de la
difficulté.
Je pense qu'une médiation bien conduite peut, y compris dans des cas
difficiles, permettre de dégager des solutions, et à défaut contribuer à
améliorer les relations. Cette démarche ne suffira peut-être pas, mais elle
peut marquer le début d'un apaisement des querelles et du conflit qui a abouti
à la rupture.
Par conséquent, si l'on considère que la médiation peut représenter une bonne
solution, il faut non pas limiter par avance son champ d'application, mais
laisser au juge la faculté d'apprécier, même en cas de violences familiales, si
elle peut être utile ou si elle est contre-indiquée.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Il s'agit là en effet d'un point très délicat, qui a
donné lieu à des débats passionnés, notamment au sein de la délégation aux
droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Faut-il supprimer la possibilité de recourir à la médiation familiale en cas
de violences conjugales ? Lorsque j'ai réformé cette procédure et que j'ai
installé le Conseil national de la médiation familiale, présidé par Mme Monique
Sassier, qui occupe des fonctions éminentes au sein de l'Union nationale des
associations familiales, j'ai bien insisté, auprès de l'ensemble des membres de
ce conseil formé de magistrat, d'avocats, de représentants des professions
juridiques, d'associations de femmes et d'associations familiales, sur le fait
que la médiation familiale est une démarche volontaire, qui suppose l'égalité
entre les personnes concernées. Je crois que nous étions tous d'accord sur ce
point.
Or il est vrai que les violences physiques ou morales, des rapports de force
trop intenses ou une trop grande inégalité entre les personnes constituent une
contre-indication au recours à la médiation. Dans ces situations,
l'intervention du juge et le rappel à la loi demeurent nécessaires, car il
serait illusoire de penser que tout peut se régler par la voie de la médiation.
En effet, il existe des conflits qui sont trop exacerbés pour permettre une
certaine sérénité des esprits, et le médiateur se trouve alors désarmé. Je
profite de cette discussion pour souligner qu'il paraît essentiel aujourd'hui
de changer le regard porté par la société sur les violences conjugales. En
effet, l'enquête nationale sur les violences commises à l'encontre des femmes a
permis de prendre la mesure d'un phénomène intolérable, plus largement répandu
qu'on ne le pensait. Il est donc important que les professionnels se penchent
avec beaucoup d'attention sur les cas de violences conjugales. Les formations
dispensées aux policiers, aux travailleurs sociaux ou aux magistrats prennent
d'ailleurs désormais en compte cette nécessité.
Cela étant, toutes les violences ne sont pas identiques. Ainsi, certaines
d'entre elles, liées à la séparation elle-même, peuvent ne pas faire obstacle à
la reprise du dialogue dans le cadre d'une médiation, le cas échéant après
sanction. Cela montre que l'on peut souhaiter que le juge puisse conserver la
possibilité de proposer de recourir à la médiation dans de telles situations. A
cet égard, je crois important de souligner que le texte, dans sa rédaction
actuelle, prévoit que le juge peut imposer non pas le recours à la médiation
familiale, mais la participation à une séance d'information sur celle-ci.
Puisque nous sommes en train d'améliorer les conditions d'exercice de la
fonction de médiateur, de créer un diplôme et également d'élaborer un code
éthique - telle est la mission du Conseil national de la médiation familiale
que j'ai mis en place - je pense que nous pouvons faire confiance à la
médiation familiale. Ce sujet suscite beaucoup d'émotion et nous recevons
actuellement de nombreux courriers de la part des associations de femmes,
notamment de celles d'entre elles qui traitent des violences conjugales.
Nous pouvons leur apporter deux éléments de réponse.
D'une part, comme je l'ai déjà indiqué, c'est non pas la médiation qui serait
rendue obligatoire, mais l'assistance à une séance d'information sur celle-ci.
Même en cas de violences conjugales, cette démarche peut permettre à des
adultes de se ressaisir. D'autre part, rien n'est pire, pour l'enfant, que la
survenue de violences entre ses parents, qui perdent alors de leur crédibilité
à ses yeux. Il est essentiel qu'un enfant puisse garder une image digne de ses
parents et que ceux-ci se séparent dans des conditions correctes. L'enfant, une
fois devenu adulte, devra avoir envie d'être lui aussi parent.
Par conséquent, tout ce qui peut permettre d'apaiser et d'aider les parents en
situation de violence conjugale va dans le bon sens. A partir du moment où je
crois en l'efficacité de la médiation familiale, je ne puis m'opposer à
l'amendement que vous avez présenté, monsieur le rapporteur, et je m'en
remettrai donc à la sagesse du Sénat.
J'ajouterai à l'intention des femmes qui, au sein tant de la délégation aux
droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du
Sénat que de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, sont
très sensibilisées à ces questions que la réforme du divorce est également en
cours. La problématique des violences conjugales pourra être prise en compte
dans ce texte et la réflexion se poursuivre, alors que nous examinons
aujourd'hui une proposition de loi relative à l'autorité parentale qui ne vise
pas directement les conflits du couple, mais qui tend à poser et à établir les
indispensables règles devant régir l'exercice des responsabilités parentales.
Dans un esprit d'appel à la responsabilité des parents, je pense que nous
pouvons raisonnablement penser que le juge pourra en toute connaissance de
cause demander aux parents d'assister, même en cas de violences conjugales, à
une séance d'information sur la médiation.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 6, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 7, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Dans le dernier alinéa du texte proposé par le IV de l'article 4 pour
l'article 373-2-10 du code civil, après le mot : "familial", supprimer le mot :
"agréé". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
L'expression : « médiateur familial agréé » ne recouvre pour
l'instant aucune réalité, pas davantage que les termes : « médiateur familial
diplômé », qui figuraient dans la rédaction initiale du texte.
Nous proposons donc d'en rester à l'appellation « médiateur familial ». Pour
le reste, il appartiendra au décret de définir ce que l'on attend de ce
médiateur.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 7, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 8, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après le mot : "mesure", supprimer la fin du dernier alinéa du texte proposé
par le IV de l'article 4 pour l'article 373-2-10 du code civil. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Il s'agit, pour l'essentiel, d'un amendement rédactionnel.
Dans la mesure où le médiateur qui anime la séance d'information n'est pas
nécessairement celui qui assurera ultérieurement la médiation - plusieurs
couples pourront être regroupés pour une séance d'information commune - il
n'est pas opportun d'indiquer que le médiateur qui présente la médiation sera
ensuite appelé à procéder à celle-ci si les époux souhaitent recourir à cette
démarche.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 8, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 373-2-10 du code
civil.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 373-2-11 DU CODE CIVIL
M. le président.
L'amendement n° 21 rectifié, présenté par MM. Darniche, Durand-Chastel, Türk
et Pelchat, est ainsi libellé :
« A la fin du 4° du texte proposé par le IV de l'article 4 pour l'article
373-2-11 du code civil, supprimer les mots : ", tenant compte notamment de
l'âge de l'enfant". »
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Cet amendement vise à supprimer une redondance, car l'expertise menée par les
psychologues, les pédopsychiatres ou les enquêteurs sociaux indique
nécessairement la date de naissance de l'enfant. Dont l'âge est de ce fait pris
en compte.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Cet amendement tend à revenir au texte que le Sénat avait
adopté en première lecture.
Il me paraît incontestable qu'une expertise sérieuse doit tenir compte de
l'âge de l'enfant. Cependant, la commission a estimé que la rédaction résultant
des travaux de l'Assemblée nationale en deuxième lecture constitue un compromis
acceptable et a donc jugé préférable, pour faire un pas en direction de nos
collègues députés, de ne pas rétablir le texte que nous avions voté en première
lecture.
Je souhaiterais donc que M. Darniche veuille bien retirer cet amendement.
M. le président.
Monsieur Darniche, l'amendement n° 21 rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe Darniche.
Je suis tout à fait d'accord pour le retirer, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 21 rectifié est retiré.
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 373-2-11 du code civil.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLES 373-2-12 ET 373-2-13 DU CODE CIVIL
M. le président.
Je mets aux voix les textes proposés pour les articles 373-2-12 et 373-2-13 du
code civil.
(Ces textes sont adoptés.)
M. le président.
Je mets aux voix l'ensemble de l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
M. le président.
« Art. 5. - I. -
Non modifié.
« II. - L'article 373-2 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. 373-2
. - La séparation des parents est sans incidence sur les
règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale.
« Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec
l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent.
« Tout changement de résidence de l'un des parents, dès lors qu'il modifie les
modalités d'exercice de l'autorité parentale, doit faire l'objet d'une
information préalable et en temps utile de l'autre parent. En cas de désaccord,
le parent le plus diligent saisit le juge aux affaires familiales qui statuera
selon ce qu'exige l'intérêt de l'enfant en fixant la répartition des frais de
déplacement dans le cadre d'une appréciation équitable de l'ensemble des
charges et contributions de chacun des parents. »
« III. -
Non modifié
. »
L'amendement n° 9, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après les mots : "aux affaires familiales", rédiger comme suit la fin du
dernier alinéa du texte proposé par le II de l'article 5 pour l'article 373-2
du code civil : "qui statue selon ce qu'exige l'intérêt de l'enfant. Le juge
répartit les frais de déplacement et ajuste en conséquence le montant de la
contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Cet amendement essentiellement rédactionnel vise à simplifier
la rédaction du texte adopté par l'Assemblée nationale et à préciser que les
frais de déplacement auront une incidence sur le montant de la contribution à
l'entretien et à l'éducation des enfants.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 9, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Article 7 bis
M. le président.
« Art. 7
bis
. - L'article L. 441-2 du code de la sécurité sociale est
complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En l'absence de déclaration d'un accident survenu alors que la victime
mineure était confiée à un tiers par décision judiciaire ou administrative,
cette dernière peut effectuer cette déclaration jusqu'à l'expiration de la
deuxième année qui suit sa majorité. »
L'amendement n° 10, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Supprimer l'article 7
bis. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission propose de supprimer l'article 7
bis,
relatif à la déclaration des accidents du travail survenus aux mineurs, qui
a été inséré par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Cet article n'a pas d'utilité, puisque l'article 2252 du code civil prévoit
déjà une interruption de la prescription pour les mineurs appelés à déclarer un
accident du travail.
En outre, le dispositif est dangereux, car il risque de réduire les droits des
mineurs en visant les seuls mineurs confiés à un tiers, alors que l'article
2252 du code civil concerne tous les mineurs sans exception, quelle que soit
leur situation.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 10, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 7
bis
est supprimé.
Article 8
M. le président.
« Art. 8. - I. -
Non modifié.
« II. - Dans le même code, sont remplacés respectivement :
« 1° A l'article 340-6, les mots : "et 374" par les mots : "et 372" ;
« 2° A l'article 358, le mot : "légitime" par les mots : "dont la filiation
est établie en application du titre VII du présent livre" ;
« 3° Au deuxième alinéa de l'article 365, les mots : "dans les mêmes
conditions qu'à l'égard de l'enfant légitime" par les mots : "dans les
conditions prévues par le chapitre Ier du titre IX du présent livre" ;
« 4° Dans le troisième alinéa du même article, les mots : "de l'enfant
légitime" par les mots : "des mineurs".
« III. -
Non modifié. » - (Adopté.)
Article 9 bis A
M. le président.
« Art. 9
bis
A. - I. - A la fin du deuxième alinéa de l'article 318-1
du code civil, les mots : "sept ans" sont remplacés par les mots : "cinq
ans".
« II. - Le dernier alinéa de l'article 339 du même code est ainsi rédigé :
« Quand il existe une possession d'état conforme à la reconnaissance, celle-ci
ne peut être contestée que par son auteur, l'autre parent, ceux qui se
prétendent les parents véritables ou l'enfant. L'action cesse d'être recevable
quand la possession d'état a durée cinq ans depuis la reconnaissance. Elle
demeure toutefois ouverte à l'enfant dans les dix ans qui suivent sa majorité
lorsque la filiation a été établie pendant la minorité. »
L'amendement n° 11, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Supprimer l'article 9
bis
A. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Ce texte relatif à l'autorité parentale a été
considérablement « enrichi » de dispositions n'ayant pas grand-chose à voir, il
faut bien le dire - nous en avons déjà eu quelques exemples et nous en aurons
d'autres d'ici à la fin de notre débat - avec la question visée par son
intitulé. Selon moi, nous avons abordé un certain nombre de problèmes d'une
manière tout à fait discutable au regard de la qualité du travail
parlementaire. En effet, certaines dispositions ont été adoptées sans avoir
fait l'objet des débats qu'elles méritaient.
L'article 9
bis
A traite de la filiation. Il est vrai que notre droit
de la filiation mériterait d'être réformé et actualisé car les choses évoluent
en la matière. Elles évoluent d'autant plus que la génétique a permis d'aboutir
à des situations qui étaient inimaginables voilà encore quelques années.
La disposition qui a été votée d'abord au Sénat puis, après modifications, par
l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, limite à cinq ans les possibilités
de contestation des filiations légitimes et naturelles, en restreignant les
titulaires de l'action. Il s'agit là d'une question difficile, qui mériterait
sans doute des débats approfondis, probablement aussi des auditions, pour
déterminer l'équilibre à trouver entre une filiation raisonnée et une vérité
biologique, désormais facile à obtenir.
Va-t-on régler le problème en interdisant une contestation de paternité alors
que l'enfant aura la certitude biologique que celui qui, selon l'état civil,
est son père en réalité ne l'est pas ? Cet enfant ne souffrira-t-il pas plus du
désintérêt de ce père légal à son égard que du manque de stabilité de la
filiation légale ? Autrement dit, une filiation, lorsqu'elle est établie,
doit-elle avoir très vite une stabilité et ne pas pouvoir être remise en cause
? Ou bien, quand la vérité biologique apparaît, même quelques années plus tard,
n'est-il pas souhaitable de pouvoir la faire rétablir à l'état civil ? Je le
reconnais, je n'ai pas la réponse. Tout cela mériterait sans doute autre chose
qu'un amendement voté en séance dans les conditions que nous connaissons.
Par ailleurs, je crains que, à l'heure actuelle, cette disposition ne soit en
contradiction avec d'autres dispositions, notamment en matière de divorce.
Certes, il existe des projets ou des propositions pour faire évoluer le droit
du divorce, et c'est heureux, encore que tout dépend, bien sûr, des mesures qui
seront prises en remplacement des dispositions actuelles.
Actuellement, on peut obtenir le divorce pour rupture de la vie commune après
un délai de six ans. Aussi, il paraît difficile de limiter à cinq ans les cas
de contestation de paternité. En effet, cela signifierait que, dans certains
cas, la contestation de paternité serait interdite car le délai aura été
dépassé, compte tenu du fait que la mère n'aura pas pu se séparer
officiellement du père déclaré à l'état civil pour son enfant et qui n'est pas
le vrai père.
Une telle disposition n'a pas sa place dans ce texte. Elle aurait nécessité
une réflexion beaucoup plus approfondie, car les problèmes qu'elle pose sont
sérieux. Nous sommes devant une contradiction d'intérêts qui n'est pas résolue
à l'heure actuelle.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Cette disposition a effectivement été adoptée en
première lecture par l'Assemblée nationale et par le Sénat, puis par
l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Quelle est sa philosophie ? Elle consiste à stabiliser le lien de filiation
d'un enfant, c'est-à-dire à rééquilibrer un peu le rapport de force entre les
adultes et les enfants. J'ai été saisie, par exemple, de plusieurs cas
d'enfants qui ont changé de nom à trois reprises, au gré du « ballottement »
entre leurs parents, des contestations de paternité par la mère au moment d'une
procédure de divorce et d'un remariage du père qui conteste la paternité d'un
enfant qu'il avait reconnu. Cela fait beaucoup de dégâts chez les enfants. Ces
« violences sans violence » perturbent profondément l'identité de l'enfant et
sa stabilité. Un enfant qui a été élevé pendant plus de cinq ans par un adulte
a acquis le droit de disposer de façon stable de son identité, de son nom, de
son histoire aussi. Or, vous le savez, les contestations de paternité
entraînent également des changements d'identité. Après tout, ce n'est plus le
nom du père, c'est celui de l'enfant ! Celui-ci a vécu avec son nom, il est
allé à l'école avec son nom. L'esprit de la loi est aussi de conforter le lien
de filiation, l'identité de l'enfant et son histoire.
Tel est l'objet de cette disposition, qui prévoit que l'action en contestation
de paternité ne peut pas être introduite après que l'enfant a atteint l'âge de
cinq ans, ce qui est tout de même un délai raisonnable ! Par ailleurs,
l'article 339 du code civil relatif aux actions en contestation de la
reconnaissance d'un enfant est également modifié afin de limiter la
recevabilité de telles actions à une possession d'état de moins de cinq ans et
de l'ouvrir à l'enfant dans les dix ans qui suivent sa majorité lorsque la
filiation a été établie pendant sa minorité ; il s'agit, au fond, de fixer des
délais raisonnables qui permettront, par exemple, d'éviter des exhumations pour
des reconnaissances en paternité, comme on l'a vu dans un cas célèbre.
Sur le fond, la disposition contenue dans l'article 9
bis
A est
importante et elle respecte l'esprit du projet de loi. Mais, je le reconnais,
monsieur le rapporteur, elle pourrait s'inscrire dans une réforme globale de la
filiation, car, en ce domaine, d'autres dispositions doivent effectivement être
révisées. Si la présente disposition a été « raccrochée » au projet de loi,
c'est parce qu'elle m'a paru être la plus importante : elle permettrait de
répondre à des souffrances d'enfants ballottés dans des conflits d'adultes qui
pensent d'abord à eux, à leur propriété sur le nom qu'ils transmettent ou ne
transmettent pas à l'enfant ; il est nécessaire de stabiliser l'enfant. Dès
lors qu'un adulte a assumé la responsabilité éducative d'un enfant pendant au
moins cinq ans, il a pris des engagements envers lui et il n'a plus le droit,
pour des raisons de conflits entre adultes, d'aller le ballotter dans d'autres
identités que celle qu'il lui a donnée pendant cinq ans.
Je vous rejoins sur le fait que le débat a eu lieu et même si la cohérence
n'est pas non plus tout à fait établie à l'égard de ce texte puisque, je le
répète, d'autres dispositions sur la filiation doivent être adoptées, il
faudra réaliser cette réforme pour la stabilité de l'enfant et pour son devenir
d'adulte.
Par conséquent, je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 11, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 9
bis
A est supprimé.
Article 9 bis
M. le président.
L'article 9
bis
a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Article additionnel avant l'article 12
M. le président.
L'amendement n° 25 rectifié
bis,
présenté par M. Badinter, Mme Michèle
André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Frimat, Charles
Gautier, Mahéas, Peryonnet, Sueur et Sutour, est ainsi libellé :
« Avant l'article 12, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le compte de réserves affectées au financement du fonds d'investissement
pour le développement des structures d'accueil de la petite enfance créé par
l'article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n°
2000-1257 du 23 décembre 2000) est abondé de 228,67 millions d'euros.
« Ce montant est prélevé sur le report à nouveau de la branche famille du
régime général de la sécurité sociale. »
La parole est à Mme André.
Mme Michèle André.
L'année dernière, le Gouvernement a décidé de créer le fonds d'investissement
pour la petite enfance, doté de 1,5 milliard de francs, soit 228,67 millions
d'euros, afin de doubler l'effort d'investissement public et de permettre
l'accueil de 40 000 enfants supplémentaires.
Le succès a été considérable puisque, selon le dernier bilan dressé par la
CNAF, la totalité de l'enveloppe avait été consommée dès le début du second
semestre 2001. Vingt mille nouvelles places sont programmées, permettant
l'accueil total de 40 000 enfants.
L'enveloppe initiale n'a cependant pas permis de répondre à toutes les
demandes et de nombreux projets restent à financer. C'est pourquoi le
Gouvernement a décidé de poursuivre l'effort proposé lors du débat du projet de
loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 et d'abonder le fonds de
quelque 229 millions d'euros supplémentaires.
Le Conseil constitutionnel a estimé que le dispositif retenu n'avait pas sa
place dans une loi de financement de la sécurité sociale. Nous avons tous pu
mesurer l'immense inquiétude qu'avait créée cette décision au sein des
collectivités locales et des familles, qui craignaient de voir abandonnés de
nouveaux projets élaborés localement, partout sur le territoire.
Je vous propose donc d'adresser un signal fort à l'ensemble des porteurs de
projets et, à travers eux, à l'ensemble des familles de notre pays - dont les
récentes statistiques démontrent la vitalité - en adoptant une disposition qui
répond aux considérations du Conseil constitutionnel et aux attentes des
familles.
Avec cette nouvelle enveloppe, l'accent sera particulièrement mis sur
l'accueil des enfants de deux et trois ans ainsi que sur l'intercommunalité des
projets. Par ailleurs, l'accueil d'enfants handicapés n'est plus considéré
comme un élément innovant mais constitue désormais la règle, je m'en réjouis
personnellement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Cet article permet d'alimenter un fonds d'investissement pour
la petite enfance à partir du report à nouveau de la branche famille du régime
général de la sécurité sociale.
Une disposition analogue, mais opérant un transfert à partir de l'exercice
2000, avait été annulée par le Conseil constitutionnel, sur saisine des
sénateurs, en décembre dernier. Le Conseil constitutionnel avait en effet
considéré qu'il n'était pas possible d'opérer un prélèvement sur un exercice
déjà clos.
La présente disposition n'encourrait pas la même critique, mais elle
modifierait de manière non négligable l'équilibre de la branche famille du
régime général. Une telle modification d'équilibre ne pourrait s'opérer, me
semble-t-il, que par le biais d'une loi de financement de la sécurité sociale
rectificative, et ce en application de l'article LO 111-3 du code de la
sécurité sociale.
Aussi, en application de l'article 45, alinéa 7, du règlement du Sénat, je
souhaiterais connaître l'avis de la commission des affaires sociales sur la
recevabilité de cet amendement.
M. le président.
En application de l'article 45, alinéa 7, du règlement, la commission des lois
oppose l'irrecevabilité tirée de l'article LO 111-3 du code de la sécurité
sociale à l'encontre de l'amendement n° 25 rectifié
bis
de M. Robert
Badinter et plusieurs de ses collègues.
Je vous rappelle que, aux termes du règlement, l'irrecevabilité est admise de
droit, sans qu'il y ait lieu à débat, lorsqu'elle est affirmée par la
commission des affaires sociales.
J'interroge le président de la commission des affaires sociales sur
l'irrecevabilité.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Le rapporteur de la
commission des lois a tout à fait raison : en application de l'article LO 111-3
du code de la sécurité sociale, l'amendement est irrecevable.
M. le président.
L'amendement n° 25 rectifié
bis
n'est pas recevable.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Merci pour les enfants handicapés !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
L'irrecevabilité ne donne pas lieu à débat, monsieur le président About.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Certes, mais je viens
d'être mis en cause !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
S'il s'agit d'une mise en cause, vous aurez la parole à la fin de la séance
!
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Le principe de
l'insulte lancée publiquement auprès de tiers n'apporte rien dans ce genre de
débat ! En l'occurrence, je n'exprimais que l'avis de la commission des
affaires sociales. Je ne suis pas là pour débattre du handicap, mais si M.
Dreyfus-Schmidt veut en parler, il devrait s'adresser au ministre de l'emploi
et de la solidarité de ce gouvernement, qui n'a rien fait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt
Je ne demande pas la parole pour répondre, le silence suffit !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Le silence est d'or
!
Article 12
M. le président.
« Art. 12. - I. - Après l'article 225-12 du code pénal, il est inséré une
section 2
bis
ainsi rédigée :
« Section 2 bis
« Du recours à la prostitution d'un mineur
«
Art. 225-12-1
. - Le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en
échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération, des relations de
nature sexuelle de la part d'un mineur qui se livre à la prostitution, y
compris de façon occasionnelle, est puni de cinq ans d'emprisonnement et 75 000
euros d'amende.
«
Art. 225-12-2
. - Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement
et 100 000 euros d'amende :
« 1° Lorsqu'il s'agit d'un mineur de quinze ans ;
« 2° Lorsque l'infraction est commise de façon habituelle ou à l'égard de
plusieurs mineurs ;
« 3° Lorsque le mineur a été mis en contact avec l'auteur des faits grâce à
l'utilisation, pour la diffusion de messages à destination d'un public non
déterminé, d'un réseau de communication ;
« 4° Lorsque les faits sont commis par une personne qui abuse de l'autorité
que lui confèrent ses fonctions.
«
Art. 225-12-3
. - Dans le cas où les délits prévus par les articles
225-12-1 et 225-12-2 sont commis à l'étranger par un Français ou par une
personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française
est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et les
dispositions de la seconde phrase de l'article 113-8 ne sont pas
applicables.
«
Art. 225-12-4
. - Les personnes morales peuvent être déclarées
responsables pénalement dans les conditions prévues par l'article 121-2 des
infractions prévues par la présente section.
« Les peines encourues par les personnes morales sont :
« 1° L'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 ;
« 2° Les peines mentionnées à l'article 131-39.
« L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité
dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été
commise.
« II. -
Non modifié.
« III. - Le 4° de l'article 227-26 du même code est abrogé et le 5° de cet
article devient le 4°.
« Le dernier alinéa de l'article 227-28-1 du même code est supprimé.
« IV et V. -
Non modifiés.
« VI. -
Supprimé.
»
L'amendement n° 26 rectifié
ter,
présenté par M. Badinter, Mme Michèle
André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Frimat, Charles
Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur et Sutour, est ainsi libellé :
« Avant le I de l'article 12, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :
« ... La prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire de la
République. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Nous entamons la discussion d'une série d'amendements concernant un sujet qui
ne relève pas, c'est le moins que l'on puisse dire, du texte relatif à
l'autorité parentale. Je dirai quelques mots à propos des conditions dans
lesquelles nous avons été amenés à les élaborer puis à les déposer.
L'article 12 résulte d'un amendement présenté par le Gouvernement, qui a sans
doute été introduit dans la présente proposition de loi au regard de
considérations d'ordre international. De ce fait, nous n'avions pas pu, en
première lecture, travailler sérieusement et déposer des amendements puisque
l'amendement du Gouvernement avait été déposé mardi et examiné le mercredi
soir, si j'ai bonne mémoire, en séance.
Lorsque la proposition de loi est revenue au Sénat après son examen par
l'Assemblée nationale, nous y avons travaillé, comme c'est le devoir de tout
parlementaire.
Sur ces questions très difficiles, j'ai eu à coeur de consulter des magistrats
spécialisés, à la fois très qualifiés dans le domaine de la protection de la
jeunesse et exerçant des fonctions judiciaires importantes, afin de voir
comment améliorer ces textes. Les amendements qui vous sont soumis aujourd'hui
ont tous - je puis le dire car ils m'y ont autorisé - reçu leur approbation.
Cela étant, les membres socialistes de la commission des lois ont élaboré avec
moi les textes de ces amendements. C'est la raison pour laquelle ils figurent
nommément tous en tête de chaque amendement.
L'amendement n° 26 rectifié
ter
est nécessaire. Il était d'ailleurs
très demandé par les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Il
faut, en effet, que les choses soient clairement dites : l'amendement du
Gouvernement visait à la pénalisation des relations sexuelles avec des mineurs,
plus précisément avec des mineurs de quinze à dix-huit ans. C'est la
prostitution des adolescents qui est au coeur de ce débat. J'évoquerai plus
tard les problèmes beaucoup plus graves encore de la traite et des mineurs de
moins de quinze ans.
S'agissant des mineurs de quinze à dix-huit ans, la position du droit
français, aujourd'hui, est la suivante : tout d'abord, la prostitution en tant
qu'activité est licite. Je ne parle pas des formes odieuses d'exploitation,
d'incitation et de proxénétisme, mais du fait, pour un Français, de se livrer à
la prostitution, si tel est son choix. La prostitution, en tant que telle,
n'est pas aujourd'hui prohibée.
Quant à l'âge dit « de la majorité sexuelle » - il est ainsi dénommé depuis la
suppression, en 1982, de ce que l'on appelait à tort le délit d'homosexualité
et qui était en réalité une forme de discrimination à l'encontre des
homosexuels - s'agissant de relations avec des mineurs de quinze à dix-huit
ans, c'est-à-dire du droit de disposer librement de son corps, il est fixé à
quinze ans.
Le texte adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale nous fait entrer dans
une dimension tout à fait différente : on ne peut, en effet, pas dire d'une
activité qu'elle est licite ou autorisée si une personne s'adressant à celui ou
à celle qui l'exerce encourt une peine d'emprisonnement ! Il y a là une
contradiction dont j'avoue ne pas voir comment elle peut être résolue.
A partir de là, les choses doivent être dites clairement. En effet, il faut
que l'introduction de cette disposition nouvelle dans notre droit soit connue
et donc que cette dernière figure dans la loi. Il n'y a pas, à cet égard,
d'équivoque possible ni d'ambiguité à entretenir. C'est pourquoi notre
amendement n° 26 rectifié
ter
tend à affirmer que « la prostitution des
mineurs est interdite sur tout le territoire de la République ».
Ce texte - j'y insiste - est nécessaire à des fins de clarté ; il est
également indispensable à des fins de pédagogie : il faut que, sur le
territoire français, tous sachent clairement que la prostitution des mineurs
est interdite et que, par conséquent, celui qui y recourra se trouvera encourir
des peines qui auront été fixées par la loi.
Cet amendement est également indispensable à des fins de pédagogie générale :
je n'ose pas penser aux étrangers, mais il est bon que, à l'intérieur même des
établissements d'éducation, on sache que toute forme de prostitution des
mineurs est aujourd'hui interdite, y compris pour les mineurs âgés de quinze à
dix-huit ans.
On m'objectera que cette mesure pourrait pénaliser en quelque sorte les
mineurs prostitués. Mais l'amendement suivant, très important, répond à cette
préoccupation.
Il faut donc que les choses soient sues et qu'elles soient dites.
J'ai été sensible à l'argument de notre excellent rapporteur selon lequel
cette disposition doit être inscrite non pas dans le code pénal, mais
simplement dans la loi. Ce point me préoccupait d'ailleurs pour des raisons
juridiques. L'amendement n° 26 rectifié
ter
vise donc à ajouter, avant
le I de l'article 12, un paragraphe ainsi rédigé : « La prostitution des
mineurs est interdite sur tout le territoire de la République. » Il fait
référence à « tout le territoire de la République », car la question est
particulièrement importante s'agissant, m'a-t-on dit, des départements et
territoires d'outre mer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission, estimant qu'il convient d'affirmer clairement
le principe de l'interdiction de la prostitution des mineurs, émet un avis
favorable sur cet amendement.
En outre, l'inscription de cette disposition non plus dans le code pénal mais
dans le texte de cette loi est conforme au souhait que j'avais émis, à titre
personnel.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Nous abordons une série d'amendements relatifs à la
prostitution des mineurs. Le Gouvernement les examinera dans un esprit
d'ouverture, animé du souci d'aboutir à un accord permettant à la fois une
avancée très importante en matière de protection des victimes de la
prostitution, avec la création d'un délit nouveau inscrit dans le code pénal,
et l'élaboration d'un texte acceptable pour les parlementaires de l'Assemblée
nationale qui puisse faire l'objet d'un vote conforme.
J'observe avec grand plaisir que les modifications apportées par M. Badinter à
ses amendements sont conformes aux souhaits de la commission des lois, et je
forme donc le voeu que notre débat sur ce point donne satisfaction tant au
Gouvernement qu'au Parlement. Nous abordons en effet là une situation qui
dépasse les clivages politiques, que la société tout entière réprouve vraiment
et qui appelle des mesures efficaces.
Si ce nouveau phénomène de société a, au demeurant sans doute, toujours
existé, il prend cependant aujourd'hui sur notre territoire des dimensions tout
à fait inacceptables.
J'ai déjà eu l'occasion de formuler un certain nombre d'observations lors de
ma réponse dans la discussion générale. Je rappellerai donc simplement que les
dispositions dont nous parlons à l'instant ont déjà fait l'objet d'une
discussion au sein d'un conseil de sécurité intérieur qui s'est réuni voilà
maintenant plus d'un an ; elles figuraient par ailleurs dans le rapport de Mme
Lazerges sur l'esclavage moderne. En outre, elles ont été très profondément
examinées et proposées par Mme la défenseure des enfants dans le rapport
qu'elle a remis au Président de la République. Et le chef du Gouvernement,
lorsqu'il s'est engagé sur cette question, en accord avec l'ensemble des
sensibilités politiques, l'a fait lors des états généraux de protection de
l'enfance en pensant que cette disposition était cohérente avec ce dont nous
venons de parler, à savoir l'autorité parentale. Ces mineurs victimes de
prostitution sont en effet des mineurs soustraits à l'autorité parentale : ils
n'ont pas eu la chance d'être cadrés correctement dans leur famille. Il faut
donc que la loi les protège.
J'observe avec satisfaction que l'amendement n° 26 rectifié
ter
vise
désormais à insérer une disposition dans la loi elle-même, et non plus dans le
code pénal. En effet, cette dernière solution aurait pu soulever quelques
objections.
Tout d'abord, l'affirmation d'un principe qui n'est pas contestable - c'est
pourquoi le Gouvernement le soutiendra - sous-entend, « en creux », autre
chose. Dire, par exemple, que la prostitution des mineurs est interdite laisse
penser que la prostitution des majeurs est autorisée. Or, une partie au moins
de cette prostitution est interdite : celle qui est contrainte. Mais nous
reviendrons sur ce débat lors de l'examen du projet de loi sur l'esclavage
moderne, actuellement sur le bureau du Sénat, qui constituera une seconde
étape. Voilà pourquoi nous pouvons d'ores et déjà affirmer dans le présent
texte un certain nombre de choses importantes.
Par ailleurs, s'agissant de l'expression « sur tout le territoire de la
République », des débats ont eu lieu au sein de la commission des lois pour
lever toute ambiguïté. A partir du moment où le principe d'extraterritorialité
en matière de protection des mineurs, en vigueur en France depuis l'adoption de
la loi de 1998, n'est pas remis en cause et qu'il est également appliqué dans
d'autres pays, tels l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, le Danemark, l'Espagne
et la Suisse, ce qui signifie que des délits commis sur le sol français ne
peuvent devenir des non-délits sur le sol de ces pays, le Gouvernement émet un
avis favorable sur cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 26 rectifié
ter.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Je soutiens la proposition de M. Badinter. La ville que j'administre est
l'objet, à l'heure actuelle, d'une très forte activité délictueuse de jeunes
mineurs.
Le fait d'affirmer dans ce texte que la prostitution des mineurs est interdite
présente à mon avis deux avantages.
En premier lieu, c'est un principe clair. Et, madame le ministre, je ne
redoute pas le fait que, par opposition, on puisse penser que la prostitution
des majeurs est autorisée. Nous constatons en effet dans nos villes que la
prostitution fleurit. A Boulogne-Billancourt, j'ai la « chance », si vous me
permettez l'expression, de voir coexister toutes les formes de prostitution :
prostitution de transsexuels, de travestis, de jeunes gens et de mineurs.
En second lieu, il me paraît excellent que cette disposition figure dans une
proposition de loi sur l'autorité parentale. Cela permet en effet d'expliquer à
l'ensemble des familles et des responsables que des sommes d'argent arrivant
sans raison apparente dans les foyers peuvent provenir de la prostitution ou de
la drogue, et qu'il faut donc y prêter attention.
Par conséquent, le groupe du RDSE soutient cette série d'amendements.
Mais il y a deux conséquences à en tirer.
Premièrement, il faut que le garde des sceaux, dans le cadre des quelques
prérogatives dont il dispose à l'égard des parquets, explique à tous les
représentants de ces derniers que cette disposition est non pas voeu pieux,
mais - je l'espère - une décision unanime du Parlement et du Gouvernement, et
qu'il leur faut donc s'en occuper : il ne faut pas lancer des procédures, les
interrompre en raison de moyens insuffisants pour essayer de faire autre chose
ensuite. Il faut y mettre les moyens !
Deuxièmement - mais j'aborde déjà là les amendements suivants -, les tribunaux
pour enfants sont surchargés. Par conséquent, faire appel, en cas de
prostitution de mineurs, aux juges des enfants pour s'occuper de l'ensemble des
mesures aboutira immédiatement à une insuffisance catastrophique de moyens. Les
rôles des tribunaux pour enfants sont très encombrés ; les magistrats siègent
déjà dans de nombreuses commissions et exercent beaucoup d'activités autres que
les activités de protection des mineurs.
Par conséquent, mes chers collègues, le vote de ce texte, auquel tout le monde
doit se rallier, doit inévitablement déboucher tant sur des instructions
beaucoup plus fermes données aux parquets - et je les demande ! - pour éviter
la dispersion de l'action publique que sur un renforcement des moyens et de
l'organisation des tribunaux pour enfants. Je serais heureux, à cette occasion,
que l'on mette davantage à contribution les tribunaux d'instance, composés de
magistrats qui se demandent très souvent ce qu'ils font par rapport aux
tribunaux pour enfants ou aux tribunaux de grande instance. C'est donc toute
une mobilisation de notre organisation judiciaire qui sera nécessaire pour
faire respecter ce principe auquel, je crois, nous adhérons tous.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Je tiens à dire d'emblée que le groupe communiste républicain et citoyen
s'abstiendra sur les amendements déposés par M. Badinter.
Je constate, d'ailleurs, qu'il y a une évolution dans sa réflexion, puisque M.
Badinter renonce à ce que le texte de son premier amendement figure dans le
code pénal.
Nous avions voté, des deux mains si je peux dire, l'article 12 tel qu'il
résultait d'un amendement du Gouvernement, tout en considérant, bien entendu,
qu'il ne saurait être question de renoncer à se lancer dans une lutte beaucoup
plus globale contre la prostitution des mineurs. L'article ne pouvait en effet,
à lui seul, résoudre le problème.
A la lecture du rapport de Mme Lazerges sur l'esclavage en France, nous avions
dit combien il nous semblait essentiel de développer une véritable politique de
lutte contre les trafics et de protection des victimes desdits trafics. Pour
autant, il ne saurait être question de renoncer aux avancées de la lutte contre
la prostitution des mineurs.
A cet égard, les amendements proposés par M. Badinter, dont je partage, comme
je l'ai dit, les préoccupations, me semblent soulever autant de problèmes
qu'ils prétendent en résoudre.
Ce premier amendement - je ne prendrai pas la parole sur les autres - est de
ce point de vue symptomatique : l'intention est fort louable, mais, s'agissant
d'une proclamation de principe, je me pose des questions sur son application.
En effet, dans la mesure où il s'agit d'une disposition à insérer dans le code
pénal, on peut se demander quelles en seront les conséquences juridiques. Tout
d'abord, l'interdiction vise-t-elle à sanctionner le client ou le mineur ? On
me répondra, bien sûr, que le mineur n'est pas susceptible d'être sanctionné ;
il n'empêche que la rédaction peut prêter à interprétation et entretient un
flou qui risquerait de pénaliser le mineur lui-même.
Par ailleurs, la prostitution des mineurs étant interdite, faut-il entendre
a contrario
- Mme la ministre a déjà soulevé ce problème - que la
prostitution des majeurs est une activité commerciale normale, comme on le
constate dans certains pays ? Je sais très bien que la prostitution des majeurs
est licite. Il n'empêche que, au regard de ce qu'elle représente pour un grand
nombre de personnes, au regard des réseaux de jeunes femmes venues de l'Est,
d'Afrique ou d'Amérique latine, qui se livrent à la prostitution sous la
contrainte, que cette contrainte soit d'ordre social, psychologique ou autre,
on ne peut laisser penser que la prostitution serait un commerce comme un
autre.
Enfin, si l'interdiction de la prostitution des mineurs se limite au
territoire de la République, cela signifie-t-il qu'on admet celle des mineurs à
l'étranger, qu'ils soient français ou étrangers ? Il me semble, là encore, que
se pose un problème dans la mesure où, aujourd'hui, il est absolument
nécessaire de lutter contre le tourisme sexuel.
Certes, je ne mets aucunement en doute les intentions sous-jacentes à ces
amendements ; je sais bien que l'arrivée massive de très jeunes prostituées
d'origine étrangère en France vous préoccupe, tout comme moi, mon cher
collègue, comme elle préoccupe tous ceux qui sont attachés aux droits des
mineurs, qu'ils soient enfants ou adolescents.
Mais il est indéniable que vos propositions risquent d'être sources de
difficultés, dont certaines ont d'ailleurs été soulignées.
Ainsi, supprimer du champ d'application de la loi les mineurs de quinze ans au
motif que la répression des relations sexuelles fait déjà l'objet d'une
incrimination pénale conduirait à ne plus pouvoir réprimer la tentative, le
fait de solliciter le mineur. Seules les relations sexuelles avérées pourraient
l'être. Or on sait bien que la constatation de ces relations est extrêmement
difficile à établir, d'autant que la brigade des mineurs est absolument
exsangue et qu'elle manque cruellement de moyens.
Il faut donc, me semble-t-il, sanctionner également la sollicitation des
mineurs.
