SEANCE DU 30 MAI 2001
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
terme de cette discussion assez longue, je dois me féliciter, au nom de mon
groupe, de la qualité du dialogue qui s'est noué entre nous sur des sujets
sensibles à propos desquels nous avons de profondes divergences. Nous avons pu,
et c'est heureux, dialoguer sans invectives. Certes, les invectives, ce n'est
pas l'habitude de cette maison, mais cela aurait pu se faire.
Les arguments échangés m'ont paru riches dans beaucoup de cas, même si
j'aurais préféré que les dispositions qui me paraissaient les plus séduisantes
aient été plus souvent retenues.
Il y a eu, malgré tout, une véritable écoute de la part du rapporteur et, dans
certains cas, de la part de la majorité. On vient de le voir sur les
dispositions financières ; on l'a vu à propos de la délinquance des mineurs,
notamment sur le couvre-feu, que vous avez accepté de placer sous l'égide de la
protection de l'enfance et non plus de la répression, comme c'était
initialement prévu.
Cependant, trop de choses nous divisent. En raison du caractère sécuritaire du
projet de loi, qui modifie trop profondément l'esprit du texte qui est issu des
travaux de l'Assemblée nationale, comme je l'avais laissé entendre lors de la
discussion générale, notre groupe ne le votera pas.
Il ne s'agit pour nous, je le répète, ni de laxisme, ni de la découverte
tardive de la nécessité de renforcer l'action sécuritaire ; nous n'avons pas de
tabou dans ce domaine. S'il est nécessaire de renforcer l'appareil répressif,
nous l'acceptons.
Mais cette idée ne saurait servir de seule politique - ce qui, je vous le
concède, n'est pas votre cas - ni même de politique prioritaire : d'autres
moyens en amont, en matière de prévention en particulier, doivent être mis en
oeuvre.
Vous ne rejetez pas ces moyens, mais nous, nous considérons qu'ils doivent
être prioritaires, et cela constitue entre nous plus qu'une divergence.
Nous considérons en particulier que tous les mécanismes de coordination entre
les différents services de l'Etat ou des collectivités qui concourent à la mise
en oeuvre de cette sécurité doivent être renforcés et que cette coordination
doit être prioritaire. La politique mise en oeuvre par le Gouvernement en
matière de police de proximité nous semble, de ce point de vue, exemplaire.
Dans le projet de loi tel qu'il est issu des travaux du Sénat, deux points
nous semblent particulièrement inacceptables.
Le premier concerne le rôle donné au maire. On lui accorde trop de pouvoir et
pas assez de moyens. Et si les moyens étaient octroyés, nous courrions le
risque de la territorialisation de la police et d'une « shérifisation », si je
puis dire, des maires.
Le deuxième point qui nous paraît tout à fait inacceptable a trait aux
dispositions concernant la délinquance des mineurs, que ce soit le couvre-feu,
auquel j'ai déjà fait allusion, ou la pénalisation des infractions commises par
des jeunes de dix à treize ans.
En contrepoint, nous pourrions citer certaines dispositions qui nous
paraissent quelque peu laxistes, concernant les armes ou les délits de grande
vitesse sur les routes notamment.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre le texte qui émane de nos
débats.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
terme de nos travaux, les sénateurs communistes ne peuvent que regretter que le
débat sur la sécurité quotidienne ait été dominé par les réflexes sécuritaires
d'une partie de la droite sénatoriale, plus soucieuse d'affichage politique que
de solutions effectives et sereines apportées à des problèmes identifiés.
Dans mon intervention lors de la discussion générale, j'étais critique à
l'égard de la méthode des « diverses dispositions » retenue par le Gouvernement
: je me dis aujourd'hui qu'elle est sans conteste bien préférable à la
surenchère parfois caricaturale à laquelle nous avons assisté tout au long du
débat de la part de certains sénateurs de droite - heureusement pas de tous,
d'ailleurs !
