SEANCE DU 9 OCTOBRE 2001
M. le président.
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre, à qui je laisse quelques instants pour
reprendre son souffle.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président, si
quelqu'un est essoufflé ici, ce n'est pas moi !
(Sourires sur les travées socialistes. - Exclamations amusées sur les travées
du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Permettez-moi de vous faire remarquer, madame la ministre, que nous vous avons
attendue vingt minutes.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président, il était
prévu que j'arrive au Sénat à seize heures quinze, en raison des questions au
Gouvernement à l'Assemblée nationale, où j'ai répondu jusqu'à seize heures cinq
à une question de M. André Gérin, député du Rhône, qui avait d'ailleurs un lien
avec le présent débat puisqu'il s'agissait, précisément, des projets de
restructuration de la verrerie de Givors. Et si je suis arrivée au Sénat avec
quelques petites minutes de retard, croyez-bien que j'en suis désolée !
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, la commission des affaires sociales du Sénat a souhaité, au mois de
juin dernier, dissocier l'examen des dispositions du projet de loi de
modernisation sociale relatives au régime du licenciement économique de celui
des autres dispositions du texte.
J'ai déploré ce délai supplémentaire, qui retarde le vote définitif de la loi
et prive ainsi les salariés d'une protection sociale attendue. Mais il est vrai
qu'il aura permis de mettre encore plus en évidence l'importance et l'actualité
toute particulière de la question !
Depuis plusieurs mois déjà, les difficultés économiques que connaissent les
Etats-Unis entraînent une révision à la baisse des perspectives de croissance
dans l'ensemble des pays industriels. Certains secteurs, comme la téléphonie ou
ceux de l'économie de l'Internet, ont subi des révisions déchirantes ; la chute
des cours boursiers a un effet de freinage important des investissements.
Les inquiétudes et incertitudes nées des attentats du 11 septembre ont
amplifié les doutes sur la capacité de redressement, à brève échéance, des
économies développées. De nouveaux secteurs d'activité ont été directement et
immédiatement affectés, comme le transport aérien ou le tourisme.
Même si des mesures ont d'ores et déjà été prises ou sont en discussion pour
réagir face à ces difficultés et lever ces inquiétudes, pas une semaine ne
s'écoule sans que soient annoncés des plans de restructuration d'entreprises,
qui avivent la crainte de milliers de salariés quant à l'avenir de leur
emploi.
Vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs, plus encore qu'au mois de juin,
sous le regard des salariés, qui attendent du législateur le bénéfice d'un
régime de traitement des difficultés et des restructurations économiques plus
protecteur du droit à l'emploi. C'est bien la finalité du texte qui a été
adopté le 13 juin dernier, par un vote solennel, en deuxième lecture par
l'Assemblée nationale.
Ce texte est bien proportionné aux enjeux économiques et sociaux qui sont
devant nous. Il prévoit des solutions justes et équilibrées, sur lesquelles je
vais revenir, et ce dans deux directions : celle du droit d'information et
d'intervention des salariés et de leurs représentants sur les projets de
restructuration des entreprises ; celle de la responsabilité sociale des chefs
d'entreprise dans la protection de l'emploi des salariés.
En ce qui concerne, tout d'abord, le droit d'information et d'intervention des
salariés et de leurs représentants, je voudrais souligner que le projet de loi
n'empêche pas les entreprises d'évoluer et de s'adapter. C'est pourquoi nous
n'avons pas retenu l'idée d'un recours au juge ou à l'Etat pour se prononcer
sur l'opportunité d'un projet de restructuration.
Le texte que vous examinez aujourd'hui mise sur le renforcement du dialogue
social à l'intérieur même de l'entreprise, entre l'employeur et les
représentants des salariés, pour trouver les voies d'une adaptation qui
concilie au mieux les intérêts économiques et sociaux en cause. Un changement
réussi est celui dont la justification et les modalités sont clairement
présentées aux principaux intéressés, c'est-à-dire les salariés et leurs
représentants. C'est justement quand il n'est pas joué d'avance et quand il y a
des marges de discussion - parce que l'avenir de l'entreprise ne se fait pas
contre les salariés - que ce changement peut être accepté.
Cela étant, j'entends critiquer le risque que feraient courir aux entreprises
des délais supposés excessifs d'information et de consultation préalables.
Mais il est des délais bien plus invalidants encore ; ce sont ceux qui sont
dus aux conflits collectifs, lesquels sont engendrés dans un grand nombre de
cas par l'absence de dialogue social et auraient pu, bien souvent, être
évités.
Les exigences posées par le projet de loi en matière d'annonce publique ou de
concertation préalable à la prise de décision de l'employeur sont, à mes yeux,
parfaitement fondées.
Rien ne saurait justifier, en effet, que le comité d'entreprise soit le
dernier informé d'un projet social pouvant avoir des conséquences importantes
sur l'emploi ou sur les conditions de travail ; rien ne peut justifier que le
comité d'entreprise soit souvent informé après le public ou les
actionnaires.
Le recours à la médiation, qui constitue une innovation de ce projet de loi,
est une voie ultime de conciliation des points de vue lorsqu'ils divergent
durablement. Il me paraît d'autant plus adapté qu'il ne dessaisit pas
l'employeur de la responsabilité de la décision finale et, par conséquent, ne
porte pas atteinte à son pouvoir de gestion économique.
On a dit que cette procédure était « précipitée » ou « non évaluée », alors
même que la médiation fait partie de longue date de notre arsenal juridique,
toutes branches du droit confondues, et qu'un projet est à l'étude, sur le plan
européen, pour la mettre en valeur et la promouvoir comme élément du droit
social communautaire. Mieux vaut, me semble-t-il, une médiation réussie, même
au prix d'un allongement des délais de concertation, qu'un conflit qui
hypothéquera la réussite de la restructuration.
Je constate, en outre, qu'une telle procédure a le mérite de privilégier la
recherche d'une solution entre parties plutôt que de renvoyer les décisions au
juge ou à l'administration, comme l'induirait un droit d'opposition qui ne
serait pas assis sur la médiation.
Enfin, il n'est pas besoin d'ajouter que le recours à un médiateur n'est
qu'une possibilité à laquelle on pourra ne pas recourir si le dialogue social,
précisément, est de qualité.
Les remarques que je viens de faire, mesdames, messieurs les sénateurs,
n'épuisent pas l'ensemble des mesures du projet de loi que vous examinez
aujourd'hui.
D'autres dispositions importantes consolident l'obligation des employeurs en
matière de concertation préalable à toute décision de restructuration pouvant
entraîner des suppressions d'emplois. Je ne les rappellerai que pour mémoire,
car elles n'ont pas fait l'objet de critiques de principe de la part de la
commission des affaires sociales.
Je pense notamment ici à la saisine des organes de direction et de
surveillance de l'entreprise, sur la base d'une étude d'impact social et
territorial, avant toute décision de restructuration.
Je pense aussi à la distinction faite entre la concertation sur le projet
économique lui-même et la concertation sur les conséquences sociales en matière
de suppression d'emplois, assortie d'un droit des représentants du personnel de
recourir à un expert et de proposer des mesures de remplacement.
Je pense enfin à l'information, en amont, de l'entreprise sous-traitante, pour
lui permettre de parer aux conséquences que le projet de l'entreprise donneuse
d'ordre peut avoir pour elle-même.
Telles sont les remarques que je voulais faire sur le droit d'information et
de consultation.
En ce qui concerne maintenant l'extension de la responsabilité sociale des
chefs d'entreprise et de la protection de l'emploi des salariés, une des
principales idées-forces du projet de loi de modernisation sociale est que
toutes les solutions de rechange doivent avoir été proposées, étudiées et mises
en oeuvre avant que des suppressions d'emplois ne soient envisagées : les
licenciements économiques ne peuvent être que l'ultime recours.
Cette idée n'est pas nouvelle ; elle était déjà inscrite dans le code du
travail, en particulier dans la logique du dispositif de plan social, depuis
1986, et elle a été plusieurs fois renforcée en 1989 et en 1992. Cependant, il
est vrai qu'il manquait encore des éléments à cet édifice, lacune que vient
justement combler le texte adopté par l'Assemblée nationale.
J'estime, par exemple, que l'obligation de négocier des mesures de réduction
du temps de travail avant d'envisager de procéder à des licenciements est une
mesure fondamentale pour sauvegarder des emplois. Refuser de faire de cette
question un préalable à la présentation d'un projet de licenciement collectif,
ainsi que le propose la commission des affaires sociales du Sénat, est
incompréhensible dans une logique de solidarité interne à l'entreprise pour
sauvegarder des emplois.
