SEANCE DU 20 NOVEMBRE 2001
ÉTABLISSEMENTS PUBLICS
DE COOPÉRATION CULTURELLE
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la création
d'établissements publics de coopération culturelle (n° 20, 2001-2002). [Rapport
n° 69, (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons
entreprendre ensemble la lecture de la proposition de loi relative aux
établissements publics de coopération culturelle, les EPCC, dont M. Ivan Renar
a pris l'initiative voilà maintenant quelques mois. Au cours de la première
lecture devant votre assemblée, nous avons largement développé et argumenté nos
points de vue.
Je tiens à saluer très sincèrement la qualité des débats que nous avons eus
ici et leur apport à la précision d'un texte qui revêt une importance majeure
et dont, je tiens à le rappeler, monsieur le rapporteur, vous avez pris
l'initiative.
Nous sommes en présence, comme vous l'exprimez très clairement, monsieur le
rapporteur, d'une « réalité territoriale irréversible » : partenariat entre
collectivités publiques dans les régions, financement croisés, qui sont parfois
critiqués, et, enfin, coopération pour un aménagement culturel durable du
territoire.
Au fil du temps et à l'occasion de l'examen des amendements qui ont été
deposés lors des lectures précédentes, j'ai eu la confirmation de l'importance
qui s'attache à l'avènement de cet outil de coopération.
L'établissement public de coopération culturelle représente bien plus que
l'attente d'une structure ou d'un outil qui organiserait durablement les moyens
des collectivités publiques dans un domaine de politique culturelle. Il est
l'outil d'un partenariat engagé.
Tel est le principe même qui a présidé à sa création et qui régira le
fonctionnement du futur établissement, puisque c'est au nom de leur volonté
d'un engagement durable que les collectivités territoriales s'associeront et
construiront intégralement un EPCC.
La proposition de loi pose de toute évidence les termes concrets du principe
de libre initiative et de responsabilité des collectivités territoriales. Elle
place l'établissement public sur le registre des véritables politiques
publiques culturelles.
Si le Gouvernement vous a suivis sur l'essentiel du texte de la proposition de
loi, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est au nom de la volonté affirmée par
le Premier ministre de poser les jalons d'une nouvelle étape de la
décentralisation. Nous avons donc franchi le pas avec vous.
Une telle décision, comme tout nouveau « saut », provoque bien sûr impatiences
ou inquiétudes, non pas tant sur le mode de coopération décentralisée mais
plutôt sur l'usage et le fonctionnement de cette nouvelle catégorie
d'établissement public. Nous avons entendu ces réactions.
En premier lieu, vous avez considéré avec sagesse que le conseil consultatif
d'orientation ne s'imposait pas au niveau législatif et que, si un tel conseil
avait une utilité, les statuts pourraient en décider.
En outre, la « bivalence » de l'EPCC, avec ou sans l'Etat, constitue sa force
et, disons-le, traduit sa vocation à serrer au plus près la réalité du pays
culturel réel. Nous avons donc été conduits, avec raison me semble-t-il, non
seulement à préciser le caractère facultatif de la création de l'établissement
public de coopération culturelle, mais aussi à rappeler que le préfet,
représentant de l'Etat dans le département, exercerait normalement le contrôle
de la légalité, que l'Etat soit ou non partenaire dans l'EPCC.
L'Etat, comme les partenaires potentiels d'un EPCC, conserve donc la faculté
de décider d'entrer ou non dans ce partenariat. Les deux assemblées devraient
pouvoir aisément aboutir à un texte identique sur ce point.
En second lieu, la nomination des directeurs est prévue dans la proposition de
loi comme le fruit d'un accord des partenaires. L'assurance est donnée par la
loi que le responsable artistique d'un établissement public de coopération
culturelle sera nommé à la suite d'une véritable adhésion des partenaires.
Il me semble utile de rappeler que, somme toute, la proposition de loi vise à
reprendre l'esprit et la pratique des nominations d'aujourd'hui. Je ne connais
pas de situations dans lesquelles les nominations seraient intervenues en force
et « à l'arraché », quelle qu'ait été, pour parvenir à cet accord, la longueur
des vacances.
Poser clairement le principe de l'accord de l'ensemble des partenaires sur une
liste de noms potentiels revient à dire ce que l'on fait et, plus encore, à
garantir par la loi les principes de la concertation et de la décision
unanime.
