SEANCE DU 16 MAI 2001
ITINÉRAIRE À TRÈS GRAND GABARIT
ENTRE BORDEAUX ET TOULOUSE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 254, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la
réalisation d'un itinéraire à très grand gabarit entre le port de Bordeaux et
Toulouse. [Rapport n° 299 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre rapporteur, M. de
Montesquiou, a souligné, dans un rapport particulièrement riche et foisonnant
de considérations multiples, que le projet d'itinéraire à très grand gabarit
s'inscrivait dans une démarche équilibrée d'aménagement du territoire et se
justifiait d'un point de vue économique : je ne saurais mieux dire !
Elus, acteurs socio-économiques, tous, du moins je l'espère, ont pris
conscience de l'importance des liaisons de transport pour profiter des
retombées de la reprise économique, ainsi que pour dynamiser l'emploi, le tissu
industriel et l'activité locale.
Mais, au-delà, il s'agit d'une réalisation tout à fait exceptionnelle et d'un
projet industriel de premier plan, puisqu'il concerne l'assemblage de l'avion
gros porteur A 380.
Depuis plusieurs années déjà, nous faisons tout pour que la décision de
réaliser cet itinéraire soit prise. Mesdames, messieurs les sénateurs, que
d'efforts avons-nous dû déployer auprès de nos collègues européens, que de
décisions avons-nous dû prendre, et d'une importance capitale - je pense à la
création d'EADS - après l'appel lancé conjointement par le Président de la
République française, le Premier ministre français, le Premier ministre anglais
et le Chancelier allemand en faveur de la construction, à l'échelle européenne,
d'une industrie aéronautique qui soit d'une dimension susceptible d'être
compétitive à l'échelle mondiale. Il nous aura fallu au total quatre ans pour y
arriver et, aujourd'hui, la décision est prise de développer cette industrie
aéronautique, d'ailleurs sur les deux plans civil et militaire.
Monsieur le rapporteur, nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises
d'échanger directement entre nous sur cette question, et même tout récemment
encore. J'ai bien compris la préoccupation qui est la vôtre, que tout soit mis
en oeuvre pour que le Gers profite aussi des retombées économiques de la
constitution du pôle aéronautique toulousain. Je n'ai pas été insensible à vos
réflexions, vous le savez, et j'aurai l'occasion d'en dire quelques mots ce
soir.
L'Assemblée nationale a reconnu, et à l'unanimité, l'intérêt d'un itinéraire
reliant Bordeaux à Toulouse et permettant le passage de convois routiers à très
grand gabarit.
M. de Montesquiou, dans son rapport, indique que la commission des affaires
économiques du Sénat reconnaît également la nécessité de créer une liaison à
grand gabarit entre Bordeaux et Toulouse. J'en prend acte, et je m'en
félicite.
Toulouse, à la différence d'autres grandes métropoles régionales, ne possède
pas d'accès direct à une façade maritime permettant le transport de ce que,
dans le jargon économique, on appelle les « grands colis ». Il s'agit en
l'occurrence, on en conviendra, de très grands colis !
La synergie naturelle entre Toulouse et Bordeaux justifie qu'un aménagement
permettant la circulation de convois exceptionnels à très grand gabarit relie
ces deux métropoles régionales du sud-ouest de la France. Elle facilitera
l'essor de l'aéronautique et, d'une manière plus générale, le développement
d'industries de hautes technologies, domaine d'excellence de ces deux
villes.
Ce projet est aujourd'hui à la fois nécessaire et urgent. C'est l'objet de
notre discussion.
En effet, la poursuite du développement engagé dans le domaine économique se
heurte à l'absence de cet itinéraire. C'est d'autant plus dommageable que la
constitution d'un pôle aéronautique d'importance majeure dans l'agglomération
est devenue un vecteur de développement économique pour l'ensemble du sud-ouest
de la France, et même au-delà, par ses fournisseurs, ses sous-traitants ou par
les revenus distribués.
Compte tenu de son intérêt pour le développement économique, je comprends que
les annonces qui ont été faites autour de cet aménagement aient pu susciter des
interrogations sur les choix qui sont actuellement en discussion.
Les premières questions portent sur les motifs qui ont conduit à retenir un
itinéraire routier plutôt qu'un tout autre mode de transport.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je puis vous assurer que le Gouvernement
n'a écarté
a priori
aucune solution, mais vous vous en doutez bien.
Toutes les hypothèses ont été examinées mais, très vite, il a fallu constater
que l'utilisation de modes de transport autres que la route se heurtait à de
véritables impossibilités techniques.
Malgré mon désir de privilégier des modes de transport alternatifs, force a
été de me rendre à l'évidence : la Garonne est pas navigable au-delà de Langon
et une mise au gabarit des canaux existants est à peu près impossible, en tout
cas dans des délais et avec des moyens susceptibles d'être rassemblés, la
plupart des ouvrages les constituant étant d'ailleurs classés.
L'utilisation des infrastructures ferroviaires a également été envisagée, mais
elle s'est révélée tout aussi impossible compte tenu, notamment, du gabarit des
convois nécessaires au transport des éléments de l'Airbus A 380. De surcroît,
la construction d'une voie ferrée nouvelle - soit une dizaine d'années de
procédure et de travaux - aurait été incompatible avec les délais propres au
développement du pôle aéronautique. Ainsi, pour reprendre l'exemple du A 380,
les premiers assemblages doivent être réalisés pour 2003.