Sur ce point en particulier - comme sur d'autres - vous n'êtes d'ailleurs pas
en phase, loin de là, avec les salariés et les organisations syndicales que,
pourtant, vous prétendez avoir pris soin de consulter.
Le deuxième élément fondateur de la responsabilité sociale des chefs
d'entreprise et de protection du droit à l'emploi des salariés repose sur la
définition du licenciement économique.
La définition adoptée par l'Assemblée nationale est, il est vrai, plus
exigeante. Elle rendra plus serrée la discussion dans l'entreprise avec les
représentants du personnel sur les circonstances justifiant des licenciements
et elle conduira à renforcer la recherche de mesures alternatives. C'est son
objet.
Toutefois, elle reste ouverte et proche des apports de la jurisprudence
puisqu'elle ne se limite pas à la prise en compte des difficultés économiques.
Elle admet la nécessité pour l'entreprise de s'adapter aux évolutions
technologiques et de se réorganiser pour assurer son activité présente et à
venir.
Le troisième pilier de ce projet de loi, sans doute le plus important, est
celui qui vient donner toute sa force au droit au reclassement.
Le reclassement interne, par l'adaptation des salariés aux évolutions de
l'emploi et le développement de leurs compétences par la formation, est une
obligation permanente de l'entreprise. Elle est posée clairement par le projet
de loi.
Une innovation fondamentale, que vous avez déjà adoptée au mois de juin,
donnera corps à cette obligation : la validation des acquis de l'expérience et
leur reconnaissance par les diplômes et titres. Elle permettra de mettre en
évidence les compétences acquises des salariés, souvent ignorées des
entreprises faute de formalisation. Elle offrira aux salariés des perspectives
de développement professionnel garantissant leur parcours dans l'emploi.
Cette obligation d'adaptation permanente est d'autant plus forte que
l'employeur devra faire la démonstration de son respect au moment où il
envisage des licenciements économiques.
Le projet de loi n'autorise en effet le licenciement qu'après que tous les
efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement
des salariés a été recherché dans l'entreprise, voire dans le groupe.
Le licenciement est donc bien l'ultime recours. Pour éviter qu'il ne conduise
au chômage, il est prévu que les salariés des entreprises de 1 000 salariés et
plus se voient proposer un congé de reclassement de neuf mois maximum, financé
par l'employeur.
Mais il manque dans le texte que vous examinez un dispositif actif d'aide au
reclassement pour les salariés des petites et moyennes entreprises, non
concernés par le congé de reclassement.
C'est pourquoi, après en avoir discuté avec les partenaires sociaux, le
Gouvernement a déposé un amendement qui permettra à l'UNEDIC et à l'ANPE
d'engager des actions de préparation au reclassement de ces salariés pendant la
durée de leur préavis.
Ces actions porteront sur des bilans d'évaluation des compétences et sur un
accompagnement personnalisé. L'employeur sera tenu de les porter à la
connaissance des salariés et de leur laisser le temps d'y participer. C'est une
mise en oeuvre anticipée du PARE, le plan d'aide au retour à l'emploi.
J'espère que le Sénat adoptera cet amendement qui répond à une critique
relative à l'insuffisance des mesures de protection pour les salariés des
entreprises petites et moyennes, les plus nombreux à subir les licenciements
économiques.
Votre Haute Assemblée adoptera aussi, je le souhaite, deux dispositions très
importantes, dont la commission des affaires sociales prône, hélas !, la
suppression.
Je pense au doublement de l'indemnité minimum légale de licenciement en cas de
licenciement économique et aux obligations faites aux grandes entreprises de
contribuer à la réactivation des bassins d'emploi affectés par des fermetures
totales ou partielles de sites.
S'agissant de l'indemnité légale de licenciement, faut-il rappeler que son
taux n'a pas évolué depuis 1973 ? Faut-il rappeler aussi que l'inégalité est
grande entre salariés d'entreprises importantes, qui voient souvent fortement
majorer leurs indemnités de départ, et ceux des petites et moyennes
entreprises, qui ne bénéficient que du minimum légal ?
L'argument selon lequel cette mesure de justice sociale va engendrer une
fraude au licenciement personnel s'autodétruit puisque, la fraude étant
redressable par le juge, il en coûtera alors plus cher à l'entreprise.
Enfin, puisque la demande de suppression de l'article sur l'obligation de
contribution à la réactivation des bassins d'emploi est fondée sur l'absence de
précisions concernant la nature et l'assiette de cette contribution, j'espère
que vous accueillerez favorablement l'amendement du Gouvernement, qui vous
apporte satisfaction sur ce point. A moins qu'il ne s'agisse d'une écoute
sélective, ne prenant en compte qu'un versant des avis des partenaires sociaux
!
M. Eric Doligé.
Comment peut-on dire cela ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mais ce serait étonnant de la
part de parlementaires qui expriment souvent leur désarroi lorsque des
fermetures d'entreprises dans leur circonscription ruinent les efforts qu'ils
entreprennent pour assurer le développement économique local !
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les points que je tenais à
mettre en lumière.
Loin d'empêcher les entreprises d'évoluer et de s'adapter, les dispositions
sur le licenciement économique adoptées par l'Assemblée nationale exigent
qu'elles le fassent en toute responsabilité : dans la transparence du dialogue
social, en s'appuyant sur la force du compromis et en préservant l'emploi dans
toute la mesure du possible.
C'est une architecture de droits et obligations dont notre pays a besoin pour
faire face aux incertitudes économiques qu'il connaît, et pour combattre le
désespoir de dizaines de milliers de salariés qui craignent d'en être les
premières victimes.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame le ministre, mes chers collègues, le Sénat a commencé à examiner, en
deuxième lecture, les 26 et 27 juin dernier, le projet de loi de modernisation
sociale. Comme l'ont alors souligné les rapporteurs, le texte transmis par
l'Assemblée nationale intégrait de très nombreuses et substantielles
modifications. C'est pourquoi la deuxième lecture de ce texte par notre
assemblée s'apparente, à maints égards, à une « première lecture
bis
».
Les dispositions relatives au droit du licenciement, c'est-à-dire, en fait,
les trois premières sections du titre II, figurent sans doute parmi celles qui
ont connu le plus grand nombre de modifications au cours de la navette. En
effet, ce ne sont pas moins de quatorze articles qui ont été ajoutés par
l'Assemblée nationale sur ce seul thème au cours de la deuxième lecture,
parfois à l'occasion d'une seconde délibération organisée le 12 juin.
Parmi les nouvelles dispositions adoptées, on retiendra, bien sûr, le
durcissement de la définition du licenciement pour motif économique à travers
la limitation du nombre et de la portée des situations propres à autoriser un
licenciement, mais aussi la substitution des termes « plan de sauvegarde de
l'emploi » aux termes « plan social », la création d'études d'impact social et
territorial devant précéder ou accompagner tout projet de cessation d'activité
ou de développement stratégique, la modification de l'articulation entre la
phase de consultation-information et celle de négociation avec les partenaires
sociaux lorsque sont envisagés à la fois une restructuration et des
licenciements, l'instauration du recours à un médiateur lorsqu'un désaccord
apparaît entre l'employeur et le comité d'entreprise à propos d'un projet de
restructuration, l'instauration de contributions spécifiques à la charge des
entreprises qui procèdent à des licenciements afin de développer leur bassin
d'emploi.
Ces modifications du droit du travail n'ont rien de mineures, comme en
témoigne le mécontentement qu'elles ont provoqué de la part de l'ensemble des
acteurs sociaux et économiques,...
M. Roland Muzeau.
Non !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
...tant d'ailleurs du fait de la nature même des
modifications apportées au droit en vigueur que des conditions dans lesquelles
elles ont été préparées et adoptées.
Certes, nul ne pouvait rester indifférent devant la multiplication des
annonces de plans sociaux et les importantes restructurations intervenues dans
plusieurs grands groupes, tels Danone, Marks & Spencer, AOM-Air Liberté et
Moulinex. A cet égard, le fait que le Gouvernement ait souhaité « faire quelque
chose » ne peut être considéré en soi comme illégitime, bien au contraire.
