SEANCE DU 17 OCTOBRE 2001
M. le président.
« Art. 6
ter
. - Après le premier alinéa de l'article L. 235-1 du code
de la route, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les officiers de police judiciaire peuvent également faire procéder sur tout
conducteur d'un véhicule impliqué dans un accident corporel de la circulation à
des épreuves de dépistage et, lorsqu'elles se révèlent positives ou sont
impossibles ou lorsque le conducteur refuse de les subir, à des analyses ou
examens médicaux, cliniques et biologiques, en vue d'établir s'il conduisait
sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants. »
Sur l'article, la parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà
quelques jours, un haut magistrat faisait une déclaration, reprise dans la
presse, au sujet de l'usage du cannabis, qui fait l'objet de l'article 6
ter.
Sous le titre : « Le parquet de (...) » - je préfère ne pas citer
le nom - « ne poursuit plus les usagers », on pouvait lire les propos suivants
: « Je tiens compte de l'évolution de la société, et notamment du discours
public de certains élus (...), et ce discours affaiblit la répression quand il
ne la rend pas illusoire ».
Il ajoutait la réflexion suivante que, et mes chers collègues, y compris de
gauche, vous apprécierez sans doute : « On demande à la justice de régler le
décalage entre la loi et les modes de vie. Il y a là une ambiguïté majeure, on
répète que les juges ont trop de pouvoir (...). Or, il y a là un défaut de
courage politique. Et une véritable fuite des parlementaires devant le débat.
»
Voilà ce qui s'appelle observer la séparation des pouvoirs et faire en sorte
que chacun des pouvoirs respecte l'autre.
Moi, je ne m'y risque pas en sens inverse, et je ne m'y suis jamais risqué
!
M. Michel Charasse.
Il faudrait connaître la position de Mme la garde des sceaux ! Encore un
électron libre !
M. Michel Caldaguès.
Nous la connaîtrons tout à l'heure !
En tout cas, c'est une illustration de ce que pourrait être l'indépendance du
parquet. Que prendrions-nous alors, mes chers collègues ! Mais je n'irai pas
plus loin.
Ce sujet est particulièrement grave à la lumière précisément des accidents de
la route que l'on vient d'évoquer.
Le nombre d'accidents de la route croît très dangereusement dans notre pays.
Les statistiques montrent que, pour la classe d'âge des jeunes de quinze à
vingt-quatre ans - on ne conduit pas à quinze ans, certes, on conduit
normalement à partir de dix-huit ans, mais quelquefois on conduit sans permis
avant dix-huit ans - c'est en France, parmi tous les pays d'Europe, qu'il y a
le plus de morts par accident.
Nous ne pouvons pas ne pas nous émouvoir de cette situation parce que nous
assistons - le mot n'est pas trop fort - à une « hécatombe » de jeunes due à
différentes causes.
Il faut se soucier de celles sur lesquelles nous pouvons agir.
Bien sûr, il y a l'alcoolisme, fréquent notamment le samedi soir, qui fait
l'objet de dispositions très précises de la loi ; la conduite en état d'ivresse
est sanctionnée.
Et puis - pourquoi faire la politique de l'autruche ? - il y a aussi l'usage
de certains stupéfiants, notamment du cannabis.
A cet égard, je rends hommage tant à notre collègue député Thierry Mariani,
qui a eu l'initiative d'une disposition tendant à remédier à cet état de
choses, qu'à notre commission des lois, qui n'a pas repris exactement le texte
qu'avait fait voter Thierry Mariani mais qui nous présente un texte que, pour
ma part, j'approuve entièrement ; nous n'allons pas nous engager dans un débat
à propos de virgules, encore qu'il ne s'agisse pas tout à fait, en
l'occurrence, de virgules !
Bien entendu, j'entends déjà les adversaires de cette disposition nous dire
qu'il n'est nullement prouvé que l'usage du cannabis entraîne une perte de
vigilance lors de la conduite automobile. Or je dispose des conclusions d'une
étude menée par plusieurs médecins de l'hôpital Sainte-Anne - Mme le garde des
sceaux ne la connaît peut-être pas, mais M. le ministre de la santé devrait la
connaître - qui établit clairement qu'une perte de vigilance apparaît lorsque
le conducteur a consommé du cannabis.
Par ailleurs, j'ose croire, monsieur le ministre de l'intérieur, que vous
n'utiliserez pas l'argument selon lequel la nocivité du cannabis ne serait pas
prouvée, car je suis en possession d'un tract très bien fait émanant tant de la
préfecture de police, laquelle, me semble-t-il, est placée sous vos ordres.
