SEANCE DU 30 JANVIER 2002
DROITS DES MALADES
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 4, 2001-2002),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif aux
droits des malades et à la qualité du système de santé. (Rapport n° 174
[2001-2002] et avis n° 175 [2001-2002]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
Monsieur le président, messieurs les
rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, en tout premier
lieu, de rendre hommage à la mémoire de Dinah Derycke, sénatrice socialiste du
Nord, présidente de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité
des chances entre les hommes et les femmes, qui nous a quittés brutalement.
C'est avec une grande tristesse que j'ai appris sa disparition. Elle laisse
l'image d'une femme de combat et de conviction, saluée par tous pour son
travail, sa sympathie et son attachement aux valeurs humanistes, comme l'a
prouvé son combat pour les femmes afghanes.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué à la santé.
J'en viens au projet de loi que j'ai
l'honneur de vous présenter aujourd'hui et qui correspond à l'ambition
d'adapter notre système de santé aux évolutions de notre société : vous
m'accorderez que c'est, à l'heure présente, une impérieuse nécessité.
Ce texte tend à apporter une réponse claire aux besoins des personnes malades
et des usagers du système de santé mais aussi aux professionnels de santé en
privilégiant les relations contractuelles, en rétablissant la confiance
ébranlée, en bannissant le doute, en proposant un élan nouveau.
Il s'agit d'une loi globale, dont l'objet est de reconnaître les droits
fondamentaux de la personne malade, de garantir la qualité du système de santé
et de construire les bases d'une démocratie sanitaire en recherchant le
meilleur équilibre possible entre les malades et les professionnels de santé
dans un monde en plein bouleversement.
Notre système de santé est traversé à la fois par de profondes évolutions, qui
transforment les pratiques comme jamais - d'importants progrès thérapeutiques
ont été réalisés ces dernières années, des espoirs formidables sont nés pour le
traitement du cancer ou des maladies de la vieillesse -, par une très grande
anxiété des professionnels de santé, qu'ils soient libéraux ou hospitaliers, et
par une aspiration sans précédent des usagers à une nouvelle relation avec les
professionnels en charge de leur santé.
Les crises qui secouent notre système de santé sont nombreuses. Notre monde
médical est en difficulté. Comment ne pas évoquer la lassitude ou la révolte
qu'expriment les professionnels de santé, en particulier les généralistes ?
Il nous faut prendre la mesure de cette angoisse, du sens profond des
manifestations qui assiègent quotidiennement le ministère de la santé, avenue
de Ségur, alors que le reste du monde voit dans notre système de santé le
meilleur de la planète, à tel point que l'Angleterre, devant l'ampleur des
réformes à accomplir, nous envoie désormais - et nous enverra de plus en plus -
ses patients. Et d'autres pays suivront - je pense à l'Italie, notamment - avec
lesquels nous essaierons de passer des accords.
D'autres crises majeures avaient atteint notre dispositif de soins.
Le drame du sang contaminé, plus que toute autre crise sanitaire, nous a
rappelé que la médecine peut, dans certains cas, engendrer des dommages
considérables. Nous savons désormais que la même faute, la même ignorance, le
même acharnement dans l'erreur peuvent provoquer des catastrophes en chaîne et
affecter des dizaines de milliers de personnes à la fois.
Personne ne contestera que le sida a fait naître une nouvelle forme de
militantisme sanitaire dont nous avons beaucoup à apprendre et qu'il a déjà
profondément transformé notre culture médicale, modifié nos pratiques et
ébranlé nos certitudes.
Je parle du sida, mais je pourrais aussi parler de la prise en charge par les
associations des maladies cancéreuses, du diabète ou des maladies
cardio-vasculaires : il en est ainsi de chaque plan de santé publique proposé à
notre pays.
Les crises alimentaires, ensuite - vaches folles et autres poulets à la
dioxine - nous ont rappelé que la santé publique ne peut impunément se réduire
au système de soins ; que toute erreur sur une chaîne de production peut avoir
des impacts sanitaires à des milliers de kilomètres de là.
Ce sont les fondements mêmes de notre organisation qui ont été remis en cause
par ces évolutions. Les conclusions en étant tirées, il convient désormais de
redéfinir nos priorités, afin de mettre la personne malade au coeur de nos
préoccupations.
Notre première ambition, mesdames, messieurs les sénateurs, est d'inscrire les
droits des malades dans notre législation. Jusqu'à présent, ces droits, quand
ils existaient, relevaient d'une obligation déontologique des médecins qui,
très souvent, se montraient à la fois respectueux et inventifs. Ils dérivaient
des règles de l'exercice médical : la loi s'adressait d'abord au personnel
soignant et, seulement par rebond, au patient.
Nous devons passer à un système plus orienté vers l'individu, améliorer nos
résultats, donc mieux former nos personnels médicaux, les rasséréner autant que
faire se peut, les rendre plus disponibles, plus performants.
Voilà pourquoi le texte dont vous allez débattre aujourd'hui traite aussi bien
de l'amélioration de la relation individuelle entre le malade et son médecin
dans la dimension du « colloque singulier » que de celle de l'usager avec le
système de santé publique dans le cadre d'une démocratie sanitaire à bâtir.
Ce texte est, dans sa partie consacrée aux droits des malades, la suite
concrète des états généraux de la santé. Ces derniers, annoncés par le Premier
ministre dès sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, se sont
déroulés de l'automne 1998 à la fin du mois de juin 1999.
J'en rappelle le formidable succès : plus de 1 000 réunions dans plus de 180
villes différentes ; plus de 200 000 participants, jeunes, vieux, actifs,
inactifs, femmes, hommes, qui ont tous exprimé la même attente. Tous veulent
une médecine plus humaine et une politique de santé plus globale, plus
visible.
Il nous faut nous parler, disaient-ils, nous écouter, nous informer ; nous
souhaitons participer, ou du moins comprendre les choix médicaux qui nous
concernent ; pour nous, la santé va bien au-delà de la médecine : c'est un mode
de vie, une solidarité, une conception même de la société ; notre relation avec
la médecine doit changer, nous voulons être considérés comme des personnes, pas
seulement comme des maladies.
Prendre en considération ce message, que nous nous devions d'entendre, c'était
trouver le moyen de traduire en termes législatifs la nécessaire amélioration
de la relation avec le médecin, la médecine et le système de santé.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui tend à consolider ou à
rétablir la confiance entre les uns et les autres, et d'abord entre les
médecins et les personnes malades.
L'un des moyens pour y parvenir est de rééquilibrer la relation médecin-malade
pour qu'elle fonctionne aussi bien dans un sens que dans l'autre : devoirs et
droits - oui, pas seulement des droits, mais des devoirs aussi - de part et
d'autre.
Il s'agit, certes, de répondre aux attentes légitimes des malades et de la
population, mais aussi des professionnels.
J'insiste particulièrement sur un point trop souvent négligé dans les
commentaires : l'insécurité des médecins ne protège jamais les malades, c'est
parce que l'on donne davantage de droits aux malades que l'on protège mieux les
médecins, notamment en définissant les conditions d'un équilibre harmonieux des
responsabilités entre les usagers, les professionnels, les institutions
sanitaires et l'Etat. Vous le savez, un malade informé, un malade qui participe
à son traitement hâte sa guérison et dément parfois les pronostics les plus
pessimistes.
En matière de droits des malades, la disposition emblématique du présent
projet de loi est l'accès direct au dossier médical.
Cette avancée, dont je suis fier, a fait l'objet de débats contradictoires et
passionnés, à la hauteur des enjeux qu'engendre la nécessaire modernisation de
la relation entre le malade et son médecin.
Notre formulation respecte, je le crois profondément, un équilibre qui tient
compte des positions de chacun. En effet, permettez-moi d'insister sur ce
point, il n'a jamais été question de légiférer au profit des uns ou aux dépens
des autres. Ce n'est pas parce que l'on consacre les droits des patients que
l'on prend parti contre les soignants, bien au contraire !
La mise en place d'un système de prise en charge de toutes les victimes des
accidents médicaux - y compris des accidents sans faute, c'est-à-dire de l'aléa
thérapeutique ou médical - constitue la deuxième grande avancée du projet de
loi.
Cette innovation est essentielle pour les deux parties : non seulement pour
les victimes d'un accident médical grave, même sans faute, qui seront aidées
dignement, mais aussi pour les médecins, car nous avons pris la mesure de leurs
inquiétudes face à cette dérive que constitue la judiciarisation excessive de
la médecine. Nous devons absolument y mettre un terme si nous voulons ne pas
voir la médecine se replier sur une pratique défensive, appauvrie de toute
initiative.
Quel médecin continuera de prendre des risques pour un patient si la menace
d'un procès pèse trop lourdement sur lui ou si les primes d'assurance
deviennent exorbitantes, comme l'arrêt Perruche l'a parfaitement illustré ?
Nous souhaitons ici, avec vous, venir à bout de ce mauvais débat.
Permettez-moi de revenir quelques instants sur les conséquences de cette
jurisprudence de la Cour de cassation, ainsi que sur le projet de loi qui vous
est soumis aujourd'hui et qui a pour objet d'y mettre un terme.
Ce texte n'a pas pour objet de donner une réponse particulière à un cas
particulier de responsabilité médicale, il s'inscrit résolument dans le cadre
de la responsabilité médicale fondée sur la faute. Il s'agit, dans un premier
temps, de mettre fin à l'émotion soulevée par la jurisprudence de la Cour de
cassation chez les professionnels de la santé, mais aussi chez les personnes
handicapées et leurs familles, dans la société tout entière.
Notre haute juridiction a voulu améliorer la situation matérielle des
personnes nées handicapées dont le cas lui était soumis. Je tiens à lui rendre
hommage pour avoir ainsi rappelé notre devoir de solidarité envers les plus
vulnérables d'entre nous.
Mettre un terme à la jurisprudence Perruche peut sembler paradoxal dans un
texte relatif aux droits des malades, puisque la personne handicapée n'aurait
plus d'action en réparation contre l'auteur de la faute médicale commise durant
la grossesse de sa mère si cette faute n'a pas provoqué directement le
handicap.
Une telle interprétation résulterait d'une lecture erronée et, pour tout dire,
peu admissible de ce texte.
Nous devons, au contraire, affirmer clairement que la prise en charge du
handicap et l'accompagnement des familles relèvent de la solidarité nationale.
Nous pensons tous, je crois, que ce que nous faisons en la matière est encore
largement insuffisant. Il faudra faire plus, il faudra faire mieux. Le
Gouvernement y travaille.
M. Francis Giraud,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Le Sénat aussi !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Le travail sera long, et c'est en tout cas pour le
Gouvernement un chantier urgent et prioritaire en termes de prise en charge ;
mais admettre que l'effort de la collectivité est insuffisant n'autorise pas à
faire supporter aux professionnels de santé, au travers d'une indemnisation
assurantielle, la prise en charge d'un handicap qui préexistait potentiellement
à leur faute éventuelle : cela me paraîtrait profondément injuste !
J'ai entendu parler à plusieurs reprises du corporatisme des médecins dans
cette affaire. Je me suis déjà exprimé en réaction à cette affirmation, qui me
semblait insultante et particulièrement inexacte, lors de l'examen de ce texte
à l'Assemblée nationale, mais je souhaite le faire à nouveau devant vous,
mesdames, messieurs les sénateurs : les professionnels de santé ne demandent
pas à être exonérés de leurs fautes et, d'ailleurs, ils ne contestent pas les
actions en responsabilité engagées par les parents d'un enfant né avec un
handicap non diagnostiqué durant la grossesse de la mère en raison d'une faute.
Bien au contraire, ces professionnels, ou tout au moins certains de leurs
représentants - gynécologues-obstétriciens, radiologues, échographistes,
sages-femmes - ont accepté de travailler sous la présidence du professeur
Claude Surreau au sein du comité technique de l'échographie, que j'ai installé,
à l'élaboration d'un référentiel de bonnes pratiques. Celui-ci permettra de
mieux faire connaître cette activité, ses progrès, ses limites aussi.
Ce référentiel constituera un instrument de sécurité juridique et permettra de
mieux caractériser l'existence d'un comportement fautif.
