SEANCE DU 10 JANVIER 2002


M. le président. « Art. 5. - Après l'article L. 2144-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2144-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2144-2 . - Dans les communes de 100 000 habitants et plus, sont créées dans les quartiers des annexes de la mairie qui peuvent être communes à plusieurs quartiers. Dans ces annexes, des services municipaux de proximité sont mis à la disposition des habitants. Les dispositions de l'article L. 2144-1 sont applicables à ces annexes.
« Un local de la mairie annexe est mis à la disposition des membres du conseil municipal n'appartenant pas à la majorité, qui en font la demande, afin de recevoir le public. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 9, présenté par M. Hoeffel, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
« Supprimer l'article 5. »
L'amendement n° 365, présenté par MM. Peyronnet et Bel, Mme Blandin, MM. Debarge, Domeizel et Dreyfus-Schmidt, Mme Durrieu, M. Frécon, Mme Herviaux, MM. Lagauche, Le Pensec, Marc, Masseret, Mauroy, Picheral, Raoul, Sueur, Teston et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit le second alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article L. 2144-2 du code général des collectivités territoriales :
« Un local de la mairie annexe est mis à disposition des groupes d'élus qui en font la demande, afin de recevoir du public. »
L'amendement n° 670, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Dans le second alinéa du texte proposé par l'article 5 pour l'article L. 2144-2 du code général des collectivités territoriales, supprimer les mots : "n'appartenant pas à la majorité". »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 9.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l'article 5, qui prévoit d'imposer la création d'annexes de la mairie.
Cela étant, nous n'excluons nullement la possibilité d'en créer. D'ailleurs, dans la plupart des villes de plus de 100 000 habitants, il existe déjà, sous une forme ou sous une autre, des mairies de quartier ou des relais de la mairie dans les différents quartiers. Ce que nous souhaitons, c'est que l'on n'impose pas aux communes une contrainte supplémentaire dans ce domaine qui, de surcroît, est parfois source d'insécurité juridique.
Par conséquent, nous demandons là aussi que la souplesse puisse prévaloir : c'est souvent le meilleur moyen de stimuler des initiatives ajustées au tempérament et aux traditions de chaque ville. Que l'on ne dise pas que notre amendement tend à empêcher les mairies d'avoir des relais dans les quartiers, il vise simplement à leur permettre d'adapter leur réponse en fonction des différents quartiers.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet, pour présenter l'amendement n° 365.
M. Jean-Claude Peyronnet. Il s'agit simplement de permettre à tous les groupes politiques d'utiliser les locaux des mairies annexes, y compris lorsqu'ils font partie de la majorité municipale, afin que les droits des différents groupes soient préservés.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour présenter l'amendement n° 670.
M. Michel Charasse. Cet amendement est tout à fait analogue à celui de M. Peyronnet, même s'il n'est pas rédigé de la même manière.
Il faut dire que je suis un peu vieux jeu : j'ai toujours considéré que celui qui commande, c'est celui qui est élu - en tout cas depuis la Révolution française et depuis que l'on est en République - et que l'électeur peut « virer ».
Quant aux biens publics, ils sont la propriété de tout le monde, notamment de ceux qui les paient : ils ne peuvent pas être attribués ou réservés à une faction ou à une fraction.
Cela étant, comme M. Peyronnet présente, dans une rédaction différente, une disposition analogue, je retire l'amendement n° 670.
M. le président. L'amendement n° 670 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 365 ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 9 et 365 ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. S'agissant de l'amendement n° 9, l'article 5 du projet de loi a pour objet, je le répète, de favoriser le rapprochement entre habitants et usagers, d'une part, et élus et services municipaux, d'autre part.
Il est vrai, monsieur le rapporteur, que de nombreuses communes se sont déjà engagées avec succès dans cette voie. La consécration de la mairie de quartier par la loi me paraît cependant indispensable et de nature à renforcer la proximité entre services et usagers. Peut-on refuser cela aux citoyens ?
