SEANCE DU 28 JUIN 2001
LOIS DE FINANCES
Adoption d'une proposition
de loi organique en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi organique (n° 408, 2000-2001), adoptée avec modifications par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture, relative aux lois de finances [Rapport n° 413
(2000-2001.]
Mes chers collègues, cette proposition de loi organique, qui contient des
dispositions relatives au Sénat, doit être adoptée en termes identiques par les
deux assemblées du Parlement.
Ainsi, 70 % des amendements adoptés par le Sénat en première lecture ont été
repris par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, soit exactement 129
amendements sur 187 votés par le Sénat.
A de nombreuses reprises, le rapporteur général de l'Assemblée nationale, M.
Didier Migaud, qui est présent dans les tribunes de notre assemblée et auquel
j'adresse en votre nom, mes chers collègues, et en mon nom personnel notre
cordiale sympathie, a souligné, tant dans son rapport écrit que dans
l'hémicycle de l'Assemblée nationale, l'excellence du travail accompli par le
Sénat, sur l'initiative de notre commission des finances et de son président,
M. Alain Lambert. Je remercie M. Migaud de ses déclarations auxquelles nous
avons tous été très sensibles.
Je vois dans cette reconnaissance un hommage rendu aux vertus du bicamérisme
que je tenais à souligner.
La parole est à M. le président Lambert.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation, rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, monsieur le ministre de
la fonction publique et de la réforme de l'Etat, madame la secrétaire d'Etat au
budget, mes chers collègues, en ce dernier jour de la session s'écrira une page
nouvelle de l'histoire budgétaire de la Ve République.
Le Parlement, unanime, je l'espère - mais rien n'est sûr -, avec le soutien
sincère et actif du Gouvernement, adoptera ce qu'il est convenu d'appeler la
nouvelle constitution financière de la France.
Monsieur le président du Sénat, c'est un moment d'exception, c'est un moment
d'excellence, c'est un acte majeur de maturité démocratique.
Je veux rendre un solennel hommage à tous ceux sans lesquels nous ne pourrions
réaliser - peut-être - tout à l'heure ce tour de force organique, au Président
de la République, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances
et de l'industrie et, au passage, à l'ancien président de l'Assemblée
nationale, à Mme la secrétaire d'Etat au budget, à M. le ministre de la
fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Je rends hommage aux présidents de nos deux assemblées, au président Poncelet
bien sûr, mais aussi au président Forni, pour le soutien sans réserve qu'ils
ont manifesté tout au long de ce processus législatif.
J'associe à ces compliments et à ces remerciements tous les membres des deux
commissions des finances, M. le rapporteur général naturellement, mais aussi
tous ceux qui prennent une part active à l'élaboration de cet ouvrage :
opposition, majorité, tous seront les artisans du succès.
Après M. le président du Sénat, je veux aussi rendre un hommage tout
particulier au rapporteur général de l'Assemblée nationale que je salue à mon
tour. Au-delà d'un éminent travail technique, M. Didier Migaud a su, par ses
qualités personnelles évidentes, réunir le consensus nécessaire à la
réussite.
Comment ne pas exprimer également mon admiration pour le travail minutieux,
savant, discret, humble, mais décisif de nos équipes de collaborateurs dans les
deux assemblées, au Sénat et à l'Assemblée nationale, mais aussi au
Gouvernement ? Je souhaite que, ce soir, ils soient fiers, qu'ils aient le
sentiment d'avoir écrit avec la représentation nationale une page glorieuse de
notre histoire budgétaire.
J'en viens au texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture à
partir de la rédaction proposée par le Sénat, le 12 juin dernier.
Le Sénat avait alors adopté 190 amendements : 118 acceptés par le
Gouvernement, 4 sur lesquels le Gouvernement s'en est remis à la sagesse du
Sénat et une trentaine seulement repoussés par le Gouvernement.
L'Assemblée nationale, pour sa part, a adopté un grand nombre d'amendements.
Aucun d'entre eux ne remet en cause les éléments fondamentaux posés par le
Sénat sur l'initiative de la commission des finances.
L'accord historique entre nos deux assemblées est donc à portée de main - « à
portée de vote », a dit très justement Mme la secrétaire d'Etat à l'Assemblée
nationale - après, je le rappelle, trente-cinq échecs - certains disent
trente-six ou trente-sept -, puisque seuls quelques ajustements se révèlent
encore nécessaires.
En première lecture, la commission avait souhaité améliorer le texte pour
garantir que les principes très ambitieux de la réforme soient effectivement
mis en oeuvre. J'avais regroupé ces améliorations en deux exigences fortes :
parfaire la lisibilité et l'exhaustivité des comptes publics, et faire de cette
réforme budgétaire le catalyseur, l'instrument de la réforme de l'Etat.
S'agissant de l'exhaustivité et de la lisibilité des comptes publics, le Sénat
avait fait dix propositions, auxquelles se sont ajoutées celles de nos
collègues MM. Philippe Marini et Charles Descours. Moyennant quelques
modifications, l'Assemblée nationale a fait siennes toutes ces propositions :
admettre l'utilité du maintien des budgets annexes et des comptes spéciaux ;
accepter une nomenclature des titres plus détaillée pour que fongibilité ne
rime pas avec confusion ; se rallier à la nécessité de la budgétisation des
fonds de concours ; adopter les dispositions proposées par le Sénat sur la
comptabilité de l'Etat ; introduire explicitement la notion de prélèvements sur
recettes ; traduire l'équilibre budgétaire dans le langage de la comptabilité
nationale ; créer un compte des pensions de l'Etat ; souscrire aux dispositions
mettant en évidence la dette de l'Etat, sa gestion et son évolution ;
réhabiliter la loi de règlement, qui doit devenir le temps fort de l'examen des
comptes de l'Etat et de leur jugement ; adopter le principe de la
pluriannualité tant pour la souplesse de gestion nécessaire que pour la vision
à moyen terme des finances publiques ; enfin, l'Assemblée nationale a adopté la
proposition de nos collègues MM. Philippe Marini et Charles Descours visant à
ce que le Gouvernement mette en évidence, au cours d'un débat, chaque année à
l'automne, ses choix globaux en termes de prélèvements obligatoires.
S'agissant de notre volonté de faire de la réforme un instrument de la réforme
de l'Etat, sept propositions avaient été adoptées en ce domaine. L'Assemblée
nationale les a votées, en modifiant certaines de leurs modalités.
Elle a conservé la possibilité de créer des missions interministérielles.
