SEANCE DU 20 NOVEMBRE 2001
EFFONDREMENT DES CAVITÉS
SOUTERRAINES ET DES MARNIÈRES
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 70,
2001-2002) de M. Charles Revet, fait au nom de la commission des affaires
économiques et du Plan, sur la proposition de loi de MM. Patrice Gélard,
Charles Revet, Mme Annick Bocandé, MM. Joël Bourdin, Jean-Luc Miraux et
Ladislas Poniatowski tendant à prévenir l'effondrement des cavités souterraines
et des marnières et à préciser le régime juridique des biens immobiliers
affectés (n° 311, 2000-2001).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Revet,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi
que vous présente la commission des affaires économiques et du Plan tend à
résoudre un problème grave : la prévention et la réparation des dommages
consécutifs à des mouvements de terrains dus à des effondrements de cavités
souterraines creusées par l'homme, les cavités dites « anthropiques », plus
communément appelées, dans certaines régions de France dont la Haute-Normandie,
les « marnières », au même titre que les effondrements liés à la présence de
cavités naturelles, notamment d'origine karstique.
Ces dommages sont parfois spectaculaires. A ce sujet, monsieur le président,
puis-je vous demander l'autorisation de faire distribuer des photos qui
illustrent bien les situations auxquelles de nombreuses régions de France sont
confrontées ?
M. le président.
J'ai devancé votre souhait, monsieur le rapporteur, et MM. les huissiers sont
en train de distribuer ces documents.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Charles Revet,
rapporteur.
Je vous remercie, monsieur le président.
Les victimes de telles situations se retrouvent aujourd'hui, et dans de très
nombreux cas, totalement laissées pour compte.
Si la solidarité doit intervenir, c'est bien, semble-t-il, face à des
situations comme celles que nous constatons, de plus en plus nombreuses et dans
la plupart des régions de France : la Gironde, la Manche, la Seine-et-Marne, le
Val-d'Oise, la Somme, les Yvelines, la vallée de la Loire, la Sarthe, l'Eure,
la Seine-Maritime ; et je pourrais allonger la liste, car d'autres départements
sont également concernés.
Dans ces départements, et quelquefois depuis des siècles, l'homme a extrait du
sous-sol des matériaux, que ce soit pour la construction en pierre, notamment,
ou pour servir d'amendement en agriculture. Ce travail a été effectué très
souvent sans contrôle de la puissance publique et sans déclaration. Aussi
est-il indispensable d'engager un véritable recensement de ces cavités qui,
selon les régions, se situent à quelques mètres ou à quelques dizaines de
mètres en sous-sol.
Il est très difficile, d'ailleurs, de situer dans le temps le moment où ces
extractions ont commencé : quelques siècles au minimum. Si des phénomènes
d'effondrement ont pu, ça et là, être constatés depuis toujours, leur nombre
était limité ; mais l'augmentation de la pluviométrie, en particulier depuis la
dernière décennie, a constitué un phénomène aggravant, notamment avec la montée
de la nappe phréatique.
Ce sont des dizaines, voire des centaines de familles qui ont été sinistrées,
malheureusement souvent sans recours.
Des familles se retrouvent ainsi du jour au lendemain plongées dans des
situations inextricables : la maison qu'elles ont construite en toute
confiance, voire des habitations anciennes deviennent inhabitables du fait d'un
effondrement constaté à proximité. Les propriétaires sont souvent confrontés
alors à des situations de relogement précaires, ils doivent payer un nouveau
loyer alors qu'ils acquittent encore les remboursements des prêts contractés
pour la première habitation.
C'est là, monsieur le ministre, que l'on peut mesurer le décalage
extraordinaire qui existe entre le discours ou les bonnes intentions
annonciatrices de prise en compte et la réalité constatée sur le terrain.
Si l'état de catastrophe naturelle a pu être reconnu ces dernières années,
autorisant l'indemnisation de la construction dès lors que des dégâts
importants sont constatés sur la maison d'habitation,
quid
des
situations où l'effondrement intervient de longs mois après la reconnaissance
de l'état de catastrophe naturelle ?
Quid
de la situation de la famille
qui constate un effondrement à quelques mètres de l'habitation sans que
celle-ci soit touchée ?
Quid
des expertises indispensables pour
connaître la nature des cavités et, si nécessaire, procéder à leur comblement
?
Votre Haute Assemblée qui a, la première, appelé l'attention du Gouvernement
sur la question des effondrements miniers ne pouvait pas laisser perdurer cette
situation. Il revient à notre collègue Patrice Gélard d'avoir déposé, avec nos
collègues Annick Bocandé, Joël Bourdin, Jean-Luc Miraux, Ladislas Poniatowski
et votre rapporteur, une proposition de loi, que la commission des affaires
économiques a examinée lors de sa séance du mercredi 14 novembre 2001. Le texte
qui est résulté de ses travaux est aujourd'hui soumis à la discussion du
Sénat.
Avant d'en évoquer l'économie générale, je souhaiterais vous exposer les
grandes lignes du problème qui nous est posé.
Tout d'abord, le droit commun du sol est fixé par l'article 552 du code civil,
qui dispose : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du
dessous. » Il s'ensuit que le propriétaire d'un terrain possède également les
cavités situées au-dessous de celui-ci. Il est donc responsable des dommages
causés par lesdites cavités.
Le propriétaire d'un terrain où survient un effondrement du sol est astreint,
en vertu de la police des immeubles menaçant ruine, à faire procéder aux
travaux de nature à faire cesser le péril existant. Or le coût du comblement
d'une cavité souterraine est sans commune mesure ni avec les ressources dont
dispose le propriétaire du terrain où surviennent les effondrements, ni même
avec la valeur du bien auquel ils font courir un risque ou auquel ils
occasionnent un dommage : selon les estimations du Centre d'études techniques
de l'équipement, le CETE, de Rouen, le comblement d'une marnière de trois cents
à quatre cents mètres cubes coûte au minimum 300 000 francs. En outre, si
l'effondrement occasionne des dommages aux propriétaires avoisinants - j'attire
votre attention sur ce point, mes chers collègues - la responsabilité de la
première victime peut être mise en cause par les tiers pour trouble de
jouissance.
