SEANCE DU 17 OCTOBRE 2001
M. le président.
« Art. 23
bis
. - I. - Après l'article 706-56 du code de procédure
pénale, il est inséré un titre XXI ainsi rédigé :
« TITRE XXI
« DE LA PROTECTION DES TÉMOINS
«
Art. 706-57
. - Les personnes à l'encontre desquelles il n'existe
aucun indice faisant présumer qu'elles ont commis ou tenté de commettre une
infraction et qui sont susceptibles d'apporter des éléments de preuve
intéressant la procédure peuvent, sur autorisation du procureur de la
République ou du juge d'instruction, déclarer comme domicile l'adresse du
commissariat ou de la brigade de gendarmerie.
« L'adresse de ces personnes est alors inscrite sur un registre coté et
paraphé, qui est ouvert à cet effet.
«
Art. 706-58
. - En cas de procédure portant sur un crime ou sur un
délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement, lorsque l'audition d'une
personne visée à l'article 706-57 est susceptible de mettre gravement en danger
la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou
de ses proches, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête
motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut, par
décision motivée, autoriser que les déclarations de cette personne soient
recueillies sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure.
Cette décision n'est pas susceptible de recours, sous réserve des dispositions
du deuxième alinéa de l'article 706-60. Le juge des libertés et de la détention
peut décider de procéder lui-même à l'audition du témoin.
« La décision du juge des libertés et de la détention, qui ne fait pas
apparaître l'identité de la personne, est jointe au procès-verbal d'audition du
témoin, sur lequel ne figure pas la signature de l'intéressé. L'identité et
l'adresse de la personne sont inscrites dans un autre procès-verbal signé par
l'intéressé, qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure,
dans lequel figure également la requête prévue à l'alinéa précédent. L'identité
et l'adresse de la personne sont inscrites sur un registre coté et paraphé, qui
est ouvert à cet effet au tribunal de grande instance.
«
Art. 706-59
. - En aucune circonstance, l'identité ou l'adresse d'un
témoin ayant bénéficié des dispositions des articles 706-57 ou 706-58 ne peut
être révélée, hors le cas prévu par le dernier alinéa de l'article 706-60.
« La révélation de l'identité ou de l'adresse d'un témoin ayant bénéficié des
dispositions des articles 706-57 ou 706-58 est punie de cinq ans
d'emprisonnement et 75 000 EUR d'amende.
«
Art. 706-60
. - Les dispositions de l'article 706-58 ne sont pas
applicables si, au regard des circonstances dans lesquelles l'infraction a été
commise ou de la personnalité du témoin, la connaissance de l'identité de la
personne est indispensable à l'exercice des droits de la défense.
« La personne mise en examen peut, dans les dix jours à compter de la date à
laquelle il lui a été donné connaissance du contenu d'une audition réalisée
dans les conditions de l'article 706-58, contester, devant le président de la
chambre de l'instruction, le recours à la procédure prévue par cet article. Le
président de la chambre de l'instruction statue par décision motivée qui n'est
pas susceptible de recours au vu des pièces de la procédure et de celles
figurant dans le dossier mentionné au deuxième alinéa de l'article 706-58. S'il
estime la contestation justifiée, il ordonne l'annulation de l'audition. Il
peut également ordonner que l'identité du témoin soit révélée à la condition
que ce dernier fasse expressément connaître qu'il accepte la levée de son
anonymat.
«
Art. 706-61
. - La personne mise en examen ou renvoyée devant la
juridiction de jugement peut demander à être confrontée avec un témoin entendu
en application des dispositions de l'article 706-58 par l'intermédiaire d'un
dispositif technique permettant l'audition du témoin à distance ou à faire
interroger ce témoin par son avocat par ce même moyen. La voix du témoin est
alors rendue non identifiable par des procédés techniques appropriés.
«
Art. 706-62
. - Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul
fondement de déclarations recueillies dans les conditions prévues par les
articles 706-58 et 706-61.
«
Art. 706-63
. - Un décret en Conseil d'Etat précise, en tant que de
besoin, les conditions d'application des dispositions du présent titre.
« II. - Les premier et troisième alinéas de l'article 62-1 et le troisième
alinéa de l'article 153 du même code sont supprimés. »
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 79 est présenté par M. Dreyfus-Schmidt.
L'amendement n° 80 est présenté par M. Fauchon.
Ces amendements sont ainsi libellés :
« Supprimer l'article 23
bis
.
L'amendement n° 81 rectifié
bis,
présenté par M. Fauchon, est ainsi
libellé :
« I. - Au début du texte proposé par le I de l'article 23
bis
pour
l'article 706-58 du code de procédure pénale, remplacer les mots : "En cas de
procédure portant sur un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans
d'emprisonnement" par les mots : "En cas de procédure portant sur un crime ou
un délit prévu par les livres II ou III du code pénal ou par les titres II et V
du livre IV de ce code et puni d'au moins sept ans d'emprisonnement,...".
« II. - Compléter l'article 23
bis
par un paragraphe additionnel ainsi
rédigé :
« ... - Le présent article est applicable jusqu'au 31 décembre 2003.
« Le Parlement sera saisi, avant cette date, d'un rapport d'évaluation sur
l'application de cette mesure. »
L'amendement n° 77 rectifié, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :
« Compléter l'article 23
bis
par un paragraphe additionnel ainsi rédigé
:
« ... - Les personnes citées comme simple témoin, qui apportent des éléments
intéressant une enquête concernant des actes de terrorisme bénéficient, s'il y
a lieu, ainsi que leurs proches, d'une protection particulière et adaptée à la
situation de la part de l'Etat.
« La personne poursuivie ou jugée, qui a commis ou tenté de commettre un acte
de terrorisme peut bénéficier de circonstances atténuantes et d'un aménagement
de sa peine, appréciés selon le cas par le juge d'instruction, la juridiction
de jugement ou le juge d'application des peines, lorsqu'elle a contribué aux
enquêtes en apportant des éléments utiles aux actions contre le terrorisme.
Elle peut bénéficier en outre, s'il y a lieu, ainsi que ses proches, de la
protection des services de l'Etat.
« Les personnes habilitées qui participent à des opérations d'infiltration de
réseaux terroristes, bénéficient de mesures de protection particulière tout au
long de la procédure judiciaire qui concerne tout ou partie du réseau. Elles
peuvent être extraites de cette procédure par décision du parquet ou du juge
d'instruction. »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n°
79.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je voudrais essayer de convaincre chacune d'entre vous qu'il y a des limites à
ne pas franchir. En l'occurrence, il s'agit de la mise en place du témoin
anonyme.
