SEANCE DU 31 MAI 2001
M. le président.
Par amendement n° 1, M. Charasse propose d'insérer, après l'article 6
bis,
un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Il est institué une mesure de réparation en faveur des orphelins dont
les parents ont été victimes, pendant la guerre de 1939-45, de persécutions en
raison de leur race ou de leurs opinions ou en raison d'actions de courage et
de dévouement et qui ont trouvé la mort dans les camps de déportation.
« Cette mesure de réparation est attribuée dans les conditions prévues par le
décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour
les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites.
« II. - Les tarifs des droits sur les tabacs sont augmentés à due concurrence
pour couvrir les dépenses résultant du paragraphe I ci-dessus. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Cet amendement reprend en fait purement et simplement, à une modification
près, une proposition de loi qui a été déposée voilà quelques mois par les
membres du groupe socialiste de cette assemblée.
Il s'agit d'une question douloureuse, qui pourrait donner lieu à des
développements exagérés et gênants pour tout le monde. J'essaierai donc d'être
sobre.
Un décret du 13 juillet 2000 a institué une indemnisation pour les orphelins
des déportés juifs qui sont morts dans les camps de concentration. Le champ
d'application de cette mesure a été limité aux seuls enfants des déportés
juifs, et il est apparu choquant à beaucoup de citoyens, de responsables et de
personnes qui ont vécu et souffert à la même époque que l'on semble créer
plusieurs catégories de déportés.
Certes, il est vrai qu'il existe plusieurs catégories de déportés, puisque
tous ceux qui ont été déportés ne l'ont pas été pour le même motif, et que le
plus horrible était certainement la déportation des Juifs, puisqu'on déportait
ceux-ci pour des raisons raciales, mais il y avait aussi les Tsiganes, les
Noirs, etc., et, par ailleurs, tous ceux qui ont été déportés pour une autre
raison, en particulier parce qu'ils se battaient dans le camp de la liberté.
Pour ma part, je suis tout à fait d'accord pour faire une distinction entre
les déportés au motif que différentes causes peuvent être à l'origine de la
déportation - même si le nazisme était la cause première - mais quant à faire
une distinction à l'instant final où, après l'horreur, on a rendez-vous avec la
mort !... Excusez-moi, mais à cet instant, et pas seulement dans les camps de
concentration, tous les déportés sont égaux !
Mes amis et moi-même - même si j'ai déposé cet amendement à titre personnel -
avons pensé, en élaborant la proposition de loi que j'ai évoquée, qu'il fallait
étendre cette mesure à l'ensemble des orphelins de ceux qui ont été déportés.
L'amendement est d'ailleurs légèrement différent de la proposition de loi,
puisque cette dernière visait également les personnes qui étaient mortes dans
les camps de prisonniers : ici, il s'agit uniquement de la déportation.
Le Conseil d'Etat a été saisi du décret du 13 juillet 2000 et il s'est bien
gardé de soutenir, même s'il l'a validé, la distinction opérée entre les
déportés. Il a simplement dit ceci : le Gouvernement a parfaitement le droit de
créer une prestation nouvelle - personnellement, je le conteste, et la
commission des affaires sociales aussi, me semble-t-il, puisque l'article 34 de
la Constitution précise bien que la création des prestations relève de la loi -
et, par ailleurs, le fait de réserver le bénéfice de cette mesure à une
catégorie particulière ne porte pas atteinte au principe d'égalité puisque,
demain, on pourra très bien l'étendre à d'autres catégories.
Par conséquent, le Conseil d'Etat n'a pas approuvé, contrairement à ce que
l'on essaie de faire croire, la distinction que l'on a tenté d'opérer, pour de
sordides raisons budgétaires, entre les catégories ; il a simplement dit que
l'on pouvait faire une chose maintenant et que, demain, on pourrait en faire
une autre.
Mon amendement a deux objets que je n'évoquerai pas par ordre d'importance, la
forme étant abordée avant le fond.
Il tend, tout d'abord, à rétablir les prérogatives du Parlement : la troisième
partie de l'article 34 de la Constitution prévoit qu'une prestation de ce genre
ne peut être créée que par la loi, ses modalités et son montant relevant du
règlement.
