SEANCE DU 3 MAI 2001
STATUT DES MAGISTRATS
Discussion d'un projet de loi organique
en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi
organique (n° 196, 2000-2001), modifié par l'Assemblée nationale, relatif au
statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature. [Rapport n°
281 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de novembre dernier,
la Haute Assemblée a examiné en première lecture le projet de loi organique qui
revient devant vous aujourd'hui en deuxième lecture.
Le projet initial du Gouvernement était à la fois limité dans son objet et
important dans sa portée puisqu'il tendait à revaloriser et à simplifier le
déroulement de la carrière des magistrats judiciaires. Il était en effet devenu
indispensable de mettre fin à une situation injuste de blocage de l'avancement,
tout en favorisant la mobilité.
En premier lieu, j'observerai que, dès la première lecture, le dispositif
initialement proposé par le Gouvernement a fait l'objet d'un vote conforme du
Sénat et de l'Assemblée nationale.
En second lieu, la Haute Assemblée ayant élargi le cadre initialement fixé au
débat parlementaire, demeurent aujourd'hui en discussion les amendements dont a
été enrichi le projet gouvernemental, amendements du Sénat, mais aussi de
l'Assemblée nationale et du Gouvernement.
Il me paraît essentiel de souligner la grande qualité des débats et l'esprit
d'ouverture qui, en première lecture, ont présidé aux discussions
parlementaires.
La justice, lorsqu'elle est rendue, doit l'être dans la sérénité. Il faut
aussi en discuter sans polémique ni simplification abusive ou anathème.
J'ai conscience que je demande encore aujourd'hui une contribution
supplémentaire à la Haute Assemblée puisque, en deuxième lecture, le
Gouvernement dépose de nouveaux amendements. Vous pouvez légitimement vous
poser la question : pourquoi si tard ? Je vous dois donc quelques explications,
nécessairement brèves en raison du temps qui est imparti pour l'examen du texte
qui vient en discussion.
Au mois de mars dernier, le Premier ministre a fait part de son arbitrage sur
le « plan d'urgence » pour la justice que je lui ai proposé.
Ce plan est ambitieux et à la hauteur des besoins indispensables au
développement d'un service public de la justice, au service des citoyens, digne
de leurs attentes, c'est-à-dire à la fois d'une plus grande qualité et plus
rapide.
Au 1er septembre 2005, 8 000 magistrats seront effectivement présents dans les
juridictions ; ils étaient 5 900 en 1997. Cet objectif exigera un effort
budgétaire permettant la création de 1 200 emplois de magistrats et un
accroissement, bien évidemment corrélatif, du nombre des greffiers et
fonctionnaires des services judiciaires.
D'autres mesures d'accompagnement sont prévues, notamment en matière
d'équipements informatiques, mais aussi dans le domaine immobilier, pour offrir
de meilleures conditions d'accueil aux justiciables et de travail aux
magistrats, fonctionnaires et auxiliaires de justice.
Je sais que l'annonce sur les moyens étant ainsi faite, vous me poserez
immédiatement la question : de nouveaux moyens, pour quoi faire ?
C'est vrai, l'accroissement des moyens ne résoudra pas toutes les questions :
encore faut-il les employer à bon escient.
Comment parvenir à instaurer durablement une justice de qualité ?
Pour répondre à cette question, il m'est apparu indispensable de donner la
parole non seulement aux acteurs du monde judiciaire - magistrats,
fonctionnaires et auxiliaires de justice - mais aussi aux citoyens et élus afin
qu'ils puissent exprimer leurs attentes. Cette prise de parole ne doit pas être
enfermée dans un cadre strict et purement hiérarchique : elle doit être libre,
tant sur les sujets que dans l'expression.
Nous devons collectivement nous interroger et rechercher des réponses à des
questions aussi essentielles que celle de la mission du juge : qui fait quoi et
où?
Une nouvelle implantation sur le territoire des juridictions ne pourra être
mise en oeuvre que si, au préalable, on donne un contenu à la notion
d'accessibilité de la justice : quelles proximité ? Quelles nouvelles
technologies doivent être mises en oeuvre ?
Il est d'autres questions essentielles, comme la place du citoyen dans le
fonctionnement quotidien de la justice ou la déconcentration dans la gestion et
l'administration des juridictions, sans oublier, bien évidemment, le dialogue
social.
Répondre à ces questions et à bien d'autres, telle est la finalité des «
entretiens de Vendôme ».
Certains ne manqueront pas de penser et de proclamer que tout a été dit et
écrit sur la justice. C'est vrai qu'il existe des rapports de qualité ; je
pense tout particulièrement au rapport de la mission sénatoriale sur les moyens
de la justice, présidée par votre collègue M. Jolibois.
Mais la démarche des entretiens de Vendôme est différente, même si les idées
déjà développées au travers tant de ces rapports sur la justice que de telle ou
telle mission seront de nouveau mises en avant. Je souhaite que non seulement
les acteurs du monde judiciaire, mais aussi les citoyens « prennent en main »
une réflexion commune pour que, enfin, la justice soit ressentie comme une
valeur commune à la nation tout entière, y compris dans son fonctionnement.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, les amendements dont le Gouvernement vous propose l'adoption sont
indispensables pour « initialiser » le plan d'urgence pour la justice que vous
avez été nombreux à réclamer. Il est important que nous puissions en discuter.
Ainsi, cette démarche collective en faveur de la justice, que j'appelle de mes
voeux, trouvera aussi sa traduction devant la Haute Assemblée.