Comment adhérer en effet à cette vision simpliste de la délinquance juvénile,
qui persiste à réduire celle-ci aux jeunes voyous des cités, dotés de parents,
sinon criminels, du moins gravement irresponsables, qui vont se droguer dans
des
raves parties
! Vous allez même jusqu'à leur refuser le statut
d'enfant pour les réduire à une entité pénale : le mineur.
Parce que nous sommes très préoccupés, au groupe communiste, de cette
délinquance commise de plus en plus jeune et de manière de plus en plus
violente contre les personnes, nous pensons qu'il faut se garder de toute
vision réductrice qui traiterait au même niveau extrême, sans les hiérarchiser,
les comportements incivils et les violences à l'égard des personnes. Une telle
analyse va à l'encontre de tout objectif de responsabilisation et de
réinsertion.
C'est en partant de l'idée de privilégier la resocialisation et non de rendre
un verdict de condamnation sans appel que l'ordonnance de 1945 avait choisi
d'affirmer la primauté des mesures éducatives sur le répressif. La coercition
n'a de sens en effet que si elle reste un ultime recours.
Les présidents des groupes de la majorité sénatoriale ont décidé de constituer
une commission d'enquête sur l'ordonnance de 1945. Nous ne pouvons qu'approuver
cette démarche, que nous avions nous-mêmes proposée en commission des lois.
Je le redis : il aurait mieux valu commencer par là et nous interroger sur les
conditions d'application de l'ordonnance, d'autant plus que l'ensemble des
professionnels nous disent qu'ils disposent d'une large palette de dispositions
législatives... mais n'ont pas assez de moyens pour les appliquer !
Concernant les autres amendements que vous avez votés, là non plus, nous ne
pouvons pas être d'accord.
Comment accepter le démembrement de la police nationale - car les dispositions
votées reviennent à cela - qui ferait dépendre l'importance des moyens mis en
oeuvre de la richesse d'une commune ? Comment croire que c'est rendre service
aux maires que de les instituer responsables de tout, de leur donner un pouvoir
de constitution de partie civile qui les mettrait en butte aux pressions et
risquerait de les obliger à être présents sur toutes les procédures, sauf à
être jugés négligents ? Comment penser par ailleurs que dresser l'un contre
l'autre le maire et le procureur est une bonne méthode, un bon moyen pour faire
coopérer des acteurs chargés de la sécurité ? Nous ne le pensons pas. Nous
jugeons même que c'est grave.
Pour notre part, nous défendons une conception de la République fondée sur
l'égalité de tous devant la sécurité. Or seul l'Etat peut garantir cette
égalité des citoyens.
Non ! décidément, les sénateurs communistes ne peuvent se retrouver dans le
projet de société que vous avez développé ici : une société manichéenne,
recroquevillée sur elle-même, qui croit que la solution à l'insécurité consiste
à dresser des cordons sanitaires un peu partout.
Nous refusons cette stigmatisation d'une partie de la population, d'une partie
de notre jeunesse. Nous refusons cette société fondée sur la peur et
l'exclusion que vous nous proposez.
En conséquence, nous voterons contre le texte.
M. Jean Chérioux.
Alors, vous refusez le goulag, car c'est le goulag que vous êtes en train de
décrire !
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, je pensais que l'adjectif « sécuritaire », qui sonne
comme un reproche dans la bouche de ceux qui ne se sentent pas concernés par
l'insécurité, avait disparu de nos enceintes. Nous avions en effet constaté
avec bonheur que la sécurité devenait une priorité du Gouvernement, ce qui
n'avait pas toujours été le cas, et qu'elle constituait une des conditions,
voire la condition, selon l'Assemblée nationale, de l'exercice des libertés
publiques.
Le débat méritait mieux que des invectives. Celles-ci, c'est vrai, ont été peu
nombreuses et nous avons pu discuter d'un certain nombre de problèmes
importants.
Le terme « sécuritaire » ne me plaît pas beaucoup, mais je suis attaché à ce
que la sécurité soit assurée.