Cette disposition a été proposée par notre rapporteur, M. Schosteck, avant les
énévements du 11 septembre aux Etats-Unis. Le groupe socialiste s'était
abstenu. Puis l'Assemblée nationale a repris cette proposition en prévoyant des
garanties supplémentaires.
Si un témoin ne se sent pas en sécurité, le procureur de la République peut
demander au juge des libertés que l'intéressé témoigne d'une manière
anonyme.
Si la défense demande à l'entendre, à lui poser des questions, on peut le voir
grâce à un écran, mais sans que son visage et sa voix soient
reconnaissables.
Cela paraît, comme c'est écrit dans l'objet de mon amendement, absolument
contraire aux plus grands principes du droit, en particulier du droit français.
En effet, une personne poursuivie, qui n'est pas forcément coupable, a besoin
de savoir qui l'accuse. Peut-être connaît-elle son accusateur ? Peut-être
a-t-elle des affinités avec lui ? Elle doit pouvoir se renseigner. Elle doit
savoir que cette personne qui l'accuse n'a pas contre lui de l'aversion, de
l'inimitié, ne veut pas se venger...
On ne peut pas se défendre contre un témoin que l'on ne connaît pas, cela
paraît tout à fait évident.
Nous avons relu des débats de l'Assemblée nationale. Le moins que l'on puisse
dire, c'est qu'ils ont été courts.
Le rapporteur, M. Bruno Le Roux, a dit : « Cet amendement important a trait à
la faculté donnée à des témoins, dans certaines circonstances et pour certains
délits, de déposer de façon anonyme en bénéficiant ainsi d'une grande sécurité.
Dans les cas de violence aggravée notamment, cette procédure serait de nature à
faciliter les témoignages. »
Un seul intervenant, M. Laurent Dominati, a déclaré : « Je souhaiterais avoir
quelques explications sur cet amendement qui permet à des témoins de conserver
l'anonymat sur décision des juges des libertés, mais qui pose certaines
questions au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et du
droit de tout accusé à avoir un procès équitable. » Je dois dire que M.
Dominati avait parfaitement raison, nous allons le voir dans un instant.
Le texte prévoit d'ailleurs que la personne accusée par un témoignage anonyme
aura la faculté de demander la levée de l'anonymat qui pourra alors être
ordonnée par le juge. C'est vrai, mais à condition que le témoin l'accepte, ce
qui est tout de même assez extraordinaire.
Le texte prévoit également que nul ne peut être condamné sur le seul fondement
d'un tél témoignage.
« Je voudrais dès lors savoir, monsieur le rapporteur, poursuit M. Dominati, à
quel cas précis cet amendement pourrait s'appliquer et si vous estimez qu'il
puisse être réellement efficace. »
On peut se demander si une telle procédure est anticonstitutionnelle ou non !
Nous ne le saurons sans doute pas, puisque, personne ne saisira le Conseil
constitutionnel si ce texte est voté.
En revanche, il reste, - fort heureusement allais-je dire - la censure
éventuelle de la Cour européenne des droits de l'homme.
Cet article 23
bis
prévoit d'ailleurs, puisque ses auteurs savaient
bien que c'est extrêmement dangereux d'accepter un témoin anonyme, qu'aucune
condamnation ne peut intervenir sur le seul fondement de ce témoignage
anonyme.
Mais, dans les cas les plus graves, c'est-à-dire en matière criminelle, on ne
peut pas savoir quel est le fondement de la condamnation, puisque l'arrêt des
cours d'assises n'est pas motivé !
Certains qui sont de notre avis, M. Fauchon par exemple, ont demandé au Sénat
que la disposition ne soit valable que si la condamnation encourue était
supérieure à trois ans de prison. L'Assemblée nationale quant à elle a prévu
une durée d'emprisonnement de cinq ans.
On peut se demander s'il est constitutionnel d'avoir un système de preuves
différent suivant la peine encourue.
Notre collègue M. Fauchon propose un autre amendement prévoyant de limiter la
disposition en la réservant aux cas graves. Or il est évident que c'est dans
les cas graves que s'impose le besoin d'un procès équitable et qu'on ne peut
pas risquer de condamner un prévenu sans qu'il ait pu se défendre.
Nous sommes tous d'accord : il faut que les témoins puissent témoigner en
toute sécurité.
Avant les événements des Etats-Unis, le législateur pensait peut-être à la
Corse, pourquoi pas ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Ah oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Encore qu'en Corse, en tout état de cause, les témoins ne parlent pas en
raison, paraît-il, de la survivance de vieilles traditions dans l'île. Peu
importe, la loi doit être la même pour les uns et pour les autres.
(M.
Charasse s'exclame.)
J'évoquerai ici un arrêt de principe pris en 1988 par la Cour européenne des
droits de l'homme, saisie d'une affaire de fermoir anonyme au Pays-Bas.
Cet arrêt pris à l'unanimité devant le tribunal d'arrondissement d'Utrecht
puis devant la cour d'appel d'Amsterdam, la défense a pu certes interroger l'un
des policiers et les deux juges d'instruction qui avaient enregistré les
déclarations et qu'elle a pu aussi, mais pour une seule des personnes anonymes,
présenter des questions écrites par l'intermédiaire du juge d'instruction.
Il dispose que la nature et l'étendue des questions qu'elle a pu poser de
l'une ou l'autre manière se trouvèrent toutefois considérablement limitées par
la décision de préserver l'anonymat desdites personnes.
« Ce dernier aspect de l'affaire aggrava les difficultés rencontrées par le
requérant... »
Je dois dire que lorsque j'ai rédigé l'objet de mon amendement, je ne
connaissais pas cette décision - et il y en a d'autres ! - de la Cour
européenne des droits de l'homme. J'y retrouve exactement les arguments qui
tombent sous le sens. L'arrêt dispose que, si la défense ignore l'identité d'un
individu qu'elle essaie d'interroger, elle peut se voir privée des précisions
lui permettant justement d'établir qu'il est partial, hostile ou indigne de foi
; qu'un témoignage ou d'autres déclarations chargeant un accusé peuvent fort
bien constituer un mensonge ou résulter d'une simple erreur ; que la défense ne
peut guère le démontrer si elle ne possède pas les informations qui lui
fourniraient le moyen de contrôler la crédibilité de l'auteur ou de jeter le
doute sur celle-ci. Les dangers inhérents à pareille situation tombent sous le
sens...
Le gouvernement néerlandais a fait valoir que la jurisprudence et la pratique
en matière de dépositions anonymes découlent de l'intimidation croissante des
témoins et recherchent un équilibre entre les intérêts de la société, les
accusés et les témoins. En l'espèce, il apparaissait selon lui que les auteurs
des déclarations en cause avaient de bonnes raisons de craindre des
représailles.