Dans l'état actuel notamment de la technique, aucune autre solution, y compris
les grands dirigeables, les véhicules sur coussin d'air ou encore les avions
très gros porteurs, avec les problèmes de bruit terribles qu'ils sont
susceptibles de poser, aucune autre solution, donc, n'offre une alternative
jouable, crédible, notamment pour des questions d'environnement, de sécurité,
de disponibilité de matériels et de procédures. Le choix d'un itinéraire mixte,
fluvial jusqu'à Langon, ensuite routier, apparaît donc nécessaire.
L'administration a étudié toutes les hypothèses de tracés routiers. On a pu
lui reprocher l'absence ou le caractère tardif de la concertation. Je ne nie
pas qu'une question se pose à cet égard. Mais comment, monsieur le rapporteur,
mettre en oeuvre une concertation avant qu'une ou plusieurs solutions ne soient
véritablement élaborées et proposées ?
La proximité de la mise en service de l'itinéraire impose de ne pas se
disperser sur des projets irréalistes et, au contraire, de consacrer l'énergie
des parties à la concertation sur les détails de l'itinéraire et sur les
aménagements indispensables pour le réaliser dans les meilleures conditions.
Je puis vous assurer, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, que j'ai veillé à ce que tous les aménagements qui seront décidés
résultent d'un dialogue avec les élus, avec les citoyens et avec
l'administration. Je suis très attaché au fait que tous ces choix s'effectuent
en toute transparence.
Comme vous, je suis choqué par la publication d'informations qui n'étaient pas
autorisées, et qui sont sans aucun fondement.
Même si un certain nombre de solutions ont dû être écartées, pour des
questions tant de fiabilité que de coût et, surtout, de délais, la concertation
doit jouer pleinement son rôle. En effet, un certain nombre de possibilités
demeurent ouvertes et les discussions avec les élus et la population
permettront d'éclairer les choix définitifs. Nous avons le temps de procéder à
cette concertation, même si les délais sont serrés, j'en conviens.
Ainsi, quand la nécessité de réaliser un itinéraire à grand gabarit est
apparue et que le délai de réalisation a été connu, j'ai invité les présidents
de conseils régionaux et de conseils généraux concernés au mois de décembre
2000.
Le préfet de la région Midi-Pyrénées a été désigné pour coordonner les
procédures, au nom de l'ensemble des ministères et des services déconcentrés de
l'Etat.
Il a présenté aux présidents de conseils régionaux et de conseils généraux
l'ensemble des tracés routiers mis à l'étude lors d'une réunion qui s'est tenue
à Toulouse en janvier 2001. Les résultats des études visant à comparer les
différents tracés possibles ont été connus au début du mois d'avril.
Le tracé retenu et qui est désormais connu de tout le monde est, je le crois
sincèrement, le plus avantageux au regard du respect du délai de réalisation et
de la qualité de l'insertion environnementale et urbaine.
Une concertation approfondie avec chacune des communes concernées a débuté dès
le 9 avril sur ce tracé de principe. Je m'engage à ce qu'elle soit
exemplaire.
Si l'environnement est au centre de nos débats, les délais sont à coup sûr
serrés et contraignants pour les choix. Tel est d'ailleurs la raison même du
dépôt de ce projet de loi. En effet, si la perspective d'aménagement d'un
itinéraire n'est pas nouvelle, le développement de la plate-forme aéronautique
nécessite une accélération, ce qui explique le dépôt du projet de loi dans le
cadre de la procédure d'extrême urgence.
La concertation permettra sans doute de couper court à des spéculations sans
fondement suivant lesquelles l'itinéraire aurait pour objet de désengorger les
routes existantes ou viserait à faire circuler 40 000 véhicules par jour. Tout
cela est faux. Cela n'a rien à voir, nous avons les moyens de le prouver.
Dans la mesure où la multiplication des ouvrages d'art et l'importance du
trafic rendent très difficile l'utilisation d'une autoroute, le parti retenu a
été l'aménagement sur place de routes secondaires.
L'infrastructure a toutes les caractéristiques d'une route départementale
ordinaire. Mais elle présente une différence essentielle avec les routes
existantes, qui tient à la suppression des obstacles aériens, gênant le passage
des convois comportant des éléments de très grande hauteur ou de très grande
largeur. Pour tenir compte du « tirant d'air », il sera nécessaire de déplacer
bon nombre de poteaux ou de lignes électriques.
Le tracé des routes empruntées n'est pas modifié et il est hors de question
que cet itinéraire soit transformé en route destinée à recevoir un trafic
important.
J'apporte cette précision pour rassurer les riverains qui peuvent penser que
ce tracé sera emprunté par tout et n'importe quoi. C'est hors de question ! Cet
itinéraire à grand gabarit ne ressemble en rien à une autoroute ou à toute
autre voie à fort débit, c'est seulement un itinéraire sans obstacle.
Toutefois, ces aménagements assez nombreux, mais assez modestes, feront
l'objet d'un soin particulier, notamment du point de vue de la reconstitution
des paysages qui auraient été modifiés par des travaux. Tout particulièrement -
mais c'est vrai sur tout le circuit - aux approches de Toulouse, le choix
définitif du tracé tiendra le plus grand compte des concertations et des
modalités d'insertion dans l'environnement. Ce sera également le cas au niveau
de la vallée de la Save.
La constitution de cet itinéraire présentera de nombreux avantages pour le
désenclavement du coeur des Landes ou de l'ouest du Gers.