Le texte du Gouvernement comporte des mesures quelque peu disparates. Il en
est qui sont bonnes ; nous l'avons constaté cet après-midi, en particulier sur
la sécurité des paiements par cartes bancaires. Nous avons également réglé
différentes questions relatives à la liaison transmanche, aux animaux errants -
vieux problème qui agitait nos collectivités et que celles-ci ne savaient
comment résoudre -, au statut des agents de la police nationale, notamment des
adjoints de sécurité tués ou blessés en service commandé. Les dispositions
prises dans ces domaines ont fait l'objet d'un consensus.
J'en viens à la préoccupation principale de nos concitoyens : la sécurité.
En dépit des déclarations faites sur la police de proximité, ils ont
l'impression que la sécurité n'est pas toujours parfaitement assurée. Cette
impression est renforcée par les réelles difficultés qu'ils rencontrent tous
les jours, que nous constatons nous-mêmes, et surtout pas des événements
graves, qui sont repris et amplifiés par les médias, mais qui ne sont pas
toujours nouveaux, contrairement à ce que disent certains.
La commission des lois a souhaité introduire dans le projet des mesures
extrêmement précises visant à mieux associer les maires à la sécurité. S'il est
vrai, comme l'a dit le ministre de l'intérieur, que les collectivités et
d'autres organismes doivent être coproducteurs de sécurité, encore leur faut-il
un produit commun, sans lequel il ne peut y avoir de coproduction.
Personnellement, je reste attaché à la responsabilité de l'Etat dans ce
domaine.
En effet, il serait extrêmement dangereux que des distorsions s'instaurent
entre les différentes collectivités, certaines communes bénéficiant, par
exemple, d'une police territoriale, alors que d'autres n'en auraient pas. Je
suis profondément hostile à une coproduction qui irait dans ce sens, car elle
se ferait au détriment de l'égalité des citoyens.
Jusqu'à présent, le maire était un peu considéré comme un partenaire qui
donnait, mais ne recevait rien en contrepartie. Il est indispensable de
l'impliquer davantage dans la définition des politiques en matière de
sécurité.
Cette idée n'est pas nouvelle. En 1998 déjà, dans le rapport que j'avais fait
avec Roland Carraz, j'avais écrit, s'agissant des contrats locaux de sécurité,
que le maire devait être un décideur et non plus un simple partenaire. Il y a
encore des efforts à faire pour que le maire ait vraiment des responsabilités
en matière de sécurité.
J'en viens à un autre thème mis en avant par la commission des lois, celui de
la délinquance des mineurs.
Je l'ai dit et je le répète, les mesures qui ont été votées ne permettront pas
de résoudre les problèmes qui se posent. D'ailleurs, certaines d'entre elles ne
s'intègrent pas dans un ensemble.
Si elles sont un signal pour montrer que nous faisons un travail de fond
sérieux, pourquoi pas ? Il est extrêmement important que nous mettions à plat
ces problèmes, que nous cherchions des solutions appropriées, que nous
réfléchissions à des structures plus adaptées à la détention des mineurs
délinquants que les maisons d'arrêt, même pour une détention provisoire. Si
l'on avait écouté le Sénat et si certains grands délinquants avaient été placés
dans des établissements pour peine plutôt que dans des maisons d'arrêt, le
drame qui s'est produit dernièrement aurait peut-être été évité. Cela prouve
qu'on devrait lire davantage les propositions du Sénat !
Nous devons travailler sérieusement sur ce problème de la délinquance des
mineurs afin d'impliquer tous ceux - ils sont très nombreux - qui interviennent
dans ce domaine et qui me paraissent avoir une efficacité relative. Et si, bien
entendu, nous ne sommes nullement hostiles à la totalité des dispositions qui
ont été adoptées en ce domaine, nous pensons aussi que les mesures proposées
sont tout à fait insuffisantes.
Nous voterons le texte du projet de loi tel qu'il émane des travaux du Sénat,
tout en regrettant qu'un travail de fond n'ait pas été mené depuis longtemps
sur la délinquance des mineurs. « Sécuritaires » ou non, si nous ne réglons pas
les problèmes, le ressentiment de l'opinion publique contre un certain nombre
de phénomènes ne fera que s'aggraver.