En ce qui concerne maintenant le fond, il s'agit d'affirmer que le Parlement,
qui a aussi le souci de la vérité et du devoir de mémoire, ne peut pas accepter
une distinction aussi injuste, un tri parmi les souffrances. Même si nous
savons parfaitement que la déportation des Juifs a été massive, horrible et a
entraîné des conséquences abominables, nous savons aussi que des personnes
relevant d'autres catégories, pour des raisons raciales ou parce qu'elles
étaient simplement dans le camp de la liberté, sont mortes en déportation dans
les mêmes conditions et après les mêmes souffrances.
Par conséquent, l'amendement n° 1 tend simplement à prévoir que les orphelins
des uns et des autres auront droit à la même indemnisation.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
M. Charasse a très bien exposé les motifs de son amendement.
On me permettra donc de faire mienne son argumentation et de ne pas m'étendre
plus avant sur le décret du 13 juillet 2000.
L'extension de la mesure aux orphelins de toutes les victimes des persécutions
nazies mortes en déportation entre 1939 et 1945, sans distinction, est apparue
tout à fait légitime à la commission des affaires sociales.
Je rappelle au passage, mes chers collègues, que M. Marcel Lesbros, au moment
de l'examen du projet de loi de finances, avait formulé les mêmes remarques et
déposé également un amendement en ce sens, en demandant au Gouvernement de nous
présenter un rapport faisant état des indemnités ayant été versées à des
personnes qui se trouvaient dans la situation que j'ai évoquée sans être visées
par le décret du 13 juillet 2000, puisque le Gouvernement s'était opposé à une
initiative de même nature en faisant valoir que des dispositions générales
existaient.
Pour l'heure, toutefois, aucun bilan ne nous a été présenté sur l'application
de ces dispositions générales à tous les orphelins de déportés. Sans doute les
indemnités sont-elles inexistantes, ou d'un niveau si faible qu'il est
difficile de faire ressortir des éléments tangibles.
C'est la raison pour laquelle, sur le fond, l'amendement n° 1 nous apparaît
justifié.
Toutefois, monsieur Charasse, il ne vous aura sûrement pas échappé que votre
amendement reposait sur des bases assez fragiles. Je ne m'étendrai pas sur ce
point, mais je vous suggère de le rectifier : il serait en effet, à mon sens,
préférable qu'il tende à insérer un article additionnel après l'article 19, au
titre VI, et non après l'article 6
bis
, au titre II, lequel est relatif
au fonds de réserve des retraites. Je vous propose donc, monsieur Charasse, de
modifier votre amendement dans ce sens.
M. Michel Charasse.
Cela veut dire qu'on ne le voterait pas tout de suite.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Si, cela permettrait simplement de lever toute ambiguïté.
M. le président.
Monsieur Charasse, acceptez-vous la suggestion de M. le rapporteur ?
M. Michel Charasse.
Oui, monsieur le président.
M. le président.
Il s'agit donc de l'amendement n° 1 rectifié, déposé par M. Charasse et
tendant à insérer, après l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est institué une mesure de réparation en faveur des orphelins dont les
parents ont été victimes, pendant la guerre de 1939-1945, de persécutions en
raison de leur race ou de leurs opinions ou en raison d'actions de courage et
de dévouement et qui ont trouvé la mort dans les camps de déportation.
« Cette mesure de réparation est attribuée dans les conditions prévues par le
décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 instituant une mesure de réparation pour
les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites.
»
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Ce sujet très grave a récemment fait l'objet d'une
question à l'Assemblée nationale. M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à
la défense chargé des anciens combattants, y a répondu au nom du Gouvernement,
et je m'en tiendrai à la position qu'il a exposée voilà maintenant quinze jours
ou trois semaines.
Je rappelle que la France s'est préoccupée dès la Libération d'indemniser les
déportés et leurs ayants cause. Les lois de 1948 créant le statut de déporté
politique et de déporté résistant ont accordé le bénéfice, au titre du code des
pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, des pensions
d'invalidité aux victimes directes et des pensions de veuve, d'orphelin ou
d'ascendant aux ayants cause lorsque le déporté n'est pas revenu ou est mort
des suites de la déportation.
Toutes les victimes remplissant les conditions légales pour bénéficier de ce
droit à réparation et qui en ont fait la demande ont perçu ces pensions. Pour
les enfants de déportés disparus, l'indemnisation a pris la forme d'un
supplément s'ajoutant à la pension de la veuve du déporté, si celle-ci était
vivante, ou a été versée, jusqu'au vingt et unième anniversaire de l'enfant, au
tuteur désigné par le conseil de famille. Les pensions versées aux orphelins de
déportés sont de même montant que celles qui sont versées aux ayants cause de
militaires morts à la guerre.