En troisième lieu, cette unanimité entre partenaires fonde la légitimité de
l'établissement de coopération en même temps qu'elle signe le principe
d'autonomie de décision des partenaires quant au caractère de l'établissement
et, par voie de conséquence, quant au statut des emplois dans ces
établissements.
Je rappelle que l'article L. 1431-8 du code général des collectivités
territoriales introduit une dérogation substantielle à la règle de l'équilibre
financier puisque, désormais, toutes les collectivités publiques seront
autorisées à accorder des subventions à un service public industriel et
commercial qui serait géré en EPCC.
Sortir de la règle de l'équilibre des services à caractère industriel et
commercial est, de toute évidence, un signe majeur en faveur de la souplesse
quant à la détermination du caractère de l'établissement.
Les débats parlementaires ainsi que les dispositions de la proposition de loi
confirment bien que, dans l'esprit du législateur, la décision et le choix du
caractère de l'établissement sont une compétence des partenaires. A l'occasion
des réunions de travail auxquelles j'ai participé avec de nombreux élus, j'ai
été amené à revenir maintes fois sur un aspect particulier du domaine culturel
: le spectacle vivant.
Le texte dont nous discutons aujourd'hui confie aux partenaires la
responsabilité de décider du caractère de l'EPCC, au regard des missions et des
activités et donc des moyens mis en oeuvre pour assurer le fonctionnement de
l'établissement. Mais il est nécessaire de redire que le spectacle vivant, dans
cet esprit, constitue une activité de service public dont les partenaires
peuvent affirmer qu'elle est à caractère industriel ou commercial.
A cet égard, j'ai pris connaissance d'amendements émanant de deux groupes du
Sénat pour l'inscrire
in fine
dans la loi elle-même. Si cela nous permet
d'éviter de faux débats, le Gouvernement n'y est pas opposé.
J'évoquerai, enfin, une question apparemment technique mais fondamentale de
votre proposition de loi, monsieur Renar : les emplois de l'EPCC dès lors que
les partenaires, d'un commun accord, je le rappelle, auraient décidé de son
caractère administratif.
C'est, en l'état actuel des discussions, la seule vraie pierre d'achoppement
entre votre assemblée et l'Assemblée nationale. C'est aussi une différence de
point de vue entre vous et le Gouvernement sur votre texte initial.
Je ne vous cache pas que le souhait très sincère du Gouvernement serait de
parvenir sur cette disposition à un accord qui permettrait qu'au terme de notre
débat le texte soit voté définitivement par votre assemblée.
Monsieur le rapporteur, le Gouvernement a, vous le savez, étudié vos
propositions qui consistent à autoriser l'EPCC à caractère administratif, à
défaut de cadre d'emplois existants - ou encore, dans la rédaction proposée
aujourd'hui, pour des fonctions ou métiers spécifiques - à recruter des
contractuels de droit public mais à durée indéterminée. Il reste que, pour des
raisons tenant au risque de fragiliser les constructions statutaires existantes
ou en cours de révision, et compte tenu du faible nombre des emplois qui
seraient concernés, il a semblé raisonnable au Gouvernement de ne pas accepter
la définition que propose M. le rapporteur.
Le nombre des emplois concernés est très faible, nous étions d'accord sur ce
constat, monsieur le rapporteur. C'est sur le plan des conséquences que le
Gouvernement diverge de votre assemblée.
Je rappelle que, dans le domaine du spectacle vivant, la qualification d'un
EPCC en établissement à caractère industriel et commercial par les partenaires
eux-mêmes permettra d'organiser la gestion des emplois selon les règles du code
du travail et d'une convention collective particulière. Je rappelle aussi que
la gestion partielle, et non personnalisée, d'un service public industriel et
commercial est possible dans un établissement public à caractère administratif
; par conséquent, est également possible, sur cette activité accessoire de la
mission, le recrutement par CDI de droit privé.
Enfin, dans la rédaction proposée dans un de vos amendements, j'observe que la
définition des emplois susceptibles d'être pourvus par des CDI de droit public
emprunte tout de même des termes d'une grande généralité - « communication», «
édition », « diffusion culturelle » - et pourrait se heurter soit à l'existence
même de fonctions en bien des points comparables à celles des statuts de la
fonction publique, soit à des interprétations strictes du contrôle de légalité.