Cependant, était-il pour autant opportun que le Gouvernement et l'Assemblée
nationale légifèrent ainsi, « en direct », se privant de tout recul et de
l'avis des spécialistes du monde économique et social que sont les partenaires
sociaux ?
Tel est bien le problème. Ces amendements, le plus souvent d'origine
gouvernementale, ont été préparés et débattus dans l'urgence, et ils en
conservent la marque. Les différentes étapes du processus législatif ont été
pour ainsi dire court-circuitées. Le choix d'amender le texte, souvent en
séance, excluait de fait l'intervention du Conseil d'Etat, le passage en
conseil des ministres et le recours à une étude d'impact qui précèdent
traditionnellement l'examen d'un projet de loi.
Même l'étape fondamentale du passage en commission n'a pu être pleinement
menée à bien, comme en témoigne l'absence à l'Assemblée nationale de rapport
écrit sur ces dispositions.
Que penser, dans ces conditions, de l'apport essentiel qu'aurait pu fournir le
Conseil économique et social ? Alors que le Gouvernement a rendu hommage, dans
ce texte même, à son travail concernant la lutte contre le harcèlement moral,
il s'est interdit de bénéficier de ses précieux conseils dans un domaine où sa
compétence ne fait pourtant guère de doutes.
Enfin, sinon surtout, il est patent que la méthode retenue à l'occasion de
cette deuxième lecture a fait une victime collatérale de choix ; je pense au
dialogue social. Certes, il n'était déjà pas très bien portant. Mais était-il
pour autant judicieux de tenir les partenaires sociaux dans une complète
ignorance des dispositions qu'ils auront à faire vivre au quotidien ?
A entendre le Gouvernement le 26 juin 2001 à l'Assemblée nationale, « il était
difficile de les consulter pendant le cours même des débats ». Tel n'est pas
l'avis de la commission.
Comme pour en donner une preuve au Gouvernement, et parce qu'elle est
convaincue qu'on ne saurait impunément négliger l'intérêt du dialogue social,
notre commission a souhaité, à la fin du mois de juin, réserver l'examen des
dispositions relatives au droit du licenciement jusqu'à aujourd'hui, afin
d'entendre l'ensemble des partenaires sociaux.
Ces auditions, qui ont eu lieu à la fin de la dernière session et dont le
compte rendu est publié dans le rapport supplémentaire que j'ai eu l'honneur de
présenter au nom de la commission, sont riches d'enseignements.
C'est pourquoi je souhaiterais, ne serait-ce que brièvement, me faire le
porte-parole des partenaires sociaux que nous avons auditionnés, en rappelant
quelques propos que nous avons entendus.
M. Roland Muzeau.
Propos sélectionnés !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Vous les avez entendus, vous y étiez !
M. Jean Chérioux.
C'est fort intéressant ! Un peu de bonne foi, s'il vous plaît !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
La CGC a regretté que « cette loi arrive dans l'urgence après
l'annonce de plusieurs plans sociaux », tandis que la CGT a marqué sa déception
qu'il n'y ait pas eu de consultation en amont.
M. Patrick Lassourd.
C'est clair !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
FO a considéré que les consultations avaient cessé à l'issue
des annonces de plans sociaux pour laisser place à l'« agitation politique
».
Le MEDEF a estimé, quant à lui, que cette situation illustrait une absence de
concertation entre l'Etat et les partenaires sociaux « unique au monde », avant
de déplorer que « partout ailleurs on recherchait, dans la confiance et non
dans la défiance et l'ignorance des partenaires sociaux, à se concerter sur des
solutions efficaces ».
La CGPME a été également sévère puisqu'elle s'est estimée trompée de ne pas
avoir retrouvé les propositions qu'elle vous avait faites à l'issue de la
première lecture et qui, semble-t-il, avaient reçu un accueil favorable.
Sur le fond, les partenaires sociaux que nous avons auditionnés n'ont pas fait
preuve de plus de mansuétude quant au détail de vos propositions. Ils ont même
majoritairement considéré que les conditions de leur élaboration tendaient à
les vicier inéluctablement.
Ils ont fustigé votre choix de modifier l'ensemble du droit du licenciement
pour répondre à l'annonce de plusieurs plans sociaux, en estimant que, dans la
réalité, l'essentiel des licenciements avaient un caractère individuel et que
seules 2 000 entreprises étaient cotées parmi les 1 200 000 que compte notre
pays.
Ce constat a ainsi pu amener la CFDT à considérer que ce texte accroissait «
la protection de ceux qui étaient déjà les plus protégés et laissait dans le
vide ceux qui le sont beaucoup moins ».
La CGT a semblé partager cette analyse puisqu'elle a déclaré qu'« il ne
faudrait pas que nous ayons des procédures de licenciement à deux vitesses
avec, d'une part, les licenciements massifs, qui font l'objet de dispositions
particulières, et, d'autre part, la masse des petits licenciements, qui ne
seraient, eux, pas couverts par des garanties suffisantes ».
Nous aurons, bien entendu, l'occasion de revenir sur le détail du texte au
cours de la discussion des articles. Mais les observations des partenaires
sociaux devant la commission méritent, à ce stade, d'être rappelées
lorsqu'elles concernent les dispositions les plus importantes qu'a adoptées
l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
M. Eric Doligé.
Tous les partenaires sociaux sont d'accord !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
La nouvelle définition du licenciement pour motif économique,
par exemple, constitue certes un progrès pour la CGT, mais celle-ci est bien la
seule à le penser. Pour la CFTC, cette nouvelle définition soulève de «
nombreuses interrogations ».
Le MEDEF a considéré, quant à lui, que cette nouvelle définition était «
stupéfiante » et qu'elle traduisait une « volonté d'interdire à toute
entreprise qui a des résultats positifs de se restructurer ».
La CGPME a souhaité le maintien de la définition en vigueur, tandis que la
CFDT a fait part de sa crainte « que cette approche n'écarte des personnes
licenciées de la protection du plan social, en poussant les entreprises... vers
des licenciements individuels ».
Les partenaires sociaux n'ont pas été plus tendres envers les autres
dispositions du texte, comme le recours à un médiateur.
Si la CGT a rappelé qu'il ne s'agissait pas d'une de ses revendications, la
CFDT a fait montre de davantage d'hostilité à l'égard de ce dispositif,
considérant que l'externalisation du débat jouait contre le dialogue social et
qu'un tel dispositif était « déresponsabilisant » pour les partenaires
sociaux.
Au final, force est de le constater, ce texte ne trouve pas grâce auprès des
partenaires sociaux, ce qui explique d'ailleurs sans doute le peu
d'empressement manifesté par le Gouvernement pour les consulter.
Ce décalage entre, d'une part, le monde politique et, d'autre part, le monde
du travail et de l'entreprise doit nous amener à réfléchir quant aux
conséquences que peut avoir un tel texte sur le fonctionnement de notre
économie. On ne peut exclure en effet qu'un tel durcissement du droit du
licenciement ait des conséquences sur l'évolution du chômage en réduisant les
embauches des entreprises.
Comment expliquer autrement, il est vrai, l'étrange coïncidence qui a vu
l'adoption des amendements à l'Assemblée nationale correspondre exactement à
une hausse du taux de chômage et celle qui associe aujourd'hui le refus du
Gouvernement de modifier son texte à une brutale baisse du nombre des embauches
qui s'annonce d'ores et déjà durable ?
Pour l'instant, force est de constater que, alors même que le taux de chômage
français demeure sensiblement supérieur à la moyenne européenne, l'interruption
du rattrapage entamé depuis 1997 intervient au moment précis où l'on observe
une divergence importante dans la façon dont les différents pays européens
entendent réagir au ralentissement de la croissance.
En effet, alors que nous discutons de la meilleure façon d'empêcher les
entreprises de préserver leur compétitivité, le Chancelier allemand Gerhard
Schroëder s'apprête à porter de douze à vingt-quatre mois la durée des contrats
à durée déterminée et n'exclut pas de modifier le droit du licenciement afin de
transformer les indemnités de licenciement en aides à la qualification.
Dans ces conditions, madame le ministre, une question nous taraude :
faites-vous le bon choix ?
Nous sommes en effet d'autant plus perplexes qu'outre le scepticisme des
partenaires sociaux et le contre-exemple allemand votre projet doit également
faire face au désaveu de votre collègue ministre des finances, M. Laurent
Fabius. En effet, celui-ci a déclaré en juin que ce texte posait des «
questions sérieuses » et qu'il fallait éviter que cette loi n'ait « un effet
dissuasif sur l'investissement et le recrutement ».
