SEANCE DU 12 JUIN 2001


M. le président. « Art. 27. - Les lois de finances présentent de façon sincère, compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler, l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 90, M. Lambert, au nom de la commission des finances, propose de rédiger ainsi cet article :
« Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 200, présenté par M. Charasse, et tendant à compléter in fine la première phrase du texte proposé par cet amendement par les mots suivants : « telles qu'elles sont évaluées au dépôt du projet et rectifiées, s'il y a lieu, pendant sa discussion par le Parlement ».
Par amendement n° 263 rectifié, MM. Fréville, Arthuis et Badré proposent de compléter l'article 27 par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette présentation doit être cohérente avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le programme résultant des engagements européens de la France et l'ensemble des informations et prévisions économiques et financières fournies au Parlement. Un rapport spécifique de cohérence est joint à tout projet de loi de finances. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 90.
M. Alain Lambert, rapporteur. Nous commençons bien cette séance de nuit avec un si beau principe, celui de la sincérité !
L'amendement de la commission des finances est modeste puisqu'il est rédactionnel : il vise à distinguer la sincérité d'une loi de finances et la manière dont elle s'apprécie.
Si le principe de sincérité doit être affirmé de manière générale, il convient, en revanche, de tenir compte des informations disponibles afin d'en apprécier le respect. On voit là toute la sagesse sénatoriale !
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre le sous-amendement n° 200.
M. Michel Charasse. L'amendement de M. le rapporteur étant, selon lui, rédactionnel, mon sous-amendement tend à insérer une précision dans son amendement rédactionnel.
Mon souci est, en fait, d'éviter toute difficulté d'interprétation ultérieure du mot « sincère » de la part du Conseil constitutionnel. C'est en effet une notion très subjective qu'on ne sait pas trop comment interpréter.
Je vise aussi, au travers de ce sous-amendement, la possibilité - c'est une situation que nous avons connue, mes chers collègues, il n'y a pas très longtemps pour le collectif budgétaire - d'ajustements en cours d'année de prévisions de sincérité. La rédaction que je propose rappellera donc aux uns et aux autres, et en particulier à M. le président Lambert, des souvenirs assez récents.
M. le président. La parole est à M. Fréville, pour défendre l'amendement n° 263 rectifié.
M. Yves Fréville. Cet amendement vise, au fond, à présenter un corollaire au principe de sincérité, qui a d'ailleurs été largement débattu à l'Assemblée nationale : le principe de cohérence.
En effet, si nous avons à examiner la loi de finances, nous avons aussi à discuter en même temps de la loi de financement de la sécurité sociale, soit deux textes qui doivent eux-mêmes être coordonnés avec la prévision triennale présentée devant les institutions européennes et avec un ensemble d'informations à caractère économique et financier fournies au Parlement, tant en matière de résultats qu'en matière de prévisions.
La difficulté vient de ce que chacun de ces textes, chacune de ces informations est présenté avec des règles spécifiques. Les nomenclatures comptables sont différentes, les systèmes comptables sont également distincts. Dans le présent texte, il y a au moins quatre systèmes de comptabilité : une comptabilité générale, une comptabilité budgétaire, une comptabilité analytique et une comptabilité nationale, à laquelle la commission fait, à très juste titre, référence.
Et, naturellement, quand on examine le problème des ressources ou celui des déficits, on a sans arrêt à se poser la question de la cohérence du passage d'une information à une autre.
Je donne un exemple : le passage du solde d'exécution de la loi de finances à la capacité de financement de l'Etat dans les comptes de la nation donne lieu à une page d'ajustements en tout genre.
Tous ces documents doivent donc être coordonnés. Voilà pourquoi je pense que le principe de cohérence mérite d'être posé et qu'un rapport de cohérence permettrait de faire la lumière sur l'articulation de tous les systèmes informant le Parlement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 200 et sur l'amendement n° 263 rectifié ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Quand on a la chance d'avoir un collègue aussi éminent que Michel Charasse dans sa commission, chacun se doute bien que l'on écrit la main tremblante et que l'on parlerait presque d'une voix tout aussi tremblante.