Ce tract, intitulé
Au sujet du cannabis,
met en garde, à propos des
accidents de la route, contre les effets nocifs du cannabis en termes de
diminution de la vigilance et des réflexes. J'attends donc les éventuelles
observations émanant tant du Gouvernement que de l'opposition sénatoriale,
tendant à prétendre que le cannabis n'atténuerait pas les réflexes !
M. le président.
Veuillez conclure, mon cher collègue. Votre temps de parole est épuisé.
M. Michel Caldaguès.
Je conclurai aussi rapidement qu'il est permis sur un sujet aussi dramatique,
monsieur le président.
J'ajouterai simplement qu'une loi de 1999 prévoyait des prélèvements
obligatoires en cas d'accident mortel. Cependant, il était précisé que les
analyses ne serait effectuées qu'à des fins statistiques, et il faut croire que
le Gouvernement n'était pas pressé de faire entrer cette loi en vigueur, car le
décret d'application n'a été pris que deux ans plus tard, c'est-à-dire tout
récemment.
Je terminerai mon intervention en disant que j'ai fait procéder à une étude
tout à fait sérieuse et précise par le service des affaires européennes du
Sénat qui montre que, dans tous les pays de l'Union européenne - la Suisse
devrait suivre incessamment - la conduite automobile sous l'emprise du cannabis
est sanctionnée.
L'amendement de la commission prévoit une telle disposition, et ce sera, par
conséquent, une raison de plus de le voter tout à l'heure.
M. le président.
L'amendement n° 53, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Rédiger comme suit l'article 6
ter
:
« Après l'article L. 235-1 du code de la route sont insérés deux articles
ainsi rédigés :
«
Art. L. 235-2.
- Les officiers ou agents de police judiciaire peuvent
également procéder sur tout conducteur impliqué dans un accident corporel de la
circulation aux épreuves de dépistage ou aux analyses et examens prévus au
premier alinéa de l'article L. 235-1.
« Les dispositions des alinéas deux à quatre de cet article sont alors
applicables.
«
Art. L. 235-3.
- Le fait, pour tout conducteur d'un véhicule, d'user
volontairement de substances ou plantes classées comme stupéfiants, lorsque cet
usage a eu comme conséquence une altération manifeste de sa vigilance au moment
de la conduite, constitue une violation manifestement délibérée d'une
obligation particulière de sécurité ou de prudence au sens des articles 221-6
(deuxième alinéa), 222-19 (deuxième alinéa) et 222-20 du code pénal. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cet amendement tend en effet à permettre aux officiers de
police judiciaire de procéder, de façon facultative, à des dépistages sur les
conducteurs impliqués dans des accidents corporels.
Cette disposition introduite par le Sénat a été acceptée par l'Assemblée
nationale. Cette dernière a cependant refusé de sanctionner spécifiquement la
conduite sous l'empire des stupéfiants. Or, une telle sanction pourrait très
bien être appliquée avant que les résultats de l'enquête épidémiologique, qui
vient seulement de commencer, ne soient publiés.
Notre amendement prévoit donc que l'altération manifeste de la vigilance, liée
à l'usage des stupéfiants, constitue la violation manifestement délibérée d'une
obligation de sécurité qui permet d'aggraver les peines en cas d'homicide ou de
blessures involontaires.
Comme l'a rappelé M. Caldaguès, de nombreux pays sanctionnent spécifiquement
la conduite sous l'empire des stupéfiants ; c'est ce que montre une étude
particulièrement intéressante du service de législation comparée du Sénat, que
je tiens à vous remettre en cet instant, monsieur le ministre.
(L'orateur remet un document à M. le ministre.)
L'Allemagne, la Belgique, le Danemark, l'Espagne, la Grande-Bretagne ont déjà
prévu des dispositions comparables. Il n'y a donc rien d'absolument anormal à
ce que nous le fassions à notre tour.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement ne souhaite pas donner à
d'autres personnes qu'aux officiers de police judiciaire la possibilité de
faire procéder au dépistage. En effet, il s'agit d'un contrôle délicat. Le
choix d'y procéder ou non ne peut être laissé à l'appréciation d'un agent de
police judiciaire.
S'agissant de l'incrimination, le Gouvernement préfère que soit créé un délit
de conduite sous l'empire de stupéfiants, comme ce fut fait pour la conduite
sous l'empire d'un état alcoolique, à partir des éléments épidémiologiques
obtenus lors des dépistages de stupéfiants et une fois qu'aura été médicalement
et statistiquement établi un seuil de dangerosité pour la conduite,
indépendamment des conséquences de cette conduite.
La loi du 18 juin 1999 a organisé le dépistage des stupéfiants, que nous
étendons par l'article 6
ter
en discussion, afin de disposer pour les
accidents les plus graves d'une base statistique fiable et indiscutable sur la
corrélation entre stupéfiants et sécurité routière.