On le voit, le Gouvernement lui-même ne semble pas unanime quant au diagnostic
et au traitement le plus approprié pour faire face à un retournement de
conjoncture qu'il n'avait pas anticipé.
N'est-il pas temps, finalement, aujourd'hui, alors que la pression médiatique
est retombée, de revenir sur des dispositions qui devaient constituer une
réponse à un mal qui n'a plus cours, je veux parler des « licenciements
boursiers » ? Que peut bien signifier, en effet, cette expression pour des
entreprises comme Alcatel et Moulinex, qui ont perdu 80 % de leur valeur depuis
janvier ?
Le contexte a changé. Des dispositions qui, en juin, apparaissaient
préjudiciables à l'emploi se révèlent aujourd'hui comme des facteurs de hausse
du chômage. C'est pourquoi le Gouvernement se doit de réagir.
Hélas ! il n'en est rien, comme le montrent les amendements que vous avez
déposés au nom du Gouvernement, madame le ministre, et qui ne modifient pas le
déséquilibre général du texte.
Bien sûr, la discussion ne fait que commencer et votre position peut encore
évoluer. C'est pourquoi il appartiendra au Sénat de proposer des modifications
qui tiennent compte du nouveau contexte économique sans pour autant remettre en
question l'ensemble des dispositions qu'il nous est proposé d'adopter.
La commission a clairement fait son choix. Sans se départir de l'esprit
constructif qui la caractérise dans l'examen des projets de lois depuis 1997,
elle s'attachera à rétablir le droit du licenciement dans un état acceptable
tant pour les salariés que pour les entreprises
(M. Fischer s'exclame)
compte tenu, en particulier, d'un contexte qui érige le maintien de la
compétitivité de nos entreprises en principe fondamental du développement de
notre économie et donc de l'emploi.
C'est ainsi que la commission proposera d'adopter conformes plusieurs articles
: l'article 33 concernant le droit au reclassement avant tout licenciement pour
motif économique, l'article 34
bis B
relatif à la lutte contre les
contournements des dispositions relatives à la présentation de plans sociaux,
et l'article 34
bis
E qui a trait à l'augmentation de la durée laissée
au salarié licencié pour manifester son souhait de bénéficier de la priorité de
réembauchage.
Elle proposera, par ailleurs, un certain nombre d'amendements sur des articles
importants qui peuvent être encore améliorés afin de mieux concilier la
nécessité de protéger les salariés et la nécessité de préserver l'activité des
entreprises. Je pense, en particulier, à la nouvelle rédaction qu'elle
proposera pour l'article 33 A, qui permettra de conserver une définition du
licenciement pour motif économique conforme à la jurisprudence et plus conforme
à la situation actuelle de notre économie.
Enfin, elle proposera plusieurs amendements de suppression, qui concernent des
dispositions dont les auditions ont confirmé qu'elles n'étaient ni
nécessairement opportunes ni forcément applicables. Ces amendements de
suppression concerneront en particulier l'amendement « Michelin » et le recours
à un médiateur.
Telles sont, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues,
les principales observations que je souhaitais présenter sur ces articles pour
lesquels la commission avait, fort pertinemment, demandé la réserve.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About,
président de la commission.
Au début de votre propos liminaire, vous
avez, madame la ministre, reproché à notre assemblée d'avoir retardé l'adoption
du présent projet de loi.
Je regrette qu'un tel reproche nous ait été adressé. En effet, le Sénat a été
saisi, en deuxième lecture, d'un projet de loi enrichi par l'Assemblée
nationale de 56 articles additionnels, portant le nombre d'articles en navette
à 158. Le Sénat en a, en outre, été saisi tardivement.
Je rappelle que le mardi 29 mai l'Assemblée nationale renonçait à procéder au
vote sur l'ensemble pour s'accorder quinze jours supplémentaires de réflexion
et une deuxième délibération. C'était le dispositif « licenciement » qui était
en cause : il était passé de 6 articles dans le projet déposé par le
Gouvernement le 24 mai 2000 à 24 articles !
C'est donc à juste titre que la commission des affaires sociales du Sénat a
demandé la réserve de ce volet « licenciement » introduit dans la
précipitation, M. le rapporteur l'a dit, et sans consultation des partenaires
sociaux.
Le délai ainsi obtenu a permis à la commission d'auditionner l'ensemble des
partenaires sociaux avant d'adopter un rapport supplémentaire à la fin de la
session. Ce rapport comporte le contenu intégral de ces auditions, qui est
particulièrement riche et instructif.
Cette demande de réserve pleinement justifiée était, de surcroît, sans
inconvénient, et vous le savez, madame la ministre. En effet, le délai de
réflexion de quinze jours pris par l'Assemblée nationale empêchait l'adoption
définitive du texte avant la fin de la session, et même, maintenant, avant la
fin de la discussion budgétaire à l'Assemblée nationale.
Donc, je tiens à le dire à nouveau solennellement, aucun retard ne peut être
imputé à notre assemblée. Je suis d'autant plus surpris d'un tel reproche que
le Gouvernement a attendu hier soir pour déposer vingt-cinq amendements et
qu'il en a même déposé un dernier ce matin.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne
reviendrai pas sur la petite histoire. La majorité sénatoriale a pris, en juin
dernier, la décision d'interrompre et de retarder l'examen de ce projet de
loi
(Exclamations sur les travées du RPR)
pour permettre à la commission des
affaires sociales de recevoir les principaux partenaires sociaux concernés.
M. Patrick Lassourd.
Cela valait la peine !
M. Gilbert Chabroux.
Il faut reconnaître que ces auditions se sont révélées fort intéressantes.
(Ah ! sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
Ce qui est encore plus remarquable, c'est que M. Alain Gournac se fasse ici
le porte-parole des organisations syndicales.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées
du RPR.)
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Tout à fait, et j'en suis fier !
M. Patrick Lassourd.
C'est habituel chez nous !
M. Gilbert Chabroux.
Je pense qu'à l'avenir ces auditions pourraient avoir lieu plus tôt, en amont.
Mais, là n'est pas le débat !
M. Patrick Lassourd.
Si !
M. Gilbert Chabroux.
Finalement, la majorité sénatoriale nous offre, même si c'est involontaire,
l'opportunité symbolique d'ouvrir notre session sur un texte social de première
importance.
M. Nicolas About,
président de la commission.
Effectivement !
M. Gilbert Chabroux.
Certes, le contexte économique et social a évolué depuis trois mois, mais les
questions dont nous avons à débattre n'ont rien perdu de leur intensité. Les
licenciements, la précarité demeurent au centre des préoccupations de la
majorité des salariés en France et en Europe. Les attentats du 11 septembre aux
Etats-Unis et leurs conséquences économiques prévisibles ont encore avivé les
inquiétudes.
M. Nicolas About,
président de la commission.
Le contexte est bouleversé !
M. Gilbert Chabroux.
Permettez-moi d'évoquer brièvement la situation actuelle au regard de ce qui
nous occupe aujourd'hui.
Depuis cinq ans, le chômage dans notre pays a considérablement diminué, le
nombre de demandeurs d'emploi étant passé de plus de 3 000 000 à 2 127 000.
C'est un résultat remarquable,...
M. Patrick Lassourd.
Obtenu grâce à la croissance !
M. Gilbert Chabroux.
... à mettre à l'actif du Gouvernement.
(Exclamations et sourires sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
C'est en effet un résultat remarquable : un million de demandeurs d'emploi en
moins en cinq ans !
M. Nicolas About,
président de la commission.
Pourvu que ça dure !
M. Patrick Lassourd.
Vous verrez malheureusement l'effet inverse dans les mois à venir !
M. Gilbert Chabroux.
Pendant les quatre ans précédents, sous les gouvernements de droite, on a
dénombré 250 000 demandeurs d'emploi de plus !
(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Depuis le début de l'année 2001, les premiers signes d'essoufflement de la
croissance outre-Atlantique se font néanmoins sentir, et nous commençons à en
éprouver les effets en Europe, avec un léger ralentissement de la croissance et
une remontée, certes modeste, du chômage.
M. Paul Blanc.
Et que fait le Gouvernement, alors ?
M. Gilbert Chabroux.
Si cette remontée est faible, ou plutôt parce qu'elle est faible, nous devons
nous en préoccuper et agir sans tarder, afin d'éviter qu'elle ne s'aggrave et
ne réduise la portée de nos efforts.