Ici non plus, la Cour n'a pas sous-estimé l'importance de la lutte contre la
délinquance organisée mais, bien que non dépouvu de poids, le raisonnement du
Gouvernement ne l'a pas convaincu. Si l'expansion de la délinquance organisée
commandait, à n'en pas douter, l'adoption de mesures appropriées, la thèse du
Gouvernement semblait à la Cour attacher trop peu de prix à ce que le conseil
du requérant appelle l'intérêt de chacun dans une société à une procédure
judiciaire contrôlable et équitable. Dans une société démocratique, le droit à
une bonne administration de la justice occupe une place si éminente qu'on ne
saurait le sacrifier à l'opportunité.
La convention n'empêchait pas de s'appuyer, au stade de l'instruction
préparatoire, sur des sources telles que des indicateurs occultes, mais
l'emploi ultérieur de déclarations anonymes comme des preuves suffisantes pour
justifier une condamnation soulèvait un problème différent. En l'espèce, il a
conduit à restreindre les droits de la défense d'une manière incompatible avec
les garanties de l'article 6. De fait, le gouvernement a reconnu que la
condamnation du requérant se fondait, à un degré déterminant, sur les
dépositions anonymes.
La Cour a décodé, à l'unanimité, qu'il y avait eu violation du paragraphe 3 de
l'article 6.
Or, je le répète, en matière criminelle, on ne peut pas savoir ce qui est
déterminant et ce qui ne l'est pas.
Je supplie donc le Sénat de considérer que ce ne serait pas une bonne méthode
de dire qu'il faut limiter le dispositif et qu'il ne sera valable que dans les
cas graves que en matière de terrorisme, de traite des êtres humains, de
stupéfiants...
Encore une fois, plus l'affaire est grave, plus le procès doit être équitable.
Il en est ainsi dans une démocratie.
Je vous supplie donc tous de considérer qu'on ne peut tout de même pas aller
trop loin sans donner à ceux que nous combattons, aux terroristes eux-mêmes, la
satisfaction de renoncer à nos propres valeurs.
C'est pourquoi je demande au Sénat de voter notre amendement de
suppression.
M. le président.
La parole est à M. Fauchon, pour défendre les amendements n°s 80 et 81
rectifié
bis
.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, nous sommes là dans une matière, chacun s'en rend bien
compte, qui est extrêmement délicate.
Elle est délicate, d'abord, parce que nous sommes à un stade de la procédure
qui ne nous donne pas toutes les libertés que nous pourrions souhaiter. Il nous
faut en effet essayer d'aboutir à une solution qui puisse être adoptée par
l'Assemblée nationale. Sinon, nous allons faire des proclamations, prendre des
décisions qui vont nous satisfaire, rentrer chez nous bien tranquilles, mais
sans savoir ce qui se passera demain.
Pour ma part, je me pose la question de savoir quelle sera la loi finale et
j'essaie de trouver une solution qui se situe dans cette perspective. Selon
moi, dans cette optique, il y a lieu d'essayer de tenter de concilier deux
préoccupations qui sont l'une et l'autre extrêmement importantes.
La première, M. Dreyfus-Schmidt vient de la rappeler en citant la décision de
la Cour de Strasbourg, c'est, nous en sommes conscients, sur l'idée qu'on se
fait d'une manière classique du procès pénal : un témoin doit pouvoir être
connu. Il doit également pouvoir être interrogé. Or, pour l'interroger, il faut
le connaître, c'est évident.
Cette question est tout à fait essentielle.
Je n'ai pas besoin d'entrer dans le détail ! Cela nous ramènerait d'ailleurs à
des temps ou à des procédures tout à fait archaïques que d'imaginer qu'on
puisse être condamné parce que des gens qu'on ne connaît pas, avec qui on n'a
pas pu discuter, vous ont accusé et ont affirmé que vous aviez fait ceci ou
cela, tel ou tel jour, ce qui est vraiment très grave.
M. Michel Charasse.
On est tué aussi par des gens qu'on ne connaît pas !
M. Pierre Fauchon.
Bien entendu ! Mais être accusé par un témoin qu'on ne connaît pas, c'est très
grave.
Par ailleurs, nous observons actuellement une montée des délinquances, une
augmentation des menaces exercées sur les témoins, des représailles à
l'encontre des témoins et nous avons le souci de protéger la société, la paix
sociale. C'est pourquoi on discute d'un texte relatif à la sécurité.
Un tel texte n'était peut-être pas envisageable au début du siècle, car on
n'assistait pas aux phénomènes auxquels on assiste maintenant.
(M. Charasse
s'exclame.)
Il m'arrive quelquefois de dire que les faits de terrorisme relèvent de l'état
de guerre plus que de la délinquance classique telle qu'on l'imaginait du temps
de Balzac.
(M. Charasse s'exclame à nouveau.)
Monsieur Charasse, je n'ai pas le même talent que vous et je ne voudrais pas
non plus me lancer dans des péroraisons, car la question est trop délicate. Je
préfère donc m'en tenir à des explications peut-être plus sobres et moins
raffinées, mais qui nécessitent que l'on ne soit pas interrompu.
J'ai donc exposé l'état d'une réelle inquiétude : j'ai toujours pensé que l'on
ne pouvait pas accepter ce système de témoignages anonymes et qu'il fallait
adopter une attitude de principe. Puis, très rapidement, on m'a cité un certain
nombre de faits, et on a attiré mon attention sur la nécessaire sécurité du
témoin.
Je me suis dit que l'on ne pouvait pas poser en principe général la
possibilité du témoin anonyme parce qu'alors on embrasserait des quantités de
domaines où l'on serait à la merci du témoignage vengeur de je ne sais quel
employé licencié, de je ne sais quel parent à la suite d'un drame de famille,
de je ne sais quel mauvais voisin, et que, cela pouvant jouer dans tous les
domaines, on risquait d'avoir beaucoup d'abus.
On m'a naturellement fait observer que le texte de l'Assemblée nationale,
complétant d'ailleurs la démarche du Sénat à cet égard, avait posé un certain
nombre de sécurités qui n'étaient pas négligeables. Mais sachant fort bien
quelles sont les difficultés de fonctionnement de la justice et constatant que
ces sécurités font appel à la décision d'un seul juge je me dis qu'elles sont
d'une valeur relative, car nous savons que ces juges sont accablés de travail,
qu'ils sont dans l'obligation de débiter quotidiennement nombre de décisions et
que dans ce débit de décisions, peuvent très bien se glisser des acceptations
de témoignages anonymes qui seraient tout à fait contestables.
Je retire l'amendement n° 80 par lequel je demandais la suppression pure et
simple de l'article 23
bis
, et je propose à notre assemblée d'adopter la
démarche qui tient compte de ces deux éléments contradictoires.