Les plans de prévention des risques naturels prévisibles, les PPRNP, n'étant
manifestement pas adaptés aux cavités souterraines d'origine anthropique, les
maires sont, comme souvent, en première ligne pour gérer ces problèmes. Le
maire est en effet investi par la loi de la compétence nécessaire pour exercer,
outre la police générale des fléaux naturels, la police spéciale des immeubles
menaçant ruine. Il peut prendre un arrêté de péril assorti, le cas échéant,
d'une interdiction d'habiter. Il peut faire réaliser les travaux aux frais du
propriétaire. Mais comment recouvrera-t-il les sommes avancées par la
collectivité à ce titre auprès des propriétaires ruinés ? Nul ne le sait !
Si les maires sont aux prises avec la gestion quotidienne des effondrements
souterrains, l'Etat en reste, hélas ! aux bonnes intentions dont l'enfer est
pavé. Je note d'ailleurs que sa pusillanimité ne concerne pas que les cavités
d'origine anthropique. Même si des progrès ont été réalisés dans le domaine des
effondrements miniers, deux ans et demi après l'adoption de la loi du 30 mars
1999, l'Agence de prévention et de surveillance des risques miniers n'a
toujours pas vu le jour. C'est tout dire !
Au demeurant, il existe une divergence d'interprétation entre les diverses
administrations sur les moyens de lutte à la disposition de l'Etat. En théorie,
selon les services centraux, il serait possible de mettre en oeuvre la
procédure d'expropriation au titre des risques naturels « majeurs », créée par
la loi Barnier du 2 février 1995. Cependant, selon la lettre de la loi, un
effondrement de terrain qui trouve son origine dans une activité humaine ne
saurait, quand bien même lui aussi « menacerait gravement des vies humaines »,
relever de cette procédure.
Mais, me direz-vous, il existe le régime de reconnaissance de l'état de
catastrophe naturelle. Je souhaite que soit ici levée une équivoque à ce sujet.
Les services de l'Etat considèrent, en théorie, que les effondrements de
cavités souterraines peuvent faire l'objet de cette procédure. Il en va tout
autrement sur le terrain : l'état de catastrophe naturelle n'est reconnu que
lorsque les phénomènes d'effondrements sont suffisamment proches dans le temps
d'une cause bien identifiée et trouvant sa source dans un événement naturel tel
que des pluies torrentielles qui entraînent des effondrements « en cascade ».
Un effondrement isolé n'ouvre pas droit à cette procédure qui n'intéresse,
de facto,
que des dommages subis simultanément par un nombre suffisant
de personnes.
Au demeurant, quand bien même l'administration aurait une interprétation
extensive de la notion de catastrophe naturelle, les assureurs se chargeraient
de faire prévaloir la lettre de la loi. Mon rapport contient, à ce sujet, une
annexe très révélatrice.
J'observe enfin que l'exécutif est soucieux de ménager les deniers publics.
Qui le lui reprocherait ? Il n'est, hélas ! disposé à compenser des dommages
que sous réserve que ceux-ci ne lui coûtent rien. Nous ne pouvons
l'accepter.
En examinant le fonctionnement du Fonds de prévention des risques naturels
majeurs, qu'y trouvons-nous ? Beaucoup d'argent qui dort, monsieur le ministre
!
Depuis l'entrée en vigueur de la loi Barnier, une cinquantaine de demandes
d'expropriation seulement ont été transmises par les préfets. Leur nombre ne
fut que de quatre en 2000, et de quatre également au cours du premier semestre
de 2001.
Certes, une partie des moyens dont dispose le fonds a été affectée à des
opérations qui ne relèvent pas du mécanisme d'expropriation précité. Je pense
notamment aux dépenses d'évacuation temporaire et de relogement des personnes
exposées à un risque majeur ou au financement de la moitié des études
nécessaires à la préparation et à l'élaboration des plans de prévention des
risques naturels prévisibles.
Le rapport annuel du Fonds de prévention des risques naturels majeurs atteste
une évidente sous-utilisation des sommes qui lui sont affectées.
Pour le seul exercice 2000, les ressources du fonds s'élèvent à 130 millions
de francs, et les profits tirés de la gestion financière à 16 millions de
francs. N'auraient-ils pas été mieux employés pour indemniser des victimes ? Au
total, le solde créditeur du fonds pour 2000 est de 86 millions de francs.
En termes de trésorerie, la différence entre les prélèvements opérés et les
dépenses réalisées entre le 1er mars 1995 et le 25 mars 2001 s'élève à 415
millions de francs !
L'article L. 125-1 du code des assurances dispose : « Sont considérés comme
les effets des catastrophes naturelles... les dommages matériels directs non
assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent
naturel ».
Dès lors que le régime d'indemnisation des dommages consécutifs aux
catastrophes naturelles ne s'applique que du fait de l'intensité « anormale »
d'un agent « naturel », le juge estime que les affaissements de terrains
consécutifs à la présence d'une marnière en sont exclus.
La démarche de la commission procède de la volonté d'instituer un dispositif
qui prenne en compte la question qui est soumise au Sénat à chaque stade :
d'abord, la prévention ; ensuite, la lutte contre le danger lorsqu'il est avéré
; enfin, l'indemnisation des victimes d'effondrements.
En matière de prévention, il est nécessaire d'établir une cartographie des
sites - leur identification est possible - sur lesquels existent des cavités
souterraines et des marnières. C'est pourquoi nous proposons que ce soient les
communes, dont nous avons vu qu'elles sont en première ligne, qui élaborent ces
cartes.
Si le conseil municipal d'une commune estimait ne pas être en mesure de
réaliser ce document, il pourrait décider que la carte sera établie par
l'Etat.
Afin de prévoir l'incidence de l'existence de cavités souterraines sur les
documents d'urbanisme, il vous est proposé que le périmètre des terrains
inconstructibles du fait de l'existence d'une cavité souterraine soit
clairement établi. Il doit être déterminé de façon fine pour éviter les
inconvénients que présentent les plans de prévention des risques. En effet, le
principal, dans l'appréciation des indices qui laissent présumer l'existence
d'une marnière, c'est le caractère sérieux, apprécié au cas par cas, des
éléments de fait motivant la décision de classement. Un décret déterminerait,
en fonction de leur nature spécifique - chambres de marnières, puits, galeries
- le périmètre des terrains inconstructibles, lequel pourrait être réduit au vu
d'une expertise établissant l'absence de risque.