Nous aurons l'occasion de revenir de façon détaillée sur ces points lors de la
discussion budgétaire.
Néanmoins, dès à présent, les articles du projet de loi de modernisation
sociale restant en discussion nous permettent de mettre l'accent sur au moins
un fait préoccupant.
Sur un an, le nombre d'entrées à l'ANPE à la suite d'un licenciement
économique est resté stable ; il a même très légèrement diminué de 0,6 %. Sur
cinq ans, le nombre de licenciements est passé globalement de 400 000 à 250
000.
En revanche, le nombre d'entrées à la suite d'une fin de CDD, contrat à durée
déterminée, ou de mission d'intérim a considérablement augmenté : 26 %.
Aujourd'hui, nous dit-on, 40 % à 50 % des inscriptions à l'ANPE résultent de
ces fins de contrats et de missions. Il ne s'agit donc plus seulement de jeunes
qui entrent progressivement dans la vie active, il s'agit aussi de personnes
qui ne connaissent que l'alternance du chômage et des emplois précaires, avec
des conditions de travail souvent très dures.
Ce n'est pas un mystère : les entreprises, à commencer par les plus grandes,
absorbent les variations saisonnières et celles de la conjoncture en
multipliant les CDD et les missions d'intérim.
Elles contournent ainsi la législation sur les licenciements et les plans
sociaux, et les indemnités qui les accompagnent.
Il résulte de cette externalisation, renforcée par le développement de la
sous-traitance à la chaîne, l'émergence au sein de notre société salariale
d'une classe de travailleurs pauvres et précarisés qui constituent la variable
d'ajustement la plus exposée de l'économie capitaliste.
Je crois très profondément que l'un des premiers défis de ces prochaines
années réside dans la stabilisation des emplois. Il faut entendre par là non
pas l'emploi à vie - il ne faut pas rêver - mais le retour à des emplois
pérennes garantissant à chaque citoyen une visibilité correcte sur son avenir.
N'oublions pas que, si le chômage est la première des insécurités, la précarité
signifie aussi, pour ceux qui en sont victimes, un stress permanent, une
impossibilité de construire les aspects matériels, voire affectifs et
personnels, de leur existence, ce qui n'est pas acceptable durablement pour un
être humain.
Les mesures qui nous sont présentées dans ce projet de loi sont intéressantes,
mais elles ne visent qu'à lutter contre les abus de la précarité, non à
endiguer celle-ci.
Les dispositions que nous examinons aujourd'hui ont été élaborées dans un
contexte émotionnel particulier, avec les plans sociaux de Danone et de Marks &
Spencer.
Aujourd'hui, les salariés doivent encore faire face à un certain nombre de
plans sociaux. Il y a bien sûr le drame de Moulinex-Brandt, qui risque
d'entraîner, outre de nombreux licenciements avec des reclassements
problématiques, la désertification de plusieurs bassins d'emploi. En tant
qu'élus, nous sommes tous préoccupés par ce type de difficultés. Nous voulons
croire que les dispositions relatives à la réindustrialisation contenues dans
le texte porteront tous leurs fruits.
Permettez-moi aussi d'évoquer un problème qui me tient à coeur : la fermeture
brutale de l'usine Majorette de Rillieux-la-Pape dans le Rhône, annoncée hier,
avec sans doute la suppression de 330 emplois.
On évoque une délocalisation en Thaïlande non seulement en raison du prix des
matières premières, mais aussi et surtout du coût extrêmement bas de la
main-d'oeuvre.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Eh oui !
M. Gilbert Chabroux.
Dans le cas de Moulinex, comme dans celui de Majorette, nous nous trouvons à
nouveau en face d'un exemple des effets de la mondialisation libérale.
Cela nous interpelle sur la nécessité d'assortir les normes commerciales de
normes sociales minimales.
Il serait temps, aussi, de se préoccuper de l'utilisation des fonds publics
versés à certaines entreprises sous forme d'exonérations de cotisations
sociales patronales ou d'aides diverses.
C'est une question importante : la collectivité nationale doit-elle soutenir
financièrement des entreprises qui ferment des usines et licencient en France
et en Europe pour faire réaliser leur production par des entreprises
sous-traitantes, de préférence dans les pays en développement ?
Pour étonnante qu'elle soit, la très franche déclaration du président
d'Alcatel sur les entreprises sans usine doit nous porter à la réflexion. En
attendant, ce sont de nouvelles suppressions d'emplois qui viennent d'être
annoncées par Alcatel : 3 000 emplois supprimés dans ses filiales spécialisées
dans l'optique.
Pour en revenir à ce qui nous occupe ce soir, le texte issu de l'Assemblée
nationale comporte des avancées considérables, équilibrées entre les mesures de
prévention et les mesures de dissuasion.
Les branches professionnelles devront négocier tous les cinq ans sur les
actions de formation destinées à l'adaptation des salariés à leur emploi. La
gestion prévisionnelle des emplois dans les PME sera renforcée au moyen d'un
dispositif d'appui. Il s'agit là d'une mesure très positive pour des
entreprises qui n'en ont pas toujours les moyens. Dans le même temps, le coût
des licenciements économiques est nettement renchéri.
Le rôle des comités d'entreprise en cas de projets de restructuration est
renforcé. A cet égard, la possibilité qui est ouverte au comité d'entreprise de
faire des propositions alternatives au projet présenté par le chef d'entreprise
est particulièrement importante, de même que le recours à un expert-comptable
et le droit d'opposition lorsque cent salariés au moins sont concernés.
Ces dispositions vont dans un sens qui paraît être, si j'ose dire, celui de
l'histoire : plus et mieux les salariés seront informés des conditions de
gestion de leur entreprise et plus ils pourront faire, en amont des
difficultés, les propositions à même d'y remédier ; plus ils participeront en
amont, plus on créera les conditions permettant d'éviter les drames et les
contentieux ultérieurs. Contrairement à ce que certains affirment, il faut donc
renforcer les moyens d'information, d'expertise et d'intervention des salariés
sur leur entreprise.
Je rappelle au passage que l'Europe, avec les comités d'entreprise européens
et la directive « Consultation de travailleurs », se situe pleinement dans
cette évolution en direction des personnels.
S'agissant de l'intervention d'un médiateur en cas de projet de fermeture d'un
site, nous avons entendu, notamment lors des auditions devant la commission,
les avis les plus variés. Le recours à un médiateur n'est sans doute pas la
solution idéale : mais y en a-t-il encore une à ce stade ? Il est exagéré de
dire que l'intervention du médiateur dépossède les partenaires sociaux, dans la
mesure où il intervient justement sur un constat de désaccord. Il serait par
ailleurs difficile de décider la saisine de l'administration, sauf à rétablir
de façon déguisée l'autorisation administrative de licenciement. Nous n'y
sommes pas favorables.
J'en arrive à la définition du licenciement économique. La suppression du mot
: « notamment » permet un resserrement sur une plus grande exactitude des
concepts et des mots.
Parallèlement, il est tenu compte des nécessités de sauvegarde de
l'entreprise, conciliant ainsi rigueur et souplesse. Mais l'on ne saurait pour
autant confondre la sauvegarde de l'activité, qui est une nécessité, et la
sauvegarde de la compétitivité, qui ouvre la porte à toutes les
interprétations.
Lorsque le plan social est néanmoins en place, le projet de loi prévoit des
mesures de reclassement et de réindustrialisation du site. Ce sont là les
mesures les plus importantes pour l'avenir des salariés concernés et pour les
régions frappées. Nous y reviendrons plus avant dans la discussion des
articles, mais je tiens à dire d'ores et déjà que le maintien du lien
contractuel salarié-entreprise pendant le congé de reclassement et l'obligation
d'efforts de formation intégrant la validation des acquis constituent des
apports importants et innovants.
Au total, ce texte, dans les dispositions qu'il contient, recueille donc notre
assentiment et notre soutien.
Je dois pourtant me faire l'écho de la préoccupation, non seulement du groupe
socialiste du Sénat, mais surtout des salariés, quant aux licenciements qui ne
sont pas concernés par ce projet de loi. En effet, si les salariés des grandes
entreprises bénéficieront - et c'est un progrès appréciable - d'une meilleure
protection dans notre pays, il n'en est cependant pas de même dans les PME et
dans les entreprises artisanales.