Les travaux importants concernent essentiellement le contournement de quelques
agglomérations - c'est peut-être une bonne solution pour celles-ci - le
redressement de certains virages ou l'aménagement de zones délicates.
En effet, malgré l'importance des « colis » transportés, la largeur des
essieux des véhicules ne dépasse pas cinq mètres. Des chaussées de 6,20 mètres
de large sont donc suffisamment dimensionnées pour accueillir les convois, dès
lors que, pendant leur circulation, les usagers sont détournés sur d'autres
voies.
Il n'y a aucun motif pour que ces aménagements engendrent un trafic
supplémentaire de poids lourds sur des routes qui ne sont pas destinées à les
accueillir. D'ailleurs, à l'exception des convois exceptionnels ne pouvant
emprunter les itinéraires normaux, notamment l'autoroute, des mesures de police
sont envisageables pour dissuader tout trafic parasite injustifié.
Le transport des convois exceptionnels s'effectuera par sauts de puce 25
kilomètres environ, pendant la période où le trafic est le plus faible, des
convois stationnant après chaque section sur des parkings spécialement prévus à
cet effet.
L'interférence avec la circulation générale sera limitée. Entre Auch et
Toulouse, l'itinéraire empruntera la RN 124 en cours d'aménagement à deux fois
deux voies. Des itinéraires de délestage sont possibles. Pour les parties de
l'itinéraire empruntant des routes départementales à faible trafic et en relief
facile, la gêne des usagers sera réduite par la très faible circulation. Des
garages permettant d'attendre le passage des convois seront prévus tous les
cinq à dix kilomètres pour limiter l'attente des usagers qui ne voudraient pas
utiliser les déviations à vingt minutes au maximum.
Les moyens de transport seront en outre développés spécialement pour cette
liaison à grand gabarit et seront conçus dans le respect d'un cahier des
charges environnemental qui prendra en compte les préoccupations des riverains
en matière de maintien de la qualité de leur environnement.
Les camions respecteront notamment un niveau sonore très bas afin de limiter
la gêne occasionnée pendant les déplacements nocturnes.
Les remorques permettront de limiter le plus possible les vibrations au moment
des passages. Le système de guidage qui pourra être mis en place localement
permettra de réduire les pointes sonores liées aux manoeuvres - accélérations
réduites et vitesse quasi constante au moment du passage - et guidera la
trajectoire des convois aux endroits difficiles.
Le convoi routier se déplacera à une vitesse qui tiendra compte des
caractéristiques du parcours. La vitesse moyenne restera faible, autour de 15
kilomètres à l'heure et, dans les traversées urbaines, cette vitesse sera
encore plus faible.
Lorsqu'il sera indispensable de déplacer les plantations d'alignement, je
m'engage personnellement à prendre des mesures compensatoires, même plus que
compensatoires. Il s'agira notamment d'importants traitements paysagers en
remplacement des alignements d'arbres qui viendraient à être abattus.
Je prends à cet égard, devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, un
engagement très précis : nous allons replanter mille six cents à deux mille
arbres, soit deux fois plus que le nombre de ceux qui ne pourront être
conservés.
Je tiens à préciser également que le projet n'aura pas pour effet de retarder,
bien au contraire, d'autres travaux routiers qui sont utiles au développement
des départements et des régions concernés.
Le projet de loi n'a pas pour objet de fixer le tracé de l'itinéraire. Il ne
dispensera aucunement des études environnementales ni des études d'impact
prévues par la réglementation.
Ce texte de procédure ne porte atteinte ni à l'environnement, ni aux droits
des propriétaires. En effet, si des acquisitions foncières sont nécessaires,
elles seront, comme c'est la règle, précédées d'une enquête publique, puis
d'une enquête parcellaire. En cas de contestation du prix offert par
l'administration, c'est le juge de l'expropriation qui fixera le montant de
l'indemnisation.
Ce projet que je vous demande de soutenir et d'adopter a pour objet de
surmonter d'éventuelles difficultés de procédure en permettant à
l'administration de prendre possession des terrains sans attendre le jugement.
Les propriétaires recevront une indemnité dans l'attente du jugement et, pour
préserver leurs droits, la procédure sera décidée par décret, sur avis conforme
du Conseil d'Etat.
Je crois que vous savez, puisque vous l'aviez accepté comme moi, que, dans une
période qui n'est pas si éloignée, ce type de décision a permis à notre pays de
réussir des équipements. Permettez-moi d'évoquer à ce propos la réalisation du
Grand Stade.
Au total, ce texte, en permettant la réalisation rapide de l'itinéraire à très
grand gabarit entre Bordeaux et Toulouse, servira l'aménagement du territoire
et son développement durable, dans les départements concernés - y compris le
Gers, monsieur le rapporteur - et bien au-delà des deux régions concernées, je
le disais tout à l'heure.
En un mot, ce texte illustre bien le souci, qui, j'en suis sûr, nous est
commun, de toujours mieux concilier développement économique, performances des
activités françaises et de nos régions, aménagement et développement de nos
territoires et qualité de l'environnement.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souligne à mon tour
que ce projet de loi relatif à la réalisation d'un itinéraire à très grand
gabarit entre le port de Bordeaux et Toulouse doit permettre l'acheminement des
éléments de l'avion très gros porteur Airbus 380 dans les délais impartis.