La carte délimitant les sites concernés vaudrait servitude d'utilité publique
et serait, en tant que telle, annexée au plan local d'urbanisme ou à la carte
communale, tandis que la violation des dispositions relatives à
l'inconstructibilité des terrains serait sanctionnée par une amende.
Le plan local d'urbanisme identifierait les zones inconstructibles du fait de
l'existence des cavités souterraines. Quant au certificat d'urbanisme, il
mentionnerait les servitudes relatives à l'existence de cavités.
Enfin, une procédure souple de modification des plans locaux d'urbanisme
serait utilisée pour prendre en compte l'existence d'une cavité résultant d'un
effondrement.
J'en viens à la reconnaissance et au traitement des cavités.
Il nous est apparu indispensable d'instituer des avantages fiscaux et des
aides pour la reconnaissance et le traitement des cavités souterraines et des
marnières, à savoir, d'une part, une réduction d'impôt au titre des intérêts
d'emprunts souscrits pour les opérations de reconnaissance - recherche
d'indices en surface, sondages... - ou de traitement - comblement, construction
de piliers de soutènement... - et, d'autre part, une réduction du montant des
revenus fonciers pour les dépenses afférentes aux opérations de reconnaissance
et de traitement des cavités souterraines et des marnières.
L'intervention de l'Etat et des collectivités locales est prévue par l'article
12, qui dispose que les propriétaires de terrains pourraient bénéficier d'aides
financières émanant de ces personnes publiques afin de contribuer à des
opérations de reconnaissance et de traitement des cavités.
Il nous est aussi apparu incontournable de permettre l'identification des
cavités souterraines situées dans les zones à risques avant la réalisation de
constructions nouvelles.
C'est pourquoi le représentant de l'Etat tiendrait une liste des communes dans
lesquelles il existe une présomption réelle et sérieuse de l'existence de
cavités souterraines dangereuses. Dans ces communes, pour réaliser un
lotissement, on devrait avoir procédé à une expertise consistant en un «
décapage », c'est-à-dire à l'enlèvement de la couche superficielle de terre
végétale pour détecter la présence d'un puits. Cette opération est fiable, nous
dit-on, à 80 %, voire à 90 %. Son coût avoisine 10 000 francs pour 1 000 mètres
carrés de terrain.
La procédure serait plus souple en ce qui concerne la construction de maisons
hors d'un lotissement. En nous inspirant d'une procédure existant à Paris, nous
proposons que, lors de la signature de l'acte de vente d'un terrain situé dans
l'une des communes précitées, le vendeur fasse savoir à l'acheteur s'il a ou
non procédé à une expertise. Ainsi, l'acheteur d'un terrain sera en mesure de
connaître le risque qu'il prend.
J'en viens à l'indemnisation des propriétaires.
La commission vous propose d'ouvrir le bénéfice du fonds de prévention des
risques naturels majeurs liés aux effondrements des cavités souterraines à
l'acquisition amiable d'un immeuble exposé à un risque d'effondrement du sol
qui menace gravement des vies humaines et au traitement des cavités
souterraines, sous réserve de l'accord des propriétaires du bien exposé au
risque, à condition que ce traitement soit moins coûteux que
l'expropriation.
Il vous est proposé d'étendre le champ de la procédure d'expropriation pour
cause d'utilité publique, du fait de l'existence d'un risque majeur d'un bien
exposé, à tout risque d'effondrement du sol qui menace gravement des vies
humaines. Cette procédure serait de droit, à la demande du propriétaire, dès
qu'un arrêté de péril concernant son bien est entré en vigueur. Il apparaît, en
effet, actuellement, que certaines constructions sont inhabitables du fait de
l'édiction d'un arrêté de péril et que leurs propriétaires ne peuvent, en
conséquence, les vendre, alors même que l'effondrement du sol redouté n'est pas
encore survenu.
Nous vous demandons, enfin, d'élargir le bénéfice du régime d'indemnisation
des catastrophes naturelles aux dommages qui résultent d'effondrements de
cavités souterraines anthropiques, afin que les victimes soient remboursées par
leurs assureurs en fonction de la valeur du bien à neuf minoré d'un coefficient
de vétusté.
Avant de conclure mon propos, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous
lire un extrait d'une lettre de l'un de nos concitoyens, en date du mois de
septembre dernier : « Monsieur le préfet, j'ai acheté un terrain de 2 200
mètres carrés sur lequel je pouvais construire une habitation sans aucune
contrainte. J'ai obtenu le permis de construire et bâti ma résidence en 1979.
En 1982, un effondrement important s'est produit. Depuis cette date, je suis
frappé d'un arrêté de péril. Depuis dix-huit ans, je tente d'obtenir la
reconnaissance de catastrophe naturelle. Toutes ces demandes sont restées sans
réponse. » Et je pourrais citer bien d'autres témoignages !
Monsieur le ministre, je vous le demande avec courtoisie mais avec insistance,
de telles situations sont-elles humainement supportables ? Pouvons-nous laisser
les victimes d'effondrements du sol dans un désarroi qui résulte, en réalité,
de ce que les rédacteurs du code civil n'ont pas imaginé qu'un affaissement,
dont le propriétaire est responsable, pourrait survenir du fait d'une
circonstance étrangère à sa volonté ?
Non, monsieur le ministre, à l'évidence, non !
La commission souhaite donc ouvrir avec le Gouvernement, tout d'abord durant
cette séance publique, puis avec l'Assemblée nationale, au cours d'une navette
qu'elle espère rapide, un dialogue fructueux sur un sujet où l'on voit que
l'intérêt général procède de la préservation des droits et des biens des
particuliers.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. Ladislas Poniatowski.
Remarquable !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous
avez choisi de consacrer vos travaux à la prévention et à la réparation des
dommages consécutifs à des mouvements de terrain dus à des cavités
souterraines, ce dont je tiens d'entrée à vous remercier, d'autant que le
ministre en charge de la prévention des risques naturels et technologiques que
je suis a fait de ce thème l'une des priorités de son ministère. C'était
d'ailleurs une nécessité, et le drame survenu à Toulouse le 21 septembre
dernier, donc tout récemment, nous le prouve encore : avec l'actualité des
risques technologiques, nous sommes conduits à réexaminer la manière dont nous
assurons la prévention des risques, non seulement à l'intérieur des usines,
mais aussi à l'extérieur.