Le danger couru par les témoins est tellement évident, la nécessité de
protéger la sécurité publique est tellement ressentie par nous tous, l'angoisse
devant l'évolution est telle que nous devons apporter une réponse. C'est ce qui
m'a conduit à déposer l'amendement n° 81 rectifié
bis
, dans lequel je
tente de cantonner le dispositif du témoin anonyme, avec les sécurités
auxquelles j'ai fait allusion, aux domaines dans lesquels il y a les plus
fortes raisons de craindre que les témoins n'osent pas témoigner, donc que la
justice ne puisse pas progresser.
Je vous rappelle la rédaction de cet amendement n° 81 rectifié
bis
: «
En cas de procédure portant sur un crime ou un délit prévu par les livres II ou
III du code pénal ou par les titres II et V du livre IV de ce code et puni d'au
moins sept ans d'emprisonnement... ». Ainsi, le dispositif fonctionnerait et on
couvrirait la liste des faits que je vais maintenant brièvement parcourir : les
crimes contre l'humanité, les meurtres et assassinats, les tortures et actes de
barbarie, les violences aggravées, les viols et agressions sexuelles aggravés,
le trafic de stupéfiants, l'enlèvement et la séquestration, le proxénétisme, la
provocation d'un mineur de quinze ans à commettre habituellement des crimes ou
des délits ou à se livrer à un trafic de stupéfiants, la corruption de mineurs
par Internet et le tourisme sexuel - il s'agit du livre deuxième du code pénal
; les vols aggravés, les extorsions aggravées, les escroqueries aggravées, le
recel aggravé, la destruction par explosifs, le blanchiment aggravé - il s'agit
du livre troisième du code pénal ; enfin, les actes de terrorisme, auxquels je
pense naturellement tout particulièrement, et les associations de malfaiteurs -
il s'agit du livre quatrième du code pénal.
Je crois pouvoir dire, en toute objectivité, que l'amendement présenté à la
commission n'était pas aussi approfondi et qu'elle a hésité, pensant que ma
démarche n'était peut-être pas tout à fait au point, mais qu'elle méritait
d'être prise en considération ; un vote a été émis où les voix étaient
partagées. Mais, dans cette rédaction plus large, il me semble que je réponds
aux préoccupations, sinon de la totalité, du moins d'une assez large majorité
de la commission. Je pense qu'il s'agit là d'une solution équilibrée.
J'ai ajouté, sans en faire un élément essentiel, un point qui me paraît assez
raisonnable, à savoir le dispositif particulier qui est prévu par ailleurs à
l'égard du terrorisme, c'est-à-dire le principe selon lequel l'article n'est
applicable que jusqu'au 31 décembre 2003, et que le Parlement sera saisi, avant
cette date, d'un rapport d'évaluation sur l'application de cette mesure. Il
faut, en effet, savoir procéder de manière expérimentale.
L'un des inconvénients de la procédure dans laquelle nous sommes, c'est que
nous nous trouvons en présence de mesures auxquelles nous n'avons pas
suffisamment réfléchi. Il est très important, notamment dans ces affaires, de
procéder à des auditions. Nous aurions aimé entendre des juges d'instruction,
des praticiens de terrain, pour savoir comment ils envisageaient la possibilité
d'appliquer ces sécurités. Nous n'avons pas pu procéder à ces auditions, ce
qui, selon moi, justifie pleinement d'avoir cette démarche un peu
expérimentale.
Telles sont les raisons pour lesquelles, après avoir retiré mon précédent
amendement, je soumets à votre approbation l'amendement n° 81 rectifié
bis
.
M. le président.
L'amendement n° 80 est retiré.
La parole est à M. Charasse pour défendre l'amendement n° 77 rectifié.
M. Michel Charasse.
Je souhaite tout d'abord faire remarquer à notre estimable collègue M. Fauchon
que, s'il a rectifié son dispositif, il n'a pas modifié son exposé des motifs :
alors que l'amendement vise, dans son dispositif, la moitié du code pénal,
l'exposé des motifs continue à ne parler que du terrorisme, des infractions à
la législation sur les armes et du trafic de stupéfiants, ce qui, je dois le
dire, nous convenait beaucoup mieux. Je voudrais donc être sûr que nous avons
le bon texte et que c'est non pas l'exposé des motifs, mais le texte qui
compte.
M. Pierre Fauchon.
C'est la règle ! L'exposé des motifs n'a pas été corrigé, et je vous prie de
m'en excuser, mais je suis sûr que vous m'avez compris !
M. Michel Charasse.
Cela veut dire qu'en rectifiant votre amendement, vous en avez élargi
considérablement la portée !
M. Pierre Fauchon.
C'est certain !
M. Michel Charasse.
J'en arrive à l'amendement n° 77 rectifié, dont je ne suis pas très fier de la
rédaction, mais qui a surtout pour objet de poser trois problèmes au
Gouvernement. Je me fais peu d'illusions sur le sort qui lui sera réservé car,
à ma connaissance, la commission des lois ne l'a pas accepté.
Monsieur le ministre, je crois que, dans les affaires de terrorisme, en
particulier dans les affaires de très grande violence, des précautions doivent
être prises dans un certain nombre de domaines.
En ce qui concerne, d'abord, les simples témoins, et au-delà de la question de
l'anonymat ou du non-anonymat qui vient d'être posée par nos deux collègues, je
voudrais, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez si vous envisagez de
prendre réellement des mesures qui, d'ailleurs, sont moins législatives que
réglementaires, pour protéger efficacement les personnes qui témoignent dans
les affaires de terrorisme.
L'anonymat est une chose, mais cela ne suffit pas. Il y a aussi les témoins et
les proches des témoins, la famille. Tel est l'objet du premier alinéa de
l'amendement n° 77 rectifié, qui vise à demander que les témoins fassent
l'objet de réelles mesures de protection particulières à la hauteur des
circonstances de l'affaire.
Le deuxième alinéa de cet amendement concerne ceux que l'on a appelé en
Italie, je crois, les « repentis », et, en particulier, celles et ceux qui,
dans une procédure judiciaire pour acte de terrorisme, ou déjà condamnés,
apportent des informations très utiles, et plus encore, si je puis dire, pour
rechercher le terroriste dans l'affaire qui les a conduit en prison ou dans
d'autres affaires connexes. Ces personnes aussi, monsieur le ministre, ont
besoin d'être protégées. Si elles sont en prison, elles n'ont pas à l'être
immédiatement, mais leurs proches ont besoin d'être protégés. On sait en effet
que, dans les affaires de terrorisme, on peut s'en prendre facilement à la
famille.
En même temps, ne serait-il pas possible d'envisager un dispositif permettant
de tenir compte des utiles informations qui ont été apportées par l'intéressé
en ce qui concerne l'exécution de sa peine ou les circonstances atténuantes
lorsqu'il est devant la juridiction de jugement ?