Dans notre esprit, c'est avant tout la réalisation d'un formidable
développement industriel. Il souligne la réalité d'une coopération européenne
étroite, le renforcement d'intérêts communs entre l'Allemagne, la
Grande-Bretagne, l'Espagne et la France. Il flatte aussi notre amour-propre
puisqu'il souligne le savoir-faire français.
Dans le cadre d'une compétition mondiale extrêmement dure, l'Europe et notre
industrie aéronautique nationale prennent sans doute une longueur d'avance sur
l'industrie aéronautique américaine.
Dans cette compétition, le temps est un paramètre majeur. Déjà une soixantaine
d'avions sont commandés de manière ferme et une quarantaine d'options sont
envisagées. Ce succès fulgurant précipite la réalisation de cet itinéraire.
Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur le choix multimodal dont vous
avez démontré le caractère obligatoire. Je rappellerai brièvement les
contraintes temporelles dans lesquelles s'inscrit ce projet.
L'itinéraire doit être achevé à la fin du mois de septembre 2003, afin que les
premiers éléments soient acheminés de Bordeaux à Toulouse dès le mois de
novembre et que le premier Airbus 380 décolle en 2004. Six exemplaires seront
construits pendant l'année 2006 et cette cadence doublera l'année suivante. En
2008, la fréquence de circulation des convois sera hebdomadaire.
Vous affirmez qu'il y a urgence, monsieur le ministre, et vous demandez au
Parlement de voter une procédure d'extrême urgence pour les expropriations
nécessaires à la réalisation de cet itinéraire.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Absolument !
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
L'Etat doit pouvoir recourir, en cas de besoin, à cette
procédure prévue par l'article L. 15-9 du code de l'expropriation pour cause
d'utilité publique.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est ça ou rien
!
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
La commission des affaires économiques et du Plan y est
favorable puisque, concrètement, son application fera gagner un an et demi très
précieux étant donné la lourdeur des procédures de déclaration d'utilité
publique, de propositions de prix, entre autres choses, sur environ 220
kilomètres. Malgré cette procédure accélérée, il ne restera que huit mois
pleins pour effectuer les travaux.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Absolument !
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
Nous avons donc, monsieur le ministre, la même analyse de
fond !
Toutefois, nous divergeons sur la manière de gérer ce temps. En effet, urgence
ne doit pas signifier précipitation. Or je crains que vous ne sous-estimiez la
dimension humaine de ce projet.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Moi ?
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
Nous ne sommes plus à l'époque où les populations
s'inclinaient sans dire un mot devant la toute-puissance de l'Etat. Nous sommes
à une époque où priment la concertation, le dialogue, la considération pour les
citoyens, et où l'écoute et le respect mutuels contribuent à aplanir les
obstacles.
Or ce projet n'a pu être élaboré en prenant suffisamment en compte certains
éléments essentiels, faute de temps, je le souligne et je vous l'accorde.
Ainsi, l'itinéraire multimodal final aurait été choisi notamment en raison de
son coût inférieur, mais on est incapable de nous fournir le coût des divers
itinéraires !
L'étude d'impact précise sera réalisée, mais après que l'itinéraire aura été
choisi ! Elle ne permet donc pas d'établir un véritable bilan coûts-avantages
des différentes options envisagées.
La saisine de la Commission nationale du débat public, dispositif conçu par
Michel Barnier, n'était certes pas obligatoire. Elle aurait dû l'être étant
donné l'ampleur du projet - 220 km d'itinéraire conçus pour des convois formés
de six éléments de quarante-huit mètres de long, treize mètres de haut et huit
mètres de large - et les fortes recommandations de Mme Dominique Voynet pour
les travaux de cette ampleur. Cela n'a pas été le cas. Je comprends
parfaitement que vous ayez manqué de temps, mais il fallait le souligner et
souligner aussi cette extrême urgence dans les décisions.
Cette précipitation inquiète. Elle est ressentie par les élus et les
populations des territoires traversés comme un manque de considération ou, en
tout cas, de concertation ; elle créée une atmosphère de méfiance.
Minimiser les nuisances n'est pas non plus la meilleure façon de crééer
l'adhésion des populations directement concernées.
Faut-il rappeler que le conseil général du Lot-et-Garonne a voté à l'unanimité
contre le passage des convois en raison des nuisances induites ?
Les arbres seront coupés de part et d'autre de l'itinéraire. Ne présentez pas
le remplacement d'un arbre parfois centenaire par deux arbrisseaux comme une
manière de préserver, voire d'améliorer le paysage ! J'espère, monsieur le
ministre, que les arbres plantés auront une taille respectable.
La dégradation de l'image des départements traversés sera évidente. En effet,
l'idée de convois exceptionnels circulant dans le département, ne serait-ce
qu'une fois par semaine, est peu compatible avec l'idée de trouver « le bonheur
dans le pré ». Il en est de même du détournement du trafic à travers des
petites communes jusqu'ici préservées. Contrairement à l'opinion que vous
formulez, il y aura forcément un nouveau trafic suscité par un itinéraire sans
obstacle et gratuit.
M. Pierre Lefebvre.
Qui s'en plaindrait ?
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
Chance pour l'Europe, chance pour la France, chance pour la
communauté urbaine de Toulouse, vous devez convaincre les élus et les
populations des quatre départements et des soixante-deux communes traversés que
c'est aussi une chance pour eux.
Trois partenaires majeurs sont concernés : la société EADS, la communauté
d'agglomération du Grand Toulouse et l'Etat, qui est maître d'ouvrage.