Comme vous le savez, un vaste débat national est actuellement ouvert pour que
nous essayions de déterminer tous ensemble comment les pouvoirs publics, le
Gouvernement et tous les acteurs du risque pourraient améliorer les dispositifs
actuels de lutte contre le risque et les dommages industriels.
En réalité, ces évolutions avaient été amorcées avant l'explosion du dépôt de
nitrate d'ammonium de l'usine AZF de Toulouse ; puis nous en avons discuté ici
même, le 25 octobre dernier.
Pour ce qui est des risques naturels, mon ministère met avant tout l'accent,
avec l'aide des services départementaux de l'Etat, sur l'élaboration de plans
de prévention des risques, lesquels définissent, comme vous le savez, des
prescriptions d'urbanisme et de construction ayant valeur de servitudes
d'utilité publique sur les zones à risque. Les plans de prévention des risques
naturels prévisibles orientent l'aménagement vers les zones qui comportent le
moins de risques ou pour lesquelles les risques sont bien pris en compte.
Nous espérons que, pour la fin de l'année 2001, plus de 3 000 communes
bénéficieront d'un plan de prévention des risques, l'objectif que nous nous
sommes fixé étant de 5 000 communes d'ici à la fin de l'année 2005.
Il faudra toutefois aller au-delà, car près de 11 000 communes en France sont
susceptibles d'être confrontées à un risque naturel.
Pour permettre la réalisation de ces plans, les crédits délégués aux services
de l'Etat ont augmenté de manière très significative, puisqu'ils ont
pratiquement quadruplé depuis quatre ans pour atteindre aujourd'hui 100
millions de francs par an.
Mon ministère s'implique également dans le développement de l'information sur
les risques. Il dispose d'un site Internet - www.prim.net - régulièrement cité
par de nombreux quotidiens comme
Le Monde
ou
Le Figaro.
Mes services veillent à ce que les cent dossiers départementaux des risques
majeurs existant en application de l'article 21 de la loi du 22 juillet 1987
soient régulièrement actualisés.
Des dossiers communaux synthétiques ont été publiés avec l'aide des services
départementaux de l'Etat. Ils récapitulent au niveau communal, à l'échelle du
1/25 000e en général, les risques auxquels la commune est confrontée, les
mesures de prévention correspondantes et les attitudes à adopter en cas de
survenance du risque. Aujourd'hui, plus de 4 500 dossiers communaux
synthétiques de ce type ont été élaborés.
Vous l'aurez compris, ce thème de la prévention des risques est évidemment
très cher à mon ministère. Je suis persuadé que c'est dans la prévention que
résident les voies d'amélioration les plus significatives de la gestion des
risques.
Telle est la vision que nous devons faire partager à nos concitoyens en leur
expliquant que, à défaut de pouvoir agir beaucoup sur les phénomènes naturels
comme les avalanches, les tempêtes, les crues ou les séismes -, qui sont,
d'ailleurs, parfois moins naturels qu'on le croyait et qui peuvent avoir une
origine en partie anthropique : je pense aux changements climatiques, à
certaines avalanches, voire aux mouvements de terrain, puisque c'est de cela
que nous parlons aujourd'hui -, nous ne sommes cependant pas contraints au
fatalisme. Nous avons, en effet, la possibilité d'agir intelligemment en
choisissant bien les terrains que nous privilégions pour le développement et en
faisant en sorte que la conception de nos aménagements intègre la prévention
des risques.
Mais il est une seconde raison pour laquelle je trouve votre initiative très
intéressante, mesdames, messieurs les sénateurs. En effet, j'ai été élu dans le
Val-d'Oise, comme M. Poniatowski, où j'ai pris conscience des difficultés
auxquelles peuvent être confrontés les maires et leurs concitoyens du fait de
l'existence de cavités souterraines. Et le Val-d'Oise en compte quelques-unes,
sans pour autant, d'ailleurs, être le département le plus « creux » de ce point
de vue. Or, à Pontoise, nous avons essayé de trouver des solutions, avec cette
difficulté particulière tenant au fait que, lorsque l'on comble une cavité,
tout s'effondre. Mais cela dépend, bien sûr, de la qualité des sols et des
marnes.
M. Charles Revet,
rapporteur.
Exactement !
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Tous les
élus concernés, qu'ils soient d'Ile-de-France, de Haute-Normandie, d'Aquitaine,
du Nord - Pas-de-Calais et de bien d'autres régions encore, sauront évidemment
de quoi je veux parler.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a engagé un programme
d'action pragmatique et cohérent pour améliorer la prévention des risques liés
aux cavités souterraines et pour venir en aide aux victimes des
effondrements.
Pour vous en convaincre, je ne citerai que quelques-unes des initiatives
actuellement en cours, sans être exhaustif.
Il s'agit, tout d'abord, de la connaissance et de la diffusion de cette
connaissance. Vous en êtes d'accord, nous devrions pouvoir disposer d'une
cartographie géologique, tout d'abord.
Des initiatives permettent d'améliorer cette connaissance des risques
souterrains puis de gérer les informations correspondantes. Ainsi, le centre
d'études techniques de l'équipement de Rouen a développé des techniques
d'identification des cavités par photographies infrarouges. De même, le Bureau
de recherches géologiques et minières, le célèbre BRGM, développe une base de
données des cavités souterraines pour gérer et représenter les informations
disponibles sur les cavités. Cette base de données en cours de constitution,
sera actualisée et sera accessible sur Internet à l'adresse suivante :
www.bdcavite.net. Par ailleurs, les directions départementales de l'équipement
de Haute-Normandie développent des moyens de conserver et de gérer les
informations connues sur les marnières.
Il s'agit, ensuite, de la prise en compte du risque dans l'urbanisme. Dans
plusieurs départements, les préfets prescrivent des plans de prévention des
risques pour que le risque d'effondrement soit pris en compte au travers de
préconisations d'urbanisme et de construction ; par exemple, citons le plan de
prévention des risques de la ville de Laon, qui a été approuvé cette année.