Il n'en est pas de même non plus pour tous les salariés qui sont victimes d'un
licenciement individuel : ils sont 400 000 par an. Cela signifie que 85 % des
licenciements vont continuer à échapper à notre effort législatif. Là aussi,
nous sommes en présence d'un vrai défi pour les années à venir, et nous avons à
réfléchir à une meilleure protection de ces salariés.
J'évoquerai ici une piste : depuis plusieurs années, nous nous efforçons de
développer les groupements d'employeurs, qui permettent à de petites
entreprises d'absorber les fluctuations saisonnières et les à-coups dans leur
activité. Ne pouvons-nous, comme nous l'avons déjà fait, mieux inciter les
employeurs à se diriger vers des solutions de cet ordre ? Je sais bien que ce
n'est pas chose facile.
Je reviendrai néanmoins à un propos qui traverse toute mon intervention : le
législateur doit fournir aux acteurs économiques, à tous les acteurs
économiques, les outils leur permettant de travailler efficacement, et donc de
manière gratifiante et sécurisante pour tous.
C'est avec cet espoir et dans cette perspective que nous soutenons les
présentes dispositions. Le groupe socialiste vous apporte, madame la ministre,
son total soutien dans la rude tâche qui est la vôtre.
(Applaudissements sur
les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis
qu'il nous soit enfin possible d'examiner la partie du projet de loi de
modernisation sociale portant sur le titre II, qui concerne le travail,
l'emploi et la formation professionnelle.
La première partie - le titre Ier - a été examinée en juin dernier. C'est
ainsi que le groupe communiste républicain et citoyen a notamment avancé une
meilleure définition du harcèlement moral au travail et réaffirmé tant la
nécessité d'exécuter le contrat de travail de bonne foi que la responsabilité
du chef d'entreprise pour prévenir des actes de harcèlement.
La majorité sénatoriale refuse le volet concernant une sanction pénale
spécifique, mais l'Assemblée nationale saura, j'en suis certain, rétablir le
texte dans toute sa dimension.
Sur d'autres volets du texte, comme la limitation du recours à l'emploi
précaire, nous avons défendu une définition plus stricte de la notion de
surcoût d'activité.
Concernant le volet de la formation professionnelle, nous avons défendu le
dispositif de validation des acquis de l'expérience, sans tomber dans
l'acceptation des certifications « maisons ».
Enfin, concernant les retraités, les personnes âgées ou handicapées, nous nous
sommes opposés au retour de la loi Thomas sur les fonds de pension, voulu par
la droite, et nous nous sommes félicités de l'amélioration du statut
d'accueillants familiaux et de la prise en charge par l'Etat et par l'employeur
des accessoires de salaires dus aux travailleurs handicapés en ateliers
protégés.
Aujourd'hui, mes collègues et moi-même nous efforcerons, comme nous l'avions
fait en première lecture, d'améliorer la législation sur les licenciements
économiques pour que ces derniers soient effectivement des mesures de dernier
recours et non pas, comme trop de chefs d'entreprise les entendent, de simples
variables d'ajustement ou - je cite l'expression employée par Mme Nicole Notat
- des « techniques de valorisation boursière ».
Chacun en conviendra, le débat est éminemment politique.
En juin dernier, la majorité sénatoriale s'est employée à faire barrage à
l'examen des dispositions nouvelles introduites en deuxième lecture à
l'Assemblée nationale, sur l'initiative des députés communistes.
Deux points essentiels ont cristallisé vos griefs, chers collègues de la
majorité sénatoriale : la nouvelle définition légale du licenciement économique
et les contre-pouvoirs des salariés et des comités d'entreprise.
Ces dispositions nouvelles, vous les avez considérées tour à tour, et non sans
contradictions, comme des cadeaux sans importance concédés au parti communiste
ou comme des mesures trop contraignantes, car susceptibles de servir de point
d'appui à l'évolution du droit du travail, notamment du droit en matière de
licenciement.
Vous vous êtes même exercés à auditionner les syndicats, avec l'arrière-pensée
de retarder l'adoption et l'entrée en vigueur rapide de ce texte.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
C'est faux !
M. Nicolas About,
président de la commission.
C'est là le travail parlementaire !
M. Roland Muzeau.
Mais l'évidence est là : vous les avez écoutés, mais vous ne les avez pas
entendus, hormis le MEDEF bien évidemment. Vous avez eu tort, parce que c'était
très intéressant.
Vous considérez, comme M. Seillière, que ces dispositions sont « funestes »
pour les entreprises. Je ne fais là que reprendre le mot de l'Union des
industries métallurgiques et minières.
Elles sont donc « funestes » pour les entreprises, mais « utiles, sans être
révolutionnaires » pour les salariés, selon M. Marc Blondel, de Force ouvrière,
répondant à ma question lors des auditions devant la commission.
M. Nicolas About,
président de la commission.
Et la CFDT ?
M. Roland Muzeau.
Réunis pour leurs universités d'été, les entrepreneurs se sont plaints d'être
rendus responsables du retour des plans sociaux. M. Serge Dassault s'est dit «
scandalisé » par l'expression « licenciements boursiers ».
Selon une enquête CSA-opinion, les Français, eux, soutiennent toujours dans
leur grande majorité - à 87 % ! - l'action des salariés de l'entreprise
Moulinex menacée de fermeture.
Lors des différentes manifestations, la résignation face aux destructions
d'emplois plongeant salariés et territoires entiers dans le marasme a fait
place à la volonté de rejeter ces décisions uniquement motivées par la
sacro-sainte règle capitaliste du profit maximum pour l'actionnaire, quel qu'en
soit le prix social, fût-il terrible.
Danone peut-il décemment évoquer la sauvegarde de sa compétitivité pour
justifier son plan social qui, quels que soient les moyens déployés par le
groupe, demeure selon M. Philippe Waquet, conseiller doyen de la Cour de
cassation, un « sinistre social » ?
Et pourtant, la commission nous propose aujourd'hui une réécriture de
l'article définissant le licenciement économique en ajoutant le droit de
licencier pour procéder à des « réorganisations destinées à sauvegarder la
compétitivité de l'entreprise concernée ». Décidément, M. Gournac se distingue
en refusant d'écouter ce que disent les Français, par la voix de syndicats
aussi différents que la CGT, la CFTC, FO et la CGC, et en continuant à défendre
la possibilité de procéder à ces licenciements boursiers.
Voilà trois mois, on reprochait au projet de loi de modernisation sociale de
répondre dans l'urgence à des situations particulières. Aujourd'hui, ce texte,
qualifié hier de « circonstance », est d'une terrible actualité.
L'été a été émaillé de multiples annonces de plans sociaux et de fermetures de
sites.
Les grands groupes industriels sont concernés. Selon le journal
Les Echos
du 13 août dernier, près de soixante sociétés, réalisant chacune plus de
100 millions de francs de chiffre d'affaires chaque année, ont déposé le
bilan.
Mais combien de PME-PMI, dont les médias ne parlent pas, sont-elles dans cette
situation, avec des salariés dramatiquement privés de droits ?
Dans mon département, les Hauts-de-Seine, près de cinquante entreprises de
divers secteurs - CS Télécom, Framatome, Atofina, TDF, Aéro Matra Missile,
Brandt, etc. - programmant quelque 4 800 suppressions d'emplois ont été
recensées par la CGT des Hauts-de-Seine lors du dernier comité départemental de
la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi, le
CODEF.
Et comment ne pas parler aujourd'hui de toutes ces entreprises qui ont disparu
depuis l'ouverture de nos débats, avant les vacances, de
Lacoste
Devanlay,
de
Dim
et de tant d'autres encore ?
Depuis les événements douloureux et graves survenus le 11 septembre dernier
aux Etats-Unis, les annonces de licenciements ne cessent de se succéder. L'onde
de choc des attentats n'a pas fini de se diffuser dans l'économie américaine et
mondiale ! Des dizaines de milliers de salariés sont inquiets pour leur
emploi.
Dans le journal
Le Monde
et, plus largement, dans la presse économique,
de nombreux observateurs ont d'ores et déjà fait part de leurs propres craintes
de voir nombre d'entreprises tirer prétexte du contexte émotionnel actuel pour
mettre en oeuvre des plans de licenciements en préparation plusieurs semaines
avant les attentats. Ainsi, M. Edward Leamer, économiste à l'Andersen School de
l'université de Californie, estimait que « les attaques du mois dernier
pourraient bien constituer le catalyseur de plans de restructuration massifs
».