Après de nombreuses réunions avec les plus hauts responsables d'EADS, je suis
convaincu de leur bonne volonté et de leur désir de coopération. Ils m'ont
affirmé leur détermination - et j'ai toutes les raisons de les croire - à
organiser des retombées économiques, entre autres par essaimage, en sollicitant
aussi des entreprises locales, en coopérant avec les communes concernées. Non
seulement le président Lagardère reste fidèle à ses origines gasconnes mais,
au-delà de l'affectif, il sait, objectivement, que le formidable projet qu'il
dirige se déroulera d'autant mieux qu'il sera perçu comme une véritable chance
pour tous.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Absolument !
Mme Hélène Luc.
Bien sûr !
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
Le président de la communauté d'agglomération du Grand
Toulouse, Philippe Douste-Blazy, vous a écrit, à ma demande, pour vous annoncer
qu'il était prêt à entamer un dialogue afin d'étudier une répartition plus
équitable de la taxe professionnelle. Il défendra assurément les intérêts de la
communauté d'agglomération, mais il veut, lui aussi, que cet itinéraire soit
réalisé dans le temps imparti et il souhaite donc éviter les difficultés qui
pourraient être générées par l'absence de retombées économiques et fiscales sur
les autres collectivités.
S'agissant de l'Etat, le ministère de l'équipement, des transports et du
logement est le seul maître d'ouvrage du projet et agit comme tel. Pourtant,
parmi les arguments que vous présentez, vous décrivez ce projet comme
structurant - il l'est - et s'intégrant dans une logique d'aménagement du
territoire, ce qui est le cas. Monsieur le ministre, nous vous demandons d'en
faire la preuve.
En effet, jusqu'à présent, le ministère de l'aménagement du territoire et de
l'environnement a été seulement informé de l'existence de ce projet et il n'a
pas participé à son élaboration.
Quant à la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale,
la DATAR, elle a été tout simplement ignorée.
Prenez en compte le fait que la conurbation toulousaine va gagner 13 000
habitants de plus par an, alors que, dans le même temps, le Gers en perdra 2
500. En 2020, la ville d'Auch n'aura plus que 20 000 habitants, d'où ce souci
de rééquilibrage.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est du
défaitisme !
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
Non, ce n'est pas du défaitisme, monsieur le ministre ! Ce
sont, hélas ! les statistiques qui l'annoncent. Je souhaiterais que ce soit
l'inverse,...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Ce sera
l'inverse !
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
... et ce peut-être grâce à vous. Nous vous en serons alors
reconnaissants.
Monsieur le ministre, mettez en application cette volonté de lutter contre les
inégalités, proclamée par le Gouvernement auquel vous appartenez, pour ce qui
est des infrastructures et pour ce qui est de la répartition des richesses.
S'agissant des infrastructures, le Gers ne compte que douze kilomètres de
routes à deux fois deux voies. Vous devez terminer la mise en oeuvre de la deux
fois deux voies entre Auch et Toulouse pendant ce XIIe Plan et la faire ainsi
coïncider avec l'itinéraire emprunté par les convois pour l'A 380 afin
d'atténuer les nuisances provoquées par ceux-ci. Il s'agit non pas d'un effort
financier nouveau qui vous est demandé, mais d'une accélération, notamment pour
le tronçon L'Isle-Jourdain - Aubiet, dont la déviation de Gimont qui restait à
programmer au XIIIe Plan.
Mettant en place une liaison de Toulouse vers l'Atlantique, ce projet est
d'intérêt interrégional. Alors il faut prévoir de réaliser à plus long terme,
j'en conviens, la mise à deux fois deux voies de l'ensemble de la RN 124,
notamment pour assurer la liaison de la RN 124 avec l'axe Langon-Pau, qui est
inscrit au schéma national.
Cela nécessite l'inscription de cet itinéraire de Toulouse vers l'Atlantique,
via la RN 124, au schéma national « transport de voyageurs et transport de
marchandises » en cours de consultation. Cette inscription au schéma national
permettra de programmer sur les prochains contrats Etat - région la mise à deux
fois deux voies de la RN 124 d'Auch vers l'Atlantique et vers la future deux
fois deux voies Bordeaux - Pau. Tout cela est structurant et interrégional.
De plus, pour pouvoir concrétiser les retombées annoncées en matière
d'installation de nouveaux sous-traitants, il est nécessaire de créer très
rapidement deux zones d'activité à proximité de l'itinéraire emprunté par les
convois par l'A 380, en particulier à Gimont, situé à distance idéale des lieux
de l'assemblage de l'A 380 et bénéficiant des fonds structurels européens dans
le cadre de l'objectif 2. Pour cela, il faut - ou il faudrait - que la loi
relative à la procédure d'urgence puisse, en cas de besoin, être appliquée à
ces zones, car les sous-traitants potentiels devront être opérationnels pour
les premiers passages des convois de l'A 380.
Le Gers est le seul département de Midi-Pyrénées privé d'un axe Nord-Sud. Dans
la perspective de joindre les trois autoroutes transversales, Toulouse -
Bayonne, Toulouse - Bordeaux et Bordeaux - Clermont-Ferrand - Genève, la RN 21
devra être aménagée pour créer une ouverture sur Paris et annoncer une percée
centrale par les Pyrénées, afin de dégager les deux extrémités de cette route,
saturée à certaines époques de l'année.