Les professionnels que j'ai rencontrés s'interrogent surtout sur le sens de
leur travail, sur celui de la médecine anténatale et de toute la médecine
prédictive. Je partage pleinement leurs préoccupations sur les risques d'un
principe de précaution appliqué à l'extrême qui conduirait à étendre les
propositions d'interruption de grossesse dès lors que surviendrait un doute de
malformation. Je partage aussi pleinement leurs préoccupations sur les risques
non négligeables d'interruption spontanée de grossesse que ferait courir la
multiplication des actes diagnostics à laquelle pourrait conduire une
application exagérée du principe de précaution. Je partage, enfin, leurs
préoccupations sur le leurre et le danger pour notre société que constitue le
mythe de l'enfant parfait, qui conduit à l'intolérance et à l'exclusion.
M. Jacques Blanc.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Et qui conduit à l'eugénisme !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
La discussion à l'Assemblée nationale a été l'occasion
de compléter et d'améliorer le projet du Gouvernement. Ce projet reste
perfectible, j'en suis convaincu, et je suis certain que les débats que nous
allons avoir permettront de continuer ce travail afin d'aboutir à un texte qui
est très attendu par les malades, mais aussi - nous l'avons vu encore hier et
aujourd'hui - par les professionnels de la santé.
Je vous ai cité les deux exemples les plus marquants des avancées contenues
dans ce texte. Mais il y en a beaucoup d'autres ! Elles ont toutes ceci en
commun qu'elles visent à renforcer la confiance des uns et des autres dans le
système en reconnaissant leur place aux malades tout en rassurant les médecins.
Et je ne place pas ces termes dans un ordre préférentiel : nous pouvons
rassurer les médecins avant !
Le texte qui vous est soumis comprend trois titres inséparables. Le premier
est relatif aux droits et responsabilités des malades et des professionnels de
santé, le deuxième vise à l'amélioration de la qualité du système de soins, le
troisième met en place un dispositif unique au monde de réparation des risques
sanitaires.
Le titre Ier consacre non seulement les droits individuels du malade, mais
aussi les droits collectifs des usagers et de leurs associations, ainsi que des
droits plus collectifs encore, si je puis dire, qui concernent l'élaboration de
la politique de santé au niveau régional puis au niveau national. Nous
proposons ainsi les conditions de la véritable démocratie sanitaire que
j'appelle de mes voeux.
Pourquoi des droits des malades, alors que nous avons déjà les droits de
l'homme ? Je répondrai simplement par un exemple concret, car il n'est rien de
tel pour éclairer les esprits : avez-vous déjà été hospitalisé ? Je l'ai été,
comme nombre d'entre vous, que je connais. Passer de l'autre côté du lit, ne
plus être le sorcier en blouse blanche mais le malade anxieux, cela change
profondément votre vision du monde ! Même si cela ne correspond pas à la
réalité, on a alors le sentiment d'être diminué, humilié, parce que malade,
alité, douloureux, dénudé, et on en souffre.
C'est pourquoi nous réaffirmons, dès l'article 1er de ce projet de loi, le
droit de toute personne malade à la dignité, à la protection contre les
discriminations - y compris en raison des caractéristiques génétiques -, au
respect de la vie privée, à la prévention et à la qualité des soins.
Ce projet établit de manière claire le droit de chacun à partager les grandes
décisions qui touchent sa propre santé - ce qui implique, notamment, le droit
réaffirmé à un consentement libre et éclairé - puis le droit de chacun
d'accéder, s'il le souhaite, aux informations médicales qui le concernent,
c'est-à-dire le droit d'accès direct au dossier médical.
Ces deux dispositions sont essentielles. Elles permettent et elles préservent
l'expression autonome du malade.
Le droit au consentement doit devenir l'expression d'une participation active
du malade aux décisions qui le concernent, l'expression d'une responsabilité
sur sa propre santé. « Droits et devoirs », disiez-vous, voilà qui vous
démontre que nous sommes d'accord.
Donner droit à l'accès direct au dossier médical, c'est faire le pari de la
confiance, vouloir rééquilibrer la relation médecin-malade, la rendre adulte.
C'est aussi aider le malade, s'il le souhaite, à garder la maîtrise de son
histoire, de sa vie au moment où ses repères vacillent, et l'aider sur le
chemin de la guérison.
Mais, afin de limiter les risques de traumatisme ou d'éviter toute
interprétation erronée d'informations souvent techniques, le médecin pourra
recommander au malade de se faire accompagner par une tierce personne. Si le
malade le souhaite, le médecin de famille ou un membre de l'équipe médicale de
l'établissement pourra désormais lire et commenter le dossier avec lui. Ce sera
sans doute souhaitable dans la plupart des cas. Je souhaite qu'il en soit
ainsi.
Le projet de loi institue un défenseur des droits des malades qui aura pour
mission, au côté du ministre chargé de la santé, de promouvoir les droits des
malades en s'appuyant sur les commissions régionales de conciliation. Ce que je
vous propose, ce n'est pas une structure lourde, de la bureaucratie en plus,
c'est un recours moral, la possibilité de s'adresser à une personne au
ministère de la santé, l'accès à une personnalité de confiance.
Par ailleurs, ce texte prévoit un statut nouveau pour les associations
représentant les malades et les usagers qui remplissent certaines conditions
d'activité et de représentativité.
Une autre disposition importante du projet de loi concerne l'encadrement,
désormais plus strict, des modalités selon lesquelles sont prononcées les
hospitalisations sans consentement pour troubles mentaux.
A cet égard, la liste des critères permettant aux préfets de prononcer des
hospitalisations d'office est modifiée. Désormais, le critère de la nécessité
des soins sera indispensable et prioritaire pour prononcer une hospitalisation
d'office et les critères ressortant de la sécurité publique, s'ils ne sont pas
écartés, sont restreints aux atteintes à l'ordre public présentant un caractère
de gravité.
Le présent texte prévoit également les conditions dans lesquelles l'autorité
administrative peut mettre en demeure les professionnels et les institutions
sanitaires de procéder à l'information des personnes concernées en cas
d'anomalies survenues lors d'un traitement ou d'une investigation médicale.
Par ailleurs, au cours du débat à l'Assemblée nationale, il a été décidé de
créer un pôle santé-justice, comme il existe des pôles financiers, afin de
permettre au juge de traiter au mieux des dossiers souvent très complexes.
C'est une disposition importante. Ces pôles permettront en effet aux juges de
bénéficier de la compétence d'assistants techniques, de médecins, de
vétérinaires, de dentistes ou de pharmaciens.
Enfin, ce projet de loi tente de répondre à une question largement évoquée au
Parlement lors des débats sur les lois de financement de la sécurité sociale,
celle de la participation de tous à l'élaboration de la politique de santé et à
son financement.
Comment évaluer les besoins au plus près du terrain ? Comment développer une
concertation active et constructive entre professionnels et usagers,
établissements, organismes d'assurance maladie et pouvoirs publics, afin de
définir et de mener les programmes de santé ? Comment fonder et faire vivre une
démocratie sanitaire, complément de la démocratie sociale, enrichissement de la
démocratie politique ?
Ce projet de loi situe l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques de la
santé à l'échelon régional. Pour cela, il institue un conseil régional de la
santé qui se substituera aux instances consultatives actuelles, notamment la
conférence régionale de santé et les comités régionaux d'organisation sanitaire
et sociale, les CROSS. Cela permettra au monde de la santé - professionnels,
usagers, organismes d'assurance maladie - de se prononcer collectivement et
systématiquement sur la situation sanitaire régionale et les politiques
régionales de santé.
Enfin, ce texte prévoit, en amont de la loi de financement de la sécurité
sociale et à partir de l'analyse des besoins des régions, l'élaboration, par le
Gouvernement, un projet relatif à la politique de santé, d'un projet transmis
au Parlement et soumis à débat public. Ce débat éclairera ! - enfin et telle
est sa finalité - les choix du projet de loi de financement de la sécurité
sociale, alors que l'on ne discutait jamais de son annexe, fatigués que nous
étions par la longueur des débats qui précédaient. Les politiques de santé
publique n'étaient donc, en fait, jamais examinées dans nos débats et jamais
financées en toute connaissance de cause puisque, en réalité, ni les uns ni les
autres nous ne savions de quoi nous parlions !
(Sourires.)
Je dis cela pour vous faire rire, mais ce n'est pas très bien !
M. Bernard Murat.
C'est un aveu ! C'est grave !
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Dans ce titre Ier, vous l'avez compris, l'ensemble de
notre système de santé est réformé, en considérant le point de vue du malade,
en prenant en compte sa souffrance, voire son abandon.
Je comprends que certains puissent craindre que l'affirmation de ces droits ne
favorise une multiplication des procès. Mais je crois qu'ils ont tort. Ce sera
le contraire. Bien des problèmes et des procès naissent d'abord d'un déficit en
termes d'information et de transparence, en fait d'un manque de dialogue. Un
cas récent, dans le Sud, vient encore de le prouver.
Ainsi, l'accès direct aux dossiers supprimera, je l'espère, bon nombre des
plaintes et des contentieux à l'encontre des médecins. Davantage d'information,
cela veut dire davantage d'apaisement.
Chaque terme du texte qui vous est soumis a été pesé, discuté et affiné. La
concertation a été longue et intense. Je voudrais remercier de nouveau tous nos
interlocuteurs d'avoir oeuvré à une formulation qui tienne autant compte des
positions des uns que de celles des autres.
Notre relecture, centrée sur le malade, ses demandes et ses besoins, conduit à
une nouvelle organisation du système, en tout cas à une réforme de son
organisation. Ainsi se complètent et s'articulent logiquement le titre Ier dont
j'ai déjà parlé et le titre II du projet de loi que j'aborde maintenant.
Le titre II comporte de nombreuses mesures qui visent à améliorer la qualité
du système de santé : le droit à la protection de la santé passe par la
compétence des professionnels et donc par leur formation, ainsi que par un
travail en réseau et le développement de la prévention.
Le texte vise, par exemple, à permettre aux préfets de suspendre un praticien
dangereux ou d'encadrer celles des activités de chirurgie esthétique qui se
déroulent hors de tout contrôle sanitaire. Il crée, à cet effet, un système
d'autorisation pour les structures de chirurgie esthétique.
Dans le même esprit, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en
santé, l'ANAES, se voit confier explicitement, en plus de sa mission
d'évaluation des stratégies et des actes de prévention et de soins, une mission
nouvelle d'évaluation de la qualité de la prise en charge sanitaire, notamment
d'évaluation des pratiques professionnelles en médecine de ville.
Le texte affirme, par ailleurs, l'obligation de formation médicale continue.
Il réforme le dispositif actuel, qui était inapplicable, et étend ses
dispositions à l'ensemble des médecins, qu'ils soient libéraux, hospitaliers ou
salariés d'autres organismes que l'hôpital. J'espère beaucoup que, cette fois,
nous réussirons. En tout cas, la réaction des professionnels de la formation
nous est tout à fait favorable.
Les ordres des professions médicales sont modernisés grâce à la création de
chambres disciplinaires indépendantes des structures administratives et
présidées par un magistrat. Ce dernier permet ainsi au patient d'être partie
prenante dans les procédures disciplinaires. Il garantit les droits des
plaignants en assurant un fonctionnement transparent des juridictions
disciplinaires.
L'Assemblée nationale a souhaité que cette réforme profonde de l'ordre des
médecins, élaborée en pleine collaboration avec le Conseil national de l'ordre
des médecins, s'accompagne d'un changement de nom de cette institution afin de
signifier la transformation importante ainsi opérée, la plus importante depuis
la création de l'ordre.
Un office, devenu conseil après la première lecture à l'Assemblée nationale,
est créé.
C'est une structure interprofessionnelle pour les cinq professions
essentielles que sont les infirmiers, les kinésithérapeutes, les
orthophonistes, les orthoptistes et les pédicures-podologues. Le conseil
remplit des fonctions disciplinaires, administratives et professionnelles ainsi
qu'un rôle d'évaluation des pratiques professionnelles. Il est destiné aux
seuls professionnels qui exercent dans un cadre libéral, les salariés étant par
ailleurs soumis à des procédures propres à leur secteur d'activité, en tout cas
pour l'instant.