Il s'agit, encore, de l'aide aux travaux de prévention, sur laquelle vous avez
eu raison d'insister, monsieur le rapporteur.
Le projet de loi de finances pour 2002, qui sera soumis à votre examen dans
quelques jours, prévoit des possibilités de subventions pour des travaux de
prévention destinés à prévenir ces risques à hauteur de 7 millions d'euros pour
2002, c'est-à-dire de sept « meuros », pour reprendre une expression qui n'est
peut-être pas encore d'usage courant au Sénat.
M. le président.
Pas encore ! Nous verrons l'année prochaine...
(Sourires.)
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
J'attendrai donc l'année prochaine !
(Nouveaux sourires.)
Plus simplement, il s'agit, à peu près, de 50 millions de francs, somme dont
je veux bien admettre avec vous qu'elle n'est pas suffisante.
En matière d'indemnisation, je souhaiterais qu'il n'y ait pas d'ambiguïté
entre nous : le Gouvernement assimile le risque d'effondrement de cavités
souterraines abandonnées d'origine anthropique à des risques naturels. Par
conséquent, la procédure d'indemnisation des biens assurés à la suite d'une
catastrophe naturelle s'applique. La meilleure preuve en est que, ces derniers
mois, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'intérieur
ont pris des arrêtés de reconnaissance de catastrophe naturelle pour neuf
collectivités de l'Eure, deux collectivités de Seine-Maritime et une
collectivité du Pas-de-Calais.
Bien entendu, lorsque l'exploitation d'une carrière souterraine est récente -
si elle ne remonte pas au Moyen-Age, et que l'exploitant est donc connu et
juridiquement responsable -, notamment pour les exploitations prises en compte
dans la loi de 1976 sur les installations classées, dont on fête le
vingt-cinquième anniversaire, c'est à l'exploitant d'assumer les conséquences
de son exploitation. De même, la prévention et la réparation des dommages
consécutifs à l'exploitation minière sont gérées de manière spécifique par les
dispositions de la loi du 30 mars 1999.
Dans tous les autres cas, notamment lorsque la cavité souterraine résulte
d'une exploitation très ancienne - c'est le cas le plus problématique -, les
risques d'effondrement des cavités anthropiques abandonnées sont assimilés à
des risques naturels.
Une telle position est cohérente avec la teneur des débats parlementaires qui
ont accompagné l'examen de la loi Barnier de 1995 et qui ont explicitement
évoqué les cavités souterraines abandonnées d'origine anthropique lors de la
discussion du dispositif de prévention des risques naturels.
Le cadre législatif actuel permet donc d'ores et déjà d'agir pour prévenir le
risque d'effondrement des cavités souterraines abandonnées d'origine
anthropique.
Le Gouvernement privilégie, dans le court terme, la réalisation effective
d'actions de prévention, nous sommes d'accord sur ce point, et, dans la mesure
où le Parlement votera le budget qui lui est présenté, il aidera l'an prochain
ces actions, en partenariat avec les collectivités territoriales, qu'il
s'agisse des communes, qui exercent des responsabilités importantes en matière
de prise en compte des risques dans l'urbanisme, ou des départements, qui ont
la possibilité d'aider au recueil des informations sur les risques et à leur
gestion, à l'image - cela a été évoqué - de ce que fait l'inspection générale
des carrières à Paris, héritière du service des carrières créé le 4 avril
1777.
J'ai par ailleurs demandé au conseil d'orientation pour la prévention des
risques naturels majeurs, qui a été récemment créé, de bien vouloir me faire
des propositions dans les six mois pour améliorer la gestion du risque
d'effondrement des cavités souterraines abandonnées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les précisions que je
souhaitais vous apporter avant que ne commence la discussion des articles de
cette proposition de loi : vous aurez constaté que bon nombre des propositions
contenues dans votre texte sont d'ores et déjà redondantes avec les
dispositions législatives existantes.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Gérard Larcher,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je soulignerai d'abord
combien le rapporteur et les auteurs de la proposition de loi ont eu raison de
déposer ce texte. Nous souscrivons pleinement aux propos de M. Revet.
Si je devais un instant quitter ma casquette de président de la commission, je
prendrais celle d'élu des Yvelines et d'élu d'Ile-de-France. En effet, pour des
raisons historiques, les carrières ont fait aussi de Paris un gruyère. Ainsi,
sous les hôpitaux de l'Assistance publique court tout un réseau de carrières
très étonnant, qui a fait l'objet de plusieurs ouvrages fort intéressants. Ce
qui ne veut pas dire qu'il faille avoir des doutes sur la sûreté du sous-sol de
nos hôpitaux !
Vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, nombreux sont les départements
concernés, dont le vôtre.
MM. Braye et Gournac connaissent bien le cas du massif de l'Hautil. On peut
également citer une commune qui non seulement est particulièrement sinistrée
sur le plan social, mais connaît en plus des effondrements : je veux parler de
Chanteloup-les-Vignes, qui a vu, voilà quelques années, une partie du coeur du
vieux village s'effondrer brusquement.
Mais, dans la continuité de l'intervention de M. le rapporteur, je formulerai
quelques observations que m'inspirent vos propos, monsieur le ministre.
Le PPR n'est pas adapté au problème tel qu'il se pose dans certains
départements. Voilà pourquoi la proposition de loi répond clairement à un
besoin spécifique.
Par ailleurs, les cartes du BRGM sont inadaptées à la réalité, car on a
parfois besoin d'une précision de quelques dizaines de mètres. Ce point me
paraît important.
Enfin, il nous faut revenir à la page 47 de l'excellent rapport de M. Revet,
où est évoquée la jurisprudence du Conseil d'Etat précisant qu'un effondrement
causé par une cavité sous surveillance serait susceptible de perdre son
caractère naturel. Notre débat doit faire la lumière sur ce point. En effet, je
vous livre un courrier adressé par une compagnie d'assurances s'appuyant sur
cette jurisprudence du Conseil d'Etat : « Il convient de s'interroger sur la
légalité même de l'arrêté de catastrophe naturelle. Le Conseil d'Etat a déjà
été amené à statuer sur la question en déclarant illégaux des arrêtés de
catastrophe naturelle pris à la suite d'affaissements de terrain, au motif que
les affaissements du terrain n'avaient pas pour cause déterminante l'intensité
anormale d'un agent naturel, mais trouvaient leur origine, pour un cas, dans un
phénomène de "fontis", connu de longue date, provoqué par une lente dégradation
des carrières souterraines. »
Il faut répondre à la question soulevée par de telles argumentations : tel est
l'objet de la proposition de loi, et telle est la volonté de ses auteurs ainsi
que de tous les membres de la commission des affaires économiques.