C'est pourquoi, à l'occasion de la discussion des articles et au vu de votre
amendement à l'article L. 1431-6, le Gouvernement ne vous suivra pas. Mais j'ai
bon espoir, au cours de notre discussion, de vous convaincre...
Au terme de mon propos, je voudrais dire à nouveau combien j'ai été stimulé
par la qualité du travail accompli dans cette assemblée à propos de cette
proposition de loi sur la coopération culturelle décentralisée, et dire aussi
combien me semblent prometteuses les perspectives de réforme que ce texte
pourrait ouvrir.
C'est, à tous égards, pour le Gouvernement, et singulièrement pour le
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, une grande
satisfaction.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Ivan Renar,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous vivons
depuis le 11 septembre dans une situation particulière dont on ne peut
s'abstraire quand on traite d'art et de culture, tant ce sont des remparts
contre l'obscurantisme et toutes formes d'intolérance.
L'Assemblée nationale a examiné, le 11 octobre dernier, la proposition de loi
relative à la création d'établissements publics de coopération culturelle, que
nous avions nous-mêmes, mes chers collègues, adoptée à l'unanimité le 14
juin.
L'Assemblée nationale a apporté au texte du Sénat un certain nombre de
modifications.
Certaines d'entre elles vont tout à fait dans le sens de nos préoccupations et
nous vous proposerons de les retenir.
Quelques-unes, cependant, font apparaître des divergences entre les deux
assemblées. Votre commission en a abordé l'examen dans un esprit de
conciliation, mais aussi de fermeté tranquille, et dans le souci de parvenir
rapidement à un accord complet.
Certains, nous le savons, auraient souhaité que nous puissions, dès
aujourd'hui, adopter le texte définitivement.
Il nous aurait cependant semblé paradoxal de nous imposer à nous-mêmes une
sorte de procédure d'urgence, alors que le dialogue qui s'est si vite et si
bien engagé entre les deux assemblées, nous permet d'espérer améliorer encore
l'outil que nous souhaitons mettre au service des collectivités publiques, des
artistes, des professionnels et du développement, plus nécessaire que jamais,
des services publics culturels. Comme l'a souligné en commission le président
Jacques Valade, ce texte répond à une véritable attente, à laquelle nous devons
avoir le souci d'apporter une vraie réponse.
Nous sommes, je crois, sur la bonne voie, puisque, à l'issue de la première
lecture, un accord très large s'est déjà manifesté, entre les deux assemblées
et au sein de chacune d'elles, sur le principe même de la création d'une
nouvelle catégorie d'établissements publics permettant d'individualiser les
services publics culturels, de respecter leur spécificité et d'organiser dans
un cadre juridique clair - ce qui est actuellement bien loin d'être toujours le
cas - le partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales ou entre
les collectivités territoriales elles-mêmes.
Et même si, techniquement, l'ensemble des dispositions de la proposition de
loi définissant les EPCC et leurs règles constitutives restent en discussion,
nous sommes déjà parvenus à une définition commune des principales
caractéristiques qui doivent fonder l'originalité de ces établissements.
Je n'en ferai pas ici un recensement exhaustif, mais je voudrais en citer
trois, qui me paraissent particulièrement importantes.
La première, c'est, bien sûr, la possibilité de constituer les EPCC sous forme
d'établissements publics à caractère administratif ou à caractère industriel et
commercial, en fonction de l'objet de leur activité et des nécessités de leur
gestion.
Ainsi, comme nous l'avons clairement précisé, les structures de production et
de diffusion culturelle pourront opter pour un mode de gestion adaptée au
spectacle vivant et ne seront plus contraintes de s'organiser dans le cadre de
régimes de droit privé, qui sont, certes, d'une infinie variété : associations,
SARL, voire entreprises individuelles titulaires d'un contrat d'affermage -
j'ai tout récemment découvert cette dernière possibilité - mais qui sont aussi
générateurs de bien des ambiguïtés juridiques.
J'insiste sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, car je sais que
beaucoup d'artistes ne sont pas complètement rassurés ; ils craignent que
l'adoption de la proposition de loi ne remette pas en cause la jurisprudence
qui tend à définir les entreprises publiques de spectacle vivant comme des
services publics administratifs.
Comme vous l'avez très bien dit à l'Assemblée nationale, monsieur le
secrétaire d'Etat, nous proposons au contraire d'inscrire dans la loi que
l'option sur le caractère de l'établissement appartiendra aux partenaires :
c'est une compétence que la loi leur confère et même, comme vous l'avez
souligné, qu'elle leur impose.