Rien de ce qui constitue des avancées dans le droit du travail ne trouve grâce
aux yeux de la commission des affaires sociales, qui propose également de
supprimer le recours au médiateur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Bien sûr !
M. Roland Muzeau.
Rappelons que le groupe communiste républicain et citoyen était pour un droit
de véritable opposition ; mais la possiblité de choix paritaire du médiateur
n'en constitue pas moins une avancée dans l'obtention de droits nouveaux par
les salariés dans les entreprises. Tout en soulignant que ce dispositif « n'a
pas de véritable effet contraignant », M. Gournac ajoute qu'il convient tout de
même de le supprimer !
Ce que M. Gournac oublie, c'est que la CGT, par exemple, considérait que les
articles 32
bis
et 32
quater
constituaient bien deux avancées
nouvelles dans les droits des salariés, même si elle estimait le dernier
article sur le médiateur de portée limitée.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Ah !
M. Roland Muzeau.
Ce n'était pas une raison pour le supprimer !
La CGT demandait le recours au juge, lors des auditions, en cas de désaccord
sur le choix du médiateur, ce que M. Gournac refuse.
Vos amendements, monsieur le rapporteur, visent aujourd'hui à supprimer toutes
les avancées législatives qui, bien évidemment, ne réglaient pas tout, mais
donnaient plus de possibilités aux salariés pour s'opposer aux plans sociaux et
moins de marge de manoeuvre aux directions d'entreprise pour les décider.
L'organisation de nos débats, qui nous accorde un temps de parole réduit à la
portion congrue, finit d'éclairer le fond de la pensée de la droite sénatoriale
: mépris des salariés et défense indéfectible des positions du MEDEF.
Notre pays et ses citoyens méritent une tout autre ambition.
C'est en ce sens que le groupe communiste républicain et citoyen fera entendre
son opposition résolue à votre volonté, monsieur le rapporteur, d'annuler les
avancées du 13 juin dernier.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. Patrick Lassourd.
Caricature !
M. le président.
La parole est à Mme Bocandé.
Mme Annick Bocandé.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, rarement un
projet de loi aura connu un parcours aussi erratique !
La genèse de ce texte remonte en effet à 1998. Peu à peu, de nouveaux
chapitres ont fait leur apparition, contenant notamment des dispositions sur
les hôpitaux publics après le mouvement de grève de décembre 1999. Mais je
pense surtout à l'amendement Michelin.
Par ailleurs, des dispositions sur le travail de nuit des femmes ou l'égalité
professionnelle - partie dont je fus le rapporteur - furent retirées pour être
examinées à part.
S'agissant des dispositions relatives aux licenciements, dernière partie que
nous examinons aujourd'hui, j'aimerais faire quelques observations.
La question de la définition du licenciement économique est essentielle et il
convient de mesurer le danger d'un cadre trop restrictif qui risquerait de
pousser les entreprises à déposer leur bilan.
Cela n'a pas échappé au Gouvernement, puisqu'il a longuement hésité à modifier
l'article L. 321-1 du code du travail. Toutefois, poussé par ses partenaires de
la majorité plurielle, il a dû malheureusement s'y résoudre.
Même le ministre de l'économie et des finances, qui fait bien partie du
Gouvernement, madame la ministre, a fait part publiquement de ses réserves au
sujet de la nouvelle réglementation sur le licenciement que vous nous proposez
et qui a été introduite lors de la deuxième lecture du projet de loi à
l'Assemblée nationale.
Il s'est interrogé publiquement sur l'opportunité d'une nouvelle
réglementation inadaptée aux évolutions d'une économie moderne.
Il craint, en effet, comme nous, que la mise en oeuvre de cette loi ne
conduise à accélérer les suppressions d'emplois et n'ait un effet dissuasif sur
l'investissement et le recrutement.
Il redoute aussi, comme nous, que le dispositif n'ouvre une période
d'incertitude sur l'interprétation juridique des textes.
Au sein du Gouvernement, madame la ministre, il n'y a pas unanimité sur ce que
vous voulez nous faire adopter aujourd'hui. Nos concitoyens s'en inquiètent.
Les modifications en cours du droit du licenciement répondent donc à des
motivations principalement politiques ; elles semblent malheureusement faire
abstraction de la vie des entreprises.
Le droit du licenciement, complexe et plutôt rigide, a bénéficié de
l'évolution de la jurisprudence.
Dans la période récente, grâce à la croissance économique, le nombre de
licenciements économiques a baissé, comme le nombre de plans sociaux
d'ailleurs. Malheureusement, depuis cet été, ce nombre est à nouveau en
hausse.
Certes, il ne saurait être acceptable que nombre de licenciements ne soient
motivés que par les seuls intérêts financiers.
Cependant, le retournement de la conjoncture auquel nous assistons aujourd'hui
pourrait placer bien des entreprises en situation délicate. Alors que celles-ci
sont amenées à se restructurer, les mesures que le Gouvernement propose
pourraient constituer un frein préjudiciable à la pérennité même de certaines
d'entre elles, ainsi qu'une source d'instabilité juridique. C'est le cas, en
particulier, de la définition du licenciement pour motif économique.
Nous assistons, une fois de plus, à une nouvelle « exception française » qui
tend à vouloir encadrer de façon rigide le droit du licenciement au moment même
où les autres pays européens prennent en compte le ralentissement économique.
Certains envisagent ainsi d'assouplir le droit du licenciement, c'est,
notamment, le cas de l'Allemagne.
Les auditions organisées par la commission des affaires sociales, en juin
dernier, ont bien confirmé qu'à aucun moment les partenaires sociaux n'avaient
été consultés sur ces nouvelles dispositions. C'est tout de même surprenant
!
Elles ont été l'occasion de mettre en évidence la contradiction qu'il y avait
pour le Gouvernement à évoquer le renforcement de la démocratie sociale, alors
même que, dans les faits, il n'hésitait pas à se substituer aux partenaires
sociaux.
Sur le fond, ces derniers ont réservé un accueil mitigé à cette réforme du
droit du licenciement que vous nous proposez aujourd'hui.
Je ne vais pas revenir sur les positions des différents partenaires sociaux
puisque M. le rapporteur vient de le faire excellement, mais il est flagrant
qu'une très forte majorité d'entre eux, comme les spécialistes du droit du
travail qui ont été consultés, ont regretté la modification de la définition du
licenciement pour motif économique.
Notre droit du licenciement est le fruit d'une lente sédimentation d'accords
collectifs, de lois et de jurisprudence. Il est donc nécessaire, à nos yeux, de
préserver le relatif équilibre atteint aujourd'hui, en particulier dans la
définition du licenciement économique.
Comme l'a très bien souligné M. le rapporteur, votre projet de loi, madame la
ministre, privilégie non pas la recherche de l'accord mais plutôt une vision
conflictuelle des rapports sociaux, et ce en contradiction avec les pratiques
de l'ensemble de nos voisins européens.
C'est la raison pour laquelle mes collègues du groupe de l'Union centriste et
moi-même soutiendrons les amendements proposés par la commission des affaires
sociales.
En effet, ils tendent à mieux concilier la nécessité de protéger les salariés
et celle de préserver l'activité des entreprises, comme l'a rappelé M. le
rapporteur.
C'est ainsi que l'on édifiera le meilleur cadre pour garantir le dynamisme de
la vie économique. Dans le contexte de dégradation de la conjoncture que nous
connaissons désormais, ce sera plus que jamais nécessaire. Il en va de même
pour la préservation du dialogue social.
(Applaudissements sur les travées
de l'Union centriste des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mesdames, messieurs les
sénateurs, je vais vous répondre brièvement. Dans la mesure où la discussion
générale a déjà eu lieu, il ne me semble pas utile de revenir sur l'ensemble
des dispositions du texte. Je tiens néanmoins à formuler quelques remarques.
Tout d'abord, je souhaite souligner que ce projet de loi, comme tous ceux qui
sont présentés au Parlement, émane de l'ensemble du Gouvernement ; il ne peut
en être autrement.
Par ailleurs, il est évident que les partenaires sociaux ont été consultés, au
stade tant de l'avant-projet que de la première lecture, mais aussi entre les
deux lectures.
M. Jean Chérioux.
Au téléphone !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ils l'ont même été -
informellement, je veux bien le reconnaître - pendant les quinze jours au cours
desquels l'Assemblée nationale a demandé le report du texte.