Il a été demandé à M. le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens
combattants d'établir le bilan, au regard de cette législation, de la situation
de tous les orphelins de parents morts en déportation. Ce bilan est près d'être
achevé et sera transmis aux parlementaires prochainement.
Les éléments dont nous disposons à ce stade mettent en évidence que,
s'agissant de victimes de déportation depuis le territoire français, les seuls
à ne pas avoir bénéficié du droit à réparation seraient les orphelins de
déportés politiques de nationalité étrangère qui n'auraient pas acquis depuis
la nationalité française et dont la situation n'aurait pas été couverte par des
conventions internationales de réciprocité.
D'ores et déjà, le Gouvernement s'engage à étendre le droit à réparation prévu
par le code des pensions militaires et d'invalidité à l'ensemble des victimes
de déportation depuis le territoire français qui n'auraient pas été prises en
compte par les dispositifs existants.
Il n'est pas exclu, par ailleurs, que certains orphelins de déportés aient pu,
pour des circonstances de fait les plus diverses, ne pas bénéficier des
indemnisations auxquelles ils avaient droit. Le dispositif nécessaire pour
examiner toute situation particulière de ce type qui serait signalée sera mis
en place.
L'amendement présenté par M. Charasse vise à étendre non pas ce régime de
réparation, qui doit concerner tous les orphelins de déportés, mais
l'indemnisation spécifique instituée par le décret du 13 juillet 2000 pour les
orphelins de déportés juifs.
M. Michel Charasse.
C'est exact !
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Cette indemnisation découle de la reconnaissance, par
les plus hautes autorités de l'Etat, de la responsabilité de la France dans les
persécutions et la déportation des Juifs de France, et pour la situation
spécifique qui en a résulté pour les orphelins de déportés juifs.
Mise en place en suivant les recommandations de la commission, présidée par M.
Mattéoli, chargée d'étudier les mesures de spoliation dont avaient été victimes
les Juifs de France et de proposer des mesures afin de les compenser, elle
répond de façon spécifique à la situation particulière des enfants juifs
orphelins de la déportation.
Frappés par les lois antisémites au même titre que les adultes, ces enfants
ont été contraints de porter l'étoile jaune, ont été implacablement traqués et,
pour ceux d'entre eux qui ont eu la chance d'échapper à la déportation, ont été
séparés de leur parents, cachés dans des institutions ou par des particuliers,
avec la nécessité de changer d'identité et souvent d'abandonner leur scolarité,
pour découvrir, à la Libération, que la quasi-totalité des membres de leur
famille avait été exterminée.
Le Conseil d'Etat, saisi par plusieurs particuliers d'un recours contre le
décret du 13 juillet 2000, a jugé, par sa décision du 6 avril 2001, que
l'attribution de cette indemnité ne constituait pas une rupture d'égalité de
traitement entre les différentes catégories d'orphelins de déportés, mais était
une réponse exceptionnelle à une situation exceptionnelle qui était celle d'une
« politique d'extermination systématique qui s'étendait même aux enfants ».
M. Michel Charasse.
Et les Noirs ? Et les Tsiganes ? Ils ne les comptent pas, ceux-là !
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Vous avez ouvert un débat, monsieur le sénateur, et
j'argumente simplement sur deux points.
Vous avez dit tout à l'heure que l'article 34 n'était pas respecté. Pour
mémoire, je rappelle que la création de l'indemnisation a été adoptée dans le
cadre du vote de la loi de finances par le Parlement.
M. Michel Charasse.
En crédits !
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Mais, de ce point de vue, c'est tout de même un acte
législatif, qui n'est donc pas du registre du décret.
Cela étant, je serai sans doute amené à invoquer l'article 40.
Au surplus, en raison du caractère presque historique du débat que vous ouvrez
à travers votre amendement et des questions de fond qu'il soulève, le
Gouvernement ne souhaite pas que votre amendement soit adopté, monsieur
Charasse.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
M. Daniel Hoeffel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
M. Charasse, à travers cet amendement n° 1 rectifié, propose une mesure
d'équité et une mesure de justice.