Elle a retenu, pour l'essentiel, la définition des programmes, ainsi que la
création d'une seconde unité de spécialité, celle de dotation.
Parmi les objets du débat d'orientation budgétaire a été retenue la
proposition d'intégrer les missions et les programmes, pour permettre au
Parlement de donner un avis utile sur la nomenclature budgétaire.
Elle a retenu l'obligation de doter les administrations d'une comptabilité
analytique.
L'Assemblée nationale a également suivi le Sénat en ce qui concerne
l'instauration d'un vote des crédits par mission, rendu nécessaire par
l'éventualité de missions interministérielles.
Elle s'est ralliée au vote unique subdivisé par ministère des plafonds
d'emplois publics en deuxième partie, en prévoyant toutefois un vote global en
première partie sur le plafond des emplois rémunérés par l'Etat, à l'instar de
ce qui se fait pour les dépenses à l'article d'équilibre.
Enfin, et conformément au débat intervenu au Sénat entre la commission et le
Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté l'important volet relatif à
l'information et au contrôle inséré par le Sénat.
La commission des finances considère donc que l'Assemblée nationale a confirmé
l'accord trouvé dès l'origine avec le Sénat sur les grands principes de la
réforme. Ses apports fondamentaux ont été préservés.
Dans ces conditions, rien ne s'oppose, au-delà de précisions rédactionnelles,
à un accord définitif entre nos deux assemblées.
La commission des finances a certes identifié quelques ajustements techniques
auxquels il serait utile de procéder. Certains sont d'importance significative.
Vous en trouverez le détail dans mon rapport écrit, afin que nos travaux
préparatoires soient complets et de nature à éclairer l'avenir.
Y procéder maintenant, alors que la session et la législature sont sur le
point de s'achever, ne permettrait pas d'atteindre entièrement l'objectif de
perfection visé.
En vérité, pour parvenir à un texte parfait, il faudrait sans doute plusieurs
lectures supplémentaires. Mais ce perfectionnisme ne risquerait-il pas de
remettre en cause la réforme elle-même ?
Dans ces conditions, et en conscience, je suis convaincu qu'il vaut mieux
adopter le texte dès maintenant, en sachant qu'avant sa mise en oeuvre
complète, d'ici à 2006, il pourra utilement faire l'objet d'une révision
d'ajustement. La commission des finances a souhaité, à ce stade de la
procédure, poser d'ores et déjà les jalons de ces ajustements.
C'est pourquoi, pour la complétude de nos travaux préparatoires, j'ai déposé,
au nom de la commission des finances, onze amendements qui représentent, à nos
yeux, une amélioration du texte. Au cas où le Gouvernement y répondrait de
manière satisfaisante, en exécution du mandat unanime que j'ai reçu de mes
collègues membres de la commission des finances, présidée hier par mon collègue
Bernard Angels, dont je veux souligner la contribution importante au succès de
cette réforme, je retirerais ces amendements. Ils deviendraient ainsi une
contribution utile lors du probable « toilettage » évoqué à l'instant.
Mais, à ce moment fort de nos échanges, ne confondons pas le principal et
l'accessoire. Les ajustements ne sont qu'accessoires par rapport à l'essentiel,
qui est de réussir la réforme ici et maintenant. Le temps viendra ensuite d'y
apporter les retouches nécessaires après les tests que vous devrez réaliser.
Pour la commission, l'essentiel reste que soit scellé aujourd'hui l'accord
historique entre l'Assemblée nationale et le Sénat, avec, bien sûr, l'accord du
Gouvernement, sur une réforme qui est fondamentale pour l'avenir de notre pays
et sur laquelle s'accordent tous les républicains de bonne volonté. C'est
l'appel qu'au nom de la commission des finances je lance ce soir au Sénat.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes et du
RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, monsieur le président
de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, au moment d'engager notre
discussion en deuxième lecture, il me vient une question presque facétieuse :
lorsque cette belle aventure a commencé, combien d'entre vous pensaient, sur
vos travées comme sur les bancs de l'Assemblée nationale, que nous
parviendrions à ce résultat ?
J'ai déjà dit à l'Assemblée nationale, après que le texte a été examiné en
commission et que l'ensemble des sensibilités se sont exprimées, que la réforme
était désormais « à portée de vote ». Votre propre travail en commission et le
discours prononcé à l'instant par M. Lambert me laissent à penser que « la
portée » est de plus en plus courte.
Avant de dire quelques mots sur le fond de ce qui nous occupe, vous
m'autoriserez à revenir sur le processus lui-même, car il me semble éloquent à
plus d'un titre.
Je crois pouvoir déceler quelques traits caractéristiques de notre beau et si
paradoxal pays dans le chemin parcouru depuis un an. La réforme de notre
constitution financière a fait l'objet pendant plus de quarante ans de toutes
les analyses, de toutes les critiques, parfois même jusqu'à la caricature.
Tous les acteurs concernés s'accordaient au moins pour dire qu'elle ne
correspondait plus à la réalité budgétaire et administrative d'un Etat moderne.
Pourtant, combien de propositions de loi se sont-elles échouées sur les rivages
ensablés du temps qui passe ou de la volonté qui manque ?
Et puis, comme si souvent en France, et pas seulement en politique, nous
vivons des accélérations soudaines de l'histoire...
Sans qu'aucun observateur, fût-il le plus avisé, puisse déceler dans les
prémices du mouvement les conditions d'une réussite jusqu'alors hors de portée,
la machine à rattraper le temps se met en marche, les conflits « indépassables
» s'expriment enfin positivement et débouchent sur un nouvel équilibre, une
nouvelle cohérence.
Je vois dans ce que nous avons vécu sur ce texte une illustration de ce
phénomène si surprenant pour nombre de nos voisins, mais aussi une leçon pour
nous tous.
J'ai eu souvent l'occasion de le dire ici, je ne partage pas nombre des
options politiques proposées aux Français par la majorité sénatoriale. Nos
échanges ont été parfois vifs et ne manqueront pas de l'être de nouveau. Dans
le même temps, j'ai pu apprécier à quel point, au-delà de nos désaccords,
l'esprit républicain présidait toujours au sein de votre hémicycle.
C'est dans la force de cette référence qui nous est commune que je vois
d'abord et avant tout les conditions de votre réussite dans cette entreprise si
importante.
J'ai aussi la certitude que cette réforme, à l'instar des autres mouvements
que je viens d'évoquer, n'a été rendue possible que parce qu'elle a bénéficié
de la rencontre de volontés individuelles également déterminées, qui ont su
emporter la conviction de l'immense majorité d'entre vous.