Le projet de loi pose également, et pour la première fois, les bases d'une
politique de prévention globale et cohérente.
Ces dispositions essentielles sont attendues depuis des dizaines d'années,
depuis la création d'une assurance maladie organisée autour des soins.
Le projet de loi prévoit ainsi l'organisation et le financement de la
prévention. Tous les actes qui y concourent - de l'éducation pour la santé aux
différents types de dépistage - seront désormais développés d'une façon
coordonnée. Un comité technique national de la prévention réunira tous les
acteurs nationaux de la prévention, de l'assurance maladie à la direction
générale de la santé, de la médecine du travail à la médecine scolaire, de la
protection maternelle et infantile aux grandes associations.
Enfin et surtout, les programmes prioritaires de prévention seront financés
sur le « risque maladie », comme les soins.
Je considère en effet que la prévention est partie intégrante de la santé et
qu'à ce titre l'assurance maladie doit la financer.
Combien de fois avons-nous dit ici, au Sénat, combien de fois avez-vous dit :
« 13 000 francs pour les soins, 20 francs pour la prévention ! » ? Cela doit
changer.
Nous souhaitons transformer le comité français d'éducation pour la santé en un
institut national de prévention et de promotion de la santé.
Cet institut sera un lieu d'expertise en matière de prévention. Il sera aussi
opérateur des programmes prioritaires de prévention définis par le ministère de
la santé, comme des autres programmes de santé publique.
Enfin, le temps n'est plus à l'exercice solitaire de la médecine : le texte
donne une base légale pour les réseaux de santé et favorise leur développement,
car il nous faut absolument renforcer leur rôle dans le système. Tous les
médecins, surtout les généralistes, qui se plaignent d'un isolement croissant,
le réclament.
La prise en charge doit être plus continue et mieux coordonnée entre la ville
et l'hôpital, le système de soins et le système médico-social.
Ces dispositions permettent aussi de rémunérer par forfait des activités non
prises en compte aujourd'hui comme l'éducation thérapeutique ou la prise en
charge psychologique des mineurs en danger de suicide, par exemple.
Un amendement parlementaire permet, par ailleurs, la constitution de
coopératives hospitalières de santé, de structures juridiques pouvant servir de
base aux réseaux.
Le titre III du projet de loi inclut deux dispositions capitales pour le
rétablissement de la confiance que j'appelle de mes voeux : l'une vise à
consolider le dispositif conventionnel que nous venons de mettre en place pour
faciliter l'accès à l'assurance de toute personne présentant un risque de santé
aggravé ; l'autre met en place un système, unique au monde, - je le répète -
d'assistance aux victimes d'accident médical.
Les personnes frappées par la maladie, même durement, ne doivent plus être,
comme aujourd'hui, privées d'assurance pour les emprunts indispensables à
l'acquisition des biens nécessaires à la vie de tous les jours : appartement,
voiture, ordinateur...
Nous savons que, pour se soigner ou pour continuer à combattre la maladie, il
est indispensable de continuer à mener une existence aussi normale que
possible.
Ainsi, après plus de deux ans de discussions, les associations de malades et
de consommateurs, les banques, les assureurs et l'Etat ont signé une convention
dans ce sens. Notre projet de loi encadre ce dispositif conventionnel et lui
assure sa pérennité.
Nous proposons ensuite un système d'assistance aux victimes d'accident médical
qui ne comporte aucun équivalent dans les législations comparables des pays
modernes.
Les dispositifs suédois et danois, qui sont sans doute à ce jour les plus
complets et les plus proches, ne couvrent pas complètement l'aléa thérapeutique
ni, dans la plupart des cas, les accidents dus à des produits de santé.
Vous allez débattre mesdames, messieurs les sénateurs, de la première loi au
monde qui s'appliquera quel que soit le risque, qu'il soit dû à un produit de
santé, à un médicament, à un acte chirurgical ou à un acte d'investigation ou
de prévention.
Ce sera la même procédure que l'incident ou l'accident se produise dans un
hôpital, une clinique ou un cabinet libéral. Telle que nous l'avons conçue, la
loi permet l'indemnisation de tous les accidents graves, avec ou sans faute,
évitables ou inévitables, sur la base de la solidarité quand la responsabilité
n'est pas en cause.
L'indemnisation du drame médical, que celui-ci relève ou non d'une faute,
devient une attente essentielle de la population, relayée par l'évolution
récente mais spectaculaire de la jurisprudence, qu'elle soit de l'ordre
administratif ou de l'ordre judiciaire.
Sans retracer ici l'évolution intégrale de la jurisprudence, laissez-moi
évoquer devant vous un arrêt fondamental, historique, du Conseil d'Etat : il
s'agit, bien entendu, de l'arrêt Bianchi.
Pour la première fois, on décide d'indemniser l'accident sans faute. M.
Bianchi, qui était entré à l'hôpital pour une artériographie - diagnostic de
routine, en quelque sorte - en ressortit tétraplégique. L'accident était
gravissime : M. Bianchi restera invalide à vie. Pourtant, il n'y eut aucune
faute médicale.
Mais le juge décida que l'extrême gravité du préjudice subi était
indubitablement liée à l'acte médical. Il estima que l'établissement devait, au
titre de l'égalité devant les charges publiques - c'est-à-dire, en fait, au
titre de la nécessaire solidarité devant les dommages non fautifs résultant du
fonctionnement du service public -, indemniser les conséquences catastrophiques
de cet accident pour la victime.
Le risque de survenue du drame était minime. Il représentait la contrepartie
des bienfaits de la technique pour la très grande majorité des patients, et
donc pour la société en général.
La tendance de la jurisprudence de la Cour de cassation a été la même.
Le 29 juin 1999, la Cour conclut à une obligation de sécurité en matière
d'infection nosocomiale. Elle fonde sa décision, contrairement au Conseil, non
pas sur la présomption d'imputabilité, mais sur l'obligation de sécurité. Peu
importe, le résultat est le même pour la victime. On peut désormais être
indemnisé en cas d'infection nosocomiale, même si le médecin, l'hôpital ou la
clinique n'ont pas commis de faute, c'est-à-dire si l'infection était, hélas !
d'une certaine manière inévitable.
Quelques mois plus tard, le 9 novembre 1999, la Cour de cassation reconnaît
pour la première fois une obligation de sécurité en ce qui concerne le matériel
utilisé pour l'exécution d'un acte médical. On peut désormais indemniser sur
ces bases la victime d'un accident iatrogène.
Parallèlement, la Cour de cassation, par son arrêt du 7 octobre 1998, puis le
Conseil d'Etat, le 5 janvier 2000, jugent que tout défaut d'information à
l'égard du patient, même en ce qui concerne des risques exceptionnels, est
indemnisable dès lors qu'il y a préjudice. En outre, la Cour comme le Conseil
décident d'inverser la charge de la preuve : c'est désormais au médecin de
prouver qu'il a informé le patient, et non au patient de prouver qu'il n'a pas
été informé. On comprend donc que les médecins soient quelque peu perturbés
!
Mais, face à l'aléa, la Cour de cassation rappelle, le 8 novembre 2000, qu'en
l'absence de base législative on ne peut indemniser une victime d'aléa
thérapeutique s'il n'y a ni manquement ni faute.
On le voit, la jurisprudence permet de garantir de plus en plus
l'indemnisation des victimes, mais, en même temps, elle devient tellement
protectrice, tellement évolutive, tellement mouvante qu'elle finit par
déstabiliser le système de santé tout entier.
Les médecins s'inquiètent : les usagers s'interrogent sur leurs droits devant
le tourbillon des jurisprudences. Au total, la crainte d'une dérive « à
l'américaine », - c'est-à-dire que tout se termine par un procès, s'installe -
bien que nous en soyons fort loin, comme je l'ai déjà dit. C'est pourquoi il
est devenu nécessaire aujourd'hui que le législateur intervienne pour clarifier
les responsabilités. Tel est le sens de ce projet de loi : définir une règle
générale, marquer les principes fondamentaux.
Je voudrais également insister sur le fait que ce dispositif est protecteur
aussi pour les médecins. D'éminents juristes nous ont même écrit pour nous
indiquer que notre projet de loi était plus protecteur que la jurisprudence.
Cela ne me déplaît pas !
La procédure mise en place est une procédure amiable de règlement des litiges
en cas d'accident. Toute personne s'estimant victime d'un accident médical
pourra y accéder, via une commission régionale, quelle que soit l'origine du
dommage - acte médical ou produit de santé - et quel que soit le lieu où il
s'est produit - hôpital, clinique, cabinet libéral.
Dans cette procédure, le rôle de la commission régionale est central. Son avis
permettra à la victime, comme aux professionnels de santé, de connaître les
causes de l'accident et l'importance du dommage. Pour cela, le projet de loi
réaffirme les principes de la responsabilité médicale, notamment l'obligation
de moyens, de bonnes pratiques, et rénove l'expertise médicale.
La commission aura donc un rôle pédagogique d'explication du risque et de ses
conséquences, de garant de la transparence de fonctionnement du système. Il est
important que la décision d'indemnisation se fasse dans la clarté et que chacun
puisse la comprendre.
Dès lors que le préjudice présente une certaine gravité, la procédure conduira
à une offre d'indemnisation. Si la victime l'accepte, elle mettra fin au litige
en moins d'un an dans la plupart des cas. Il s'agit de mieux indemniser en
ayant moins recours au juge et dans un délai raccourci.
Le texte ouvre un droit général à indemnisation en cas d'aléa thérapeutique, à
la seule condition que le préjudice présente un caractère de gravité suffisant.
Bien sûr, les victimes pourront invoquer directement ce droit devant les
juridictions.
La loi crée un Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des
affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Il versera les indemnités
en cas d'aléa thérapeutique, qu'elles résultent d'une transaction consécutive à
un avis de la commission régionale ou d'une décision d'une juridiction de
l'ordre administratif ou judiciaire.
L'assurance maladie financera le dispositif. Le coût global peut en être
évalué - et, je le pense, maximisé et non minimisé - de 1 à 1,5 milliard de
francs en régime de croisière, y compris les frais d'expertise et de
fonctionnement.
J'ai donc le grand honneur de vous proposer une loi de confiance, de
responsabilité et de transparence.
« Croyons-nous que l'on puisse briser la longue chaîne des souffrances
humaines ? » demandait, avant sa mort tragique, Jonathan Mann, professeur à
Harvard, artisan de la lutte contre le sida, partout et surtout chez les plus
pauvres. Il poursuivait : « Pionniers de la santé publique à la lisière de
l'histoire humaine, nous affirmons que le passé ne détermine pas inexorablement
l'avenir » - il parlait des plus pauvres. C'est pourquoi la protection et la
promotion des droits de la personne ne sont pas dissociables de la protection
et de la promotion de la santé publique.
Nous ne progresserons en ce sens que grâce à un engagement de tous, soignants,
patients et usagers, dans le traitement des maladies qui les concernent, comme
dans l'effort de prévention auquel nous nous sommes attachés depuis plusieurs
années.
Voilà pourquoi le texte que je vous présente aujourd'hui, mesdames, messieurs
les sénateurs, peut se résumer en trois grands principes solidaires.
Le premier est la clarté dans le fonctionnement même du système de santé.
L'efficacité de notre médecine doit nous inciter à en affronter les limites.
Les choix de la politique de santé doivent être plus largement explicités,
débattus, assumés. Le personnel de santé, de son côté, verra clairement les
règles nouvelles et anciennes qui encadrent et soutiennent son action.
Le deuxième principe est la responsabilité. A travers les révolutions que
connaissent la science comme notre système de santé, il ne saurait y avoir de
médecine responsable qui ne s'interroge régulièrement sur ses pratiques, sur le
sens, la pertinence, l'humanité des prises en charge et, parfois
douloureusement, de leur poursuite.
Le troisième principe est la confiance. Comment ne pas voir que cette
confiance a été bien malmenée au cours de ces dernières années et
singulièrement ces jours-ici ? Nous avons pour tâche urgente de la rétablir.
