SEANCE DU 23 JANVIER 2002
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 140 est présenté par M. Hoeffel, au nom de la commission des
lois.
L'amendement n° 193 est présenté par M. Lassourd, au nom de la commission des
affaires économiques.
Tous deux sont ainsi libellés :
« Supprimer le texte proposé par l'article 49 pour l'article L. 121-9 du code
de l'environnement. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 140.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Cet amendement puise ses racines dans une expérience récente.
Le texte proposé pour l'article L. 121-9 du code de l'environnement que nous
voulons supprimer vise à permettre d'organiser un débat public sur des
questions générales en l'absence de tout dossier concret, alors même qu'aucun
projet précis n'est prévu. Le débat concernant le troisième aéroport en
constituait d'ailleurs une anticipation.
Nous estimons que c'est au Parlement et au Gouvernement de fixer les grandes
orientations, et non pas au débat public. Tel est l'objet de cet amendement n°
140.
M. le président.
La parole est à M. Lassourd, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement
n° 193.
M. Patrick Lassourd,
rapporteur pour avis.
Cet amendement de suppression est nécessaire dans
la mesure où le texte proposé par le projet de loi permet d'élargir
considérablement le champ d'intervention de la commission nationale du débat
public.
Outre la prééminence qui est reconnue au ministre de l'environnement, le texte
qui nous est soumis prévoit que ce dernier, conjointement avec un ministre
intéressé, peut saisir la commission pour l'organisation d'un débat public sur
des questions générales ou sur l'examen de diverses options préalables à
l'élaboration d'un ou plusieurs projets d'aménagement.
Même si le débat organisé sur le troisième aéroport en Ile-de-France ne
préfigure qu'en partie ce genre de débat, les enseignements qui en ont été
tirés incitent à la plus grande réserve.
En effet, la méthodologie retenue et la nature des questions posées n'ont fait
que renforcer les frustrations des citoyens les plus opposés au projet sans
parvenir à dégager les voies d'une acceptation sociale, au nom de l'intérêt
général.
Plus généralement, ce type de débat est en définitive intrinsèquement voué à
l'échec. Il a pour objet de faire débattre sur des options d'intérêt général
alors que, la plupart du temps, les participants veulent s'opposer à un projet
concret résultant d'un arbitrage.
En outre, il met en cause la légitimité du Parlement à débattre du contenu des
orientations générales qui définissent la politique du Gouvernement.
Fondamentalement, ce type de débat relève de la responsabilité des élus du
suffrage universel et il nous appartient sans doute de confirmer leur rôle, de
le renforcer plutôt que de confier cette responsabilité à une autorité
administrative, certes indépendante, mais dépourvue de toute légitimité
démocratique.
Nous en revenons à ce que nous avons exprimé au début de cette discussion, à
savoir que le débat public doit s'instaurer entre des bornes bien précises,
qu'il ne faut pas déborder sur la volonté du maître d'ouvrage et qu'un
équipement d'intérêt national doit faire l'objet d'un débat au sein du
Gouvernement, avec le Parlement, mais pas forcément dans le public, il ne doit
pas déborder ensuite sur l'enquête publique.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Le
Gouvernement est, bien sûr, défavorable à cet amendement visant à la
suppression d'un article que nous proposons d'inscrire dans le code de
l'environnement, et cela pour des raisons de fond importantes.
Divers exemples récents font apparaître que, de plus en plus, nos concitoyens
veulent participer aux débats. Il ne s'agit pas de retirer du pouvoir au
Parlement - que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale - mais il est des
sujets à propos desquels il est bon d'avoir un éclairage sur ce que pense
l'opinion publique, opinion publique qui, elle-même, est partagée.
L'éventualité d'une troisième plate-forme aéroportuaire n'est peut-être pas le
meilleur exemple, mais, est à cette occasion qu'a eu lieu pour la première fois
ce type de débat. Plus généralement, d'ailleurs, la politique aéroportuaire en
France pourrait être l'un des domaines donnant lieu à l'organisation d'un débat
public.
On peut évoquer aussi le récent débat sur les risques industriels, débat qui
nous a beaucoup éclairés pour rédiger un projet de loi sur les risques
industriels.
Un débat sur les expérimentations d'OGM dans les champs est également
envisageable : ce thème pourrait faire l'objet d'un débat général sans que se
profile un projet particulier.
Ce sont là de grands débats de société à propos desquels il serait opportun
que la nouvelle commission - et même l'actuelle - puisse être saisie, car nous
avons tous - Gouvernement et Parlement - besoin d'être éclairés avant de
débattre et légiférer.
J'ajoute que des débats de ce type sont maintenant organisés dans la plupart
des pays développés, en particulier du nord, que ce soit au Québec ou aux
Pays-Bas ; je pense, par exemple, aux procédures de
hearing
. Dans ces
pays, des commissions nationales peuvent être saisies sur des débats généraux
afin d'éclairer à la fois le Parlement et le Gouvernement en cas d'incertitudes
scientifiques ou lorsqu'on ne sait pas exactement où se situe l'opinion
publique, sachant que celle-ci est parfois contradictoire.