Rien dans cette alchimie particulière n'aura été anecdotique. Chaque «
ingrédient » aura été nécessaire, aucun d'entre eux pris isolément n'aurait été
suffisant.
La satisfaction du devoir accompli, que nous éprouverons, je l'espère, très
bientôt, est votre oeuvre commune.
L'hommage que je vous rends ici, je le rends au Parlement tout entier,
c'est-à-dire à l'Assemblée nationale et au Sénat. Vous comprendrez toutefois
qu'il s'adresse plus particulièrement à ceux dont j'évoquais, tout à l'heure, «
la volonté déterminée » et la capacité d'entraînement.
En effet, comment ne pas saluer l'énorme travail en commun réalisé par les
deux éminents rapporteurs, au Sénat et à l'Assemblée nationale, qui ont su à
chaque instant trouver les ressources nécessaires pour expliciter leurs points
de vue et dépasser leurs différends ? Du jour où Didier Migaud a déposé sa
proposition de loi à l'Assemblée nationale, jusqu'à ce 28 juin 2001 où Alain
Lambert, après un dialogue fécond entre les deux chambres, s'apprête à vous
proposer de mettre le point final à cette réforme majeure, ils n'auront ni l'un
ni l'autre ménagé leurs efforts.
Ils ont été soutenus dans cette entreprise de manière active et déterminée par
les présidents Christian Poncelet et Raymond Forni. Ils ont aussi bénéficié du
concours tout aussi actif du rapporteur général du Sénat, Philippe Marini, et
du président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Henri
Emmanuelli. Enfin, ils se sont nourris de l'ensemble de vos interventions.
Il faut que tous nos concitoyens sachent que votre travail a été en tout point
remarquable et que, loin des caricatures par lesquelles on croit pouvoir «
croquer », de temps à autre, le monde politique, vous avez su mener vos
discussions avec sérieux, respect mutuel mais, surtout, un sens de l'Etat et de
l'intérêt général qui honore toute la représentation nationale.
Je me dois d'ajouter qu'au sein de l'exécutif les initiatives du Premier
ministre, les encouragements du Président de la République et la détermination
du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ont permis de nouer
et de construire une relation de travail dont, je crois, nous pouvons tous nous
féliciter.
Le Gouvernement, sur ce texte d'initiative parlementaire, n'a eu d'autre
ambition que de faciliter le déroulement et l'aboutissement de vos travaux.
L'écoute et l'attention dont il a pu bénéficier, à l'Assemblée nationale comme
au Sénat, l'ont conforté dans cette posture. Qu'il me soit permis de remercier
personnellement et chaleureusement nos collaborateurs respectifs, qui ont
travaillé avec intelligence et beaucoup de détermination sur ce texte.
Sur le fond, la réforme vise et satisfait deux objectifs d'égale importance :
renforcer le fonctionnement démocratique de nos institutions en revalorisant le
rôle du Parlement dans le processus d'élaboration, de discussion et de contrôle
des finances publiques et transformer nos règles de gestion afin de les rendre
plus efficientes et plus transparentes.
Le dialogue entre vos deux assemblées a posé les bases d'une architecture qui
est à présent le bien commun de l'ensemble de la représentation nationale. Le
cadre est désormais opérationnel et cohérent. Nous pouvons donc tous considérer
que le dispositif est parachevé et que la réforme est arrivée à bon port.
Bien sûr, parce que cette réforme est d'une importance capitale et que vous
vous apprêtez à légiférer pour longtemps, nous ne serions pas rigoureux les uns
et les autes si nous ne relevions pas les questions qui demeurent sur les
conditions d'application de la réforme. Les travaux à venir ainsi que la mise
en place progressive du dispositif permettront d'apprécier leur degré
d'acuité.
Cela étant, le Sénat a aujourd'hui la possibilité de faire faire un grand pas
à la modernisation de notre Etat et, j'ose le dire, à notre démocratie, en
adoptant le texte tel qu'il revient de l'Assemblée nationale.
J'ai confiance, après tout le travail qui a été accompli ensemble et la
qualité du propos que vient de tenir M. Lambert, dans le choix que vous ferez,
mesdames, messieurs les sénateurs. C'est le vôtre et il sera le bon !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Mesdames,
messieurs les sénateurs, en adoptant définitivement, aujourd'hui, la
proposition de loi portant réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, vous
réformerez l'Etat.
La réforme de l'Etat souffre, et ce depuis de nombreuses années déjà, d'un
syndrome du « tout ou rien » ; on ne compte plus, à gauche comme à droite, les
suppliques en faveur de « la » réforme. Beaucoup attendent le « grand soir »,
et se plaignent de ne voir rien venir. Non pas qu'il ne se passe rien ! Bien au
contraire : chaque jour, la modernisation de nos administrations progresse,
chaque jour des idées innovantes fleurissent dans les services publics, chez
les agents de l'Etat ou des collectivités locales. Mais, à force d'attendre une
improbable révolution copernicienne, on se satisfait mal d'un progrès
permanent, d'une modernisation jour après jour, pierre après pierre, d'une
réforme progressive mais non moins ambitieuse.
La réforme que vous voterez dans un instant vaut tous les grands soirs de la
réforme de l'Etat. En l'adoptant dans un délai aussi bref, le Parlement
démontre avec force que la réforme de l'Etat n'est pas un vain mot, que c'est,
bien au contraire, un objectif partagé par tous : la qualité des travaux qui a
animé votre commission des finances, la qualité des relations que vous avez su
entretenir avec la commission spéciale de l'Assemblée nationale chargée de
l'examen du texte, la qualité des échanges entre votre commission et le
Gouvernement en témoignent.
La réforme de l'Etat est non seulement souhaitable, elle est possible et elle
est bien réelle. Mes remerciements s'adressent en particulier au président
Alain Lambert et aux membres de la commission des finances de la Haute
Assemblée, qui ont contribué de façon très importante à préciser, à compléter
et à enrichir la proposition de loi initiale.
Ce texte nous appartient collectivement : il appartient à chaque citoyen
désireux de demander compte à tout agent public de son administration ; il
appartient à chaque parlementaire soucieux de rendre plus effectifs
l'approbation et le contrôle des crédits ; il appartient à chaque ministre,
amené à justifier et à défendre les performances de ses services plutôt qu'à
illustrer la variation de ses crédits ; il appartient, enfin, à chaque
gestionnaire de crédits publics, rendu plus autonome et plus responsable grâce
à une contractualisation de ses engagements.