Mais vous admettrez, je pense, qu'il y a toujours des amendements sur lesquels
les partenaires sociaux ne sont pas consultés. Cela arrive chaque fois, qu'il
s'agisse d'amendements d'origine gouvernementale ou d'amendements d'origine
parlementaire.
A propos des citations qu'a faites M. Gournac tout à l'heure, je formulerai
deux remarques.
D'abord, ces citations sont extrêmement sélectives : une plus grande place est
donnée à l'opinion du MEDEF et de la CGPME - Confédération générale des petites
et moyennes entreprises - qu'à celle des organisations syndicales, mais sans
doute vous était-il difficile de faire autrement, monsieur le rapporteur !
J'ajouterai ensuite que, si vous aviez consulté les organisations syndicales
sur les amendements de suppression que vous proposez, et pas seulement sur le
texte du Gouvernement, vous auriez certainement entendu un autre son de
cloches.
Vous avez évoqué la situation, en effet préoccupante, dans laquelle nous
sommes, en émettant quelques remarques et jugements, monsieur le rapporteur.
Nous connaissons en effet un ralentissement depuis le début de l'année dû aux
difficultés économiques éprouvées par les Etats-Unis d'Amérique, et ce avant
même les événements du 11 septembre.
Certes, la croissance fut moins élevée au cours des années 1993-1997, lorsque
les gouvernements que vous souteniez étaient aux responsabilités ; mais il faut
dire que les gouvernements d'alors ont aggravé la situation.
(Protestations
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Didier Boulaud.
Et comment !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Alors que la croissance cumulée
entre 1993 et 1996 était de 6,6 % en Europe, elle n'a été que de 4 % en
France.
M. Patrick Lassourd.
Qu'avez-vous fait pendant la période de croissance ?
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
S'agissant du chômage, c'est la
même chose : alors qu'il est resté stable en Europe pendant cette période, les
gouvernements que vous souteniez ont aggravé la situation, avec 177 000
chômeurs de plus.
A contrario,
pendant la période 1997-2001, pendant laquelle, je le
répète, la croissance a été plus forte à l'échelon européen - convenez
toutefois que nous avons trouvé en 1997 une situation qui n'était pas facile,
ce qui fut d'ailleurs la cause de la dissolution et celle de notre arrivée au
pouvoir contre toute attente, en tout cas contre les prévisions faites par le
Président de la République et la majorité de l'époque - pendant cette période,
donc, à partir d'une croissance plus favorable, nous avons encore amélioré les
choses : la France a connu une croissance plus élevée que les autre pays
européens.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Patrick Lassourd.
Les dépenses n'étaient pas financées !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Quant au chômage, il a plus
diminué chez nous que dans les autres pays.
M. Jean Chérioux.
Il était plus haut !
M. Patrick Lassourd.
C'est dû à la croissance !
M. Paul Blanc.
Il y a des bombes à retardement !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
A cet égard, permettez-moi de
vous citer des chiffres révélateurs. En 2000, l'Union européenne a enregistré
une forte diminution du chômage, puisque 1 210 000 personnes ont retrouvé du
travail dans l'ensemble des quinze pays qui la composent, dont 444 000 en
France,...
M. Didier Boulaud.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... soit près de 40 % pour
notre seul pays, alors qu'en 1996 on a compté 290 000 chômeurs supplémentaires
en Europe, dont 126 000 en France, soit également près de 40 %. Voilà qui
démontre que, dans une situation donnée, on peut faire mieux ou moins bien.
Vous avez fait moins bien, nous avons fait mieux.
(Protestations sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gournac, rapporteur.
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Avant de répondre à Mme le ministre, je veux dire à M.
Chabroux combien ses propos concernant l'intérim m'ont surpris. Je le dis haut
et fort, l'intérim constitue souvent une voie d'accès à la vie active. Si M.
Chabroux avait entendu ce qu'a expliqué à ce sujet M. Fitoussi, il pourrait
constater que mon analyse va exactement dans le même sens. Or, dans l'intérim,
on constate actuellement une baisse de 23 % - près d'un quart ! - des
contrats.
Par ailleurs, je tiens à préciser à mon collègue du groupe communiste
républicain et citoyen que, pour ma part, je n'ai jamais employé le mot «
funeste ».
Quoi qu'il en soit, madame le ministre, nous venons d'en avoir la confirmation
: la croissance n'a eu aucun effet ; tout tient à la politique du Gouvernement
!
(M. Chérioux s'esclaffe.)
J'attends donc du Gouvernement qu'il nous dise clairement quelle est sa
responsabilité dans la situation actuelle, puisque c'est à sa « bonne politique
» que nous devions la situation précédente !
Moi, je dis merci au gouvernement qui était là avant...
(Rires et
exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur
les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux.
Avant la dissolution !
M. Roland Muzeau.
Juppé, c'était un million de grévistes !
M. Didier Boulaud.
Et il s'est sauvé en courant !
M. Alain Gournac,
rapporteur.
En tout cas, c'est bien le gouvernement de M. Juppé qui a
permis de ramener la croissance !
Madame le ministre, je ne suis pas un menteur : je confirme solennellement
devant le Sénat que les partenaires sociaux n'ont pas été consultés sur toutes
les modifications, et je suis prêt à faire revenir tous les représentants des
syndicats qui ont été auditionnés par notre commission.
Madame le ministre, vous ne pouvez pas dire qu'ils ont été consultés, fût-ce
de façon informelle, parce que ce n'est pas vrai !
M. Jean Chérioux.
Au téléphone, peut-être !
(Sourires.)
M. Alain Gournac,
rapporteur.
Alors le téléphone de M. Blondel devait être coupé !
(Nouveaux sourires.)
Enfin, madame le ministre, si j'évoque l'inquiétude du ministre des finances,
c'est parce que j'ai lu ce qu'il a dit et qui a été rapporté par la presse. Je
n'ai rien inventé !
Alors, on peut, comme vous, adopter la méthode Coué et affirmer que tout est
merveilleux, mais je préfère m'en tenir à la réalité : non, les partenaires
sociaux n'ont pas été consultés, et ils ont été très heureux que la commission
des affaires sociales prenne l'initiative de les écouter. Ce fut d'ailleurs
tout à fait intéressant. Au reste, mon rapport supplémentaire reprend la
totalité des propos des partenaires sociaux, ainsi que ceux des experts que
nous avons reçus.
Monsieur le président, mes chers collègues, je tenais, avant que nous
n'abordions les articles qui restent en discussion, à remettre les choses à
leur place, car je ne veux pas passer pour un menteur.
M. Jean Arthuis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis.
Je voudrais activer la mémoire de Mme le ministre, car je ne puis la laisser
énoncer des données macro-économiques accréditant l'idée selon laquelle la
période 1992-1993 aurait été particulièrement faste.
On se souvient que le début des années quatre-vingt-dix était l'époque de la «
réhabilitation de la dépense publique ». C'est à ce moment-là que le
gouvernement de Michel Rocard avait participé à la signature du traité de
Maastricht stipulant que le passage à la monnaie unique était conditionné par
la maîtrise des déficits publics, ceux-ci ne devant pas dépasser 3 % du produit
intérieur brut.
Permettez-moi de rappeler la séquence des événements qui se sont déroulés
durant le deuxième semestre de 1992. Le Gouvernement de l'époque avait fait
voter une loi de finances initiale avec un déficit prévisionnel de 91 milliards
de francs. En loi de finances rectificative, à l'automne 1992, il nous a laissé
entendre que ce pourrait être 184 milliards de francs.
M. Georges Gruillot.
Le double !
M. Jean Arthuis.
Et la loi de règlement s'est soldée avec un déficit de 226 milliards de
francs.
M. Georges Gruillot.
Un record !
M. Jean Arthuis.
L'année 1993 a été marquée par une récession économique et les déficits
publics se sont élevés, cette année-là, à 350 ou 360 milliards de francs, soit
6 % du produit intérieur brut, alors même qu'on s'était engagé à ne pas
dépasser 3 %.
Alors, madame le ministre, un peu d'humilité serait séante en la circonstance.
Vous irez expliquer demain aux salariés de Moulinex, à ceux des sous-traitants
de Moulinex, aux salariés de la téléphonie mobile et des sous-traitants de la
téléphonie mobile que les 35 heures sont une contribution à l'emploi...
(Applaudissements sur les travées du groupe de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
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