Le décret n° 2001-751 du 27 août 2001 en vigueur organise ce dépistage. Je
crois qu'il serait contre-productif de modifier maintenant ce dispositif.
Laissons-nous le temps de mesurer les effets de ce dépistage. Le Gouvernement
n'est donc pas, à ce stade, favorable à l'amendement proposé.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 53.
M. Michel Caldaguès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Si le Gouvernement était suivi, nous nous trouverions dans la situation
suivante : il serait interdit par la loi d'user de stupéfiant, et notamment de
cannabis - cet usage est en effet toujours interdit même si certains magistrats
croient ne pas devoir sanctionner cette interdiction - mais ce ne serait pas
interdit lorsqu'on est au volant ! Nous sommes dans la fantasmagorie la plus
complète. C'est vraiment faire injure au bons sens et à la sécurité des jeunes
qui risquent d'être en proie à ces stupéfiants lorsqu'ils prennent le volant,
ce qui arrive, on le sait bien, de plus en plus souvent, notamment à l'occasion
de
rave parties !
Nous sommes très exactement dans une situation de non-assistance à personne en
danger, monsieur le ministre. En tout cas, je souhaiterais connaître l'avis de
Mme le garde des sceaux à propos de ce paradoxe : comment, je le répète,
peut-on être punissable pour avoir usé d'un stupéfiant où que ce soit, et non
pour en avoir usé au volant ?
M. Robert Bret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Je souhaiterais formuler trois remarques qui reprennent les idées essentielles
développées par M. le ministre.
Comme cela vient d'être indiqué, l'Assemblée nationale a déjà beaucoup
progressé en admettant un dépistage facultatif ordonné par un OPJ en cas
d'accident corporel.
On sait par ailleurs qu'un dépistage systématique n'est pas matériellement
réalisable aujourd'hui.
De plus, depuis le 1er octobre, le décret tendant au dépistage systématique en
cas d'accident mortel est entré en vigueur.
En outre, une recherche nationale, organisée et coordonnée par l'Observatoire
français des drogues et des toxicomanies et financée par le ministère de la
santé, est en oeuvre sur deux ans. Elle permettra de recueillir une série de
données qui seront exploitées dans le cadre d'une étude épidémiologique dont
les conclusions devraient permettre d'instaurer une législation spécifique sur
la conduite automobile sous l'influence des stupéfiants.
Des mesures sont prises ; il n'est donc pas raisonnable de légiférer en
anticipant sur le résultat des études à venir. Nous allons déjà dans le bons
sens en apportant des réponses.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout le monde désire connaître la vérité. Nous avons des idées
a priori
ou par expérience, mais vous, mon cher collègue Caldaguès, vous faites état
d'un document que nous ne connaissons pas. M. le rapporteur remet en séance au
ministre un document que nous ne connaissons pas. Nous-mêmes, nous en attendons
d'autres. Le sujet ne mérite-t-il pas que nous ayons en main les uns et les
autres tous les éléments disponibles ?
Je suis de ceux qui pensent que certains médicaments peuvent être extrêmement
dangereux, que conduire après un bon repas est extrêmement dangereux. Je
persiste à penser,
a priori
, que le cannabis n'a pas les mêmes effets
que ce qu'on appelle les drogues dures. Vous dites que son usage continue
d'être interdit. C'est vrai, on pourrait d'ailleurs discuter de cette
interdiction, ouvrir un grand débat tenant compte de tous ces éléments.
En l'occurrence de quoi s'agit-il ? D'une aggravation. Or certaines peines
sont déjà très sévères : tout dépend de la nature de l'accident et des
circonstances. En tout état de cause, celles-ci peuvent être prises en
considération étant entendu que les plafonds sont tellement hauts qu'ils ne
sont jamais prononcés.
Il n'y a donc pas urgence, un grand débat peut avoir lieu sur cette question -
ce que, pour ma part, je souhaite. Mais, de grâce, mes chers collègues, ne
gardez pas par-devers vous des éléments dont nous n'avons pas connaissance !
M. Michel Caldaguès.
Vous devriez les avoir !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je voudrais dire à l'intention de M. Dreyfus-Schmidt que le
document que j'ai remis au ministre, nous l'avons tous reçu dans nos casiers
puisqu'il s'agit d'une étude du service de législation comparée du Sénat. Par
conséquent, vous l'avez également, monsieur Dreyfus-Schmidt.
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Peut-être est-elle dans mon bureau, mais il faut dire que je suis dans
l'hémicycle depuis un certain temps !
(Nouveaux sourires.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 53, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
L'article 6
ter
est donc ainsi rédigé.
Division additionnelle après l'article 6
ter
(réservé)