Je terminerai en disant que nous aurons beau légiférer à l'infini, si la
justice ne fonctionne pas mieux et plus rapidement, les policiers et les
gendarmes continueront à être découragés et les problèmes de délinquance et de
violence de notre société ne seront pas résolus !
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
est difficile de s'exprimer globalement sur un texte qui est composite ; cela a
été dit par beaucoup d'entre nous.
Si je m'en tiens au débat de cet après-midi sur les meilleurs moyens de
renforcer la sécurité des cartes bancaires, je constate que nous sommes
parvenus assez facilement, et très souvent, à un accord, même si je continue à
ne pas bien comprendre pourquoi le rapporteur de la commission des lois s'est
opposé à l'idée d'un délai nécessaire pour que la Banque de France obtienne une
réponse en cas de fraude.
En revanche, et indépendamment de mesures plus ponctuelles, le débat relatif à
la délinquance des mineurs a révélé des divergences profondes, et je voudrais
dire au Sénat qu'il m'a laissé sur ma faim.
Mes propos ne vont sans doute pas être éloignés de ceux que tenait à l'instant
notre collègue M. Hyest : il me semble que nous ne sommes pas partis de la
réalité.
La réalité, elle est toute simple : le système de prévention et de sanction
des mineurs est en panne ; il n'apporte pas de réponse aux problèmes posés.
Ce n'est pas une question de texte de loi, ni encore moins une question de
signal à donner. Comment voulez-vous que les signaux donnés par le Sénat
atteignent les mineurs en situation très difficile qui sont responsables de la
délinquance sur laquelle nous réfléchissons aujourd'hui ?
Non ! la vraie réponse consiste à redonner confiance à chacune des composantes
du système de prévention-sanction et, par exemple, à trouver une solution
concrète à la difficulté bien connue : que fait le juge pour enfants quand il a
en face de lui un mineur délinquant et qu'il ne trouve aucune structure adaptée
où le placer ? C'est en effet bien ainsi que, généralement, la question se
pose, et, indépendamment des engagements ou des convictions des uns et des
autres, c'est ainsi que nous vivons la situation.
J'ai essayé d'amorcer ce débat, sachant bien le risque que je prenais de
froisser des susceptibilités et de heurter certaines institutions.
Mais le débat n'a pas eu lieu, car la majorité du Sénat campe sur l'idée qu'il
suffit de durcir encore l'ordonnance de 1945, dont plusieurs articles, comme je
l'ai démontré, donnent au juge la faculté de prononcer la sanction la plus
grave qui soit, la prison.
Quant au Gouvernement, qui avait délégué le ministre de l'intérieur et non le
garde des sceaux, il n'a pas non plus vraiment voulu entrer dans le débat, je
le regrette.
Toutefois, contrairement à ce qui aurait pu être mon opinion initiale, ce
débat n'a pas été vain, car nous avons échangé des arguments et chacun a pris
davantage conscience de la nécessité de dépasser les clivages actuels.
Mais, bien évidemment, la logique des groupes a prévalu, et nous aboutissons
donc à un texte que je ne peux pas voter en l'état, car il ne sera pas
efficace. En outre, et surtout, j'en récuse la philosophie : je veux parler de
toutes les mesures sécuritaires - et j'emploie volontairement ce mot - qui ont
été adoptées, faute de chercher les vrais moyens d'améliorer la situation.
Dès lors, il reste deux espoirs : que la commission d'enquête parlementaire se
saisisse de l'ensemble de la question et qu'elle se prémunisse - et je lance un
appel solennel à nos collègues de la majorité sénatoriale - contre la tentation
de travailler dans la perspective d'une échéance électorale. Le sujet est trop
grave et trop pressant pour l'ensemble de nos concitoyens pour que nous en
fassions un argument de campagne pré-présidentielle.
J'espère que cette commission d'enquête aura la sagesse d'aborder l'ensemble
du sujet avec la hauteur de vue nécessaire pour lui permettre de traiter la
question au fond.