Ces travaux seront menés symétriquement aux travaux engagés par nos amis
espagnols. Les études doivent être financées sur la RN 21 afin de prévoir la
réalisation de cette liaison interrégionale et de concrétiser son classement
ancien comme axe prioritaire européen. Vos services en sont convenus, le
contournement de Lectoure éviterait à cette ville d'art d'être dégradée par le
passage des camions.
Ce projet est structurant, monsieur le ministre. Il comprend trois autoroutes
transversales qui ne sont pas reliées les unes aux autres.
Dans son rôle d'équilibrage, l'Etat, s'il aménage le territoire, doit aussi
répartir la richesse fiscale.
Je m'en réfère à nouveau aux déclarations gouvernementales sur un
rééquilibrage entre communes riches et communes pauvres. Vous avez là
l'opportunité et le devoir d'agir dès la mise en oeuvre de ce projet.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est la loi SRU
!
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
La communauté d'agglomération du Grand Toulouse est prête à
dialoguer avec les autres collectivités locales. Vous devez organiser cette
contractualisation avec ces collectivités.
(M. Rispat fait un signe de
protestation.)
Je pense en particulier au pays Gers-Gascogne formé de dix
cantons, soit 154 communes et 54 000 habitants. Ces communes, limitrophes de la
zone toulousaine, ont aujourd'hui le droit de contractualiser avec l'Etat et la
région.
De même, la majorité qui dirige la région Midi-Pyrénées a défini comme
prioritaire le rééquilibrage entre Toulouse, la Haute-Garonne, qui concentrent
la majorité de la richesse, et le reste de la région. Aidez-la à mettre en
oeuvre sa politique, car ce projet, tel qu'il se présente aujourd'hui, ne fera
qu'aggraver les fortes inégalités existantes.
M. Jean-Pierre Plancade.
C'est n'importe quoi !
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
Monsieur le ministre, conscients de l'importance de cet
itinéraire à très grand gabarit pour l'économie de notre pays, nous sommes
favorables à la mise en oeuvre d'une procédure exceptionnelle.
Toutefois, cette « raison d'Etat policée », pour reprendre l'expression d'une
personnalité auditionnée, ne sera acceptée que si vous participez à la
réduction du déséquilibre territorial dans le Sud-Ouest, déséquilibre que votre
texte initial, dans sa sécheresse administrative, renforçait
de
facto
.
M. Jean-Pierre Plancade.
Cela paraît difficile. C'est vraiment n'importe quoi ! C'est le Gers qui va en
bénéficier le plus !
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
De la poursuite d'une véritable concertation sortira un
projet équitable. Monsieur le ministre, vous êtes le chef d'orchestre ; le
Sénat est heureux de participer à l'écriture de la partition, mais la qualité
du concert dépend de vous !
(Applaudissements sur les través du RDSE, de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Plancade.
Le Gers va recevoir les deux-tiers des subventions !
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président du Sénat, nous sommes très honorés de votre présence
dans ce débat.
M. Emmanuel Hamel.
C'est la meilleure possible pour ce débat !
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous nous en tenions au titre du
projet de loi qui nous est soumis, nous devrions discuter aujourd'hui de « la
réalisation d'un itinéraire à grand gabarit entre le port de Bordeaux et
Toulouse ». Or c'est loin d'être le cas, car le contenu de ce projet de loi est
très restrictif.
Dans les faits, nous sommes appelés à débattre seulement du recours à la
procédure d'extrême urgence prévue à l'article L. 15-9 du code de
l'expropriation, afin de faciliter pour l'Etat la prise de possession
nécessaire à la réalisation des travaux de cet itinéraire.
Nous ne contestons pas les objectifs de ce projet, monsieur le ministre.
L'assemblage final de l'A 380, futur avion gros porteur européen, doit
impérativement être réalisé à Toulouse. Les aménagements sont indispensables
pour acheminer les pièces détachées sur le site de montage. Les 250 kilomètres
de travaux prévus pour mettre à grand gabarit la route entre Bordeaux, où
arriveront par mer les différents éléments de l'avion construits dans
différents sites européens, et Toulouse, lieu d'assemblage final, doivent bien
sûr être réalisés rapidement.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, le recours à la procédure
d'expropriation d'urgence et le choix d'un itinéraire en partie fluvial et en
partie routier paraissent justifiés. En revanche, nous n'hésitons pas à
formuler de sérieuses réserves sur l'absence de concertation qui a prévalu -
vous l'avez reconnu, monsieur le ministre, c'est bien de votre part - et sur
les faibles compensations au regard des nuisances qui seront occasionnées.
Le calendrier du montage de l'A 380 est désormais très serré. Le premier vol
est prévu pour 2006, ce qui suppose que l'assemblage du premier avion ait lieu
à l'automne 2003, afin de pouvoir engager dans les délais les procédures
d'essais en vol du prototype dès 2004. En clair, cela signifie qu'il ne reste
plus que vingt-quatre mois pour achever l'itinéraire d'acheminement
Bordeaux-Toulouse.
Les procédures de droit commun ne permettant pas à l'Etat de procéder aux
expropriations nécessaires dans les délais impartis, le Gouvernement a décidé
de recourir à la procédure d'extrême urgence. Mais le retard pris est tel qu'il
a aussi déclaré d'urgence le projet de loi lui-même, ce qui signifie que les
débats parlementaires seront une fois de plus écourtés, mes chers collègues.