La confiance du personnel médical est indispensable : nous ne la trouverons,
là aussi, qu'à travers l'information la plus large, la netteté des règles
établies, le dialogue tant avec les patients qu'avec les pouvoirs publics, à
travers des efforts financiers de la collectivité nationale, qui, je le sais,
devront être des efforts plus importants ; il n'y a pas de miracle !
C'est dans cet état d'esprit que je vous propose d'engager ce débat, attendu
par nos concitoyens.
Voilà un siècle, en 1902, malgré le vote de la première grande loi sanitaire
dans notre pays, et malgré un fort courant hygiéniste, la politique de santé se
heurta à l'indifférence des élus et de l'opinion. Je sais qu'il n'en sera pas
de même aujourd'hui.
Je me souviens, avec émotion, de mon maître Paul Milliez, qui me disait : «
Rien de plus puissant que le progrès thérapeutique, rien de plus engagé que
cette neutralité médicale. Au fond, rien de plus politique que la médecine. »
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyens, du RDSE et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Giraud, rapporteur.
M. Francis Giraud,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ordre du jour parlementaire peut
réserver bien des surprises. Il est pour le moins insolite, en effet, que le
Gouvernement présente à notre assemblée, en urgence, un projet de loi relatif
aux droits des malades et à la qualité du système de santé, cela quelques jours
après une grève massivement suivie par les professionnels et qui, fait sans
précédent dans notre pays, a paralysé l'ensemble de notre système de soins !
Celui-ci a beau être présenté régulièrement comme le meilleur du monde, il
traverse - chacun peut le constater - une crise grave, et le conflit n'est
toujours pas résolu.
Le monde de la santé est aujourd'hui dans un profond désarroi. Au-delà de
revendications financières légitimes, il faut discerner la lassitude d'une
profession qui a pour origine une considération amoindrie, une agressivité
croissante de la part des patients, une propension à être traitée comme
prestataire de services et, surtout, l'impossibilité de remplir sa mission
d'écoute, de conseil et de prévention.
Une majorité de médecins considèrent que le contrat social implicite qui
gouvernait la relation avec leurs patients est amoindri. Il apparaît, dès lors,
essentiel de repenser le lien médecin-patient.
Le système de soins est également menacé par la persistance de lourds déficits
de l'assurance maladie. Voilà quelques semaines, à l'occasion de la discussion
du projet de loi de financement de la sécurité sociale, notre commission a
vivement condamné les prélèvements que le Gouvernement a opérés sur les
recettes de cette branche pour financer la coûteuse mise en oeuvre des 35
heures.
M. Claude Estier.
Il y a longtemps qu'on n'avait pas entendu parler des 35 heures !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Cette politique, qui creuse les déficits de la branche et en
alourdit l'endettement, demeure incompréhensible.
M. Guy Fischer.
Le ton est donné !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Elle rend illusoire toute exhortation à une meilleure
maîtrise des dépenses, adressée aux différents acteurs, gestionnaires des
caisses, établissements et professionnels de santé, ou assurés sociaux.
Il n'est guère étonnant, dans ce contexte, que les relations des pouvoirs
publics avec les professionnels de santé se soient si rapidement et si
gravement détériorées.
M. Claude Estier.
Et Juppé ?
M. Bernard Murat.
Et Ralite ?
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Votre texte, monsieur le ministre, contribuera-t-il à apaiser
les esprits ? J'en doute !
En revanche, je note avec une grande satisfaction l'évolution de vos propos
non pas sur la défense des malades, mais sur la protection des médecins.
En réalité, c'est d'un « projet de loi relatif aux fondements et à
l'organisation du système de santé » que le Parlement aurait dû, en priorité,
débattre, tant il est vrai que le premier droit du malade est de pouvoir
accéder, en toute confiance, à un système de santé efficace.
Le présent projet de loi est censé répondre « aux attentes légitimes des
malades et de la population, notamment en définissant les conditions d'un
équilibre harmonieux des responsabilités entre les usagers, les professionnels,
les institutions sanitaires et l'Etat ».
Les intentions du Gouvernement sont à l'évidence louables.
M. Claude Estier.
Ah, quand même !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Toutefois, les chapitres Ier à IV du titre Ier comportent peu
de dispositions véritablement nouvelles en droit positif : certaines sont
reprises des codes de déontologie, d'autres sont issues de la jurisprudence.
S'il n'était sans doute pas inutile de réaffirmer les obligations du médecin,
l'on doit rappeler que le code de déontologie les avait déjà parfaitement et
clairement définies. On peut naturellement comprendre le souhait du
Gouvernement de les rassembler dans un texte unique et de les énoncer du point
de vue du malade, en mettant l'accent sur les droits de ce dernier.
Le titre Ier du projet de loi a pour objet affirmé de rétablir l'équilibre
dans le rapport patient-médecin. Or, aux yeux de la commission des affaires
sociales, c'est moins l'équilibre qui compte en la matière que la confiance
mutuelle sur laquelle repose cette relation si particulière.
Ce qui caractérise l'activité médicale, c'est l'engagement au service des
autres, la passion de les soigner et de les guérir souvent, le souci de les
protéger et de les soulager toujours.
Dans la relation privilégiée qui s'établit entre un malade et un soignant a
lieu la rencontre d'une confiance et d'une conscience. Aussi, à l'inverse de
l'objectif recherché, multiplier les obligations des professionnels risque de
déséquilibrer le système et de le dénaturer.
Il est significatif que, dans ce projet de loi, l'affirmation d'un droit des
malades ne s'accompagne pas, en miroir, de l'énoncé des « obligations », ou du
moins des responsabilités des patients et usagers, afin d'accéder, comme cela
est annoncé dans l'exposé des motifs, à « un équilibre harmonieux ».
On notera que les termes « usager du système de santé » remplacent les mots «
patient » ou « malade ». Cette dérive sémantique tend à accréditer l'idée que
le système de santé ne serait, au fond, qu'un service comme les autres,
comparable, par exemple, à celui des transports.
Je partage l'analyse fort pertinente exprimée par l'Académie de médecine dans
son avis sur ce texte, adopté à l'unanimité le 9 octobre dernier : « De grands
mots, tels que "démocratie sanitaire", "droits fondamentaux de la personne",
"responsabilité des usagers du système de santé" ne sauraient suffire à
dissimuler l'inspiration de ce texte qui se veut le reflet de l'incontestable
évolution qui marque en notre société la relation médecin-malade. Notre
tradition humaniste est profondément ébranlée par l'évolution scientifique et
technique de la médecine, qui conduit à des attitudes consuméristes vis-à-vis
du médecin qui tend à devenir prestataire de services, mais aussi par les
récentes et nouvelles peurs qui conduisent à des revendications sécuritaires et
indemnitaires. »
Je me refuse à assimiler l'acte médical à une simple prestation de services.
Un tel concept me semble profondément inadapté. Il y a dans l'acte médical,
dans la relation soignant-malade, une spécificité irréductible que le projet de
loi contribue à minimiser.
S'il faut naturellement respecter les droits du malade, il convient
parallèlement de souligner la particularité de la médecine, qui est un art et
non une science. Dans cet exercice, sans des qualités humaines développées
d'écoute et d'observation chez les praticiens, les acquis de la technique
demeureraient bien souvent inopérants.
Compte tenu de la complexité de l'acte médical, l'absence de risque n'existe
pas. Le médecin est confronté, en conscience, à des choix commandés par des
examens et des symptômes pas toujours convergents. Il n'a qu'une obligation de
moyens, et non pas une obligation de résultat.
Ce rappel s'impose d'autant plus que l'examen de ce texte survient dans un
climat détérioré par des mises en cause répétées de la responsabilité médicale,
à juste titre inquiétantes pour les professionnels de santé.
Nul ne conteste la nécessité de rendre les praticiens responsables de leurs
actes. Mais l'on doit réaliser que l'irruption un peu brutale d'une culture
anglo-saxonne procédurière risque d'engendrer des attitudes défensives
nuisibles à l'intérêt même des patients.
Enfin, il me semble juste d'évoquer les conditions de travail des personnels
de santé : des services hospitaliers publics et privés surchargés ; des
horaires exagérément lourds ; un nombre de postes insuffisant ; sans oublier
les contraintes administratives de plus en plus exigeantes qui s'y ajoutent.
Une telle situation ne permet plus un exercice serein de la médecine.
La recherche de l'équilibre requiert de donner des moyens à ceux dont on exige
toujours plus et dont nos concitoyens attendent encore mieux.
Pour ces raisons, sans bouleverser l'économie de ce texte, la commission des
affaires sociales vous proposera un certain nombre d'amendements de principe,
qui témoignent de nos préoccupations.
Les chapitres V et VI constituent le second volet de ce titre Ier. La «
démocratie sanitaire » est, là, entendue dans ses dimensions nationale et
régionale.
Le chapitre V a pour objet, si l'on en croit l'exposé des motifs, d'aménager «
la procédure d'élaboration de la politique de santé de manière à mieux y
associer la représentation nationale ». Il redéfinit les missions et les
attributions du Haut Comité de la santé publique, ou HCSP, qui est devenu le
Haut Conseil de la santé, de la Conférence nationale de santé, ou CNS, du
Gouvernement et du Parlement. Il entend répondre à l'ensemble des critiques
portées sur l'absence de lien entre orientations de santé publique et assurance
maladie, ainsi que sur le caractère quelque peu opaque de la définition de la
politique de santé.
La « chaîne vertueuse » souhaité par les ordonnances de 1996 était la suivante
: travaux d'expertise du Haut Comité de la santé publique conduits très en
amont ; professionnels réunis au sein de la Conférence nationale de santé
s'appropriant le travail des experts ; rapport au mois de mai de la CNS
préfigurant le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité
sociale, déposé début octobre par le Gouvernement devant le Parlement.
Ce rapport annexé, introduit par la loi organique du 22 juillet 1996, a pour
objet de présenter « les orientations de la politique de santé et de sécurité
sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de
l'équilibre financier de la sécurité sociale ».
Dans les faits, la « chaîne vertueuse » imaginée n'a pas bien fonctionné.
Le HCSP et la CNS ont travaillé chacun de leur côté, se répartissant de
manière pragmatique les sujets à traiter. Le calendrier n'a jamais
véritablement permis que des orientations dégagées par la Conférence nationale
de santé de l'année précédente soient reprises dans le corps normatif de la loi
de l'année en cours.
Le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale est
devenu un panégyrique de la politique gouvernementale et s'est trouvé dépourvu
de normativité. Sa discussion a été reléguée à l'issue de l'examen des
articles, alors que son contenu était censé éclairer les choix du dispositif
législatif.
L'article 24 du projet de loi entend répondre aux critiques formulées. Les
solutions qu'il apporte apparaissent néanmoins décevantes. Il prévoit, en
remplacement de l'actuel rapport « au » Gouvernement de la Conférence nationale
de santé, un rapport « du » Gouvernement sur la politique de santé de l'année
suivante. Ce rapport est préparé chaque année sur la base de priorités
pluriannuelles, avec le concours du Haut Conseil de la santé, au vu des bilans
de la politique de santé dans les régions, établis avant le 1er mars par les
conseils régionaux de la santé, et des propositions qu'ils formulent. Le
rapport est ensuite transmis, après avis de la Conférence nationale de santé, à
l'Assemblée nationale et au Sénat, au plus tard le 15 mai suivant, en vue d'un
débat. La rédaction est bien complexe !
Je vous proposerai plusieurs amendements.
Il s'agit, premièrement, d'affirmer l'horizon pluriannuel des priorités de
santé publique. La commission des affaires sociales a pris position depuis 1999
en faveur des lois pluriannuelles de santé.
Il s'agit, deuxièmement, de mieux distinguer entre l'expertise technique, qui
est du ressort du Haut Conseil de la santé, et la prise de décisions politiques
en vue de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité
sociale.
Il s'agit, troisièmement, de donner au Parlement toute sa place dans le
nouveau dispositif. Son rôle ne peut se réduire à celui d'acteur passif
intervenant seulement en aval. La possibilité doit lui être donnée, par
exemple, de saisir la Conférence nationale de santé et le Haut Conseil de la
santé.