En cette fin de débat, je réitère la demande que j'avais faite au
Gouvernement, sans d'ailleurs obtenir la moindre réponse du ministre de
l'intérieur, à savoir que l'initiative soit prise, peut-être plutôt par
l'entremise de Mme le garde des sceaux, d'inscrire à l'ordre du jour du
Parlement un débat sur la question de savoir où nous en sommes aujourd'hui en
matière de prévention et de sanction de la délinquance des mineurs. C'est un
sujet qui mérite d'être abordé avec hauteur de vue, longuement et
sereinement.
On l'aura compris : je ne peux approuver le texte du projet de loi tel qu'il
émane des travaux du Sénat.
M. le président.
La parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mes
propos seront beaucoup plus brefs et beaucoup plus modérés que ceux que je
viens d'entendre.
Notre groupe tient tout d'abord à remercier M. le rapporteur, notre collègue
Jean-Pierre Schosteck, dont le travail a été particulièrement éminent et qui a
été un élément plus modérateur qu'on a bien voulu le dire.
Nous sommes dans une situation hallucinante. En effet, tout le monde, les
médias comme les citoyens, parle d'insécurité et se demande quelles mesures le
Gouvernement va prendre pour résoudre les problèmes. Mais, au sein du
Parlement, il ne faut surtout rien changer, sous peine d'être considéré comme
un shérif, un sécuritaire forcené, voire un « animal » dangereux et
irresponsable !
En la matière, les travaux de notre assemblée ont été à la fois constructifs
et pour le moins très modérés. Très franchement, le texte issu du Sénat est
bien meilleur que le conglomérat initial de non-décisions que constituait ce
projet de loi.
Selon M. Bret, nous avons essayé de modifier le statut de la police nationale
afin que celle-ci soit complètement territorialisée. Pour l'instant, que ce
soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale, il n'est pas question de toucher au
statut de la police nationale ! Il faut donc arrêter de dire que la droite
sénatoriale, ou que la droite tout court va faire campagne sur le thème
sécuritaire, sur le retour des shérifs.
Faites plutôt en sorte, monsieur le secrétaire d'Etat, par l'application des
textes, que le retour à la sérénité permette à chacun de nos concitoyens de
faire des choix, des projets de société. Tant que la sécurité n'est pas
assurée, ces choix ne peuvent s'opérer sereinement.
Si nous demandons à légiférer encore, si les propositions du rapporteur ont
été adoptées par la majorité sénatoriale, c'est que nous voulons éviter la
démagogie de certains par la prise de mesures réalistes, concrètes et
efficaces.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
n'avais pas prévu de prononcer, en cet instant, une explication de vote au nom
de mon groupe, mais, compte tenu de ce que j'ai entendu, je crois nécessaire de
préciser très brièvement quelques points.
Ainsi, on ne peut vouloir promouvoir la sécurité sans être qualifié de
sécuritaire ! Je dois dire que l'emploi de certains mots m'a blessé ! A nos
collègues qui les utilisent en permanence à notre encontre je répondrai qu'ils
ne peuvent caricaturer indéfiniment la démarche que nous avons adoptée.
Quelle est cette démarche ?
Manifestement, le texte du Gouvernement n'avait pas pour ambition - je n'ai
pas entendu M. le ministre de l'intérieur le déclarer - de régler globalement,
dans toute leur diversité, les problèmes de sécurité qui peuvent se poser dans
notre pays. Il avait pour ambition de régler un certain nombre de problèmes
concrets.
Il traduisait donc une ambition assez limitée, qui, néanmoins, méritait d'être
prise en compte ; c'est ce qu'a fait la commission des lois, et je l'en
remercie à mon tour.
La majorité sénatoriale a considéré qu'à l'occasion de l'examen de ce texte,
peut-être pour lui donner un peu plus d'ampleur et un peu plus de densité, il
convenait d'ajouter quelques chapitres relatifs à des sujets qui préoccupent
gravement nombre de nos concitoyens, ceux qui, au quotidien, sont victimes de
ces petits délits, de ces petits méfaits qui témoignent d'une dérive
inquiétante de la délinquance, mais aussi un certain nombre de familles qui
parfois ont du mal à faire face à l'évolution de la situation s'agissant des
mineurs.