Au demeurant, mon cher collègue, avec vos propositions, vous avez interpellé
les pouvoirs publics et le Gouvernement sur les modalités de la lutte contre la
prostitution des mineurs, et cela me paraît tout à fait positif. Mais elles
mériteraient une réflexion plus approfondie et d'être accompagnées de textes
plus explicites concernant l'engagement du Parlement et du Gouvernement dans la
lutte contre les trafics de personnes. En l'état, elles me semblent à la fois
trop limitées et trop imprécises, pouvant donner lieu à des interprétations
diverses. C'est pourquoi, comme je l'ai déjà dit, nous préférons nous
abstenir.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Les explications de Mme Borvo m'ont paru particulièrement embarrassées. Je
dois dire que nous étions, nous aussi, embarrassés lors de l'examen du texte en
première lecture, car nous nous rendions bien compte que le seul fait de créer
une nouvelle incrimination pour permettre la poursuite des clients de la
prostitution des mineurs ne résolvait pas le problème.
Bien entendu - on l'a dit à plusieurs reprises ; vous l'avez, vous-même,
affirmé, madame la ministre - il y a avant tout une question de moyens. Quand
on crée des incriminations, il faut que les moyens suivent. Or, nous
connaissons la faiblesse des moyens accordés à la protection des mineurs,
notamment aux services de police chargés de cette protection.
Dans les grandes agglomérations, comme Paris ou d'autres, parce que Paris n'a
pas l'exclusivité de ces pratiques, du fait de l'ouverture des frontières, des
déplacements de population, un grand nombre de jeunes, originaires, notamment,
d'Afrique ou des pays de l'Est, sont lancés sur le pavé ; ils sont d'ailleurs
quelquefois recyclés puisqu'il semblerait, d'après mes informations, que ceux
qui étaient « chargés » des parcmètres sont aujourd'hui renvoyés vers d'autres
activités plus lucratives. Tout cela est abominable !
(Mme le ministre acquiesce.)
Bien entendu, nous avions voté la disposition proposée par le Gouvernement,
parce que nous ne pouvions pas envisager de ne pas prendre des mesures
extrêmement fermes pour tenter d'arrêter cette forme d'esclavage, qui est
encore plus grave quand il s'agit de jeunes.
Mais parler d'esclavage c'est, en tout état de cause, reconnaître qu'il n'y a
pas de prostitution sans proxénétisme, surtout s'agissant de mineurs. Il est
évident que l'on doit principalement s'attacher à combattre les réseaux et les
proxénètes.
Nous nous félicitions, l'autre jour, de ce que plusieurs pays veuillent
accéder à l'Union européenne. C'est très bien, en effet, mais je crois qu'il
faudrait signifier à certains d'entre eux que nous ne pourrons accepter que,
sur leur territoire, des jeunes - ou des adultes d'ailleurs - puissent être
transportés pour être ensuite amenés dans les pays d'Europe de l'Ouest afin de
nourrir divers trafics, notamment la prostitution.
Par ailleurs, je rappelle qu'en dehors du code pénal il existe déjà divers
textes qui interdisent certains comportements à l'égard des mineurs. Il en est
ainsi des mesures contre l'alcoolisme figurant dans le code des débits de
boisson. De même, les publications à caractère pornographique sont
réglementées. Si quelqu'un reçoit des mineurs dans certains établissements, il
est passible d'une sanction. Dans tous les cas, ce ne sont pas les jeunes qui
sont condamnés : ce sont les adultes qui les entraînent.
Ces exemples s'apparentent, toutes choses égales, au sujet qui nous occupe.
Les majeurs sont condamnés, certes, mais l'accent doit être mis ensuite sur la
protection des mineurs, car ce sont des victimes. C'est un principe qu'il est
indispensable d'affirmer pour assurer l'équilibre du texte.
Dans le même temps, madame la ministre, il faut rappeler que l'efficacité,
c'est aussi une question de moyens. Nous le savons bien, hélas ! En matière de
justice, la répression n'est utile qu'à condition d'être efficace.
Dans les prochains mois, nous allons d'ailleurs travailler sur la justice des
mineurs, sur la prévention et sur la protection, celle-ci devant primer.
Je crois que le présent texte contribuera à cette protection, à condition,
bien sûr, qu'il garde toute son ampleur.
M. Badinter nous a permis de progresser dans cette réflexion, qui n'est
évidemment pas terminée, puisqu'il faut y intégrer tout l'aspect de l'esclavage
moderne. Or les mineurs sont souvent concernés par ces formes d'esclavage même
dans nos beaux pays, où l'on pense toujours que l'esclavage ne peut être
qu'ailleurs.
M. Jean-Pierre Sueur.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur.
La prostitution des mineurs est une forme particulièrement odieuse de
l'esclavage moderne, et nous devons vous être reconnaissants, madame la
ministre, d'avoir choisi d'aborder clairement cette question et de formuler une
proposition.
Notre collègue Robert Badinter a déposé un certain nombre d'amendements,
cosignés par les membres socialistes de la commission des lois. Je me réjouis
pour ma part des travaux très approfondis qui ont eu lieu au sein de ladite
commission, en concertation avec le Gouvernement. Ainsi, nous devrions
parvenir, comme vous l'avez souhaité, madame la ministre, à une solution non
seulement satisfaisante sur le plan juridique mais aussi efficace dans la lutte
contre ce grave fléau.
Je dirai, après d'autres, que l'amendement n° 26 rectifié
ter
a le
grand avantage de mettre en oeuvre une logique.
Mes chers collègues, d'abord, dès lors qu'on choisit de pénaliser les
relations sexuelles contre rémunération entre un majeur et un mineur se livrant
à la prostitution, il est clair que la conséquence logique est d'inscrire dans
la loi l'interdiction de la prostitution des mineurs.
Ensuite, il est très important, s'il y a - et il y aura - pénalisation du
client, qu'il y ait aussi pénalisation du proxénète dans des proportions
appropriées.
(M. Hyest fait un signe d'approbation.)
Certes, elle existe déjà, mais il
faut que chacun réponde de ses actes à la mesure de leur gravité.
Par ailleurs, il est essentiel d'indiquer, comme le suggère l'un des
amendements de notre collègue Robert Badinter, que ces mineurs relèvent de la
protection du juge des enfants au titre de la procédure d'assistance éducative.
Evidemment, madame la ministre, cela suppose les moyens nécessaires pour
assurer assistance, éducation et insertion ; nous connaissons l'ampleur de la
tâche.
Il est vrai aussi qu'il faudra des moyens suffisants en termes de police.
Enfin, je veux insister sur un point qui vient d'être évoqué par l'une de nos
collègues : le tourisme sexuel.
Le tourisme sexuel qui se traduit par l'exploitation de mineurs est odieux, et
il serait tout à fait erroné de considérer, si peu que ce soit, les
dispositions qui nous sont ici présentées comme un consentement à la
prostitution des mineurs à l'étranger.
A la suite d'un débat important qui a eu lieu au sein de la commission des
lois, Robert Badinter a d'ailleurs accepté de renoncer à l'un de ses
amendements, de manière qu'il ne puisse pas y avoir la moindre ambiguïté sur ce
point : si nous légiférons, évidemment pour le territoire de la République, il
est clair que ce qui est odieux sur ce territoire l'est tout autant hors de ce
territoire.
M. Christian Cointat.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat.
De la présentation qu'en a faite M. Badinter, je retiens que cet amendement a
essentiellement deux vertus : une vertu pédagogique en ce qu'il permet
d'inscrire au fronton de la loi que « la prostitution des mineurs est interdite
», et cela me paraît fondamental ; une vertu de cohérence juridique entre
l'interdiction de la pratique et la condamnation du client qui en résulte.
Ces deux éléments sont suffisamment importants pour justifier le vote de cet
amendement.
Cela étant, comme l'ont souligné certains de nos collègues, il faut des moyens
et surtout une volonté car, lorsqu'on a la volonté, on trouve les moyens. Mais,
madame le ministre, avez-vous la volonté ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Oui !
M. Christian Cointat.
Alors, j'aimerais que vous le prouviez !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 26 rectifié
ter,
accepté par la
commission et par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 30 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM.
Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur
et Sutour, est ainsi libellé :
« Avant le I de l'article 12, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :
« ... Tout mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, est
réputé en danger et relève de la protection du juge des enfants au titre de la
procédure d'assistance éducative. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Cet amendement est destiné à bien prendre en compte la condition, non
seulement pitoyable mais plus encore tragique, des mineures, étrangères
notamment - ce sont les plus nombreuses -, qui se livrent à la prostitution.
J'aurai tout à l'heure l'occasion de dire à quel point il est urgent que les
pouvoirs publics, dans la totalité de l'Europe, car c'est un problème
international, mesurent ce qui est en train d'advenir : depuis les pays de
l'Est, depuis les terres africaines - et l'on voit bien que tout cela tient à
la misère sévissant dans ces régions du monde - des organisations criminelles,
des réseaux de proxénètes introduisent sur le territoire de l'Union européenne,
notamment à travers les Balkans, des jeunes femmes, dont des mineures, qui «
tournent » ensuite à travers les différents pays. C'est là un véritable
fléau.
Mais j'en reviens à l'amendement n° 30 rectifié.
Nous avons décidé de pénaliser la relation du client avec une mineure. Se pose
alors une question, qui a été formulée par les magistrats avec lesquels je me
suis entretenu : que va faire celle-ci, sans papiers, sans possibilité de
travail ?
Si la notion de mineur en danger a un sens - et je laisse de côté l'ombre du
proxénétisme qui pèse sur ces jeunes filles à tout moment - c'est bien là !
Or, pour des raisons sur lesquelles nous devons, me semble-t-il, nous pencher
de la façon la plus précise et la plus pressante, il se trouve que ces
adolescentes ne sont pratiquement jamais présentées au juge chargé de la
protection de la jeunesse. Des chiffres très significatifs m'ont été fournis
par des associations dont je veux ici saluer expressément la généreuse, la
constante, l'admirable action pour lutter contre la prostitution des mineures
et qui, elles, assument réellement le fardeau que les pouvoirs publics, à mon
sens, n'assument pas comme il convient.
Je pose donc simplement cette question : que peuvent faire ces malheureuses ?
Se livrer au trafic de stupéfiants ? Entrer dans des réseaux de vol organisé
?
La notion de mineur en danger existe déjà, et il est indispensable que, dès
lors que sera mis en oeuvre le texte pénal s'agissant de telle ou telle victime
prostituée, cette dernière bénéficie systématiquement des mesures prévues pour
la protection de l'enfance et de l'adolescence en péril.
Tel est exactement l'objet de cet amendement, qui prévoit, je le souligne,
l'application de la procédure d'assistance éducative et non de sanctions.
Chacun en conviendra ; des mesures de protection sont, en l'occurrence,
nécessaires - ô combien ! - et les dispositions bien connues de l'article 375
du code civil trouvent ici tout particulièrement à s'appliquer.
Tout récemment, une personnalité très importante qui mène une action au sein
d'une association indiquait devant moi que, sur 280 jeunes femmes interpellées,
279 étaient majeures et une seule était mineure, si tant est que l'on puisse
savoir quel est exactement l'âge de certaines. Comment ne pas s'étonner d'une
si faible proportion de mineures ? Il suffit de s'approcher, le soir, à Paris,
du boulevard périphérique pour voir tant et tant de malheureuses petites
africaines. Il ne fait aucun doute que la notion de mineur en danger s'impose
!
Cela étant, c'est vrai, rien ne peut se faire sans une volonté politique
affirmée et constante, sans des moyens appropriés. Il est clair que, à la suite
de l'admirable rapport de Mme Lazerges, le Parlement devra se préoccuper au
premier chef, dès l'ouverture de la prochaine législature, quelle que soit
l'issue des élections à venir, de ce problème fondamental pour notre
société.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission est favorable à cet amendement.
Il est vrai que l'existence de l'article 375 du code civil aurait dû nous
dispenser de l'adoption de cette mesure car il est tout à fait patent que la
santé, la sécurité et la moralité de ces mineures sont en danger. Si les juges
pour enfants avaient appliqué ce texte, nous n'en serions pas là.
Il est effectivement nécessaire de ne pas se contenter de sanctionner le
client et de prendre en charge ces mineures pour pouvoir les protéger, de
manière à apporter une solution à une situation extrêmement grave,
insupportable même.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet
amendement, qui a le mérite de clarifier l'amendement précédent, de lui donner
toute sa portée, et qui éclaire parfaitement le sens de notre démarche
puisqu'il n'y a pas de confusion entre la mineure victime, le client et le
proxénète.
Je vous remercie, monsieur Badinter, d'avoir déposé cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 30 rectifié.
M. Jean-Louis Lorrain.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Sur le texte proposé par cet amendement, je n'ai aucune remarque particulière
à formuler, m'inclinant devant le travail qu'ont accompli les juristes pour
aboutir à ces propositions.
Cela dit, la loi a aussi besoin, pour s'appliquer, de relais.
Les travaux que nous menions encore en début de semaine au sein de l'Institut
des hautes études de la sécurité intérieure ont bien mis en lumière la
nécessité d'une sensibilisation à la protection de la jeunesse. A cet égard,
les juges des enfants et les responsables de ce secteur au sein de
l'administration de la justice disent clairement que le problème ne tient pas
tant aux moyens en termes quantitatifs - certains reconnaissent d'ailleurs que
des efforts ont été réalisés dans ce domaine - qu'à des questions
d'organisation.
Nous avons encore vu, hélas ! une illustration du caractère extrêmement
délicat des situations qui sont évoquées ce matin, quand on a découvert, la
semaine dernière, dans ma région, que des collégiennes avaient forcé une de
leurs condisciples à se prostituer.
Mais je reviens à l'aspect organisationnel du problème.
En effet, il ne suffit pas de voter des lignes budgétaires ou de décider la
création de postes. Il faut aussi savoir quels personnels nous allons employer,
quel statut nous allons leur donner, comment nous allons les recruter.
Aurons-nous le temps de créer de véritables structures d'accueil ? Quel travail
social sera effectué à l'intérieur de ces structures ? Pour le moment aucune
réponse n'a été apportée à ces questions, et cela concerne aussi, nous le
savons, d'autres établissements d'accueil. Il nous faut donc avant tout
travailler à la définition d'une véritable politique en la matière.
La mise en place d'observatoires locaux ainsi qu'un travail en réseau sur le
plan local, avec l'ensemble des forces vives, avec les services de police, les
municipalités et les travailleurs sociaux, deviennent indispensables.
Si nous sommes sensibles au principe posé par la loi, nous souhaitons, en tant
qu'acteurs de terrain, que des réponses soient apportées sur les questions que
je viens d'évoquer.
M. Christian Cointat.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat.
C'est évident, nous ne pouvons qu'appuyer cet amendement. Il soulève toutefois
un certain nombre de problèmes, qui ont d'ailleurs été abordés brièvement par
M. Badinter.
Je rappelle que le texte que nous discutons est relatif à l'autorité
parentale. Les jeunes qui sont placés sous la protection du juge devraient
ensuite être replacés sous l'autorité parentale. Un certain nombre d'entre eux,
pour ne pas dire la plupart d'entre eux, seraient sans papiers et donc
illégalement sur le sol de la République française. Il ne faudrait pas que l'on
puisse détourner ce texte de son objet en laissant entendre que, à partir du
moment où ils sont placés sous la protection du juge, ils sont reconnus comme
résidant légalement sur notre territoire.
Des mesures devront donc être prises pour que ces mineurs se retrouvent dans
le cadre légal, même s'il est impératif de les protéger, car ce sont bien des
victimes.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Permettez-moi juste une observation après ce qu'a dit notre excellent
rapporteur : le progrès réalisé ici, c'est que, dans l'actuel article 375 du
code civil, il s'agit d'une possibilité, alors que nous en faisons - ce que les
magistrats de la jeunesse souhaitaient - une obligation. Le mineur est en
danger, ô combien ! et il relève de la protection. Le changement est, on le
mesurera, important !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 30 rectifié, accepté par la commission et par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité.
ARTICLE 225-12-1 DU CODE PÉNAL
M. le président.
L'amendement n° 27 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM.
Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur
et Sutour, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi le début du texte proposé par le I de l'article 12 pour
l'article 225-12-1 du code pénal :
« Le fait pour un majeur de solliciter... » La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Il s'agit d'une question qui a suscité un débat au sein de la commission des
lois - débat auquel ont pris part les sénateurs socialistes membres de ladite
commission -, et la discussion reste tout à fait ouverte.
Le texte que nous examinons prévoit la pénalisation de la relation avec une ou
un prostitué, que les intéressés soient majeurs ou mineurs, adultes ou
adolescents âgés de quinze à dix-huit ans.
Je considère que, dans le domaine de la sexualité - et il s'agit bien de cela,
ce n'est pas la peine de nous leurrer, c'est-à-dire d'un domaine où sont en
cause les aspects les plus complexes et les plus pulsionnels de l'être humain -
l'âge a une importance que l'on ne peut méconnaître.
Certes, la pédophilie relève véritablement du crime, car il n'y a pas de
procédé plus odieux. Mais, si l'on considère les mineurs âgés de quinze à
dix-huit ans, les choses deviennent différentes ! On ne peut pas comparer un
enfant de douze ou treize ans à un adolescent de dix-sept ou dix-huit ans quand
il s'agit de sexualité !
En ce qui concerne les adolescents - les jeunes gens, car c'est d'eux qu'il
est question - la réalité est la suivante. Je prends à dessein l'exemple d'un
adolescent âgé de seize ou dix-sept ans, qui n'a pas d'amie et qui, pour des
raisons qui tiennent à la fois à l'effervescence sexuelle et, dans bien des
cas, à des difficultés sexuelles, recourt aux services d'une prostituée. Pour
lui, ce qui serait licite avec une prostituée plus âgée deviendrait illicite
avec une prostituée de son âge ? Ce mineur, appelé alors « client » ou «
consommateur », n'est-il pas plutôt en péril ? Je suis convaincu que, devenu
adulte, sa sexualité évoluera, mais l'effervescence sexuelle et les problèmes
sexuels liés à l'adolescence peuvent expliquer, alors, son comportement.
Pénaliser cet acte et traduire inévitablement un mineur devant le juge pour ce
qui devient alors une infraction ne me paraît pas bon - je ne dis même pas
juste - car on ne peut pas méconnaître les conséquences de cette disposition
sur l'être humain en devenir.
Certes, nous le savons, des mineurs violents de dix-sept ans peuvent se livrer
à des actes abominables, à des « tournantes » - je crois que cela s'appelle
ainsi - mais tout cela est déjà prévu par le code pénal, qui punit très
sévèrement toutes ces formes d'agressions, de viols, de tentatives de viol.
On nous demande aujourd'hui de punir le simple fait de la relation du mineur
avec une mineure contre rémunération, celle-ci se livrant à la prostitution.
Je rappelle, pour que les choses soient claires, que l'article 227-25 du code
pénal, qui a été voté le 17 juin 1998 - donc sous cette législature - punit le
fait d'exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte
sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans. Mais le mineur qui
exercerait cette atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans
n'est pas visé ! L'article précise bien : « Le fait, par un majeur, d'exercer
sans violence... » Dans ce cas, bien plus grave que celui qui nous concerne, la
pénalité est réservée au majeur. Voilà ce que nous avons décidé il y a dix-huit
mois à peine.
S'agissant de mineurs - puisque c'est à eux que l'on s'adresse - il ne me
paraît pas bon de dire que l'une, ou l'un, bénéficiera, ce qui est légitime, de
la protection du magistrat alors que l'autre sera l'objet d'inévitables
sanctions.
Je ne crois pas que cette solution soit équilibrée, je ne crois pas que ce
soit dans cette direction qu'il nous faille aller, mais la discussion est
ouverte ; je vous ai donné très franchement, pour ma part, mon sentiment.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission souhaite entendre le Gouvernement.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Avec l'échelle des peines, le présent amendement
constitue l'un des deux points clés de ce débat. Sur le reste, le Gouvernement
suivra les propositions de M. Badinter ou de la commission des lois, mais il ne
peut en être de même dans le cas présent.
Je vous ai écouté avec attention, monsieur Badinter. Vous avez développé des
arguments forts. Je vais m'efforcer de vous convaincre et de vous expliquer,
par un engagement et par quelques arguments, pourquoi le Gouvernement souhaite
le retrait de votre amendement.
L'engagement, c'est que, comme vous l'avez rappelé, le projet de loi relatif à
l'esclavage moderne a été déposé sur le bureau du Sénat et que s'il se révèle
nécessaire d'aménager ou d'améliorer les dispositions de cette proposition de
la loi, nous le ferons. Ce filet de sécurité vous permettra ainsi de procéder à
quelques ajustements.
Mais j'en viens aux arguments.
Un débat est aujourd'hui ouvert dans notre pays sur l'ordonnance de 1945 :
certains pensent qu'elle est insuffisamment sévère pour des mineurs qui se
comportent parfois comme des majeurs, avec leur brutalité et leur violence
physique. Or l'amendement n° 27 rectifié vise à créer une situation où même
l'ordonnance de 1945 serait trop sévère. Nous serions ainsi en train de créer
un nouveau délit pour protéger les victimes de la prostitution, mais nous
dirions, nous, Gouvernement, nous, législateurs, que, pour les majeurs, c'est
punissable, alors qu'en dessous de dix-huit ans il n'y a plus de sanction
pénale.
Nous sommes en train d'ériger un interdit très fort dans notre société et,
dans la mesure où l'âge de la majorité demeure fixé à dix-huit ans - il n'est
pas question de le modifier -, nous ne rendrions pas service aux mineurs en
leur trouvant systématiquement des circonstances atténuantes pour des
comportements que la société condamne ! La loi pénale nomme l'interdit, lui
donne un sens, et elle doit faire référence pour tous ! Votre amendement est
donc un peu en contradiction avec celui que vous avez présenté tout à l'heure
et auquel tout le monde s'est rallié, puisque vous formulez une interdiction en
disant immédiatement qu'elle doit ne viser que les majeurs, exonérant ainsi
implicitement les mineurs de toute responsabilité.
Si nous pensons que la loi pénale fait référence, édicte la norme, pose des
interdits qui s'imposent à tous, si nous pensons que les jeunes ont besoin
d'être protégés par des adultes qui ont le courage de dire un certain nombre de
choses, de montrer l'exemple, de poser des interdits pour leur permettre de
grandir, alors il nous faut en rester au dispositif de l'ordonnance de 1945,
qui permet d'ores et déjà de prendre en compte toutes les préoccupations que
vous avez exprimées : le principe même de cette ordonnance est de privilégier
les mesures éducatives pour les mineurs, d'atténuer la responsabilité puisque
l'excuse de minorité divise par deux les peines et d'interdire la détention
provisoire en matière délictuelle pour les mineurs de seize ans.
Quant à l'objection que vous soulevez et qui est tout à fait importante
s'agissant du jeune qui n'a pas forcément l'intention de nuire et qui se
retrouverait devant un tribunal, je pense que nous pouvons faire confiance au
parquet des mineurs pour apprécier l'opportunité des poursuites ! Je pense même
que, dans le cas que vous soulevez, le mineur ne serait pas interpellé.
De plus, la situation des mineurs clients par rapport aux mineurs victimes
peut recouvrir des cas très différents. Bien sûr, il peut y avoir des relations
consenties entre mineurs du même âge, mais le cas qui nous intéresse relève de
la prostitution, c'est-à-dire du paiement d'un acte sexuel, avec, souvent, un
tiers intervenant.
Pour m'être occupée pendant trois ans, au sein de l'éducation nationale, de la
question des violences - en particulier des violences sexuelles -, je peux vous
dire qu'au-delà des problèmes de trafic, qui appellent déjà une dissuasion à
l'encontre des grands mineurs, il existe aussi une prostitution minable de
proximité, née de rapports de force entre petits groupes : je veux parler de la
jeune fille de quinze ans qui, pour ne pas perdre l'affection de son copain, va
accepter de rendre quelques services sexuels au groupe de garçons à la sortie
du collège. Dans ce cas, il n'y aura pas paiement direct, le garçon ne va pas
se sentir proxénète, alors qu'il est pourtant bien, en l'occurrence, proxénète
et qu'il s'agit bien de prostitution puisque la jeune fille achète l'assurance
de continuer à être intégrée au groupe et de bénéficier de la protection de tel
ou tel garçon. C'est bien ce type de cas que nous visons !
Par rapport aux viols collectifs et aux « tournantes », dont la condamnation
est liée au passage à l'acte, ce qui est extrêmement intéressant dans le fait
de considérer que la simple qualité de client est un délit, c'est que ce sera
dissuasif. Croyez-moi, la loi pénale est très vite connue ! Je crois beaucoup à
la peur du gendarme, à la peur de la loi, à la peur de la prison, et, le jour
où cette loi sera votée, les victimes seront protégées en amont, car les jeunes
ne prendront plus de risques. C'est bien pour les dissuader de passer à l'acte,
pour les inciter à aller voir, éventuellement, une prostituée majeure et non
pas une prostituée mineure que nous vous proposons cette mesure !
Comment imaginer que, dans un quartier, des policiers puissent interpeller des
clients majeurs au vu de leur carte d'identité et ne pas inquiéter les mineurs
? Alors que l'on reproche - souvent avec des arguments auxquels je ne souscris
pas, mais avec des arguments que l'on entend fréquemment -, alors que l'on
reproche, dis-je, aux mineurs de narguer les policiers, comment imaginer que
nous puissions donner un tel signal à ces mêmes mineurs, qui sont souvent
impliqués dans ce genre de comportements ?
Je répète qu'en tout état de cause le parquet dispose, parce qu'il s'agit de
mineurs, de l'opportunité des poursuites. Quant à la police, elle doit
intervenir de façon simple et préventive, y compris pour faire des rappels à la
loi : je pense que, dans les cas que vous évoquez, un bon rappel à la loi est
déjà de nature à recadrer un certain nombre de jeunes, surtout s'ils ne sont
pas encore passés à l'acte. C'est important compte tenu de tout ce qui se
passe, hélas ! aux abords des établissements scolaires.
Dans de nombreux cas, des déséquilibres importants subsistent entre la
position du client mineur et celle du prostitué mineur. Je pense en particulier
- le juge des enfants nous en parle beaucoup - aux mineurs en fugue.
Vous le savez, des jeunes filles de quinze à dix-sept ans peuvent être
complètement immatures et en fugue. N'ayant jamais eu de repères familiaux,
elles peuvent se retrouver complètement ballottées, voire instrumentalisées par
des garçons plus jeunes. Des jeunes filles qui sont en errance sont prostituées
par des garçons, simplement parce qu'ils ont une force physique supérieure et
qu'ils sont en groupe. On ne peut donc pas schématiser le rapport avec l'âge
parce qu'il recouvre non seulement les solutions que vous avez évoquées,
monsieur le sénateur, mais bien des sujets différents.
Enfin, vous avez évoqué le fait que le code pénal réserve aujourd'hui la
pénalité d'atteinte sexuelle aux majeurs. Mais cet argument plaide justement en
faveur du maintien du délit dans le droit commun tant pour les mineurs que pour
les majeurs.
L'atteinte sexuelle est précisément, vous le savez, une atteinte sans violence
ni contrainte. C'est pour cette raison qu'elle est réservée aux majeurs. Deux
enfants de même âge, en revanche, on les place tous les deux en assistance
éducative, on les soigne, mais on ne les met pas en prison.
Or, si votre amendement était adopté, monsieur le sénateur, on serait dans
l'impossibilité d'exercer toute répression, y compris à l'encontre d'un grand
mineur sur un mineur de quinze ans puisque ces atteintes sexuelles ne peuvent
être commises que par des majeurs, comme le prévoit avec raison l'article
227-25 du nouveau code pénal. En outre, le délit aggravé prévu à l'article
225-12-2 ne pourra pas non plus être constitué puisqu'il suppose que soient
déjà réunis les éléments constitutifs de l'article 225-12-1 parmi lesquels
figure la majorité du client.
Enfin, j'ajoute une fois de plus qu'il s'agit là de prostitution, et non
d'atteinte sexuelle, sans violence ni contrainte. Nous venons en effet de voter
l'interdiction de la prostitution des mineurs, car nous considérons que, dans
tous les cas, un mineur prostitué est une victime qui doit être protégée, qui
doit sortir de la prostitution.
Par conséquent, au nom de la cohérence de la loi pénale, au nom de la
protection des mineurs et au nom du fait que notre société doit affirmer son
autorité - on lui reproche souvent de ne pas le faire - j'affirme que l'on ne
rend pas service aux mineurs en leur accordant systématiquement des
circonstances atténuantes qui, au demeurant, sont déjà prévues dans
l'ordonnance de 1945. Aller au-delà brouillerait, je crois, les repères que
nous sommes en train d'élaborer aujourd'hui.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission s'en remet à la sagesse de la Haute
Assemblée.
Le problème soulevé par l'amendement de notre éminent collègue est grave et
aurait mérité, je pense, une réflexion beaucoup plus approfondie que celle à
laquelle nous nous sommes livrés au travers de l'examen d'amendements à une
proposition de loi dont la finalité n'était pas celle-là, puisqu'elle a trait à
l'autorité parentale.
Les conditions dans lesquelles nous avons examiné ces différents amendements
ne sont pas satisfaisantes. Si nous l'avons fait, c'est parce que nous avons
considéré qu'il fallait accepter de nous saisir de ce problème et trouver des
dispositions qui puissent permettre de lutter contre ce fléau qu'est la
prostitution des mineurs.
Cela dit, il est vrai que, sur un certain nombre de dispositions, des
questions se posent, des questions graves à propos desquelles nous aurions pu
procéder à des auditions et à une réflexion plus approfondie. C'est le cas
précisément de cet amendement.
Le problème qui se pose est qu'il n'y a pas de véritable raison d'exonérer les
mineurs du nouveau délit qui a été créé ; je pense particulièrement aux mineurs
de quinze à dix-huit ans qui peuvent avoir recours à la prostitution de mineurs
de quinze ans, c'est-à-dire d'enfants très jeunes.
Les mineurs ne sont pas tous, on le sait bien, des enfants de choeur. Il y a
les « tournantes » que M. Badinter a rappelées. Il y a aussi des mineurs qui se
livrent au proxénétisme, infraction qui est punie par ailleurs, c'est vrai.
Cela nous montre que l'on ne peut pas considérer qu'à partir du moment où il a
seize ou dix-sept ans le mineur est forcément une espèce de victime parce qu'il
est client d'une prostituée, surtout si, je le répète, elle est très jeune.
Il y a lieu de s'interroger sur ce point. Si l'on n'adopte pas cet amendement,
les mineurs seront effectivement incriminés mais, en tout état de cause, ils
bénéficieront devant le juge des enfants, devant le tribunal pour enfants, non
pas de l'excuse mais de la clause de minorité, de sorte que la pénalité ne sera
évidemment pas égale à celle qui aurait été appliquée à un majeur. Les mineurs
seront en outre jugés à huis clos, avec toutes les garanties que cela
implique.
Tous ces éléments m'amènent à dire que si, lorsqu'il s'agit d'un mineur de
dix-sept ans qui a eu recours à une prostituée de son âge, l'opportunité des
poursuites n'est en effet peut-être pas démontrée, elle peut l'être dans
d'autres cas. Je pense donc que cette incrimination peut être utile, et c'est
la raison pour laquelle je m'en remets à la sagesse de notre assemblée, cet
avis ayant toutefois une teinte négative.
M. le président.
Monsieur Badinter, l'amendement n° 27 rectifié est-il maintenu ?
M. Robert Badinter.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt tant Mme la ministre que
notre rapporteur.
Madame la ministre, je vous le dis très franchement, j'aurais souhaité que, ce
matin, votre collègue garde des sceaux fût à vos côtés s'agissant de matières
qui relèvent du droit pénal et du droit commun au premier chef. Cependant, si
vous m'assurez que, si vous ne pouvez pas prendre cet engagement vous-même,
vous demanderez au garde des sceaux d'envoyer au parquet une circulaire
générale - c'est de son pouvoir et c'est son devoir - précisant que le cas
particulier d'un mineur de dix-huit ans s'étant borné à avoir des relations
avec une autre adolescente relève au premier chef de mesures éducatives, alors
je retirerai volontiers l'amendement. Il est en effet nécessaire que l'action
des parquets soit orientée dans ce sens. Il faut bien marquer, dans ce domaine
aussi, la priorité de la mesure éducative, de la mesure d'assistance sur la
sanction pénale.
Si vous interrogiez tous ceux qui se consacrent aux troubles de l'enfance et
de l'adolescence dans le domaine de la sexualité - je pense que l'avez fait,
mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas de tous nos collègues - sur les
conséquences d'une procédure pénale pour un adolescent de seize ou dix-sept
ans, vous sauriez les traumatismes qu'elle peut engendrer et dont l'adolescent
ne se remettra pas ; je dis bien « ne se remettra pas ».
Si vous intervenez, si vous prenez position au nom du Gouvernement, si vous
faites dire aux parquets que, dans ce cas, la politique à suivre est en
priorité la mesure d'assistance éducative, dans ces conditions, oui, je retire
l'amendement.
Je rappelle que pour tous les actes de violence, d'agression, de proxénétisme,
pour toutes les formes de viols, nous disposons, dans le code pénal, de toute
une batterie de sanctions parfaitement adaptées.
Je précise enfin que ce dont nous parlons en cet instant, c'est simplement de
la relation de mineur à mineur, c'est tout.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Monsieur Badinter, je vous remercie pour cette prise
de position. Vous savez que nous travaillons en liaison très étroite avec Mme
Lebranchu et que nous avons bien sûr préparé le débat ensemble. Je lui
transmettrai bien volontiers vos suggestions, qui sont tout à fait utiles.
Je rappelle que cette disposition a aussi un but préventif. Bien évidemment,
ni les uns ni les autres, nous ne voulons voir des jeunes en prison. Mais s'ils
ont bien intégré les interdits - et cela, c'est notre responsabilité d'adulte -
nous pouvons penser qu'ils ne passeront pas à l'acte et qu'il n'y aura donc pas
de dégâts considérables à réparer ni pour eux-mêmes ni pour leurs victimes.
Je vous remercie d'avoir présenté cette position de compromis. Elle nous
permet d'avancer.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je retire l'amendement n° 27 rectifié après l'engagement qui vient d'être pris
et qui vaut, selon moi, au-delà du ministre présent, pour le Gouvernement tout
entier, donc, pour Mme le garde des sceaux, qui, j'en suis absolument certain,
partage mon opinion.
M. le président.
L'amendement n° 27 rectifié est retiré.
L'amendement n° 29 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM.
Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur
et Sutour, est ainsi libellé :
« A la fin du texte proposé par le I de l'article 12 pour l'article 225-12-1
du code pénal, remplacer les mots : "cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros
d'amende" par les mots : "deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende".
»
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Cet amendement a trait au niveau de fixation des peines.
L'article 12 adopté en première lecture prévoit, pour une relation simple
contre rémunération, c'est-à-dire sans violence ni viol, une peine de cinq ans
d'emprisonnement.
Je rappelle que, dans ce même code pénal, s'agissant des cas où la relation
avec le prostitué ou la prostituée s'accompagnerait de violences ou de viol,
nous serions dans une échelle de peines tout à fait différente.
Je rappelle aussi que le texte qui nous est soumis prévoit un certain nombre
de circonstances aggravantes, notamment le fait de répéter habituellement le
délit, c'est-à-dire d'avoir des relations sexuelles - j'imagine - avec une
prostituée ou un prostitué régulièrement, et l'abus d'autorité, dont nous
parlerons tout à l'heure. Dans ce cas, dans le texte présenté, la peine prévue
était de dix et elle a été réduite à sept ans.
La question est extrêmement difficile, car elle porte sur l'articulation des
peines à l'intérieur du code pénal. Je le sais d'autant mieux que, lorsque j'ai
présidé la commission de révision du code pénal pendant trois ans, j'ai pu
constater que nous butions chaque fois sur ce point.
On ne peut pas fixer une peine sans prendre en considération l'ensemble.
Ici, je propose deux ans d'emprisonnement. Je sais que c'est inférieur aux
trois ans pour vol simple. Mais je suis prêt pour ma part à réduire la peine
pour les vols simples à deux ans.
Je propose deux ans d'emprisonnement, disais-je, pour la simple relation avec
une jeune prostituée ou un jeune prostitué adolescent parce que c'est la peine
fixée s'agissant d'atteintes sexuelles sur mineurs de quinze à dix-huit ans
commises par un ascendant ou par une personne ayant autorité. Je relève à cet
égard qu'il s'agit là de comportements beaucoup plus graves que la simple
relation sexuelle avec une prostituée.
Je suis le premier à dire qu'elles sont des victimes, mais victimes, d'abord,
du terrible réseau de proxénétisme que l'on évoquait tout à l'heure. Je pense
que le dispositif s'articule bien ; nous passerons ensuite à cinq ans.
S'agissant, ce qui est tout à fait différent, d'une relation sexuelle avec une
prostituée de moins de quinze ans, je considère qu'on est à la limite de la
pédophilie et je demanderai donc que l'on aille au-delà des cinq ans. Mais,
dans un premier temps, nous proposons l'échelonnement des peines à deux ans,
cinq ans et sept ans.
Une chose me paraît devoir aussi attirer l'attention de la Haute Assemblée :
c'est le proxénétisme simple. Je ne parle pas du proxénétisme aggravé,
c'est-à-dire envers mineurs, qui, à mes yeux, est une infraction majeure : rien
n'est pire à mon sens, s'agissant des enfants.
Celui qui vit de la prostitution, qui l'organise, qui est le véritable
créateur de la chose - Dieu sait que le droit le connaît depuis l'Antiquité -
encourt une peine de cinq ans. Punir des mêmes peines que le proxénète simple
celui qui a une relation - s'il en a plusieurs, il encourra cinq ans de prison
- serait une rupture qui ne me paraît pas justifiable.
Enfin, en termes de procédure pénale - puisque la procédure pénale a son
importance -, avec une peine de deux ans, nous avons toutes les possibilités de
flagrant délit, nous avons la procédure de comparution immédiate, nous avons la
procédure de citation directe, c'est-à-dire toutes les possibilités de
répression. Nous n'avons pas - mais je considère que c'est mieux ainsi - la
possibilité de placement en détention provisoire dans le cadre de l'ouverture
d'une instruction. Nous avons assez parlé du problème de la détention
provisoire !
Je rappelle qu'il s'agit là seulement d'une relation. Si elle devenait
habituelle, la peine encourue serait de cinq ans et l'on retomberait dans le
cas de figure précédent. Une peine d'emprisonnement de deux ans nous paraît
convenable au regard des cinq ans et sept ans, c'est-à-dire de l'échelle des
peines que j'ai évoquée.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission des lois accepte le principe de la pénalisation
du recours à la prostitution des mineurs de quinze à dix-huit ans. Elle est
cependant favorable à un abaissement de la peine, fixée par le texte à cinq
ans.
En première lecture, le Sénat avait insisté sur la nécessité de punir moins le
client que le proxénète. Il semble qu'une peine de cinq ans ne permettrait pas
d'établir de manière assez marquée la différence avec le proxénétisme simple,
qui est puni de sept ans d'emprisonnement du fait de l'augmentation de la
pénalité qui résulte du texte relatif à la sécurité quotidienne.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Nous abordons là le second point délicat de
discussion, qui mérite, en effet, réflexion.
Pour ma part, j'aurais préféré le maintien de la peine initialement votée par
le Sénat et par l'Assemblée nationale, qui a, au cours de ce débat, bien
rétabli l'échelle des peines - ce qui était nécessaire - dans la mesure où le
proxénète est davantage condamné que le client.
Le Gouvernement est prêt à s'en remettre à la sagesse du Sénat si celui-ci
souhaite vraiment diminuer les peines encourues pour les délits de recours à la
prostitution de mineurs, étant entendu que c'est une peine maximale et que le
parquet, comme le juge, ont l'opportunité d'apprécier le niveau de la
condamnation par rapport aux circonstances du délit.
Pour ma part, je ne verrais pas le mauvais signal qui serait donné, surtout
que nous venons de voter le principe solennel de l'interdiction de la
prostitution des mineurs, si la décision était prise de passer de cinq ans à
deux ans. Toutefois, si le Sénat décidait d'adopter cet amendement, il serait
souhaitable de le rectifier pour ne pas descendre en dessous de trois ans, cela
afin de garder la hiérarchie des valeurs dans notre société.
En effet, trois ans sanctionnent le vol simple ou les violences légères sur
mineur. Je pense, comme vous, j'en suis certaine, qu'il est plus grave
d'acheter un corps d'enfant ou de mineur que de commettre un vol simple ou des
violences légères n'ayant pas entraîné une ITT de plus de huit jours. Cela
mérite au moins trois ans. Le fait d'avoir des rapports sexuels tarifés avec un
mineur - pratique dont nous venons de voter l'interdiction - constitue
nécessairement une forme de violence au moins aussi grave.
En outre, il est plus cohérent de prévoir une peine de trois ans
d'emprisonnement pour le délit de base. Je vous suis tout à fait, monsieur
Badinter, quand vous parlez des circonstances aggravantes, puisque,
précisément, les peines du délit aggravé prévues par l'article 225-12-2 du code
pénal seront de cinq ans d'emprisonnement. Or la règle non écrite, mais
constamment respectée par le nouveau code pénal, est en effet de passer de
trois ans à cinq ans lorsqu'une infraction fait l'objet d'une circonstance
aggravante, et non de deux ans à cinq ans.
C'est le cas pour les homicides volontaires, pour les violences, pour les
menaces sans condition : toutes ces peines s'échelonnent de trois ans à cinq
ans dès lors qu'il y a la circonstance aggravante.
Je vais également dans le sens de M. le rapporteur, puisque la loi qui a été
promulguée le 15 novembre 2001 aggrave les condamnations pour le proxénétisme
simple en les faisant passer de cinq ans à sept ans.