Car il y a bien unanimité sur ce problème, auquel sont confrontés une bonne
dizaine de départements. Nous avons beaucoup cité la Normandie, et c'est
naturel ; dans les photographies qui nous ont été distribuées, je remarque
d'ailleurs un équilibre entre les fermes à colombages et les bâtiments en
brique, c'est-à-dire entre deux types de sous-sol. Nous pourrions également
citer le val de Loire, ou encore le département de la Sarthe, qui, peu le
savent, connaît aussi ce genre de problèmes.
Ce que nous attendons de ce débat, monsieur le ministre, mes chers collègues,
ce sont des réponses claires qui nous évitent de redevenir tributaires d'une
jurisprudence du Conseil d'Etat.
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Yves Cochet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Nous avons
en effet pris connaissance de la lettre dont vous venez de lire un extrait.
Le paragraphe que vous avez cité nous a alertés, comme vous, monsieur le
président de la commission. Nous allons faire expertiser juridiquement les
termes exacts de cette réponse, car - bien entendu, ce n'est qu'une
interrogation de notre part - nous ne sommes pas sûrs qu'elle soit
juridiquement tout à fait acceptable.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la
commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pourquoi la Haute
Assemblée étudie-t-elle aujourd'hui les marnières ?
Tout d'abord, parce que cela fait partie de la mission qui est la sienne de
représenter les collectivités territoriales. Or celles-ci, particulièrement les
communes, sont à l'heure actuelle en première ligne lors d'effondrements de
cavités souterraines.
Ces cavités souterraines ne datent pas d'hier. En Seine-Maritime, on estime
qu'elles ont commencé à être exploitées au xviie siècle, et la dernière
marnière connue dans le département a été exploitée jusqu'en 1950, c'est-à-dire
jusqu'à une date relativement récente, dont la mémoire n'est pas encore tout à
fait effacée.
Un dicton cauchois veut qu'une exploitation agricole, ce soit une famille,
cinq hectares, cinq vaches et une marnière. Nous pouvons donc nous attendre à
trouver des marnières dans presque tout le pays de Caux ! Par conséquent, le
centre d'études techniques de l'équipement de Normandie-Centre, plus connu sous
le nom de CETE - auquel je tiens à rendre hommage, car le travail qu'il
accomplit est remarquable et que son personnel, bien qu'il soit quelque peu
débordé à l'heure actuelle, fait tout son possible pour venir en aide aux
communes dans le travail de détection des marnières - estime qu'il y a, en
Seine-Maritime et dans l'Eure, entre 100 000 et 150 000 marnières, toutes
menacent de s'effondrer un jour.
Le CETE évalue à 5 milliards de francs la somme nécessaire pour procéder à
leur comblement. Autant dire que c'est hors de portée des collectivités
territoriales, hors de portée du département de la Seine-Maritime et,
naturellement, hors de portée des propriétaires !
A ce stade de la réflexion, on peut se demander ce qu'est une marnière.
Les marnières sont variées et diverses ; leur profondeur varie de cinq à
soixante-dix mètres selon les régions, et leur diamètre va, selon les cas, de
trente à cent mètres.
On ne trouve que très rarement des galeries latérales ; mais, dans le
département de l'Eure, elles sont plus fréquentes.
On ne peut d'ailleurs qu'admirer les marnières, lorsque l'on a la chance de
pouvoir y descendre. Il y a d'abord le côté un peu sportif de la descente par
le puits.
M. Gérard Larcher,
président de la commission.
Le sport, cela nous connaît !
M. Patrice Gélard.
Puis, lorsqu'on arrive au fond, si l'on bénéficie d'un bel éclairage, on a
l'impression de se trouver dans la chapelle d'une cathédrale romane. Car, en
réalité, les paysans cauchois construisaient les marnières comme on
construisait les églises, avec des piliers et un toit en cavité arrondie qui
permettait, précisément, d'éviter les effondrements. Mais la situation s'est
dégradée au cours des deux ou trois dernières années, parce que, jusqu'alors,
on ne tenait pas compte de ce risque.
Dans une certaine mesure, on peut dire que la responsabilité de l'Etat a été
engagée par le passé. En effet, il a délivré des permis de construire - à
l'époque où ce n'était pas le maire qui le faisait - sans tenir compte de
l'existence de ces cavités souterraines et, à une époque plus lointaine, sous
Napoléon III, il a inventé un impôt sur les marnières, amenant un certain
nombre de propriétaires à les cacher.
Les effondrements qui se sont multipliés récemment - et qui ont affecté non
seulement des propriétés privées, mais aussi des établissements publics ou la
voirie publique - sont dus en grande partie aux modifications qui sont
intervenues en matière d'hydrométrie et d'écoulement des eaux. Jouent également
un rôle les modifications de la nature des sols que les promoteurs ont
provoquées et les changements dans les pratiques agricoles. Ainsi, la culture
du tournesol, qui a remplacé un grand nombre de nos cultures traditionnelles,
ou la suppression des haies, ont amené l'eau à circuler différemment et à
pénétrer dans les marnières.
Nous sommes placés devant une situation qui devient extrêmement grave pour les
maires. Cette gravité a été accentuée par la loi dite SRU, relative à la
solidarité et au renouvellement urbains - mais nous aurions dû nous préoccuper
de cette situation bien plus tôt.
Aux termes de la loi SRU, toutes les communes devront se doter d'un plan local
d'urbanisme ou d'une carte communale recensant les risques qui, maintenant,
sont connus. On sait que, dans le pays de Caux ou ailleurs, existent des
risques liés aux marnières. Commence alors la première phase, c'est-à-dire
l'exploration.