Par conséquent, quand j'entends reprocher aux propositions formulées par la
majorité sénatoriale de contenir quoi que ce soit qui s'apparenterait à des
dérives sécuritaires, je me demande comment l'on peut en arriver à déformer de
la sorte notre position !
Autre exemple de caricature : notre position sur les armes de chasse.
Mais qui, aujourd'hui, utilise des armes de chasse ? On les utilise à la
chasse quand on a encore le droit d'y aller ! Peut-être un amant éconduit
prendra-t-il un fusil de chasse !... Mais je ne vois pas tellement les jeunes
s'en servir dans les
rave parties.
Je ne crois donc pas que ce soit avec ce que l'on nous propose qu'on réglera
le problème.
J'aborderai maintenant la proposition de résolution tendant à la création
d'une commission d'enquête sur la situation des mineurs, dont je suis
l'auteur.
MM. Pierre Hérisson et Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Je veux vous rassurer, mes chers collègues : nous voudrions, à l'occasion de
cette commission d'enquête, remettre à plat l'ensemble de la problématique en
considérant les moyens que nous avons, aujourd'hui, à notre disposition et que
l'on utilise plus ou moins, mon cher collègue Delfau. Cette commission nous
permettra de voir s'il y a concordance entre cette problématique et les moyens
qui sont à notre disposition. Si nous estimons qu'il y a manifestement des
choses à modifier, eh bien nous essayerons de faire des propositions, qui
seront, là encore, extrêmement modérées, extrêmement modestes.
Voulez-vous un exemple ? Je pense, pour ma part, que l'un des problèmes qui se
pose dans nos départements vient de ce que le nombre de juges pour enfants est
le même qu'il y a cinquante ans alors que, bien évidemment, le nombre des
enfants qui ont besoin d'un juge a considérablement augmenté.
Au fil du temps, la discordance entre l'évolution de la société et la réponse
des pouvoirs publics s'est amplifiée.
Eh bien, ce sont des mesures concrètes de nature à régler ce genre de
problèmes qui pourraient sans doute, les unes ajoutées aux autres impulser, un
mouvement propice à l'épanouissement des jeunes !
Comme vous, nous n'avons qu'une seule ambition : faire décroître le nombre
d'enfants passibles de la justice. Plus les enfants présentés aux juges seront
jeunes, plus on courra le risque de les voir s'enfoncer dans une délinquance de
plus en plus grande. Nous souhaitons tous, sur quelque travée que nous
siégions, autre chose pour notre société que cette négation de la promotion et
de la dignité des individus.
Aussi le texte qui sort de nos travaux porte-t-il l'empreinte d'une volonté
forte au service d'une ambition également forte, mais cela dans le souci de
mener des actions modérées, à l'opposé des actions dites « sécuritaires »,
qualificatif que je trouve détestable.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite, avant
que le Sénat n'exprime son vote, au terme de cette discussion sur le projet de
loi relatif à la sécurité intérieure, vous faire part de quelques réactions du
Gouvernement.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la société française a des problèmes
de sécurité ! Oui, le Gouvernement a souhaité par ce texte, sur des problèmes
essentiels et non pas sur des sujets de détail ou des questions marginales,
apporter des réponses concrètes et, je pense, durables.
A l'issue de cette discussion, quel constat pouvons-nous faire ?
Je voudrais évoquer quelques-uns des points qui nous ont occupés au cours de
ces derniers jours.
Le Gouvernement avait souhaité que ne soit pas modifiée la répartition des
compétences entre l'Etat et les collectivités locales. C'est vrai, tout ce qui
contribue à une meilleure implication des élus locaux, tout ce qui concourt à
une meilleure coordination entre les acteurs de la sécurité, est bon pour la
sécurité parce que la sécurité - plusieurs d'entre vous l'ont rappelé - résulte
bien d'une coproduction, ce terme étant plus qu'un mot, exprimant une façon
d'agir, une stratégie de réponses. Sa sécurité est une donnée, pourquoi
faudrait-il l'oublier ou l'interdire dans cette loi ?