J'observe d'ailleurs que les mairies de quartier n'existent pas aujourd'hui dans toutes les villes. Certains citoyens peuvent donc en quelque sorte se sentir floués. Par conséquent, je crois utile, par souci d'égalité, d'inscrire dans la loi les annexes de la mairie, afin que, notamment dans les grandes communes, cette forme de service soit partout assurée, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.
En ce qui concerne l'amendement n° 365, les annexes de la mairie permettent de rapprocher certains services municipaux des habitants. L'Assemblée nationale a adopté un amendement prévoyant la mise à la disposition des élus minoritaires, dans ces annexes, d'un local où ils puissent accueillir du public, ainsi que l'extension de cette faculté à tous les groupes d'élus. Cet amendement accroît les obligations pesant sur les communes, mais aussi, indirectement, sur les groupes. En conséquence, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur ce point.
M. Jean-Pierre Schosteck. Toujours plus de dépenses, toujours plus d'impôts !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 9.
M. Jean-Paul Delevoye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Je fais mienne, bien entendu, la position de la commission. Cela étant, je voudrais m'adresser à M. le ministre pour lui demander s'il mesure bien la portée des propos qu'il tient. En effet, au nom de la décentralisation, vous voulez, monsieur le ministre, inscrire dans la loi ce qu'une commune doit faire pour se rapprocher le plus possible du citoyen-usager. Je suis effrayé de constater que vous estimez nécessaire que le législateur anticipe sur l'incapacité du citoyen à sanctionner une mauvaise politique locale.
M. Louis Moinard. Exactement !
M. Jean-Paul Delevoye. Par ailleurs je connais votre cohérence et votre honnêteté intellectuelles, monsieur le ministre. Par conséquent, je sais que lorsque, au nom d'un principe, vous demandez aux collectivités locales de faire quelque chose, vous entendez appliquer ce même principe à l'échelon de l'Etat.
A cet égard, j'ai cru comprendre que vous souhaitiez assurer, dans les communes, l'égalité de traitement par les services publics locaux pour les citoyens-usagers. Je suis donc convaincu que vous allez tout mettre en oeuvre pour faire en sorte que les services de l'Etat puissent garantir, par leur proximité, cette même égalité de traitement à tous les citoyens de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Louis Moinard. Absolument !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Heureusement que l'Etat est là pour le faire ! Ce n'est pas avec le libéralisme qu'on y parviendra.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le ministre, je m'étonne de votre méfiance vis-à-vis des élus. Tous les textes que nous examinons en ce moment traduisent cette méfiance. Ainsi, il semble que seul le recours à la loi puisse permettre de résoudre les problèmes, l'élu, par hypothèse, ayant des arrière-pensées et ne voulant pas faire le nécessaire pour le bien de ses concitoyens.
Comme l'a dit à très juste titre M. Delevoye, qui est mieux placé que quiconque pour s'exprimer sur ce point puisqu'il est président de l'Association des maires de France, les maires sont assez grands pour connaître les besoins de leurs concitoyens en matière de services administratifs de proximité. Si l'on veut, monsieur le ministre, faciliter l'établissement d'un dialogue, permettre au maire et à son conseil municipal de connaître les vrais problèmes de la population, ou simplement les critiques émises par celle-ci sur la politique menée ou sur le fonctionnement des services administratifs, ce qui est particulièrement important dans les grandes villes, il faut donner aux élus les moyens de travailler.
A cet égard, ce qui se passe actuellement à Paris m'étonne. Les moyens mis à la disposition des groupes politiques du Conseil de Paris sont faibles. Je sais que certains s'en satisfont, que la loi est appliquée, mais votre premier devoir, monsieur le ministre, d'autant plus que vous êtes un élu de Paris et que vous vous êtes préoccupé de ce problème, est de permettre aux conseillers de l'opposition d'exercer leur mandat dans de bonnes conditions. La majorité a des moyens, je suis bien placé pour le savoir, mais l'opposition n'est pas bien traitée à l'heure actuelle, alors qu'il n'en allait pas de même sous la municipalité précédente. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Absolument ! Je vais vous donner des chiffres qui illustreront mon affirmation, mes chers collègues !