Enfin, le troisième alinéa concerne des personnes, qui sont sans doute déjà
nombreuses aujourd'hui, monsieur le ministre, dans les services - et sans doute
le seront-elles plus encore dans les semaines à venir - à savoir les agents
infiltrés dans les réseaux de terrorisme. Je crois qu'il faut réfléchir à des
mesures techniques pour éviter qu'à l'occasion d'un coup de filet sur le réseau
de terrorisme dans lequel ces agents sont infiltrés - et on les connaît, parce
qu'il sont quasiment agréés par l'administration - ils ne se retrouvent
eux-mêmes sur les bancs du tribunal correctionnel ou de la cour d'assises. Par
conséquent, essayez de prévoir des dispositifs permettant, à un moment ou à un
autre, de les soustraire de la procédure, parce que tout le monde sait qu'ils
ne sont pas responsables des faits reprochés au réseau dans lequel ils sont
infiltrés.
Monsieur le ministre, je sais que vous avez compris ce que je voulais dire sur
ces trois points. C'est pourquoi j'attends, bien entendu, avec beaucoup
d'intérêt - et je ne suis pas le seul, parce qu'il s'agit là de problèmes qui
préoccupent l'ensemble des forces lancées dans la lutte contre le terrorisme, y
compris l'autorité judiciaire - les réponses que vous voudrez bien m'apporter
sur ces trois points.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 79, 81 rectifié
bis
et 77 rectifié ?
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
S'agissant de l'amendement n° 79, je prie l'assemblée de bien
vouloir me pardonner, car je serai un peu long.
La question de l'anonymat est évidemment très importante. On a beaucoup évoqué
le procès équitable. Certes ! Mais il doit être équitable pour toutes les
parties : aucune ne doit être privilégiée par rapport à l'autre ! Nous sommes
déchirés, en notre for intérieur, entre l'indispensable droit de la défense et
le droit des victimes. On ne peut pas oublier les victimes, et les témoins
sont, d'une certaine manière, ceux qui permettent d'y voir clair.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce sont parfois de futures victimes !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Peut-être !
Je rappelle aussi la crainte qui a été évoquée : si un seul témoin vient,
qu'il est anonyme, on ne croira que lui... Il m'est revenu quelques souvenirs
de mes années de droit : parmi les grands principes figurait celui-ci -
pardonnez-moi de le dire en latin :
testis unus, testis nullus
.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas vrai en droit français !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Peut-être, mais c'est tout de même un principe général. Je
l'ai appris ainsi !
Je rappellerai que cette disposition a été introduite dans le projet de loi
par le Sénat. Pourquoi la commission des lois, qui n'est pas spécialement
réputée pour son travail de sape des droits de la défense, a-t-elle proposé
cette mesure ? Il faut prendre conscience qu'aujourd'hui, dans de nombreuses
affaires qui peuvent concerner la criminalité organisée, mais aussi une
criminalité plus banale - dans nos banlieues, par exemple - les témoins sont
terrorisés et ils refusent d'apporter leur concours à la justice parce qu'ils
ont peur. Chacun voudra bien reconnaître que, dans une société démocratique,
cela n'est plus acceptable, pas plus que ne l'est, d'ailleurs, la remise en
cause des droits de la défense.
M. Michel Charasse.
C'est comme en Corse, ils ont peur !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cessons de parler toujours de la Corse !
Certaines institutions internationales ont pris conscience de ce problème
depuis longtemps. On les a évoquées, mais toujours en donnant l'impression de
faire son marché : on prend ce qui nous arrange !
Le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté, en 1997, une
recommandation relative à l'intimidation des témoins mentionnant diverses
possibilités de protéger un témoin, notamment celle de garder l'anonymat.
Ce que nous proposons n'est donc pas une innovation absolue : cela existe en
Italie ou aux Pays-Bas. J'ai cru comprendre que les Pays-Bas ne sont pas
réputés pour être particulièrement répressifs dans ces matières.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ils ont été condamnés par la Cour européenne !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Nous verrons bien ! Laissez-moi finir !
La Belgique débat actuellement d'un tel système. Des témoins déposent au
tribunal pénal international de La Haye en gardant l'anonymat. On en parle
beaucoup ! Cette procédure est permise.
Il ne faut donc pas nous dire que nous ramenons la procédure pénale deux
siècles en arrière. Nous sommes, au contraire, au coeur de l'actualité d'un
droit pratiquement en train de se construire. La Cour européenne des droits de
l'homme, pour la citer à mon tour, a eu l'occasion de se pencher sur cette
question à plusieurs reprises.
Evidemment, si elle accepte la procédure du témoin anonyme, c'est en posant
des conditions strictes. La Cour n'admet pas, en effet, qu'un témoin gardant
l'anonymat soit entendu par les seuls services de police. Il faut, de même, que
l'identité complète du témoin soit connue des magistrats ; que la défense
puisse poser ou faire poser des questions au témoin et, enfin, qu'aucune
condamnation ne repose uniquement sur un témoignage anonyme. Je crois que le
texte que nous examinons répond à ces différentes exigences.
Il serait impossible, nous dit-on, de s'assurer qu'une condamnation ne repose
pas uniquement sur un témoignage anonyme. Ce n'est pas exact. Je rappelle, à
cet égard, que les tribunaux correctionnels doivent motiver les condamnations
et que la Cour de cassation est fondée à exercer un contrôle des motifs. En ce
qui concerne les cours d'assises, je rappelle également qu'à la fin de
l'instruction le juge doit prendre une ordonnance de mise en accusation et que
celle-ci peut faire l'objet d'un recours. Croyez-vous vraiment que la chambre
de l'instruction accepte le renvoi devant les assises d'une personne contre
laquelle il n'existerait, pour toute charge, qu'un témoignage anonyme ?
Convenons que ce serait assez surréaliste.
Ne nous y trompons pas, il n'y a aucun risque que cette procédure soit
utilisée par une personne qui voudrait du mal à son voisin et irait l'accuser,
sous couvert d'anonymat, de toutes les turpitudes de la terre. C'est une
hypothèse qui n'est qu'une hypothèse très hypothétique, mes chers collègues.
(Sourires.)
Je vous demande, en revanche, de penser aux affaires de
racket organisé, aux réseaux internationaux de prostitution, qui ne peuvent pas
être démantelés parce que les jeunes femmes qui sont exploitées n'osent pas, le
plus souvent, mettre en cause leurs proxénètes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas nouveau !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Non, ce n'est pas nouveau, mais, précisément, ce n'est pas
une raison pour ne pas essayer d'y mettre un terme.
Une telle disposition, entourée de garanties multiples, nous paraît absolument
nécessaire dans le monde tel qu'il est aujourd'hui. La commission des lois a
donc émis un avis défavorable sur les amendements de suppression.