Si vous souhaitez ne pas maintenir les cinq ans d'emprisonnement, le fait de
passer à trois ans permettrait de conserver la hiérarchie des peines. En effet,
le client sera condamné à trois ans maximum d'emprisonnement et le proxénète à
sept ans. Cela me paraît cohérent par rapport au nouveau code pénal, à la
gravité des faits et aux valeurs de notre société.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
J'aimerais obtenir une précision de la part de Mme la
ministre. Doit-on considérer que le Gouvernement dépose un sous-amendement ?
Dans cette hypothèse, quel est le montant de l'amende, sachant qu'il faut une
cohérence entre l'amende et la peine d'emprisonnement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
A l'emprisonnement d'une durée de trois ans est
associée une amende de 45 000 euros. Je demande à l'auteur de l'amendement s'il
accepte de le rectifier. A défaut, je déposerai un sous-amendement.
M. le président.
Monsieur Badinter, acceptez-vous de rectifier votre amendement en ce sens ?
M. Robert Badinter.
Le monopole de la parole est si malvenu au sein d'un groupe que j'aurais
volontiers laissé à M. Dreyfus-Schmidt le soin de s'exprimer !
Après avoir consulté tous les sénateurs socialistes membres de la commission
présents, je vais vous donner mon sentiment.
Madame la ministre, je ne suis pas une « jeune moustache » ; j'ai une longue
expérience et j'ai pendant très longtemps exercé une belle profession. Je vais
vous dire ce qui va advenir.
Bien au-delà de la discussion relative à deux ans ou trois ans
d'emprisonnement, aux circonstances atténuantes, etc., quelle sera la véritable
sanction ? Il y aura citation devant le tribunal correctionnel, audience
publique. Dans une ville de petite ou moyenne importance, la presse étant
présente, tout le monde saura que M. X aura eu des relations sexuelles avec une
jeune prostituée de quinze, seize ou dix-sept ans. Il n'est nul besoin de dire
ce que cela signifiera en termes de conséquences familiales, les plus
importantes, sociales et professionnelles dans une vie. Et cela n'est pas lié
aux deux ou trois ans ! Il ne faut pas perdre de vue cet aspect.
Les magistrats du parquet auront à coeur, je l'espère, avec les nouvelles
possibilités que nous leur avons données, de s'entretenir avec celui qui a cédé
à la tentation, car il ne faut pas oublier la réalité profonde des êtres
humains, ce que les canonistes appelaient justement la
temptatio diabolica.
Le domaine des sens est plus complexe que vous ne semblez parfois le
mesurer. Cela existe la tentation ! Tout le monde n'a pas la vertu janséniste
austère qui permet d'y résister sans mal.
C'est pourquoi je le dis, deux ou trois ans, là ne me paraît pas être le coeur
du problème. Après avoir consulté tous les commissaires, nous sommes d'accord,
à la majorité, pour une peine de trois ans. En conséquence, je rectifie mon
amendement tout en insistant, sur la base de l'expérience que j'ai connue, sur
le fait qu'il ne faut pas se leurrer ni vivre dans l'angélisme !
Derrière les jeunes filles et les jeunes gens prostitués, il y a les
organisations de proxénètes. Il se formera inévitablement des gangs de tels
voyous qui organiseront des provocations, se serviront des jeunes personnes
comme appât, puis, des années durant, exerceront le chantage face à la menace
de la comparution en correctionnelle. A l'époque où existait le délit
d'homosexualité, j'ai vu, parmi les hommes qui avaient cédé à la tentation, des
êtres humains être véritablement détruits pour un moment de faiblesse. Il ne
faut pas méconnaître la réalité si complexe des êtres humains !
M. le président.
Je suis donc saisi d'amendement n° 29 rectifié
bis,
présenté par M.
Badinter, Mme André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier,
Mahéas, Peyronnet, Sueur et Sutour, qui est ainsi libellé :
« A la fin du texte proposé par le I de l'article 12 pour l'article 225-12-1
du code pénal, remplacer les mots : "cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros
d'amende" par les mots : "trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende".
»
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission n'ayant pas examiné cet amendement rectifié, il
m'est difficile de donner un avis.
A l'occasion de la première lecture, la commission, qui s'était arrêtée sur
une durée d'emprisonnement de cinq ans, s'est ralliée, après les explications
de notre collègue Robert Badinter, à la disposition consistant à abaisser cette
durée à deux ans.
Cela dit, il est incontestable que, quelle que soit la durée de la peine
retenue, la situation de la personne citée devant le tribunal correctionnel
pour ce type d'infraction sera absolument catastrophique !
M. Robert Bret.
Ce serait dissuasif.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Une comparution devant le tribunal peut, dans certains cas,
briser toute une vie. Or ne risque-t-on pas d'aboutir à cela et donc de
sanctionner une infraction plus lourdement qu'on le souhaiterait ?
Cela dit, il y a un choix à faire. Il a été fait, c'est celui de sanctionner
le recours à la prostitution des mineurs. Nous devons en assumer les
conséquences.
Quant au niveau de la peine, on peut effectivement s'aligner soit sur les
atteintes sexuelles non rémunérées commises par un ascendant, qui sont punies
de deux ans d'emprisonnement, soit sur les agressions sexuelles autres que le
viol sur mineurs de quinze à dix-huit ans, qui sont punies de cinq ans
d'emprisonnement. Entre les deux, il y a différentes possibilités : trois ans
d'emprisonnement en est une. Elle est sans doute assez équilibrée. C'est
pourquoi j'émets un avis de sagesse, positive cette fois-ci !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 29 rectifié
bis,
accepté par le
Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 225-12-1 du code
pénal.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLE 225-12-2 DU CODE PÉNAL
M. le président.
L'amendement n° 31 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM.
Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur
et Sutour, est ainsi libellé :
« A la fin du premier alinéa du texte proposé par le I de l'article 12 pour
l'article 225-12-2 du code pénal, remplacer les mots : "sept ans
d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende" par les mots : "cinq ans
d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende". »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
C'est un amendement de conséquence.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Par cohérence, la commission émet un avis favorable sur cet
amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 31 rectifié, accepté par la commission et par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 32 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM.
Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Gautier, Mahéas, Peyronnet, Sueur
et Sutour, est ainsi libellé :
« I. - Supprimer le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par le I de
l'article 12 pour l'article 225-12-2 du code pénal.
« II. - Compléter le texte proposé par le I de l'article 12 pour l'article
225-12-2 du code pénal par un alinéa ainsi rédigé :
« Les peines sont portées à 7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende
lorsqu'il s'agit d'un mineur de 15 ans. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Il s'agit de la logique de l'échelle des peines et, bien au-delà, de la
logique de la protection. Il y a une différence, presque de nature, je le
répète, entre le recours à la prostitution de mineurs de moins de quinze ans,
qui sont à la limite de l'enfance, voire quelquefois dans l'enfance, et le
recours à la prostitution d'adolescents, dont il est très difficile de savoir,
notamment lorsqu'ils sont âgés de dix-sept ou dix-huit ans, s'ils sont majeurs
ou mineurs. Eu égard au niveau de développement de l'être humain, le problème
est très différent.
S'agissant du recours à la prostitution de mineurs de moins de quinze ans, je
souhaite que la peine soit portée à sept ans d'emprisonnement, car cela n'a
rien à voir avec ce que l'on a évoqué tout à l'heure. Je disais que l'âme
humaine est complexe. Là, nous entrons dans les ténèbres. J'aurai l'occasion de
revenir sur ce point s'agissant du proxénétisme aggravé lorsque sont concernées
des filières qui ont pour objet l'organisation du trafic sexuel d'enfants de
moins de quinze ans.
Vous voyez quel est l'équilibre de l'échelle des peines que nous proposons :
trois ans, cinq ans et sept ans d'emprisonnement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission est favorable à cet amendement.
Il ne convenait pas, comme c'était le cas initialement avec l'amendement n°
32, de supprimer la circonstance aggravante du délit de recours à la
prostitution des mineurs quand celui-ci est commis à l'égard d'un mineur de
quinze ans, même si l'ancien article 225-6 du code pénal, relatif aux atteintes
sexuelles sur les mineurs, prévoyait une sanction plus lourde. Cela dit, le
nouveau texte permet également de sanctionner la tentative.
L'amendement n° 32 rectifié prévoit que la circonstance aggravante du délit de
recours à la prostitution des mineurs est puni de sept ans d'emprisonnement, ce
qui aboutit à revenir au texte initial. Il établit une échelle des peines
cohérente. La commission y est donc favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 32 rectifié, accepté par la commission et par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 225-12-2 du code
pénal.
(Ce texte est adopté.)
ARTICLES 225-12-3 ET 225-12-4 DU CODE PÉNAL
M. le président.
Je mets aux voix les textes proposés pour les articles 225-12-3 et 225-12-4 du
code pénal.
(Ces textes sont adoptés.)
M. le président.
L'amendement n° 35 rectifié
ter,
présenté par M. Badinter, Mme André,
MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Frimat, Gautier, Mahéas,
Peyronnet, Sueur et Sutour est ainsi libellé :
« Après le I de l'article 12, insérer un paragraphe additionnel ainsi rédigé
:
« ... - Après l'article 225-7 du code pénal, il est inséré un article ainsi
rédigé :
«
Art. ... -
Le proxénétisme est puni de quinze ans de réclusion
criminelle et de 3 000 000 euros d'amende lorsqu'il est commis à l'égard d'un
mineur de quinze ans. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Cet amendement est directement lié à la question que je viens d'évoquer et je
ne me contenterai pas, à cet égard, de considérations d'ordre général ou
abstraites.
J'ai fait allusion à la situation créée en Europe, d'une part, par
l'écroulement bienvenu des dictatures de l'Est, d'autre part, par la guerre
dans l'ex-Yougoslavie : ce sont des réseaux organisés de criminalité, de
proxénétisme, aussi bien de jeunes majeurs que d'adolescents et, parfois, de
mineurs, contre lesquels nous devons lutter.
Or, les activités des réseaux organisés internationaux de prostitution de
mineurs de moins de quinze ans, c'est-à-dire en fait d'enfants, sont
punissables de peines correctionnelles. Je considère qu'il est du devoir du
législateur de démontrer que de telles activités s'apparentent à un crime.
Organiser des réseaux de prostitution - on le fait à travers toute l'Europe ! -
de mineurs de moins de quinze ans doit relever de la cour d'assises.
En matière de dissuasion, c'est avant tout le proxénète et la criminalité
organisée dans ce domaine qu'il faut viser. Lorsque comparaîtra devant la cour
d'assises tel ou tel proxénète international qui aura créé, organisé et
exploité des réseaux de prostitution d'enfants de moins de quinze ans, je sais
quelle sera la réaction des jurés ! Les autres proxénètes mesureront alors les
risques qu'ils encourent et la réalité de la répression. En effet, ne nous
leurrons pas, en pénalisant le client, nous n'atteindrons jamais les
proxénètes, et ce pour une raison simple : les clients ne savent rien des
proxénètes. Or, là, ce sont eux qui seront dans le box des accusés. Par
conséquent, je demande que ces activités soient punissables de peines
criminelles.
J'ajouterai qu'en travaillant sur ces questions j'ai voulu procéder à
certaines vérifications. J'attire votre attention, madame la ministre, sur ce
que j'ai observé. S'agissant des condamnations en matière de proxénétisme et de
proxénétisme aggravé, j'ai constaté, dans l'Annuaire statistique de la justice
- je l'ai dit à Mme la garde des sceaux - que, par rapport à l'époque où
n'était pas encore intervenu l'effondrement des dictatures et des régimes
totalitaires à l'Est, où la guerre tragique de Yougoslavie n'avait pas eu lieu,
eh bien ! la répression n'a pas augmenté : non seulement le nombre de
condamnations n'a pas crû, mais il a diminué, alors que, pendant ce temps-là,
se créaient, notamment depuis 1992-1993, des réseaux de plus en plus cruels et
une prostitution de plus en plus organisée issue de ces pays.
Je vous livre les chiffres : en ce qui concerne le proxénétisme aggravé, le
nombre de condamnations s'élevait, en 1987, à 182, en 1990 à 113, en 1991 à 73
- cela ne cesse de diminuer ; en 1993, il s'est élevé à 37 ; en 1995 à 44, en
1996 à 71, en 1997 à 63, en 1998 à 53 et en 1999 à 109. Je rappelle que par
rapport à 1987, soit douze ans plus tôt, et sans les faits qui se sont produits
à l'est de l'Europe - et je ne parle pas du trafic des êtres humains depuis
l'Afrique - on constate une réduction des condamnations de près de 40 %, avec,
pendant la période 1995-1997, une chute encore plus significative.
Comme l'a très bien dit M. Fourcade, rien ne sert d'élaborer des textes si
l'on ne met pas en place les moyens nécessaires. A l'occasion de l'examen d'un
excellent texte sur la traite des personnes, je demanderai - et c'est un voeu
unanime de la commission sénatoriale - que nous étudiions à fond ces problèmes.
Comment admettre que les effectifs affectés aujourd'hui dans le cadre de la
police judiciaire spécialisée soient de neuf fonctionnaires à Paris et de deux
fonctionnaires dans une ville comme Strasbourg ? Croit-on sérieusement que tous
ces trafics, que vous dénoncez à juste titre, madame la ministre, avec leurs
conséquences inhumaines et odieuses, cesseront d'un seul coup parce que l'on
aura promulgué un texte ? L'effet d'annonce durera quinze jours. Ensuite, les
bonnes vieilles habitudes reprendront le dessus.
Il s'agit là d'un problème clé, qu'il faut traiter à l'échelle européenne.
Aujourd'hui, ce sont des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers
de personnes qui sont concernées. Nous nous trouvons en présence, en Europe
occidentale, du produit de la misère absolue qui règne en Afrique ou en Europe
de l'Est. Nous ne pouvons plus accepter une telle situation ! Les lois, c'est
très bien, mais, comme le disait un très grand homme d'Etat italien, avec le
délicieux accent et le scepticisme qui caractérisent nos amis transalpins :
quand on ne sait pas quoi faire, on fait une loi !
(Sourires.)
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Cet amendement tend à établir une échelle des peines
cohérente en matière de proxénétisme : sept ans pour le proxénétisme simple ;
dix ans pour le proxénétisme concernant les mineurs de quinze à dix-huit ans ;
enfin, quinze ans pour le proxénétisme à l'égard de mineurs de quinze ans, avec
un changement de nature puisqu'on passe de peines correctionnelles à des peines
criminelles.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement est également favorable à cet
amendement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 35 rectifié
ter,
accepté par la
commission et par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'ensemble de l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Article 12 bis
M. le président.
« Art. 12
bis
. - Il est inséré, après le deuxième alinéa de l'article
227-23 du code pénal, un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de détenir une telle image ou représentation est puni des mêmes
peines. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
L'amendement n° 38, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
« I. - Dans le premier alinéa de l'article 12
bis,
remplacer les mots :
"deuxième alinéa" par les mots : "troisième alinéa".
« II. - A la fin du deuxième alinéa de cet article, remplacer les mots : "des
mêmes peines" par les mots : "de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros
d'amende". »
L'amendement n° 36 rectifié, présenté par M. Badinter, Mme André, MM.
Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Frimat, Gautier, Mahéas,
Peyronnet, Sueur et Sutour, est ainsi libellé :
« A la fin du texte proposé par l'article 12
bis
pour insérer un alinéa
après le deuxième alinéa de l'article 227-23 du code pénal, remplacer les mots
: "des mêmes peines" par les mots : "de deux ans d'emprisonnement et de 30 000
euros d'amende". »
La parole est à Mme le ministre, pour présenter l'amendement n° 38.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Il s'agit d'un amendement rédactionnel, qui a
d'ailleurs le même objet que l'amendement n° 36 rectifié, déposé par M.
Badinter, et qui a été accepté par la commission des lois. Il vise à porter à
deux ans d'emprisonnement les peines du délit de détention d'une image
pédo-pornographique d'un mineur.
Toutefois, il prévoit d'insérer le nouvel alinéa réprimant ces faits après le
troisième alinéa de l'article 227-23 du code pénal, et non après le deuxième
alinéa de cet article, pour éviter toute confusion à la lecture de l'ensemble
de ces dispositions. Les deuxième et troisième alinéas de l'article 227-23
doivent en effet rester accolés, le troisième alinéa prévoyant une circonstance
aggravante des faits prévus par le deuxième alinéa.
Sur le fond, la même cohérence sous-tend ces deux amendements. Il est normal
de réprimer plus sévèrement le fait de diffuser que celui de détenir, même si
le fait de détenir est déjà très grave. C'est bien parce qu'il y a des
acheteurs qu'il y a des fabrications de matériels pédo-pornographiques, donc
des enfants qui tournent dans ces horreurs !
M. le président.
La parole est à M. Badinter, pour défendre l'amendement n° 36 rectifié.
M. Robert Badinter.
Cet amendement a effectivement le même objet que l'amendement du Gouvernement.
Le niveau de responsabilité de celui qui détient l'image n'est pas le même que
celui de l'émetteur de ces représentations pornographiques.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
La commission n'a pas eu connaissance de l'amendement n° 38
du Gouvernement, mais elle pense qu'il a effectivement le même objet que
l'amendement n° 36 rectifié de M. Badinter.
L'article 12
bis
de la proposition de loi punit des mêmes peines le
fait de détenir des images à caractère pornographique ou de les créer, de les
enregistrer ou de les diffuser. Il nous semble effectivement justifié de punir
moins sévèrement la détention que la fabrication ou la diffusion d'images.
La commission émet donc un avis de sagesse plutôt positive.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 38, pour lequel la commission s'en remet à la
sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je constate que cet amendement a été adopté à l'unanimité.
L'amendement n° 36 rectifié n'a plus d'objet.
Je mets aux voix l'article 12
bis,
modifié.
(L'article 12
bis
est adopté.)
Article 12 ter
M. le président.
« Art. 12
ter
. - Après le premier alinéa de l'article 35 de la loi n°
98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des
infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, il est inséré un
alinéa ainsi rédigé :
« La mention de l'interdiction résultant du premier alinéa de l'article 34 est
en outre insérée dans le document lui-même, quel que soit son support. De plus,
lorsque le document présente un caractère pornographique, est également inséré
le rappel des dispositions de l'article 227-22 du code pénal. »
- (Adopté.)
Article additionnel après l'article 12 ter
M. le président.
L'amendement n° 22 rectifié, présenté par MM. Darniche, Durand-Chastel, Türk,
Pelchat et Adnot, est ainsi libellé :
« Après l'article 12
ter,
insérer un article additionnel ainsi rédigé
:
« Dans le premier alinéa de l'article 227-9 du code pénal, les mots : "sont
punis de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 francs d'amende", sont
remplacés par les mots : "sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000
euros d'amende". »
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
L'article 57 de la loi renforçant la protection de la présomption d'innocence
et des droits des victimes insère un article 143-1 dans le code de procédure
pénale précisant qu'une mesure de détention provisoire ne peut être ordonnée ou
prolongée que si la personne mise en examen encourt une peine correctionnelle
d'une durée égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement.
Dans les conditions actuelles du droit, un parent qui est mis en examen pour
avoir soit retenu un enfant mineur au-delà de cinq jours, soit retenu indûment
un enfant hors du territoire de la République ne peut être placé en détention
provisoire au cas où il serait intercepté.
Dans les faits, avec le placement sous simple contrôle judiciaire, on court le
risque de voir le parent se soustraire au contrôle judiciaire et disparaître à
nouveau avec l'enfant.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Nous avons dit la gravité de l'enlèvement d'enfant et le
développement de ce fléau. Il semble donc tout à fait justifié de proposer une
augmentation de la peine prévue pour la porter à trois ans d'emprisonnement.
C'est la peine prévue actuellement pour le vol simple, et je pense que
l'enlèvement d'enfant est au moins aussi grave.
La commission est donc favorable à cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 22 rectifié, accepté par la commission et par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 12
ter.
Article 13
M. le président.
« Art. 13. - I. - L'article 35
quater
de l'ordonnance n° 45-2658 du 2
novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en
France est ainsi modifié :
« 1° Après le deuxième alinéa du I, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés
:
« En l'absence d'un représentant légal accompagnant le mineur, le procureur de
la République, avisé dès l'entrée d'un mineur en zone d'attente en application
des dispositions du II, lui désigne sans délai un administrateur
ad hoc
.
L'administrateur
ad hoc
assiste le mineur durant son maintien en zone
d'attente et assure sa représentation dans toutes les procédures
administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien.
« L'administrateur
ad hoc
nommé en application de ces dispositions est
désigné par le procureur de la République compétent sur une liste de personnes
morales ou physiques dont les modalités de constitution sont fixées par décret
en Conseil d'Etat. Ce décret précise également les conditions de leur
indemnisation. » ;
« 2° Après la quatrième phrase du premier alinéa du III, il est inséré une
phrase ainsi rédigée :
« Le mineur est assisté d'un avocat choisi par l'administrateur
ad hoc
ou, à défaut, commis d'office. » ;
« 3° Au début de la cinquième phrase du premier alinéa du III, les mots : "Il
peut également demander" sont remplacés par les mots : "L'étranger ou, dans le
cas du mineur mentionné au troisième alinéa du I, l'administrateur
ad
hoc
peut également demander" ;
« 3°
bis
Le premier alinéa du V est complété par une phrase ainsi
rédigée :
« Tout administrateur
ad hoc
désigné en application des dispositions du
troisième alinéa du I doit, pendant la durée du maintien en zone d'attente du
mineur qu'il assiste, se rendre sur place. » ;
« 4° Il est complété par un IX ainsi rédigé :
« IX. - L'administrateur
ad hoc
désigné en application des dispositions
du troisième alinéa du I assure également la représentation du mineur dans
toutes les procédures administratives et juridictionnelles afférentes à son
entrée sur le territoire national.
« II. - Après l'article 12 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au
droit d'asile, il est inséré un article 12-1 ainsi rédigé :
«
Art. 12-1
. - Lorsque la demande de reconnaissance de la qualité de
réfugié est formée par un mineur sans représentant légal sur le territoire
français, le procureur de la République, avisé par l'autorité administrative,
lui désigne un administrateur
ad hoc
. L'administrateur
ad hoc
assiste le mineur et assure sa représentation dans le cadre des procédures
administratives et juridictionnelles relatives à la demande de reconnaissance
de la qualité de réfugié.
« L'administrateur
ad hoc
nommé en application de ces dispositions est
désigné par le procureur de la République compétent sur une liste de personnes
morales ou physiques dont les modalités de constitution sont fixées par décret
en Conseil d'Etat. Ce décret précise également les conditions de leur
indemnisation.
« La mission de l'administrateur
ad hoc
prend fin dès le prononcé d'une
mesure de tutelle. »
L'amendement n° 24, présenté par M. Bret, Mmes Borvo, Beaudeau, Beaufils et
Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer,
Foucaud et Le Cam, Mmes Luc et Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade
et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Compléter,
in fine,
le texte proposé par le 4° du I de l'article 13
pour le IX de l'article 35
quater
de l'ordonnance n° 45-2658 du 2
novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en
France, par une phrase ainsi rédigée :
« Les recours formés par l'administrateur
ad hoc
à cette occasion ont
un effet suspensif. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
L'amendement que nous vous proposons ici tend à donner un caractère suspensif
aux recours exercés par l'administrateur
ad hoc
au nom du mineur isolé,
dans le cadre des procédures relatives à l'entrée en France. Il vise donc à
rendre réellement effectif le système de protection proposé, en évitant les
refoulements abusifs.
Il convient de rappeler ici ce qu'est la situation des enfants étrangers qui
arrivent, seuls, dans nos ports et aéroports.
Ce sont de 2 000 à 3 000 enfants qui viennent chaque année en France, dont la
plus grande partie - plus de 900 - se trouve dans la zone d'attente de Roissy.
Ce chiffre devrait encore être en forte augmentation cette année, en
particulier si l'on prend en compte l'afflux de demandeurs d'asile de ces
derniers mois.
Certains de ces mineurs sont pris en charge au titre de l'aide sociale à
l'enfance, l'ASE, mais, pour plus des deux tiers, ils disparaissent, soit
qu'ils fuguent de l'ASE, soit que, munis de sauf-conduits, ils ne fassent plus
parler d'eux. On sait que, pour une partie, ces mineurs seront conduits à
l'errance, quand ils ne seront pas absorbés dans un réseau d'exploitation,
voire dans un réseau de prostitution ou de drogue ! Ce sont des « mineurs en
danger », comme nous le rappelait notre collègue Robert Badinter.
Cette situation n'est pas acceptable dans un pays, qui comme le nôtre, est
attaché aux droits des enfants. Elle nous montre les limites d'une approche
exclusivement fondée sur la représentation juridique du mineur, alors qu'à
notre sens la question relève de la protection de l'enfance.
Vous le savez sans doute, différentes associations - je pense aux Amis du bus
des femmes, à la CIMADE, au GISTI, ou encore à la Ligue des droits de l'homme -
souhaitent, comme d'ailleurs la Défenseure des enfants, que le mineur isolé
soit considéré, dès son arrivée en France, comme un mineur en danger. De même,
la Commission nationale consultative des droits de l'homme préconise
l'admission immédiate sur le territoire du mineur demandeur d'asile.
Les conditions d'accueil en zone d'attente ne sont d'ailleurs pas de nature à
convaincre de l'opportunité de la rétention des mineurs, et ce malgré les
efforts notables en vue d'une amélioration des conditions sanitaires,
dénoncées, en son temps, par notre collègue Louis Mermaz.
Au-delà des drames de l'année dernière - on se souvient de cette petite fille
amputée d'une jambe, faute de soins - j'ai personnellement pu constater, comme
d'autres parlementaires, lors de ma visite de la zone d'attente de Roissy, le 6
décembre dernier, les problèmes sanitaires posés par la saturation constante de
Zapi 2 et de Zapi 3.
Aujourd'hui, peut-on se satisfaire du dispositif prévu à l'article 13 ?
Certes, par rapport à la situation créée par la décision de la Cour de
cassation de mai 2001, la représentation légale du mineur constitue une
amélioration, mais il est difficile de s'en contenter.
Je dois également me réjouir des modifications apportées par l'Assemblée
nationale, lesquelles reprennent d'ailleurs les propositions de notre groupe en
première lecture. Nous avions souligné combien il était impératif que le
procureur de la République soit avisé « dès » l'entrée du mineur isolé.
On est aussi assuré, aujourd'hui, que l'administrateur
ad hoc
devra se
rendre effectivement en zone d'attente pour y rencontrer le mineur, ce qui est
tout de même la moindre des choses.
Cependant, lorsqu'on connaît les difficultés que rencontrent les juges des
enfants pour trouver concrètement des administrateurs, on peut douter de
l'effectivité de la mesure... sauf à envisager un administrateur pour dix
enfants, ce qui ne serait pas raisonnable, compte tenu de la diversité des
nationalités, de l'histoire de ces enfants et de la complexité du droit des
étrangers.
Aussi, il nous semble indispensable de donner toutes les garanties que
l'administrateur
ad hoc
ne sera pas un simple alibi.
A cet égard, conférer un caractère suspensif aux recours qu'il pourra former
au nom du mineur paraît essentiel.
Compte tenu de la position de la commission des lois, nous n'avons pas grand
espoir de voir cet amendement adopté. Néanmoins, il serait dangereux de clore
aujourd'hui le débat.
Notre amendement se veut donc aussi et surtout un amendement d'appel à
poursuivre le débat pour apporter demain d'autres réponses. Nous avons tous
conscience qu'il y va du devenir de ces enfants, quand ce n'est pas, tout
simplement, de leur vie !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Monsieur Bret, comme vous vous y attendiez, la commission
n'est pas favorable à votre amendement. C'est qu'il apporte une réponse
inadaptée à un véritable problème.
Vous avez parlé de la surcharge d'un certain nombre de zones d'attente : cela
concerne les majeurs comme les mineurs, nous le savons tous, comme nous savons
tous aussi que les mineurs en situation irrégulière sur notre territoire sont
en danger.
Plusieurs solutions sont possibles, y compris le retour dans le pays
d'origine, dans la famille, ce qui n'est tout de même pas une option si
mauvaise ! Repris dans son milieu d'origine, l'enfant sera, en effet,
probablement moins en danger que s'il continue à vivre une situation d'errance
sur notre territoire ; c'est, pour moi, une certitude.
Il y a, certes, des problèmes, mais je ne vois pas de raison de déroger, pour
les mineurs, au régime général des recours. Par conséquent, il convient de
repousser cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Monsieur le sénateur, votre argumentation est tout à fait solide et je partage
les préoccupations qui sont les vôtres, et que vous vivez d'ailleurs très
personnellement. Je voudrais cependant vous rappeler qu'il existe, depuis la
loi du 1er juillet 2000, une procédure de référé administratif.
Le Gouvernement a d'ailleurs donné des instructions très précises pour que la
décision du juge intervienne en temps utile. Cette procédure de référé
administratif - on m'a dit qu'elle fonctionnait bien, mais je peux prendre
vis-à-vis de vous l'engagement de le vérifier - permet déjà de répondre à votre
préoccupation tout à fait légitime.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 24, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 13.
(L'article 13 est adopté.)
Article 15
M. le président.
« Art. 15. - I. - Les articles 62, 75, 318-1, 339, 368, 372-2, 373-3, 374-1,
388-1, 388-2, 389 à 389-5 du code civil et les dispositions du XII de l'article
7 de la présente loi sont applicables à Mayotte.
« Les dispositions du XII de l'article 7 sont applicables dans les îles Wallis
et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
« II. - Les dispositions de l'article 12 et des articles 12
bis
et 12
ter
sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie
française et en Nouvelle-Calédonie.
« III. - Les dispositions de l'article 13 sont applicables en
Nouvelle-Calédonie. Les dispositions du II de l'article 13 sont applicables à
Mayotte, dans les îles Wallis et Futuna et en Polynésie française.
« IV. - A. - L'article 50 de l'ordonnance n° 2000-371 du 26 avril 2000
relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans les îles
Wallis et Futuna est ainsi modifié :
« 1° Après le deuxième alinéa du I, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés
:
« En l'absence d'un représentant légal accompagnant le mineur, le procureur de
la République, avisé dès l'entrée d'un mineur en zone d'attente en application
des dispositions du II, lui désigne sans délai un administrateur
ad hoc
.
L'administrateur
ad hoc
assiste le mineur durant son maintien en zone
d'attente et assure sa représentation dans toutes les procédures
administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien.
« L'administrateur
ad hoc
nommé en application de ces dispositions est
désigné par le procureur de la République sur une liste de personnes morales ou
physiques dont les modalités de constitution sont fixées par décret en Conseil
d'Etat. Ce décret précise également les conditions de leur indemnisation. »
;
« 2° Après la quatrième phrase du premier alinéa du III, il est inséré une
phrase ainsi rédigée :
« Le mineur est assisté d'un avocat choisi par l'administrateur
ad hoc
ou, à défaut, commis d'office. » ;
« 3° Au début de la cinquième phrase du premier alinéa du III, les mots : "Il
peut également demander" sont remplacés par les mots : "L'étranger ou, dans le
cas du mineur mentionné au troisième alinéa du I, l'administrateur
ad hoc
peut également demander" ;
« 4° Le premier alinéa du V est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Tout administrateur
ad hoc
désigné en application des dispositions du
troisième alinéa du I doit, pendant la durée du maintien en zone d'attente du
mineur qu'il assiste, se rendre sur place. » ;
« 5° Il est complété par un IX ainsi rédigé :
« IX. - L'administrateur
ad hoc
désigné en application des dispositions
du troisième et du quatrième alinéa du I assure également la représentation du
mineur dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles
afférentes à son entrée sur le territoire national. »
« B. - L'article 52 de l'ordonnance n° 2000-372 du 26 avril 2000 relative aux
conditions d'entrée et de séjour des étrangers en Polynésie française est ainsi
modifié :
« 1° Après le deuxième alinéa du I, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés
:
« En l'absence d'un représentant légal accompagnant le mineur, le procureur de
la République, avisé dès l'entrée d'un mineur en zone d'attente en application
des dispositions du II, lui désigne sans délai un administrateur
ad hoc
.
L'administrateur
ad hoc
assiste le mineur durant son maintien en zone
d'attente et assure sa représentation dans toutes les procédures
administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien.
« L'administrateur
ad hoc
nommé en application de ces dispositions est
désigné par le procureur de la République sur une liste de personnes morales ou
physiques dont les modalités de constitution sont fixées par décret en Conseil
d'Etat. Ce décret précise également les conditions de leur indemnisation. »
;
« 2° Après la quatrième phrase du premier alinéa du III, il est inséré une
phrase ainsi rédigée :
« Le mineur est assisté d'un avocat choisi par l'administrateur
ad hoc
ou, à défaut, commis d'office. » ;
« 3° Au début de la cinquième phrase du premier alinéa du III, les mots : "Il
peut également demander" sont remplacés par les mots : "L'étranger ou, dans le
cas du mineur mentionné au troisième alinéa du I, l'administrateur
ad hoc
peut également demander" ;
« 4° Le premier alinéa du V est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Tout administrateur
ad hoc
désigné en application des dispositions du
troisième alinéa du I doit, pendant la durée du maintien en zone d'attente du
mineur qu'il assiste, se rendre sur place. » ;
« 5° Il est complété par un IX ainsi rédigé :
« IX. - L'administrateur
ad hoc
désigné en application des dispositions
du troisième et du quatrième alinéa du I assure également la représentation du
mineur dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles
afférentes à son entrée sur le territoire national. »
« C. - L'article 50 de l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux
conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte est ainsi modifié :
« 1° Après le deuxième alinéa du I, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés
:
« En l'absence d'un représentant légal accompagnant le mineur, le procureur de
la République, avisé dès l'entrée d'un mineur en zone d'attente en application
des dispositions du II, lui désigne sans délai un administrateur
ad hoc
.
L'administrateur
ad hoc
assiste le mineur durant son maintien en zone
d'attente et assure sa représentation dans toutes les procédures
administratives et juridictionnelles relatives à ce maintien.
« L'administrateur
ad hoc
nommé en application de ces dispositions est
désigné par le procureur de la République sur une liste de personnes morales ou
physiques dont les modalités de constitution sont fixées par décret en Conseil
d'Etat. Ce décret précise également les conditions de leur indemnisation. »
;
« 2° Après la quatrième phrase du premier alinéa du III, il est inséré une
phrase ainsi rédigée :
« Le mineur est assisté d'un avocat choisi par l'administrateur
ad hoc
ou, à défaut, commis d'office. » ;
« 3° Au début de la cinquième phrase du premier alinéa du III, les mots : "Il
peut également demander" sont remplacés par les mots : "L'étranger ou, dans le
cas du mineur mentionné au troisième alinéa du I, l'administrateur
ad hoc
peut également demander" ;
« 4° Le premier alinéa du V est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Tout administrateur
ad hoc
désigné en application des dispositions
du troisième alinéa du I doit, pendant la durée du maintien en zone d'attente
du mineur qu'il assiste, se rendre sur place. » ;
« 5° Il est complété par un IX ainsi rédigé :
« IX. - L'administrateur
ad hoc
désigné en application des dispositions
du troisième et du quatrième alinéa du I assure également la représentation du
mineur dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles
afférentes à son entrée sur le territoire national. »
L'amendement n° 12, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Dans le I de l'article 15, supprimer les références : "318-1, 339,". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 12, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'amendement n° 13, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Compléter l'article 15 par un paragraphe V ainsi rédigé :
« V. - A. - 1° A l'article L. 931-2 du code de l'organisation judiciaire, les
mots : "et III" sont remplacés par les mots : ", III et VI".
« 2° A l'article L. 942-7 du code de l'organisation judiciaire, les mots :
"et III" sont remplacés par les mots : ", III et VI".
« B. - Il est inséré, après l'article L. 931-7 du code de l'organisation
judiciaire, un article L. 931-7-1 ainsi rédigé :
«
Art. L. 931-7-1.
- Les dispositions de l'article L. 312-1-1 sont
applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles
Wallis et Futuna. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Il s'agit d'étendre à l'outre-mer les dispositions des
articles 16 et 17 relatives à la spécialisation des juridictions en ce qui
concerne l'enlèvement international d'enfants.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 13, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 15, modifié.
(L'article 15 est adopté.)
Article 16
M. le président.
« Art. 16. - Le titre II du livre II du code de l'organisation judiciaire est
complété par un chapitre VI intitulé : "Dispositions particulières aux aspects
civils de l'enlèvement international d'enfants", comprenant un article L. 226-1
ainsi rédigé :
«
Art. L. 226-1
. - Le magistrat visé au premier alinéa de l'article L.
223-2 ou son remplaçant désigné conformément au deuxième alinéa du même article
siège dans la formation de la cour d'appel qui statue sur les recours formés
contre les décisions rendues en première instance sur le fondement de la
convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants,
signée à La Haye le 25 octobre 1980.
« Le magistrat du parquet général visé au troisième alinéa de l'article L.
223-2 est également chargé du traitement des affaires de déplacements
internationaux d'enfants. »
L'amendement n° 14, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après le mot : "fondement", rédiger comme suit la fin du premier alinéa du
texte proposé par l'article 16 pour l'article L. 226-1 du code de
l'organisation judiciaire : "des dispositions des instruments internationaux et
communautaires relatives au déplacement illicite international d'enfants". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
L'Assemblée nationale a introduit dans cette proposition de
loi des dispositifs permettant de spécialiser un magistrat du siège de la cour
d'appel dans l'application de la convention de La Haye relative à l'enlèvement
international d'enfants.
Il nous semble nécessaire d'étendre cette spécialisation à l'ensemble des
conventions internationales, notamment bilatérales, et des instruments
communautaires applicables sur ce sujet. Il nous paraît souhaitable que
l'ensemble de ces dispositions soit examiné par les mêmes magistrats.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 14, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 16, modifié.
(L'article 16 est adopté.)
Article 17
M. le président.
« Art. 17. - Il est inséré, après l'article L. 312-1 du code de l'organisation
judiciaire, un article L. 312-1-1 ainsi rédigé :
«
Art. L. 312-1-1
. - Le siège et le ressort des tribunaux de grande
instance compétents pour connaître des actions engagées sur le fondement de la
convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants,
signée à La Haye le 25 octobre 1980, sont fixés par décret en Conseil
d'Etat.
« Il existe un seul tribunal compétent par cour d'appel. »
L'amendement n° 15, présenté par M. Béteille, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
Après le mot : "fondement", rédiger comme suit la fin du premier alinéa du
texte proposé par l'article 17 pour l'article L. 312-1-1 du code de
l'organisation judiciaire : "des dispositions des instruments internationaux et
communautaires relatives au déplacement illicite international d'enfants sont
fixées par décret en Conseil d'Etat." »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Cet amendement a le même objet que le précédent, s'agissant,
cette fois, des tribunaux de grande instance.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée à la famille.
Favorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 15, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article 17, modifié.
(L'article 17 est adopté.)
Article additionnel après l'article 17
M. le président.
L'amendement n° 23 rectifié
ter,
présenté par MM. Darniche,
Durand-Chastel, Seillier et Revol, MMmes Olin et Desmarescaux, MM. Dulait,
César, Türk, Moinard, Gournac, Pelchat, Adnot, Vasselle et Fournier, est ainsi
libellé :
« Après l'article 17, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le chapitre VI du titre II du livre II du code de l'organisation
judiciaire, est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. ... -
Il est créé un fichier national des mineurs disparus
commun au ministère de l'intérieur, au ministère de la justice, au ministère
des affaires étrangères et au ministère de la défense nationale. »
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Il s'agit d'un amendement de cohérence avec l'amendement que nous avons adopté
tout à l'heure relatif à l'inscription, sur les passeports des parents, de
l'interdiction de sortie du territoire décidée par le juge.
Nous proposons la création d'un fichier commun des mineurs disparus,
concernant en particulier les enfants ayant subi un enlèvement parental vers
l'étranger ou bénéficiant d'une mesure d'interdiction de sortie du
territoire.
En effet, il n'existe en France aucune source statistique réelle permettant
d'évaluer le nombre des mineurs disparus et recherchés par leurs ascendants.
Son exploitation commune au ministère de l'intérieur, d'une part, et au
ministère de la justice, d'autre part, pour la police judiciaire, au ministère
des affaires étrangères, pour les consuls, et au ministère de la défense
nationale, pour la gendarmerie nationale enfin, favoriserait évidemment le
travail de prévention du rapt d'enfant et contribuerait activement au
regroupement et au recoupement des informations nécessaires aux procédures
judiciaires et policières.
En effet, en permettant l'accès direct à la consultation pour les personnels
accrédités au sein des consulats français à l'étranger et en favorisant
l'obtention d'informations en temps réel pour les délégués du Conseil supérieur
des Français de l'étranger, le CSFE, un tel fichier commun à quatre ministères
favorisera nécessairement une meilleure connaissance des dossiers d'enfants
enlevés par leurs parents vers l'étranger.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Contrairement à ce que pense M. Durand-Chastel, il ne semble
pas qu'il s'agisse d'un amendement de cohérence ou de coordination avec celui
qui a été voté tout à l'heure : il s'agit cette fois-ci de créer un fichier.
J'observe tout d'abord que la création d'un fichier ne relève pas de la loi et
qu'il suffit au Gouvernement, s'il le souhaite, de la décider par arrêté, après
avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL. Par
conséquent, nous sortirions un peu du texte qui est soumis.