Ainsi, le groupe du Rassemblement pour Paris, le RPP, qui doit compter trente-quatre élus, dispose de douze collaborateurs. Quelques-uns d'entre eux étant affectés au fonctionnement du groupe, le personnel mis au service des trente-quatre conseillers est très restreint, alors que le volume de leur courrier est souvent égal à celui de parlementaires et qu'ils sont obligés d'assurer leurs permanences.
Sous l'ancienne municipalité, en revanche, le groupe socialiste, qui comptait quarante-trois élus, disposait de trente-neuf collaborateurs, et le Mouvement des citoyens de quinze, soit plus que le groupe du RPP actuellement.
Par conséquent, monsieur le ministre, s'agissant des moyens donnés aux élus pour faire leur métier, c'est-à-dire être des intermédiaires privilégiés entre la population et l'administration énorme de la ville de Paris,...
Mme Nicole Borvo. On s'éloigne du sujet, monsieur Chérioux !
M. Jean Chérioux. ... votre premier devoir, notamment en tant qu'élu de Paris, était de prévoir, dans votre texte, des mesures particulières pour les grandes villes visées par la loi dite « PML », afin que leurs élus puissent faire leur devoir, et rien que leur devoir, de représentants de la population.
M. Robert Bret. Sur quel amendement parlez-vous, monsieur Chérioux ?
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je serai très bref. Je constate que, sous prétexte de démocratie, nous sommes en train de parler de la légitimité de maires et d'élus locaux.
Je sais ce que chacun d'entre nous peut penser des sondages, mais il est un domaine où les sondages ne se sont jamais trompés et où leurs résultats se sont toujours perpétués, c'est la confiance des citoyens dans leurs élus locaux et dans leur maire. Aussi, mes chers collègues, que les élus qui sont les moins considérés par leurs concitoyens ne viennent pas exiger certaines choses des élus qui, chaque fois que leurs concitoyens sont consultés, sont plébiscités. En effet, monsieur le ministre, mes chers collègues, la démocratie, c'est tout de même écouter nos concitoyens, comme ils le disent chaque jour. C'est cela la démocratie participative ! Chaque fois que nos concitoyens sont consultés, ils réitèrent leur confiance dans les élus locaux.
M. Michel Charasse. Vive la proportionnelle !
Mme Nicole Borvo. Voilà ! Nous, nous sommes pour la proportionnelle !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. L'amendement de la commission visant à supprimer l'article 5 sera certainement adopté. Monsieur le ministre, à mon avis, dans la suite du débat, l'Assemblée nationale reviendra sans doute peu ou prou à son texte. Je crois qu'il faut bien veiller à ce qu'elle n'entre pas dans un système qui, pour défendre les droits des minorités, si respectables soient-ils, oublie les droits de la majorité, sinon l'inconstitutionnalité nous guette sur cet article. Il vaut mieux écrire, d'une manière ou d'une autre, que tous les groupes ont les mêmes droits, comme c'est le cas dans nos assemblées parlementaires, mes chers collègues, plutôt que de laisser un vide dans la loi.
Quant à l'exercice de ces droits, il dépendra toujours des moyens que la commune sera en mesure de mettre ou de ne pas mettre à la disposition des groupes. S'il y a difficulté ou pénurie, ça sera pour tout le monde.
M. Jean-Paul Delevoye. Effectivement !
M. Michel Charasse. Mais je ne pense pas qu'en rédigeant ainsi l'article 5 l'Assemblée nationale ait pu envisager un seul instant qu'il pourrait y avoir une salle réservée à chaque groupe de l'opposition avec tout un équipement qui serait bloqué en permanence, etc. Sinon, tout cela se retrouvera un jour ou l'autre sur la feuille d'impôt du contribuable. Si, pour permettre à deux ou trois personnes qui appartiennent à un groupe minoritaire de disposer d'un local, on doit augmenter les impôts, je ne suis pas sûr que la démocratie y gagnera ; la « démocrassouille », peut-être, mais la démocratie, ce n'est pas sûr.