Je ne conteste absolument pas le décret du 13 juillet 2000, mais j'estime que,
face à la douleur des familles victimes des mêmes déportations, il faut que
l'équité triomphe et que l'égalité soit assurée. Je le crois du fond du coeur,
l'amendement qui nous est proposé va dans la bonne direction.
M. Guy Fischer.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Michel Charasse, Alain Vasselle et Daniel Hoeffel viennent, à l'occasion de la
discussion de cet amendement n° 1 rectifié, de relancer un débat qui concerne
douloureusement un certain nombre de nos concitoyens dont le rôle a été
essentiel dans la libération de la France. Ces hommes et ces femmes ont vécu
dans leur chair la libération de la France et ils la portent encore en eux.
En tant que responsable pour notre groupe des problèmes des anciens
combattants, et comme tous les membres de la commission des affaires sociales,
j'ai été confronté à ce problème. Nous ne contestons absolument pas le décret
du 13 juillet 2000. Cependant - les parlementaires que nous sommes en sont
témoins pour avoir été interpellés vivement sur ce sujet - les orphelins de
parents morts en déportation éprouvent un vif sentiment d'injustice et
d'iniquité.
Alors que ce décret se voulait rassembleur, la distinction crée un climat qui,
si la raison ne l'emportait, pourrait susciter la division.
M. Alain Gournac.
C'est une injustice !
M. Guy Fischer.
Nous regrettons vivement que l'invocation de l'article 40 soit annoncée. Nous
aurons l'occasion de revenir sur ce problème lors de l'examen du budget du
secrétariat d'Etat aux anciens combattants.
Mais soyez assuré, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il suscite une véritable
lame de fond dans le pays, de la part de tous ceux qui ont vécu ces événements
tragiques et qui ont permis à notre génération, comme aujourd'hui, de
s'exprimer devant la Haute Assemblée.
Je suis sûr que nous sommes unanimes à soutenir l'amendement de notre collègue
Michel Charasse.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
J'ai écouté avec attention la réponse du Gouvernement. Si je comprends bien,
j'ai été saisi de deux questions : la première concerne l'éventualité du
retrait de mon amendement et la seconde, si l'invocation est confirmée,
l'application de l'article 40, pour laquelle je suis délégué par la commission
des finances. Je répondrai donc sur le premier point avant, si vous le voulez
bien, de m'exprimer sur le second.
D'une part, quels que soient les arguments employés, au moment de la mort en
déportation, il n'y a pas de différence.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Michel Charasse.
D'autre part, à supposer que le Gouvernement ait voulu traiter spécifiquement,
dans le décret du 13 juillet dernier, les actes raciaux qui ont visé les Juifs,
il ne pouvait pas, monsieur le secrétaire d'Etat, oublier ou laisser de côté
les autres actes raciaux subis par d'autres Français ou d'autres étrangers qui
étaient sur le territoire de la République.
Enfin, je trouve d'une très grande fragilité l'argument sur la responsabilité
de la France qui motiverait le décret de juillet 2000. Parce que, si la France
a été responsable - ce n'est pas mon avis et ce n'était pas non plus l'avis du
général de Gaulle, ni celui du Président de la République que j'ai servi
pendant quatorze ans, parce qu'ils savaient aussi lire l'histoire et qu'ils ne
suivaient pas les modes - elle est aussi responsable à l'égard de ceux qui ont
dû aller dans les maquis pour défendre les libertés. Car ils n'y sont pas allés
comme cela, pour le plaisir !
Par conséquent, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous le dire
sans acrimonie, c'est un argument d'une grande fragilité.
J'ajoute que c'est une manière de réécrire l'histoire. Moi qui appartiens à
une région, l'Auvergne, qui a eu des maquis réputés, célèbres ou connus, dans
lesquels, monsieur le président, des Marseillais illustres ont servi - je pense
à Gaston Defferre et à Francis Lenhardt, présent en particulier au Maquis du
Mont-Mouchet - qui suis élu d'une région qui a connu tristement cette époque,
qui suis conseiller général du canton de Chateldon - celui où habitait Laval,
qui venait y coucher tous les soirs - moi qui ai des amis, des parents, des
proches qui ont vécu cette époque difficilement - certains, pas dans ma
famille, mais dans mes proches, ont été déportés - je ne peux pas accepter que
l'on essaie de faire cette distinction.