Par ailleurs, le fichier automatisé des personnes recherchées, qui est géré
par la police et la gendarmerie, contient déjà des fiches concernant les
mineurs. Celles-ci peuvent en être extraites pour être exploitées, comme le
souhaite notre collègue. Il ne semble donc pas nécessaire de prévoir un fichier
spécialisé spécifique aux mineurs qui, de plus, pourrait avoir pour effet de
compliquer encore la tâche des services de police et de gendarmerie.
Par conséquent, la commission souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Le Gouvernement partage l'avis de la commission et ne
voit pas le rapport de cohérence que vous évoquiez tout à l'heure, monsieur le
sénateur.
Le fichier dont vous demandez la création existe déjà : c'est le fichier
automatisé des personnes recherchées, sur lequel peuvent être inscrits des
enfants. Cet outil est peut-être mal connu, et son existence mériterait sans
doute d'être rappelée aux professionnels et aux personnes concernées. Je
rappelle que plusieurs mesures d'opposition à la sortie du territoire sont
prévues qui permettent l'inscription sur le fichier automatisé des personnes
recherchées.
Il existe, par ailleurs, une mesure d'urgence, d'une durée de sept jours, sur
saisine du commissariat de police ou de la brigade de gendarmerie, et une
mesure d'opposition conservatoire d'une validité de quinze jours, qui permet à
un parent craignant l'enlèvement de son enfant de faire opposition auprès de la
préfecture, de la sous-préfecture ou du haut commissariat dont il relève, avant
toute saisine du juge.
Enfin, lorsque le juge prévoit que la sortie du territoire nécessitera
l'autorisation des deux parents, cette décision permettra une mesure
d'opposition valable un an renouvelable.
Estimant que vous avez satisfaction, monsieur le sénateur, je vous suggère,
comme M. le rapporteur, de retirer votre amendement.
M. le président.
Monsieur Durand-Chastel, votre amendement est-il maintenu ?
M. Hubert Durand-Chastel.
C'est parce que le système actuel ne fonctionne pas que je propose un fichier
national. Je maintiens donc mon amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 23 rectifié
ter
.
M. Christian Cointat.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat.
Le mérite de cet amendement est précisément d'attirer l'attention du Parlement
et du Gouvernement sur les très grandes difficultés qu'éprouvent notamment les
Français établis hors de France pour avoir l'information. Mme le ministre nous
a démontré que cette information existait, mais des mesures doivent être prises
pour qu'elle soit réellement accessible.
Je souhaiterais que mon collègue M. Durand-Chastel retire son amendement, si
Mme le ministre prend vraiment l'engagement que tout sera fait pour rendre
l'information accessible.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 23 rectifié
ter
, repoussé par la
commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la
deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à Mme Borvo, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo.
Mon groupe votera cette proposition de loi. En effet, elle constitue un
progrès s'agissant de la coresponsabilité des parents et des droits de
l'enfant. C'est un texte positif : le Parlement a bien travaillé.
Je voudrais revenir un instant sur notre débat de ce matin. Je regrette un peu
l'insistance qui s'est manifestée pour faire une distinction entre les clients
et les proxénètes en matière de prostitution des mineurs. Certes, on ne peut
pas les mettre à égalité. Néanmoins, il serait hypocrite de ne pas rappeler
qu'il n'y aurait pas de prostitution des mineurs, notamment de moins de quinze
ans, sans l'existence de clients. Je suis très choquée que l'on ait opéré cette
distinction qui me paraît exagérée. En effet, lorsque le client fait appel à un
mineur prostitué, y compris à un mineur âgé de quinze à dix-huit ans, il doit
savoir qu'il est coupable.
Cette remarque n'enlève rien au fait que nous devons nous attaquer aux réseaux
et faire face aux formes modernes de la prostitution. Mais il faut savoir
raison garder. Considérer qu'il faut pénaliser les clients est la moindre des
choses.
Je me félicite que la discussion ait permis d'avancer et qu'un certain nombre
d'amendements, qui me gênaient, aient été modifiés ou retirés. Cela prouve que
le débat parlementaire est utile.
Enfin, la discussion de ce matin a montré la nécessité d'attribuer des moyens
à la police en matière de protection des mineurs. M. Lorrain notamment a estimé
que le problème n'était pas uniquement d'ordre quantitatif. Je partage son
point de vue, encore que l'aspect quantitatif ait tout de même son
importance.
Il faudrait que nous soyons conséquents avec nous-mêmes et que nous
considérions qu'il faut grandement valoriser le travail de ceux qui sont en
charge de la protection des mineurs. Je regrette d'entendre trop souvent dire
que ceux qui se consacrent à la prévention sont en situation d'échec. Non, ils
ne sont pas en échec quand existent de réelles mesures de protection et de
prévention.
Le problème, c'est que ces mesures sont nettement insuffisantes. Il est de
notre responsabilité de valoriser ceux qui s'occupent de la protection des
mineurs et de la prévention de la délinquance.
M. Robert Bret.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Le groupe socialiste votera l'ensemble de cette proposition de loi. Nous nous
félicitons particulièrement que, à l'issue du débat qui a eu lieu ce matin,
nous soyons parvenus à un accord sur la partie la plus difficile de ce texte.
Cela devrait permettre à l'Assemblée nationale, avant l'interruption des
travaux parlementaires, d'adopter définitivement cette proposition de loi, qui
contient de nombreuses avancées.
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Je souhaite d'abord féliciter la commission de son excellent travail et
remercier Mme la ministre de l'ouverture dont elle a fait preuve.
J'estime que le résultat auquel nous sommes parvenus ce matin est très
important à condition, d'une part, que les moyens suivent et, d'autre part, et
surtout, que l'opinion publique soit informée du travail que nous avons
accompli, notamment en ce qui concerne l'interdiction de la prostitution des
mineurs et les sanctions contre les clients et les proxénètes.
En effet, dans la société dans laquelle nous vivons, un décalage existe entre
ce que fait le Parlement et ce qui se dit dans l'opinion publique. Il faut, à
mon avis, que la justice, la police et les services en charge de la protection
des mineurs apprennent à rendre compte de leur action et à rendre publiques un
certain nombre d'informations. Ainsi pourra être un peu comblé le fossé qui
existe entre ce qui est fait et ce qui est dit.
M. le président.
La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat.
Le texte sur lequel nous allons nous prononcer est le fruit d'une grande
réflexion, d'un travail considérable et d'un dialogue approfondi et
constructif. Nous avons fait un véritable travail de législateur et c'est la
raison pour laquelle le groupe du RPR votera cette proposition de loi.
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, mon groupe suivra bien sûr la position de la
commission. Néanmoins, j'ai quelques remarques à formuler, surtout en tant que
vice-président de la commission des affaires sociales. En effet, je regrette
vivement que notre contribution n'ait pas été sollicitée.
Si, avec quelque cruauté, on a déploré l'absence de Mme Lebranchu,
personnellement, je suis très satisfait, madame la ministre, de votre présence
dans cet hémicycle, en raison notamment de l'enthousiasme avec lequel vous avez
défendu ce dossier et de la force avec laquelle vous avez voulu donner un cadre
à vos propos.
Au-delà de la dimension purement juridique du texte, qui en est le fondement,
le débat, il est vrai, aurait mérité un plus grand développement sur le plan
social.
Certes, au détour des débats, on a évoqué - M. Badinter l'a fait avec beaucoup
de talent - la sexualité des adolescents en dehors de la prostitution, mais on
aurait pu aussi parler de la sexualité des personnes âgées ou des handicapés.
Il me semble très difficile de « cloisonner » nos concitoyens sur des sujets
aussi importants et c'est pourquoi, madame, j'ai apprécié votre attitude.
Par ailleurs, le Sénat, vous le savez, dans le cadre du groupe de travail
relatif à l'enfance et à l'adolescence qu'il a constitué, a été très sensible
aux appels de Mme la Défenseure des enfants en matière de peines. Je crois que
ce que vous avez obtenu nous donne satisfaction.
Néanmoins, au-delà du débat purement juridique, sur lequel nous reconnaissons
l'entière compétence des juristes, notre société a besoin d'un débat élargi et
je crois que la commission des affaires sociales y a toute sa place.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers
collègues, ce texte, rappelons-le, traitait originellement de l'autorité
parentale.
Au cours du débat, nous avons abordé de nombreuses et graves questions
relevant du domaine fiscal, de la filiation et du droit de la sécurité sociale.
Nous avons traité le problème des enlèvements d'enfants à l'étranger en
adoptant un certain nombre de dispositions nouvelles qui tendent à renforcer le
dispositif, même si c'est encore insuffisant. Nous avons évoqué, ô combien
longuement, ce fléau qu'est la prostitution des mineurs. Nous avons examiné le
problème des mineurs étrangers en zone d'attente.
Ainsi, à partir d'un texte de pur droit civil, nous avons véritablement «
balayé » l'ensemble du droit, ce qui n'a pas toujours été facile.
A mon tour, je tiens à remercier l'ensemble des membres de la commission des
lois, ainsi que les administrateurs qui ont beaucoup travaillé sur ce sujet
difficile et sans lesquels nous n'aurions pas pu aboutir à un bon texte qui me
paraît très utile.
S'agissant de l'autorité parentale, ce texte était nécessaire, ne l'oublions
pas. Si l'Assemblée nationale l'approuve sans modification, nous aurons
apporté, les uns et les autres, une pierre à un édifice indispensable.
L'uniformisation du droit de l'autorité parentale, qui était jusqu'à présent
fragmenté dans le code civil sans justification à l'heure actuelle, est la
bienvenue.
C'est un texte d'équilibre, notamment sur le point de la résidence alternée,
qui suscite des réactions opposées. Certains la prônent comme une panacée,
voudraient la rendre systématique, obligatoire et paritaire ; d'autres s'en
méfient beaucoup.
Le texte auquel nous avons abouti permet aux parents de trouver des solutions
négociées pour leurs enfants. Ensuite, il met à la disposition des juges une
panoplie de solutions afin qu'ils puissent choisir celle qui est la mieux
adaptée à la situation qui leur est présentée. J'espère que l'Assemblée
nationale suivra le Sénat sur ce point important.
La prostitution, qui a constitué l'essentiel du débat de ce matin, était aussi
un sujet difficle. Notre vision du problème aurait peut-être eu besoin d'être
un peu plus documentée. Sans doute, un certain nombre d'auditions auraient été
nécessaires pour vérifier notre approche des choses. Cela étant, les débats
approfondis de ce matin nous ont permis, je le crois, de parvenir, là encore, à
un texte équilibré, utile, qui permettra de lutter contre ce fléau qu'est la
prostitution des mineurs.
Nous avons donc bien travaillé. Maintenant, il faut que les moyens et la
volonté suivent, ce dont je ne doute pas. Dès lors, je pense que nous aurons
fait oeuvre utile.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que nous semblions nous
diriger vers une adoption à l'unanimité de cette proposition de loi.
Je voudrais féliciter et remercier le Sénat pour la qualité de ses travaux, en
particulier la commission des lois et son rapporteur, lequel a été très à
l'écoute des attentes de l'Assemblée nationale, afin de rendre possible
l'adoption conforme de ce texte. Les différents amendements ont permis
d'approfondir la réflexion et d'apporter des clarifications.
Sur l'essentiel, c'est-à-dire la restauration, la refondation et la
redéfinition de l'autorité parentale, je pense que ce texte constituera une
étape majeure de la réforme du droit de la famille. Désormais, en effet, chaque
parent est placé devant ses responsabilités, ses droits et ses devoirs. La
proposition de loi affirme très clairement le droit de tout enfant à être élevé
par son père et par sa mère.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai veillé à ce que,
parallèlement à l'élaboration de ce texte, des mesures concrètes
d'accompagnement soient prises.
Il s'agit d'abord du congé de paternité, qui a pour objet d'installer le père
dans ses responsabilités dès la naissance de l'enfant. Cela signifie que si la
société consent un effort en sa faveur, elle sera aussi en droit, en
contrepartie, de demander à ce père d'assumer ses responsabilités. Le père et
la mère doivent être à égalité de devoirs et de droits devant les institutions,
parce qu'il est plus facile d'élever un enfant à deux que seul. Quel que soit
le statut du couple - c'est aussi une grande nouveauté de ce texte - la
situation de l'enfant, en termes de stabilité et de lien de filiation, sera la
même, que ses parents vivent ensemble ou qu'ils soient séparés. Ce message très
fort se traduit par le regroupement au sein du code civil de l'ensemble des
dispositions relatives à l'autorité parentale, quelle que soit la situation du
couple : c'est l'affirmation de ce qui « fait famille » aujourd'hui.
Ce qui « fait famille », c'est bien entendu l'histoire d'un couple, mais c'est
aussi, bien au-delà, un projet d'enfant. A cet égard, un certain nombre
d'avancées permises par ce texte visent à épauler les couples.
Ainsi, l'inscription dans le code civil de la médiation familiale constitue un
fait exceptionnel. Ce dispositif n'existait jusqu'à présent que dans le droit
anglo-saxon, mais d'autres pays vont sans doute nous suivre dans cette voie,
car certains de mes collègues européens me demandent des éclaircissements, des
conseils et des explications sur la démarche que nous avons entreprise en
matière d'évolution du droit de la famille.
La médiation familiale permet de soutenir les parents pour qu'ils fassent
leurs choix d'adultes, quels qu'ils soient, en toute connaissance de cause. Il
s'agit d'épargner à leurs enfants les conflits qui rongent si profondément la
confiance que ceux-ci mettent dans leurs parents, donc dans les adultes.
En effet, ce qu'il faut protéger à tout prix, et je crois que ce texte le
permettra, c'est le respect que l'enfant éprouve pour ses parents. J'ai
souhaité, et le Sénat m'a suivie sur ce point, maintenir dans le code civil la
mention du devoir de respect pour les enfants vis-à-vis de leurs parents.
Symétriquement, le devoir, pour les parents, de respecter l'enfant est plus
nettement affirmé, puisque ce dernier sera désormais associé aux décisions le
concernant, ce qui est nouveau dans le code civil, et que le juge pourra
inviter les parents à recourir à la médiation familiale, afin qu'ils puissent
prendre dignement leurs décisions, en évitant les querelles et en faisant en
sorte que les enfants ne soient pas détournés du modèle familial et puissent
donc avoir un jour, à leur tour, envie de construire une famille durable.
En ce qui concerne le problème de la prostitution des mineurs, nous avons
accompli, les uns et les autres, un travail très important pour rapprocher les
points de vue. Là aussi, le vote unanime qui est intervenu montre bien que cet
effort a porté ses fruits : un nouveau délit est constitué dans le code pénal,
un interdit est clairement posé.
Je voudrais redire ici, à la suite des propos qu'a tenus tout à l'heure M.
Badinter, que l'objectif est d'abord, bien évidemment, de dissuader et d'éviter
que des vies ne soient brisées à cause d'un instant d'égarement. En effet,
l'interdit sera tellement clair qu'il n'y aura pas de passage à l'acte, et,
dans les cas vraiment marginaux, il n'y aura pas d'interpellation systématique.
C'est bien des prostitués mineurs des grandes villes, des trafics trouvant leur
origine dans les pays de l'Est, des pratiques de groupe constatées dans
certains quartiers qu'il s'agit ici : nous avons décidé ensemble de combattre
ces phénomènes.
A cet égard, je pense que nous avons fait oeuvre très utile pour dissuader les
adultes et les mineurs de passer à l'acte. Notre rôle consiste à réaffirmer des
normes dans cette société, à poser clairement des interdits : cela aussi
permettra de redonner confiance aux jeunes, qui ont besoin que des limites
soient fixées pour pouvoir conquérir leur autonomie et devenir des adultes
responsables.
(Applaudissements.)
M. le président.
Qu'il me soit permis à cet instant de saluer l'hommage unanime rendu aux
travaux de la commission des lois, de son rapporteur et, plus largement, du
Sénat.
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures vingt, est reprise à quinze heures
trente, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
MISSION D'INFORMATION COMMUNE
M. le président.
L'ordre du jour appelle l'examen d'une demande conjointe des présidents des
commissions des affaires économiques, des finances, des lois et des affaires
étrangères, tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission
d'information commune chargée de dresser un bilan de la politique de la
montagne et en particulier de l'application de la loi du 9 janvier 1985, de son
avenir et de ses nécessaires adaptations.
Je vais consulter sur cette demande.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales
comme la commission des affaires culturelles n'ont pu se joindre à la demande
de constitution de cette mission, ce que je regrette. Certains de leurs
commissaires, par ailleurs membres du groupe d'études sur la montagne, sont
tout particulièrement intéressés par les travaux de cette mission. Monsieur le
président comment pourraient-ils être associés, d'une manière ou d'une autre, à
ces travaux ?
M. le président.
Monsieur About, j'ai bien entendu votre remarque, dont je vous donne acte.
J'en ferai part, bien sûr, au président de la mission d'information,
lorsqu'elle sera constituée.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je vous remercie
beaucoup, monsieur le président.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Il n'y a pas d'opposition sur la demande d'autorisation de désigner cette
mission d'information commune ?...
En conséquence, en application de l'article 21 du règlement, cette mission
d'information commune est autorisée.
Conformément aux propositions de désignations présentées par les commissions
permanentes intéressées, les sénateurs membres de cette mission sont : MM.
Jean-Paul Alduy, Jean-Paul Amoudry, Mme Michèle André, MM. Gérard Bailly,
Jean-Pierre Bel, Roger Besse, Jacques Blanc, Jean Boyer, Auguste Cazalet, Mme
Josette Durrieu, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, François Fortassin, Charles
Ginésy, Georges Gruillot, Pierre Hérisson, Pierre Jarlier, Philippe Leroy, Paul
Loridant, Jean-Pierre Masseret, Mme Josiane Mathon, MM. Michel Moreigné, Paul
Natali, Roger Rinchet, André Rouvière, Bernard Saugey, Daniel Soulage et
Jean-Pierre Vial.
4
DÉMISSION
D'UN MEMBRE D'UNE DÉLÉGATION
M. le président.
J'ai été informé de la démission de M. Jean-François Picheral de la délégation
aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes.
Acte est donné de cette démission.
Il sera pourvu à son remplacement le mardi 19 février, vers dix-huit
heures.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
5
CANDIDATURES À DES ORGANISMES
EXTRAPARLEMENTAIRES
M. le président.
Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien
vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein de
plusieurs organismes extraparlementaires.
Pour siéger au sein du conseil de surveillance du fonds de réserve pour les
retraites, la commission des affaires sociales propose les candidatures de M.
Dominique Leclerc en qualité de titulaire et de M. Claude Domeizel en qualité
de suppléant ; la commission des finances propose les candidatures de M. Alain
Joyandet en qualité de titulaire et de M. Yves Fréville en qualité de
suppléant.
La commission des affaires sociales propose également les candidatures de M.
Marcel Lesbros pour le conseil d'administration de l'Office national des
anciens combattants et victimes de guerre et de M. Alain Gournac pour le
Conseil supérieur de la mutualité.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à
l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai
d'une heure.
6
réforme des tribunaux de commerce
Rejet d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 239, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme
des tribunaux de commerce. [Rapport n° 178 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord vous présenter mes
excuses pour la fin de la journée, car je voulais, bien sûr, être présente pour
l'ensemble de la discussion des trois textes, mais le JAI, le Conseil Justice
et Affaires intérieures, qui est réuni depuis ce matin, abordera en fin de
journée la négociation concernant les relations avec les Etats-Unis après les
attentats du 11 septembre et l'harmonisation de l'incrimination terroriste, et,
demain matin, à neuf heures, il évoquera les problèmes du droit de la famille
et des enfants de parents divorcés, qui ont actuellement de gros soucis sur le
territoire européen. J'ai différé au maximum mon départ. M. Daniel Vaillant a
bien voulu assister à une partie de la discussion des ministres de la justice.
Je quitterai donc le Sénat à dix-huit heures, M. Jean-Jack Queyranne m'ayant
alors rejoint afin de poursuivre le débat. C'est désolant, mais telles sont les
contraintes de l'emploi du temps.
Concernant le projet de loi qui vous est soumis, tout le monde s'accorde sur
la nécessité d'une réforme de la justice commerciale. Elle constitue une
réforme fondamentale de notre organisation judiciaire.
Nombreuses ont été les tentatives, mais il est difficile de savoir s'il
s'agissait d'une simple pétition de principe ou d'une volonté d'aboutir.
Il ne fait aucun doute que le Gouvernement veut conduire la réforme à son
terme. Nonobstant l'opposition de certains juges consulaires, sur laquelle je
reviendrai, l'Assemblée nationale a, en première lecture, adopté, le 28 mars
2001, deux projets de loi : le projet de loi portant réforme des tribunaux de
commerce et le projet de loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22
décembre 1958 relative au statut de la magistrature et instituant le
recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire. Le 29
mars 2001, l'Assemblée nationale a adopté le troisième volet de la réforme,
avec le projet de loi modifiant la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 relative aux
administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires et experts en diagnostic
d'entreprise.
L'adoption de ces trois textes puis la saisine de votre Haute Assemblée
marquent la détermination du Gouvernement à voir aboutir la réforme globale de
la juridiction commerciale, et nul doute que ces textes continueront à cheminer
car ils sont difficiles mais passionnants et intéressants pour l'avenir, en
particulier s'agissant du règlement des difficultés de nos entreprises,
notamment des plus petites d'entre elles.
Parce que cette réforme est effectivement attendue, notamment par les petites
et moyennes entreprises ainsi que par les artisans et l'UPA, l'Union
professionnelle artisanale, qui - il faut le savoir - ne se « retrouvent » pas
dans l'organisation et le fonctionnement actuel des tribunaux de commerce ;
parce que cette réforme est nécessaire pour assurer les conditions d'une
véritable régulation par le droit de la vie économique et sociale, qui est l'un
des éléments clés de la compétitivité de notre pays ; parce que cette réforme
répond aux besoins, pour tout pays démocratique, d'une justice impartiale et
soucieuse de répondre aux attentes de ses concitoyens, elle avait été annoncée
par Mme Elisabeth Guigou en conseil des ministres dès le 14 octobre 1998.
Celle-ci avait fait part de la difficulté de ce texte mais aussi de sa
détermination à le porter, autour de trois principes fondamentaux :
impartialité, transparence et qualité.
C'est cela que les citoyens attendent de la justice en général et de la
justice commerciale en particulier, laquelle est trop souvent mise en cause au
regard de ces principes, comme le font souvent remarquer nombre de juges
consulaires.
Le défaut d'impartialité, c'est le principal reproche qui a été fait, ici ou
là, aux tribunaux de commerce. Le rapport de la commission parlementaire en
donne des exemples, même s'il rappelle aussi, et c'est en effet important, que
les juges consulaires exercent leurs fonctions bénévolement et, pour la
majorité d'entre eux, avec dévouement.
Mais il faut également, chacun en convient et les juges consulaires les
premiers, en finir avec l'ère du soupçon.
C'est pourquoi d'ailleurs, après une assemblée générale à laquelle j'avais
assisté deux jours après mon arrivée au ministère, nous en étions ensemble
convenu, pour que cette page soit tournée et que l'on ait véritablement
confiance dans une bonne justice commerciale.
D'une manière plus générale, il faut assurer aux justiciables les conditions
d'impartialité requises devant toutes les juridictions par le dernier état de
notre droit, qui puise d'ailleurs en ce domaine son inspiration dans les
dispositions de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés
fondamentales.
Pour cela, il faut d'abord renforcer les garanties d'impartialité, à la fois
objective et subjective, de ceux qui oeuvrent au sein des tribunaux de
commerce. C'est la voie qui a été choisie. C'est le choix de la mixité.
La mixité, c'est le coeur de la réforme. Il s'agit d'associer des juges élus
et des juges professionnels dans une même formation de jugement, avec pour
objectif d'assurer une justice plus rigoureuse, puisque se trouveront réunies
la connaissance des règles de fond et de procédure et la perception, pour
chaque affaire, de sa dimension économique.
Le projet initial du Gouvernement reposait sur une logique : faire intervenir
chaque catégorie de juges dans les domaines où leurs qualités sont les plus
utiles. Cela conduisait à mobiliser les magistrats professionnels, aux côtés
des juges élus, sur les contentieux dans lesquels l'ordre public économique est
en jeu et pour lesquels les garanties d'impartialité et de respect de la
procédure sont les plus nécessaires.
S'agissant de la détermination de la compétence des chambres mixtes, je l'ai
dit et je le répète, il fallait rechercher une solution équilibrée, ce qui
n'était pas chose aisée. Le débat n'a pas lieu d'être idéologique.
J'ai donc adopté une démarche pragmatique.
Après avoir beaucoup écouté, j'ai estimé préférable de limiter la compétence
de ces formations mixtes à la connaissance des affaires relatives aux
procédures collectives.
Je crois à la vertu de la méthode expérimentale et à la pédagogie, par
l'exemple.
J'en viens à la transparence.
Les rapports de la mission d'enquête parlementaire et de la mission conjointe
des inspections générales des finances et des services judiciaires, mais aussi
les observations de nombre de praticiens du droit ont mis en lumière ce qui a
été longtemps - trop longtemps sans doute - pressenti mais caché : la justice
commerciale a trop souffert du manque de transparence dans son mode de
fonctionnement.
A côté de l'impartialité, cette absence de transparence, d'ailleurs due plus à
l'histoire qu'à la volonté, nourrit souvent le soupçon auprès de l'ensemble des
justiciables, ce qui est dommage. Il convient donc de s'en détacher
définitivement.
Il a paru essentiel de modifier le mode d'élection des juges consulaires.
Bien sûr, diverses solutions pouvaient être envisagées. J'ai toujours dit que,
sur ce sujet, comme sur d'autres, le texte proposé par le Gouvernement pouvait
évoluer sous la seule condition de ne pas ressusciter, sous quelque forme que
ce soit, les vieilles pratiques de la cooptation réduite à quelques cercles
étroits.
Ces pratiques ont, autant que les affaires, fortement contribué à la
dégradation de l'autorité et de l'image des tribunaux de commerce. C'est
pourquoi a eu lieu ce mouvement des plus petites entreprises, qui, récemment
encore, souhaitaient que l'on ne revienne pas sur les nouveaux modes
d'élection.
Les projets du Gouvernement visent un troisième objectif, dont on ne parle, à
mon avis, pas assez et auquel contribuent l'impartialité et la transparence :
c'est la qualité de la justice rendue aux citoyens.
A cet effet, il faut conférer une plus grande qualité à la justice
commerciale, et cela passe par la mixité. Je note d'ailleurs que, au cours des
entretiens de Vendôme ou dans les propositions de réforme de l'institution
judiciaire dans son ensemble, la mixité pour les autres tribunaux revient de
plus en plus. Ce qu'on me demande pour les uns doit sûrement être bon pour les
autres.
L'introduction de la mixité dans les juridictions consulaires n'est pas
inspirée par une question de pouvoir, et surtout pas - il faut définitivement
abandonner cette idée - par une question de sanction. Elle est uniquement
fondée sur la recherche d'un meilleur service aux justiciables, aux juges
consulaires eux-mêmes qui passent d'ailleurs souvent beaucoup de temps sur les
dossiers difficiles, par l'association de compétences diversifiées. Cela ne
peut qu'être un enrichissement.
C'est pourquoi le Gouvernement a tenu à ce que la mixité soit également
introduite - c'était un pas important que les juges consulaires avaient
apprécié en leur temps, en tout cas - dans les chambres commerciales des cours
d'appel, où cela n'était donc pas le cas. Ces cours bénéficieront ainsi, comme
déjà la chambre commerciale de la Cour de cassation, de la participation de
praticiens des entreprises, qui apporteront, aux côtés des magistrats
professionnels et à égalité de voix avec eux, le regard de leur expérience du
monde des affaires. C'est la réciprocité dans la mixité.
Je voudrais aussi rappeler que les réformes proposées ne sont qu'une partie
d'un ensemble beaucoup plus vaste qui intéresse globalement le secteur
économique des entreprises et des salariés qui y travaillent. Vous savez que
j'ai quelques raisons, par mes précédentes fonctions ministérielles, de me
préoccuper de cette question. J'avais d'ailleurs, très en amont, participé aux
négociations concernant les réformes des tribunaux de commerce.
La réforme des procédures liées aux difficultés des entreprises, autrefois
régies par la loi de 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des
entreprises et par la loi de 1985 relative au redressement et à la liquidation
judiciaire des entreprises, aujourd'hui codifiées dans le code de commerce,
constituera le second volet de cette réforme d'ensemble. Il faut l'entreprendre
le plus tôt possible. D'ailleurs, de nombreuses concertations ont déjà permis
d'en jeter les bases.
Tels sont les grands principes qui ont guidé le Gouvernement dans son projet
de réforme globale de la justice commerciale.
Je me suis volontairement abstenue d'entrer dans le détail des mécanismes
retenus pour mettre en oeuvre ces principes, dès lors que la commisison des
lois a déposé une motion tendant à opposer la question préalable dont
l'adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je souhaiterais seulement apporter, au regard des conclusions de la commission
des lois, les précisions suivantes.
La commission relève d'abord que, du fait d'une absence de dialogue entre le
Gouvernement et les juges consulaires, « les conditions d'une réforme viable
n'étaient pas réunies ».
Le dialogue a eu lieu. Encore faut-il s'entendre sur le mot « dialogue ».
J'ai aujourd'hui le sentiment que, pour les juges consulaires, « dialoguer »,
c'est vouloir non pas discuter, échanger, mais imposer des solutions. Or, ce
n'est pas ainsi que les choses fonctionnent. Il y a bien eu dialogue, en
particulier au mois de mars 2001, et un dialogue abouti puisque, notamment
comme je viens de l'indiquer, le périmètre de la compétence de la chambre mixte
a été modifié ; de plus, j'ai accepté la création d'un Conseil national des
juges élus des tribunaux de commerce, ce qui était une demande très forte des
juges consulaires.
Ces dispositions, qui ont été discutées avec les représentants des juges
consulaires, ont fait l'objet devant l'Assemblée nationale d'amendements
gouvernemenaux qui ont été acceptés.
Aujourd'hui, en remettant pour partie en cause les engagements souscrits et en
organisant un nouveau mouvement de grève des audiences, les juges consulaires
donnent le sentiment de se comporter en « propriétaires » - c'est le terme
qu'ils employaient eux-mêmes dans un tract - de leur juridiction. Cela n'est
naturellement pas bon. Par conséquent, si nous n'avons pas été clairs dans nos
explications, il nous faudra continuer à en donner.
J'ai le sentiment que, au-delà des pétitions de principe, les juges
consulaires ne souhaitent, pour la majorité d'entre eux, aucune réforme. Or,
cette dernière ne peut, à mon avis, pas être arrêtée, ne serait-ce qu'en raison
de la position d'un certain nombre d'entrepreneurs.
La commission estime ensuite que la réforme ne pourrait de toute évidence être
mise en oeuvre, compte tenu « qu'il est patent que la justice ne dispose pas
aujourd'hui de moyens suffisants pour appliquer cette réforme ».
Je ne souhaite pas allonger les débats en rappelant dans le détail l'effort
sans précédent consenti par ce gouvernement en termes de création d'emplois de
magistrats et de fonctionnaires de justice.
Mais je soulignerai, s'agissant de la réforme des tribunaux de commerce, que,
dès l'annonce, en octobre 1998, du projet du Gouvernement, Elisabeth Guigou a
informé de la création de postes de magistrats devant accompagner la réforme.
Ces postes ont été créés. Certes, depuis, ils ont été utilisés à autre chose,
et l'on me dit que, comme les personnes concernées travaillent bien là où elles
sont actuellement, on ne peut les récupérer. Mais nous avons créé 739 postes en
tout, dont 110 étaient destinés aux tribunaux de commerce, et l'on vient
d'annoncer la création de 1 200 postes supplémentaires. Par conséquent, les
postes sont en nombre suffisant pour répondre à la réforme, même si l'on peut,
le cas échéant, discuter de la date de sa mise en oeuvre.
Sans vouloir prolonger les débats, je rappellerai aussi que, dès les lois de
finances pour 1999 et pour 2000, les postes effectivement créés ont été non
seulement budgétés, mais aussi accompagnés de créations de postes de
fonctionnaires. Nous avons tenu - et cela a été un élément extrêmement
important de la discussion avec les juges consulaires - à ce que ces postes
réservés aux tribunaux de commerce constituent, d'un point de vue hiérarchique,
des postes de responsabilité, notamment à Paris ; de fait, il s'agit de postes
hors hiérarchie.
Cette volonté a certes suscité des difficultés : à partir du moment où l'on
veut des juges dont la compétence soit reconnue, des magistrats qui aient aussi
une grande expérience, on ne peut pas nommer des magistrats débutants. C'est là
un des arguments qui m'avaient conduite à expliquer aux juges consulaires que,
puisque nous choisissons non pas des magistrats débutants, mais des magistrats
hors hiérarchie, nous ne pouvions pas, en particulier, leur confier des rôles
d'assesseurs ; sinon, je n'aurais pas de candidats aux postes ! On ne peut à la
fois me réclamer des magistrats de haut niveau et leur demander de simplement
assister des juges consulaires ! Si certains auraient sûrement aimé ce travail,
ils auraient cependant été minoritaires !
Ces 110 postes que j'évoquais sont donc suffisants pour faire face à la mise
en oeuvre de la réforme, puisque, par rapport à ce qui avait été annoncé en
1998, nous avons fortement réduit le périmètre de la compétence des chambres
mixtes. On ne peut donc pas arguer d'une insuffisance des moyens.
Surtout - il faut le reconnaître -, c'est une réforme équilibrée, comme j'ai
eu l'occasion de le dire devant l'assemblée générale des juges consulaires. Je
suis attentive à toute réaction d'une société, dût-elle émaner d'une partie
assez minoritaire de la société économique. Or, cette réforme concilie les
exigences d'impartialité, de transparence, de maîtrise des règles de droit et
de procédure, et la connaissance, la pratique du monde économique.
Mais nous devons, en France, être vigilants. Comme la plupart des élus locaux
- et je sors là de ma fonction de ministre de la justice -, j'ai trop reçu
d'entrepreneurs qui ont la très forte impression que, entre le moment où ils
ont déposé le bilan et celui où les affaires ont été réglées, tout ne s'est pas
forcément très bien passé et qu'ils n'ont pas été entendus.
Je tiens à leur dire que nous les entendons, nous, ici, à propos de cette
réforme des tribunaux de commerce. Nous savons que les petites et moyennes
entreprises sont beaucoup plus nombreuses et beaucoup plus soumises aux aléas
de l'économie que les grandes. Lors du débat sur les nouvelles régulations
économiques, en pleine négociation de cette réforme des tribunaux de commerce,
j'ai rappelé qu'il suffisait parfois à la grande distribution et aux grandes
entreprises de changer de stratégie industrielle ou commerciale pour que les
petites et moyennes entreprises aient de grosses difficultés...
M. Jean-Jacques Hyest.
Il faut changer les délais de paiement...
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Les petites entreprises sont les banquiers des grandes,
mais cela, ce n'est pas à moi que vous l'apprendrez !
Tout cela conduit très souvent les entrepreneurs de petites ou moyennes
entreprises dans les tribunaux de commerce. Dans ceux de certaines villes, ils
se sentent entendus, parce que le tissu est essentiellement composé de petites
et de moyennes entreprises ; mais, dans les très grandes villes, ils n'ont pas
le même sentiment, le tissu étant formé de petites et moyennes entreprises.
C'est pourquoi, rien que pour eux, il est important de recréer un climat de
confiance, un climat de lecture claire du droit et de connaissance du monde
économique, pour que, comme les salariés, dans les procédures collectives, ces
entrepreneurs aient la conviction que tout a été fait pour que les conflits
soient bien réglés, ce qui n'est pas malheureusement pas toujours le cas, même
si la très grande majorité des juges bénévoles accomplit un travail
extraordinaire, parfois avec un dévouement tel que je comprends aussi qu'il se
soient arc-boutés sur une réforme peut-être mal expliquée par moi, en tout cas
au départ.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous venons
d'entendre un plaidoyer enflammé pour une réforme qui, cependant, suscite ici
ou là quelques réticences, c'est le moins que l'on puisse dire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est cela, la réforme !
M. Paul Girod,
rapporteur.
En cet instant, ma première pensée va non pas vers les
magistrats des tribunaux de commerce, mais vers une masse relativement
importante de nos concitoyens qui pensent, à tort ou à raison - dans certains
cas, à raison - que les tribunaux de commerce ont fait preuve à leur égard
d'une certaine injustice.
Je dis : « dans certains cas, à raison », parce que, souvent, des gens
embarqués dans des aventures économiques dont ils ne maîtrisent ni les
contraintes ni les dimensions se retrouvent, du fait d'un jugement de tribunal
de commerce, en état personnel de désespérance, soit ayant souscrit des
engagements financiers souvent gagés sur leur patrimoine personnel de droit,
soit, à la suite d'une caution donnée, grugés, croient-ils, ou victimes, en
réalité, face à une situation juridique qu'ils n'avaient pas imaginée. Face à
la désespérance de ces gens-là, nous devons, me semble-t-il, faire preuve de
compassion et de compréhension, sans aller forcément jusqu'à l'acceptation.
Il est arrivé que les tribunaux de commerce, soit au sein de leur juridiction,
soit à côté, par l'intermédiaire des mandataires judiciaires, créent des
situations qui relevaient d'un caractère relativement scandaleux. Je crois
d'ailleurs savoir que, dans la plupart des cas, ces comportements scandaleux
ont été signalés, poursuivis et jugés. Il peut rester, ici ou là, un certain
nombre de scories, mais nous en reparlerons.
Il faut se rappeler que, comme le disait le doyen Carbonnier, « le jugement
d'équité n'en crée pas moins du droit, non pas une règle générale, mais une
solution individuelle. Solution d'un litige, apaisement d'un conflit : faire
régner la paix entre les hommes est la fin suprême du droit, et les
pacifications, les accommodements, les transactions sont du droit, bien plus
certainement que tant de normes ambitieuses ».
Un certain nombre de litiges doivent être jugés avec souplesse. Or la vie
économique est fondée sur la souplesse, sur la confiance. En effet, elle est
ainsi faite que, entre l'engagement et la liquidation, s'écoule nécessairement
un laps de temps pendant lequel la confiance est indispensable. C'est sur cette
dernière que veillent, depuis maintenant 435 ans, nos tribunaux de commerce ;
ils en sont les gardiens. C'est de cette confiance que naît l'existence d'une
économie. Or il n'y a pas de vie moderne, pas de progrès social, sans économie.
Et toute imprudence qui perturbe gravement le déroulement de la vie économique
entraîne des conséquences beaucoup plus importantes que celles qui concernent
uniquement telle ou telle catégorie de juges.
Je crains que les conséquences des conditions dans lesquelles se déroule ce
débat, avec les mouvements dont vous avez parlé tout à l'heure ne soient de
nature à perturber gravement l'économie française.
Par conséquent, je crois que nous devons les uns et les autres prendre
conscience du fait que nous manipulons en cet instant bien plus que ce que nous
pourrions imaginer faire en étudiant le statut personnel de tel ou tel, fût-il
magistrat consulaire ou magistrat professionnel.
En 435 ans, les tribunaux de commerce se sont progressivement multipliés sur
l'ensemble du territoire. Je rappelle qu'en 1563 un édit de Charles IX, inspiré
par Michel de L'Hospital, a mis en place un des premiers tribunaux de commerce
de France : celui de Paris. Depuis, l'institution consulaire n'a jamais été
contestée, même pas par la Révolution française qui, alors qu'elle balayait
toutes les institutions de notre pays, a estimé que ces juridictions devaient
être conservées. Les lois des 16 et 24 août 1790 sur l'organisation judiciaire
prévoyaient en effet l'établissement d'« un tribunal de commerce dans les
villes où l'administration du département jugeant ces établissements
nécessaires en formera la demande ».
Le code de commerce de 1807 a consacré définitivement l'existence des
tribunaux de commerce.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Régime progressiste s'il en est !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Le caractère progressiste s'apprécie par rapport aux
événements antérieurs et non postérieurs ! Entre nous, la remise en ordre de la
France métropolitaine à cette époque n'était pas nécessairement malvenue,
compte tenu des événements qui se sont déroulés sous les régimes progressistes
qui se sont succédé en France entre 1792 et 1800 !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quel socle !
M. Paul Girod,
rapporteur.
A cet égard, je ne pense pas qu'on puisse juger de manière
caricaturale l'histoire ou un régime quel qu'il soit.
(M. Michel
Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Actuellement, la France compte 191 tribunaux de commerce, 23 tribunaux de
grande instance compétents en matière commerciale - nous y reviendrons assez
largement dans la suite de la discussion -, 3 tribunaux de première instance
situés outre-mer, composés exclusivement de magistrats professionnels, à
l'instar des tribunaux de grande instance, 7 tribunaux de grande instance
disposant d'une chambre commerciale fonctionnant selon le système de
l'échevinage, en Alsace-Moselle, hérités du droit allemand, et 7 tribunaux
mixtes de commerce implantés outre-mer, dont le fonctionnement, hérité du
système colonial, est analogue à celui des juridictions d'Alsace-Moselle.
Au-delà de cette diversité, les tribunaux de commerce occupent une place
centrale dans le paysage judiciaire commercial, puisqu'ils représentent près de
82 % du nombre total des juridictions commerciales.