Cette exploration n'est pas facile à réaliser. Nous disposons, à l'heure
actuelle, essentiellement de trois techniques.
La première, c'est la mémoire : il s'agit d'interroger les personnes âgées
pour savoir si elles se souviennent de la localisation des marnières, d'étudier
les cartes d'état-major, de consulter les anciens registres cadastraux. Mais,
depuis le xixe siècle, les notaires ont oublié de mentionner la présence de ces
cavités sur les actes de vente.
M. Ladislas Poniatowski.
Oubli parfois volontaire !
M. Patrice Gélard.
Bien évidemment ! Quoi qu'il en soit, ces actes ne nous sont guère utiles !
La deuxième technique - elle a été évoquée tout à l'heure -, c'est
l'exploration aérienne par photographie à infrarouge. Ce procédé donne quelques
indications, mais il ne peut pas être utilisé en zone urbaine, bien sûr, ni en
toute saison. En outre, il est assez coûteux.
La troisième technique, celle que la proposition de loi, si elle est adoptée,
rendra obligatoire pour les lotissements, c'est le décapage, formule la plus
simple sur un terrain vide : on décape et on retrouve les puits.
Autrefois, les cultivateurs marquaient l'emplacement d'un puits soit en
plantant un arbre ou un bosquet, soit en construisant un mur. Malheureusement,
le remembrement a souvent fait disparaître ces repères. Mais si, au cours d'une
promenade dans le pays de Caux, vous trouvez un arbre isolé d'au moins
soixante-dix ans d'âge, vous êtes sûr d'être à proximité d'une marnière !
Monsieur le ministre, notre département connaît une situation absolument
dramatique, que j'éprouve d'ailleurs presque toutes les semaines - et je ne
suis pas le seul à être devenu un « M. Marnière » : Mme Bocandé et M. Revet,
mes collègues de la Seine-Maritime, le sont également ! -, car les sept cent
quarante-trois maires de notre département nous demandent de venir les voir,
nous demandent de les aider à régler ce terrible problème.
L'un d'eux, que j'ai rencontré voilà quinze jours, a ainsi vu sa commune, qui
recouvre deux cent quarante-trois marnières, déclarée à 85 % inconstructible.
Le préfet a, naturellement, établi un périmètre de précaution de soixante
mètres autour de chacune des marnières. Tous les lotissements créés au cours
des dix dernières années sont désormais considérés comme dangereux. Le maire
s'apprête à prendre un arrêté de péril, qui concernera plus de 300 personnes,
dont le logement ne vaut plus rien et qui devront être relogées.
Une telle situation engendre, évidemment, des drames humains considérables.
J'ai par exemple rencontré une vieille personne et son mari, qui, tous les
deux, ont plus de quatre-vingts ans, dont la maison est située dans le
périmètre de sécurité. Toutes les économies du couple étaient passées dans
l'achat de cette maison, qui est maintenant invendable. Ils doivent néanmoins
la quitter, mais, me disaient-ils en pleurant, ils ne peuvent pas aller dans
une maison de retraite, car ils n'en ont plus les moyens ! Et je ne parle pas
des jeunes et de leur famille qui se sont endettés pour pouvoir acheter un
pavillon...
Les maires ont maintenant le devoir de signaler l'existence des marnières ;
s'ils ne le faisaient pas, ils porteraient atteinte au principe de précaution
et, puisqu'ils avaient connaissance du risque, ils verraient leur
responsabilité directement engagée au moindre effondrement.
C'est la raison pour laquelle on ne peut pas en rester à la situation
actuelle.
J'ajoute que le code civil rend responsable le propriétaire du fonds voisin si
le puits est chez lui. Les propriétaires dont la propriété est englobée dans le
périmètre de sécurité du fait de la présence d'un puits chez leur voisin
pourront donc se retourner contre ce dernier devant la juridiction civile et
lui demander des dommages et intérêts pour trouble de jouissance. On ne peut
continuer dans cette voie !
La présente proposition de loi vient donc en son temps et, monsieur le
ministre, elle est sage.
Son premier objectif est la prévention. Vous avez souligné, monsieur le
ministre, tout l'intérêt que vous portiez à cette prévention. La proposition de
loi rend obligatoire la prise en compte des risques lors de l'établissement des
PLU, les plans locaux d'urbanisme, des SCOT, les schémas de cohérence
territoriale, et des autres cartes d'urbanisme.
Son deuxième objectif est l'identification et le comblement des marnières.
Il faut identifier les puits, il faut ensuite les explorer, il faut enfin les
combler ou les étayer. Or ces opérations sont extrêmement coûteuses. L'année
dernière, le coût moyen pour le traitement d'une marnière s'établissait à 300
000 francs, et il semblerait que ce montant ait été très largement dépassé au
cours des derniers mois, les entreprises spécialisées, peu nombreuses, ayant
multiplié les frais.
Par ailleurs, même s'il est fait appel à la technologie des pétroliers, qui
sont très en avance pour l'exploration des cavités, les moyens mis au service
de la recherche restent insuffisants. Dans ce domaine encore, le CETE poursuit
diverses opérations de nature à favoriser l'identification des carrières.
Son troisième objectif, enfin, est l'indemnisation.
Monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus sur ce point sont
intéressants et montrent toute l'attention que votre ministère y porte.
Malheureusement... je n'y crois pas.
Je n'y crois pas parce que, à l'heure actuelle, les compagnies d'assurances
refusent ; je n'y crois pas parce qu'il est, à l'heure actuelle, impossible aux
municipalités d'aider les propriétaires privés, car la loi le leur interdit ;
enfin, je n'y crois pas parce qu'il suffit d'être au jour le jour en contact
avec la réalité pour savoir que, lorsque les propriétaires de terrain où se
trouvent des marnières, ou leur voisin, s'adressent au préfet, ce dernier ne
peut que leur répondre qu'il n'a pas les moyens de les aider !
Leur situation n'a en effet rien à voir avec celle des propriétaires de
carrières ou de mines, qui sont soumis à d'autres régimes juridiques. En outre,
les marnières n'entrent pas non plus, à l'heure actuelle, dans le champ
d'application de la loi Barnier. C'est pourquoi les préfets diront « non ».