Il s'agit, quatrièmement de prévoir un rôle majeur pour le Haut Conseil de la
santé. Je vous proposerai d'élargir ses missions et d'en faire un outil
d'expertise placé auprès des pouvoirs publics, chargé de l'évaluation annuelle
de la politique de santé en s'appuyant notamment sur les travaux des conseils
régionaux.
Le chapitre VI, relatif à l'organisation régionale de la santé, regroupe en
fait des dispositions hétéroclites.
Si la création des conseils régionaux de santé, prévue à l'article 25, répond
à l'ambition de l'intitulé du chapitre, l'article 30, relatif à l'organisation
régionale des ordres médicaux, concerne purement et simplement la réforme
projetée de ces ordres et non une quelconque régionalisation.
Je me contenterai de formuler quelques observations sur l'article 25. Cet
article procède à une réforme pragmatique de la politique régionale de santé.
Regrouper au sein d'une même instance des compétences jusqu'alors remplies par
des organismes disparates mérite tout particulièrement d'être salué.
Toutefois, cet article, qui entérine et améliore une déconcentration plus
qu'il n'organise celle-ci, est muet sur la question fondamentale de la
compétence de la collectivité régionale. Le président du conseil régional
risque d'être le président du conseil régional de santé. A la tête d'une forme
de parlement régional de santé, il sera l'interlocuteur légitime de l'exécutif
régional, constitué notamment par l'Agence régionale de l'hospitalisation. Une
telle mission aura nécessairement des conséquences sur l'évolution des
collectivités territoriales.
A l'évidence, la problématique qui sous-tend le dispositif présenté dépasse de
loin la compétence de notre commission.
Par voie d'amendements, je vous proposerai essentiellement de clarifier et de
préciser le texte, afin, notamment, d'organiser les missions des conseils
régionaux de santé au regard des orientations de la politique de santé prévues
par l'article 24 du projet de loi et de hisser la politique de prévention au
rang de la politique de soins.
Démocratie sanitaire, droits des malades, orientations de la politique de
santé, régionalisation, tous ces progrès risquent de rester vains si la volonté
politique fait défaut. Or, vous le savez mieux que quiconque, monsieur le
ministre, cette volonté politique impose la création d'un véritable ministère
de la santé, autonome par rapport au ministère de l'emploi.
M. Jacques Blanc.
Très bien !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Nous voulons non pas un ministère lourd et technocratique,
mais un ministère coordonnateur et animateur, un ministère qui donne aux
professionnels de santé le sentiment qu'ils sont pleinement écoutés !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Enfin, prenant acte de la volonté du Gouvernement de poursuivre, dans le
présent projet de loi, le débat sur l'arrêt Perruche, la commission propose
d'introduire, avant le titre Ier, un titre additionnel consacré à « la
solidarité envers les personnes handicapées » et comportant un article
unique.
Pour nous, le titre est essentiel. Il affirme, en effet, notre volonté de voir
la solidarité nationale s'exercer pleinement envers les personnes
handicapées.
L'article unique qu'il comporte s'articule autour de quatre principes : le
droit à la solidarité nationale pour toute personne handicapée, quelle que soit
la cause de sa déficience ; l'absence de préjudice du seul fait de la naissance
; le droit à réparation - évident, mais qu'il convient de rappeler - en cas de
faute médicale ayant provoqué directement un handicap ; enfin, le droit à
indemnisation du préjudice moral des parents d'un enfant né avec un handicap
non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée.
C'est sur ce dernier point que le texte que la commission vous propose diffère
essentiellement de celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale dans le
cadre de l'examen de la proposition de loi relative à la solidarité nationale
et à l'indemnisation des handicaps congénitaux. Les députés ont, en effet,
prévu la possibilité d'une indemnisation des titulaires de l'autorité parentale
destinée à la personne handicapée, indemnisation qui correspondrait aux charges
particulières découlant, tout au long de sa vie, de son handicap.
La commission des affaires sociales du Sénat a, pour sa part, estimé que le
texte adopté par l'Assemblée nationale ne répondait en rien au problème soulevé
par l'arrêt Perruche : il ne fait que transférer de l'enfant aux parents
l'indemnisation du handicap, dans le droit-fil de la jurisprudence du Conseil
d'Etat issue de l'arrêt Quarez de 1997.
Elle a considéré que, lorsque la responsabilité d'un médecin est engagée
vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap, non décelé pendant la
grossesse à la suite d'une faute, rien ne justifiait de faire porter sur le
médecin fautif l'indemnisation, tout au long de la vie, des charges résultant
de ce handicap.
M. Jacques Blanc.
Très bien !
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Mes chers collègues, le médecin n'est pas à l'origine de ce
handicap. Il n'a pas commis de faute vis-à-vis de l'enfant. Sa responsabilité à
l'égard des parents ne peut être engagée qu'à hauteur du préjudice moral que la
mère a subi en ne pouvant pas exercer sa liberté de recourir à une interruption
médicale de grossesse ou de se préparer à l'accueil d'un enfant handicapé.
La commission des affaires sociales a, par ailleurs, jugé que l'indemnisation
du handicap aboutirait, en l'occurrence, à créer une inégalité choquante entre
deux catégories de handicapés : ceux dont le handicap serait pris en charge par
la seule solidarité nationale - ceux qui sont nés de mères ayant refusé
l'interruption médicale de grossesse, ou, bien plus souvent, ceux dont le
handicap était indécelable au diagnostic prénatal - et ceux dont le handicap
serait, de surcroît, indemnisé.
Sur des questions aussi difficiles et douloureuses, il est normal et même
souhaitable que des avis divergents s'expriment. Le législateur, lui, a le
devoir de répondre de façon équilibrée aux interrogations et aux craintes de la
société.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout en
tenant compte du droit de la responsabilité, la commission des affaires
sociales a été guidée, dans sa réflexion, par trois exigences fondamentales :
le respect dû à toute vie humaine, le refus de toute discrimination, l'exercice
plein et entier de la solidarité nationale à l'égard des plus faibles.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Dériot, rapporteur.
M. Gérard Dériot,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre II de ce projet de loi est
sans doute moins médiatique que les titres Ier et III, mais il n'en est pas
moins important, puisqu'il concerne la qualité du système de santé.
En ce sens, il apparaît largement indissociable des deux autres volets de ce
texte.
En effet, le premier droit du malade n'est-il pas, en définitive, celui de se
faire soigner dans un système de santé de qualité ? Le meilleur moyen de faire
face aux risques sanitaires ne réside-t-il pas, finalement, dans leur
prévention par l'amélioration de la qualité du système de santé ?
La commission des affaires sociales se félicite donc que le Parlement soit
enfin appelé à débattre des questions de santé, tout particulièrement sous
l'angle de la qualité.
Pour autant, sous cet objectif ambitieux, les dispositions de ce titre II ne
constituent pas, loin s'en faut, un programme cohérent d'amélioration de la
qualité de notre système de santé. Elles constituent bien plus un catalogue de
mesures disparates, parfois utiles et nécessaires, parfois moins, souvent
attendues, quelquefois redoutées.
Il serait donc vain de rechercher une logique d'ensemble à ces dispositions.
Il serait tout aussi vain de chercher des réponses à la question - plus large
et sûrement plus délicate - de la nécessaire modernisation de notre système de
santé, dont on sait qu'il est aujourd'hui, en dépit de performances reconnues
par tous, au bord de l'asphyxie.
J'observe ainsi que ce titre, qui concerne pourtant au premier chef tous les
professionnels de santé, ne comporte aucune disposition susceptible d'apaiser
le malaise, voire la crise grave dont témoignent avec force les mouvements
sociaux actuels.
Aussi, ce n'est sans doute pas un hasard si l'intitulé initialement envisagé
pour ce texte - à l'origine, « modernisation du système de santé » - a été
finalement modifié. Ce glissement sémantique témoigne, selon moi, d'une
révision à la baisse des objectifs initiaux. On peut le regretter.
Il n'en reste pas moins qu'au-delà de sa diversité et malgré les limites que
je viens de souligner, ce titre comporte un certain nombre de dispositions
intéressantes qui méritent d'être étudiées avec soin.
J'observe, d'ailleurs, que l'Assemblée nationale n'a modifié qu'à la marge ce
volet, se contentant d'adopter quelques amendements de précision et
d'introduire quelques articles additionnels.
Les trois premiers chapitres de ce titre II concernent les professions de
santé. Parmi ces dispositions, le seul chapitre véritablement cohérent est
celui qui traite de la formation médicale continue. Comme vous le savez, le
dispositif de formation médicale continue obligatoire, issu de l'ordonnance du
24 avril 1996, n'a jamais véritablement été appliqué.
Lors de l'examen du projet de loi de modernisation sociale, nous avions
souhaité introduire, sur l'initiative de notre ancien collègue Claude Huriet,
un nouveau dispositif de formation médicale continue. Il nous avait alors été
rétorqué qu'il était trop tôt pour légiférer. Or, aujourd'hui, le dispositif
ici proposé est très proche de celui qui avait été adopté par le Sénat, à
l'époque. Nous ne pourrons donc qu'être très favorables à son économie
générale.
Ce dispositif, élaboré après une large concertation avec les différentes
parties prenantes, reste fidèle, dans ses grandes lignes, à l'architecture
générale du système de formation continue prévu par l'ordonnance du 24 avril
1996.
Il y apporte toutefois, dans un évident souci de pragmatisme, trois
améliorations de nature à assurer sa mise en oeuvre dans les meilleures
conditions.
La première amélioration réside dans une plus grande souplesse de
fonctionnement, même si l'on peut regretter l'éparpillement du système entre
quatre conseils nationaux distincts.
La deuxième amélioration tient au champ d'application plus large, puisqu'il
dépasse les seuls médecins pour concerner également les autres praticiens
hospitaliers ainsi que les pharmaciens.
La troisième et dernière amélioration concerne la création d'un fonds national
de la formation, qui constitue une condition
sine qua non
de la mise en
oeuvre du dispositif, en garantissant son fonctionnement, qu'il s'agisse du
financement des différents conseils ou des actions de formation.
Il nous semble toutefois possible d'améliorer encore le dispositif. A cet
égard, il me paraît fondamental d'en garantir la transparence, afin de pouvoir
suivre dans les meilleures conditions sa mise en place et son
fonctionnement.
Il me semble aussi souhaitable d'en préciser les modalités de financement, le
texte qui nous est soumis étant loin d'être clair sur ce point.
Je crois enfin nécessaire d'adapter l'obligation de formation continue des
pharmaciens, disposition introduite de manière un peu précipitée par
l'Assemblée nationale, afin de mieux prendre en compte les spécificités de
cette profession et les propositions déjà émises par les partenaires
sociaux.
Les autres dispositions de ces trois premiers chapitres sont bien plus
disparates.
Il est, en effet, souvent bien difficile de distinguer ce qui relève de la «
compétence professionnelle », objet du chapitre Ier, de ce qui concerne la «
déontologie et l'information », objet du chapitre III.
Toujours est-il que ces dispositions tendent, pour l'essentiel, à mieux
encadrer les conditions d'exercice des professions de santé dans un souci de
sécurité des patients.
Ainsi, l'article 32 institue une nouvelle procédure de suspension temporaire
du droit d'exercer pour les professions de santé, sur l'initiative du préfet,
en cas d'urgence et de danger grave pour les patients.
De même, l'article 33 confie aux ordres la mission de garantir les compétences
des professionnels.
L'article 36 institue, pour sa part, une nouvelle procédure d'autorisation
préalable des installations de chirurgie esthétique.
Dans la même logique, l'article 52
bis
vise à encadrer l'exercice de
l'ostéopathie.
La commission des affaires sociales du Sénat partage, bien entendu, ce souci
de mieux garantir la sécurité des patients et de renforcer la compétence des
professionnels. Elle s'attachera donc principalement, dans ce cadre, à
approfondir ou à rééquilibrer les dispositions proposées pour chercher à
concilier de la manière la plus efficace ces deux exigences que sont la
séucrité des patients et les garanties accordées aux professionnels pour
exercer leur métier dans les meilleures conditions.