J'en viens à l'amendement n° 81 rectifié
bis
, dont le champ
d'application couvre les principales infractions pour lesquelles la procédure
du témoin anonyme paraît indispensable. La commission ne l'a pas examiné, mais
elle l'aurait sans doute accepté, compte tenu de l'esprit qui le sous-tend.
Toutefois, je suis un peu gêné par l'aspect transitoire du dispositif et
souhaiterais que M. Fauchon nous indique que cette précision n'est pas
essentielle. A défaut, je crains beaucoup - et je ne suis pas le seul - qu'elle
ne soit source d'incertitude. La procédure peut, en effet, durer un peu plus
longtemps que le terme qui est fixé, ce qui ne manquera pas de soulever des
difficultés. Sous réserve que vous supprimiez cette disposition, mon cher
collègue, j'émettrai volontiers, au nom de la commission, un avis favorable sur
cet amendement.
Enfin, s'agissant de l'amendement n° 77 rectifié, nous avons bien compris
qu'il tendait à prévoir une protection des témoins intervenant dans les
affaires de terrorisme. Il définit un régime pénal préférentiel pour les
terroristes repentis qui contribuent à l'action de la justice et prévoit une
protection des personnes infiltrées dans les réseaux terroristes. Ces mesures
sont très intéressantes. Nous notons cependant que l'article 422-2 du code
pénal prévoit déjà un régime d'atténuation des peines pour les repentis qui
participent à l'action de la justice. S'agissant des témoins, il n'est
peut-être pas absolument indispensable de prévoir une disposition législative
pour mettre en place une protection.
La disposition relative au sort des agents infiltrés mériterait une réflexion
plus approfondie. D'ailleurs, monsieur Charasse, vous avez vous-même ressenti
les heureux effets de la réflexion et proposé, à quelques heures d'intervalle,
une nouvelle rédaction pour l'amendement ! Vous me pardonnerez ce propos
taquin, mais je vois dans le rectification de l'amendement une confimation de
la justesse de la position de la commission qui, réservée sur votre
proposition, préférerait le retrait de l'amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 79, 81 rectifié
bis
et 77 rectifié ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il convient de rappeler de façon liminaire que
l'amendement n° 79 concerne les témoins dont l'action en faveur de la justice
est susceptible de mettre la vie ou celle de leurs proches en danger dans des
affaires de criminalité organisée.
En outre, de nombreuses garanties tendant à préserver les droits de la défense
sont prévues par ce texte qui trouve sont origine, faut-il le rappeler, dans un
amendement parlementaire.
Ces garanties sont, d'une part, l'intervention d'un juge extérieur à la
procédure d'enquête, le juge des libertés et de la détention qui, seul et en
toute indépendance, peut autoriser une personne à témoigner anonymement.
D'autre part, de telles dispositions ne peuvent être mises en oeuvre dès lors
que la personnalité du témoin est de nature à rendre suspectes des dépositions
et à faire obstacle aux droits de la défense.
S'agissant de la décision du juge des libertés et de la détention, elle est
susceptible de recours devant le président de la chambre de l'instruction. Ce
dernier dispose du pouvoir d'ordonner jusqu'à l'annulation de l'audition du
témoin s'il considère la contestation fondée.
Enfin, et surtout, lors de la phase de jugement, ce mécanisme, qui tend à
protéger la vie du témoin, ne permettra en aucune façon d'asseoir une
condamnation sur ce seul fondement. En revanche, il n'empêchera pas une
confrontation qui commanderait le plein exercice des droits de la défense. Cet
acte de procédure pourra, dès lors, être réalisé avec des moyens techniques
adaptés.
Compte tenu de ces garanties, j'émets, au nom du Gouvernement, un avis
défavorable sur l'amendement n° 79.
J'en viens à l'amendement n° 81 rectifié
bis
. La deuxième rectification
apportée par M. Fauchon à sa rédaction atténue les critiques dont l'amendement
peut faire l'objet, j'en conviens. En effet, le champ d'application de la
procédure du témoin anonyme devient moins limité, même s'il reste
singulièrement plus réduit que ce qui était prévu par le texte de l'Assemblée
nationale.
Toutefois, le Gouvernement ne peut être favorable à cet amendement, et ce pour
deux raisons.
D'une part, il est totalement injustifié de vouloir conférer un caractère
temporaire à ces dispositions, comme M. le rapporteur l'a souligné. Le
mécanisme retenu par le Gouvernement pour les amendements qu'il a déposés est
justifié par les circonstances actuelles, ce qui n'est pas le cas du texte sur
les témoins anonymes que le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté il y a
plusieurs mois.
D'autre part, je crains que le renvoi à une liste d'infractions ne soit trop
réducteur et n'empêche de recourir à cette procédure dans des affaires qui,
pourtant, le justifieraient.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit suffisamment de garanties et
le seuil de cinq ans d'emprisonnement est déjà très élevé. Je rappelle que, en
première lecture, le Sénat avait proposé un seuil de trois ans, qui est le
seuil prévu en matière de détention provisoire. Pour ces différentes raisons,
le Gouvernement ne peut accepter cet amendement.
J'en arrive à l'amendement n° 77 rectifié de M. Charasse.
La première proposition qui nous est présentée ici tend à faire bénéficier les
témoins et leurs proches concernés par des affaires de terrorisme d'une
protection particulière. A mon sens, une telle protection est prévue par
l'article 23
bis
du présent projet de loi, qui a été voté à la suite
d'un amendement d'origine parlementaire. S'il s'agit d'une protection physique
de ces témoins, bien sûr, l'Etat prend à sa charge cette protection au plan
opérationnel.
La deuxième proposition, qui tend à organiser un mécanisme d'atténuation de la
responsabilité pénale des terroristes repentis, est d'ores et déjà spécialement
prévue en matière de terrorisme par les articles 422-1 et 422-2 du code pénal.
Ainsi, toute personne qui, participant à une tentative d'acte de terrorisme,
permet d'éviter la réalisation de l'infraction en avertissant les autorités
compétentes est exempte de peine. En outre, celle qui aura permis de faire
cesser les agissements terroristes ou qui aura évité la survenance de morts
d'hommes bénéficiera d'une atténuation de sa peine.
Enfin, s'agissant de la troisième proposition, qui tend à instaurer un régime
légal de l'infiltration des réseaux terroristes, je l'estime fort opportune, et
ce d'autant plus que des travaux sont menés conjointement par le ministère de
la justice et le mien sur cette question, au demeurant complexe. A ce jour, il
convient de les approfondir, sachant que, sur le fond, ils devront à terme
faire l'objet de dispositions législatives spécifiques. C'est pourquoi,
monsieur le sénateur, vous voudrez bien, je l'espère, compte tenu des éléments
d'information dont je viens de vous faire part et qui illustrent notre
convergence de vues, retirer votre amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 79.