Permettez-moi de m'interroger, monsieur le ministre, sur votre choix délibéré
de la précipitation car nous savons depuis bien longtemps que le montage de l'A
380 devait s'opérer à Toulouse.
Malgré tout, les enjeux économiques sont trop importants pour que nous
puissions raisonnablement refuser le recours à l'expropriation d'urgence pour
cause d'utilité publique.
Je rappellerai brièvement les enjeux économiques en quelques chiffres.
Le secteur aéronautique et spatial est le premier employeur et donneur
d'ordres de la région avec 16 000 salariés directs, auxquels s'ajoute bien sûr
une importante sous-traitance, soit au total près de 200 entreprises et 22 000
salariés, ce qui représente une trentaine de milliards de francs de chiffre
d'affaires pour la région.
Le montage de l'A 380 contribuera au maintien de ce dynamisme, ce qui justifie
le respect des délais.
Pratiquement, la procédure d'extrême urgence autorise la prise de possession
immédiate des terrains utiles, bâtis ou non, par décret, après avis conforme du
Conseil d'Etat sous réserve, vous le rappeliez tout à l'heure avec juste
raison, monsieur le ministre, d'une indemnisation du propriétaire. Le juge peut
même fixer une indemnité spéciale pour les intéressés justifiant d'un préjudice
causé par la rapidité de la procédure.
Ce dispositif n'est d'ailleurs pas une nouveauté puisqu'il a été utilisé à
plusieurs reprises par le passé, notamment en 1965 pour les jeux Olympiques de
Grenoble, en 1987 pour les jeux d'Albertville ou en 1993 pour l'aménagement du
Grand Stade de France.
Nous ne nous opposerons donc pas, monsieur le ministre, à la procédure
d'expropriation en extrême urgence.
Nous ne nous opposerons pas non plus au choix d'un itinéraire qui panache la
voie fluviale et la voie routière.
Même s'il ne relève pas des compétences du Parlement de définir le tracé de
l'itinéraire de liaison entre Toulouse et Bordeaux, le présent débat me donne
l'opportunité de faire valoir notre point de vue.
La difficulté est essentiellement d'ordre technique : elle tient au convoyage
de certaines pièces de l'avion - ailes et carlingue en particulier - jusqu'à
Toulouse.
De nombreuses possibilités de transport ont été envisagées, le dossier de
présentation du projet en atteste. Je n'en conteste pas l'analyse selon
laquelle l'acheminement des futures pièces ne paraît pas possible, ni par avion
- les avions de type Beluga sont trop petits, et construire un nouveau cargo «
Grand Beluga » prendrait trop de temps -, ni par hélicoptère, pour des raisons
techniques, climatiques et de sécurité, bien sûr, ni par rail - vous l'avez
rappelé, monsieur le ministre, il faudrait construire des voies plus larges que
celles qui existent, ce qui aurait un impact financier et environnemental très
lourd et les délais ne seraient pas respectés -, ni par le canal latéral à la
Garonne en raison des ouvrages d'art existants, ni par aéroglisseur, solution
qui a été envisagée mais qui, finalement n'a pas été retenue, ce qui est une
bonne chose.
Aucun autre mode de transport n'étant sérieusement envisageable, que ce soit
d'un point de vue technique ou d'un point de vue économique ou en raison du
calendrier, la solution retenue, c'est-à-dire un acheminement fluvial jusqu'à
Langon, puis routier jusqu'à Toulouse, me semble raisonnable.
Le projet d'aménagement d'un itinéraire existant, qui restera ouvert à la
circulation normale, sauf pendant certaines nuits lors du passage des convois
spéciaux, est une solution de bon sens puisqu'il était impossible d'emprunter
l'autoroute A 62 à cause des ouvrages d'art et de la perturbation que cela
occasionnerait pour les autres usagers. Le problème est que l'on fait passer en
réseau national des routes départementales existantes.
Les travaux seront de grande envergure : abattage de milliers d'arbres,
enterrement de lignes électriques, agrandissement de voies, rectification de
virages, consolidation de chaussées, déviations, démolitions de bâtiments,
expropriations... Ce seront de gros chantiers, monsieur le ministre !
On ne peut donc pas nier qu'un projet d'infrastructure aussi important
provoquera des nuisances et qu'il impliquera des protections et des
adaptations.
Dans ces conditions, mes chers collègues, l'attitude la plus responsable est
de le reconnaître en préparant, en expliquant les choix opérés et en proposant,
j'y insiste, une juste compensation à toutes les collectivités et les personnes
lésées.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous regrettons le manque de
concertation sur la définition de l'itinéraire, dont le tracé a été
discrétionnairement établi par vos services, au détriment de la consultation
des personnes concernées.
Certes, vous nous dites que se déroulera, dans les mois prochains, l'enquête
d'utilité publique, qui sera l'occasion d'une concertation avec les
collectivités locales. Mais n'est-ce pas un peu tardif dans la mesure où tout
est déjà techniquement arrêté ?
Le laps de temps qui reste d'ici au début des travaux, en raison de
l'échéancier que j'ai précédemment évoqué, n'est pas satisfaisant, ni pour les
élus, ni pour les habitants des zones traversées par l'itinéraire à très grand
gabarit.
Cette démarche est d'autant plus étonnante, pour ne pas dire contradictoire,
que le Premier ministre a, dès son discours de politique générale, annoncé une
réforme des enquêtes d'utilité publique et que Mme Voynet a présenté, lors d'un
conseil des ministres de septembre 2000, un projet de loi sur ce sujet.