Et c'est d'ailleurs bien le rôle de la commission nationale du débat public
que de refléter les contradictions de notre société, contradictions que nous
pourrions, les uns ou les autres, ne pas saisir tout à fait. Nous en aurons une
connaissance plus fine puisque la commission remettra un compte rendu exprimant
les avis contrastés des différentes composantes de l'opinion.Cela ne pourra
qu'aider les pouvoirs publics, que ce soit le Parlement ou le Gouvernement, et
je ne suis donc pas favorable à la suppression du texte proposé pour l'article
L. 121-9 du code de l'environnement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 140 et 193.
M. Philippe Marini.
Je demande la parole contre les amendements.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
En intervenant contre les amendements, je souhaite obtenir des explications
qui pourraient, le cas échéant, faire évoluer ma position.
J'ai, comme certains peuvent l'imaginer, été très mobilisé pendant une longue
période à propos de la troisième plate-forme aéroportuaire. Et je voudrais -
une fois n'est pas coutume ! - suivre un instant M. le ministre dans son
raisonnement.
Faut-il oui ou non une troisième plate-forme aéroportuaire ? Au vu de quelles
analyses ? Pour suivre quelle tendance d'évolution des flux aériens et à quel
prix ? Ce sont bien des questions d'ordre général qui impliquent qu'une
décision soit prise à l'échelon national.
Le problème est de savoir si le Gouvernement, dans la plénitude de ses
responsabilités, exerce seul l'arbitrage ou s'il doit être aidé dans sa
décision par une caisse de résonance des différentes opinions organisée par la
commission nationale du débat public. La question ainsi posée par nos collègues
de l'Assemblée nationale et par M. le ministre est parfaitement légitime.
Permettez-moi de citer un autre exemple de caractère à la fois national et
régional. Nombreux sont ceux qui s'interrogent aujourd'hui, au vu des
directives de l'Union européenne, sur la part qui va être prise dans notre
poligique énergétique par les éoliennes.
On a entamé un processus de libéralisation du marché de l'électricité,
assurant ainsi aux promoteurs des éoliennes, ces gigantesques moulins, grâce à
la garantie des prix de vente, une rentabilité certaine de leurs
investissements.
J'ai un profond attachement - attachement que je partage avec notre collègue
Ceccaldi-Raynaud - pour une région insulaire où l'on voit se mettre en place,
sur des sites absolument admirables, sans aucune enquête préalable, sans aucune
consultation de la population, des batteries d'éoliennes. Au demeurant,
d'autres régions, comme la vallée du Rhône et la Bretagne, connaissent
également ce type d'installations.
Monsieur le ministre, sur des questions de cette nature, ne serait-il pas
raisonnable et équitable d'interroger l'opinion publique à l'échelon régional
et, le cas échéant, à l'échelon national ?
A quel prix tout cela est-il fait ? Pour satisfaire une certaine « idéologie
énergétique », en arrivera-t-on à concentrer des équipements en des lieux
remarquables qui, de ce fait, seront irrémédiablement dégradés ? Acceptera-t-on
de créer des rentes de situation tant pour les investisseurs dans ce type de
matériel que pour les communes, sièges de leur implantation ? Acceptera-t-on de
faire tout cela sans aucune participation extérieure, dans le secret le plus «
technocratique » ?
Pour répondre à ces intérrogations, pourriez-vous me dire, monsieur le
ministre, si l'article 49, tel qu'il est rédigé, permettrait, dans une région
déterminée, d'interroger la population, les experts et les élus sur une
question d'intérêt général ? Si tel était le cas, ne devrions-nous pas, au
moins certains d'entre nous, réfléchir avant de voter l'amendement de nos
excellents rapporteurs ?
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le sénateur, vous avez tout d'abord évoqué le débat public qui a eu lieu sur ce
que vous avez appelé « la troisième plate-forme » et dont le dénomination
exacte est « nouvelle plate-forme aéroportuaire ». Comme vous l'avez remarqué,
la réalisation de cette nouvelle plate-forme aéroportuaire a été décidée par le
Gouvernement en octobre 2000, avant tout débat public.
(M. Marini
aquiesce.)
Par la suite, le Gouvernement a souhaité interroger l'opinion publique sur les
conditions d'implantation. De ce débat sont ressortis essentiellement deux
enseignements.
D'une part, on a ainsi eu connaissance des sites retenus ; on a vu, à propos
des différentes régions, qui était pour, qui était contre et tous les élus, les
associations, les riverains potentiels, etc. tout le monde a participé.
D'autre part, on a remarqué que le débat citoyen avait été plus large que ne
le souhaitait le Gouvernement, puisque il a porté également sur l'opportunité
de la décision, question qui avait été tranchée antérieurement.