L'entrée dans les faits d'une gestion profondément rénovée est - nous en
sommes tous conscients et les agents publics les premiers - un véritable défi
pour l'administration : ce défi nous incite non pas à reculer, mais, bien au
contraire, à avancer plus vite. Les administrations se sont mises en ordre de
marche : d'ores et déjà, elles ont achevé la première phase de leurs travaux,
qui avaient été mis en route par le comité interministériel pour la réforme de
l'Etat d'octobre dernier. Ces travaux interministériels seront largement
amplifiés dans les mois qui viennent afin que notre administration soit
parfaitement prête l'année et le jour prévus par la loi.
La réforme de l'Etat mérite, dans notre pays, un travail autour de ces grands
objectifs partagés. C'est précisément ce que nous sommes, ce que vous êtes en
train de réaliser. Face au scepticisme parfois teinté de dandysme qui est le
fait de nombreux commentateurs de la réforme de l'Etat, nous posons, vous posez
les bases d'un Etat moderne. En cela, vous adoptez aujourd'hui l'un des textes
phares de cette législature, et vous le ferez avec le soutien résolu et, je
l'espère, convaincant du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat,
monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, sans
doute allons-nous transformer l'essai ! Cet essai a été marqué le 13 juin, lors
de notre première lecture, grâce, je dois le souligner, à la participation
active et constructive de Mme la secrétaire d'Etat.
Nous voici arrivés au moment de confronter les textes qui ont été adoptés dans
l'une et l'autre assemblées, au Palais-Bourbon, sous la houlette du rapporteur
général, Didier Migaut, et au sein de notre hémicycle. Il faut, bien entendu,
saluer la ténacité, l'esprit de travail, la persévérance dont notre
président-rapporteur a fait preuve, l'efficacité des solutions auxquelles il
nous a menés grâce à tout un cheminement qui a pris de nombreux mois et qui
nous conduit au temps présent.
Ce travail, vous le savez, mes chers collègues, s'est concentré autour de deux
axes : d'un côté, tirer parti de toute l'information disponible dans les
administrations pour rendre les comptes publics exhaustifs et lisibles -
répondre ainsi à l'exigence de transparence qu'un Etat doit prendre à son
compte de la même manière que toutes les autres entités économiques -, d'un
autre côté, faire progresser l'organisation de l'Etat, se doter des conditions
nécessaires pour enfin réformer celui-ci.
Nous pouvions dire - nous pouvons encore dire, car la réforme dont nous
débattons ne s'appliquera complètement qu'en 2006 - que nos finances publiques
étaient à la fois ésotériques et éclatées, peu lisibles, se traduisant par des
débats étranges pour le non-initié et selon des procédures qui nous font, nous
parlementaires - cela a souvent été rappelé -, ressembler à des marionnettes
animées par on ne sait quoi, dans une sorte de théâtre d'ombres...
Il faut mettre fin à tout cela, moderniser l'Etat, bénéficier de tous les
outils modernes de la connaissance économique pour que les décisions en matière
de finances publiques soient prises correctement.
Nous avons bien fait avancer les choses. Nous avons accompli des progrès, et
je voudrais à mon tour, très rapidement, rappeler ce qui me semble essentiel
dans le travail qui a été élaboré et qui, mes chers collègues, vous est soumis
cet après-midi.
Mettre en place un compte de gestion individualisant clairement la dette,
faire prendre conscience à la représentation nationale et à l'opinion que
celle-ci se traduit non seulement par des crédits annuels nécessaires pour
assurer son service, mais aussi, et surtout, par des engagements à long terme,
parfois à très long terme, qui ne pourront être en définitive souscrits et
réglés que par les générations à venir, voici une démarche de responsabilité
qui correspond au voeu des sénateurs, et nous y trouvons des réponses à nos
préoccupations.
Pour les mêmes raisons et au titre de la responsabilité que nous devons
partager avec les générations à venir, figure l'instrument indispensable
qu'est, à mes yeux, le compte des pensions, de telle sorte que les
responsabilités de l'Etat employeur vis-à-vis de ses futurs pensionnés
s'inscrivent chaque année dans un document incontestable.
En second lieu - toujours sur ce chapitre des liens à créer entre les flux et
les stocks et de la présence nécessaire des éléments de comptabilité
patrimoniale dans les décisions des assemblées -, je voudrais souligner un
acquis à mon avis très important également, à savoir le vote, dans la loi de
finances annuelle, avant l'article d'équilibre, sur la variation nette de la
dette.
C'est un élément essentiel dans le cheminement parlementaire qui nous
conduira, mes chers collègues, à nous prononcer explicitement, après un débat
aussi clair et aussi logique que possible, sur la politique de la dette de
l'Etat et sur les raisons pour lesquelles elle doit s'infléchir de telle ou
telle manière, dans telle ou telle proportion, d'un exercice bugétaire à un
autre.
En troisième lieu, mes chers collègues, nous avons voulu - et je voudrais à
nouveau remercier de sa contribution constructive la commission des affaires
sociales - que l'on puisse accéder à une vision globale, à une vision
consolidée de la politique des prélèvements obligatoires, afin de retrouver
l'unité de finances publiques éclatées, du moins s'agissant des aspects les
plus sensibles à l'opinion publique, c'est-à-dire l'origine, le niveau,
l'affectation par grandes masses des prélèvements obligatoires.
C'était un élément essentiel susceptible de déterminer la position de nombre
d'entre nous sur la réforme.
Ce débat consolidé sur les prélèvements obligatoires, facteur commun à
l'examen, chaque année, dans chaque assemblée, de la loi de financement de la
sécurité sociale et de la loi de finances initiale, a obtenu l'accord du
Gouvernement comme de l'Assemblée nationale.
Il restera à en transcrire les éléments de procédure dans les règlements de
nos assemblées.
En quatrième lieu, nous avons oeuvré - et M. le président Lambert y a souvent
insisté, à juste titre - en faveur du nécessaire développement de la
pluriannualité, que ce soit en termes de gestion ou en termes de prévision et
de projection vers l'avenir.
De ce point de vue, une meilleure utilisation du débat d'orientation
budgétaire et une meilleure utilisation des informations réunies dans le
rapport économique, social et financier nous semblent être de réels progrès
pour l'explicitation des choix politiques et pour permettre à la représentation
nationale de jouer tout son rôle.