Fallait-il aller plus loin et prévoir que tels services ne pourraient être
gérés que par des EPCC à caractère administratif, ou tels autres par des EPCC à
caractère industriel et commercial ? Le rapporteur de l'Assemblée nationale, M.
Rogemont, a observé - et cet argument me paraît imparable - que nous irions
alors à l'encontre du principe de libre administration des collectivités
territoriales.
Je crois toutefois que le texte et les travaux préparatoires seront
suffisamment clairs pour indiquer au juge administratif pour quelles raisons et
dans quelle logique nous avons prévu cette option, et surtout pour donner une
base législative incontestable à la constitution d'EPCC à caractère industriel
et commercial pour la gestion d'activités de spectacle vivant.
La jurisprudence que j'évoquais à l'instant s'est en effet élaborée - et
j'insiste sur ce point - dans le silence de la loi.
L'intervention du législateur ouvrant la possibilité du choix de la gestion
industrielle et commerciale en fonction des nécessités de la gestion du service
ne pourra être ignorée par le juge.
Le deuxième point de convergence sur lequel je veux insister est la procédure
de nomination du directeur de l'EPCC, qui devra résulter d'une concertation
entre les personnes publiques fondatrices.
Nous savons tous que cette procédure a soulevé des inquiétudes ; j'avais déjà
tenté d'y répondre au cours du débat en première lecture, et le rapporteur de
l'Assemblée nationale s'y est aussi employé avec beaucoup de conviction et
d'excellents arguments. Je voudrais y revenir un instant.
Cette procédure est en effet un élément essentiel du partenariat équilibré et
transparent que nous voulons instaurer entre les collectivités territoriales ou
entre ces collectivités et l'Etat. Mais c'est aussi - je veux, une fois encore,
le souligner - une garantie d'indépendance et d'autonomie pour le responsable
de l'établissement. Permettez-moi d'insister sur cet aspect qui semble encore
poser problème.
La décentralisation artistique et culturelle, engagée voilà cinquante ans,
s'est fondée sur l'exigence de rendre accessibles les oeuvres essentielles de
l'humanité et le travail de création des artistes contemporains au plus grand
nombre de nos concitoyens, ainsi que sur une nécessité d'aménagement du
territoire. En même temps, elle a posé les principes du primat de la création,
de la prééminence de l'offre artistique sur la démarche de loisir et de
divertissement, et de la mise en place d'institutions au service de projets
artistiques et culturels.
Pour mettre en oeuvre cette politique ambitieuse, des outils importants ont
aussi été créés depuis cinquante ans sous l'impulsion de l'Etat et, de manière
grandissante, sous l'impulsion et avec l'aide des collectivités. Je pense aux
maisons de la culture, aux centres dramatiques et chorégraphiques.
Le rôle des femmes et des hommes qui ont eu, depuis, la responsabilité
d'animer ces équipements, de les faire vivre et de les développer a été et
demeure essentiel. Il en est de même du modèle spécifique d'articulation entre
le choix d'une femme ou d'un homme et d'un projet, qui a fait ses preuves.
Les directeurs sont naturellement nommés sur la base d'un projet artistique.
Par l'autonomie artistique et la délégation de gestion qui lui sont reconnues,
le directeur devient, le temps de son mandat, le référent pour le public et le
représentant de l'autorité pour ses équipes. Il symbolise le projet
artistique.
Soyons clairs : nous ne voulons pas revenir sur un modèle qui a fait ses
preuves. Nous voulons le renforcer en y ajoutant concrètement le soutien et la
légitimité de tous les partenaires. Nous ne sommes plus à l'époque de « la
cassette des menus plaisirs », comme disait Jean Vilar.
Il ne nous paraît plus admissible, je l'ai déjà dit, de cantonner les
collectivités territoriales dans un rôle de « guichet ». Nous voulons que le
directeur de l'établissement puisse se prévaloir de l'accord de toutes les
collectivités partenaires sur son projet artistique.
A cet égard, nous approuvons tout à fait que le rapporteur de l'Assemblée
nationale ait souhaité préciser que le directeur serait en charge de la
direction de l'établissement. Certes, comme il l'a reconnu lui-même, cela
conduit à une rédaction quelque peu tautologique, mais, au bénéfice de cet aveu
- aveu extorqué sans violence aucune -, nous vous proposerons de la retenir,
car elle a l'avantage de clarifier la répartition des rôles et des
responsabilités.
Enfin, je voudrais relever que, pour l'Assemblée nationale comme pour le
Sénat, l'EPCC ne peut être créé que sur l'initiative des collectivités
territoriales, qu'il peut être constitué avec ou sans participation de l'Etat -
je me félicite à cet égard que l'article 2 de la proposition de loi ait été
adopté conforme -, et qu'il est un outil mis à la disposition des collectivités
publiques, mais qu'elles ne seront jamais contraintes de l'utiliser.
Comme cela est très bien exprimé dans le rapport de la commission des affaires
culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, le consensus sera
la règle pour la création de l'EPCC.
J'en viens à présent, mes chers collègues, aux points de divergence. Ils
concernent les modalités de création de l'EPCC et, surtout, la possibilité pour
les EPCC à caractère administratif - essentiellement les musées - de recruter
des agents contractuels sur des contrats à durée indéterminée, afin de pourvoir
certains emplois pour lesquels il n'existe pas de cadre d'emploi de la fonction
publique territoriale.
Sur le premier point, l'Assemblée nationale a réécrit les dispositions
relatives à la procédure de création de l'EPCC.
Cette réécriture comporte trois modifications de fond. Nous vous proposons
d'en retenir deux, parce qu'elles vont dans le sens d'une simplification. La
troisième nous paraît, en revanche, moins justifiée. C'est par celle-ci que je
commencerai.
L'Assemblée nationale considère que, lorsque l'Etat participe à l'EPCC, le
préfet compétent pour prendre l'arrêté de création devra au préalable prendre -
je cite le texte de l'Assemblée nationale - une « décison concordante », sans
doute avec les délibérations des collectivités territoriales - pour exprimer
l'accord de l'Etat.
Cette procédure, certes originale, brouille un peu l'exclusivité du « droit
d'initiative » que nous avons voulu réserver aux collectivités territoriales.
Elle nous a surtout paru inutile, pour deux raisons.
D'abord, dans les faits, nous savons bien comment les choses se passeront.
Bien avant la création de l'établissement public, et même bien avant la
délibération des collectivités ou des groupements demandant cette création, il
est clair que l'Etat aura été associé à l'élaboration du projet d'EPCC et que
ce projet n'ira sans doute pas très loin s'il s'y oppose.
Ensuite, en droit, le représentant de l'Etat compétent pour prendre l'arrêté
de création d'un établissement public local dispose d'un pouvoir d'appréciation
sur la constitution de cet établissement. C'est ce que prévoient la loi et la
jurisprudence, mais c'est aussi affaire de bon sens et de bonne administration.
On ne peut en effet contraindre le représentant de l'Etat à créer une structure
qui aurait toutes les chances de ne pas fonctionner.
C'est pourquoi nous avions retenu, en première lecture, une solution simple et
classique : les collectivités pouvaient seules demander la création d'un EPCC,
cette création résultant ensuite d'un arrêté du représentant de l'Etat.
Nous avions considéré que cette procédure était parfaitement adaptée aux deux
cas qui peuvent se présenter. Si l'Etat participe à l'EPCC, la décision de
création prise par son représentant suffit à officialiser son accord. Si l'EPCC
est constitué uniquement par des partenaires locaux, nous retrouvons la
procédure applicable au syndicat mixte : sa création ne peut intervenir qu'à la
demande et avec l'accord des personnes publiques concernées, mais le préfet
garde un pouvoir d'appréciation.
Nous préférons donc, sur ce point, en rester au texte du Sénat. Mais nous vous
proposerons de retenir, comme je l'ai déjà indiqué, deux autres propositions de
l'Assemblée nationale.
Le premier porte sur le choix du préfet compétent pour prendre l'arrêté de
création. L'Assemblée nationale propose que ce soit le préfet du département
siège de l'établissement. C'est une solution simple et aussi défendable que
celle que nous avions retenue. Par ailleurs, elle crée un autre « lien de
parenté » entre EPCC et syndicat mixte.
L'Assemblée nationale a également prévu que les statuts de l'établissement,
élaborés d'un commun accord entre tous les partenaires, soient annexés à
l'arrêté de création de l'établissement.
Nous avions adopté une solution différente : les partenaires se mettaient
d'accord sur des règles de composition du conseil d'administration et sur la
répartition des sièges, et l'établissement était créé. Le conseil
d'administration, une fois constitué, approuvait ensuite formellement les
statuts de l'établissement.
Cette procédure, inspirée de celle qui est applicable aux universités,
supposait, de toute façon - comment, d'ailleurs, en serait-il autrement ? - que
les collectivités publiques partenaires se soient au préalable mises d'accord
sur le contenu des statuts.
Elle ne pouvait pas remettre en cause les termes de cet accord, les
collectivités fondatrices détenant la majorité des voix au conseil
d'administration.
Mais cette procédure présentait l'avantage d'associer, au moins formellement,
tous les membres du conseil d'administration à l'acte symbolique et fondateur
que constitue l'adoption des statuts.
Cela dit, nous devons convenir que le texte de l'Assemblée nationale
correspond à une procédure plus classique et que, sur le fond, il ne changera
pas grand-chose. Nous vous proposerons donc de faire preuve de bonne volonté à
cet égard.
J'en viens à présent au second point de désaccord : la possibilité, pour
l'EPCC à caractère administratif, de recruter des contractuels sur des contrats
à durée indéterminée. Ce point me paraît plus fondamental dans la mesure où il
pourrait remettre en cause la capacité de certaines grandes institutions
patrimoniales en région d'atteindre les objets mêmes de la création des EPCC,
c'est-à-dire d'affirmer leur identité, d'étendre leur rayonnement et de
conquérir de nouveaux publics, en disposant à cette fin de moyens comparables,
sinon équivalents, à ceux des principaux établissements publics nationaux.
Nous savons bien, en effet, que les cadres d'emploi de la fonction publique
territoriale - pas plus, d'ailleurs, que les corps de la fonction publique
d'Etat - ne permettent pas de recruter des personnels formés pour faire
fonctionner les services de communication, d'édition, ou les services de nature
commerciale, telles les boutiques, sur lesquels doivent aujourd'hui s'appuyer
les grands musées ou les grandes bibliothèques pour élargir leur public et leur
rayonnement.
Le problème est résolu, pour les établissement nationaux, par l'application
des dispositions de l'article 3 de la loi du 11 janvier 1984 portant
dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui
permettent à certains établissements publics de déroger à la règle selon
laquelle les emplois permanents doivent être occupés par des fonctionnaires, «
en raison du caractère particulier de leurs missions ».
Cette faculté a notamment été ouverte par un décret de 1984, maintes fois
complété, au centre Georges-Pompidou, à la Bibliothèque nationale de France, à
la Réunion des musées nationaux, au musée d'Orsay, au musée du Louvre, à
l'Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, au musée
Rodin. J'ajouterai que les dérogations accordées ont, dans certains cas, été
très largement définies.
Les dispositions que nous avions adoptées n'allaient pas aussi loin ; elles
tendaient simplement à permettre aux EPCC à caractère administratif de pourvoir
à certains emplois qui ne correspondent pas à un cadre d'emploi de la fonction
publique territoriale en recrutant des contractuels sur des contrats à durée
indéterminée, afin de pouvoir disposer de personnels spécifiques et de
qualité.
Cette faculté exceptionnelle n'aurait guère pu concerner qu'un petit nombre de
postes dans un petit nombre d'établissements. Et nous savions bien que les
responsables locaux, traditionnellement ménagers des deniers publics et soumis
au demeurant à de sérieuses contraintes budgétaires, en feraient un usage
modéré. Elle ne nous semblait donc pas devoir remettre en cause les principes
de la fonction publique. Mais c'est une mesure de souplesse indispensable pour
donner à certains EPCC les mêmes chances de succès et de rayonnement qu'aux
institutions culturelles nationales.
Cependant, suivant sa commission - sans enthousiasme excessif et dans des
conditions un peu acrobatiques - l'Assemblée nationale a supprimé la
disposition permettant aux EPCC à caractère administratif d'offrir des contrats
à durée indéterminée à certains agents non titulaires.
Nous ne voulons pas en rester là, car il s'agit pour nous d'une disposition
indispensable pour permettre à certains EPCC d'assurer dans de bonnes
conditions les missions que nous souhaitons leur confier.
Nous avons cependant entendu vos objections, monsieur le secrétaire d'Etat, et
celles de l'Assemblée nationale. C'est pourquoi nous proposerons au Sénat une
nouvelle rédaction, qui précise que les recrutements sous contrat à durée
indéterminée ne pourraient être effectués que pour le fonctionnement de
services de communication, de diffusion culturelle, d'édition ou de services
gérant des activités commerciales. Cette précision reste d'ailleurs directement
inspirée, comme le texte que nous avons adopté en première lecture, par la loi
sur l'innovation et la recherche.
Telles sont, mes chers collègues, les propositions que la commission des
affaires culturelles, cette fois encore unanime, vous demande d'adopter.
J'espère qu'elles vous convaincront, monsieur le secrétaire d'Etat, et
qu'elles vous aideront à convaincre votre collègue chargé des relations avec le
Parlement de la nécessité de trouver les moyens de mener à bien l'examen de ce
texte avant la fin de la législature.
Soyons clairs : ce texte ne répond pas, nous le savons bien, à toutes les
difficultés que rencontrent, notamment en matière de fiscalité ou de statut des
personnels, les élus et les artistes qui consacrent leurs efforts au
développement des services publics culturels, à la création artistique et à la
démocratisation de l'accès à la culture. Mais il peut contribuer à une
organisation transparente et rationnelle des partenariats culturels. Il
correspond aussi à une nouvelle étape dans le développement de l'initiative et
des responsabilités locales, que le Sénat s'attache à favoriser.
D'autres chantiers sont à venir. Les riches débats que nous avons eus pourront
trouver leur prolongement dans de nouvelles initiatives parlementaires.
Certains ont estimé prématurés ces débats et cette proposition de loi parce
que, selon eux, cette dernière « toucherait directement à la question de la
décentralisation et précéderait les débats en la matière ». Mais nous sommes
déjà dans ce débat sur la décentralisation, et, sur le présent texte, nous
travaillons depuis trois ans. Pour paraphraser un slogan célèbre, je terminerai
mon propos par ces mots : « Ce n'est qu'un débat, continuons le début ! »
(Sourires et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
près de six mois après la première lecture, la proposition de loi de notre
collègue Ivan Renar nous revient pour examen en deuxième lecture.
En juin dernier, les sénateurs du groupe socialiste avaient applaudi sans
réserve l'excellente initiative de notre collègue, qui avait le mérite de
permettre de clarifier le statut des établissements gérant des activités
culturelles.
Les mois passant, le texte ayant été revu et précisé lors des débats à
l'Assemblée nationale, d'éventuelles faiblesses dans le système proposé ont pu
apparaître.
Aussi, sans remettre en cause notre soutien à la formule des établissements
publics de coopération culturelle, la navette parlementaire nous permet, en
deuxième lecture, de chercher à perfectionner le dispositif proposé, nous
inscrivant ainsi dans la démarche de force tranquille proposée à l'instant par
M. le rapporteur.
Je me suis beaucoup interrogée sur les questions de statut des futurs EPCC en
première lecture. Je constate que ce problème est toujours au coeur du
débat.
Le statut associatif de nombreuses structures culturelles actuelles avait été
au centre de mon propos. En effet, j'estimais que la forme d'établissement
public représenterait un progrès énorme pour de nombreux établissements ; je
pensais alors aux salles parisiennes que je connais bien comme le Théâtre 13 et
le Théâtre 14, qui sont aujourd'hui gérés sous la forme associative, ou encore
à un certain nombre d'écoles supérieures d'art.
En deuxième lecture, le problème du statut sera toujours au centre du débat,
mais différemment.
Les EPCC seront des établissements publics, mais ils devront opter entre le
caractère administratif et le caractère industriel et commercial. Ce choix ne
sera pas neutre puisque des conséquences importantes en découleront quant au
statut des personnels de ces deux types d'établissements.
Les établissements publics à caractère industriel et commercial, les EPIC, ne
posent aucun problème : le droit du travail s'applique et les EPCC qui
prendront cette forme emploieront des personnels sous contrat de droit privé,
bénéficiant de toutes les garanties offertes par le droit commun du travail.
Pour les établissements publics administratifs, les EPA, la situation qui
s'impose pour les personnels est celle de la soumission au statut de la
fonction publique territoriale. De là est né le point principal de discorde
entre les rapporteurs des deux chambres.
Faut-il ouvrir une brèche dans le droit de la fonction publique territoriale
pour le secteur culturel ? Faut-il autoriser les établissements de coopération
culturelle à déroger aux dispositions statutaires de la fonction publique
territoriale pour la gestion des personnels et à embaucher des agents
contractuels sous contrats à durée indéterminée ?
L'Assemblée nationale a estimé, dans sa majorité, qu'une telle dérogation
n'était pas possible au nom du maintien de l'unicité de statut dans la fonction
publique territoriale, mais surtout compte tenu de la transposition prochaine,
en droit interne, de la directive européenne du 28 juin 1999 relative à
l'accord-cadre sur le contrat de travail à durée déterminée.
Notre rapporteur a, au contraire, préféré ouvrir aux EPCC constitués sous
forme d'EPA la possibilité d'embaucher, sous contrats à durée indéterminée, des
personnels pour des fonctions pour lesquelles aucun agent de la fonction
publique territoriale ne posséderait les compétences requises. Le texte qu'il
nous propose en deuxième lecture précise,
in extenso,
les fonctions dont
il s'agit : « activités de communication, de diffusion culturelle, d'édition ou
à caractère commercial ».
Je suis parfaitement en phase avec notre rapporteur en ce qui concerne les
possibilités offertes aux EPCC-EPA de déroger à l'obligation d'employer des
fonctionnaires. La gestion culturelle nécessite une certaine souplesse et le
recours à des fonctions très spécifiques et extrêmement pointues, qui
n'existent pas au sein de la fonction publique territoriale ; celles qui sont
énoncées à l'article L. 1431-6 du code général des collectivités territoriales
entrent dans cette catégorie.
Mais je considère, pour ma part - et je sais que cela n'a pas échappé à M. le
rapporteur -, qu'il en existe de nombreuses autres. C'est pourquoi nous ferons
une suggestion au « père » des établissements publics de coopération culturelle
pour essayer d'aller plus loin. En effet, il importe de prendre en compte le
cas des personnels des établissements gérant une activité de spectacle vivant -
théâtre, danse, art lyrique, orchestre - qui ne sont pas fonctionnaires mais
qui, pour la qualité et la cohérence des spectacles proposés par leurs
établissements, doivent connaître une certaine stabilité dans leur fonction, où
la notion de groupe - troupe, orchestre, choeur - est primordiale.
C'est donc dans l'esprit des propositions du rapporteur Ivan Renar que les
sénateurs socialistes ont déposé un amendement donnant aux EPCC qui produiront
du spectacle vivant la forme d'un EPIC. Nous reviendrons sur ce point lors de
la discussion des articles, mais j'ai d'ores et déjà noté avec plaisir que M.
le secrétaire d'Etat semblait sensible à ce raisonnement.
La seconde réserve, sur laquelle porteront deux autres de nos amendements, a
trait à la place et au rôle respectifs du conseil d'administration et du
directeur des futurs EPCC.
Traditionnellement, dans la vie culturelle française, le directeur d'une
structure a un rôle moteur en matière artistique ; c'est d'ailleurs sur son
projet culturel qu'il est recruté. C'est pourquoi il est important qu'il puisse
ensuite mettre en oeuvre ce projet. En revanche, il revient au conseil
d'administration d'assurer la gestion administrative et financière de
l'établissement, de contrôler la politique menée par le directeur et de la
sanctionner éventuellement.
Je m'étonne donc un peu de la place prépondérante donnée au conseil
d'administration aux termes de la proposition de loi. Nous vous proposerons de
rééquilibrer les rôles entre le directeur et le conseil d'administration pour
éviter deux écueils : d'un côté, que le directeur soit transformé -
pardonnez-moi l'expression un peu familière - en « potiche » (M. Nogrix
s'exclame) ; de l'autre, qu'il y ait un conflit permanent entre les deux
entités en raison d'une confusion entre les missions que pourraient entraîner
la rédaction actuelle du premier alinéa de l'article L. 1431-3 du code général
des collectivités territoriales et celle du premier alinéa du paragraphe II de
l'article L. 1431-4.
Les sénateurs socialistes défendront donc tout à l'heure des amendements
visant à rendre aux futurs directeurs des EPCC une place qui nous semble
conforme aux pratiques culturelles de notre pays.
En dehors de ces deux réserves, que j'ai pris le temps de développer, je vous
assure, monsieur le rapporteur, au nom du groupe socialiste que je représente,
de mon entier soutien à votre initiative, qui permettra de régler beaucoup de
situations actuellement bancales dans le monde des arts et de la culture.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er