Il est donc nécessaire que, par le biais d'un texte modéré comme celui que
nous présente notre excellent rapporteur, nous réglions ce problème qui touche
des dizaines de milliers de nos concitoyens, qui sont aujourd'hui dans une
situation extrêmement précaire et difficile.
J'ajoute que, l'année dernière, dans le département de l'Eure, il y a eu un
mort. Or nous savons qu'il y a aussi sous des écoles, sous des terrains de
sport, sous des terrains d'aviation des marnières et qu'il est prévisible que
les effondrements se multiplieront en raison de leur vétusté. Si nous ne
légiférons pas, la responsabilité de l'Etat, des départements et des
collectivités locales sera directement mise en jeu.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le ministre,
d'accueillir le plus favorablement possible ce texte, que, M. le rapporteur l'a
dit, la commission des affaires économiques et du Plan de notre Haute Assemblée
a adopté à l'unanimité. Je souhaite, car l'enjeu est capital pour les régions
concernées, qu'il soit également adopté, même amendé, par l'Assemblée nationale
dans les plus brefs délais.
Nos concitoyens attendent de votre part des crédits, bien sûr, mais aussi une
loi leur apportant la sécurité !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Bocandé.
Mme Annick Bocandé.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers
collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui revêt un
caractère particulier pour les élus de la Haute-Normandie, dont j'ai l'honneur
de faire partie.
En effet, largement concernée par les cavités souterraines et, plus
particulièrement, par les cavités d'origine anthropique comme les marnières,
notre région est touchée par de nombreux affaissements et effondrements de
terrains.
Les événements spectaculaires relatés dans la presse depuis l'hiver 1995 sont
suffisamment nombreux et éloquents pour témoigner de l'ampleur du phénomène et,
à cet égard, les photographies distribuées dans l'hémicycle sont
révélatrices.
J'ai choisi d'évoquer deux exemples pour éclairer notre assemblée.
En 1995, une maison de Mesnil-Panneville est engloutie dans un cratère de
quarante mètres, sous les yeux de ses propriétaires, qui ont eu tout juste le
temps de sortir.
En 2001, à Neuville-sur-Authou, happé dans une marnière qui s'était ouverte
devant sa chaumière, un jeune homme de vingt-quatre ans ne sera pas retrouvé
malgré les efforts des secouristes.
Ces phénomènes, dont on maîtrise mal l'histoire, causent de nombreux drames
humains et ils posent des problèmes d'une rare complexité tant technique que
juridique, pour les victimes comme pour les collectivités locales.
Pour faire face à l'urgence et au nombre croissant d'incidents majeurs, le
conseil général de la Seine-Maritime, présidé par notre collègue Charles Revet,
a très vite engagé une politique d'aide à la prévention et à la gestion des
risques.
Conscients que ce problème n'est pas propre à leur région mais qu'il peut
toucher d'autres territoires français, six sénateurs de Haute-Normandie ont
décidé de s'associer et de déposer une proposition de loi.
Je tiens ici à remercier notre collègue Patrice Gélard, qui a largement
participé à la rédaction de celle-ci, et le rapporteur, M. Revet, qui a
effectué un travail de grande qualité.
Afin de combler un réel vide judirique, cette proposition de loi repose sur
trois axes essentiels : le recensement systématique des cavités souterraines,
la mise en place de mesures fiscales et d'aides financières pour
l'identification et le comblement des cavités, l'indemnisation des
propriétaires grâce à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle pour
ces phénomènes.
Présidente de la commission des finances du conseil général de la
Seine-Maritime et cosignataire de cette proposition, je la soutiens avec
vigueur, plusieurs communes de mon canton étant également directement
concernées.
Je citerai, à titre d'exemple, Bosc-le-Hard, commune d'environ 1 500
habitants, qui, dans le cadre du renouvellement de son POS, devenu PLU - loi
SRU oblige - a fait procéder à une étude de son sous-sol.
Pour une surface de 1 037 hectares, ce ne sont pas moins de 241 présomptions
de cavités souterraines de natures diverses qui ont été établies. Elles
concernent environ 90 % du territoire communal et remettent complètement en
cause le développement du village. Surtout, elles sont la cause d'importants
problèmes humains et financiers. En effet, la zone d'activités communale de six
parcelles et un lotissement privé d'une cinquantaine de terrains à bâtir
récemment aménagés ont vu leur commercialisation purement et simplement
stoppée.
Plus généralement, un grand nombre de particuliers qui avaient fait
l'acquisition d'un terrain pour lequel ils avaient obtenu le certificat
d'urbanisme se voient aujourd'hui refuser leur permis de construire en raison,
notamment, de la mise en place d'un périmètre de précaution.
Vous comprendrez, mes chers collègues, le désarroi de ces propriétaires de
terrains dont ils ne savent plus que faire ou d'une habitation ayant perdu
toute valeur.
Certains, dont la parcelle est directement touchée, ne peuvent assumer le coût
financier de l'identification et, s'il y avait lieu, du comblement des
cavités.
D'autres, dont le terrain se situe dans le périmètre de précaution, se
heurtent à l'immobilisme de voisins qui refusent d'entamer les procédures
nécessaires, car ils ne se sentent pas particulièrement concernés ou mis en
danger.
D'autres encore paniquent à l'idée qu'une catastrophe pourrait survenir sur
leur propriété ou à proximité immédiate.
Quelle est la situation de ces victimes ?
Même si les articles 552 et 1384 du code civil disposent que « la propriété du
sol emporte celle du dessus et du dessous » et que « l'on est responsable des
choses dont on a la garde », peut-on réellement tenir les propriétaires pour
seuls responsables de ces phénomènes ?
Comment les aider ? A quelles conditions ?
Autant de questions qui, en l'état actuel des textes, restent sans réponse
claire et complète.
C'est pourquoi je pense, comme les cinq autres signataires de la proposition
de loi, qu'il est indispensable d'instaurer sur l'ensemble du territoire
français un dispositif législatif permettant la prévention et la réparation des
dommages consécutifs à des mouvements de terrain dus à des effrondrements de
cavités souterraines, quelle que soit leur origine.
Je compte sur la Haute Assemblée pour faire aboutir cette proposition de loi
et j'espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement entendra notre
requête.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Chapitre Ier
La prévention des effondrements du sol
Article 1er