De manière plus discrète, ces deux chapitres poursuivent la réforme des
structures ordinales que vient d'évoquer notre collègue Francis Giraud. On peut
d'ailleurs regretter que cette réforme soit éclatée dans deux titres
différents, ce qui n'améliorera sûrement pas la lisibilité de l'ensemble.
Cette réforme vise, bien sûr, en priorité l'ordre des médecins, en prévoyant
notamment, de séparer les instances administratives des instances
disciplinaires. Elle concerne aussi l'ordre des pharmaciens avec la création
d'une nouvelle section H pour les pharmaciens hospitaliers, que l'Assemblée
nationale a d'ailleurs repoussée.
Enfin, cette réforme se traduit par la création d'un office, qui n'est
d'ailleurs en réalité qu'un ordre, sans en avoir le nom, pour certaines
professions paramédicales.
Sur tous ces sujets, la commission des affaires sociales a cherché, là encore,
à rétablir un peu de cohérence dans un paysage qui apparaît souvent bien
tourmenté et que le texte qui vous est soumis ne fait parfois que compliquer
plus encore. Dès lors, notre ligne directrice consistera principalement à
améliorer l'organisation de ces professions dans le souci de mieux prendre en
compte leur spécificité et d'assurer un fonctionnement plus harmonieux de
l'ensemble du système.
Le chapitre IV vise à accorder une place plus importante à la prévention, qui
est trop souvent le « parent pauvre » des politiques de santé publique.
Pourtant, il est symptomatique que ces dispositions n'aient pas été rattachées,
dans l'architecture du texte, au chapitre V du titre Ier, relatif aux
orientations de la politique de santé : la politique de prévention
resterait-elle reléguée au second plan ?
Il n'en demeure pas moins que, pour la première fois, l'on tente de définir la
prévention. En effet, le droit positif est aujourd'hui muet sur ce point.
Ayant déserté la politique de prévention, la France semble avoir également
perdu la bataille du vocabulaire. Permettez-moi de vous rappeler, mes chers
collègues, que l'expression de « prévention et promotion de la santé » peut
susciter une légitime inquiétude. Certes, elle s'explique sans doute par
l'évolution de la définition de la santé proposée par l'Organisation mondiale
de la santé, l'OMS. Pour autant, je considère que la « promotion de la santé »,
que l'on pourrait traduire également, pour une meilleure compréhension, par «
éducation pour la santé », fait partie intégrante de la « prévention » : elle
n'a pas à être distinguée en tant que telle, ces deux notions étant
véritablement liées.
D'une manière générale, dans le cadre des auditions organisées le 9 janvier
par la commission des affaires sociales, plusieurs interlocuteurs ont insisté
sur le caractère inachevé, tant sur la forme que sur le fond, de ce volet «
prévention ».
S'agissant de la forme, les responsabilités des différents organismes ainsi
que les concepts utilisés sont parfois marqués par une grande confusion, que je
tenterai de dissiper en vous proposant un grand nombre d'amendements à
l'article 54.
Sur le fond, il m'apparaît essentiel d'articuler les outils nécessaires à la
politique de prévention, que sont les objectifs et les programmes prioritaires
nationaux, avec les orientations de la politique de santé adoptées dans le
cadre pluriannuel évoqué à l'article 24 par notre collègue M. Francis Giraud.
Ces programmes prioritaires nationaux pourraient d'ailleurs être adoptés dans
le cadre de lois pluriannuelles de santé publique.
Le chapitre V est relatif aux réseaux de santé et constitue un effort tardif,
mais louable, du Gouvernement pour simplifier le droit existant, inadapté à la
pratique.
Pour compléter votre information, il est à noter, mes chers collègues, que ce
chapitre V a été complété par l'adoption, à l'Assemblée nationale, d'une série
d'articles « divers », parmi lesquels nous retrouvons des problématiques chères
aux gynécologues médicaux et aux techniciens de laboratoires hospitaliers.
Vous le voyez, mes chers collègues, toutes ces dispositions sont bien
disparates et risquent de donner à notre débat un aspect quelque peu
décousu.
La commission a toutefois cherché à aborder ce texte, comme à son habitude,
dans un esprit constructif, même si elle regrette qu'il ne soit finalement pas
toujours à la hauteur des attentes qu'il a pu faire naître.
Vous ne serez donc pas étonnés qu'elle vous propose un nombre important
d'amendements sur ce volet : plus de cent ! Ils visent essentiellement à
renforcer la portée de ces dispositions ou à en préciser les procédures
applicables, mais bon nombre d'entre eux sont des amendements de précision, de
coordination ou de cohérence, nécessaires à l'intelligibilité du texte et à son
application dans de bonnes conditions.
Ainsi bonifié, ce texte pourra alors peut-être contribuer utilement à
l'amélioration de la qualité de notre système de santé. C'est en tout cas ce
que nous souhaitons.
Monsieur le ministre, il n'en demeure pas moins que l'impact de ce texte, même
amélioré, sera sans doute marginal. Or notre système de santé a aujourd'hui
incontestablement besoin d'une réforme plus profonde, qui ne se limite pas à
régler quelques problèmes administratifs. Il est clair, en effet, que
l'amélioration de la qualité passe d'abord par une réflexion de fond sur
l'organisation de l'ensemble du système et surtout sur son financement. C'est
de ce point que nous aurions souhaité débattre. C'est dans ce sens qu'il
importe désormais de travailler.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lorrain, rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre III du projet de loi que
nous examinons, consacré à la réparation des conséquences des risques
sanitaires, est sans doute le plus attendu - dans tous les sens du terme - de
ce texte.
Il apporte en effet - enfin ! serait-on tenté de dire - une réponse
législative à la délicate question de l'aléa médical et de sa réparation.
L'acte médical, qu'il soit à finalité diagnostique ou thérapeutique, n'échappe
pas à l'imprévisible, à l'aléa : même parfaitement réalisé, il peut échouer,
blesser, voire entraîner la mort.
L'aléa médical peut être défini comme un événement dommageable au patient sans
qu'une maladresse ou une faute quelconque puisse être imputée au praticien, et
sans que ce dommage ait un lien avec l'état initial du patient ou son évolution
prévisible.
Cette définition implique que l'accident était imprévisible au moment de
l'acte, ou qu'il était prévisible mais d'une occurrence tout à fait
exceptionnelle, de sorte que le risque était justifié au regard du bénéfice
attendu de la thérapie.
Un cas typique est celui du patient qui subit des examens médicaux justifiés
par son état, réalisés conformément aux données acquises de la science et après
que son consentement éclairé a été recueilli. Or cet examen entraîne chez ce
patient un dommage majeur, telle une paralysie.
La question de l'aléa médical et de sa réparation revêt aujourd'hui une
particulière acuité.
En effet, les victimes des accidents médicaux sont confrontées à une fatalité
doublée d'une incohérence, puisque, frappées dans leur chair, les victimes - ou
leurs ayants droit - se voient parfois opposer un refus d'indemnisation du fait
de l'actuelle inadaptation du droit positif français. Ainsi, selon que l'aléa
se sera produit dans le cadre du service public hospitalier ou dans un
établissement privé, il sera indemnisé dans des conditions très différentes.
Cette hétérogénéité du droit positif, source d'une inégalité difficilement
supportable pour les victimes, est inadmissible.
La question de l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux, très
largement débattue, a fait l'objet de nombreux projets et propositions de loi
dont aucun n'a abouti, faute d'accord sur une solution satisfaisante pour
l'ensemble des partenaires concernés et compte tenu, depuis l'apparition des
contaminations par le virus de l'hépatite C, de l'importance des masses
financières en jeu.
Les rapports, projets et propositions de loi sur la responsabilité médicale et
l'indemnisation de l'aléa thérapeutique n'ont pas manqué depuis trente ans.
Tous convergent sur une même conclusion : l'intervention du législateur est
devenue indispensable.
Au cours des dix dernières années, les colloques se sont multipliés, plusieurs
rapports ont été rédigés sur le sujet, une vingtaine de propositions de loi ont
été déposées sans être discutées par le Parlement et plusieurs projets de loi
ont été mis en chantier par les différents gouvernements sans voir le jour.
Maintes fois promise, la réponse législative à l'insatisfaction des usagers,
qui s'estiment mal indemnisés lorsque survient un accident médical, comme à
celle des professionnels de santé, qui craignent une dérive « à l'américaine »,
était cependant toujours différée.
Du fait de l'absence d'initiative des pouvoirs publics, le juge, disposé à
améliorer de manière significative le sort de la victime, se voyait dès lors
conduit à adopter des constructions jurisprudentielles qui bousculent les
règles traditionnelles de la responsabilité civile.
Seule une modification de la loi était en réalité à même d'offrir enfin, aux
uns et aux autres, cette réponse dans de brefs délais.
Cette analyse avait conduit notre ancien collègue Claude Huriet à déposer et à
faire adopter, le 26 avril 2001, par notre assemblée, une proposition de loi
relative à l'indemnisation de l'aléa médical et à la responsabilité médicale,
qui constituait une première avancée significative.
Il est heureux qu'après de longs atermoiements le Gouvernement se soit enfin
décidé à présenter au Parlement, dans le titre III du présent projet de loi,
des dispositions consacrées à la réparation des conséquences des risques
sanitaires.
Ce titre a pour objectif, dans son article 58, d'unifier et de stabiliser les
règles en matière de responsabilité en cas d'accident médical, d'une part, et
de définir un nouveau droit à indemnisation en cas d'aléa thérapeutique,
d'autre part.
Il est ainsi rappelé que la responsabilité des professionnels ou des
établissements doit essentiellement reposer sur la notion classique de faute,
dès lors que le projet de loi permet aux victimes d'accidents graves non
fautifs d'être indemnisées.
Parallèlement, est instituée une obligation d'assurance responsabilité civile
qui s'impose à tous les professionnels de santé exerçant à titre libéral, à
tous les établissements exerçant des activités de soins ainsi qu'aux
producteurs et fournisseurs de produits de santé.
De manière plus originale, le projet de loi vise à créer un dispositif de
règlement amiable et d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux,
d'affections iatrogènes et d'infections nosocomiales, selon une procédure non
contentieuse et non obligatoire, reposant sur des commissions régionales de
conciliation et d'indemnisation.
Dans leurs avis, qu'elles doivent rendre dans un délai de six mois, les
commissions se prononcent sur l'étendue des dommages subis par la victime et
sur la responsabilité éventuelle d'un professionnel ou d'un établissement de
santé.
En cas de faute, il revient à l'assureur du professionnel ou de
l'établissement de santé d'indemniser la victime.
Dans le cas d'un aléa médical, la victime est indemnisée par un office
national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes,
établissement public à caractère administratif, placé sous la tutelle du
ministre de la santé et dont le financement est assuré pour l'essentiel par
l'assurance-maladie.
Ce dispositif s'accompagne, en outre, d'une réforme de l'expertise médicale
avec la création d'une liste nationale d'experts constituée par une commission
nationale. L'accès à l'expertise sera gratuit dans le cadre de la procédure
devant les commissions régionales.
Le mécanisme proposé par le Gouvernement apparaît donc indéniablement
complexe. Les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation
joueront un rôle central. C'est de leur efficacité et de la qualité des
décisions qu'elles prendront que dépendra finalement le succès ou l'échec de
cette réforme.
Le dispositif prévu par le Gouvernement présente, en outre, certaines
faiblesses que la commission des affaires sociales vous proposera, mes chers
collègues, de corriger par voie d'amendements.
Ainsi, nous jugeons nécessaire d'inscrire dans la loi une définition des
accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections
nosocomiales.
Il convient également de réaffirmer avec force que, sauf pour les infections
nosocomiales, les professionnels et les établissements de santé ne sont
responsables qu'en cas de faute. En revanche, les établissements restent tenus
par une obligation de sécurité de résultat et sont donc responsables des
dommages résultant des infections nosocomiales, à moins qu'ils n'apportent la
preuve d'une cause étrangère.
De même, la commission des affaires sociales proposera de fixer dans la loi un
plafond pour le taux d'incapacité permanente, qui sert de seuil d'entrée dans
le mécanisme de règlement amiable, afin d'éviter qu'un taux trop élevé ne soit
finalement retenu par le biais du décret, ce qui exclurait de nombreuses
victimes du bénéfice de l'indemnisation.