M. Christian Cointat.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Cointat.
M. Christian Cointat.
Comme tous les membres de cette assemblée, je suis très attaché au respect des
droits des citoyens. Néanmoins, et notre rapporteur l'a dit fort justement, il
doit y avoir un équilibre : il y a le droit du prévenu, il y a le droit de la
victime. La voie est étroite. Trouver un équilibre n'est pas facile, mais on
doit le faire si l'on veut que les procès soient équitables, comme l'a rappelé
M. Michel Dreyfus-Schmidt, à juste titre.
Dans ces conditions, s'abriter derrière de grands sentiments, auxquels je
souscris, d'ailleurs, c'est risquer d'aboutir à un résultat inverse de celui
que l'on veut obtenir, à savoir la condamnation des coupables. Nous devons
protéger les victimes, mais nous devons le faire dans le respect du droit. Or,
un élément me paraît fondamental : il convient de distinguer l'identité d'un
témoin et les faits évoqués. Ce sont les faits qui comptent et non pas
l'identité de celui qui les déclare.
Il ne faut pas non plus confondre l'instruction et le jugement. L'instruction
doit permettre de vérifier la nature et l'exactitude des faits. Le jugement, à
partir de ces faits, pourra être prononcé. Mais si les faits ne sont pas
vérifiés, il ne pourra pas y avoir de jugement sur la base d'un tel témoignage.
De ce point de vue, les garanties que nous a apportées M. le ministre me
semblent suffisantes.
C'est la raison pour laquelle, tout en partageant ce souci du respect des
droits de chaque citoyen, du respect des droits de l'homme, auxquels personne
ici ne saurait être contraire, je ne pourrai pas voter l'amendement n° 79.
M. Henri de Richemont.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont.
Ce débat est tout à fait passionnant et montre que nous sommes tous, comme il
convient, attachés aux principes d'égalité des armes et de procès équitable
rappelés par M. Dreyfus-Schmidt.
Cela étant, monsieur le ministre, je regrette la maladresse de la rédaction du
texte adopté par l'Assemblée nationale. On y lit, en effet, que les
dispositions relatives à l'anonymat ne sont pas applicables lorsque « la
connaissance de l'identité de la personne est indispensable à l'exercice des
droits de la défense ».
Il y a donc un principe, et des exceptions.
Le principe est que la connaissance de l'identité du témoin est toujours
indispensable à l'exercice des droits de la défense. Qu'il y ait des exceptions
au principe, j'y consens, raison pour laquelle je voterai l'amendement de M.
Fachon, mais je crois qu'il est important de rappeler le principe pour pouvoir,
parfois, invoquer des exceptions. En d'autres termes, on pourrait avoir
l'impression que le fait de demander l'identité du témoin serait une faveur
accordée à la personne poursuivie, ce qui me paraît tout à fait
inadmissible.
En outre, c'est vrai, il faut distinguer les deux phases de l'instruction et
du jugement. A cet égard, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué tout à
l'heure que la confrontation, à la demande de la personne mise en cause, et
l'audition du témoin pourront être organisées à distance. Mais qu'en sera-t-il
de la procédure de jugement devant la cour d'assises, là où règne l'intime
conviction ? Je voudrais être sûr, monsieur le ministre, que cette
confrontation à distance pourra être également organisée devant une juridiction
de jugement, en l'occurrence devant une cour d'assises.
(M. le ministre
acquiesce.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A tout prendre, je préfèrerais que moins de gens soient d'accord avec moi mais
que davantage s'apprêtent à voter mon amendement !
(Sourires.)
Je dois dire que les prises de position de certains me sidèrent et je regrette
que Mme la garde des sceaux n'ait pu rester parmi nous. Nous avons eu le
plaisir de l'entendre sur les problèmes liés à l'utilisation des nouvelles
technologies de l'information par les réseaux terroristes, j'aurais aimé
l'entendre aussi sur ces questions fondamentales de droit pénal.
J'aurais aussi aimé avoir quelques chances de me faire entendre de M. le
ministre de l'intérieur avant qu'il ne se prononce sur le seul amendement que
j'ai déposé. Je lui aurait en particulier donné lecture d'une phrase extraite
d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme : « Dans une société
démocratique, le droit à une bonne administration de la justice occupe une
place si éminente qu'on ne saurait le sacrifier à l'opportunité. »
Que des témoins courent des risques parce qu'ils déposent n'a pourtant rien de
nouveau ! La France a connu nombre d'affaires criminelles. Souvenons-nous de la
fin du XIXe siècle, de l'époque des nihilistes, des anarchistes... Nos pères
s'étaient-ils pour autant laissé aller à admettre qu'il y ait des témoins
anonymes, par exemple lorsque la peine de prison encourue était supérieure à
trois ans ou, plus généralement, lorsque l'affaire était grave ?
Mes chers collègues, ce sont précisément dans les affaires les plus graves que
les erreurs judiciaires sont les plus graves !
Monsieur le rapporteur, vous savez parfaitement que votre argument ne saurait
être valable en matière criminelle. Vous dites qu'une chambre d'accusation ne
se prononcerait pas sur le seul fondement d'un témoignage anonyme et qu'à coup
sûr le dossier comporterait d'autres éléments de nature à emporter sa
conviction. Mais est-il impossible que les jurés, eux, décident, en cours
d'assises, de ne prononcer une condamnation qu'à cause de ce témoignage anonyme
? Ce n'est pas impossible !
Il n'y a pas, d'un côté, les défenseurs des victimes et, de l'autre, les
défenseurs de ceux qui sont, à tort ou à raison, accusés : il y a les droits
des uns et des autres. On ne peut pas accepter que le débat ne soit équitable
que pour les uns. Le débat n'est équitable que s'il l'est pour les uns et pour
les autres ! Or l'accusé, puisque l'on est à ce stade, pourra-t-il demander
qu'un contre-témoin soit anonymement entendu ? Non !
Je ne saurais mieux m'exprimer que ne l'a fait la Cour européenne des droits
de l'homme.
Je siège à la délégation parlementaire française à l'Assemblée du Conseil de
l'Europe. J'avoue que, chaque fois que la France est condamnée, j'ai un double
sentiment : le premier, c'est que, la France a reconnu, enfin, en 1981, le
droit pour les citoyens de saisir la Cour européenne des droits de l'homme ; le
second, c'est que j'aimerais qu'elle soit condamnée le moins souvent possible
et respecte la Convention européenne des droits de l'homme, qu'elle a signée.
Or, avec la décision que vous vous apprêtez à prendre, vous prenez un risque !