Je fais toutefois observer à Michel Charasse que, dans le commentaire de l'article 27, qu'il a lu intégralement, nous avons indiqué que les informations disponibles doivent être appréciées au moment du dépôt du projet de loi de finances ou, le cas échéant, pendant la discussion dudit projet si des événements majeurs rendaient infondées certaines des évaluations qu'il contient. La commission des finances, à laquelle il appartient, vise donc également le but qu'il cherche à atteindre au travers de son sous-amendement.
En revanche, la commission n'est pas pleinement convaincue de la nécessité de la précision que Michel Charasse souhaite apporter dans le texte de la loi organique elle-même. Il est donc probable que, après avoir entendu l'avis du Gouvernement, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat, au nom de la commission des finances.
S'agissant de l'amendement n° 263 rectifié, il va de soi que le principe de sincérité des lois de finances devra être apprécié au regard de plusieurs critères, en particulier celui de l'exhaustivité et de la cohérence de ses dispositions avec les autres textes et les autres engagements qui sont présentés par le Gouvernement. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs d'ores et déjà pris des décisions répondant aux griefs de l'insincérité des lois de finances, en soulignant l'insuffisante cohérence avec la loi de financement de la sécurité sociale, en l'absence de dispositions organiques.
Mais si les intentions de M. Fréville doivent être prises en compte pour apprécier la sincérité des lois de finances, la mention des différents textes avec lesquels le projet de loi doit être cohérent apparaît à la commission problématique, compte tenu de la divergence des dates entre ces différents documents. Ainsi, le programme résultant des engagements européens est transmis après le dépôt du projet de loi de finances.
Enfin, l'auteur de l'amendement mentionne notamment les difficultés qui résulteraient des différentes comptabilités utilisées par les textes qui sont mentionnés dans l'amendement.
Les avancées qui sont proposées par la commission pour développer la présentation du budget de l'Etat en droit constaté et selon les termes de la comptabilité nationale devraient déjà faciliter notre travail pour simplifier nos comparaisons.
La commission des finances, tout en partageant, je le répète, le souci de M. Fréville, se demande donc si la mention qu'il propose d'insérer est bien indispensable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 90, le sous-amendement n° 200 et sur l'amendement n° 263 rectifié ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je ne vois aucun inconvénient à ce que l'on introduise la précision apportée par le sous-amendement de M. Charasse dans le texte de la loi organique. Je suis donc favorable audit sous-amendement.
Quant à M. Fréville, j'entends bien la préoccupation qu'il exprime dans son amendement, notamment le souci de cohérence, auquel je suis très sensible.
J'avoue que ma réflexion personnelle n'est pas tout à fait aboutie sur cette question. Mais, compte tenu du fait qu'il nous reste encore quelques heures de discussion devant nous, oserai-je dire à M. Fréville que je n'exclus pas d'y revenir éventuellement dans la suite de notre débat ?
M. le président. L'amendement n° 263 rectifié est-il maintenu, monsieur Fréville ?
M. Yves Fréville. J'ai entendu les observations pertinentes de M. le rapporteur et les remarques encourageantes de Mme le secrétaire d'Etat. L'essentiel, à ce stade de la discussion, c'est que les débats parlementaires font foi pour l'interprétation de l'ordonnance organique et qu'il apparaît que, dans l'esprit de M. le rapporteur comme - je ne pense pas trahir Mme le secrétaire d'Etat -, dans celui du Gouvernement, la cohérence est partie intégrante du principe de sincérité.
Sous cette réserve, qui, à mon avis, a son poids, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 263 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 200, accepté par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 90, ainsi modifié.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 27 est ainsi rédigé.

Article additionnel après l'article 27