Ainsi, le taux d'incapacité permanente ouvrant droit à la réparation, au titre
de la solidarité nationale, des préjudices subis par le patient ne pourrait
être supérieur à 25 %, taux qui correspond, à titre d'exemple, à la perte d'un
oeil.
La commission des affaires sociales proposera également au Sénat de limiter,
dans les contrats d'assurance en responsabilité civile professionnelle des
établissements et des professionnels de santé, les montants et la durée de la
garantie.
Une telle disposition est de nature à apaiser les inquiétudes légitimes des
assureurs médicaux, qui font valoir, à juste titre, les risques financiers
qu'entraînerait pour eux l'obligation d'assurance. Il serait en effet inutile
de prévoir une obligation d'assurance pour les professionnels et les
établissements de santé si aucun assureur n'était plus disposé à couvrir un tel
risque.
Parallèlement, il semble nécessaire de limiter le montant de l'amende civile
susceptible d'être infligée en cas d'offre insuffisante de l'assureur à ce qui
est strictement prévu par la loi dite « Badinter » du 5 juillet 1985, dont
s'inspire directement le dispositif présenté par le Gouvernement, soit 15 % de
l'indemnité allouée par le juge.
Il convient par ailleurs de prévoir que l'expertise médicale sera systématique
et contradictoire et d'encadrer plus strictement les dispositions transitoires
concernant les experts médicaux, afin d'éviter que la réforme de l'expertise
prévue par le projet de loi ne soit vidée de toute portée.
Enfin, le mécanisme présenté par le Gouvernement comporte une grave lacune à
laquelle la commission des affaires sociales ne peut pas remédier : il
n'apporte pas de véritable réponse s'agissant des personnes contaminées par le
virus de l'hépatite C.
Certes, le projet de loi vise à faciliter l'indemnisation par les juridictions
des victimes d'hépatites C dues à des transfusions anciennes, qui rencontrent
souvent des difficultés à apporter la preuve de l'imputabilité de leur
contamination à une transfusion. Il crée à cette fin un régime de preuve
spécifique : c'est le juge qui formera sa propre conviction au vu des éléments
apportés par chaque partie et des résultats des mesures d'expertise dont il
prendra l'initiative ; en cas de doute, celui-ci profitera à la victime.
Il n'y a cependant là rien de véritablement nouveau : le projet de loi ne fait
qu'inscrire dans la loi la jurisprudence désormais établie de la Cour de
cassation.
Cet aspect est incontestablement le plus décevant du titre III de ce projet de
loi. J'estime pour ma part qu'une prise en charge par la solidarité nationale
de l'indemnisation des personnes contaminées par ce virus aurait été nettement
préférable. Toutefois, nous savons quelles seraient les conséquences d'une
telle décision.
J'ajoute, pour être complet, que le titre IV rassemble des dispositions
relatives à l'outre-mer.
La commission des affaires sociales proposera au Sénat d'adopter, s'agissant
de ce titre, plusieurs amendements prévoyant des changements rédactionnels et
des coordinations avec le reste des modifications apportées au projet de loi.
Par ailleurs, plusieurs amendements ont été déposés par nos collègues
représentant les départements et les territoires d'outre-mer. Ils visent, pour
l'essentiel, à étendre, sous réserve de quelques adaptations, des dispositions
qui sont déjà en vigueur en métropole.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
les observations que je souhaitais formuler sur les titres III et IV de ce
projet de loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la commission des lois a examiné pour avis le projet de loi relatif
aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Cet examen est évidemment justifié par le fait que ce texte comporte une
redéfinition fondamentale du droit de la responsabilité en matière de risques
sanitaires. Il l'est aussi, plus généralement, par le fait que si les membres
de notre commission sont sans doute peu qualifiés pour apprécier concrètement
la situation des médecins et des établissements de santé,...
MM. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales,
et Francis Giraud,
rapporteur.
Mais si !
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
... puisque, me semble-t-il, aucun d'entre eux
n'est médecin,...
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Vous avez renvoyé tous
les médecins à la commission des affaires sociales !
(Nouveaux sourires.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
... ils sont, comme tout un chacun, bien placés
pour apprécier les problèmes des malades. En effet, selon la leçon impérissable
du docteur Knock, nous sommes tous des malades potentiels !
(M. de Raincourt rit.)
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
« Tout homme bien
portant est un malade qui s'ignore ! »
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Pour autant, nous n'avons pas cru devoir nous
livrer à un examen détaillé des titres Ier et II du texte, intitulés
respectivement « Démocratie sanitaire » et « Qualité du système de santé ».
La commission des lois a cependant jugé très positive, monsieur le ministre,
l'orientation de cette partie du projet de loi, qui tend, d'une manière
générale, à améliorer la situation des malades par rapport au système de santé
et à faire que, par une série de mesures qui vont d'une meilleure information
et du respect de la dignité du malade à l'organisation et à la déontologie des
professionnels de la santé, la relation entre le malade et le système sanitaire
dépasse le caractère purement technique de l'acte médical
stricto sensu
et prenne mieux en compte la personne tout entière du malade, dans un monde
où les progrès mêmes des thérapeutiques ont tendance à effacer la personnalité
du patient derrière le cas particulier qu'il représente.
Il y a là une préoccupation humaniste dont nous vous félicitons, monsieur le
ministre, qui inspire l'ensemble du texte et mérite d'être saluée, sans
méconnaître le surcroît de servitudes que cette prise en compte peut imposer
aux professionnels de la santé.
Au-delà de cet hommage rendu à l'ensemble de la démarche, venons-en à la
contribution spécifique de la commission des lois, contribution qui porte tout
d'abord sur le problème très particulier de certains détenus atteints de graves
maladies, ensuite sur la réparation des conséquences des risques sanitaires,
et, enfin, sur l'aspect très spécifique de ces risques qui a trait aux erreurs
possibles de diagnostic prénatal et à la question posée par un récent arrêté de
la Cour de cassation, que je préfère ne pas citer.
S'agissant de la situation de certains détenus, nous proposons au Sénat
d'introduire un article additionnel permettant la suspension de la détention
des personnes atteintes « soit d'une maladie mettant en jeu le pronostic vital,
soit d'une maladie qui est durablement incompatible avec le maintien en
détention », comme par exemple la maladie d'Alzheimer. Il s'agit là d'une
mesure présentée dans le rapport de la commission d'enquête présidée par notre
excellent collègue Jean-Jacques Hyest et dont nul ne conteste qu'elle soit à la
fois très justifiée et très urgente, étant entendu que les modalités prévues
excluent, je crois pouvoir le dire, toute possibilité d'abus ou de fraude. Il
serait souhaitable de ne pas attendre, pour l'adopter, le grand texte relatif
au système pénitentiaire qui viendra un jour en discussion devant le Parlement,
au-delà des ides de mars ou de juin
(Sourires)
, à une date que personne
ne peut prévoir.
Plus complexes sont les dispositions du titre III tendant, pour l'essentiel,
en premier lieu à définir les risques sanitaires résultant du fonctionnement du
système de santé, en deuxième lieu à créer une procédure de règlement amiable
en vue de l'indemnisation des victimes, en troisième lieu à améliorer les
expertises et, enfin, en quatrième lieu, à instaurer une obligation d'assurance
de responsabilité civile médicale.
Sur le premier point, le projet de loi, en distinguant clairement les
hypothèses de responsabilité pour faute identifiée, auxquelles s'ajoutent la
plupart des affections nosocomiales n'ayant pas de cause étrangère, des autres
hypothèses relevant de ce qu'il est convenu d'appeler l'aléa thérapeutique,
s'inscrit très opportunément dans la voie ouverte par notre assemblée, sur
l'initiative, en particulier, de notre ancien collègue Claude Huriet, et qui a
donné lieu au vote d'un texte. Il est d'ailleurs permis de regretter, monsieur
le ministre, que le Gouvernement ne se soit pas cru obligé de donner une suite
immédiate à celui-ci.
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Nous y sommes !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Nous y sommes, c'est vrai ! A tout péché
miséricorde, surtout aux petits péchés !
(Rires.)
Ce texte aura le grand mérite de permettre la couverture de l'aléa
thérapeutique au titre de la solidarité nationale. Les membres de la commission
des lois sont bien sûr préoccupés par les problèmes de responsabilité, et ce
point représente, comme cela a été dit, une avancée considérable.
En conséquence, les victimes de tels aléas, qui étaient jusqu'à présent
privées de recours compte tenu de l'absence de responsables identifiés comme
fautifs, pourront dorénavant bénéficier d'une indemnisation.
Cette disposition présente en outre le grand intérêt, notamment d'un point de
vue juridique, de mettre fin à une certaine dérive jurisprudentielle tendant à
multiplier les fautes présumées, dans le souci de permettre l'indemnisation des
victimes. On voyait ainsi se restreindre la définition même de la
responsabilité médicale telle qu'on l'entendait d'une manière classique.
Le curseur se trouvera désormais fixé entre la responsabilité pour faute et
une responsabilité sans faute, ce qui devrait être de nature à rassurer les
professionnels de santé et leurs assureurs. La commission des lois approuve ce
dispositif. Elle se bornera à vous proposer, mes chers collègues, d'y apporter
quelques améliorations rédactionnelles. Elle admet, en particulier, du moins
dans un premier temps, car nous espérons que les choses évolueront, que
l'indemnisation de l'aléa médical ne soit couverte qu'à partir d'un certain
degré de gravité. Certes, on ne peut pas tout régler d'un seul coup, mais il
lui paraît que la détermination de ce degré de gravité ne saurait être laissée
à la discrétion du pouvoir réglementaire, étant donné que cela constitue tout
de même l'un des éléments essentiels du dispositif. Elle ne croit pas disposer
de la compétence nécessaire pour apprécier avec précision ce taux, mais elle
souhaite expressément qu'il soit arrêté par notre assemblée, sur proposition de
la commission des affaires sociales, évidemment plus compétente... sur ce point
!
(Rires.)
M. Henri de Raincourt.
C'est vrai !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Il importe cependant que ce seuil d'indemnisation
ne trouve d'application que dans le domaine de l'aléa thérapeutique, et non
quand il s'agit d'une faute identifiée, au regard de laquelle le droit à
réparation ne peut relever que du droit commun. Un amendement tendant à
traduire cette distinction dans le projet de loi sera présenté.
En ce qui concerne la procédure de règlement amiable, je ne saurais dissimuler
la perplexité, pour ne pas employer un terme plus désagréable, de la commission
des lois à l'égard d'un dispositif entièrement nouveau, qui vise manifestement
à se substituer à la procédure judiciaire de droit commun et dont la
motivation,
a priori
sympathique, ne saurait faire oublier tout ce que
sa mise en oeuvre comporte de singulier et d'aléatoire.
Relevons immédiatement qu'il serait illusoire de créditer ce dispositif d'un
avantage quelconque du point de vue de la rapidité de la procédure.
(M. le ministre lève les bras au ciel.)
Mais si, monsieur le ministre ! Vous ne fréquentez pas les salles d'audience,
et je vous en félicite. C'est préférable !
(Rires.)
Avec le système des référés simples pour organiser l'expertise et des
référés-provisions, lesquels ont acquis une grande autorité, les procédures
judiciaires, aussi bien que les procédures administratives, permettent aux
victimes d'obtenir des indemnisations rapidement, sous la seule réserve des
délais d'expertise ou de contre-expertise, qui devront être supportés dans
toutes les procédures imaginables : on est toujours confronté au problème de la
durée de l'expertise.
Il reste, cependant, que le dispositif présenté, en permettant d'obliger
l'Office national d'indemnisation à se substituer, pour l'indemnisation, aux
responsables d'une faute identifiée qui refuseraient de s'exécuter, garantit
dans ce cas une indemnisation à la victime, qui n'aura pas à supporter la
charge de la poursuite du recours, cet office se trouvant substitué dans ses
droits pour récupérer l'indemnisation avancée par lui. Compte tenu de cet
avantage incontestable et, surtout, de la crainte qui est la sienne que son
scepticisme à l'égard du dispositif proposé ne soit mal compris, ce qui est
fréquent en ce bas monde, et interprété par certains esprits comme un signe de
mauvaise volonté, la commission des lois se bornera à soutenir quelques
amendements rédactionnels tendant à améliorer le texte.