Vous vous donnez bonne conscience en vous disant que, après tout, il vaut
mieux condamner un innocent que de laisser échapper un coupable. Certes, ce
dernier est peut-être dangereux, mais un tel argument ne vaut rien dans une
matière aussi grave et il n'est pas pensable d'y recourir.
Je suis en tout cas heureux que mon amendement oblige chacun ici à prendre ses
responsabilités. Pour ma part, il me serait absolument impossible de voter un
texte où figurerait une telle disposition.
M. Robert Bret.
Nous sommes convaincus ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Constitutionnellement, le défenseur des libertés, c'est le juge. Il n'est pas
le défenseur des accusés, des victimes ou des témoins, mais celui des libertés.
Le dispositif adopté en première lecture appelait des précisions, que
l'Assemblée nationale a apportées.
Dans le même temps - et c'est, je crois, ce qui a conduit M. Fauchon à limiter
le dispositif du témoin anonyme à quelques crimes et délits graves - la
criminalité, monsieur Dreyfus-Schmidt, a beaucoup évolué. Notamment, elle s'est
mondialisée. Contre les trafiquants de drogues ou d'êtres humains, dont les
activités se développent dans toute l'Europe aujourd'hui, contre les
responsables de la grande criminalité, il n'y a en fait jamais de témoins, tout
simplement parce que leur vie est menacée. C'est à ces cas que nous pensons.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non !
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais si !
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme peut, par
ailleurs, se discuter puisque qu'il apparaît entre les lignes qu'elle concerne
le cas très particulier d'un jugement exclusivement fondé sur des témoignages
anonymes.
Si d'autres éléments déterminants figurent dans le dossier et sont aussi pris
en considération, cela change considérablement les choses !
Il faut, bien sûr, prendre certaines précautions, et parvenir à un équilibre
raisonnable. Il est bon de défendre la liberté, mais il importe aussi de
protéger ceux qui concourent à l'oeuvre de justice.
Les réseaux internationaux de terroristes, de trafiquants de drogue et de
trafiquants d'êtres humains font un mal considérable à la société. A leur
encontre, il faut prendre des mesures adéquates et notamment permettre aux
témoins d'apporter leur contribution à l'oeuvre de justice. Les témoins sont
d'ailleurs souvent aussi des victimes et, en tous les cas, je ne souhaite pas
qu'ils soient les futures victimes de ces grands criminels qui empoisonnent
notre société.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Mon ami Michel Dreyfus-Schmidt ne s'étonnera pas que je m'oppose à son
amendement de suppression, puisque nous en avons longuement parlé au cours de
ces derniers jours.
Je crois que, à propos des témoins anonymes, il y a l'argumentation des jours
tranquilles et des mers calmes et celles des périodes difficiles. Aujourd'hui,
les jours tranquilles sont derrière nous...
Il est incontestable que l'on a besoin de témoins fiables dans les affaires de
terrorisme, de drogue, de trafic d'armes. Beaucoup de citoyens, nous le savons,
et les services de police et de gendarmerie le savent aussi, sont prêts à venir
devant la police ou la justice pour raconter ce qu'ils ont vu, entendu, bref,
ce qu'ils savent. Mais, la plupart du temps, dans ce type d'affaires, ils ont
peur et ils ne viennent pas.
La police, la justice manquent alors de beaucoup d'éléments pour agir et juger
en toute connaissance de cause. J'ai acquis un peu d'expérience en la matière
au travers des services de douanes, dont j'ai connu, à une époque, le
fonctionnement : il manque beaucoup d'éléments que le témoin pourrait fournir
non seulement sur l'affaire en cours, mais aussi sur d'autres affaires
connexes, car, en matière de réseaux terroristes, de drogues, d'armes, etc., il
y a toujours à la périphérie de l'affaire que l'on examine toute une série
d'autres affaires.
Alors, mes chers collègues, vaut-il mieux un témoin qui apporte beaucoup ou le
silence ? Un bon témoin doit-il forcément être un témoin mort ?
(Sourires.)
Un mort de plus au palmarès des ennemis de la liberté...
Pour ma part, je ne rentre pas dans cette discussion. Chacun connaît la
situation : il est des cas où nécessité fait loi, et la vie vaut bien toutes
les audaces.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il faut les fusiller tout de suite !
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 79, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Monsieur Fauchon, acceptez-vous de supprimer le II de l'amendement n° 81
rectifié
bis
comme vous y invite la commission ?
M. Pierre Fauchon.
Je me rends à l'invitation de la commission, monsieur le président. De toute
façon, tout ce que nous faisons est expérimental. Si, dans trois ou quatre ans,
nous nous apercevons qu'il y a lieu de revenir sur ce texte, nous y reviendrons
et nous recommencerons ! Les choses évoluent vite dans les sociétés où nous
vivons et il faut évidemment s'adapter.
Je retire donc le paragraphe II et je constate, monsieur le ministre, qu'ainsi
nos positions se sont beaucoup rapprochées. Vous reprochiez à ma liste des cas
susceptibles d'être visés de n'être peut-être pas suffisamment complète. Si
vous songez à un cas que j'aurais omis, je souscris par avance à son ajout !
Encore une fois, le critère commun est qu'il s'agit de situations dans
lesquelles il y a effectivement lieu de craindre que les témoins ne soient
intimidés et n'apportent donc pas leur témoignage. J'ai cru viser toutes les
hypothèses. Si j'en ai oublié une, il suffira à l'Assemblée nationale de
compléter la liste.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 81 rectifié
ter
, présenté par M.
Fauchon, qui est ainsi libellé :
« Au début du texte proposé par le I de l'article 23
bis
pour l'article
706-58 du code de procédure pénale, remplacer les mots : "En cas de procédure
portant sur un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement" par
les mots : "En cas de procédure portant sur un crime ou un délit prévu par les
livres II ou III du code pénal ou par les titres II et V du livre IV de ce code
et puni d'au moins sept ans d'emprisonnement, ...". »
Quel est maintenant l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il demeure défavorable.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 81 rectifié
ter,
accepté par la
commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Monsieur Charasse, l'amendement n° 77 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Charasse.
Non, monsieur le président, je le retire, en remerciant M. le ministre des
explications qu'il a données.
Ainsi, s'agissant de la protection des témoins, les dispositions nécessaires
ont été prises ou le seront.
Par ailleurs, nous aurons prochainement à connaître d'un texte sur les
personnes infiltrées dans les réseaux. C'est urgent, monsieur le ministre.
Enfin, s'agissant des repentis, je souhaiterais que l'on réexamine le
dispositif actuel, car les magistrats sont nombreux à se plaindre de son
insuffisance.
M. le président.
L'amendement n° 77 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 23
bis,
modifié.
(L'article 23
bis
est adopté.)
Article additionnel après l'article 32