Par ailleurs, vous m'avez interrogé sur les éoliennes, qui sont en effet très
chères à mon coeur, non pas pour des raisons idéologiques, monsieur le
sénateur, mais en raison des décisions prises par l'Union européenne lors du
conseil « industrie » de décembre 2000.
Ce conseil a adopté un projet de directive relative à la part qui devait
revenir à l'électricité d'origine renouvelable dans chacun des pays de la
Communauté. Ainsi, pour la France, cette part, qui est actuellement de l'ordre
de 15 % - l'essentiel étant assuré par le grand hydraulique, moins de 1 %
provenant d'autres origines - devrait passer à 21 % aux alentours de 2010. Tel
est donc notre objectif.
Comparons notre situation à celle d'autres pays de l'Union européenne - je
pense notamment à l'Espagne et à l'Allemagne. Les journaux économiques
évoquaient tout récemment le grand potentiel éolien de l'Allemagne, alors qu'en
1990 l'énergie éolienne y était pratiquement inexistante.
Voilà douze ans, l'Allemagne ne savait pas ce que c'était qu'une éolienne,
alors qu'en France deux ou trois industriels savaient fabriquer des éoliennes.
Il en reste encore deux d'ailleurs ; qui sont très compétents : Jeumont et
Vergnet, entreprises de styles tout à fait différents.
Nous avons donc de bons industriels, de bons ingénieurs, nous pouvons être
très performants en matière d'énergie renouvelable, et non seulement nous
pouvons, mais nous devons l'être, pour des raisons internes, pour des raisons
d'échanges extérieurs, mais également pour remplir nos engagements
européens.
Le seuil de 21 % qui nous a été imposé comprend bien évidemment les
différentes sources d'énergie renouvelable. Cela étant, on sait bien que les
plus performantes en la matière sont les éoliennes, notamment celles qui sont
fabriquées par les entreprises dont j'ai parlé, Jeumont et Vergnet.
M. Philippe Richert.
Il faut trouver des sites !
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Il faut
trouver des sites, certes, et je souhaite que leur choix fasse l'objet d'un
débat.
La loi « électricité » du 10 février 2000, qui est déjà en vigueur, précise
qu'avant la fin de l'année 2002 - je ne sais pas ce qui se passera d'ici là -,
le Gouvernement devra présenter au Parlement un projet de loi d'orientation sur
l'énergie.
Bref, quel que soit le gouvernement qui sera en place à cette époque, un débat
sur l'énergie sera organisé au Parlement. Pourquoi ne serait-il pas précédé par
un débat public sur le sujet ? J'y suis d'autant plus favorable qu'il n'y a
jamais eu un tel débat en France. On sait bien que, par le passé, les décisions
énergétiques étaient parfois prises de manière assez confidientielle ; cela,
l'opinion publique ne l'accepterait plus aujourd'hui.
Par ailleurs, d'un point de vue technique, la majorité des éoliennes, qui
pourraient constituer l'essentiel de notre effort en matière d'énergie
renouvelable électrique pour 2010, seront
off shore :
il s'agira de
plates-formes implantées en mer. Or nous avons de grands industriels qui sont
parfaitement capables de réaliser des installations de ce type totalement
fiables. C'est d'ailleurs un marché fort intéressant pour nos industriels.
Voilà pourquoi il faut être favorable aux éoliennes.
M. Philippe Richert.
On assassine nos paysages !
M. André Lardeux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lardeux.
M. André Lardeux.
Je soutiendrai les amendements identiques proposés par les deux commissions
parce qu'ils correspondent à la sagesse même.
II a été rappelé que, pour les politiques nationales, le premier lieu de
débat, c'est le Parlement. Ce débat peut être ensuite porté sur la place
publique. L'opinion n'a d'ailleurs pas besoin de procédures diverses pour se
saisir de la question si celle-ci correspond à ses préoccupations
immédiates.
Je voterai aussi ces amendements au regard de la fin du texte proposé pour
l'article L. 121-9 du code de l'environnement : « ... options préalables à
l'élaboration d'un ou plusieurs projets d'aménagement ou d'équipement. »
En effet, cela peut concerner de très près les collectivités locales. Si l'on
prend séparément les projets d'équipement des collectivités, ceux-ci sont
évidemment loin de relever du débat public. Mais j'ai vu des groupes de
pression ou l'administration rapprocher des projets de collectivités diverses
et affirmer : « Voilà maintenant un projet d'envergure. » On retrouve alors la
tentation de juger du bien-fondé des choix effectués par les collectivités
locales.
Je ne suis pas contre le débat, mais le dispositif qui nous est soumis
présente le danger d'accentuer la tutelle sur les projets des collectivités
locales. Il existe d'autres procédures qu'il vaut mieux mettre en oeuvre.
M. le président.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 140 et 193, repoussés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, le texte proposé pour l'article L. 121-9 du code de
l'environnement est supprimé.
ARTICLE L. 121-10 DU CODE DE L'ENVIRONNEMENT