Cette organisation constitue une exception française, les pays étrangers ne
connaissant pas de système équivalent aussi varié. En Europe, seule la Belgique
semble avoir des juridictions spécifiques dénommées tribunaux de commerce, qui
fonctionnent selon le principe de l'échevinage, c'est-à-dire avec un président
professionnel et des juges assesseurs commerçants. En Allemagne, en
Grande-Bretagne et en Italie, les juridictions civiles traitent de litiges
commerciaux sous réserve de particularismes, puisqu'il existe aussi des
chambres commerciales en Allemagne. En Grande-Bretagne, les litiges commerciaux
les plus importants sont jugés par le tribunal de commerce, section de la
division du banc de la Reine, qui dépend de la Haute Cour, elle-même
exclusivement composée d'anciens avocats spécialisés en droit commercial, juges
professionnels désignés par leurs pairs.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'ensemble de la juridiction
commerciale en Europe n'est pas d'une unicité flagrante ! Si exception
française il y a, il y a d'autres exceptions ailleurs !
Nos tribunaux de commerce ont été institués à l'origine pour juger des litiges
entre marchands. On parlait alors d'une « justice de marchands rendue par les
marchands ». Depuis, les compétences des tribunaux de commerce ont beaucoup
évolué, puisque entrent désormais dans le champ de leurs compétences, à la
fois, ce que l'on appelle le contentieux général et les procédures
collectives.
A l'origine, seuls relevaient de la procédure du contentieux général les
contestations sur la réalité d'un acte de commerce et sa liquidation
financière. Les cas relevant de cette procédure ont considérablement augmenté
depuis, puisque l'on est peu à peu passé des seules transactions entre
commerçants aux problèmes avec les établissements de crédit, puis aux litiges
avec les sociétés commerciales, aux actes de commerce conclus entre toutes
personnes, commerçantes ou non, enfin aux billets à ordre signés par les
commerçants et les non-commerçants. On va beaucoup plus loin aujourd'hui
puisque relèvent désormais du contentieux général les pratiques
anti-concurrentielles, les abus de position dominante, les contentieux relatifs
aux instruments financiers, etc. Je passe sur les péripéties juridiques qu'a
connues le cadre juridique du contentieux général, qu'une erreur législative a
fait un temps disparaître, mais qui, heureusement, a été rétabli par la loi du
15 mai 2001 relative aux nouvelles réglementations économiques.
Il est une exception à la compétence des tribunaux de commerce ; en effet, par
un contrat passé en matière commerciale, les parties peuvent convenir d'une
clause compromissoire permettant de soumettre à un arbitrage, préalablement
défini, les litiges éventuels nés d'un acte de commerce.
Force est de constater que le recours aux instances arbitrales n'a pas
beaucoup joué à l'intérieur de notre pays, signe que les justiciables français
semblent accorder une confiance certaine aux tribunaux de commerce. Ce recours
à l'arbitrage n'a joué de façon relativement notoire, quoique non massive,
qu'en matière de contrats internationaux. Cette procédure est en effet une voie
plus commode que celle qui consiste à soumettre un contrat international à la
juridiction de tel ou tel pays. En tout cas, on peut en conclure qu'il n'y a
aucune crise de confiance à l'égard des tribunaux de commerce !
Là où les choses se compliquent, c'est depuis que les tribunaux de commerce se
trouvent de fait et de droit en charge de ce qu'on appelle « les procédures
collectives ». Elles concernent principalement des défaillances d'entreprises
aboutissant soit à leur disparition, soit à leur redressement, souvent dans le
cadre de procédures contraignantes avec liquidation, cession partielle entre
les mains de juges commissaires, de mandataires de justice, sous l'autorité du
président du tribunal, suivant des procédures contradictoires.
Ces procédures aboutissent parfois à de lourdes condamnations puisque le
tribunal de commece peut être amené à prononcer des sanctions telles que
l'interdiction de gérer ou le comblement de passifs. On peut d'ailleurs se
demander si la puissance régalienne matérialisée par la justice ordinaire ne
devrait pas être présente au moment du prononcé de peines de cette ampleur.
C'est un point sur lequel il faudra réfléchir. Il est certain en tout cas que
la résolution des problèmes découlant des « procédures collectives » pose de
redoutables cas de conscience aux tribunaux de commerce.
Parmi les critiques qui sont adressées à ces derniers, figure souvent leur
relative incompétence par rapport à l'énormité des dossiers, compte tenu de la
formation des magistrats consulaires et de leur champ d'expérience.
Ce problème avait reçu un début de solution lorsque la loi du 25 janvier 1985
avait renvoyé à un décret en Conseil d'Etat le soin de concentrer sur certains
tribunaux de commerce les plus gros dossiers, ceux qui concernaient les
entreprises de plus de cinquante salariés et dont le chiffre d'affaires
dépassait 20 millions de francs. Ainsi, sur 227 tribunaux de commerce, 96
étaient susceptibles de se saisir de dossiers de ce niveau.
Or, alors que nous étions en pleine remise en cause de la compétence des
tribunaux de commerce, un décret du 30 juillet 1999 prolongeant un mouvement
plus ancien a supprimé assez largement ces spécialisations, renvoyant à 182
tribunaux sur les 191 existants alors la possibilité d'instruire ce genre de
dossier.
Madame le garde des sceaux, je pose alors la question suivante, sinon à vous,
du moins à votre prédécesseur : est-il vraiment raisonnable et cohérent,
concomitamment, de considérer les tribunaux de commerce comme indignes de
traiter les dossiers difficiles et de renvoyer aux petits tribunaux de commerce
un certain nombre de dossiers qui, normalement, auraient dû faire l'objet d'un
traitement par les tribunaux de commerce les plus expérimentés ?
En fait, la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la
liquidation judiciaires des entreprises impose de concilier les objectifs
contradictoires que sont la protection des créanciers, le maintien de
l'entreprise, la sauvegarde de l'emploi, toutes choses complexes et difficiles
à manier si l'on s'y prend trop tard ; à ce propos, j'évoquerai dans un instant
la conséquence du traitement par les tribunaux de commerce des procédures
collectives, qui aboutit trop souvent à des liquidations.
Les dispositions de cette loi de 1985 ne pouvaient être efficaces que dans la
mesure où l'on organisait un minimum de prévention. C'est d'ailleurs l'objectif
de l'article L. 611-2 du code du commerce, qui donne au président du tribunal
un pouvoir de convocation des dirigeants de l'entreprise dans le cas où la
continuité de l'exploitation est mise en danger, ou encore lorsque des
difficultés surviennent.
Notons à cet égard le rôle très important conféré aux greffes des tribunaux de
commerce, qui centralisent toutes les informations possibles en la matière -
protêts, privilèges, injonctions de payer, non-dépôt de comptes annuels - ce
qui rend possible un minimum de vigilance sur les entreprises du secteur.
En outre, le président du tribunal de commerce peut désigner un mandataire
ad hoc
ou un conciliateur dont il détermine les missions lorsqu'une
entreprise éprouve des difficultés.
Telles sont en gros les responsabilités éminentes de nos tribunaux de
commerce.
Tout récemment sont intervenues un certain nombre de grandes affaires
concernant des compagnies aériennes ou autres grandes entreprises, à propos
desquelles on a bien senti que l'ensemble de ceux qui étaient concernés étaient
suspendus aux décisions de tel ou tel tribunal de commerce. Et personne alors
n'a envisagé de dire que les juges étaient indignes en quoi que ce soit. On a
constaté comment, s'agissant d'affaires qui, par essence, vont vite, ils
étaient capables de faire face aux difficultés.
Je signale brièvement les autres compétences des tribunaux de commerce. Ces
derniers connaissent, en particulier, des litiges concernant les gérants non
salariés des grandes chaînes de distribution ou des pilotes d'aéronef en
conflit avec leur compagnie aérienne. Si cela peut parfois faire sourire, il
s'agit néanmoins de problèmes majeurs.
Or, je l'ai dit voilà un instant, l'essentiel, c'est la prévention. Et, dans
ce domaine, madame le garde des sceaux, le moins que l'on puisse dire est que
les tribunaux de commerce ont très souvent précédé et inspiré la loi. Ces
hommes de l'économie, dont on conteste aujourd'hui l'indépendance et la
sérénité, au motif qu'ils sont aussi engagés dans la vie économique, savent ce
qu'est une entreprise en train de « déraper ». Ils ont su, avant les autres,
élaborer des mécanismes visant à rendre une intervention possible avant le
dépôt de bilan, avant la cessation de paiement, lorsqu'il est encore temps.
On leur impute le taux énorme de liquidations judiciaires. Mais il faut voir
dans quel état sont les dossiers qui arrivent sur leurs bureaux !
Qu'on le veuille ou non, c'est aux tribunaux de commerce, et non à la loi, que
l'on doit l'assouplissement des règles de comportement des établissements de
crédit à l'égard des clients défaillants.
C'est encore aux tribunaux de commerce, et non à la loi, que l'on doit la mise
en place de l'administrateur provisoire. Les juges ont même anticipé les
inconvénients liés au caractère public de la nomination d'un administrateur
provisoire pour induire le système du mandataire
ad hoc
. Ce sont, en
particulier, les pratiques du tribunal de Paris qui ont impulsé ces voies de
réforme.
C'est toujours aux tribunaux de commerce que l'on doit la convocation des
dirigeants. La loi a, certes, consacré cette pratique, mais elle ne l'a fait
qu'après. Ce sont les tribunaux de commerce qui, de par leur essence, leur
responsabilité et grâce à leur observation permanente de la vie économique, ont
tracé des pistes que la loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au
règlement amiable des difficultés des entreprises, modifiée par la loi du 10
juin 1994, a ensuite consacrées. En tout cas, ce n'est pas de notre
administration centrale que sont issues toutes ces évolutions.
De la même manière, la réunion qui se déroule de façon informelle dans les
deux mois de l'ouverture de procédures collectives au tribunal de commerce de
Paris et qui rassemble l'ensemble des organes contrôleurs et les dirigeants
autour du juge-commissaire et du mandataire n'est prescrite par aucune règle,
mais elle s'est révélée, dans la réalité, d'une efficacité remarquable.
Par conséquent, il convient de regarder de près quel a été l'apport de ces
juges décriés, tous volontaires, non rémunérés, dans l'équilibre de la vie
économique de notre pays. On ne peut pas, au détour de procès d'intention,
régler leur compte dans des formules stéréotypées.
Comme le soulignait déjà le professeur Thaller dans son traité de droit
commercial publié en 1931 : « Ce sont eux qui ont amené les liquidations
judiciaires à côté des faillites, eux aussi qui ont cru possible d'accorder des
délais aux débiteurs d'effets de commerce, eux qui ont permis aux créanciers
d'un fonds de commerce de poursuivre l'acheteur. » Tout cela n'est pas venu de
la loi, c'est issu de l'observation vigilante et dynamique qu'avaient les juges
consulaires de la réalité de la vie économique de notre pays, faisant
progresser notre droit commercial.
D'ailleurs, les législations inspirées par la jurisprudence des tribunaux de
commerce n'ont jamais été contestées. Elles n'ont jamais été remises en cause,
parce qu'elles répondaient à une nécessité économique et qu'elles étaient
adaptées aux réalités de leur temps.
Cette justice que l'on décrie n'est pas aussi inefficace qu'on le dit ! Le
taux d'appel est de 13,3 %, alors qu'il est de 15,6 % dans les tribunaux de
grande instance dans leur ensemble et de 57,4 % dans les conseils de
prud'hommes.
Vous me direz que l'évolution de la vie économique fait que la possibilité de
faire appel est moins intéressante en la matière. Certes, mais je note que les
tribunaux de commerce affichent en matière de demandes relatives aux
entreprises en difficulté un taux d'appel de 4,3 %, très inférieur à celui des
tribunaux de grande instance, qui s'élève à 14,2 % dans le même domaine. Il
doit bien y avoir une explication à ces chiffres ! Malheureusement, nous ne
disposons pas de statistiques très précises ni très récentes et je n'ai pu
obtenir aucune comparaison entre l'activité des tribunaux de commerce et celle
des tribunaux de grande instance à compétence commerciale. Toutefois, les
chiffres disponibles ne remettent pas en cause la qualité de la justice rendue
par les tribunaux de commerce. Le taux d'infirmation en cour d'appel - en
matière d'appel, soulignons-le, nous ne sommes pas dans le milieu consulaire,
mais dans celui des magistrats professionnels -, en droit des affaires et des
contrats, s'élève à 3,75 % pour les tribunaux de commerce et à 5,86 % pour les
tribunaux de grande instance. Chacun en conclura ce qu'il voudra.
C'est une justice relativement rapide, et l'on sait qu'en droit des affaires
la rapidité compte au moins autant que le fond : sept mois pour les tribunaux
de grande instance à compétence commerciale ; six mois pour les tribunaux de
commerce ; neuf mois pour les tribunaux de grande instance en général ;
dix-huit mois pour les cours d'appel ! Là encore, chacun conclura ce qu'il
voudra.
La productivité des tribunaux de commerce est plus élevée que celle des
tribunaux de grande instance à compétence commerciale : le délai moyen de
procédure de référé est de un mois, contre deux mois pour les tribunaux de
grande instance ; liquidation judiciaire : un mois et demi, contre deux mois
pour les tribunaux de grande instance à compétence commerciale, toujours pour
l'année 1999. Ces chiffres sont sans doute marginaux mais ils n'en sont pas
moins intéressants. Les juridictions consulaires ont absorbé, entre 1985 et
1990, un doublement de leurs affaires, sans pour autant protester ni prendre de
retard. Performance intéressante ! Peut-être due à la souplesse des
bénévoles...
Madame le garde des sceaux, ce n'est pas à vous que je m'adresse en cet
instant, mais plutôt à vos services. Le rapporteur que je suis a rencontré
quelques difficultés. Je vous ai adressé un certain nombre de demandes. On
parlera tout à l'heure des
stop and go -
excusez-moi, monsieur le
président, pour cet anglicisme - dans les intentions du Gouvernement quant à la
discussion de ce texte. Mais enfin, en décembre, quand j'ai su que nous allions
en être saisi, j'ai adressé à la Chancellerie un certain nombre de demandes.
Certaines réponses me sont parvenues après les délibérations de la commission
des lois : je n'ai donc pas pu m'en servir beaucoup ! De toute façon, il ne
s'agissait souvent que de simples photocopies de l'annuaire statistique de la
Chancellerie, ce qui ne m'a pas beaucoup instruit puisque ces données sont
publiques et que j'en avais donc déjà connaissance.
Je constate aussi que de nombreuses données n'ont pu être fournies par vos
services.
Par exemple, on a répondu, à l'automne 2001, au questionnaire de mon collègue
rapporteur pour avis du budget de la justice que « le nombre de magistrats
affectés au traitement du contentieux commercial dans les tribunaux de grande
instance à compétence commerciale n'était pas connu » ! Surprenant !
Malheureusement, j'ai fait d'autres constatations concernant les cours d'appel
puisque c'est à ma demande que vous avez fait dresser un état des lieux de
l'organisation de ces cours, état des lieux qui était visiblement inconnu de
vos services.
J'ai commencé à me demander comment la Chancellerie avait pu concevoir une
réforme de cette ampleur sans avoir une bonne connaissance de l'institution
qu'elle souhaitait voir réformer...
M. Jean-Guy Branger.
Très bien !
M. Paul Girod,
rapporteur.
C'est vrai qu'il y a des problèmes : personne ne le nie, et
surtout pas les tribunaux de commerce !
Il y a un problème de technicité de plus en plus complexe. En découle un
besoin de formation des juges consulaires. Madame le garde des sceaux, comment
imaginer que la solution se trouve dans la seule présence, dans les tribunaux
de commerce, de magistrats professionnels ? En effet, ceux-ci, je le rappelle,
en trente et un mois de formation, reçoivent seulement six jours de formation
économique. D'après vos propres déclarations, ils ne seront envoyés dans les
tribunaux de commerce qu'après avoir acquis des grades suffisants, par
conséquent après avoir effectué une bonne partie de leur carrière dans des
juridictions civiles où ils n'auront, à l'évidence, pas pu se forger une claire
conscience de ce qu'est la réalité de la vie économique.
Pour résoudre ce problème de formation des juges consulaires, quels sont les
moyens de l'Etat ? Au départ, rien ! Les tribunaux de commerce ont, sur leur
propre initiative, créé à Tours un centre de formation professionnelle privé,
sous forme associative. La contribution de l'Ecole nationale de la magistrature
à la formation des futurs juges des tribunaux de commerce se fait actuellement
exclusivement sur la base du volontariat.
Il est vrai qu'une subvention de 180 000 euros est accordée chaque année, mais
je ne suis pas absolument certain qu'elle soit en rapport avec la réalité des
besoins en matière de formation.
Je me trouve donc contraint de constater qu'il n'y a, à l'heure actuelle, ni
de formation obligatoire ni de formation continue des juges consulaires en
dehors de la formation qui a été conçue par eux-mêmes : belle preuve de leur
civisme ! Belle preuve, aussi, de l'inanité du procès d'intention qui leur est
fait.
Pour ce qui est du recrutement dans les tribunaux de commerce, l'article L.
621-5 du code de commerce ayant étendu aux personnes immatriculées au
répertoire des métiers la compétence des tribunaux de commerce, il y a
indiscutablement une anomalie à ce que les artisans ne soient pas intégrés au
corps électoral.
Reste à trouver un système électif qui tienne la route ! Le moins que l'on
puisse dire, c'est que celui qui est prévu dans le projet de loi est
caricatural et conduira, que vous le vouliez ou non, en augmentant le corps
électoral de 30 000 à 2 millions de personnes, à des affrontements entre listes
du CID-UNATI et d'autres listes corporatistes de telle ou telle tendance, sans
parler d'une politisation éventuelle. La saine administration de la justice ne
semble pas découler de manière lumineuse du dispositif prévu par votre
réforme.
Il est vrai que le vivier de recrutement souffre d'une insuffisante
représentativité. Il est vrai qu'il y a sur-représentation des cadres par
rapport aux chefs d'entreprise. Il est vrai aussi que ce que l'on appelle la
présélection par cooptation est, dans bien des cas, le remède à un manque de
candidatures ; j'entends « de candidatures de qualité », mais, dans le système
électoral que vous nous proposez, il n'y a pas l'ombre d'un filtre. Or la
qualité des candidats mérite aussi réflexion.
Ce ne sont certes pas les membres des tribunaux de commerce qui refusent
l'évolution. Pourtant, nous avons assisté à une mise en cause, quasiment
caricaturale, des tribunaux de commerce à travers les rapports de la commission
d'enquête parlementaire, d'une part, et des inspections générales des services
judiciaires et des finances, d'autre part. Puisque votre ministère assume
intégralement, madame le garde des sceaux, la responsabilité de l'inspection
générale des services judiciaires, je me contente d'évoquer le rapport de la
commission d'enquête.
Sur les deux cent-vingt-sept juridictions existant à l'époque, seulement sept
ont été visitées, choisies on ne sais comment. Je relève que deux d'entre elles
avaient fait l'objet d'un pamphlet préalable, intitulé
La mafia des
tribunaux de commerce.
Je ne sais pas quels ont été les critères qui ont
permis de sélectionner les cinq autres, mais ce que je peux relever, parce que
cela figure dans le rapport, ce sont les méthodes inquisitoriales qui ont été
employées et les accusations exagérées portées à l'encontre des tribunaux de
commerce : en raison du nombre important de liquidations prononcées par
ceux-ci, on a désigné les juges seuls responsables de cette situation, oubliant
au passage que les tribunaux de grande instance à compétence commerciale
prononçaient des faillites définitives dans la même proportion.
Qu'il y ait des juges défaillants, personne n'en disconvient ! Mais que les
responsabilités ne se situent pas au seul niveau des juges, on pourrait au
moins se poser la question ! En effet, madame le garde des sceaux, la puissance
publique est théoriquement présente dans les tribunaux de commerce, à travers
les procureurs.
Il est trop simple de dire que les procédures collectives échouent parce que
ce sont des juges consulaires. C'est beaucoup plus compliqué que cela !
Je vais résumer quatre des critiques qui ont été formulées dans le rapport
d'enquête de l'Assemblée nationale.
Tout d'abord, le caractère essentiellement liquidatif des procédures
collectives - les liquidations représentaient 89 % des suites données aux
défaillances d'entreprises en 1996 - révèlerait une négligence des juges
consulaires. Ce n'est pas si simple lorsqu'on sait dans quel état les dossiers
arrivent devant les tribunaux.
Pour ce qui est de la lenteur des procédures de liquidation, j'ai déjà fait
remarquer que, dans les tribunaux de grande instance à compétence commerciale,
la procédure était encore plus lente. Ensuite, une certaine négligence, voire
une incompétence des juges consulaires, souvent dépassés par la complexité du
droit seraient également patentes. Il y a sûrement beaucoup à dire - notre
collègue Jean-Jacques Hyest évoquera sans doute ce point tout à l'heure - sur
la manière dont les mandataires de justice accomplissent leurs missions, sous
un contrôle parfois insuffisant des juges commissaires, mais surtout en
l'absence de contrôle du parquet.
Les deux autres critiques ont de quoi laisser interloqué.
Est dénoncé, d'une part, le caractère occulte du déroulement d'une procédure
confisquée par des juges consulaires, qui refuseraient d'informer les
administrateurs judiciaires et les mandataires liquidateurs.
Est évoquée, d'autre part, la soumission des juges-commissaires, peu présents
et peu disponibles, aux mandataires de justice qu'ils sont censés contrôler.
Ces deux critiques sont parfaitement contradictoires ! C'est soit l'une, soit
l'autre, mais pas les deux en même temps !
Cette espèce de procès en sorcellerie qui a été monté contre les tribunaux de
commerce de manière probablement excessive est un élément parmi beaucoup
d'autres. Derrière cette mise en cause ontologique des juges, se profilent des
accusations graves : « comportement douteux », « trafic d'influence », «
collusion et clientélisme avec les mandataires de justice ou les avocats », «
corruption active », « favoritisme », et j'en passe ! « Le tribunal de commerce
est devenu un lieu où l'exercice de fonctions d'intérêt public, rendre la
justice, se confond parfois avec les intérêts privés puisqu'il s'agit
d'intérêts financiers qui sont considérables... Le tribunal de commerce
plongeait parfois dans la corruption la plus complète. »
Mais que font vos procureurs, madame le garde des sceaux ? Où sont-ils ? Si
telles sont les moeurs des tribunaux de commerce, pourquoi n'interviennent-ils
pas, alors que, par définition, ils doivent être présents précisément pour
prévenir ce genre de comportements ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce sont des délits !
M. Paul Girod,
rapporteur.
J'en viens à la réforme qui nous est proposée.
D'abord, comment nous parvient-elle ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que
la méthode suivie par le Gouvernement en la matière a de quoi étonner ! 1998 :
rapport de la commission d'enquête. 1999 : déclaration solennelle selon
laquelle une réforme va être proposée immédiatement. Juillet 2000 : dépôt du
projet de loi. Mars 2001 : discussion du texte à l'Assemblée nationale, et en
urgence encore ! Depuis, plus rien ! Jusqu'à la fin décembre 2001, où est
annoncée la discussion au Sénat de cette réforme, sur laquelle la procédure
d'urgence est toujours déclarée. Nous y sommes ! Enfin !
Excusez-moi, mais quand on a décidé d'une réforme et que l'on y croit
vraiment, est-ce un comportement logique ?
Qu'y a-t-il dans cette réforme ?
L'objet essentiel est l'introduction de la mixité, c'est-à-dire la mise en
place de juges professionnels, présidents des formations de jugement à toutes
les étapes des procédures collectives.
J'ai déjà dit un mot de l'absence consternante de formation des magistrats
professionnels en la matière.
On peut s'interroger sur la volonté effective des magistrats professionnels
d'entrer dans un tel système. On peut constater que les magistrats
professionnels susceptibles d'être présents dans les tribunaux de commerce,
c'est-à-dire les procureurs, sont « irrégulièrement » présents au sein des
juridictions, où ils exercent cependant une part des responsabilités.
Je note au passage que, pour autant, on ne supprime pas les tribunaux de
grande instance à compétence commerciale, contrairement aux recommandations de
la commission Barbusiaux et Bernard de 1999.
Madame le garde des sceaux, vous nous dites que la justice commerciale est en
faillite.
(Mme le garde des sceaux fait un signe de dénégation.)
Ce
n'est peut-être pas vous qui l'avez dit mais nous l'avons entendu.
Quoi qu'il en soit, la justice commerciale est-elle la seule à se trouver si
cruellement dépourvue de moyens ?
Vous avez dit tout à l'heure, madame le garde des sceaux, que vous aviez créé
un certain nombre d'emplois. Dont acte ! Sur les documents budgétaires, c'est
vrai ! Vous avez parlé de 250 postes mais, à ce jour, 186 ont été créés : 100
dans la loi de finances de 2000 ; 40 dans la loi de finances de 2001 et 46 dans
celle de 2002. Il reste donc 90 postes à créer. De plus, si 101 postes ont
d'ores et déjà été localisés, ils n'ont toujours pas, pour autant, été
pourvus.
Je suis obligé de constater que les magistrats qui ont été recrutés,
théoriquement, dans le cadre du contingent des tribunaux de commerce ont été
affectés au renforcement des juridictions civiles, ne serait-ce que pour
résorber le retard - qui ne paraît d'ailleurs pas se résorber si vite que cela
- et peut-être aussi pour compenser les 35 heures.
Si vous recrutez des magistrats, madame le garde des sceaux, affectez-les à
ce qui est important et immédiat, à savoir le désencombrement des juridictions
civiles !
En 1985, un de nos éminents collègues - qui, malheureusement, n'est pas
présent en cet instant dans l'hémicycle - avait envisagé une réforme des
tribunaux de commerce et il nous avait alors dit : « Les perspectives sont
rigoureuses, il semble nécessaire de renforcer en priorité les effectifs de
magistrats professionnels dans le domaine de l'instruction afin de développer
certaines juridictions, ce qui interdit de penser à la mixité. »
Ce constat est toujours d'actualité, nous le savons tous, nous qui recevons
dans nos permanences de nombreuses personnes qui se plaignent amèrement, et non
sans raison, du fait que la justice courante, la justice civile, la justice
pénale, ne va pas à la cadence qu'ils pourraient souhaiter ! Les retards sont
si importants dans ce domaine que c'est d'abord par là qu'il faudrait essayer
de sauver de la faillite l'ensemble de notre appareil judiciaire !
Quant à la compensation de l'abaissement de l'âge d'inéligibilité par une
limitation de l'âge d'éligibilité, si l'on y regarde de près, cela peut aboutir
à faire sortir de nos tribunaux 40 % des magistrats actuels, alors que l'on a
déjà tant de mal à les renouveler !
Mais il y a aussi la réforme du système électoral - j'en ai dit un mot tout à
l'heure - et je me pose la question : est-ce vraiment par là qu'il fallait
commencer ?
En réalité, nous sommes confrontés à deux questions en même temps, dont la
première concerne notre vie économique et sa partie « judiciarisée ». A cet
égard, la réforme de la loi de 1985 - je l'ai dit tout à l'heure et tout le
monde en est d'accord - était nécessaire, car son application s'est révélée
difficile. Le chantier est ouvert, madame le garde des sceaux, depuis 1998, et
il a abouti, après nombre de confrontations, de rapprochements, de conférences,
de colloques, à un certain nombre de propositions.
Peut-être n'est-ce pas par là qu'il faudrait commencer, parce qu'il ne suffit
pas de reprocher aux juges leurs décisions : il faut agir sur la vie économique
elle-même, car c'est sur elle que s'exerce la responsabilité des chefs
d'entreprise, qui ont d'abord besoin de stabilité et de clarté quand ils sont
en difficulté.
Une deuxième réforme avait été annoncée à la même époque. Elle aurait pu elle
aussi être engagée plus tôt : je veux parler de la réforme de la carte, ce qui
me ramène au rôle du procureur de la République et à la compétence des juges
des tribunaux de commerce.
Madame le garde des sceaux, il est vrai que, dans les tout petits tribunaux
qui traitent très peu d'affaires par an, les juges consulaires ne peuvent
acquérir « sur le tas » la formation nécessaire. Les présidents des tribunaux
de commerce disent qu'il faut au minimum dix-huit mois pour qu'un juge devienne
effectivement opérationnel. Dans les petits tribunaux, c'est encore plus long
!
Il est vrai aussi que le décret que j'évoquais tout à l'heure n'a pas
contribué à opérer la redistribution des dossiers, concentrés sur les tribunaux
plus importants, vers les tribunaux qui n'atteignaient pas la masse critique,
comme l'avait pourtant prévu la loi de 1985. Cependant, la réforme de la carte
aurait permis d'atteindre le même résultat tout en garantissant une présence
réelle du parquet. C'est d'ailleurs d'ordre réglementaire et non législatif,
madame le garde des sceaux !
Une telle refonte de la carte relève de la compétence réglementaire, et je
pense que vous trouveriez ici bien plus d'appui que vous ne l'imaginez si vous
vous atteliez à déterminer dans quelle mesure il faut ou non concentrer sur
certains tribunaux les gros dossiers ou - pourquoi pas ? - éloigner le
justiciable de son juge de telle manière que l'indépendance de ce dernier soit
mieux assurée qu'elle ne l'est aujourd'hui.
C'est là une priorité à laquelle la Chancellerie - je ne parle pas de vous,
madame le garde des sceaux - n'a pas accordé suffisamment d'attention. Depuis
plusieurs années, on parle en permanence de cette réforme, mais elle ne vient
jamais.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quand elle vient, vous n'en voulez pas !
M. Paul Girod,
rapporteur.
A qui s'adresse le « vous » ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A vous !
M. Paul Girod,
rapporteur.
A moi ?
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, ne retardez pas le débat !
(Sourires.)
M. Paul Girod,
rapporteur.
Bref, je plaide en faveur de la rationalisation de la carte
judiciaire et du renforcement du rôle d'un parquet généralement absent : nous
savons bien, en effet, madame le garde des sceaux, vous comme moi et comme
chacun dans cet hémicycle, que, quand il y a eu des dysfonctionnements graves -
dysfonctionnements que personne ne nie - dans les tribunaux de commerce, dans
99 % des cas, le parquet n'était pas représenté. Du jour où le parquet est
revenu dans ces mêmes tribunaux, les errements ont totalement cessé.
C'est probablement par là que toute réforme, quelle qu'elle soit, devrait
commencer.
Je pense que, si vous aviez eu la sagesse de commencer par la réforme de la
loi de 1985 sur les procédures collectives, par mettre à plat devant l'opinion
publique dans son ensemble le problème de la carte des tribunaux de commerce,
vous auriez évité de vous trouver devant une réforme qui a pris un caractère
inutilement vexatoire pour les juges des tribunaux de commerce.
Faut-il rappeler que, depuis quatre cents ans, sans rémunération, ces juges
prennent sur leur temps, mettent leur expérience au service de leurs
concitoyens pour faire en sorte que cette notion de confiance, qui est à la
base même de la vie économique, continue à gérer l'ensemble des transactions,
l'ensemble de la vie économique ?
Je ne crois pas que ce soit en insultant, comme cela a été fait, les juges des
tribunaux de commerce que l'on crée les conditions d'une saine réforme de cette
partie importante de notre appareil judiciaire.
A moins de découvrir au fil des débats des nouveautés intéressantes, je serai
donc amené à expliquer tout à l'heure les raisons pour lesquelles la commission
des lois va recommander au Sénat de ne pas poursuivre plus avant l'examen et
une réforme qui, si elle n'est pas contestable dans son inspiration, l'est
totalement dans la manière dont elle a été menée et qui serait dangereuse dans
son application immédiate si elle devait être réellement appliquée.
Le moment venu, nous ferons un certain nombre de propositions, tant sur le
recrutement des magistrats des tribunaux de commerce - j'ai déposé cet
après-midi une proposition de loi sur le sujet - que sur l'introduction d'une
mixité réelle, réfléchie et non pas simplement imposée de manière vexatoire à
des personnes qui n'ont pas mérité l'opprobre dans lequel on les traîne.
Quoi qu'il en soit, dans l'atmosphère qui est celle d'aujourd'hui, compte tenu
de la date et de l'heure auxquelles nous délibérons, nous pensons que ce débat
est malvenu, et je m'en expliquerai à l'issue de la discussion générale.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je souhaite répondre à M. le rapporteur - certes pas
sur tous les points, car, fort de sa connaissance du dossier, il a parlé très
longuement - mais sur certains sujets, car je ne suis pas tout à fait d'accord
avec lui...
J'ai bien compris qu'il n'y aurait pas de réforme pendant cette législature.
Dont acte ! Le Sénat prend la décision qu'il croit devoir prendre. Il en
assumera la responsabilité.
M. Philippe Marini.
Vous auriez pu faire des propositions plus tôt !
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui, vous aviez tout le temps !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Par rapport aux délais, précisément, j'assume de mon
côté totalement, je tiens à le dire, la responsabilité du retard pris après
mars 2000. Compte tenu des débats et des échanges extrêmement intéressants qui
ont eu lieu entre la Chancellerie et nombre de juges consulaires, du travail
excellent qu'ils ont fait - y compris pour poser un certain nombre de questions
qui rejoignent d'ailleurs les vôtres pour partie : je pense à la réforme de
1985, mais à bien d'autres choses encore - il m'avait semblé qu'il n'était pas
urgent - en dépit de la déclaration d'urgence - de légiférer. Cela a permis de
nombreuses auditions, de nombreux échanges.
M. Philippe Marini.
Curieux usage de l'urgence !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Monsieur le sénateur, il peut arriver que l'on entende
ce qui se passe !
M. Philippe Marini.
C'est une urgence qui n'est pas urgente !
(Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Peu importe, mais nous ne sommes pas à l'heure de la
dérision : il s'agit d'un problème sérieux et, sur cette question de délai,
j'assume totalement mes responsabilités.
S'agissant de la carte judiciaire des tribunaux de commerce, je veux bien
entendre ce que vous dites, mais êtes-vous d'accord avec vos propres collègues
au sein de votre groupe ?
Nous sommes le premier gouvernement à avoir supprimé des tribunaux, et il faut
au moins nous en rendre hommage ! Il y a des années et des années que tout le
monde parle de la carte judiciaire, mais nous sommes les premiers à avoir agi !
Cela ne s'est pas fait facilement, et les juges consulaires de ces tribunaux
n'ont pas forcément apprécié ces fermetures ! Je pense notamment à un tribunal
qui figure actuellement sur la deuxième liste - au-delà des seize premiers, qui
ont effectivement été supprimés - des tribunaux sur lesquels nous nous
interrogeons parce qu'ils traitent peu d'affaires. Les juges consulaires
intéressés ont alors fait signer un certain nombre de pétitions à beaucoup
d'élus locaux - notamment à des sénateurs de votre famille politique - pour
expliquer à quel point il était absolument indécent que certaines affaires
soient jugées 170 kilomètres plus loin. La pression a été extrêmement forte
!
Dans ces conditions, il est facile d'avoir une position de principe sur la
fermeture des tribunaux de commerce quand, par ailleurs, l'ensemble des élus
signent des pétitions pour qu'on ne les ferme pas !
Nous avons donc décidé de fermer quarante-trois tribunaux et, sur les seize
qui figuraient sur la première liste, dans un cas, que je connais
effectivement, il y a eu des réactions très violentes. Mais l'assemblée des
juges consulaires n'a pas souhaité s'impliquer dans la fermeture des tribunaux
en question !
Je vous rappelle aussi que j'ai eu ce qu'on appelle la « co-tutelle » - c'est
un mot terrible, mais la tutelle ne signifie-t-elle pas protection ? - des
chambres de commerce et d'industrie. J'ai donc beaucoup sillonné les
départements qui comptaient plusieurs chambres de commerce et plusieurs
tribunaux de commerce - parce que, souvent, les arrondissements judiciaires et
les chambres de commerce et d'industrie ont la même histoire et que, lorsque,
dans un département, il y a trois chambres de commerce et d'industrie, souvent,
il y a aussi trois tribunaux de commerce - et j'ai subi une pression très forte
de l'assemblée permanente des chambres de commerce pour qu'on ne supprime pas
de chambre de commerce et d'industrie ni de tribunaux de commerce dans la même
aire géographique.
Les présidents de chambres de commerce et d'industrie connaissent bien le
tissu de leur département ou de leur région et je les ai entendus quand ils
défendaient leurs chambres, en dépit de l'opinion de certains qui m'ont
beaucoup critiquée de ne pas avoir fermé les tribunaux de commerce qui
correspondaient à la même aire géographique. On ne peut toutefois pas dire à la
fois qu'il faut les entendre lorsqu'ils sont arc-boutés contre une réforme - et
c'est vrai qu'ils l'étaient, ce n'est un secret pour personne - et qu'il ne
faut pas les entendre pour autre chose : ou bien on les entend, ou bien on ne
les entend pas !
Vous avez évoqué les délais. Or votre rapport mentionne des différences de 0,1
mois.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Non ! Je ne parle jamais de 0,1 mois.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Les chiffres figurent à la page 30 de votre rapport
!
M. Paul Girod,
rapporteur.
C'est 1,2 et 1,7 mois !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Si l'on prend l'année 1999, les délais pour les
liquidations judiciaires immédiates sont de 1,3 mois pour les TGI et de 1,5
mois pour les tribunaux de commerce ; pour les liquidations avec période
d'observation, ils sont de 6,6 mois dans les TGI à compétence commerciale - on
en trouve dans vingt-trois départements, plus un dans les DOM - et de 7 mois
dans les tribunaux de commerce. C'est à peu près la même chose ! Quand on
raisonne sur des moyennes et sur des chiffres, on constate donc que les
tribunaux de commerce ne font pas plus mal que les TGI, même s'il y a une
différence de 0,4 mois !
Sur les plans de continuation, les délais sont de 12,6 mois pour les TGI et de
13,1 mois pour les tribunaux de commerce et, pour les plans de cession, ils
s'élèvent respectivement à 7,6 mois et à 8 mois. Si différence il y a, elle
n'est pas significative ! Au demeurant, vous savez comme moi ce que valent les
moyennes en matière de délais et en matière de justice ! Même avec ces
chiffres-là, on ne pourrait pas critiquer les uns ou les autres, surtout
s'agissant de litiges extrêmement difficiles à résoudre.
Vous avez dit aussi qu'il n'était pas tenu compte des arbitrages, notamment en
matière de contrats. Je ne fais pas partie de ceux qui s'érigent contre
l'arbitrage - je sais que le Sénat l'a fortement défendu - mais je ne souhaite
pas que les magistrats professionnels rendent de tels arbitrages, car je
considère qu'il faut bien séparer les fonctions : si l'arbitrage échoue, c'est
souvent l'institution judiciaire qui est saisie et non pas l'institution
commerciale, car les litiges portent sur des points beaucoup plus délicats. Il
me semble donc important que les magistrats professionnels ne puissent pas
faire d'arbitrage, mais qu'il y soit recouru de plus en plus, y compris en
matière de contrat, ne me pose pas de problème.
Par ailleurs, j'ai bien entendu ce que disaient un certain nombre de petits
producteurs sur les contrats. Il va falloir rédiger beaucoup plus clairement
les clauses d'arbitrage et remédier au manque d'information. Il faut faire
passer ces informations sur l'arbitrage via les chambres de commerce et
d'industrie. Il y aurait beaucoup à dire sur ce point, mais ce n'est pas de ma
compétence.
A propos des petits et des grands tribunaux, vous souteniez dans votre exposé,
monsieur le rapporteur, - mais je vous ai peut-être mal compris tant le dossier
est difficile et tant j'ai entendu d'arguments - que si les litiges sont très
importants, il faut les faire juger par les grands tribunaux. Ce n'est pas ce
que disent les chefs d'entreprise. Ils n'estiment pas que les grands tribunaux
de commerce sont forcément meilleurs que les petits. En revanche, ils
souhaitent, pour les petits tribunaux, comme pour les grands d'ailleurs, qu'il
y ait moins de représentants du secteur bancaire.
Quand j'ai eu à défendre le dossier de M. Patriat concernant le système des
cautions bancaires pour les petites et moyennes entreprises, j'ai pu constater
qu'entre les banques et les petits entrepreneurs le problème n'était pas
simple.
Quand, dans un tribunal, dans une formation de jugement, il y a deux
représentants des banques, un des assurances et seulement un des chefs
d'entreprise, les équilibres sont parfois rompus et il n'est pas mauvais de se
poser la question.
Selon vous, il ne faut pas élargir l'électorat...
M. Paul Girod,
rapporteur.
Je n'ai jamais dit cela !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
... au prétexte qu'avec deux millions d'électeurs on va
avoir des oppositions entre le CID - UNATI et d'autres groupes.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Ce n'est pas ce que j'ai dit !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Selon moi, toute élection mérite d'être vécue comme
telle !
M. Paul Girod,
rapporteur.
Madame le garde des sceaux, me permettez-vous de vous
interrompre ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je vous en prie ! Je l'accepte, comme je l'ai toujours
accepté, d'ailleurs !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Cela devient de la conversation de salon !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
J'ai dit, d'une part, que la non-prise en compte des
artisans dans le système électoral était une mauvaise chose et, d'autre part,
que la technique du vote direct de 2,4 millions de personnes au lieu de 30 000
risquait d'aboutir à des affrontements entre des listes du style de ceux que
j'ai décrits.
Madame le garde des sceaux, j'ai un certain nombre de suggestions techniques à
vous faire sur le sujet. Mais nous en parlerons dans une atmosphère plus
détendue !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Moi, je suis très détendue !