Un exercice budgétaire, mes chers collègues, une loi de finances ne se
conçoivent pas isolés, ni isolés dans l'espace, bien entendu, compte tenu du
continent auquel nous appartenons et des engagements qui sont souscrits par
notre pays, ni isolés dans le temps, car les engagements doivent être exécutés
avec continuité. Une vision pluriannuelle est indispensable à une bonne gestion
de l'Etat, en particulier à la politique des investissements.
Enfin, mes chers collègues, nous avons été soucieux de jouer notre rôle
constitutionnel de représentant des collectivités locales. Nous avons, à ce
titre, consacré l'existence des prélèvements sur recettes, c'est-à-dire de
recettes transitant par le budget de l'Etat mais qui, en réalité, sont perçues
pour compte d'autrui, faute de pouvoir affecter directement certaines d'entre
elles dans le budget de l'Etat.
Tout cela est acquis et doit être considéré comme extrêmement positif, voire
décisif.
Pour autant, nous devons nous tourner avec respect, peut-être avec une
certaine nostalgie, vers l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. Ce texte a
été souvent décrié, et nous en avons rencontré, les uns et les autres, les
limites opérationnelles dans nos responsabilités. Mais quel beau texte, bien
énoncé, bien composé, soutenu par une volonté politique forte, dans une période
où l'on a eu - une des très rares fois au cours du xxe siècle - une vision de
l'Etat dans son ensemble, de ses fonctions et de ses missions !
Ce texte avait vieilli, il était devenu largement obsolète, certes, mais
rendons-lui, si vous le voulez bien, mes chers collègues, cet hommage. Les plus
anciens d'entre nous ont peut-être le souvenir de ce que pouvaient être des
discussions de loi de finances sous la IVe République !
Quant à la Ve République, elle doit jouer le jeu de la réforme de l'Etat,
celui-ci étant son instrument d'action. C'est dans ce cadre que notre travail
s'est inscrit.
Comme le président Lambert, j'estime qu'il faut, cet après-midi, clore le
dossier, après que toutes les explications ont été données, après que les
travaux préparatoires ont été réalisés, dans le souci de l'oeuvre bien faite,
pour qu'il n'y ait pas trop d'hésitations sur l'interprétation de tel ou tel
terme et sur la volonté du Parlement.
Quand cette décision aura été confirmée, il nous restera, mes chers collègues,
à mon avis, à mettre en oeuvre la transformation, à faire vivre le nouveau
cadre, à lui permettre d'être effectivement l'instrument de la réforme de
l'Etat, d'assurer une meilleure identification des missions prioritaires de
celui-ci, en vue de mieux répartir ses moyens, d'économiser l'argent public et
de ménager le contribuable.
Madame le secrétaire d'Etat, messieurs les ministres, au stade de la mise en
oeuvre de ce nouveau cadre, il sera logique que nos chemins se séparent. En
effet, si nous avions la même conception non pas seulement de l'instrument mais
aussi de la manière de s'en servir, il n'y aurait plus de majorité et
d'opposition. Or, dans toute démocratie, il faut une majorité et une
opposition.
Les idées que nous défendons nous conduisent à penser - je parle là au nom de
la majorité sénatoriale tout entière mais plus particulièrement au nom de mon
groupe - que les nouveaux outils dont nous allons disposer pour faire vivre la
mission du Parlement en ce qui concerne les finances de l'Etat seront
particulièrement propices à l'affirmation de nos idées. Au demeurant, je suis
persuadé que tous ici, quelles que soient les travées sur lesquelles nous
siégeons, nous avons en tête la même conception.
Ainsi, après ce moment de consensus, chacun reprendra logiquement sa route.
Bien sûr, pour que nous sachions faire vivre ce nouveau cadre, il est une
condition essentielle : après que nous aurons fait évoluer les règles, les
procédures, il nous faudra faire évoluer nos comportements. La réforme serait
vaine faute de la volonté des députés et des sénateurs d'exercer leurs
prérogatives : cette vérité d'évidence doit être rappelée.
Si l'on veut que les commissions des finances, en particulier, s'acquittent
pleinement de leur mission, il leur faut plus de moyens d'expertise. Ils sont à
notre portée, et la nouvelle loi organique leur conférera tout leur intérêt.
Sans doute faudra-t-il que les assemblées parlementaires aient le courage,
elles aussi, de se réformer, c'est-à-dire de bien affecter leurs moyens à ce
qui est utile et à ce qui est permanent.
M. Roland du Luart.
Tout à fait !
M. Philippe Marini.
Ce sera notre affaire, monsieur le président, si je puis me permettre de le
dire avec quelque solennité dans cet hémicycle.
Bien entendu, au-delà de la mise en oeuvre des moyens d'expertise externes,
par la mise en concurrence des organes d'information économique - instituts de
prévision et de conjoncture - et des économistes, nous devrons disposer,
notamment à la commission des finances, de collaborateurs en nombre un peu plus
important, car l'excellence de ceux qui travaillent aujourd'hui pour nous ne
saurait compenser la modicité de leur effectif. Mais je ne voudrais pas être
accusé de faire du corporatisme : d'autres commissions peuvent émettre les
mêmes revendications. Cela étant, monsieur le président, à effectif global
inchangé, en tout cas au sein de notre assemblée, on doit pouvoir faire les
bons choix pour permettre à ce texte de vivre comme il convient.
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Philippe Marini.
Naturellement, il faudra aussi que les parlementaires sachent que leur
honneur, la manière dont ils seront jugés comme la manière dont ils se jugeront
eux-mêmes - ce qui est sans doute au moins aussi important - dépendent dans une
large mesure de leur capacité à exercer leurs responsabilités avec le souci de
l'intérêt général et de l'ensemble du pays. Cela suppose un certain esprit
d'abnégation. Ce n'est pas en faisant de l'électoralisme ou du corporatisme que
l'on peut faire avancer la machine publique ! C'est en y mettant tout son coeur
!
Je suis certain que le présent texte sera un adjuvant permettant à tous ces
moyens de se mettre en place.
Dans cet esprit résolument optimiste, je suis fier, moi aussi, monsieur le
président-rapporteur, du travail que vous nous avez permis d'accomplir. Je suis
fier de cette unité de vues d'une après-midi, au moins, entre les deux
assemblées, entre le Parlement et le Gouvernement.