A ce propos, il est très révélateur de rappeler que ce projet de loi
prétendait répondre à trois objectifs : la démocratisation et la transparence
du processus d'élaboration des projets d'aménagement et d'équipement ; la prise
en compte de la décentralisation dans l'appréciation de l'utilité publique ; la
simplification et la rationalisation des procédures.
Ce projet de loi a simplement été examiné en conseil des ministres. Il n'est
pas allé plus loin pour le moment.
Permettez-moi donc, une fois encore, de souligner les contradictions du
Gouvernement entre ses paroles et ses actes,...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Vous polémiquez
!
M. Ladislas Poniatowski.
... et ce d'autant que j'ai cru comprendre qu'une partie de votre majorité,
monsieur le ministre, les Verts pour ne pas les nommer, s'étaient déclarés
contre le choix routier de l'itinéraire à grand gabarit.
C'est pourquoi le Sénat, qui a une légitimité toute particulière pour faire
entendre la voix des collectivités locales, vous demande, monsieur le ministre,
de prendre des engagements clairs et fermes, notamment pour limiter les impacts
négatifs de cette infrastructure.
C'est, en effet, le seul moyen pour que cet itinéraire soit une chance pour
tous et non pour quelques-uns, et pas seulement pour le Gers, monsieur le
rapporteur !
M. Aymeri de Montesquiou,
rapporteur.
C'est quand même lui qui supportera les trois quarts de
l'itinéraire !
M. Ladislas Poniatowski.
Nous devons avoir une approche globale de l'aménagement du territoire sur le
long terme. Cela signifie qu'il faut concevoir la liaison Bordeaux-Toulouse
comme une opportunité pour tout le sud-ouest de notre pays, dans un cadre
européen. Cette liaison assure le désenclavement de certains départements et,
plus largement, des régions Midi-Pyrénées et Aquitaine. Sur ce point, M. le
rapporteur, Aymeri de Montesquiou, a formulé plusieurs propositions. En outre,
l'itinéraire pourra également être emprunté par d'autres convois à dimensions
exceptionnelles.
Mais ce projet ne pourra être un succès qu'à une double condition, monsieur le
ministre : que chacun puisse en apprécier les retombées bénéfiques sur son
territoire et que l'économie et la préservation de l'environnement aillent de
pair.
Or, à ce jour, le seul engagement que nous ayons obtenu du Gouvernement - et
je vous cite, monsieur le ministre - c'est que « l'itinéraire sera réalisé dans
l'esprit de la haute qualité environnementale ». C'est la formule même du
dossier de présentation.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
J'en dis un peu
plus !
M. Ladislas Poniatowski.
J'avoue ne pas très bien appréhender concrètement ce qu'est « l'esprit de la
haute qualité environnementale » ni qui sera à même de certifier que cet esprit
sera respecté !
Parallèlement, il nous est dit que 1 milliard de francs de travaux sera engagé
par l'Etat.
Pour notre part, nous formulons trois souhaits, monsieur le ministre.
Premièrement, que vous vous engagiez solennellement sur une somme précise.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Non, je ne peux
pas !
M. Ladislas Poniatowski.
Deuxièmement, que vous portiez à notre connaissance la liste exhaustive de
tous les travaux exacts qui vont être engagés.
Mme Odette Terrade.
Oh ! Une liste exhaustive !
M. Ladislas Poniatowski.
Si ! Elle existe dans les services du ministère !
Troisièmement, que vous réfléchissiez à une enveloppe complémentaire afin de
financer des équipements en compensation de la traversée de certains
territoires par l'itinéraire à grand gabarit ; je pense en l'occurrence non
seulement à des aménagements de voirie, mais aussi à tout type d'équipements
qui peuvent participer au développement des espaces concernés.
M. Auguste Cazalet.
Très bien !
M. Ladislas Poniatowski.
Ce triple engagement, monsieur le ministre, n'a rien d'extraordinaire,
notamment le troisième point : c'est ce qui avait été fait pour les Jeux
olympiques d'Albertville. En effet, certaines collectivités étant lésées par
les aménagements nécessaires, on avait eu l'intelligence de leur apporter
certaines compensations. Et si nombre d'entre elles n'ont jamais tiré aucun
avantage d'être traversées par une route à deux fois deux voies, ce sera plus
vrai encore pour celles qui le seront par une voie à grand gabarit.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Elles ne seront
pas traversées mais contournées.
M. Ladislas Poniatowski.
Sans démarche volontariste, l'itinéraire ne sera qu'un axe routier de passage
qui ne générera aucune valeur ajoutée, c'est-à-dire aucun développement. Il
faut donc aider les collectivités locales, communes et départements.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, on peut dire que
l'assemblage de l'A 380 à Toulouse et la construction d'un itinéraire à grand
gabarit comportent de forts enjeux économiques et d'aménagement du territoire :
s'il faut renforcer le pôle aéronautique européen de Toulouse, nous en sommes
tous d'accord, il faut également se donner les moyens d'une réelle compensation
des nuisances engendrées, qu'elles soient paysagères, écologiques ou sonores,
etc.
Nous regrettons que ce projet de loi ne s'accompagne d'aucune réflexion
globale sur le développement, au sens large du terme, des territoires traversés
par la future route à grand gabarit. C'eût été une bonne occasion !
Dans ces conditions, nous demandons au Gouvernement des engagements précis,
et, naturellement, de sa réponse dépendra notre vote final.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
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