M. le président.
Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
L'augmentation du nombre des électeurs fera que, dans
les petits tribunaux, il y aura peut-être moins de cadres et plus de chefs
d'entreprise. Il me semble intéressant de prendre en compte cette
considération.
Dans le même ordre d'idée, beaucoup, y compris des entrepreneurs, relèvent
qu'on ne peut pas être en même temps juge consulaire et racheteur ou
entrepreneur ayant des intérêts dans le rachat. Cette remarque aussi est tout à
fait normale et logique.
En matière de formation, je partage votre point de vue ; je crois que nous
avons effectivement trop tardé à donner un coup de pouce dans ce domaine.
Compte tenu des échecs d'arbitrage qui conduisent souvent les intéressés, non
au tribunal de commerce, mais au tribunal de grande instance, la formation des
magistrats en termes de droit commercial doit sûrement être beaucoup plus
solide.
Vous dites, monsieur le rapporteur, que les magistrats qui vont être nommés ne
sont pas formés. Je ne partage pas votre point de vue. L'examen des litiges
qu'ils ont eu à traiter en témoigne.
Les magistrats professionnels ont été obligés de s'intéresser à ce type de
dossiers, à la rupture de contrats internationaux notamment. Beaucoup l'ont
fait avec une grande technicité. Mais ce n'est jamais simple. Pour un chef
d'entreprise ou un employé d'une banque, ça ne l'est pas non plus, comme on l'a
vu récemment pour une société de plasturgie où tout le monde était dubitatif
sur les solutions à apporter.
Il ne faut pas opposer une technicité à une autre. Et peut-être que le fait de
mettre ensemble des gens qui, pour les uns, connaissent bien le système
économique et, pour les autres, ont une expérience professionnelle d'ordre
juridique, constitue une bonne solution.
Voilà ce que je voulais préciser à cet instant de la discussion générale.
J'ajoute que je prends acte de ce que vous avez dit sur la suspicion, sur le
doute, sur les positions qui ont été prises à l'Assemblée nationale, sur tout
ce qui a pu se passer. Il faut se dégager de ce climat de suspicion. Dans nos
discussions avec les juges consulaires, nous avons réussi à trouver un langage
serein, intéressant, constructif.
M. Philippe Marini.
Ils ont l'air tous contents !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Ils ont beaucoup participé à l'évolution de ce qui sera
un jour la justice commerciale européenne. Mais, pour atteindre cet objectif,
nous avons vraiment beaucoup à faire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Mes chers collègues, trois sentiments m'animent au moment où je prends la
parole après l'intéressant échange entre Mme la ministre et M. le rapporteur,
échange qui me paraissait mettre un terme au débat.
Tout d'abord, je rends hommage, madame la ministre, à votre souci de la
sérennité, de l'apaisement, de la tranquillité. Vous souhaitez éviter toute
formule un peu trop agressive, contrairement à certains de nos jeunes collègues
de l'Assemblée nationale.
Ensuite, à quelques jours de la disparition du franc, au moment où va
s'instaurer la monnaie unique et où nous allons devoir harmoniser nos régimes
économiques, sociaux et fiscaux, je suis étonné que le Parlement débatte du
caractère essentiel ou non de la mixité dans les tribunaux de commerce. Ce
débat me paraît tellement éloigné de nos préoccupations, de celles de nos
concitoyens et des chefs d'entreprise, des questions de concurrence, de
compétition, de mondialisation, de délocalisation, avec toutes les conséquences
sociales qui vont s'ensuivre. Traiter gravement du problème de la mixité me
paraît refléter cette espèce de décalage que nombre de nos concitoyens
ressentent entre les préoccupations qui les assaillent tous les jours et les
actions et les réformes proposées par le Gouvernement.
Enfin, troisième sentiment, je suis choqué que vous ayez cru devoir utiliser
la procédure de l'urgence pour nous soumettre un projet de loi huit jours avant
l'interruption des travaux parlementaires.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est devenu une habitude !
M. Jean-Pierre Fourcade.
L'ancien parlementaire que je suis ne comprend pas cette précipitation. Nous
parlons de cette question depuis quatre ans. Ce projet de loi a été examiné
l'année dernière par l'Assemblée nationale. Vous avez tenu à procéder à de
nombreuses concertations et tout le monde vous en est reconnaissant. Etait-il
urgent de débattre aujourd'hui de ce projet de loi alors que le président de
l'Assemblée nationale - et non celui du Sénat ! - a tenu à ce que nous
suspendions nos travaux le 21 février ? Nous n'avons pas le temps de réfléchir
sérieusement à cette question dans les huit jours qui nous sont impartis.
Vous comprenez pourquoi je suis choqué. Nous ne pouvons pas bien légiférer
dans l'urgence et ce type de procédure ne peut s'appliquer qu'à des textes
comme les lois de finances - il faut bien procéder au règlement du budget - les
lois de financement de la sécurité sociale ou des mesures immédiates en matière
de sécurité, mais certainement pas à une réforme concernant les tribunaux.
L'excellent rapport que vient de présenter notre collègue Paul Girod démontre
qu'une réforme des tribunaux de commerce est sans toute nécessaire mais que le
Gouvernement s'y est mal pris et qu'un certain nombre d'obstacles doivent être
contournés.
Le premier obstacle, c'est la fameuse mixité dans les juridictions
commerciales et l'introduction de juges professionnels. Mais, finalement, cette
réforme ne pose pas un problème dramatique lorsqu'on l'explique, lorsqu'on
essaie de mieux harmoniser les rôles des juges professionnels et des juges
consulaires.
Le problème vient du fait que vous avez mis en place un système qui n'est pas
convenable puisque vous avez prévu que la présidence de la chambre des
procédures collectives serait exclusivement attribuée à un magistrat du corps
judiciaire. Il s'agit là d'une mesure vexatoire.
Si des juges consulaires et des magistrats traditionnels, les uns payés, les
autres bénévoles, travaillent ensemble sur des sujets de fond, pour quelle
raison le critère de compétence n'est-il pas le seul permettant d'accéder aux
fonctions de président de la chambre des procédures collectives ? Pourquoi les
juges de chaque origine n'accèdent-ils pas de manière égalitaire à la
présidence ?
C'est là une discrimination qui me paraît bien plus idéologique que
pragmatique et sur laquelle tout gouvernement, quel qu'il soit, sera contraint
de revenir.
Le deuxième problème, c'est évidemment le mode de désignation des juges
consulaires.
J'ai bien entendu vos arguments et je crois qu'ils sont relativement fondés.
Pour ma part, je me référerai au tribunal de commerce que je connais le mieux,
celui du département des Hauts-de-Seine. Je rappelle d'ailleurs que lorsque
nous avons voulu le créer, nous nous sommes heurtés à il y a une obstruction
formidable de la Chancellerie qui expliquait aux parlementaires que nous étions
que l'idée de créer un tribunal de commerce à Nanterre était farfelue et que
celui de Paris suffisait largement ! Heureusement, nous avons tenu bon contre
la Chancellerie, contre un certain nombre d'intérêts ou de lobbies et nous
avons créé ce tribunal. Tout naturellement, il est devenu le deuxième tribunal
de commerce de France, puisque son siège est au coeur d'un tissu
entrepreunerial extrêmement important, où se traitent de très nombreuses
affaires. Je surveille aujourd'hui avec intérêt l'évolution de ce tribunal, qui
me paraît fonctionner dans de bonnes conditions.
Que vous vouliez élargir le mode de recrutement, c'est concevable. Que vous
vouliez qu'il y ait moins de banquiers, moins de cadres supérieurs, davantage
de chefs d'entreprise, c'est normal. Que vous vouliez que les chefs de petites
entreprises et les artisans, puisqu'ils sont maintenant justiciables de ces
tribunaux, y accèdent plus facilement, nous l'acceptons. En revanche, je
considère que le système qui est prévu dans le projet de loi est tout à fait
inefficace, car le collège électoral sera fantastique.
J'ai noté par ailleurs, et vous savez que je suis sensible à ces questions,
que vous mettez à la charge des communes la totalité des frais de ces élections
! Nous nous chargeons déjà des élections aux conseils de prud'hommes, aux
chambres d'agriculture et aux chambres de commerce, nous ajouterons les
tribunaux de commerce, bien entendu sans jamais recevoir la moindre
rémunération. Les communes sont taillables et corvéables à merci ! Le
Gouvernement ignore ce qu'est un budget local et les problèmes auxquels les
élus peuvent être confrontés !
Votre texte ne me paraît pas bon. Il faut sans doute modifier le mécanisme
électoral, l'élargir, avoir davantage de professionnels, mais ce que vous nous
proposez ne va pas du tout dans ce sens.
Je souhaitais également évoquer, mais M. Girod l'a parfaitement démontré, le
fait que vous n'avez pas les moyens d'appliquer cette réforme. En effet, avant
de former davantage de magistrats à l'ensemble des techniques commerciales,
avant que les magistrats professionnels soient capables de discuter avec les
lawyers
américains et de porter des jugements précis sur les problèmes
que rencontrent les grandes entreprises sur le marché international, il faudra
un certain temps.
En fait, vous augmentez la charge de travail des magistrats, mais vous n'avez
pas prévu de les former et les programmes de l'Ecole nationale de la
magistrature n'ont pas été revus.
J'ai quelques lueurs sur le fonctionnement des grandes entreprises ou des
entreprises moyennes dans la compétition internationale, et je ne crois pas que
les magistrats puissent du jour au lendemain être compétents sur les problèmes
de brevets, d'urbanisme, de frais généraux, etc.
L'affaire Enron aux Etats-Unis montre à cet égard que, malgré des procédures
d'audit, malgré les commissaires aux comptes, les analystes financiers,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade.
... on constate souvent des dérapages dans la présentation des comptes.
Je ne crois pas, madame le garde des sceaux, que nous ayons aujourd'hui, à
part quelques juges d'instruction dont je salue la compétence, beaucoup de
magistrats capables de démêler, dans des affaires du type Enron, la part de la
vérité et de la falsification ou de l'affabulation.
Ce texte n'est pas très bon sur le plan des moyens mis en oeuvre pour
l'appliquer. C'est la raison pour laquelle, au nom de mon groupe, je voterai la
question préalable que la commission des lois va présenter.
Mais je ne voudrais pas rester sur un jugement négatif, madame le garde des
sceaux. Puisque nous nous reverrons forcément au cours de la prochaine
mandature - je ne sais pas où nous serons l'un et l'autre, mais cela n'a pas
d'importance, nous nous reverrons sûrement - je voudrais vous indiquer quelles
sont, à mon avis, les pistes à suivre pour réaliser cette réforme.
Premièrement, il faut tout de suite développer l'intervention du parquet dans
les procédures collectives. C'est une garantie de transparence et d'équité qui
me paraît essentielle. Il suffirait d'augmenter le nombre, non pas des juges
professionnels, mais des magistrats du parquet et d'obliger ces derniers à
siéger davantage au cours des procédures collectives pour obtenir assez
rapidement le résultat que vous recherchez. Pour avoir vu fonctionner ce
système au tribunal de Nanterre, je peux affirmer qu'il s'agit d'une bonne
opération, surtout lorsque les parquetiers connaissent bien ces problèmes et
qu'ils ont été formés aux problèmes de droit commercial, international ou
national.
Deuxièmement, c'est là où le bât blesse, les procédures collectives ne sont
pas du tout adaptées aux problèmes actuels de concurrence et de gestion des
entreprises ; Paul Girod l'a longuement expliqué et tout le monde vous le dira
aujourd'hui. Les lois de 1984, 1985, 1993, etc. sont tout à fait intéressantes,
mais elles me paraissent dépassées par rapport à l'important mouvement de
concentration entre les grandes entreprises sur le plan mondial, aux procédures
nouvelles d'échanges de technologie, au développement de certaines filiales et
à la délocalisation non seulement des usines, mais aussi des chaînes de
commandement.
Pourquoi un certain nombre de nos entreprises trouvent intéressante
l'installation d'une
holding
aux Pays-Bas ? Pourquoi une banque
importante - que je ne citerai pas - a-t-elle installé sa salle des marchés à
Londres ? Pourquoi des compagnies importantes font-elles tenir leur
comptabilité par des informaticiens indiens ? Il y a bien des raisons à tout
cela !
Dans un tel contexte, réformer les tribunaux de commerce grâce à la mixité me
paraît secondaire par rapport à la nécessité de réformer un certain nombre
d'approches des procédures collectives pour éviter que ne s'ensuivent des
conséquences sociales et qu'un certain nombre d'entreprises en difficultés ne
pâtissent du nombre de mécanismes d'alerte qui est, à l'heure actuelle,
beaucoup trop insuffisant dans notre société.
J'en viens à la révision de la carte des tribunaux de commerce. Selon vous -
il est vrai qu'on nous le dit souvent - dès que le Gouvernement propose une
réforme, les élus locaux, qui sont par nature des démagogues, s'insurgent et
tirent les sonnettes pour s'y opposer.
Permettez-moi de vous donner l'exemple de la région parisienne, puisque vous
êtes une élue de province.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
De région, pas de province !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Il existait une seule chambre de commerce à Paris. Quand les nouveaux
départements ont été créés, il s'est posé la question de savoir s'il fallait
aussi créer d'autres chambres de commerce. Certains parlementaires, dont
j'étais, ont estimé que l'outil dont nous disposions fonctionnait bien et que
l'on pouvait par conséquent conserver une chambre de commerce unique assistée
de délégations départementales : Paris - Hauts-de-Seine, Paris - Val-de-Marne,
etc. Ce système s'est révélé plus efficace que si nous avions « cassé » l'outil
existant pour instituer de nouvelles chambres de commerce.
Vous pouvez suivre une démarche identique pour la réforme de la carte des
tribunaux de commerce, à condition de présenter préalablement l'enjeu global de
la réforme. Si l'on progresse à petits pas, des oppositions très fortes se font
jour, comme c'est le cas lorsqu'on ferme un poste de police, une caserne de
gendarmerie, une perception, un centre de recettes des impôts, etc.
Il faut ensuite expliquer les moyens qui seront utilisés pour y parvenir. Ceux
qui ont déjà conduit des réformes de cette importance savent que la
concertation et la présentation de l'ensemble de l'opération sont des
préalables nécessaires pour obtenir des résultats.
Madame le garde des sceaux, vous n'êtes pas responsable des malaises qui ont
accompagné la naissance de cette réforme. Le « paquet » que votre prédécesseur
vous a laissé en héritage est quelque peu difficile à ficeler, si vous me
permettez cette image. Vous avez fait de gros efforts pour revenir à plus
d'objectivité, mais il reste des progrès à accomplir.
Cette réforme pour laquelle je vous ai donné des pistes - le parquet,
l'élection, la réforme de la carte, la modification des techniques de règlement
des procédures collectives - est nécessaire, mais elle ne pourra aboutir que si
l'on rétablit un climat de confiance et la concertation. Or force est de
constater que le recours à la procédure de l'urgence, en cette période, de
surcroît, n'est certainement pas de nature à rétablir cette confiance.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Vous avez bien voulu, parce que vous êtes courageuse, assumer l'urgence. Je
souhaite maintenant qu'il n'y ait pas de texte définitif avant la fin de la
présente session afin qu'on ait le temps de réfléchir tranquillement aux
différents éléments de la réforme. Cette dernière sera ainsi moins idéologique,
plus pragmatique et consensuelle. Les entreprises de notre pays étant
confrontées à une concurrence de plus en plus impitoyable, il est nécessaire de
bien réfléchir avant d'avancer des réformes et de jeter des anathèmes !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy.
Permettez-moi d'abord de remercier M. Béteille, qui a bien voulu me céder son
tour de parole pour me permettre de résoudre un problème d'emploi du temps,
dont l'organisation est difficile ! Je prie également Mme le garde des sceaux
de bien vouloir excuser mon absence dans la suite du débat. Je ne serai donc
pas présent lorsqu'elle répondra à mes propos, qu'elle trouvera peut-être peu
agréables...
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne
reviendrai pas, en détail, sur l'historique qui nous vaut de discuter
aujourd'hui de la réforme des tribunaux de commerce, si ce n'est pour souligner
la maladresse du Gouvernement et de certains de ses zélés partisans.
Le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale n'est-il pas
émaillé d'expressions aussi excessives que « institution pourrie » ou « justice
de connivence » ? Un style qui n'honore ni le Parlement ni, surtout, les
auteurs de ces propos.
La mise à l'index, la généralisation facile, l'excès sont les meilleurs moyens
de fausser un débat et d'empêcher de trouver une solution raisonnable et
consensuelle, à moins que l'objectif ne soit d'imposer des choix de façon
dogmatique.
Pour en finir sur ce problème de forme, disons que ces propos sont indignes à
l'égard des juges consulaires, attachés, dans leur ensemble, à rendre des
jugements efficaces, rapides et cela gratuitement, nous le savons tous.
Avec un tel départ, dont M. Fourcade a eu raison de dire tout à l'heure,
madame, que vous n'étiez pas responsable personnellement, il n'est pas étonnant
que le Gouvernement ait rencontré de nombreuses difficultés pour mener à bien
sa réforme des tribunaux de commerce dans des conditions sereines et
équilibrées.
Le sujet, difficile, nécessitait du temps et de la réflexion. Or vous avez
choisi la manière brusque et vous avez commis des erreurs.
La première est une erreur de méthode, avec un départ tonitruant et une
concertation préalable insuffisante - vous avez rappelé dans quelles conditions
il y a eu tentative de concertation, une concertation à nos yeux insuffisante -
qui hypothèque maintenant la réussite du projet.
La deuxième est une erreur de
casting
- pardonnez cet anglicisme ! -
avec l'engagement véhément et excessif de personnalités de votre majorité dont
j'ai déjà souligné à quel point la virulence était déplacée.
La troisième erreur réside dans un manque de cohérence.
D'une part, vous ne cherchez ni à améliorer la prévention et le traitement des
difficultés des entreprises, ni à revoir notre droit des procédures
collectives. Or cela aurait pu et dû aller de pair avec un texte sur la justice
commerciale. Vous ne pensez pas non plus à renforcer, le plus en amont
possible, les procédures d'alerte et les informations sur la situation de
l'entreprise.
D'autre part - M. Girod l'a abondamment décrit -, vous n'avez pas les moyens
financiers et humains - vous ne les aurez pas de sitôt - nécessaires à
l'application de cette réforme. Cette imprévision, nous l'avons d'ailleurs déjà
constatée pour d'autres textes du Gouvernement intéressant la justice.
La dernière erreur est une erreur d'organisation, puisque l'urgence est
déclarée sur un texte aussi important et que les difficultés au sein de votre
propre majorité, madame le garde des sceaux, ne permettront pas à ce texte
d'aboutir. A ce jour, aucune date n'est prévue pour la réunion de la commission
mixte paritaire alors que les débats au Parlement durent depuis près d'un an !
Mais ce point ayant été largement développé, je n'insisterai pas.
Si nous ne contestons pas la nécessité de réformer la justice commerciale -
nul ne le conteste -, nous ne pouvons accepter la manière de procéder du
Gouvernement, parce qu'elle se traduit par un texte inadapté qui déstabilise la
justice commerciale.
Notre collègue Paul Girod l'a clairement montré dans son rapport, dont nous
approuvons le sytle et le contenu, tant il est précis, complet. C'est un
rapport fait avec beaucoup de compétences.
Pour ma part, je ne retiendrai que quelques points essentiels.
Si la mixité est envisagée depuis longtemps, vous l'introduisez, madame le
garde des sceaux, sans cohérence, c'est-à-dire sans mettre fin à la compétence
de certains tribunaux de grande instance en matière commerciale.
Telle que vous la proposez, la mixité est, d'une part, vexatoire et injuste,
tant sur la forme que sur le fond, à l'égard des juges consulaires et, d'autre
part, irréaliste, car elle méconnaît leur compétence en matière économique.
Par ailleurs, vous ne préparez pas son succès. Non seulement vous n'avez pas
favorisé le dialogue entre magistrats et juges consulaires - qui aurait été
autrement productif -, mais encore vous ne garantissez pas la formation des
magistrats dans les domaines économiques et financiers sur lesquels ils seront
amenés à se prononcer, MM. Girod et Fourcade l'ont bien souligné.
Pourquoi ne retenez-vous pas plutôt des propositions qui consistent à scinder
les chambres de procédures collectives en deux sections ? L'une, uniquement
consulaire, serait chargée du traitement des redressements judiciaires et
l'autre, mixte, présidée par un professionnel, statuerait sur les liquidations
judiciaires, les cessions d'unités de production, etc.
Les conditions d'élection des juges consulaires posent des problèmes matériels
d'organisation et leur mode de scrutin au suffrage universel direct - et non
plus indirect - risque encore d'aggraver une abstention déjà regrettable.
L'instauration d'une limite d'âge est difficilement compréhensible quand les
juges consulaires tirent l'essentiel de leur légitimité de l'expérience, de la
disponiblité et de l'élection. Avec ce couperet, vous éliminez, par votre
texte, 40 % des effectifs et vous n'en avez pas les moyens !
Quant à la déclaration des intérêts économiques, réservée, si j'ose dire, aux
seuls magistrats consulaires, telle qu'elle est proposée par l'Assemblée
nationale, elle fait
a priori
peser les soupçons sur les seuls
magistrats consulaires, et ce n'est pas juste.
Enfin, la refonte de la carte judiciaire reste inachevée ; la suppression
d'une trentaine de tribunaux de commerce ne s'appelle pas une réforme.
La justice commerciale de notre pays est l'héritière d'une longue histoire ;
son originalité réside dans la participation des praticiens à son exercice.
Elle doit aujourd'hui s'adapter à l'évolution de l'économie qui tend,
notamment, à une plus grande internationalisation et à un recours plus fréquent
à l'arbitrage. Ces réalités s'imposent à tous, législateurs et
professionnels.
Ces derniers en ont pleinement conscience, comme le démontrent les
propositions formulées à tous les niveaux par les juges consulaires
eux-mêmes.
La réforme de la justice commerciale est ainsi un enjeu démocratique pour une
justice de qualité. Nous en sommes très conscients !
Cependant, les termes du débat ont été complètement faussés par le
Gouvernement et sa majorité, si bien que nous nous trouvons face à une
proposition de réforme isolée, déséquilibrée, incomplète et irréaliste.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants estime qu'il n'y a
pas lieu de poursuivre un débat si mal engagé. Nous voterons la question
préalable. Il ne nous paraît pas tolérable de procéder par amalgame,
simplification abusive ou accusations outrancières.
Il ne nous paraît pas non plus possible de prétendre réformer les tribunaux de
commerce sans avoir, préalablement, mené une réflexion approfondie et
concertée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Permettez-moi en quelques instants, madame le ministre, avec l'aimable
autorisation de notre collègue M. Béteille, qui a bien voulu que nous
intervertissions nos prises de parole, d'insister sur quelques aspects
importants de ce texte, à ce stade de son examen.
La réforme qui nous est soumise à la hâte, en fin de session, procède d'une
mauvaise méthode et ne peut être acceptée sur le fond. De plus, présenter,
assortie de la procédure d'urgence, une réforme que l'on a eu des années pour
mettre au point, ce n'est pas sérieux !
Vous arrivez en fin de session en sachant très bien que le texte a peu de
chance d'être finalisé d'ici à la date et à l'heure limites. Vous le présentez
pour faire plaisir à quelques-uns de vos amis et, à la vérité, je ne serais pas
très surpris, madame le ministre, après vous avoir poussée dans vos
retranchements, de vous entendre dire que votre propre texte contient des
dispositions dont vous n'acceptez qu'une lointaine « maternité », si vous me
permettez cette expression, en tout cas que vous n'êtes peut-être pas
totalement heureuse d'assumer.
Cette réforme a été préparée dans une ambiance détestable, je veux le
rappeler. C'est la méthode « Montebourg » qui est à mettre en cause et qui
consiste à salir systématiquement une institution...
M. Jean-Jacques Hyest.
Pas seulement une institution !
M. Philippe Marini.
... dont la quasi-totalité des membres mériterait plutôt la reconnaissance de
la République, car ils travaillent bénévolement pour résoudre les difficultés
des entreprises.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Exactement !
M. Jacques Blanc.
Très bien !
M. Philippe Marini.
Avec cette réforme, on se propose de désigner à la vindicte publique des
boucs-émissaires. Plus exactement, la commission d'enquête qui a précédé la
réforme, les propos publics, les anathèmes, tout cela procède bien de cette
méthode détestable. On en trouve naturellement l'inspiration en de tristes
périodes de l'histoire politique, en France ou ailleurs :...
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est vrai !
M. Philippe Marini.
... des boucs-émissaires, des invectives, une institution que l'on condamne
par avance et qui n'a même pas droit à un procès équitable.
Madame le ministre, tout cela ne peut évidemment pas, à la veille de
l'interruption des travaux parlementaires et dans l'état actuel du texte,
franchir l'obstacle du Sénat. Pour autant, nous serons nombreux ici à constater
que la réforme des tribunaux de commerce est un sujet sérieux qui devra, un
jour, donner lieu à des progrès.
Comme le dit très justement la commission des lois en la personne de son
rapporteur, cette réforme ne doit-elle pas, d'abord, s'attacher au fond des
choses, c'est-à-dire aux règles de droit à appliquer en matière de procédure
collective avant d'aborder la question institutionnelle ? N'êtes-vous pas en
train de donner libre cours à un penchant, hélas ! trop français, qui consiste,
dès lors qu'une question est posée, à lui apporter une réponse institutionnelle
? Vous n'attaquez, si j'ose dire, que la partie la plus facile des choses. En
effet, il est aisé de désigner des boucs-émissaires, de changer le système
électoral pour les éliminer en grande majorité et de satisfaire les invectives
de quelques-uns de vos amis. Mais reprendre l'examen concret et technique du
droit applicable dans la compétition internationale, comme le rappelait
Jean-Pierre Fourcade, est un exercice d'une autre difficulté, que vous n'avez
pas encore entamé.
La commission a raison de dire que l'on a inversé l'ordre des facteurs et
qu'une vraie réforme de la justice commerciale doit commencer par prendre en
compte d'autres priorités.
Par ailleurs, madame le ministre, vous avez créé, au fil des années -
vous-même et davantage encore votre prédécesseur, je tiens à le souligner - une
ambiance qui, en raison de vos attitudes, devient de plus en plus lourde entre
le corps des magistrats professionnels et celui des juges consulaires élus.
C'est une grave responsabilité, car ces deux corps doivent certainement
s'enrichir mutuellement ; nous sommes nombreux à le penser.
Permettez-moi d'avoir l'immodestie de rappeler qu'ayant été parlementaire en
mission en 1996, sur les questions touchant à la modernisation du droit des
sociétés, pour le compte de l'ancien Premier ministre, j'avais remis des
conclusions qui faisaient appel à une certaine mixité des juridictions
consulaires. J'avais souhaité que l'on instille, dans les formations de
jugement des tribunaux de commerce, de jeunes magistrats du siège, de jeunes
juges professionnels susceptibles d'apporter la connaissance du droit et, en
même temps, de se confronter à la réalité commerciale. Il me semblait qu'ainsi,
sans rien changer aux responsabilités essentielles d'organisation et de
conduite des juridictions consulaires, on pourrait aboutir à un rapprochement
des états d'esprit et des cultures.
N'est-ce pas à la sortie de l'Ecole nationale de la magistrature qu'il faut
commencer, pour celles et ceux qui en ont le goût à s'intéresser aux questions
économiques et financières ? N'est-ce pas une bonne voie que de siéger avec des
commerçants, des petits entrepreneurs, des personnes de bonne volonté n'ayant
pas toujours reçu initialement la formation théorique la plus large, mais qui
font preuve de bon sens et qui ont une connaissance des affaires ? Une telle
opération de rapprochement n'aurait-elle pas, à terme, des incidences très
intéressantes sur les débats respectifs, sur une meilleure compréhension
mutuelle ?
M. Jacques Blanc.
Bien sûr !
M. Philippe Marini.
Cela ne permettrait-il pas à nos jeunes magistrats du siège ayant acquis cette
connaissance concrète de parler de choses qu'ils auraient un peu vécues, au
lieu de ne les voir que de façon souvent trop théorique, voire défavorable ?
Madame le ministre, il est utile de réfléchir à tout cela, c'est certain, mais
il ne faut pas le faire en utilisant les méthodes qui ont permis à ce projet de
loi de voir le jour, ni au moment où les travaux parlementaires vont
s'interrompre en raison de la fin de la législature.
La réforme que vous nous présentez est inacceptable.
M. Jacques Blanc.
Tout à fait !
M. Philippe Marini.
En effet, elle inverse les bonnes priorités. Elle relève de cette « méthode
Montebourg » absolument détestable à tous égards.
M. Jacques Blanc.
Eh oui !
M. Philippe Marini.
Mais elle est également inacceptable sur le fond et dans son dispositif même.
Il n'est pas justifié, madame le ministre, de mettre fin à l'élection à deux
dégrés. Naturellement, au Sénat, il est normal que nous défendions l'élection à
deux degrés.
M. Robert Bret.
Eh oui !
M. Philippe Marini.
C'est une méthode utile de sélection des personnes les plus aptes, les plus
impliquées.
M. Jacques Blanc.
Comme ici !
(Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
C'est terrible ce que vous dites !
M. Philippe Marini.
Je voudrais m'expliquer sur cet aspect des choses.
Il s'agit non pas de créer un organe représentatif d'une catégorie
socioprofessionnelle, mais de juger des contentieux liés à la vie concrète des
entreprises. Il faut donc une implication, un engagement et une certaine
durée.
Croyez-vous que le dispositif électoral que vous nous proposerez nous
permettra de disposer d'un vivier de bons juges consulaires ? Croyez-vous que
l'on n'attisera pas, comme le rapporteur le craignait à juste titre, des
surenchères, des insatisfactions, des manoeuvres catégorielles qui n'ont rien à
voir avec la justice ?
Madame le ministre, supprimer l'élection à deux degrés est une profonde erreur
lorsqu'il s'agit de rendre la justice et lorsque c'est une justice consulaire,
une justice d'entrepreneur, une justice de commerçant. Permettez-moi, même si
cela vous apparaît politiquement incorrect, d'exprimer cette conviction, car je
suis de ceux qui n'acceptent pas de se plier, parce que c'est la mode, à des
mesures dont on leur dit qu'elles sont inéluctables, mais qui, en vérité,
véhiculent un fort contenu idéologique.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Vous n'êtes pas le seul !
M. Philippe Marini.
En outre, madame le ministre, la réforme que vous proposez encourt un très
grave reproche : comme la réforme de Mme Guigou, votre prédécesseur, en matière
de droit pénal et de respect de la présomption d'innocence, c'est une réforme
qui suppose la création de nombreux postes de magistrats sans que l'on s'en
soit donné les moyens. Si, par malheur, cette réforme était adoptée, sa mise en
oeuvre aurait à peu près les mêmes effets que celle de la loi renforçant la
protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes,
c'est-à-dire qu'elle donnerait lieu à de nombreux blocages et à beaucoup
d'incohérences parce que les moyens n'auront pas été prévus.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Eh oui !
M. Jacques Blanc.
C'est la méthode Jospin !
M. Philippe Marini.
Une fois de plus, vous aurez fait de l'institutionnel au détriment du
règlement au fond des problèmes et dans le cadre d'un budget et d'une
organisation judiciaire qui, aujourd'hui et demain, compte tenu des priorités
du Gouvernement auquel vous appartenez, ne permettraient pas de réaliser une
justice commerciale jouant correctement son rôle.
Enfin, madame le ministre, cette réforme est volontairement déséquilibrée : la
mixité que vous proposez, au lieu d'être l'enrichissement mutuel auquel je
faisais allusion, a été conçue et déclinée de manière vexatoire. Comme l'a fait
très opportunément M. le rapporteur, nombre de nos collègues en apporteront des
preuves et des éléments étayés de démonstrations.
Madame le ministre, en vérité, ce n'est pas une réforme des juridictions
consulaires que vous nous proposez ; c'est une véritable nationalisation, si
j'ose dire, des tribunaux de commerce.
(Mme le garde des sceaux s'esclaffe.)
C'est mettre de côté toute une tradition de bénévolat, de conscience
professionnelle et de fonctionnement de cette justice nécessaire au bon ordre
des affaires. C'est renverser l'ordre normal des priorités. C'est créer de
nouvelles incompréhensions entre deux catégories de magistrats, les magistrats
issus des rangs des marchands étant considérés, par définition et au départ,
comme inférieurs et simplement dignes de remplir quelques tâches accessoires,
voire subalternes.
Madame le ministre, vous comprendrez que, dans ces conditions il ne soit pas
raisonnablement possible d'engager l'examen en première lecture de ce texte.
Dès lors, la meilleure solution en même temps que le signal le plus clair que
le Sénat puisse adresser à l'ensemble du réseau de la justice consulaire est de
voter la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la
commission des lois.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Béteille.
M. Laurent Béteille.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes
tous d'accord, me semble-t-il, pour considérer qu'une réforme des tribunaux de
commerce est nécessaire ; le constat en ce domaine ne date pas d'hier. La carte
judiciaire est devenue obsolète, le mode de recrutement des juges consulaires
trop étroit, et leur formation juridique est à améliorer. Parallèlement, un
certain nombre de mesures seraient nécessaires, comme le renforcement de la
présence des parquets, dont c'est le rôle, auprès des juridiction
consulaires.
D'ailleurs, les juges consulaires sont tout à fait prêts à faire évoluer leur
mandat, ce qui ne doit pas nous surprendre puisque le monde des affaires dont
ils sont issus est lui-même en perpétuelle évolution. Je rappelle qu'ils ont
eux-mêmes proposé, dès 1997, une réforme des juridictions commerciales.
Ils souhaitent recevoir une formation juridique plus poussée, eux qui
éprouvent parfois des difficultés, en particulier les jeunes juges, face à une
législation de plus en plus complexe. Ils appellent également de leurs voeux un
élargissement du corps électoral et du mode de recrutement, de sorte que les
candidats à la fonction de juge consulaire soient plus nombreux
qu'actuellement. Enfin, ils ne refusent pas, sous certaines conditions, le
principe de la mixité, contrairement à ce qu'un soupçon de corporatisme et de
préservation des intérêts acquis a pu laisser croire.
Dès lors, était-il nécessaire, mes chers collègues, de faire peser sur eux une
telle suspicion par des critiques excessives et même scandaleuses condamnant
l'institution des juges consulaires elle-même, par une mise en cause «
ontologique », comme l'écrit fort justement notre rapporteur ? Etait-il
nécessaire d'exagérer quelques affaires retentissantes pour disqualifier une
institution dont il faut d'abord dire qu'elle rend d'excellents services à la
justice de notre pays ?
Alors que le service public de la justice manque dramatiquement de moyens,
notamment humains, reconnaissons aux juridictions consulaires le mérite de
prendre des décisions de justice tout en étant composées de bénévoles.
On a beaucoup insisté, dans cette enceinte, au moment de la discussion du
budget de votre ministère ou lors de l'examen du texte relatif à la présomption
d'innocence, sur la véritable pénurie de magistrats dont souffre notre pays. Il
est vrai que les effectifs de magistrats on fort peu évolué, alors que la
délinquance a, elle, beaucoup changé et que les procédures se sont multipliées
pour atteindre des niveaux aujourd'hui inédits. Et, pour toute réponse, on
s'est contenté de supprimer la collégialité pour un certain nombre d'affaires
!
N'est-il pas paradoxal, dans ces conditions, d'élaborer des réformes qui, à
l'instar de celle du 15 juin 2000, exigent pour leur mise en oeuvre, de plus en
plus de magistrats ? On voit pourquoi l'engagement que l'on prend d'allouer au
fonctionnement des tribunaux de commerce un certain nombre de magistrats
professionnels ne peut pas manquer de nous inquiéter !
Chaque année, 3 100 juges consulaires rendent plus d'un million de décisions.
Ils le font bénévolement, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas rétribués, et
au-delà, puisque, pour avoir interrogé un certain nombre d'entre eux, je sais
que certains se procurent à leur frais le matériel informatique sur lequel ils
tapent eux-mêmes leurs décisions. Inutile de vous dire que ce n'est pas le cas
des magistrats professionnels !
Le coût d'un jugement rendu par un tribunal de commerce revient, en moyenne, à
4,5 euros, contre 540 euros pour un jugement de tribunal de grande instance.
Ainsi le budget alloué aux tribunaux de commerce est-il parfaitement dérisoire
au regard des missions assumées : il s'élève à 5 millions d'euros seulement.
On peut dire aussi que ces magistrats font preuve d'une grande disponibilité,
bien qu'ils exercent une profession par ailleurs. Cela leur permet de rendre
une justice relativement rapide, comme l'a souligné M. le rapporteur, et
adaptée aux exigences de la vie commerciale. Ainsi, le durée moyenne de
traitement des affaires contentieuses était de six mois devant les tribunaux de
commerce, contre neuf mois devant les tribunaux de grande instance. Je ne parle
pas des cours d'appel, qui répondent à d'autres exigences.
Le taux d'appel est très voisin - légèrement plus faible - que celui des
autres tribunaux ; quant au taux d'infirmation, il ne dépasse guère 3 %, ce qui
montre la qualité des décisions rendues.
Ce qu'il faut d'ailleurs souligner, au-delà des chiffres, c'est une
remarquable adéquation de la justice consulaire à la vie des affaires, fruit
d'une excellente connaissance des milieux économiques et du pragmatisme des
juges consulaires, qui apportent une contribution essentielle à l'évolution et
à l'élaboration du droit des affaires.
On leur doit l'introduction de nombreux dispositifs qui ont été repris
ultérieurement dans la législation, dans le domaine de la prévention des
difficultés des entreprises, pour les règles de convocation des dirigeants ou
celles qui sont relatives au comportement des organismes de crédit.
Ainsi, il convient de rendre hommage au travail remarquable des juges
consulaires dans leur ensemble et de renforcer et de soutenir une institution
exemplaire qui, depuis quatre siècles, a toujours su s'adapter, rendant une
justice rapide, efficace et peu coûteuse.
Après ces considérations pratiques, permettez-moi de souligner que les juges
consulaires ont une légitimité, légitimité qui fait défaut aux juges
professionnels de l'ordre judiciaire, eux qui ne doivent qu'à la réussite à un
concours le droit de rendre la justice au nom du peuple français.
Les juges des tribunaux de commerce ont été élus par les justiciables, devant
le collège desquels ils devront se représenter s'ils souhaitent poursuivre leur
mission.
Aussi, comment ne pas dire aujourd'hui que cette réforme nécessaire a été bien
mal menée ?
Rarement la phase préparatoire d'un projet de loi aura donné lieu à autant
d'outrances. Rarement une réforme aura manifesté autant de mépris pour ceux
qu'elle concerne.
Les rapports de la commission d'enquête sur l'activité et le fonctionnement
des tribunaux de commerce, dont le président était M. Colcombet et le
rapporteur M. Montebourg, sont devenus de véritables réquisitoires. Qu'on en
juge à ces quelques citations : « Toute l'institution est pourrie », «
l'institution est plus gangrénée que je ne le pensais » ; « justice de
connivence » ; « les tribunaux de commerce ne présentent aucune garantie
d'indépendance » ; « ces gens étaient plus âpres au gain que soucieux de
service public »... J'en passe.
C'était absolument scandaleux, et cette réforme commençait vraiment bien mal
!
C'est pourquoi, madame le ministre, votre gouvernement, conscient des
outrances du rapporteur et du vice originel qui frappait cette réforme,
décidait prudemment de l'enterrer pendant un certain temps.
Tout à coup, elle ressurgit, l'année dernière, assortie d'une procédure
d'urgence - une de plus ! -, et ce apparemment contre votre souhait, exprimé
quelques jours plus tôt. Preuve que la sérénité n'était pas pour autant
revenue, 90 % des tribunaux de commerce s'étaient alors mis en grève - ce
n'étaient pas seulement quelques magistrats - et le mouvement se prolongea
pendant plusieurs semaines.
La déclaration adoptée par le tribunal de commerce de Paris voilà exactement
un an résume bien le climat qui entoure cette réforme depuis son origine : «
Favorables à une modernisation des tribunaux de commerce, mais opposés à une
réforme incomplète fondée sur la suspicion et l'inégalité, présentée dans
l'urgence, les juges consulaires suspendent leur activité juridictionnelle.
»
Puis, là encore, il faudra attendre un an pour que le projet de loi, examiné
par l'Assemblée nationale, soit inscrit à l'ordre du jour du Sénat, à quelques
jours de la fin de la législature, après que l'on nous eut dit qu'il ne serait
pas examiné lors de cette session. Il y a pour le moins une erreur de
méthode.
Pourtant, comme je le disais en commençant, cette réforme est nécessaire.
La carte judiciaire doit être revue et rationalisée, pour tenir compte du
tissu économique actuel, qui a bien changé depuis le xixe siècle. L'alignement
des juridictions commerciales sur le ressort des tribunaux de grande instance
pourrait résoudre nombre des problèmes soulevés, en permettant notamment au
parquet d'être plus présent lors des procédures collectives et ainsi de mieux
les contrôler. Chacun étant d'accord sur ce point, rien n'empêche de mettre en
oeuvre cette réforme, sauf peut-être - là aussi - la pénurie de magistrats.
Le corps électoral doit être élargi et inclure toutes les personnes inscrites
au répertoire des métiers, pour que les justiciables des tribunaux de commerce
participent à la désignation de ceux qui les jugent. Le mode de recrutement
doit également être élargi, pour susciter des candidatures plus nombreuses aux
élections consulaires : alors que la magistrature consulaire connaît une
certaine « crise des vocations », ce ne sont pas la suspicion et l'opprobre
jetés sur les personnes qui vont arranger les choses.