En cette fin de sesssion, voilà un bien beau symbole de ce que, sous cette Ve
République, le Parlement et le Gouvernement sont capables de faire. Vive la Ve
République !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste et du RDSE ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes
chers collègues, tout au long de nos travaux, l'amélioration de la gestion du
budget de l'Etat et le renforcement du caractère démocratique de nos
institutions auront constitué un souci permanent. En ce sens, la nécessité de
réformer l'ordonnance de 1959 apparaissant comme une évidence, nous ne pouvons
que nous réjouir de l'unanimité qui l'entoure.
En effet, chacun s'accordera à penser que « nécessité fait loi » et que, grâce
à de nouveaux modes d'élaboration, de discussion et de vote des projets de lois
de finances, ainsi qu'au contrôle permanent de leur bonne exécution, la gestion
des finances publiques sera plus claire, plus rigoureuse, plus efficace en
somme.
Déjà, lors de la discussion en première lecture de la proposition de loi
organique relative aux lois de finances, j'avais énoncé trois principes
indispensables à la mise en oeuvre et au succès de cette réforme :
l'efficacité, la transparence et la responsabilité. Je me félicite de retrouver
ces principes essentiels dans le texte aujourd'hui soumis notre discussion.
Je tiens à souligner, sans entrer dans le détail des modifications apportées
par l'Assemblée nationale, que celle-ci est très peu revenue sur le texte voté
par le Sénat. J'ajoute que les onze amendements qui ont été déposés par la
commission des finances du Sénat visent au perfectionnement de l'écriture des
articles concernés : autant dire qu'ils concernent moins le fond que la
forme.
Néanmoins, si je ne doute pas de la perfectibilité d'un texte que le temps et
la réflexion ne manqueront pas d'affiner, je reste attaché avant tout - comme
vous, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le président de la commission - à
l'aboutissement de cette trente-septième tentative de réforme, puisque c'est
l'ambition commune à la très grande majorité des élus de la nation, fait assez
rare pour que nous ne manquions pas ce moment !
A ce titre, je tiens à remercier nos collègues députés, en particulier mon ami
Didier Migaud, d'avoir tenu compte du travail important effectué sur ce dossier
par le Sénat et notamment par notre rapporteur, M. le président Lambert.
Monsieur le président de la commission, je tiens d'ailleurs à vous remercier
des propos aimables que vous avez tenus à mon égard.
Aussi, je formule ici le même souhait que celui que j'exprimais déjà en
commission mardi dernier : trouvons ensemble, et dès aujourd'hui, un accord qui
permettra le vote conforme que nous souhaitons tous, car je crois fermement que
ce choix sera celui de la sagesse et de la raison. Je compte, une fois de plus,
sur le sens des responsabilités de chacun d'entre nous pour que, dès ce soir,
nous parvenions à l'élaboration de cette nouvelle « constitution financière »
de la France.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, nous voici pratiquement parvenus au terme de la discussion de
la proposition de loi organique relative aux lois de finances.
Le groupe communiste républicain et citoyen a tenu à marquer un certain nombre
de priorités.
La première de ces priorités est la nécessité de réformer effectivement
l'ordonnance organique de 1959. Celle-ci, néfaste dès l'origine, a vu, avec le
temps, ses effets pervers s'aggraver. C'est pourquoi nous n'avons cessé d'en
demander l'abrogation.
Nous ne pouvons, en effet, que souligner de nouveau ce qu'a pu représenter et
ce que représente encore cette ordonnance en termes d'atteinte aux droits du
Parlement et de prééminence excessive du pouvoir exécutif quant à la
détermination des grands choix budgétaires.
Pour nous, la discussion de cette proposition de loi organique pouvait être un
moment essentiel de l'avancée des droits du Parlement et de rééquilibrage des
pouvoirs, favorisant un dialogue plus constructif et plus dynamique entre les
institutions, au moment même où des enjeux importants sont fixés pour le moyen
terme, parmi lesquels ceux de la construction européenne, mais aussi ceux de la
satisfaction de nombreux besoins collectifs.
La deuxième priorité était donc de permettre au débat sur les termes de la
proposition de loi de concevoir l'outil technique nouveau, démocratique,
lisible, susceptible de faciliter à l'avenir un débat budgétaire au plus près
des exigences et des objectifs que l'on peut fixer à l'action publique,
notamment celui de répondre aux besoins des habitants de notre pays.
Après plusieurs heures de débat, cet outil fondé sur des droits réels nouveaux
du Parlement n'apparaît toujours pas. Ce texte, que l'on va d'ailleurs tenter
de promulguer au plus vite, en décourageant autant que faire se peut toute
velléité de modification, ne fait pas véritablement de place à un renforcement
des droits du Parlement.
Nous avons un peu l'impression d'être face à un texte où l'on a « sophistiqué
» quelque peu l'outil permettant de limiter encore plus les droits du
Parlement, dès lors que nous appréhendons la proposition de loi sous le double
éclairage de la question européenne et d'une recevabilité financière plus
contraignante encore qu'aujourd'hui.
Vous m'objecterez sans doute qu'il existe une nouvelle définition des lois de
règlement et une démarche de programmation budgétaire plus ouverte.
Même si les apparences sont sauves, avec une nouvelle définition des lois de
règlement et une démarche de programmation budgétaire apparemment plus ouverte
que par le passé, nous sommes plus près d'un renforcement du contrôle tatillon
de la dépense publique que d'un véritable renforcement de l'initiative
parlementaire.
Devrions-nous nous satisfaire d'une réforme de l'ordonnance faisant des deux
assemblées une sorte de « Cour des comptes » élue, sans autre rôle que celui de
valider des politiques budgétaires restrictives, y compris dans des périodes de
croissance économique avérée ?
En effet, l'enjeu principal du débat ne réside manifestement pas dans l'exposé
de la technique budgétaire déclinée tout au long des articles de la proposition
de loi.
Il réside plutôt dans ce que sous-tend le texte qui nous est présenté : une
réforme de l'Etat dans laquelle la poursuite d'objectifs strictement
opératoires prend le pas sur le souci de répondre à l'intérêt général. Il
s'ensuit d'ailleurs une remise en question des statuts des agents du secteur
public et la mise en déclin de la dépense publique.
Nous sommes aujourd'hui en présence d'une proposition de loi organique qui
conduira en effet inexorablement à réduire comme peau de chagrin l'intervention
publique, ce qui ne manquera pas, au demeurant, de poser au citoyen quelques
questions.
L'on peut attendre de la mise en oeuvre de la présente proposition de loi
organique qu'elle conduise à la publication de lois de finances sans déficit
public excessif, selon la terminologie bien connue ; mais on peut aussi
attendre du débat budgétaire qu'il nous fasse part de l'inquiétude de nos
compatriotes devant un Etat qui, à force de vouloir être modeste, ne jouera
plus qu'un rôle limité dans la vie de la nation.