En 2000, à la suite du rapport Mattéoli, se sont passées deux choses.
Premièrement, en juillet 2000, nous avons voté ici un texte concernant une
journée nationale à la mémoire des victimes des crimes antisémites - pas les
autres. Deuxièmement, dans la foulée, le 13 juillet, a été adopté le décret
pour l'indemnisation des orphelins juifs - pas les autres.
Je n'accepte pas que ces mesures, qui sont sans doute dictées par la
générosité, ce que je ne remets pas en cause, puissent perdurer, en finissant
par accréditer l'idée dans l'esprit du public qu'en dehors de cette souffrance,
les autres ne comptent pas, ou qu'il n'y en a pas eu d'autres.
Monsieur le président, je ne retire donc pas mon amendement.
En revanche, étant entendu que je suis délégué par la commission des finances,
si M. le secrétaire d'Etat confirme qu'il invoque l'article 40, je dirai
qu'après l'été « 40 » les intéressés sont effectivement victimes de l'article
40. Décidément, c'est un nombre qui ne leur porte pas bonheur !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le secrétaire
d'Etat, je regrette la position du Gouvernement.
M. le président.
Le Gouvernement peut évoluer, monsieur Delaneau !
M. Michel Charasse.
Oui, quand ils seront tous morts !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Peut-être mon
intervention l'y incitera-t-elle !
La commission des affaires sociales, après en avoir débattu, a très vite
adhéré à la proposition faite par notre collègue Michel Charasse.
Ceux qui avaient l'âge, même s'ils étaient encore enfants, d'être les témoins
de la fin de ce conflit, d'aller avec leurs parents, ou leur oncle ou leur
grand frère sur les quais de gare chaque fois que l'on annonçait l'arrivée d'un
convoi en provenance d'Allemagne ramenant aussi bien des prisonniers de guerre
que des déportés survivants des camps, ceux-là ne se posaient pas la question
de savoir si les personnes qui manquaient et qu'on ne voyait jamais revenir
étaient juifs ou non.
Le fait de persister dans cette distinction, alors que nombre de personnes -
certaines plus que d'autres, c'est vrai - de races extrêmement différentes, ont
souffert de cette situation continue à placer ceux que le Gouvernement a pris
en compte dans une sorte de ghetto. On continue à les « ghettoïser » en
considérant qu'ils sont à part.
M. Michel Charasse.
Il y a des arrière-pensées !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Eh bien, non ! Ils
n'étaient pas à part ; ils faisaient partie de la cohorte des citoyens qui ont
subi cette guerre et dont beaucoup n'ont pas revu certains membres de leur
famille. Ils ont appris ensuite que leurs proches avaient eu une vie
effroyable, qu'ils étaient morts sans doute dans des conditions absolument
épouvantables.
Je crois qu'il faut cesser de faire la part entre certains et les autres, car
tous ont vécu le même drame.
M. Michel Charasse.
Vive l'été 40 et vive l'article 40 ! Ah, c'est glorieux !
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, vous imaginez bien que je ne
vais pas vous annoncer un changement de position de la part du Gouvernement.
Parce que le débat ouvert est grave et concerne l'histoire collective, je
rapporterai avec précision les propos qui ont été tenus sur la nécessité de
faire la lumière sur l'ensemble de cette période.
Il est vrai que, depuis de trop nombreuses années, certaines catégories de
populations déportées, notamment pour des raisons raciales, ont été moins mises
en valeur dans la mémoire collective, quand elles n'ont pas été même
oubliées.
Il y a là un souci que je me charge de faire partager à un certain nombre de
mes collègues pour élargir notre regard.
D'ailleurs, peut-être serait-il intéressant que les assemblées elles-mêmes
prennent des initiatives pour élargir la connaissance de la réalité du sort des
différentes catégories de populations qui n'ont pas été souvent mises à
l'honneur depuis la fin de la guerre.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Des témoignages, il y
en a une bibliothèque pleine !
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Cela étant dit, monsieur le président, j'invoque
l'article 40 de la Constitution.
M. le président.
L'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Charasse,
au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Il l'est, monsieur le président.
M. le président.
L'article 40 étant applicable, l'amendement n° 1 rectifié n'est pas recevable,
au grand regret, unanime, vous l'aurez compris, monsieur le secrétaire d'Etat,
de la Haute Assemblée.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures, sous
la présidence de M. Christian Poncelet.)