Nous l'avons déjà dit : la formation juridique des juges consulaires,
notamment de ceux qui sont nouvellement élus, est nécessaire, compte tenu de la
complexité croissante du droit des affaires et de son caractère de plus en plus
international. Parallèlement, il faudrait aussi apporter aux juges
professionnels éventuellement affectés dans les tribunaux de commerce une
formation complémentaire.
Je dois dire, cependant, parce qu'il ne faudrait pas laisser s'installer la
caricature, qu'il y a, parmi les magistrats consulaires, des juristes de très
grande classe,...
M. Paul Girod,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Laurent Béteille.
... des magistrats dont la formation juridique très approfondie en fait des
spécialistes et même des autorités incontestées dans un certain nombre de
domaines du droit des affaires.
S'agissant de la mesure phare de ce projet de loi, à savoir l'introduction de
magistrats professionnels dans les juridictions consulaires, on peut
s'interroger : où va-t-on trouver les effectifs nécessaires, alors que le
nombre de magistrats est déjà notoirement insuffisant ? Je pourrais citer
l'exemple du tribunal de grande instance d'Evry, que je connais bien. Le nombre
de postes de magistrats est déjà faible mais, en plus, il manque en permanence
une dizaine de magistrats par rapport aux effectifs théoriques. Où va-t-on
trouver les effectifs des magistrats professionnels qui viendront siéger, en
plus, au tribunal de commerce ?
Je ne crois pas que le principe de l'échevinage soit critiquable en soi. Ce
qui est critiquable, en revanche, c'est la manière avec laquelle les
initiateurs du projet ont présupposé la supériorité des magistrats
professionnels sur les juges consulaires pour leur donner
ipso facto
une
place prépondérante au sein des juridictions. Visiblement, nous ne sommes pas
les seuls à avoir eu cette impression, à en juger par les réactions des juges
consulaires eux-mêmes.
Par ailleurs, si le principe de la mixité est bon, pourquoi ne pas l'appliquer
aux tribunaux de grande instance compétents en matière commerciale ?
Heureusement, à la demande du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté une
position de repli, en limitant la compétence de la chambre mixte au domaine des
procédures collectives. On est loin, certes, de la surenchère originelle, quand
on faisait de ce principe le remède absolu contre la gangrène qui, selon
certains, atteignait l'institution consulaire.
Cependant, par souci de cohérence et de parallélisme, ne conviendrait-il pas
également de revoir la composition des juridictions de grande instance
lorsqu'elles traitent des affaires commerciales et d'y introduire des
magistrats consulaires ?
Madame le ministre, en conclusion, ce projet de loi aurait pu être l'occasion
d'entreprendre la réforme d'ensemble attendue par les différents acteurs de la
vie judiciaire et économique depuis trente ans. Une telle réforme globale
aurait inclus non seulement les tribunaux de commerce, mais aussi la
réorganisation de la carte judiciaire et la réforme des procédures
collectives.
Cependant, force est de le constater, le rendez-vous est manqué, comme l'a
fort bien démontré notre rapporteur, que je tiens ici à saluer pour la qualité
de son travail.
Madame le ministre, ce projet de loi est examiné dans de mauvaises conditions
: en urgence, en fin de législature, sous la pression de certains des membres
de votre majorité, après quatre ans d'atermoiements et d'hésitations, sans la
sérénité nécessaire à une réforme de cette ampleur, sans consensus, sans
concertation suffisante avec les acteurs de l'institution consulaire.
En outre, il manque à ce projet de loi la réforme des procédures collectives,
pourtant indissociable de la réforme des tribunaux de commerce.
Enfin, ce texte aggravera encore la dramatique pénurie des effectifs de
magistrats, sans même prendre en compte le problème, essentiel, du manque de
moyens alloués au service public de la justice, mission régalienne de l'Etat.
C'est la raison pour laquelle nous voterons la question préalable.
(M. le
président de la commission et le rapporteur applaudissent.)
M. le président.
La parole est à M. Gerbaud.
M. François Gerbaud.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans ce débat
où tout a déjà été pratiquement dit, nous partageons au moins deux certitudes :
en premier lieu, l'urgence n'est pas la bonne méthode ; en second lieu,
personne ne conteste la nécessité d'une réforme des tribunaux de commerce,
notamment les juges consulaires eux-mêmes.
Il n'en est pas moins vrai que tout est dans la méthode, et la vôtre, madame
la ministre, est discutable, tant dans la conception générale de ce que vous
nous présentez comme une réforme que dans les détails du projet de loi.
D'une manière générale, en effet, aucune réforme sérieuse ne peut se concevoir
sans respecter deux priorités, à savoir, d'une part, une réforme profonde des
procédures collectives et, d'autre part, une refonte véritable de la carte
judiciaire. Négliger ces deux priorités, c'est risquer de bâtir sur le
sable.
Réformer les procédures collectives est certes difficile. Votre lointain et
brillant prédécesseur, notre collègue Robert Badinter, s'y était attelé en
1985. Le résultat n'avait pas été à la hauteur de ses efforts. Diverses mesures
législatives et réglementaires en avaient atténué, en 1987, les faiblesses les
plus évidentes, sans toutefois parvenir à des solutions satisfaisantes.
Vous avez choisi de régler le problème en l'ignorant. Ne vous étonnez donc pas
de notre désapprobation. Sans doute considérez-vous que votre projet de loi
relatif aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la
liquidation des entreprises et experts en diagnostics d'entreprises est
susceptible de constituer un progrès au moins partiel. Nous n'en sommes pas
totalement convaincus.
Quant à la carte judiciaire, le rapporteur de la commission des lois de
l'Assemblée nationale lui-même, qui est pourtant de votre sensibilité, n'a pu
que déplorer votre choix de faire l'impasse sur son indispensable refonte.
Il note, en particulier, que « la conjonction de l'introduction de la mixité
au sein des tribunaux de commerce et de leur éparpillement sur le territoire
génère un coût direct pour les finances publiques, en raison de son impact, en
termes de nombre de postes de magistrats professionnels à créer ».
On ne saurait mieux souligner ce que j'appellerai l'inadéquation d'une réforme
qui prétend corriger un défaut, sans se soucier d'un autre défaut bien plus
important celui-là, à savoir son coût : nous retrouvons là une démarche à
laquelle nous ne sommes que trop habitués.
Réformer, c'est bien, c'est même très bien, mais prévoir l'impact des réformes
sur les finances publiques, c'est mieux. Or, souvent, ce n'est pas le cas.
Par ailleurs, M. Colcombet, rapporteur du projet de loi à l'Assemblée
nationale, n'ose pas trop insister sur l'impossibilité d'assurer une présence
effective du parquet devant des tribunaux de commerce éparpillés à l'excès.
Notre collègue Paul Girod, rapporteur de la commission des lois du Sénat, se
montre pertinemment plus précis sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, et
souligne les lacunes de l'organisation du parquet dans ce domaine, ainsi que la
faiblesse des créations de postes.
Compte tenu de la qualité du rapport de M. Paul Girod, je me bornerai à
évoquer quelques points qui me paraissent particulièrement propres à illustrer
les faiblesses du projet de loi.
Ainsi, le texte prévoit la création de chambres mixtes, composées d'un
magistrat de l'ordre judiciaire, président, et de deux juges élus, assesseurs.
Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? A côté de ces
chambres mixtes, subsisteront d'autres chambres qui seront composées uniquement
de juges consulaires.
Le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale indiquait
lui-même qu'il eût sans doute été préférable d'instaurer purement et simplement
l'échevinage plutôt que de s'en tenir à un compromis qu'il qualifiait
pudiquement « d'acceptable ». J'ajouterai que ce compromis est bancal et
probablement lourd de conséquences.
Ainsi peut-on légitimement craindre que les relations entre le président du
tribunal, juge consulaire, et le président de la chambre mixte, magistrat
professionnel, ne soient parfois difficiles et que le mécanisme d'arbitrage
prévu en cas de désaccord ne puisse pallier des tensions psychologiques
préjudiciables à l'administration d'une bonne justice.
Cependant, des difficultés bien plus graves encore ne manqueront pas de
surgir, j'en suis convaincu, en matière de compétences : les chambres mixtes,
en effet, auront une compétence d'attribution pour les litiges intéressant
l'ordre public économique, c'est-à-dire principalement les procédures
collectives, les chambres purement consulaires conservant le contentieux dit
général.
J'observe d'abord que les juges élus seront certainement heureux et fiers
d'être ainsi réduits à la portion congrue ! Je doute en réalité qu'ils
apprécient un système qui ne leur laisse que les conflits de peu d'importance
et qui réserve les affaires les plus difficiles aux chambres présidées par un
magistrat professionnel, lequel, si bon juriste qu'il soit, n'aura pas toujours
des connaissances aussi étendues que les leurs dans le domaine du droit des
affaires et des usagers du commerce. Cela a été dit.
Quel manque de confiance, en vérité !
J'observe ensuite que ce partage risque d'entraîner des conflits de compétence
entre les différentes chambres. Le texte prévoit un mécanisme, en apparence
relativement simple, pour régler les conflits, mais qu'en sera-t-il dans la
pratique ? Est-il vraiment facile de déterminer ce qui relève de l'ordre public
? On peut parfois en douter...
En outre, avec la création de ces chambres mixtes, on confie de nouvelles
tâches, fort lourdes, à des magistrats professionnels qui sont déjà si accablés
de travail qu'ils ne peuvent rendre leurs décisions, chacun le sait, qu'avec
des retards, hélas ! souvent trop importants. Combien faudrait-il créer de
postes de magistrats pour que les chambres mixtes puissent réellement aboutir à
d'heureux résultats, sans pour autant perturber le fonctionnement des
juridictions civiles et pénales, fonctionnement déjà compromis gravement par la
mise en oeuvre de la loi relative à la présomption d'innocence et par
l'application des 35 heures ?
La chancellerie estime prudemment à 250 le nombre de postes nécessaires.
Certains ont déjà été créés, c'est vrai, et parfois même réellement pourvus.
Mais les besoins des tribunaux sont tels que ces postes nouveaux sont déjà
complètement absorbés par la marche ordinaire et difficile de la justice.
Je donnerai un autre exemple de cette méthode qui consiste à souffler le chaud
et le froid. Nous avons vu que les affaires les plus importantes seraient
jugées par des chambres présidées par un magistrat professionnel : on semble
donc se défier quelque peu de la capacité des juges consulaires. En revanche,
l'article 8 du projet de loi indique que « Les fonctions de juge-commissaire
sont exercées par un juge élu ». Compte tenu de la complexité de certaines
affaires et du rôle éminent du juge-commissaire dans la procédure, on aurait pu
envisager de recourir parfois à un magistrat professionnel. En somme, on aurait
pu désigner les juges-commissaires au cas par cas. Eh bien non ! Dans tous les
cas, ce seront des juges élus. Ainsi peut-être a-t-on voulu ménager leur
susceptibilité, après avoir fait preuve par ailleurs d'une sourde et injuste
défiance à leur endroit.
Défiance, c'est hélas ! bien le mot. On pouvait concevoir d'instituer par
exemple une limite d'âge pour l'exercice des fonctions de juge consulaire mais,
compte tenu de l'expérience et de la disponibilité que requièrent ces
fonctions, le bon sens voulait qu'elle soit élevée. Soixante-quinze ans aurait
été une limite d'âge admissible. Or le texte initial prévoyait soixante-cinq
ans : c'était, comme le souligne notre collègue Paul Girod, véritablement
décapiter la magistrature consulaire.
Cette limite d'âge a certes été repoussée à soixante-huit ans par voie
d'amendement à l'Assemblée nationale, mais ce geste est évidemment tout à fait
insuffisant, eu égard à l'âge moyen des juges qui sont actuellement en cours de
mandat.
En réalité, la réforme qui nous est proposée aujourd'hui a été conçue dans un
esprit injustement soupçonneux, voire dédaigneux à l'égard des juges
consulaires considérés comme les représentants d'une « justice de connivence ».
Tels sont les termes mêmes d'un rapport d'enquête, que je n'accepte pas et dont
le ton témoigne de ce que j'appellerai l'inacceptable temps du mépris.
Dès lors, comment s'étonner de la réaction des intéressés ? Nous avons assisté
à des démissions par centaines et même à une grève.
A ce point de mon propos, j'ai peine à imaginer qu'au terme de cette
discussion votre projet de loi soit adopté. J'ai peine à imaginer la mise en
place d'une réforme conçue sans la moindre concertation et dont les principaux
acteurs ne veulent pas.
Comment pourraient-ils, en effet, alors même qu'ils ne sont pas
systématiquement opposés à toute réforme, accepter une réforme qui est faite
non seulement sans eux, mais contre eux ?
Notre rapporteur définit excellement ce texte comme un « bricolage législatif
».
N'avons-nous pas, là encore, un nouvel exemple des pratiques habituelles du
Gouvernement ?
Nous savons bien que le Gouvernement fait preuve d'une prudence extraordinaire
lorsqu'une réforme, à l'évidence indispensable, risquerait de déplaire à une
partie de son électorat. Je pense ici au grave problème des retraites, qui n'a
pas été abordé. En revanche, le Gouvernement a mené « tambour battant » la
réforme des 35 heures, que nul ne demandait et dont nous n'avons pas fini de
mesurer les conséquences désastreuses dans de très nombreuses activités.
Aujourd'hui, le Gouvernement entend faire adopter, en urgence, une réforme
imparfaitement ficelée, peu susceptible de lui nuire, mais que, par une
compilation que nous connaissons déjà, il pourra intégrer au bilan que M. le
Premier ministre ne cesse d'évoquer.
Il n'est pas d'une grande adresse politique que de se donner l'air de faire de
grandes réformes sans prendre à bras le corps les vraies difficultés. En
l'occurrence, le Gouvernement abandonne la refonte de la carte judiciaire et la
réforme des procédures collectives, c'est-à-dire les deux préalables
indispensables à toute réforme sérieuse.
Il est regrettable que la tentation de l'effet d'annonce l'emporte trop
souvent. Est regrettable aussi cette sorte d'indifférence quant aux
conséquences financières des réformes annoncées.
De surcroît, précipiter en fin de législature et à la veille d'importantes
élections nationales une réforme de cette importance, avec toutes les
conséquences qu'elle implique, est assez maladroit et ôte au projet tous les
caractères d'objectivité qui lui sont indispensables.
Pour conclure, madame le ministre, il me vient à l'esprit cette phrase de
Talleyrand, pour lequel j'ai quelque sympathie : « On ne va jamais aussi loin
que lorsqu'on ne sait pas où l'on va. » C'est le cas aujourd'hui. Mais comme en
ce domaine très délicat que nous traitons, on ne peut aller loin qu'avec
certitude, je crois qu'il faut effectivement être très prudent.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, le groupe du RPR votera bien
entendu la question préalable.
(Applaudissements sur les travées du RPR. -
M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat aura
donc décidé aujourd'hui d'enterrer la réforme des tribunaux de commerce.
M. Paul Girod,
rapporteur,
et M. Jean-Jacques Hyest.
Non !
M. Robert Bret.
Dans quelques instants, en effet, sera votée - il n'y a guère de suspens - la
question préalable portant sur la réforme des tribunaux de commerce et le
projet de loi organique y afférent.
Vous aurez ainsi choisi, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, de
vous opposer à l'introduction de la mixité au sein des juridictions consulaires
pour des raisons tenant, une fois de plus, à des considérations bien éloignées
du texte qui nous est soumis, plutôt que d'adopter une attitude constructive,
même si nous sommes à une semaine de l'interruption des travaux parlementaires
et si l'urgence a été demandée sur ce projet de loi.
On doit d'autant plus le déplorer que tout le monde, y compris la droite
parlementaire, admet sinon la nécessité, du moins l'intérêt de réformer
l'organisation et le fonctionnement des tribunaux de commerce.
Car la présente législature s'est malheureusement illustrée, on le sait, par
les soubresauts d'une institution née voilà quelques siècles, mais dont le
fonctionnement autarcique a été l'objet de critiques très dures, qui ont jeté
la suspicion, parfois injustement, il est vrai, sur l'ensemble de la profession
: en 1998, le rapport d'enquête de l'Assemblée nationale sur les tribunaux de
commerce devait révéler de graves dysfonctionnements, certains juges ayant
sacrifié l'intérêt général et celui des salariés au profit d'aménagements
douteux, voire, parfois, d'intérêts personnels.
Il devenait urgent de réformer le fonctionnement de cette justice, si l'on
voulait que se perpétue le principe original d'une justice rendue par des
professionnels de terrain, qui n'a pas toujours son équivalent en Europe.
Le Gouvernement s'y est d'abord attelé en procédant à une révision de la carte
judiciaire. Au total, trente-six tribunaux de commerce - quarante-trois, nous a
dit Mme la ministre - ont déjà été supprimés. Néanmoins, le Gouvernement a
rapidement rencontré de vives résistances, particulièrement de la part des
juges consulaires : le bras de fer commençait.
Depuis lors, il faut déplorer les réactions de crispation parfois
jusqu'au-boutistes qui ont conduit à plusieurs reprises à des situations
d'impasse. Aujourd'hui encore, vous le savez, des tribunaux de commerce sont en
grève sur la question de la présidence de la chambre mixte.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen le regrettent
d'autant plus qu'il leur semble que la réforme était parvenue à un point
d'équilibre satisfaisant. L'introduction de la mixité, le renforcement de la
déontologie, le renforcement des incompatibilités, la démocratisation du mode
d'élection des juges consulaires, tout comme les limites de durée d'exercice,
permettent en effet de se conformer pleinement aux exigences de la Convention
européenne des droits de l'homme en matière de droit à un juge impartial. En
outre, monsieur le rapporteur, ce n'est pas parce que la France n'a jamais été
condamnée sur ce terrain que notre législation est forcément irréprochable.
La mixité nous semble particulièrement bienheureuse, car l'alliance des
expériences, de la formation et des qualités respectives des magistrats
professionnels et non professionnels ne peut qu'être enrichissante et profiter
au justiciable, qui doit être, vous en conviendrez tous, le principal
bénéficiaire de la réforme.
On ne peut que déplorer, de ce point de vue, la limitation du champ de la
mixité aux seules procédures collectives, bien en deçà de ce que prévoyait le
texte initial, et le combat d'arrière-garde mené par certains tribunaux
s'agissant de la présidence de cette chambre. Cette réaction ne peut
qu'alimenter la défiance à l'encontre des juges consulaires, suspectés de
vouloir défendre un pré carré et qui risquent d'être les principales victimes
de cette situation.
En effet, à nos yeux, la mixité est une chance, et le fait de la transposer à
l'échelon de la cour d'appel n'est pas apprécié à sa juste valeur. D'ailleurs,
comme mon collègue député Patrice Carvalho, je considère qu'il serait tout à
fait utile d'appliquer le principe de mixité aux chambres sociales d'appel, de
façon à y faire entrer les représentants des salariés.
Les fondements de la réforme étaient donc bons, et il est très dommage que la
majorité sénatoriale refuse d'en discuter. Je dois dire que je suis loin d'être
convaincu de l'opportunité de débattre d'une motion tendant à opposer la
question préalable à ce texte...
Ce ne sont pas les arguments développés dans l'exposé des motifs de la motion
qui nous posent problème : ils ne sont pas, en effet, sans rejoindre un certain
nombre de nos préoccupations.
En particulier, il faut bien dire que la réforme des procédures collectives
nous paraît tout à fait prioritiare, tant il est vrai que le principe posé à
l'article 1er de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, qui fait de la
préservation de l'emploi l'un des objectifs légaux d'une procédure collective,
est loin d'avoir une portée pratique.
On sait, en effet, combien les procédures tendent à privilégier les créanciers
par rapport aux salariés, ce qui a même pu conduire à faire reconnaître la
qualité de créancier à un groupe dont l'une des sociétés avait été mise en
liquidation judiciaire : je pense ici au cas d'Alsthom, devenu créancier des
Ateliers mécaniques Saint-Florent.
Quand on sait que le rapport établi par Mme Franchi, membre de la division
économique et financière du parquet, relève que 90 % des procédures collectives
aboutissent à des liquidations judiciaires, on mesure la faible efficacité du
système et l'urgence de la réforme.
A l'heure où il est plus rentable de prononcer l'oraison funèbre d'une
entreprise que d'essayer de la faire vivre, la réforme des formations de
jugement peut en effet paraître paradoxale : les hommes auront beau être les
plus compétents et les plus vertueux de la Terre, tant que les procédures
n'évolueront pas, les mêmes schémas s'appliqueront.
Les conséquences, en termes d'emploi, des décisions de redressement et de
liquidation judiciaires des entreprises sont telles - 30 % des licenciements
économiques sont concernés - que l'on ne peut aujourd'hui faire l'économie
d'une refonte des lois du 1er mars 1984 et du 25 janvier 1985.
Pour autant, doit-on, comme le préconise M. le rapporteur, faire de cette
réforme un préalable ? Nous ne le pensons pas, d'autant que cet argument sert
d'alibi à la majorité sénatoriale, hostile, au fond, à l'institution de
chambres mixtes.
Pour notre part, nous pensons que la réflexion doit aller bien au-delà et que
si l'on persiste à n'aborder la question que sous l'angle du droit commercial,
sans faire le lien avec les conseils prud'homaux et le code du travail, on ne
progressera pas.
Il aurait été souhaitable de pousser plus loin l'application du principe de
mixité, en ouvrant les formations de jugement commerciales à des conseillers
prud'homaux ; une telle réforme aurait permis la représentation des salariés
lors des procédures de liquidation judiciaire.
Plus fondamentalement, dans une période où l'accent est mis sur les intérêts
de l'actionnaire, à l'aune exclusive desquels doit être apprécié l'intérêt de
l'entreprise, on mesure l'enjeu que constitue le fait d'imposer le salarié
comme interlocuteur à part entière dans les procédures collectives.
En cas de dépôt de bilan, de fermeture d'une entreprise ou de maintien de
l'activité avec repreneur, si les enjeux peuvent paraître différents, les
exigences des salariés et des collectivités locales sont convergentes : les
premiers souhaitent ne plus être considérés comme des acteurs mineurs ou
passifs ; les secondes veulent que l'on reconnaisse davantage la responsabilité
de l'Etat vis-à-vis des territoires et des bassins d'emploi touchés par les
fermetures de sites.
Le projet de loi de modernisation sociale, dans son volet relatif à la
prévention des licenciements économiques, comporte, sur ces questions, des
avancées indiscutables. Je rappelle également que, depuis le début de la
législature, les parlementaires communistes demandent un moratoire s'agissant
des licenciements économiques.
La jurisprudence économique et sociale récente, notamment la décision du
Conseil constitutionnel, nous renforce dans la conviction qu'il faut défendre
la capacité du politique à imposer des lignes directrices à un pouvoir
économique qui finit par ne plus accepter que l'auto-régulation.
Les propos tenus par M. Houillon à l'Assemblée nationale étaient, de ce point
de vue, tout à fait éclairants. Il s'interrogeait en effet sur l'opportunité
d'une intervention judiciaire dans le domaine commercial, alors que, selon lui,
l'arbitrage avait fait ses preuves à l'étranger. Mais on sait bien de quelles
preuves il s'agit : celles de l'émancipation totale du libéralisme des
contraintes du politique, conformément aux principes de la réforme idéologique
tant souhaitée par nos collègues Philippe Marini et Jean-Pierre Fourcade, que
nous avons entendus à l'instant...
Le second argument de la majorité sénatoriale est plus convaincant.
La poursuite de la réforme de la carte judiciaire apparaît en effet comme un
impératif, et il y a une certaine incohérence à demander à des magistrats
professionnels de siéger au sein de tribunaux de commerce ayant vocation à
disparaître ! Nous ne sommes pas dans une période d'abondance du personnel
judiciaire telle que nous puissions nous permettre de recourir à ce genre de
pratiques, d'autant que la réforme risque d'être « coûteuse » en moyens humains
et que, après la douche froide de la loi du 15 juin 2000, nous devons être
prudents, afin d'éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets et
que la mise en oeuvre de la réforme ne se trouve paralysée faute de
personnels.
Avouons cependant que les élus ne manifestent pas beaucoup de bonne volonté
pour faire avancer ce dossier et que l'on peut aisément nous renvoyer la balle
: la réforme de la carte judiciaire est souvent défendue par les élus, quelles
que soient les travées sur lesquelles ils siègent pour autant que leur
circonscription n'est pas directement concernée...
Mon groupe ne votera pas la motion tendant à opposer la question préalable,
parce que nous savons bien que celle-ci masque une hostilité de principe à
toute réforme de la juridiction commerciale.
Deux éléments nous confortent dans cette idée.
En premier lieu, la position défendue par la majorité sénatoriale relève de
l'immobilisme : pas de réforme du tout plutôt qu'une petite réforme, dont elle
admet pourtant qu'elle pourrait être utile.
En second lieu et surtout, l'argument avancé par la majorité sénatoriale
trouve immédiatement ses limites dans le refus de l'appliquer au texte relatif
aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des
entreprises et experts en diagnostics d'entreprises ! Comme si ce texte
échappait, par je ne sais quel miracle, à la nécessité d'une réforme des
procédures collectives, alors que les professions concernées réclament
elles-mêmes une telle réforme ! Comme si l'exercice de ces dernières ne
dépendait aucunement de la carte judiciaire !
Il faut donc bien admettre que la majorité sénatoriale ne cherche ici qu'à
faire un coup politique à la veille d'échéances électorales. C'est pourquoi le
groupe communiste républicain et citoyen ne pourra pas la suivre et votera, je
l'annonce dès à présent, contre la motion tendant à opposer la question
préalable. Il en ira d'ailleurs de même pour le projet de loi organique
modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique
relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de
conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire, qui fait lui aussi
l'objet d'une motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne
soulignerai pas, à la suite de plusieurs orateurs, comment nous traitons des
dossiers importants, en présentant un texte à la fin d'une législature, après
avoir, de surcroît, déclaré l'urgence. Cela étant, plus l'on se rapproche de la
suspension des travaux parlementaires, plus l'urgence devient manifeste !
Néanmoins, il n'est tout de même pas très raisonnable de présenter maintenant
un texte dont l'adoption bouleverserait considérablement l'organisation
juridictionnelle dans le domaine commercial. Ce motif, à lui seul, suffirait
d'ailleurs à justifier le dépôt d'une motion tendant à opposer la question
préalable.
Monsieur le ministre, les raisons historiques expliquant l'existence des
tribunaux de commerce ont été rappelées tout à l'heure. Nous disposons, dans ce
pays, d'un système tout à fait spécifique de règlement des litiges commerciaux
et, surtout, des problèmes liés aux procédures collectives.
M. Bret affirmait à l'instant que, dans ce dispositif, le créancier est
privilégié. Cela est vrai, mais, alors que, dans le droit anglo-saxon, lui seul
est privilégié, nous disposons, dans notre arsenal législatif, des lois de 1984
et de 1985, qui avaient été promues par M. Badinter, à l'époque garde des
sceaux.
Certes, ces lois doivent faire l'objet d'un certain nombre de modifications,
mais l'esprit qui les sous-tend ne doit pas être remis en cause, s'agissant
notamment du volet afférent à la prévention.
En effet, quand les tribunaux de commerce ont les moyens de bien appliquer la
loi de 1984, le dispositif de prévention donne de très bons résultats, ainsi
que cela a pu être vérifié dans un certain nombre de grandes juridictions.
En ce qui concerne la loi de 1985, si les liquidations sont certes nombreuses,
comme le fait apparaître un récent rapport de l'Office d'évaluation de la
législation, certaines d'entre elles devraient être beaucoup plus rapides. En
effet, vouloir redresser à tout prix des entreprises alors que ce n'est pas
possible est une erreur et aboutit à léser tout le monde : les salariés, les
créanciers, mais aussi, par exemple, les sous-traitants.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Et les fournisseurs !
M. Jean-Jacques Hyest.
En outre, j'ai déjà déploré, à plusieurs reprises, le manque de fonds propres
des entreprises, l'existence du crédit interentreprises, qui constitue une
singularité de notre pays, ainsi que la longueur des délais de paiement. Tous
ces facteurs cumulés entraînent souvent des difficultés en cascade dans les
entreprises, et ce n'est pas parce que l'on aura réformé les tribunaux de
commerce que ces problèmes seront résolus.
Il eût mieux valu, à mon sens, s'atteler d'abord à la réforme des procédures
collectives. L'esprit des lois de 1984 et de 1985 ne doit pas être remis en
question, je le redis, mais il est nécessaire de modifier certains éléments du
dispositif et de simplifier les procédures. J'aborderai maintenant la question
de la carte judiciaire.
Les tribunaux de commerce, de même qu'un certain nombre de tribunaux de
l'ordre judiciaire, de brigades de gendarmerie et de commissariats de police,
sont les héritiers de l'histoire. Une évolution de leur carte est certainement
souhaitable, mais les problèmes que rencontrent ces juridictions tiennent, pour
une grande part, au fait que, dans certaines petites villes de province, il est
parfois bien difficile à un juge consulaire qui est aussi un chef d'entreprise
de prendre rapidement les décisions qui s'imposent, notamment en matière de
déclaration de cessation de paiements. Il n'est pas question de corruption ! La
justice de proximité est souvent une bonne chose, mais cela n'est pas vrai dans
le cas des tribunaux de commerce. Au contraire, mettre quelque distance entre
le justiciable et le juge me paraît ici souhaitable.
La réforme de la carte judiciaire, qui a été entreprise mais n'a pas été menée
assez loin, mérite donc de tenir une place particulière dans le dispositif,
monsieur le ministre. Cela est d'autant plus vrai que si des juges
professionnels devaient un jour être agrégés aux juridictions consulaires, il
conviendrait d'économiser les moyens humains, ce que ne permettrait guère
l'organisation actuelle. Or nous savons bien que d'autres tâches requièrent les
magistrats professionnels, et la révision de la carte judiciaire constitue
donc, à mes yeux, une priorité.
Quoi qu'il en soit, seuls les juges consulaires peuvent jouer un rôle en
matière de prévention, monsieur le ministre, car jamais un magistrat
professionnel ne pourra accomplir une tâche de cet ordre.
L'existence des tribunaux de commerce est donc rationnelle ; le malaise vient
du fait que les juges consulaires ont été très meurtris par les critiques
excessives dont ils ont fait l'objet. A cet égard, je ne reviendrai pas sur un
certain rapport, qui instruisait un véritable procès en sorcellerie. Il faut de
plus dénoncer les méthodes employées par la commission d'enquête de l'Assemblée
nationale : on n'avait jamais vu cela, même dans un local de police judiciaire
ou,
a fortiori,
dans un cabinet d'instruction, où les personnes sont
traitées avec plus de respect et où l'on respecte certainement les droits de la
défense et le principe du contradictoire. Un certain nombre de personnes tout à
fait dignes et respectables m'ont rapporté la manière dont elles avaient été
traitées lors de leur audition devant la commission d'enquête : ce n'est pas
une bonne manière pour élaborer une législation.
J'expliquerai tout à l'heure, ou plus probablement mardi prochain, à
l'occasion de l'examen d'un autre texte, combien les approximations, les
éléments mensongers contenus dans le rapport de la commission d'enquête et qui
sont présentés comme des vérités disqualifient leurs auteurs ; je dénoncerai le
procès injuste fait aux juridictions consulaires.
On ne peut pas dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
J'ai indiqué que la proximité ne me paraissait pas toujours souhaitable et
qu'il était nécessaire d'améliorer le recrutement, afin que les magistrats
soient réellement représentatifs, notre excellent rapporteur, M. Paul Girod, a
d'ailleurs déposé une proposition de loi sur ce sujet. En effet, le projet de
loi pèche un peu à cet égard. On risque d'avoir des magistrats qui ne
présentent pas toutes les garanties en matière de formation. Il faut trouver un
équilibre entre une certaine cooptation, ce qui peut être le cas aujourd'hui,
et une élection, mais sans doute au deuxième degré, afin que les juges
consulaires soient des personnes sérieuses et qu'ils représentent l'ensemble du
monde économique, notamment les artisans.
Que l'on renforce des procédures disciplinaires et la déontologie, que l'on
améliore le recrutement, qu'il puisse y avoir des juges stagiaires, que la
durée des mandats soit limitée, pourquoi pas ? Mais cette réforme nécessite du
temps et, surtout, une parfaite concertation, sinon les meilleurs juges
consulaires partiront. Or s'il ne reste que ceux qui sont attachés à leur robe
et qui ne sont pas les plus compétents, nous n'aurons pas gagné à cette
réforme. S'agissant de la mise en place éventuelle des chambres mixtes, on
aurait pu - je ne parle pas de la présidence de ces chambres - envisager une
harmonisation des relations entre les juges consulaires et le magistrat en
charge de ces questions. On se serait alors aperçu qu'il était possible de
trouver, selon les endroits, des solutions différentes.
Qu'il y ait des juges professionnels, j'en suis d'accord, à condition que la
Chancellerie ait réellement les moyens de les affecter. Encore faut-il trouver
des magistrats qui aient cette qualification. Je ne dis pas, comme certains,
que, pour être juge consulaire, il faut être chef d'entreprise. En effet, il
faut aussi être juriste. Autrement, pour être juge dans une juridiction pénale,
il faudrait pratiquement être un voyou.
(Sourires.)
Ce n'est pas une
bonne comparaison ! Hélas, peu de juges connaissent le nom de l'entreprise et
ont des notions de droit commercial. Il est vrai que, dans certaines
juridictions, ce sont des juges professionnels qui traitent les questions
relevant du droit commercial. Tout à l'heure, une petite discussion a eu lieu
entre M. le rapporteur et Mme le garde des sceaux sur la rapidité et
l'efficacité.
Bien entendu, si se produisait un jour une évolution des juridictions
consulaires, il faudrait aussi mettre en place des juridictions consulaires là
où il n'y en a pas. En effet, un vrai problème d'égalité se pose à cet égard
dans notre pays. Cela poserait peut-être le problème particulier de
l'Alsace-Moselle, dont la spécificité est admise et doit être maintenue.
Dans de nombreux domaines de la justice, la mixité pourrait être poussée
beaucoup plus loin. Je pense à la justice pénale et en particulier aux
tribunaux correctionnels. A l'instar de la Nouvelle-Calédonie et de la
Polynésie, où cela fonctionne, monsieur le ministre, si on mettait des juges
non professionnels dans les juridictions correctionnelles, nous pourrions faire
des progrès. La question est ouverte.
Je crois que cette réforme est nécessaire mais procédons à la réforme des
procédures collectives puis à celle de la carte judiciaire avant de l'engager
et faisons-le dans une meilleure concertation. En effet, il ne faut pas heurter
ceux qui, je vous l'assure, se consacrent avec beaucoup de dévouement à cette
cause, car, eux aussi, ils ont le souci et de l'entreprise et des hommes qui la
constituent. Il ne faut donc pas les désespérer. Or la réforme telle qu'elle a
été présentée, pas tant d'ailleurs du fait du Gouvernement que de celui d'un
certain nombre de députés, ne permet pas d'aboutir aujourd'hui dans les
conditions requises de sérénité. Il me semble préférable que le problème soit
repris quand les esprits seront apaisés et, peut-être, quand certains
procureurs auront disparu
(Sourires)
... de la scène politique. Je ne
souhaite pas leur mort, d'autant qu'ils sont jeunes et qu'ils ont une longue
vie devant eux, mais j'espère qu'ils iront nuire ailleurs qu'au sein du
Parlement. C'est pourquoi je crois raisonnable de suivre M. le rapporteur donc
et de voter la motion tendant à opposer la question préalable.
(MM. Béteille
et Biwer applaudissent.)
M. le président.
La parole est à Mme André.
Mme Michèle André.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je regrette
que le débat sur les textes qui viennent en discussion ne soit pas organisé ce
soir. En effet, ces trois textes relèvent du même esprit et ils ont une
cohérence, que vous ne respectez pas si j'en juge par le dépôt de motions
tendant à opposer la question préalable sur deux d'entre eux.
Pour ma part, je considère que ces textes s'inscrivent dans une réforme
globale et qu'il est nécessaire de ne pas les dissocier dans leur présentation.
C'est la raison pour laquelle, si vous le permettez, mon intervention
concernera les trois projets de loi, qui sont autant de volets différents d'une
même réforme.
Ces trois projets de loi constituent, pour l'organisation de la justice
commerciale une réforme de grande ampleur, très attendue car nécessaire, comme
certains d'entre vous en sont convenu ici même.
Cette réforme est essentielle à plus d'un titre.
D'abord, et c'est une bonne chose, les Français sont devenus très exigeants à
l'égard du service public de la justice, qu'ils veulent impartial et plus
efficace dans le rendu des décisions, d'autant que celles-ci peuvent entraîner
de terribles conséquences en chaîne à l'égard des personnels salariés et des
autres acteurs de l'activité économique.
Ensuite, parce qu'il s'agit de la justice des commerçants, les considérations
économiques, notamment celles qui reposent sur la concurrence et la performance
de nos entreprises, ne doivent pas être négligées.
Nous sommes donc tous d'accord, et les magistrats consulaires en premier, pour
affirmer que l'organisation des juridictions commerciales, qui, dans ses
principes - M. le rapporteur l'a souligné - remonte au XVIe siècle n'est plus
adaptée au contexte actuel.
Beaucoup de critiques sont formulées sur les conditions du débat et
l'hésitation manifestée par le Gouvernement en reportant toujours l'inscription
à l'ordre du jour de ces trois textes. A notre place, nous ne pouvons que les
partager. Mais reconnaissons aussi que le Sénat a pris tellement son temps dans
l'examen des textes inscrits à son ordre du jour depuis le début du mois de
janvier...
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je ne suis
pas sûr qu'il l'ait fait !
Mme Michèle André.
... qu'on ne peut honnêtement adresser au seul Gouvernement le reproche de
l'encombrement du calendrier parlementaire.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Il ne faut pas exagérer, ma chère
collègue !
Mme Michèle André.
Le contexte dans lequel il est procédé à l'examen de ces projets de loi n'est
pas le plus propice à la sérénité. Une chose est claire : le Parlement ne peut
pas travailler correctement sous la pression. Ainsi, nous déplorons de voir à
nouveau la justice commerciale paralysée, depuis le 1er février, par un
mouvement de grève, qui fait suite aux démissions massives de juges consulaires
en 1999 et à la grève qui s'est déroulée l'année dernière du mois de février au
mois de mars.
Comment en être surpris ? Les tentatives de réformes ont été nombreuses et -
constatons-le ! - nombreux ont été les échecs. Certes, il est rare qu'une
réforme ambitieuse parvienne à réunir un consensus général, mais je ne suis pas
sûre que le refus exprimé par une partie des acteurs de l'institution mérite
d'être relevé comme un signe probant de la nocivité de la réforme.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur, la question est très délicate et
elle impose une nécessaire concertation. Mais la concertation a eu lieu. Les
intéressés ont été associés, un rapport parlementaire, dont vous avez beaucoup
parlé, a été rédigé, une enquête administrative a été diligentée. De ces
travaux approfondis, il est ressorti des conclusions identiques et plusieurs
projets de loi, déposés en 1998.
Pour mener à bien cette réforme de la justice commerciale, celle-ci
s'accompagne d'une refonte de la carte judiciaire et de la révision en cours
d'élaboration de la loi du 25 janvier 1985, relative au redressement et à la
liquidation judiciaires des entreprises.
On peut déplorer, à juste titre, la réduction partielle du nombre de
juridictions commerciales, s'interroger sur l'ordre de priorité des réformes et
la lenteur de leur rédaction qu'impose la nécessaire concertation des
principaux intéressés, mais l'urgence aujourd'hui se concentre sur
l'organisation actuelle des tribunaux de commerce et leur adaptation.
Avant de poursuivre, une mise au point me semble nécessaire sur le rôle des
juges consulaires, intéressés au premier chef et sans lesquels aucune réforme
n'est viable. Il n'a jamais été question de dénigrer les membres des tribunaux
de commerce. Nous avons conscience de leurs nombreuses qualités, dont
témoignent non seulement leur dévouement, puisqu'ils participent bénévolement
au service public de la justice, mais également leur expérience du terrain et
la compétence économique dont ils savent faire preuve.
Malheureusement, des scandales ont éclaté. Des dérives ont terni l'image de
respectabilité et de crédibilité des juges consulaires dans l'exercice de leurs
missions et ont porté atteinte à l'ensemble de l'institution.
Ces projets de loi présentent donc le mérite d'insuffler une nouvelle exigence
de qualité, qui est une exigence élémentaire attendue par les justiciables, en
confortant l'assise juridique des tribunaux de commerce.
Vous le savez, le coeur de la réforme est l'introduction de la mixité dans les
tribunaux de commerce. Se trouveront associés dans une même formation de
jugement, ce qui n'est pas une première, des magistrats professionnels et des
juges élus. C'est, à nos yeux, un plus incontestable. Vous le reconnaissez
vous-même, monsieur le rapporteur, « la présence de magistrats professionnels
permet un enrichissement réciproque et une amélioration du fonctionnement des
tribunaux de commerce ». Il va de soi que ces magistrats seront suffisamment
formés et sensibilisés aux réalités économiques. Sur ce point au moins, nous
sommes d'accord.
L'étendue du champ de la mixité est une question importante dans le cadre de
la réforme. Sur ce point également, vous ne pouvez pas ne pas reconnaître que
la concertation a été au rendez-vous : de nombreuses consultations ont été
organisées, les discussions et les propositions se sont multipliées.
