SEANCE DU 6 FEVRIER 2002
M. le président.
L'amendement n° 273, présenté par M. Fauchon, au nom de la commission des
lois, est ainsi libellé :
« Après le texte proposé par l'article 58 pour l'article L. 1142-27 du code de
la santé publique, insérer une division additionnelle ainsi rédigée :
« Section ...
« Prescription en matière
de responsabilité médicale
«
Art. ... -
Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité
des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à
l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par
dix ans à compter de la consolidation du dommage. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Il s'agit de codifier une disposition prise par
l'Assemblée nationale, qui tend à unifier les règles de prescription en matière
de responsabilité médicale.
Je saisis cette occasion pour rappeler la bizarrerie, l'archaïsme, le
caractère inadapté de notre système juridictionnel, dans lequel les affaires
qui relèvent des établissements publics sont du ressort des juridictions de
l'ordre administratif - tribunal administratif, cour d'appel administrative,
Conseil d'Etat - tandis que les affaires qui relèvent de praticiens de
cliniques privées sont du ressort des juridictions de l'ordre judiciaire. Dans
certaines situations, ce système de double juridiction est, il faut le
reconnaître, d'une absurdité fâcheuse.
Bien entendu, chaque juridiction effectue son travail du mieux qu'elle peut,
en recourant d'ailleurs à des voies différentes, parce que certaines
dispositions législatives, notamment le code civil, ne sont pas appliquées par
les juridictions de l'ordre administratif. Il est vrai qu'elles s'en inspirent,
et il faut s'en satisfaire.
Progressivement, après quelques dizaines d'années, les juridictions finissent
par unifier leur jurisprudence. Mais combien de temps et de procès perdus ! Je
l'ai vécu personnellement, dans des cas particulièrement graves : si,
malheureusement, quelqu'un glissait sur le tapis de la piscine municipale ou
avait un accident dans une ambulance communale ou publique, il ne pouvait être
indemnisé, alors qu'il l'était si le tapis était celui d'une piscine privée ou
si l'ambulance était privée. Pendant très longtemps, on a constaté un très
grand décalage.
Ce système, dont se glorifient presque ceux qui le font vivre, d'une manière
intelligente d'ailleurs, est incompréhensible pour les justiciables. La
question n'est pas de mettre en cause l'intelligence ou la compétence de chacun
dans son domaine. Mais il faut se rendre compte à quel point tout cela est
radicalement contraire à l'idée d'une bonne justice et accroît les frais de
justice.
Vous observerez d'ailleurs qu'en matière médicale c'est souvent le même
médecin qui exerce le matin à l'hôpital et l'après-midi dans une clinique. S'il
commet une erreur, selon que ce sera le matin ou l'après-midi, vous relèverez
d'un système différent. Dans un cas, vous devrez engager votre action dans les
quatre ans et, dans l'autre, dans les trente ans. Vous apprécierez l'écart !
C'est la richesse de la France ! Il y aura bientôt autant de délais que de
fromages.
(Sourires.)
C'est quelque chose d'extravagant !
Dans sa sagesse, l'Assemblée nationale a souhaité unifier les délais de
prescription. Elle a retenu un délai unique de dix ans, délai qui se situe
entre quatre et trente ans. Nous proposons de codifier cette mesure dans le
code de la santé publique.
Monsieur le ministre, mettons-nous un instant à la place de ceux qui vivent
quelquefois des événements tragiques ou affreux et qui se trouvent confrontés à
ces problèmes. Il est de la responsabilité du Gouvernement de réfléchir
sérieusement à ce sujet.
Il y a une quarantaine d'années, l'éclatement du contentieux entre les deux
ordres de juridiction était tellement absurde dans le domaine des accidents de
la circulation que l'on a unifié ce contentieux. Maintenant, tout accident de
la circulation est soumis aux juridictions de l'ordre judiciaire. Il est
quelques domaines, comme la santé ou la construction, où il faudra procéder à
la même unification pour mettre fin à une situation aberrante. J'avais pensé
vous le proposer par voie d'amendement, monsieur le ministre, mais c'est assez
compliqué, car il faut redéfinir tout le droit applicable dans le secteur
public. On ne peut le faire à la faveur d'un amendement qui ne sera voté que
par quelques sénateurs ; ceux qui sont ici sont certainement les meilleurs,
mais ils ne sont pas très nombreux.
(Sourires.)
Je crois que cela relève
de la responsabilité du Gouvernement. Je me permets de vous demander de
conserver cela présent à l'esprit, monsieur le ministre, à supposer
naturellement que les ides de mars vous maintiennent au pouvoir.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur.
Je rappelle, pour l'histoire, que ces dispositions ont été
adoptées par le Sénat à la suite d'une proposition de M. Huriet. L'Assemblée
nationale les a reprises. Le Sénat peut y trouver une certaine satisfaction.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 273, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, une division additionnelle ainsi rédigée est insérée, après le
texte proposé pour l'article L. 1142-27 du code de la santé publique.
ARTICLE L. 1142-28 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE