SEANCE DU 8 NOVEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 46. - L'Etat conclut une convention avec la collectivité territoriale
de Corse pour mettre en oeuvre un programme exceptionnel d'investissements
d'une durée de quinze ans. Ce programme est destiné à aider la Corse à
surmonter, par un effort d'investissement conséquent, le handicap naturel que
constituent son insularité et son relief cloisonné et le déficit en équipements
et services collectifs structurants. En coordination avec le contrat de plan
Etat-région et la programmation des fonds structurels européens, il exprime un
effort de solidarité exceptionnel de la collectivité nationale envers la
Corse.
« La contribution globale de l'Etat ne pourra excéder 70 % du coût total du
programme. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commmune.
L'amendement n° 151, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission
spéciale, est ainsi libellé :
« Rédiger ainsi l'article 46 :
« Il est inséré dans le code général des collectivités territoriales un
article L. 4425-9 ainsi rédigé :
«
Art. L. 4425-9.
- I. - Pour aider la Corse à surmonter les handicaps
naturels que constituent son relief et son insularité, et pour résorber son
déficit en équipements et services collectifs, un programme exceptionnel
d'investissements d'une durée de quinze ans est mis en oeuvre.
« II. - Les modalités de mise en oeuvre du programme exceptionnel
d'investissements font l'objet d'une convention conclue entre l'Etat et la
collectivité territoriale de Corse. La contribution de l'Etat au coût total du
programme ne peut excéder 70 %.
« III. - Le programme exceptionnel d'investissements est établi en
coordination avec les objectifs du contrat de plan Etat-région et ceux de la
programmation des fonds structurels européens. »
L'amendement n° 268, présenté par M. Bret, Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils,
Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM.
Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme
Terrade, est ainsi libellé :
« Après le premier alinéa de l'article 46, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« D'ici au 1er mars 2002, un rapport sera présenté devant le Parlement et
transmis à l'Assemblée territoriale de Corse fixant le montant global du
programme exceptionnel d'investissements et la répartition des marges mis en
oeuvre. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 151.
M. Paul Girod,
rapporteur.
La commission propose un amendement qui a trois objets.
Il s'agit, d'abord, de supprimer quelques maladresses rédactionnelles et de
remplacer la coordination avec le contrat de plan et les fonds structurels par
la notion de coordination avec les objectifs, tout simplement pour supprimer la
tentation pour certaines administrations de l'Etat de considérer que les fonds
structurels viennent en déduction des fonds que l'Etat doit mettre en oeuvre
dans un certain nombre d'actions.
Le responsable local que je suis a déjà eu à subir ce genre d'inconvénient.
Autant il est possible de coordonner le plan exceptionnel d'investissements
avec les objectifs des fonds structurels, autant il nous semble dangereux de le
coordonner avec les fonds structurels eux-mêmes, à cause justement de cette
tendance peut-être nationale, mais que je crains bruxelloise, à confondre
tout.
M. le président.
La parole est à Mme Luc, pour défendre l'amendement n° 268.
Mme Hélène Luc.
A plusieurs reprises, les sénateurs communistes ont rappelé qu'ils plaçaient
au centre de leurs préoccupations le développement économique et social de la
Corse. Ce devait être, pour eux, la clef de voûte de toute réforme
d'envergure.
Nous avons constaté qu'au fil du débat, depuis deux ans, l'aspect
institutionnel a pris le dessus.
Cela correspond-il réellement aux besoins ? Cela correspond-il réellement à la
volonté des habitants de la Corse ?
Comment ne pas voir, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'une bonne
part des frustrations, des difficultés politiques qu'éprouve l'île proviennent
du retard économique et social dans lequel elle se trouve, et ce depuis de très
longues années, messieurs de la droite !
Bien sûr, l'île de Beauté porte bien son nom ! La nature a fait son oeuvre et
les habitants de la Corse l'ont mise en valeur de tout temps.
Dans une période lointaine, il s'agissait pour eux de cultiver, sur des
terrains montagneux arides, le moindre lopin de terre en espalier pour nourrir
la famille.
Aujourd'hui, alors que les conditions de vie sont moins dures, ces habitants,
qui souhaitent rester de plus en plus sur leur terre et y vivre, aspirent à son
développement économique sur le plan agricole, bien sûr, mais aussi sur le plan
touristique, secteur qui prend une place de plus en plus grande, comme mon amie
Michèle Demessine a eu très souvent l'occasion de le dire.
Les investissements économiques sont ce qui manque le plus en Corse pour
assurer des emplois durables et permanents. La Corse ne peut pas continuer à
vivre avec des emplois saisonniers, même si la saison touristique a empiété,
cette année, sur le printemps et l'automne, ce qui est nouveau et heureux !
La science, la technique de pointe, l'informatique doivent faire leur entrée
sur l'île. Vous connaissez tous l'entreprise d'Ajaccio Corse Composites, qui
compte plus de cent emplois dans l'informatique et qui, par son existence,
apporte la preuve que c'est possible.
Georges Charpak, avec l'audace qu'on lui connaît, avait proposé que le projet
SOLEIL soit installé à Bastia. Evidemment, il est bien à Orsay, mais l'idée
était bonne, et nous l'avions soutenue.
En tout cas, c'est dans ce sens qu'il faut oeuvrer : le Gouvernement, la
DATAR, les élus corses, les forces vives, syndicales ou d'entreprise, doivent
faire des propositions afin que, une fois la loi votée, les crédits
d'investissement prévus soient utilisables le plus rapidement possible.
Ainsi, un projet de tunnel routier, qui rejoindrait le tunnel de la ligne de
chemin de fer reliant Bastia à Ajaccio, est actuellement en discussion. Une
autre voie de chemin de fer allant de Bastia à Moriani est prévue. Des
infrastructures routières, comme la route allant d'Ajaccio à Calvi par la côte,
doivent être réalisées. Il faut maintenant passer aux actes.
S'il a progressé en Corse - il faut le dire - l'esprit d'entreprise n'est pas
encore à la hauteur des nécessités.
Le développement économique de l'île aurait dû être beaucoup plus au centre de
nos discussions.
M. le ministre propose, à l'article 46 - cela n'a jamais été fait -, un
programme exceptionnel d'investissements, mais cet article 46 manque un peu
d'ambition : il aurait été nécessaire d'apporter plus de précisions.
Sur les vingt-huit heures de débat que nous aurons eues, très peu de temps
aura été consacré à la situation économique de l'île, et je le regrette.
Nous souhaitons donc que le Gouvernement s'engage plus précisément sur le
montant et sur les modalités de répartition des fonds. Nous proposons, à cet
égard, qu'un rapport soit présenté au Parlement avant le 1er mars 2002 et, si
possible, bien avant. Ce rapport serait évidemment remis à l'Assemblée
territoriale de Corse.
J'entends parfois dire que la Corse sera incapable de gérer tout cela. Un défi
est lancé ; il faut le gagner avec la population corse, et j'ai confiance. Mais
c'est à l'Etat, en informant, en répartissant, en cadrant, d'aider la Corse à
utiliser au mieux cette aide, qui, bien entendu, ne doit pas tomber dans le
puits sans fond des opérations financiéro-mafieuses.
Nous avons entendu parler, les uns et les autres, d'utilisations parfois
étonnantes des aides européennes accordées aux agriculteurs corses. Je me
refuse, quant à moi, à généraliser. Si nous sommes conscients de cette réalité,
cela ne doit pas pousser la France à se désengager du développement économique
d'une de ses plus belles régions, la Corse.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 268 ?
M. Paul Girod,
rapporteur.
Madame Luc, la commission est toute prête à accepter votre
amendement sous réserve que vous le transformiez en sous-amendement à son
propre texte.
M. le président.
Madame Luc, accédez-vous au souhait de M. le rapporteur ?
Mme Hélène Luc.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 268 rectifié, présenté par M. Bret,
Mmes Luc, Beaudeau, Beaufils, Bidard-Reydet et Borvo, M. Coquelle, Mmes David,
Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud et Le Cam, Mme Mathon, MM. Muzeau,
Ralite et Renar et Mme Terrade, et ainsi libellé :
« Compléter le texte proposé par l'amendement n° 151 par un paragraphe ainsi
rédigé :
« IV. - D'ici au 1er mars 2002, un rapport sera présenté devant le Parlement
et transmis à l'Assemblée territoriale de Corse fixant le montant global du
programme exceptionnel d'investissements et la répartition des marges mis en
oeuvre. »
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Paul Girod,
rapporteur.
La commission émet donc un avis favorable sur le
sous-amendement.
Mais, madame Luc, permettez-moi de vous rappeler que nous travaillons sur les
amendements depuis hier après-midi, que nous évoquons le développement
économique de l'île depuis dix heures et demie ce matin et que nous en avons
terminé voilà seulement trois quarts d'heure ! On ne peut donc pas dire que
nous ayons négligé le développement économique de la Corse. J'ai même entendu
un journaliste s'étonner que le Sénat surcharge ainsi la partie économique par
rapport au reste du texte. En fait, c'est un élément très important et
problablement l'élément le plus concret qui se trouve dans ce projet de loi ;
nous y avons accordé toute l'importance nécessaire.
En revanche, madame, je partage un certain scepticisme qui se trouvait en
filigrane dans vos propos. Monsieur le ministre, 13 milliards de francs
d'investissements, c'est bien, mais ce serait encore mieux si la Corse était
déjà en état de consommer les crédits d'investissements dont elle dispose, ce
qui n'est pas toujours le cas. L'une des raisons en est peut-être le manque de
projets, une autre en est le manque d'entreprises susceptibles de les réaliser,
d'où l'accent que nous avons mis sur le crédit d'impôt et l'intégration du BTP
dans ce dispositif.
Madame Luc, vous le voyez, nous sommes sur la même longueur d'onde, nous
cherchons à ranimer le vrai tissu économique de l'île.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 268 rectifié et sur
l'amendement n° 151 ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Dans la disposition prévue, le programme
exceptionnel d'investissements ne saurait naturellement être mis en oeuvre
avant son approbation puisqu'il n'est pas détachable de l'ensemble.
Le Premier ministre avait confié une première mission exploratoire au préfet
de Corse, assisté du président du conseil exécutif, pour recenser les besoins
prioritaires.
Après examen, il recevra, dans les tout prochains jours, une autre mission
pour engager une nouvelle concertation avec la collectivité territoriale de
Corse, à laquelle seront associés les deux conseils généraux et les communes
concernées par les opérations envisagées.
Cette lettre détaillera les propositions de méthode, qui n'ont pour objet que
de conjuguer le respect de nos engagements avec une indispensable rigueur dans
la gestion des fonds publics. Celle-ci s'impose tout particulièrement eu égard
au montant considérable que pourrait atteindre un tel programme.
Annoncer un montant précis serait anticiper sur la concertation qui va
s'engager, mais je peux dire dès maintenant qu'il pourra être au plus égal à
celui qui résultait du recensement des besoins déjà effectué, soit 12 milliards
à 13 milliards de francs, la participation de l'Etat étant fixée à un taux
moyen de 70 %.
Le chiffre résultant de ces travaux - j'insiste sur ce point - n'a pas une
grande signification si les conditions ne sont pas réunies pour une réalisation
effective de ce programme dans les délais prévus. A ce titre, le renforcement
de l'ingénierie locale est une priorité absolue. Je l'ai d'ailleurs souligné
lorsque j'ai rencontré, le 26 octobre dernier, le président du conseil
exécutif, puis les groupes autour du président de l'Assemblée. Le préfet de
Corse en précisera avec les élus l'organisation et le financement.
Ce programme se traduira par la signature d'une convention-cadre portant sur
la totalité de la durée, mentionnant les grandes catégories d'opérations,
identifiant certaines opérations majeures et précisant les modalités de
renforcement de l'ingénierie locale. Une première convention d'application
portant jusqu'à la fin de l'actuel contrat de plan identifiera de manière
précise les opérations dont la réalisation pourrait être engagée dans cette
première période.
Les projets de conventions devront être établis pour que celles-ci puissent
être signées d'ici à la fin du mois de février 2002.
Au bénéfice de ces précisions qui, je crois, répondent, madame Luc, à vos
préoccupations, je vous demande de retirer votre sous-amendement pour en rester
à l'amendement proposé par la commission spéciale.
Cet amendement n° 151 présente un certain nombre de mesures qui, peut-être en
en modifiant légèrement la rédaction, permettront un certain nombre d'avancées.
C'est la raison pour laquelle je vais m'en remettre à la sagesse du Sénat.
Mme Hélène Luc.
Je retire le sous-amendement.
M. le président.
Le sous-amendement n° 268 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 151, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 46 est ainsi rédigé.
TITRE V
DISPOSITIONS DIVERSES
Article 47