En fait, tout ce qui modifie l'équilibre des compétences, tout ce qui fait de
la police ou de la justice un enjeu de pouvoir, au travers d'une
municipalisation qui ne dit pas son nom, loin de contribuer à la sécurité de
nos concitoyens, ne fait qu'augmenter la confusion.
Or, la majorité sénatoriale a adopté certains amendements qui posent des
problèmes juridiques et pratiques majeurs, dont beaucoup ne garantissent plus
cet équilibre, et ce à l'occasion de débats qui ne me semblent pas avoir révélé
une très grande unité de points de vue.
Le Gouvernement avait également souhaité que la modification de l'ordonnance
du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante - un peu facilement brandie
parfois comme un étendard - ne devienne pas la formule magique par laquelle
tous les problèmes d'insécurité seraient soudainement résolus. J'ai bien
entendu d'ailleurs, dans les explications de vote, que, pour plusieurs d'entre
vous, la seule réponse législative n'était pas suffisante.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement, je veux le rappeler, est
attaché à la primauté des réponses éducatives parce que, pour reprendre la
belle formule de l'un de vos collègues - je veux parler de Robert Badinter -, «
l'enfant n'est pas un adulte en réduction ».
L'affirmer, ce n'est pas nier la nécessité de la sanction, c'est simplement
vouloir qu'elle soit adaptée à l'âge de l'enfant.
Or, sur ce point également, au travers d'amendements dont certains peuvent
sembler anodins mais dont l'apparence masque en réalité une approche très
répressive - je n'ai pas employé le mot « sécuritaire » - la majorité
sénatoriale a préféré faire de l'ordonnance du 2 février 1945 la clé de voûte
de son programme - de son programme électoral, devrais-je dire -...
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Là aussi, c'est caricatural !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
... sans même attendre les conclusions de la
commission d'enquête qu'elle a elle-même réclamée. Permettez-moi de voir là un
paradoxe.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Mais non !
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Enfin, les articles concernant le commerce de détail
des armes issus du vote de l'Assemblée nationale ont été trop dénaturés par les
amendements du Sénat et peut-être un peu caricaturés par les propos que vous
avez tenus à l'instant, monsieur de Raincourt,...
M. Henri de Raincourt.
Ah bon ?
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
... pour que le Gouvernement y retrouve la
préoccupation de sécurité publique qui était la sienne.
Certes, des avancées ont été réalisées au cours de ce débat.
Il a été procédé à un enrichissement nécessaire du texte, en particulier sur
l'encadrement des
raves parties
- mesure utile à la protection des
jeunes qui y participent -, sur la lutte contre les animaux dangereux, sur la
sécurité des moyens de paiement ou sur l'accompagnement social des adjoints de
sécurité. De nombreux amendements étaient judicieux - le Gouvernement n'a pas
manqué de le souligner -, qu'ils proviennent de votre majorité ou des travées
de la gauche.
En revanche, le Sénat a préféré s'éloigner du texte équilibré du Gouvernement
sur l'intervention des forces de police dans les parties communes des immeubles
ou sur la sécurité dans les transports publics. En effet, au terme de ce débat,
tous ces points nous séparent.
Telles sont les raisons pour lesquelles, au nom du Gouvernement, sans avoir
beaucoup d'illusion sur la portée de cet appel, je ne peux que demander au
Sénat de ne pas adopter en l'état un projet de loi qui est avant tout un texte
d'affichage, qui n'est ni équilibré dans son contenu ni consensuel dans sa
méthode d'élaboration, et dont l'application se révélera, c'est le point de vue
du Gouvernement, tout à fait dépourvue d'efficacité pratique.
M. Alain Vasselle.
Interrogez les Français par référendum ! Vous verrez ce qu'ils en pensent !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Au nom du réalisme et du pragmatisme qui ont guidé la
démarche du Gouvernement, au nom d'une volonté d'apporter des réponses
concrètes aux attentes de nos concitoyens, au nom du dialogue et de la
concertation, toujours nécessaires lorsqu'on aborde un sujet tel que la
sécurité de nos concitoyens, je vous demande donc de rejeter un texte à propos
duquel la majorité sénatoriale a eu elle-même, sur bien des points, beaucoup de
difficultés à masquer ses divergences...