Par conséquent, je souhaite, monsieur le ministre, qu'après le vote du Sénat qui me paraît ne faire aucun doute sur l'amendement de M. le rapporteur, on veille bien, dans la rédaction, à ne pas donner le sentiment, là encore, que le législateur cherche à favoriser les uns plutôt que les autres car, dans ce cas, du point de vue constitutionnel, cela ne passerait pas la barre. S'il n'y a pas dans la loi un certain nombre de garanties qui soient les mêmes pour les uns et pour les autres, le vide risquerait de créer bien des difficultés, notamment aux minorités que l'Assemblée nationale souhaite protéger. Par conséquent, faisons attention dans la suite des opérations.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a beaucoup d'amendements et les discussions vont être longues. Il faut veiller à ne pas répéter sans cesse les mêmes choses. Nous avons des conceptions différentes. Sous prétexte d'autonomie des communes et de décentralisation dont vous êtes devenus les hérauts principaux, vous dites que la loi ne doit pas intervenir. On n'en est pas là. De nombreuses lois interviennent pour que, par exemple, les comptes rendus des conseils municipaux soient affichés. C'est pour qu'il y ait une démocratie de proximité et la transparence. Nous ne devons pas renoncer à légiférer. A cet égard, votre argumentation n'est pas recevable. Vous pouvez la garder. Nous garderons la nôtre. Point n'est besoin, sur chaque amendement, de recommencer cette discussion.
M. Jean Chérioux. Nous avons le droit de parler, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez le droit de parler de Paris tant que vous voulez ! Je préférerais que vous tiriez les leçons de l'expérience récente...
M. Dominique Braye. Parlez-nous de Belfort !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... pour montrer que les Parisiens n'étaient pas forcément d'accord avec les méthodes que vous regrettez. (Exclamations sur plusieurs travées du RPR.)
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. C'est tout de même mieux qu'avant !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans les villes de 100 000 habitants, que nos concitoyens puissent aller retirer une fiche d'état civil ailleurs qu'à la mairie centrale,...
Plusieurs sénateurs du RPR. Il n'y a plus de fiche d'état civil !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certes ! Mon exemple n'est pas bon, mais on pourrait en prendre cent autres !
M. Dominique Braye. Vous connaissez bien la vie des communes, mon cher collègue ! (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour demander n'importe quel renseignement à la mairie, il convient de ne pas être obligé d'aller au centre.
M. Dominique Braye. Quelle méconnaissance des collectivités locales, mon cher collègue !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Alors que vous parlez toujours des citoyens, vous feigniez d'oublier que les villes, notamment de plus de 100 000 habitants, comptent non seulement des citoyens mais aussi des personnes qui paient des impôts mais qui ne sont pas des électeurs, qui ne votent pas.
M. Patrick Lassourd. Nous le dirons tout à l'heure !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ceux-là, vous les oubliez. Or, ils ont aussi le droit d'être protégés. Or vous les oubliez. Nous demandons également, vous le savez bien, qu'ils participent, notamment sur le plan local, au collège électoral. Tant que ce n'est pas le cas, vous n'avez pas le droit de les oublier et de considérer que les services et le contrôle doivent être réservés à ceux qui votent. Le choix de ceux qui votent doit être éclairé, mais nous en parlerons tout à l'heure. Nous évoquerons les droits des minorités. Dans vos bulletins municipaux, si vous retracez vos propres réalisations et s'il n'y a pas de tribune libre de l'opposition ou si elle est réduite à rien, vous faussez, à l'évidence, le jeu de la démocratie de proximité. Aussi, il est bon d'intervenir par la loi pour que cette démocratie de proximité existe. C'est le cas de l'article 5, dont M. le rapporteur demande la suppression.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 5 est supprimé et l'amendement n° 365 n'a plus d'objet.

Article 6