Les dispositions qui visent à améliorer l'expertise, comme celles qui
régissent l'assurance obligatoire des médecins, sont les bienvenues et
présentent une grande importance. La commission des lois s'en tiendra à
proposer de prévoir la possibilité d'introduire des limitations dans les
contrats d'assurance, dans le souci de préserver le « caractère assurable du
risque ». Il faut admettre, à mon sens, un plafonnement et, probablement, des
délais de recours.
Par ailleurs, elle vous proposera de codifier une disposition toute nouvelle
tendant à unifier la prescription des recours en responsabilité qui sont
actuellement de quatre ans devant la juridiction administrative et de trente
ans devant les juridictions judiciaires. Il s'agit là d'une très opportune
initiative de l'Assemblée nationale.
A cette occasion, il convient d'évoquer une nouvelle fois ce que peut avoir de
choquant pour l'esprit et de préjudiciable pour toutes les personnes concernées
cette dualité de juridictions qui veut que des affaires parfaitement identiques
dans la réalité des faits - ce sont quelquefois les mêmes praticiens qui
opèrent, le matin, à l'hôpital et, l'après-midi, dans une clinique - soient
traitées selon des procédures et des règles de droit profondément différentes
en fonction de la juridiction compétente.
Je ne puis que reprendre ici le souhait exprimé par M. Mattéi devant
l'Assemblée nationale de voir le Gouvernement - la question étant assez
complexe, elle ne peut être résolue par une proposition de loi - nous proposer
un texte qui unifierait ces contentieux, comme on l'a déjà fait dans le passé
pour les accidents de la circulation. Il est profondément choquant de voir se
perpétuer un système qui a sans doute le mérite de diversifier et d'enrichir à
l'infini la jurisprudence et la réflexion juridique mais qui ne le fait qu'aux
dépens du justiciable.
Nous en arrivons à la question humainement si émouvante et juridiquement si
délicate posée par la récente jurisprudence de la Cour de cassation - qu'il est
convenu d'appeler la jurisprudence Perruche - concernant les erreurs commises à
l'occasion d'un diagnostic prénatal.
Il convient tout d'abord d'opérer une distinction fondamentale entre les deux
principales questions qui se posent actuellement.
La première question, qui était à l'origine la seule, en particulier dans la
démarche de notre collègue M. Mattéi, était de savoir si un enfant atteint d'un
handicap congénital disposait, à titre personnel, d'un recours à l'encontre du
praticien dont l'erreur n'aurait pas mis sa mère en mesure de procéder à
l'interruption de sa grossesse en toute connaissance de cause. La Cour de
cassation l'admet tandis que le Conseil d'Etat le refuse et avec lui l'ensemble
de l'opinion, je crois qu'on peut le dire, spécialement celle des milieux
concernés pour autant, du moins, que l'on puisse en juger.
La seconde question se situe dans le cadre de la relation contractuelle - on
ne le dira jamais assez - établie entre la mère, éventuellement la mère et le
père, et le praticien. Elle est de savoir si, dans une telle hypothèse, qui
suppose une faute du praticien, la mère peut exercer à son encontre un recours,
en invoquant le préjudice qui résulte pour elle d'avoir mis au monde un enfant
handicapé, ce qu'elle aurait pu préférer éviter, exerçant ici un droit que
notre législation lui reconnaît.
Sur la première question, il y a apparemment unanimité pour ne pas reconnaître
à l'enfant né handicapé une action en réparation du seul fait de ce handicap,
et ce non seulement dans l'hypothèse de l'erreur de diagnostic prénatal, mais
aussi dans toute autre hypothèse, pour des raisons qui tiennent à la fois à des
considérations morales et à des considérations juridiques, ces dernières
touchant en particulier à l'insuffisance du lien de causalité. Je n'ai donc pas
à m'étendre sur ce point.
La seconde question, fondamentalement distincte de la première, n'était
d'ailleurs pas visée dans la proposition de loi de notre collègue M. Mattéi.
Elle est apparue au cours du débat et sur l'initiative des praticiens du
diagnostic prénatal qui ont fait valoir le caractère particulièrement délicat
et aléatoire de leurs investigations au regard d'une responsabilité pouvant
être considérable et donc difficilement assurable. On y a déjà fait allusion à
juste titre.
Rappelons que les données essentielles de la question sont malheureusement
masquées par la rédaction du texte de l'Assemblée nationale qui peut donner à
penser que l'action de l'enfant, apparemment écartée par le premier alinéa de
son texte, se trouve réintroduite dans le troisième alinéa puisque celui-ci
énonce que « les titulaires de l'autorité parentale », qui ne sont pas ceux qui
ont consulté le médecin, qui ne sont donc pas parties au contrat, « peuvent
demander une indemnité destinée à la personne handicapée ».
(Sourires.)
Cette rédaction peut être améliorée. D'ailleurs, nos
excellents collègues de l'Assemblée nationale qui ont travaillé sur ce sujet
dans la hâte ont dit qu'ils faisaient ce qu'ils pouvaient mais que la rédaction
pourrait être améliorée au cours de la navette. En réalité, la situation est
toute différente, étant entendu qu'il s'agit de la relation contractuelle
établie entre le praticien et la mère, ou la mère et le père, en fonction du
contrat. Dans un tel cadre, le recours appartient à la mère, éventuellement aux
parents, et l'appréciation de l'indemnité correspond à celle du préjudice subi
par eux.
L'application du droit commun de la responsabilité contractuelle voudrait que,
dans un tel cas, la responsabilité du praticien soit engagée sur le seul
constat d'une faute professionnelle et que le préjudice réside dans la charge
morale et économique créée pour les parents par la venue au monde d'un enfant
handicapé, le lien de causalité résidant dans le fait que, si les parents
avaient été correctement informés, ils auraient pu, en interrompant la
grossesse, éviter ce préjudice. On a donc bien la faute, le préjudice sous ses
différents aspects et le lien de causalité. En effet, ils disent que s'ils
avaient su, ils auraient pris telle ou telle mesure et cet événement coûteux ne
serait pas intervenu. L'articulation est parfaitement correcte au point de vue
juridique.
Disons, pour simplifier, qu'il s'agit de la jurisprudence commune sur ce point
à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, celui-ci l'ayant exprimée d'une
manière particulièrement claire dans l'arrêt Quarez qui fixe le préjudice
économique à une rente mensuelle de 5 000 francs pendant toute la durée de la
vie de l'enfant. A cette occasion, rappelons que les parents ont l'obligation
de subvenir aux besoins de leurs enfants, non seulement jusqu'à la majorité de
ceux-ci, mais au-delà, selon la situation respective des parents et des
enfants.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Cela arrange l'Etat
!
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
C'est donc une obligation juridique, qui se trouve
aggravée en fonction des circonstances.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Cela arrange bien la
solidarité nationale !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Je suppose, monsieur le président About, que vous
ne voulez pas que je réplique, sinon, tout à l'heure, je pourrais à mon tour
vous interrompre.
(Sourires.)
Ne nous y amusons pas trop !
Compte tenu cependant des aspects particuliers du diagnostic anténatal que je
viens de rappeler et pour tenir compte des légitimes inquiétudes des médecins
concernés, l'Assemblée nationale a conçu pour ce cas une définition
particulière du système de responsabilité comportant l'exigence d'une faute
lourde.
Je dis à tous ceux qui en doutent que la distinction entre la faute simple et
la faute lourde est, bien sûr, considérable. Rappelez-vous que nous avons voté,
dans un tout autre domaine, un texte qui a établi une distinction entre la
faute simple et la seule faute caractérisée et que ce texte, à lui seul, a fait
disparaître la moitié du contentieux dans le domaine de responsabilité auquel
je fais allusion. Donc, en l'occurrence, on fait disparaître pratiquement la
moitié des recours. A l'exigence d'une faute lourde, l'Assemblée nationale a
ajouté l'exigence d'un handicap d'une particulière gravité et elle a prévu - et
ce point est aussi important que les deux autres - que l'indemnité du préjudice
économique serait calculée « déduction faite du montant des allocations et
prestations, de quelque nature qu'elles soient ». Il s'agit donc du préjudice
complémentaire, au-delà des prestations non récupérables de la sécurité sociale
et de la solidarité.
Fallait-il aller si loin ? Certains membres du groupe communiste de
l'Assemblée nationale ont dit que l'on ne pouvait pas aller aussi loin. Pour sa
part, la commission des lois a considéré qu'un tel dispositif allait aussi loin
que possible dans la voie d'une adaptation du droit commun de la responsabilité
au cas particulier du diagnostic prénatal. Elle a approuvé ce dispositif en
proposant simplement quelques modifications rédactionnelles.
La commission des affaires sociales, dans sa non moins grande sagesse -
a
priori
nous sommes tous sages
(Sourires) -
considère, de son côté, qu'il convient en outre de réduire
l'indemnisation des parents à leur seul préjudice moral, procédant ainsi à une
distinction qui porte au principe général de l'égalité des citoyens devant la
loi une atteinte que la commission des lois ne croit ni possible ni
justifiée.
Elle ne la croit pas possible parce qu'il est de règle - et cette règle a, je
me permet de le rappeler, valeur constitutionnelle - que, dans l'hypothèse où
une responsabilité est reconnue, - quelle que soit sa valeur - elle permet à la
victime d'obtenir réparation de l'ensemble de son préjudice dans lequel on ne
saurait établir de distinctions arbitraires. Il existe sur ce point des
décisions du Conseil constitutionnel qui sont d'une parfaite clarté.
Elle ne croit pas non plus cette atteinte justifiée, je tiens à le dire, car
l'argument d'équité qui semble avoir guidé nos collègues de la commission des
affaires sociales n'est pas fondé. Il consiste à demander que soit observée une
égalité de traitement entre tous les handicapés, oubliant cependant que, dans
la réalité, leurs situations sont nécessairement différentes, à commencer en
fonction de leurs conditions familiales d'existence.
Mais, surtout, et en toute hypothèse, la différence de situation résultant des
mécanismes de la responsabilité se retrouve dans tous les domaines de la vie,
spécialement en matière d'accidents de la circulation - c'est quotidien, hélas
! - où les situations sont toutes différentes selon qu'il y a ou non un tiers
responsable.
Monsieur le président, je dois conclure.
M. le président.
Je vous y invite, même si vos propos sont très intéressants.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur pour avis.
Vos invitations sont des ordres, monsieur le
président, et je conclus,... plus précisément, je vais conclure.
(Sourires.)
Au total, le dispositif proposé par la commission des affaires sociales
établirait - il faut y réfléchir, mes chers collègues - une
quasi-irresponsabilité dans un secteur professionnel déterminé, ce qui nous
paraît inacceptable et même dangereux.
Mon dernier mot sera pour dire qu'il n'y a pas dans cette circonstance une
opposition quelconque entre ceux qui seraient mus par la compassion et ceux qui
seraient en quelque sorte esclaves du droit. Nous sommes tous animés d'un
profond sentiment de compassion et de respect face aux situations qui font
l'objet de notre débat et que, à un titre ou à un autre, aucun de nous ne peut
ignorer. Simplement, nous avons été de ceux qui croient que la compassion n'est
pas une conseillère suffisante dès lors qu'il s'agit de légiférer et qu'il lui
faut emprunter sagement les voies du droit si l'on veut atteindre à
l'efficacité sans laquelle la compassion se bornerait à des proclamations dont
une assemblée responsable ne doit pas se satisfaire. Il s'agit non pas d'une
opposition, mais d'une différence dans l'appréciation des voies et moyens, rien
de moins, rien de plus.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois vous demande,
mes chers collègues, de la suivre dans ses propositions, ayant la conviction
profonde que le respect des principes essentiels du droit reste la voie la plus
autorisée et la plus sûre pour servir les préoccupations humanistes et
humanitaires qui nous sont communes.
(MM. Moinard, Picheral et Badinter applaudissent.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre notre débat car M. François
Logerot doit déposer le rapport annuel de la Cour des comptes.
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