M. Jean Delaneau.
C'est la poêle qui se moque du chaudron !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Moins que vous à l'Assemblée nationale !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
... alors que, sur ce sujet, tout aurait dû nous
conduire à travailler dans le même sens.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Jean Chérioux.
De quel côté est l'affichage ?
M. Jean Delaneau.
On demande un report du vote de quinze jours.
(Rires sur les travées du
RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
J'avais d'abord eu envie d'intervenir en entendant certains
orateurs de l'opposition sénatoriale caricaturer encore, quoique un peu moins
qu'au début du débat, les propositions que nous avons été amenés à
présenter.
Puis, en entendant les interventions de mes amis Jean-Jacques Hyest, Roger
Karoutchi et Henri de Raincourt, j'ai pensé que c'était superflu, parce qu'ils
ont très bien exprimé ce que nous avons voulu faire.
Enfin, en vous entendant, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai été consterné de
voir que la caricature continuait.
M. Pierre Hérisson.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je me suis donc senti obligé de préciser, très rapidement,
quel a été notre souci.
J'ai dit d'emblée, dans mon exposé introductif, que le texte qui nous était
présenté suscitait des reproches non pour ce qu'il contenait mais pour ce qu'il
ne contenait pas.
Le texte que vous nous avez présenté est intitulé : « Projet de loi relatif à
la sécurité quotidienne ». Mais, dans votre propos, monsieur le secrétaire
d'Etat, vous avez abandonné - sans doute est-ce un lapsus révélateur -
l'adjectif « quotidienne », ne parlant que de « sécurité intérieure ». Cela
montre bien que les problèmes quotidiens ne se trouvent pas au coeur des
préoccupations du Gouvernement.
A nos yeux, il ne saurait y avoir de discussion sur la sécurité quotidienne si
sont exclus deux volets qui nous paraissent tout à fait fondamentaux : d'une
part, le rôle des maires ; d'autre part, le traitement plus approprié de la
délinquance juvénile.
Bien sûr, on peut caricaturer nos propositions, mais j'observe que certains
orateurs de gauche ont admis leur caractère plutôt modéré, raisonnable.
Nous avons même été, un moment, saisis d'une sorte d'angélisme. Entendant
parler de coproduction, nous nous sommes dit : « Eh bien soit : coproduisons !
» Comme nous sommes les représentants des élus locaux, qui sont au premier chef
comptables - dans tous les sens du terme - de la délinquance quotidienne, nous
nous sommes mis au travail en nous efforçant de mettre au point des
propositions raisonnables.
Hélas ! telle la vague revenant toujours sur la grève, les caricatures sont
revenues. Ce n'est évidemment guère constructif.
L'ordonnance de 1945 a été régulièrement invoquée. On en fait un véritable
tabou, un texte sacré auquel il ne faudrait surtout pas toucher. Je ferai
simplement observer qu'elle n'a plus de 1945, si j'ose dire, que le nom,
puisque, depuis 1945, elle a été modifiée vingt fois !
En tout état de cause, nous nous sommes strictement situés dans la philosophie
de cette fameuse ordonnance en cherchant à développer les actions éducatives,
notre volonté étant avant tout d'éviter que les jeunes ne s'ancrent dans la
délinquance et de leur permettre d'en sortir.
En dénaturant le sens de nos propositions, vous démontrez que, comme l'a très
bien formulé un orateur lors de la discussion générale, vous vous contentez de
« dire le mot pour ne pas faire la chose ». Vous avez voulu parler de sécurité
mais vous refusez de prendre les mesures de bon sens qui s'imposent pour la
restaurer et la garantir.
Il ne me paraît pas convenable de caricaturer ainsi nos positions. L'attitude
du Gouvernement dans cette discussion m'a beaucoup déçu, je tenais à le dire au
moment où elle s'achève.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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