Vous ne pouvez pas dénoncer l'absence de consultations entre le corps
consulaire et le Gouvernement, qui a adopté dans cette affaire - Mme le garde
des sceaux l'a dit tout à l'heure et vous l'avez reconnu - une démarche
pragmatique, au point de limiter la compétence des chambres mixtes à la
connaissance des affaires relatives aux procédures collectives. Nous comprenons
la méthode constructive choisie par le Gouvernement, mais aller plus loin
serait renier la réforme elle-même.
D'autant que la cohésion de la juridiction est préservée dans la mesure où le
projet de loi tend à maintenir l'attribution de la présidence du tribunal de
commerce à un juge consulaire. Ce dernier conserve l'ensemble de ses pouvoirs
juridictionnels, qu'il s'agisse des référés ou des ordonnances sur requête, y
compris dans les matières relevant au fond de la compétence de la chambre
mixte. Seuls les pouvoirs exercés en matière de procédure collective seront
confiés au président de la chambre mixte, ce qui est tout à fait compréhensible
dans la logique de la réforme proposée.
Le président du tribunal de commerce conserve également ses prérogatives en
matière de règlement amiable des difficultés des entreprises, à l'exception du
pouvoir de prononcer la suspension provisoire des poursuites des créanciers
contre le débiteur.
Une fois encore, tout malentendu sur la présidence du tribunal de commerce
doit être levé. Le rôle occupé par le président du tribunal de commerce est,
selon nous, déterminant car celui-ci détient à la fois l'expérience
professionnelle du monde de l'entreprise et une expérience judiciaire. C'est un
avantage capital dans l'exercice des missions que les tribunaux de commerce
doivent rendre aux entreprises.
Je ne sais pas ce que vous entendez par « une démarche globale », monsieur le
rapporteur, mais la réforme des tribunaux de commerce est très étendue. Elle
comporte d'autres volets tendant à modifier les règles de recrutement des juges
élus ; elle renforce leur statut par de nouvelles règles déontologiques et par
un droit à la formation.
Le groupe socialiste considère que l'ensemble des mesures sur la limite d'âge,
sur le nombre de mandats qui peuvent être exercés, sur les incompatibilités,
sur la déontologie et la discipline ainsi que sur la déclaration d'intérêt sont
de bonnes dispositions, qui vont dans le sens de la clarification et de la
transparence du statut des juges élus sans porter atteinte à leur spécificité,
bien au contraire. La création d'un conseil national des tribunaux de commerce
va également dans ce sens.
L'élargissement du corps électoral et le nouveau mode d'élection permettront
non seulement de mieux adapter le corps électoral aux justiciables intéressés,
mais également de rendre ces élections plus démocratiques.
L'élargissement du corps électoral est une autre grande nouveauté du texte. Le
projet a le souci de la cohérence en plaçant le corps électoral en conformité
avec les justiciables qui relèvent directement des tribunaux de commerce.
Ainsi, les artisans seront électeurs et éligibles aux fonctions de juge des
tribunaux de commerce. Il s'agit d'une uniformisation qui est incontestablement
profitable.
Mais ce qui est plus important encore concerne la modification du mode de
désignation des juges consulaires, qui conjugue le mode de scrutin plurinominal
à deux tours et l'élection au suffrage universel direct.
Est-il sérieux de présenter cette nouvelle modalité de désignation comme « une
simple mesure d'affichage, voire une tentative de déstabilisation [...]
hypothéquant dangereusement l'avenir de la justice consulaire » ? Actuellement,
l'élection des juges consulaires n'est guère mobilisatrice. On note même une
étrange équivalence entre le nombre de candidats et le nombre de postes à
pourvoir, ce qui autorise des observateurs éclairés à parler d'un système de
cooptation.
Ce nouveau régime électoral démocratisé permettra au contraire d'ouvrir
l'offre des candidatures et de mieux répondre à l'absentéisme actuel, que l'on
peut déplorer. La qualité de la justice consulaire en sera améliorée parce que
les juges consulaires seront en mesure de représenter la totalité du monde
économique, dans sa richesse et dans sa diversité.
Monsieur le rapporteur, nous pouvons comprendre que vous exprimiez votre
inquiétude sur la formation des magistrats professionnels dans le domaine
économique et financier. Nous partageons d'ailleurs cette légitime
préoccupation. Mais la question de la formation concerne tous les juges des
tribunaux de commerce et, à cet égard, le projet de loi inscrit le principe
d'une formation des magistrats consulaires. Le droit commercial est une matière
qui s'est énormément complexifiée. Il y va de la qualité des décisions qui
seront rendues, dans l'intérêt premier des justiciables.
Nous reconnaissons que, sur les nombreuses considérations, exprimées avec
véhémence et quelquefois de manière excessive par M. le rapporteur, certaines
ne sont pas négligeables et ont même retenu notre attention. Mais en
choisissant de poser la question préalable sur le projet de loi portant réforme
des tribunaux de commerce, la commission des lois n'a pas sérieusement pris en
considération le pari que nous faisons : celui d'une véritable révolution
culturelle qui suscitera des changements notoires dans le comportement des uns
et des autres.
Il est à craindre, si le Sénat adopte la motion tendant à opposer la question
préalable, que nous ne puissions pas discuter non plus du projet de loi
organique relatif au statut de la magistrature et instituant le recrutement des
conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire.
Ce texte s'inscrit dans le droit-fil du projet de loi portant réforme des
tribunaux de commerce, puisqu'il est la contrepartie, à l'échelon des cours
d'appel, de la mixité proposée pour les tribunaux de commerce et qu'il cherche
à atteindre les mêmes objectifs d'enrichissement et de complémentarité des
compétences, au bénéfice des justiciables.
Sur ce projet de loi également, monsieur le rapporteur, vos propos sont pour
le moins excessifs, puisque vous n'hésitez pas à qualifier ce texte de «
coquille vide fondée sur un raisonnement erroné, voire hypocrite ».
De quoi s'agit-il au demeurant ? Ce projet de loi organique ouvre la
possibilité de nommer des magistrats qui siégeront dans des formations de
jugement des cours d'appel traitant du contentieux commercial et qui pourront
continuer d'exercer leur activité professionnelle. C'est également une
nouveauté, que vous semblez rejeter en bloc.
Ce statut « conçu sur mesure » que vous dénigrez ne fait que prendre en
considération la situation particulière au regard du droit commun de personnes
qui n'ont pas la qualité principale de magistrat, ce qui suppose des conditions
de recrutement spécifiques.
Le recrutement de ces conseillers de cour d'appel à titre temporaire respecte
nos principes constitutionnels et s'appuie sur un certain nombre
d'incompatibilités, que l'Assemblée nationale a renforcées, afin de prévenir
tout conflit d'intérêts.
En raison de son objet, il semble logique que la commission des lois ait
souhaité viser dans la motion tendant à opposer la question préalable ce projet
de loi organique. Usant du même esprit de logique, vous comprendrez que nous
nous y opposerons, parce qu'il n'est pas sain, quelle que soit la justesse des
arguments avancés, de refuser le débat dans une enceinte parlementaire, alors
que cette dernière représente le lieu par excellence de l'échange et du
contradictoire.
En revanche, nous nous réjouissons que la commission des lois ait accepté,
sous l'impulsion de M. Hyest, rapporteur, d'examiner le dernier volet de la
réforme de la justice commerciale, relatif au statut des administrateurs
judiciaires et des mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises.
L'application des règles relatives aux entreprises en difficultés est depuis
longtemps un pré carré, réservé à quelques professionnels.
Personne ne peut contester les critiques qui se sont élevées contre certaines
pratiques conduisant à la création d'une commission d'enquête parlementaire à
l'Assemblée nationale et à une enquête menée conjointement par l'Inspection
générale des finances et l'Inspection générale des services judiciaires.
Ces investigations ont été conduites parce que de nombreux justiciables,
débiteurs et créanciers, se sont élevés contre la façon dont les liquidations
dans lesquelles ils avaient été parties prenantes avaient été administrées.
La représentation nationale, comme c'est son devoir, a souhaité réagir pour ne
pas ajouter aux sentiments de partialité, de collusions et de déni de justice
que ces personnes avaient éprouvés celui de l'indifférence.
Il est trop facile d'escamoter le débat en votant la question préalable tout
en soulignant le caractère caricatural et l'absence d'objectivité du rapport
d'enquête établi en 1998 par l'Assemblée nationale, comme la majorité
sénatoriale se plaît à le ressasser.
C'est bien à la suite des conclusions convergentes de ces enquêtes qu'il est
apparu nécessaire de corriger les effets pervers de certaines pratiques et les
imperfections de la loi de 1985.
A la nécessité d'assurer une justice impartiale vient s'ajouter une seconde
considération tout aussi essentielle parce qu'elle met en lumière le rôle des
principaux acteurs des lois de 1985 : favoriser autant que faire se peut la
sauvegarde de l'entreprise en difficulté par le maintien de l'activité et de
l'emploi dès lors que la viabilité est caractérisée.
Il y va de l'intérêt de l'ensemble de la chaîne économique : en premier lieu
les salariés, mais aussi les sous-traitants, les actionnaires, les épargnants.
La nature privative de certaines affaires peut également avoir des
répercussions sur la collectivité en général.
Il n'a jamais été question de montrer du doigt les professionnels des
procédures collectives. Ces derniers détiennent des compétences reconnues ;
mais, dans l'intérêt de la profession tout entière, il convient de ramener la
sérénité en clarifiant certaines pratiques par un meilleur encadrement de la
profession.
Il est également nécessaire d'y créer les conditions d'un renouveau en mettant
un terme à des situations de monopole qui se sont révélées nocives.
Il faut rénover la profession et mieux contrôler les professionnels. Il n'y a
pas de contradiction dans cette démarche.
Cette ambition passe d'abord par l'ouverture de ces professions à la
concurrence. Le projet de loi ne tend pas à « banaliser le recours à des
personnes extérieures » qui offriraient de moindres garanties. Il fait
disparaître simplement des situations de monopole de fait dont profitaient les
mandataires de justice.
Vous allez sans doute penser que nous tenons des propos vexatoires, que nous
entretenons la suspicion, que nous sommes excessifs ; mais les faits parlent
pour nous : cette exclusivité professionnelle a engendré des dérives qui se
sont transformées en dysfonctionnements et ont entraîné des abus manifestes.
Aussi, la possibilité pour les juridictions de désigner des personnes non
inscrites sur les listes de ces professions ouvre ce secteur à la concurrence.
Cette ouverture, contrairement à ce qui est dit, repose sur des contreparties
qui sont indispensables car, sans elles, nous pourrions craindre, comme vous,
la disparition des professions réglementées. Tel n'est pas notre souhait ; en
tous les cas, ce n'est pas l'objectif recherché par ce projet de loi.
Pour pouvoir être désignées, les personnes non inscrites se verront imposer de
nombreuses conditions et ne seront choisies qu'en respectant certaines
garanties. Il serait en effet paradoxal de vouloir mettre un terme aux dérives
constatées en contrôlant mieux les professions réglementées tout en se montrant
moins scrupuleux à l'égard des personnes extérieures.
M. Jean-Jacques Hyest.
Vous anticipez sur un projet de loi dont nous n'avons pas entamé la discussion
!
Mme Michèle André.
J'avais indiqué au début de mon propos que je parlerais des trois sujets.
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais nous n'allons pas examiner ce texte aujourd'hui !
M. le président.
Vous arrivez au terme de votre temps de parole !
Mme Michèle André.
J'en viens donc à ma conclusion.
La justice commerciale a besoin d'un renouveau, dans l'intérêt des
justiciables, personnes morales ou personnes physiques qui sont en droit
d'attendre une justice rapide, efficace et impartiale, et dans l'intérêt de
notre économie - et je pense à la protection de l'emploi - qui ne peut que
profiter d'un système de droit de qualité.
Le groupe socialiste au nom duquel j'interviens soutiendra toujours l'action
d'un gouvernement dès lors qu'il est celui de la réforme, sur le plan social,
économique et institutionnel. Il le prouve encore aujourd'hui au moment où nous
examinons cette réforme d'ensemble de la justice commerciale.
Le groupe socialiste, vous vous en doutez, votera contre la motion tendant à
opposer la question préalable.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Question préalable
M. le président.
Je suis saisi d'une motion n° 1, présentée par M. Girod, au nom de la
commission, et tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que la spécificité des tribunaux de commerce comporte des atouts
importants qu'il ne saurait être question de remettre en cause sans précaution
; qu'une réforme des juridictions consulaires est néanmoins envisageable ; que
cette réforme ne peut s'inscrire que dans le cadre d'une démarche globale et
qu'elle devrait notamment permettre d'améliorer le mode d'élection des juges,
de renforcer leur formation, de préciser les règles déontologiques auxquelles
ils sont soumis ;
« Considérant que l'arrivée de magistrats professionnels au sein des tribunaux
de commerce pourrait constituer un enrichissement réciproque et présenter des
avantages pour le fonctionnement des juridictions ; que différentes solutions
peuvent à cet égard être envisagées ;
« Considérant cependant que les conditions d'une réforme viable ne sont pas
aujourd'hui réunies ;
« Considérant que la réforme des procédures collectives devrait être conduite
préalablement à la réforme des juridictions consulaires et qu'aucun texte n'a
été soumis au Parlement ;
« Considérant que la révision de la carte des juridictions consulaires, depuis
longtemps obsolète, constitue une priorité ; que la suppression récente de 36
tribunaux de commerce sur 227 ne saurait tenir lieu d'une telle révision ;
« Considérant en effet qu'aucune réforme ne peut être construite sur la
suspicion à l'égard de ceux qui seront chargés de la mettre en oeuvre ; que la
préparation des projets de loi soumis au Sénat a pourtant été marquée par
l'opprobre et le soupçon jetés - sans distinction ni précaution - sur
l'ensemble des juges élus ;
« Considérant que le Gouvernement a annoncé en octobre 1998 l'adoption en 1999
d'une réforme des juridictions commerciales et d'une révision des lois
relatives aux procédures collectives ; qu'il n'a finalement déposé des projets
de loi que le 18 juillet 2000 et que ceux-ci ne comportaient pas la réforme des
procédures collectives ; que l'Assemblée nationale a examiné ces textes en mars
2001, après déclaration d'urgence ; que le 25 octobre 2001, le Gouvernement a
annoncé que les projets de loi ne pourraient être examinés par le Sénat avant
la fin de la législature ; que le 21 novembre 2001, le Gouvernement a annoncé
que les projets de loi seraient adoptés avant la fin de la législature ; que
cette démarche illustre de manière singulière la continuité d'action dont aime
à se prévaloir ce gouvernement ;
« Considérant que la réforme proposée induit des besoins humains nouveaux et
implique l'affectation d'un grand nombre de magistrats dans les juridictions
consulaires ; qu'ils est patent que la justice ne dispose pas aujourd'hui de
moyens suffisants pour appliquer cette réforme ;
« Considérant que la réforme proposée au Sénat recèle d'importants
inconvénients et d'évidentes contradictions ; qu'il est paradoxal de vouloir
introduire la mixité dans les juridictions consulaires sans remettre en cause
l'existence des tribunaux de grande instance à compétence commerciale ; que la
modification du régime électoral proposée, loin d'améliorer le recrutement des
juges consulaires, ne peut que déstabiliser les tribunaux de commerce et non
les renforcer ;
« Considérant que les conditions de présentation et de discussion du présent
projet de loi ont gâché les chances d'aboutir à une réforme concertée et
consensuelle ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de
loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant
réforme des tribunaux de commerce (n° 239, 2000-2001). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du
règlement, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de
l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion
contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la
commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée
n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Paul Girod,
rapporteur.
Mon intervention sera brève, beaucoup de choses ayant déjà
été dites sur le sujet.
J'avais indiqué à Mme le garde des sceaux que, si elle apportait un certain
nombre d'éléments nouveaux, nous pourrions reconsidérer les choses ; mais je
n'ai pas eu le sentiment que ce soit le cas. En effet, elle a essentiellement
répondu aux critiques que j'avais émises en matière de rapidité des tribunaux
les uns par rapport aux autres.
Je lui donne volontiers acte que j'avais arrondi : la durée des liquidations
judiciaires immédiates s'élève bien à 1,7 mois pour les tribunaux de commerce
contre 2,1 mois pour les tribunaux de grande instance à compétence commerciale,
et non à 1 contre 2. L'écart n'est donc pas aussi important qu'on aurait pu le
penser.
Cela dit, les écarts sont toujours dans le même sens. Au moment où l'on nous
explique que la présence de professionnels est bénéfique, nous constatons avec
inquiétude que les tribunaux professionnels sont toujours en retard par rapport
aux tribunaux de commerce. L'argument me semble par conséquent relativement
limité dans son essence même, d'autant plus que même quinze jours de retard en
matière économique peuvent avoir des conséquences dramatiques. Et que dire
alors du délai de vingt-trois jours entre la saisine effectuée par les parties
et la saisine effective de la chambre compétente introduite par le projet de
loi ? Ce serait véritablement catastrophique ! Ce serait déjà là une raison
d'approfondir le dispositif !
Il a été question d'enrichissement réciproque. Celui-ci est réel lorsque les
responsabilités et les capacités d'action en mission sont identiques. Vous
m'accorderez que confier la présidence aux professionnels et la fonction de
juge-commissaire aux élus parce que les professionnels ne veulent pas se salir
les mains constitue non pas un enrichissement réciproque mais une mise en
tutelle, et c'est ainsi que le ressentent les membres des tribunaux de
commerce.
J'en viens à ma conclusion. Aucun des arguments que nous avons entendus - je
parle sous le contrôle de M. le président de la commission des lois - ne m'a
paru de nature à remettre en cause la solution qui a été adoptée par la
commission et qui est proposée au Sénat, c'est-à-dire l'adoption d'une motion
tendant à opposer la question préalable.
Cette motion s'appuie sur des raisons de forme et de fond.
Les raisons de forme sont liées au caractère extraordinairement anormal de la
présentation de la réforme et, plus encore, à la procédure suivie qui consiste
à déclarer l'urgence sur un projet de loi déposé deux ans après son annonce, à
en débattre un an plus tard, à différer pendant plusieurs mois sa transmission
à la seconde chambre, à l'annoncer, puis à le retirer, puis à l'annoncer une
nouvelle fois et à l'imposer, enfin, dans des conditions de précipitation
auxquelles certaines échéances ne sont peut-être pas complètement
étrangères.
J'en viens aux raisons de fond qui sont au nombre de trois : premièrement, la
réforme est prise à rebours ; deuxièmement, le système proposé est fondé sur
une fausse mixité et, par conséquent, il y a un malentendu de fond qui aurait
pu être éventuellement réglé avec les juges des tribunaux de commerce, d'où une
humiliation inacceptable de ceux-ci ; troisièmement, la réforme du corps
électoral, si elle n'est pas contestable sur le fond, en ce qui concerne le
nombre des électeurs, ne peut cependant aboutir, compte tenu de la méthode
retenue, c'est-à-dire le vote direct de 2,4 millions de personnes pour des
scrutins départementaux, alors que les tribunaux de commerce ne sont pas tous à
compétence départementale - ils sont même la plupart du temps à compétence
infra-départementale -, qu'à des affrontements n'ayant rien à voir avec la
notion de saine justice.
C'est la raison pour laquelle, compte tenu de la date, de l'ambiance, de la
méthode et du fond, la commission des lois vous propose, mes chers collègues,
l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable : elle
considère en effet non pas qu'il n'y a pas lieu à penser ou qu'il n'y a pas
lieu à réfléchir, mais qu'il n'y a pas lieu à délibérer dans ces conditions-là
sur ce texte-là, dans l'ambiance qui est celle d'aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je ne partage pas l'avis de M.
le rapporteur, qui propose d'adopter une motion tendant à opposer la question
préalable.
En ce qui concerne la date, je lui indique que ce texte a été examiné puis
adopté par l'Assemblée nationale les 28 et 29 mars 2001.
M. Paul Girod.
Dans l'urgence !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Dans l'urgence, certes, mais
simplement afin de réduire le nombre de navettes. Ainsi s'explique la
déclaration d'urgence sur ce projet de loi !
Jusqu'à présent, le calendrier n'a pas permis l'examen de ce texte par le
Sénat ; mais le Gouvernement a trouvé souhaitable de connaître ses positions.
Cela, nous l'avons fait sans précipitation puisque la Haute Assemblée a eu le
temps d'examiner longuement ce projet de réforme.
Ce projet est attendu, en particulier par les petites et moyennes entreprises,
ainsi que par les artisans, qui ne se retrouvent pas dans l'organisation et le
fonctionnement actuel des tribunaux de commerce.
Ce projet de réforme est également nécessaire. J'ai bien entendu, monsieur le
rapporteur, que vous disiez qu'il fallait réfléchir aux perspectives d'une
réforme pour assurer les conditions d'une régulation de la vie économique par
le droit, et ce par une justice impartiale au sens de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Je crois
qu'il s'agit là d'une exigence internationale.
Cette réforme n'est pas une réforme « sanction » : il ne s'agit pas de mettre
en accusation les juges consulaires. Elle est équilibrée. Elle n'est pas
inspirée par une question de pouvoir. Elle ne vise qu'à permettre de rendre un
meilleur service aux justiciables, en associant les compétences juridiques et
procédurales des magistrats professionnels à la connaissance du monde
économique des juges consulaires. Je crois que cette complémentarité est une
richesse.
Dans l'esprit du Gouvernement, cette réforme doit se poursuivre, et tout le
monde s'accorde sur cette nécessité.
Il faudra avancer sans arrière-pensée.
A ce propos, permettez-moi d'ouvrir une parenthèse.
Le mouvement de grève actuel qui paralyse certains tribunaux va à l'encontre
de l'intérêt des entreprises et de leurs salariés. J'ai reçu une délégation de
magistrats du tribunal de commerce de Lyon qui n'étaient pas d'accord avec ce
mouvement, lequel induit des retards dans l'examen de certains contentieux ; ce
n'est pas en effet une bonne manière de valoriser la justice commerciale.
Il faudra avancer, disais-je sans arrière-pensée ; ce sera la tâche de la
prochaine législature. En effet, le chantier ouvert sur les tribunaux de
commerce devra être poursuivi. C'est pourquoi je pense que, faisant preuve d'un
bon état d'esprit, le Sénat devrait rejeter la motion tendant à opposer la
question préalable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je tiens tout d'abord à saluer la compétence et le dévouement de nombreux
juges consulaires, ce qui n'a pas été assez dit, selon moi, lors des débats qui
se sont déroulés à l'Assemblée nationale, et je ne parle pas d'un certain
rapport.
Certes, il faut faire évoluer les tribunaux de commerce, tout le monde en
convient. Mais il faut avant tout faire évoluer la carte judiciaire, comme l'a
dit M. le rapporteur, et tenter d'améliorer les conditions de recrutement des
magistrats et de fonctionnement des tribunaux de commerce.
Or ces réformes ne peuvent se faire que dans un climat de sérénité. Aussi,
comme M. le rapporteur l'a longuement exposé, les conditions dans lesquelles
nous travaillons justifient pleinement le vote de la motion tendant à opposer
la question préalable. Monsieur le ministre, on ne peut pas en effet légiférer
sérieusement de cette manière. Seuls la concertation et le consensus
permettront de faire évoluer les juridictions consulaires.
J'ai rappelé combien la réforme des procédures collectives me paraissait
importante. D'ailleurs, elle faisait l'objet du premier volet du triptyque que
le Gouvernement avait prévu de présenter. Adopter un triptyque amputé de sa
partie la plus importante ne me paraît pas être de bonne méthode.
Le groupe de l'Union centriste votera donc la question préalable, compte tenu
des conditions dans lesquelles nos débats sont organisés. Il faut que cette
réforme nécessaire se fasse dans la plus grande concertation et la plus grande
sérénité.
M. Jacques Blanc.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc.
Je suis heureux de prendre la parole ce soir, tout d'abord pour remercier M.
le rapporteur de la qualité de nos débats, ensuite pour pouvoir redire ici ce
que j'indiquais le 27 mars 2001 à l'Assemblée nationale, où j'étais intervenu,
au nom de mon groupe, pour défendre la position que je vais exposer à
l'instant.
M. le ministre avait alors annoncé un bloc de réformes comprenant, en
particulier, la réforme des procédures collectives. On pouvait espérer que le
Gouvernement tiendrait compte de ce que nous disions et que nous pourrions
améliorer les choses. Que s'est-il passé ? Non seulement il n'y a pas eu
d'amélioration, mais nous avons assisté à une aggravation de la situation, et
la réforme d'ensemble, qui supposait la réforme des procédures collectives, est
dans l'impasse.
On finit par penser que le Gouvernement est un peu contraint dans cette
affaire. Monsieur le ministre, ce ne sont pas les entreprises qui étaient
demandeuses. Ce sont peut-être certains députés comme Arnaud Montebourg. Ils
font des procès qui gênent un peu M. Jospin. Aussi, on leur donne un petit os,
sans d'ailleurs beaucoup de conviction. Tout cela n'est pas raisonnable, parce
que, parallèlement, on montre du doigt une juridiction.
Vous nous dites, monsieur le ministre, qu'un mouvement de grève a lieu dans
les tribunaux de commerce. Mais il est dû à l'exaspération ! En effet, des
juges qui ont exercé bénévolement une mission difficile se voient mis en cause
dans des rapports dont le contenu mériterait d'être analysé ! Ainsi, dans ces
rapports, il est fait reproche aux tribunaux de commerce et aux mandataires du
faible pourcentage - 6 % - des redressements d'entreprises. Tout d'abord, ces 6
% sont calculés à partir d'un groupe d'entreprises qu'il faudrait diviser par
deux. Ensuite, est-ce la faute des tribunaux, ou celle des mandataires si telle
entreprise ne s'en sort pas ? C'est comme si, un malade ne guérissant pas, on
accusait le médecin !
M. Jean-Jacques Hyest.
Cela se fait de plus en plus !
M. Jacques Blanc.
On casse le thermomètre pour ne pas voir qu'il a de la température.
M. Claude Biwer.
C'est fréquent !
M. Jacques Blanc.
Ce n'est pas sérieux, ce n'est pas raisonnable ! Si des manquements ou des
dérapages ont eu lieu, il faut modifier les dispositions en cause. Nous ne
sommes pas hostiles, M. le rapporteur l'a dit, à certaines évolutions, vers la
mixité, par exemple.
De toute façon, monsieur le ministre, l'important est que nous puissions
légiférer dans la sérénité. Ce sujet mérite mieux qu'un examen précipité en fin
de législature dans le seul objectif de calmer les ardeurs non maîtrisables de
certain député socialiste...
M. Claude Estier.
Oh !
M. Jacques Blanc.
Il est inutile de se voiler la face, mon cher collègue. Vous avez lu le
rapport de M. Montebourg : il est excessif, vous en conviendrez.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Nous avons lu
Le Monde
.
M. Jacques Blanc.
Tout cela n'est pas raisonnable. Pour ma part, je tiens à rendre hommage à
tous ceux qui se mobilisent pour sauver des entreprises et pour assurer le bon
fonctionnement des tribunaux de commerce. Cette mission, difficile, majeure
exige des compétences étendues et la maîtrise de nombreux domaines. J'associe
d'ailleurs à cet hommage les mandataires de justice, dont nous aurons à traiter
mardi, je pense.
Cela ne signifie pas pour autant que tout va pour le mieux dans le meilleur
des mondes. Il faut réfléchir, écouter les intéressés, sans se laisser enfermer
dans une idéologie, comme c'est votre cas, ce qui est un peu triste, monsieur
le ministre ; je suis d'ailleurs persuadé que vous le ressentez ainsi.
En fait, vous raisonnez dans un système dans lequel on fait systématiquement
confiance à tout ce qui est collectif, au détriment des initiatives
individuelles.
Ce débat est marqué par un choix fondamental de société : peut-on faire
confiance à des chefs d'entreprise ou à des commerçants qui se mobilisent pour
le service de l'intérêt commun ? Peut-on reconnaître aux membres de professions
libérales la capacité d'agir dans l'intérêt supérieur du pays ? Nous affirmons
que oui et vous, dans vos projets de loi, vous faites comme si la réponse était
négative.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Eh oui !
M. Jacques Blanc.
Le débat fondamental méritera d'être repris ; il ne peut être escamoté. Comme
je le disais en mars dernier à l'Assemblée nationale, voilà déjà longtemps que
l'on parle de cette réforme. Il fallait prendre le temps de l'examiner dans la
sérénité, et non dans l'urgence en se laissant emporter par les excès de
certains. C'est avec sérénité que le Sénat, dans sa sagesse, engagera, dans
quelques mois, le dialogue avec une nouvelle majorité à l'Assemblée
nationale...
M. Claude Estier.
Ce n'est pas sûr.
M. Jacques Blanc.
De toute façon, il y aura un nouveau gouvernement et nous pouvons espérer
qu'il y aura une nouvelle majorité. Ainsi, menant une action conjointe avec
l'Assemblée nationale, le Sénat n'étant plus considéré comme anachronique ou
sans intérêt, mais étant reconnu dans son rôle de sagesse, nous pourrons aller
de l'avant de telle sorte que tous les bénévoles, commerçants, industriels,
membres des chambres de commerce, désignés au sein des tribunaux de commerce et
associés à un certain nombre de magistrats puissent oeuvrer dans les meilleures
conditions possibles au redressement des entreprises en difficulté et donc au
maintien de l'emploi.
Il était urgent d'attendre, et je vous remercie, monsieur le rapporteur, de
nous permettre d'exprimer cette nécessité. Le vote de cette question préalable
ne signifie en aucune façon que nous fermons la porte ; au contraire, nous
voulons qu'elle s'ouvre, mais sur un débat serein, débarrassé d'une idéologie
dangereuse !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Laurent Béteille.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Béteille.
M. Laurent Béteille.
Je souhaite expliquer brièvement la position du groupe du RPR sur cette motion
tendant à opposer la question préalable, opportunément déposée par la
commission.
Sur le plan de la méthode, d'abord, nous ne comprenons pas la manière dont le
Gouvernement a géré la mise au point de cette réforme.
Depuis trois ans que nous entendons parler de la réforme des tribunaux de
commerce, nous avons vu se succéder les pas en avant et les mises en sommeil,
pour nous retrouver finalement devant un texte que le Gouvernement nous demande
d'examiner en urgence, et cela une semaine avant que ne soient suspendus les
travaux du Parlement.
Nous ne voyons vraiment pas comment, dans ces conditions, il serait possible
d'examiner sereinement et surtout sérieusement ce texte.
Si le Gouvernement avait réellement souhaité que le Parlement adopte ce texte,
il lui aurait été loisible de l'inscrire à l'ordre du jour des deux assemblées
et de respecter la navette. Je suis persuadé que, après deux lectures à
l'Assemblée nationale et au Sénat, nous aurions pu disposer d'un texte
satisfaisant et susceptible d'être définitivement adopté. Ce n'est
manifestement pas le cas de ce texte-ci, compte tenu de la méthode à laquelle,
contre toute logique, le Gouvernement a eu recours.
Sur le fond, maintenant, ou bien on considère que l'institution des tribunaux
de commerce est une mauvaise chose, et il faut en tirer les conséquences, ou
bien on tente de faire progresser cette institution, mais il convient alors de
ne procéder à sa réforme qu'après une concertation véritable avec ceux qui
siègent dans ces tribunaux, au lieu de commencer par leur adresser toutes
sortes de reproches qui ne sont pas fondés.
Mme André nous disait tout à l'heure à juste titre que la quasi-totalité des
magistrats consulaires étaient des gens honnêtes, compétents, qui rendent un
véritable service. En fait, on a manifestement monté en épingle un certain
nombre d'affaires, certes tout à fait déplorables, mais qui ne représentent
qu'une infime partie du contentieux, et cela pour mettre la justice consulaire
sous tutelle, pour placer un magistrat professionnel à la tête des chambres qui
jugent les contentieux les plus importants, confinant les juges consulaires
dans un rôle subalterne, car ils n'auraient plus qu'à écouter la bonne parole
venue du juge professionnel.
Il y a là, indiscutablement, une marque de défiance qui n'est pas
admissible.
Il faut écouter les juges consulaires, qui ont d'ailleurs eux-mêmes proposé
une réforme dès 1997. C'est ainsi que l'on pourra bâtir un texte susceptible de
résoudre les difficultés qui ont été constatées et de faire vivre une
institution dont la grande utilité a été démontrée et qui mérite donc
manifestement d'être conservée.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons la question préalable.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable,
repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que l'adoption de cette motion aurait pour effet d'entraîner le
rejet du projet de loi.
(La motion est adoptée.)
M. le président.
En conséquence, le projet de loi est rejeté.
7
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président, compte
tenu de l'état d'avancement des travaux du Sénat, le Gouvernement propose que
l'examen du projet de loi organique modifiant l'ordonnance du 22 décembre 1958
portant loi organique relative au statut de la magistrature et instituant le
recrutement des conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire, d'une
part, et du projet de loi modifiant la loi du 25 janvier 1985 relative aux
administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des
entreprises et experts en diagnostics d'entreprises, d'autre part, soit reporté
au mardi 19 février, après l'examen des textes déjà inscrits à l'ordre du jour
de cette séance.
M. René Garrec,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Je souhaite formuler une brève
remarque au sujet du projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce,
que le Sénat vient de rejeter.
Vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, qu'il n'avait pas été possible
d'inscrire ce texte plus tôt à notre ordre du jour. Le Gouvernement ne
serait-il donc plus maître de l'ordre du jour ? Croyez-moi, si le Sénat en
avait eu le pouvoir, il n'aurait pas manqué, lui, de faire figurer ce projet de
loi à son ordre du jour de manière qu'il puisse être examiné dans de meilleures
conditions !
(Sourires.)
Mais c'est là une remarque marginale.
M. Christian Cointat.
Qui n'en est pas moins excellente !
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Pour ce qui est de la demande que
vous avez formulée à l'instant, monsieur le ministre, j'avais cru comprendre
que la conférence des présidents avait de toute façon décidé que le Sénat
reprendrait éventuellement, mardi 19 février, dans l'après-midi, la suite de
l'ordre du jour d'aujourd'hui.
Autrement dit, notre accord sur ce point était déjà acquis.
M. le président.
Je ne peux donc que constater l'accord sur cette modification de l'ordre du
jour.
8
NOMINATION DE MEMBRES
D'ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
M. le président.
Je rappelle que les commissions des affaires sociales et des finances ont
proposé des candidatures pour des organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par
l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- MM. Alain Joyandet et Dominique Leclerc membres titulaires, MM. Claude
Domeizel et Yves Fréville membres suppléants du conseil de surveillance du
fonds de réserve pour les retraites ;
- M. Marcel Lesbros membre du conseil d'administration de l'Office national
des anciens combattants et victimes de guerre ;
- M. Alain Gournac membre du Conseil supérieur de la mutualité.
9
TRANSMISSION DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
modifiée par l'Assemblée nationale, portant réforme de la loi du 1er juin 1924
mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle dans ses dispositions relatives à la
publicité foncière.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 235, distribuée et renvoyée
à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture,
complétant la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 236, distribuée et renvoyée
à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale.
10
DÉPÔT DE RAPPORTS D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de Mme Josette Durrieu un rapport d'information fait au nom des
délégués élus par le Sénat sur les travaux de la délégation française à
l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale au cours des 45e et 46e sessions
ordinaires (1999-2000) de cette assemblée, adressé à M. le président du Sénat,
en application de l'article 108 du règlement.
Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 237 et distribué.
J'ai reçu de Mme Josette Durrieu un rapport d'information fait au nom des
délégués élus par le Sénat sur les travaux de la délégation française à
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la session
ordinaire de 2000 de cette assemblée, adressé à M. le président du Sénat, en
application de l'article 108 du règlement.
Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 238 et distribué.
J'ai reçu de Mme Josette Durrieu un rapport d'information fait au nom des
délégués élus par le Sénat sur les travaux de la délégation française à
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe au cours de la session
ordinaire de 2001 de cette assemblée, adressé à M. le président du Sénat, en
application de l'article 108 du règlement.
Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 239 et distribué.
11
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 19 février 2002 :
A neuf heures trente :
1.
Dix-huit questions orales.
Le texte des questions figure en annexe.
A seize heures et, éventuellement, le soir :
2.
Eloge funèbre de Dinah Derycke.
3.
Discussion de la proposition de loi (n° 351, 2000-2001), adoptée par
l'Assemblée nationale, portant création d'une fondation pour les études
comparatives.
Rapport (n° 225, 2001-2002) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission
des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
règlement et d'administration générale.
4.
Discussion des conclusions du rapport (n° 220, 2001-2002) de la
commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions
restant en discussion du projet de loi relatif aux droits des malades et à la
qualité du système de santé ;
M. Francis Giraud, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte
paritaire.
5.
Discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi (n° 226,
2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, portant
rénovation des rapports conventionnels entre les professions de santé libérales
et les organismes d'assurance maladie.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales.
6.
Discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22
décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et
instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre
temporaire (n° 241, 2000-2001).
Rapport (n° 179, 2001-2002) de M. Paul Girod, fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du projet de loi
organique.
7.
Discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après
déclaration d'urgence, modifiant la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 relative
aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des
entreprises et experts en diagnostics d'entreprises (n° 243, 2000-2001).
Rapport (n° 180, 2001-2002) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
En outre, vers dix-huit heures :
Désignation de deux membres de la délégation du Sénat aux droits des femmes et
à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de
Dinah Derycke, décédée, et de M. Jean-François Picheral, démissionnaire.
Délai limite général pour le dépôt des amendements
Le délai limite pour le dépôt des amendements à tous les textes prévus jusqu'à
la suspension des travaux parlementaires, à l'exception de ceux pour lesquels
est déterminé un délai limite spécifique, est fixé, dans chaque cas, à dix-sept
heures, la veille du jour où commence leur discussion.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD
ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
CONSEIL DE SURVEILLANCE
DU FONDS DE RÉSERVE POUR LES RETRAITES
Lors de sa séance du 14 février 2002, le Sénat a désigné MM. Alain Joyandet et Dominique Leclerc, en qualité de membres titulaires, et MM. Claude Domeizel et Yves Fréville, en qualité de membres suppléants, pour siéger au sein du conseil de surveillance du fonds de réserve pour les retraites.
CONSEIL D'ADMINISTRATION DE L'OFFICE NATIONAL
DES ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE
Lors de sa séance du 14 février 2002, le Sénat a reconduit M. Marcel Lesbros dans ses fonctions de membre du conseil d'administration de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MUTUALITÉ
Lors de sa séance du 14 février 2002, le Sénat a reconduit M. Alain Gournac dans ses fonctions de membre du Conseil supérieur de la mutualité.
NOMINATION D'UNE MISSION
COMMUNE D'INFORMATION
Dans sa séance du jeudi 14 février 2002, le Sénat a autorisé, en application
de l'article 21 du règlement, les commissions des affaires économiques et du
Plan, des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation et des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale à désigner les membres de la mission commune
d'information chargée de dresser un bilan de la politique de la montagne, et en
particulier de l'application de la loi du 9 janvier 1985, de son avenir et de
ses nécessaires adaptations, qui est ainsi composée :
MM. Jean-Paul Alduy, Jean-Paul Amoudry, Mme Michèle André, MM. Gérard Bailly,
Jean-Pierre Bel, Roger Besse, Jacques Blanc, Jean Boyer, Auguste Cazalet, Mme
Josette Durrieu, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, François Fortassin, Charles
Ginésy, Georges Gruillot, Pierre Hérisson, Pierre Jarlier, Philippe Leroy, Paul
Loridant, Jean-Pierre Masseret, Mme Josiane Mathon, MM. Michel Moreigne, Paul
Natali, Roger Rinchet, André Rouvière, Bernard Saugey, Daniel Soulage,
Jean-Pierre Vial.
MISSION D'INFORMATION DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
Organismes génétiquement modifiés
NOMINATION DES MEMBRES
Dans sa séance du jeudi 7 février 2002, la commission des affaires économiques
a procédé à la désignation des membres de la
mission d'information
Organismes génétiquement modifiés
constituée en son sein.
Ont été désignés : MM Philippe Arnaud, Jean Bizet, Dominique Braye, Rodolphe
Désiré, Bernard Dussaut, Jean-Paul Emin, Hilaire Flandre, Christian Gaudin,
Patrick Lassourd, Max Marest, Jean-Marc Pastor, Daniel Raoul, Henri Revol,
Claude Saunier et Mme Odette Terrade.
NOMINATION DU BUREAU
La mission d'information, réunie le jeudi 14 février 2002, a procédé à la
désignation de son bureau, qui est ainsi constitué :
Président :
M. Jean Bizet.
Vice-présidents :
M. Philippe Arnaud et M. Henri Revol.
Rapporteur :
M. Jean-Marc Pastor.
Secrétaires :
Mme Odette Terrade, M. Rodolphe Désiré, M. Hilaire
Flandre, M. Daniel Raoul.
NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
M. Louis de Broissia a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 218 (2001-2002) de M. Michel Pelchat tendant à proroger le régime à titre expérimental des services de radiodiffusion sonore en mode numérique de terre.
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE
ET DES FORCES ARMÉES
M. Robert Del Picchia a été nommé rapporteur du projet de loi n° 234
(2001-2002), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de
l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de
la Républiqueitalienne pour la réalisation d'une nouvelle ligne ferroviaire
Lyon-Turin.