Dès lors, il conviendra d'éviter que naisse et progresse ce sentiment assez
désagréable pour le citoyen-contribuable de payer des impôts producteurs
d'effets sur sa vie quotidienne, sur l'avenir de ses enfants et sur
l'environnement socio-économique en général.
Que l'on nous comprenne bien : si, après avoir donné à la Banque de France la
définition de notre politique monétaire, après avoir accepté l'encadrement des
politiques économiques par la Commission européenne, après avoir enclenché et
prolongé le processus d'abandon de souveraineté dans le domaine de la politique
étrangère et engagé la liquidation des principes du service public à la
française, on met aujourd'hui en place un outil de définition budgétaire
restrictif et limitatif, alors, il ne reste que peu de place au pouvoir réel du
Parlement.
Nous avons eu l'occasion, lors du débat d'orientation budgétaire, de faire
valoir toute la portée réelle de la dépense publique, de mettre en évidence que
les objectifs de saine gestion des deniers publics ne sont pas incompatibles
avec une mobilisation de la dépense susceptible de contribuer à la
croissance.
Cette proposition de loi organique, dans son essence, ne permet que de graver
dans le marbre des principes de déclin de la dépense publique, déclin à la fois
en volume et aussi en qualité. Elle est en effet fondée sur une certaine forme
de renoncement à peser, par l'intervention publique, sur le cours des
choses.
Dans les termes qui sont aujourd'hui les siens, nous ne pouvons évidemment
l'adopter, quand bien même nous reconnaîtrions à ceux qui défendent cette
réforme une certaine constance dans l'effort, la discussion ayant été lancée de
longue date au travers de multiples rapports et missions d'information.
Mais nous sommes aussi obligés de reconnaître qu'ils ont voulu, dans le cadre
de ce débat, porter dans la loi organique ce qui a fait leur
vade mecum
des derniers débats budgétaires, c'est-à-dire la volonté de réduire la
dépense publique, préalable nécessaire et incontournable à la baisse des
impôts.
(M. le président de la commission fait un signe de
dénégation.)
Devrions-nous, dès lors, renoncer définitivement à une dépense publique
active, susceptible de gagner en capacités de redistribution et en efficacité,
au motif que nous aurions adopté une loi organique encourageant plutôt à serrer
les cordons de la bourse ?
Le débat budgétaire futur sera-t-il donc marqué par ce recul programmé de
l'action publique, laissant au seul marché le soin d'autoréguler les profondes
inégalités économiques et sociales que notre pays continue de connaître ?
Vous l'avez compris, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat,
monsieur le ministre, monsieur le président-rapporteur de la commission des
finances, nous voterons contre cette proposition de loi organique.
M. Roland du Luart.
C'est une surprise !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat,
monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en vue de la deuxième lecture au
Sénat de la proposition de loi organique relative aux lois de finances, je
souhaite rappeler ce qu'a été notre vision de ce texte. Dans cette loi
organique relative au Sénat, le rôle de notre assemblée aura été
déterminant.
Après d'autres pays, la France a, à son tour, perçu la nécessité de moderniser
la gestion budgétaire de l'Etat.
Il est apparu nécessaire d'en finir avec une conception archaïque de la
pratique budgétaire, conception qui tient en deux affirmations.
Tout d'abord, aux yeux des gestionnaires et de nous-mêmes, trop souvent, le «
bon budget » ministériel est celui qui augmente plus que l'ensemble des crédits
et dépenses publiques. Peu importe que cette augmentation soit réellement
nécessaire au vu des finalités d'intérêt général servies par ces crédits.
Ensuite, le budget bien exécuté est celui qui a épuisé ses crédits. Peu
importe que les crédits aient été utilisés à bon escient ou gaspillés : la
culture du « taux de consommation » fait de ce critère l'un des plus essentiels
dans le jugement porté sur une gestion.
Or la France est dans une situation de déficit et de dette publics encore
élevés, et l'enjeu d'utiliser de façon optimale toute ressource prélevée sur le
contribuable apparaît fondamental aux yeux de tous.
C'est cet enjeu partagé qui est à l'origine de la réforme en France. On
considère aujourd'hui que, pour parvenir à cet objectif, il faut réformer
l'Etat et que, pour pouvoir réformer l'Etat, il faut enclencher un cercle
vertueux, qui passe par la réforme de la procédure budgétaire.
Le budget est sans doute l'outil politique le plus important. Sa rénovation ne
présume en rien de l'utilisation qui peut en être faite. Il peut servir une
politique, de droite comme de gauche.
C'est pourquoi la réforme en cours en France fait l'objet d'un processus
consentuel. Le dialogue s'est établi entre la droite et la gauche, entre le
Gouvernement et le Parlement, entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Le
Président de la République a apporté son soutien à la démarche, de même que les
présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le Premier ministre Lionel
Jospin a fait de même, ainsi que son prédécesseur, Alain Juppé, devant notre
commission des finances.
Pour en dessiner les contours, puis pour la mettre en oeuvre, un travail
intense s'effectue entre le Parlement et le Gouvernement, entre les services de
l'exécutif et ceux du législatif et, au sein des ministères, dans les groupes
de travail qui réfléchissent déjà à ses conséquences concrètes.
Dès juillet 1997, le président de la commission des finances, M. Alain
Lambert, avait rédigé pour le journal
Le Figaro
un article dans lequel
il déclarait que le moment de réformer l'ordonnance de 1959 était venu.
Laurent Fabius et Didier Migaud à l'Assemblée nationale, puis le Gouvernement
ont entamé des démarches, d'abord parallèles, qui se sont rapidement
rencontrées pour travailler à une réforme qui a pour but final d'utiliser au
mieux l'argent prélevé sur les Français.
Elle s'est donnée deux objectifs intermédiaires : moderniser la gestion
publique pour réformer l'Etat et rénover le rôle du Parlement dans la procédure
budgétaire.
A nos yeux, ces deux objectifs sont liés.
La réforme est souvent présentée comme une sorte d'échange de bons procédés
entre le Gouvernement et le Parlement : le Gouvernement bénéficierait de plus
de liberté dans l'exécution du budget. En contrepartie, le Parlement verrait
son influence s'accroître sur l'élaboration et son information serait de
meilleure qualité.
En fait, il s'agit moins d'un échange entre le Parlement et le Gouvernement
que d'un tout cohérent.
C'est bien parce que les comptes de l'Etat ne sont pas convenablement
présentés en prévision, comme en exécution, que l'autorisation parlementaire a
peu de portée et que le Parlement est mal informé.
C'est aussi parce que le regard du Parlement a perdu de son acuité que les
administrations n'ont pas été encouragées à se réformer.
La conception des rôles respectifs du Parlement et du Gouvernement est, à nos
yeux, celle d'un strict partage des rôles.
Au Gouvernement reviennent l'initiative et la gestion, c'est-à-dire la
construction du budget et son exécution. Au Parlement reviennent l'autorisation
et le contrôle, c'est-à-dire le consentement à l'impôt, éclairé par le jugement
de ce qui est fait du produit de cet impôt.
Au sujet de la modernisation de la gestion publique, notre thèse est que
celle-ci dépend de la construction de la loi de finances.
C'est dans la loi de finances de l'année que se trouvent les éléments d'une
gestion moderne, et, en particulier, quatre éléments principaux.
En premier lieu, la budgétisation orientée vers les résultats : désormais, au
lieu de voter sur des crédits conçus comme de purs moyens, le Parlement votera
sur des programmes et des missions, ensembles de crédits orientés vers les
finalités de l'action publique, associés à des indicateurs de performance.
En deuxième lieu, une meilleure prise en compte de la pluriannualité :
l'autorisation de dépenses
stricto sensu
restera annuelle, mais la
commission des finances du Sénat insiste pour que la dimension pluriannuelle
soit prise en compte du point de vue des projections, comme de celui de la
gestion.
Du point de vue des projections, nos engagements européens, conjugués avec
certains phénomènes lourds - la dette publique, le statut de la fonction
publique, les perspectives démographiques - militent absolument pour que les
décideurs publics sachent où ils vont à moyen terme lorsqu'ils prennent des
décisions aujourd'hui.
Du point de vue de la gestion, il est certain que, contrairement à l'adage
traditionnel, il vaut souvent mieux dépenser demain ce que l'on pourrait
dépenser aujourd'hui. Les gestionnaires doivent, certes, bien calibrer leurs
besoins, mais ils doivent être encouragés à se soucier au mieux de la
trésorerie de l'Etat.
En troisième lieu, le passage à une comptabilité moderne : le budget de l'Etat
restera établi en comptabilité de caisse, mais il sera exécuté en droits
constatés, de façon que la comptabilité prenne en considération tout le
patrimoine de l'Etat. En outre, pour satisfaire à la mesure de leurs
performances, et, donc, de leurs coûts, les administrations devront construire
leur comptabilité analytique.
En quatrième lieu, une meilleure information du Parlement : ces prévisions et
cette gestion doivent être retranscrites à son attention en termes exhautifs et
clairs. Bien entendu, c'est une exigence démocratique, mais le maintien d'une
information lacunaire pour le Parlement signifierait très probablement que
l'exécutif lui-même n'a pas forgé tous les outils nécessaires à son propre
pilotage de l'Etat.
Au sujet de la rénovation des pouvoirs budgétaires du Parlement, nous plaçons
la modernisation de la gestion publique au coeur du rééquilibrage des pouvoirs
budgétaires.
La réforme contient six éléments principaux de ce point de vue.
Premièrement, s'agissant de la fongibilité des crédits, il convient de
simplifier la nomenclature budgétaire et de rendre les crédits fongibles à
l'intérieur des programmes, afin de favoriser l'autonomie et la responsabilité
des gestionnaires, qui doivent rendre compte, à terme, de leurs résultats.
Deuxièmement, en ce qui concerne l'universalité des lois de finances, il est
essentiel, du côté du Parlement, que tout ce qui est financé par prélèvement
obligatoire d'Etat soit porté à sa connaissance et autorisé par lui. Un des
objectifs importants de la réforme sera, selon nous, de rétablir le
consentement éclairé à l'impôt, même si le bénéficiaire de cet impôt n'est pas
directement l'Etat, mais un de ses démembrements.
Troisièmement, de façon connexe, un principe de sincérité budgétaire sera
solennellement affirmé, et la Cour des comptes devra certifier les comptes
exécutés. La sincérité signifiera que le Gouvernement établira un budget juste
compte tenu des éléments en sa possession et que sa comptabilité reflétera une
image fidèle de la situation réelle de l'Etat.
Quatrièmement, le principe du respect des autorisations parlementaires est
affirmé. La budgétisation orientée vers les résultats doit donner davantage de
liberté aux gestionnaires dans la gestion de leurs moyens. En revanche, dans ce
cadre, il doit être strictement interdit à l'exécutif de redéfinir seul les
objectifs de politique publique, sans autorisation parlementaire préalable.
Cinquièmement, il est indispensable de rénover le contrôle parlementaire pour
parvenir à mettre en oeuvre la réforme de façon effective. En effet, affirmer
un principe de gestion fondée sur la performance et les résultats restera
lettre morte si aucun regard extérieur ne vient juger de ces performances et de
ces résultats. La Cour des comptes le fera pour ce qui concerne la régularité
de la gestion, mais seul le Parlement est habilité à mener l'évaluation des
politiques publiques, qui est une action politique par essence.
Enfin, sixièmement, cette rénovation des relations entre l'exécutif et le
législatif passe par une modernisation des rendez-vous parlementaires en
matière budgétaire.
Au printemps, il conviendra ainsi de débattre des orientations budgétaires de
l'année
n + 1
en examinant les comptes de l'année
n - 1.
Il
conviendra de débattre aussi des objectifs de l'action publique à la lumière de
ses résultats. A l'automne, comme l'a proposé notre excellent rapporteur
général Philippe Marini, il nous faudra débattre de l'ensemble des prélèvements
obligatoires. Et pour le vote du budget, nous devrons discuter et voter chaque
mission.
Mes chers collègues, je suis convaincu que la modernisation de la gestion des
finances publiques ne passe plus par la mise à l'écart du Parlement, comme
après-guerre elle passe au contraire par sa réintégration, non dans la
nostalgie d'un passé qui n'a pas toujours été glorieux, mais en vue d'un avenir
qui ne doit être guidé que par l'intérêt de notre peuple.
C'est la raison pour laquelle le groupe des Républicains et Indépendants
votera, à l'unanimité, un texte qui honore le travail du Parlement.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des propositions de loi, la discussion des
articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont
pas encore adopté un texte identique.
Article 1er A