Déroulement des carrières des magistrats amélioré, accroissement sans
précédent des moyens, redéfinition d'un service public de la justice plaçant la
qualité au coeur de son action sont autant de mesures qui marquent la volonté
de donner à l'institution judiciaire la place qui doit être la sienne au sein
d'une démocratie participative moderne.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.
- M. Hamel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, un
projet de loi limité à la revalorisation de la situation des magistrats - vous
vous en souvenez - a conduit le Sénat, d'abord, et, à sa suite, l'Assemblée
nationale à mener une réflexion plus générale sur le statut des magistrats, sur
leur recrutement et leur formation, sur leur emploi, plus spécialement sur leur
mobilité et, enfin, sur leur mission et leur déontologie.
Ainsi le Parlement a-t-il affirmé son souci de partager avec le Gouvernement
l'initiative législative et de s'engager dans le vaste débat ouvert par la
crise que connaît manifestement notre justice, et que nous annoncions ici même,
depuis bien des années, en particulier depuis ce rapport de 1996, dont j'étais
l'auteur, sur les moyens de la justice.
Nous écrivions alors que la justice était en situation d'hémiplégie. On nous
avait dit, en levant les bras au ciel, que c'était tout à fait exagéré. Je
crois que tel n'était pas le cas, et des manifestations récentes l'ont montré !
Elles ont porté ces problèmes sur la place publique. Les juges eux-mêmes -
phénomène tout de même remarquable qui n'a pas été assez souligné - ont
dénoncé, en parlant d'« abattage », leur incapacité à assurer leur mission.
Des magistrats en sont réduits à jeter les codes, sinon le « froc », aux
orties, tandis qu'ils affirment leur volonté de passer au crible de leurs
critiques la totalité de la vie publique ou privée, sans égards pour les
limites que la pudeur, la prudence ou le conformisme leur ont longtemps - trop
longtemps, diront certains - fait respecter.
Du côté du public - il ne faut pas l'oublier ! - les interrogations ne
manquent pas non plus sur la lenteur, bien sûr, mais aussi sur la complexité de
la justice et sur la responsabilité des juges.
Le présent projet de loi, du fait de son caractère limité au départ, ne
permettait évidemment pas d'aborder ce problème par une démarche d'ensemble.
Du moins avons-nous souhaité, en coopération avec l'Assemblée nationale,
apporter sur plusieurs points des améliorations qui, nous le croyons,
constituent déjà une première et substantielle réforme, et nous remercions le
Gouvernement d'avoir su surmonter une certaine réticence initiale pour
s'associer aujourd'hui à notre demande.
Ces améliorations portent essentiellement sur l'obligation d'un minimum de
mobilité dans les postes de responsabilité - sept ans ou dix ans selon les cas
; je crois que nous n'aurons aucun mal à nous mettre d'accord - sur l'ouverture
et la transparence du régime disciplinaire - ce point est acquis - ainsi que,
sur l'initiative de l'Assemblée nationale, sur le mode d'élection des membres
du Conseil supérieur de la magistrature, mais aussi, à votre demande, madame le
garde des sceaux, sur un élargissement substantiel du mode de recrutement des
magistrats et sur l'introduction de multiples assouplissements dans la gestion
des juridictions.
Dans l'ensemble, il n'y a guère de divergences graves entre les uns et les
autres, au stade où nous en sommes de cette deuxième lecture. Nous en parlerons
au fur et à mesure de l'examen des amendements.
J'ai été très sensible, madame le garde des sceaux, à votre évocation des
entretiens de Vendôme, puisque je suis, dans cette assemblée, le représentant
non pas de la place Vendôme, mais de la ville de Vendôme, qui n'est tout de
même pas sans affinité avec la place ! Cela dit, soyez assurée que je ne
cherche pas à faire un coup d'Etat pour passer de la ville à la place ; je
respecte l'état actuel des choses.
(Sourires.)
Je souhaite profiter de l'occasion qui m'est donnée pour attirer votre
attention sur deux points : d'une part, le recrutement et la formation des
magistrats ; d'autre part, l'ensemble de la réorganisation judiciaire.
S'agissant du recrutement des magistrats, nous nous réjouissons, bien sûr, de
voir celui-ci s'élargir et se diversifier par un appel substantiel à des
personnes choisies à partir de l'expérience qu'elles ont acquise dans des
activités qui leur ont permis de connaître les réalités de la vie sociale ou
professionnelle. Cela va tout à fait dans le sens de nos préoccupations.
Mais pourquoi s'en tenir à cette forme de recrutement, pourquoi refuser de
recourir à l'emploi de ces « magistrats à titre temporaire » créé par la loi,
il y a bien des années, sur la même base de la prise en considération de
l'expérience acquise ?
Permettez-moi, madame le garde des sceaux, de m'étonner ! On crée des systèmes
nouveaux, et l'on ne veut pas recourir à celui que j'évoque et qui offre des
avantages considérables. Il est en effet fondé sur une expérience acquise
pendant presque toute une vie professionnelle. Les listes sont établies par les
cours d'appel, ce qui évite tout risque d'erreur de choix, de « casting »,
comme on dirait maintenant. Le système ne coûte pratiquement rien, puisque les
intéressés n'entrent pas dans une carrière, avec toutes les charges que cela
impose ; perçoivent seulement des indemnités. Le système est très souple,
puisqu'il permet de recruter pour cinq ans : vous pouvez en recruter beaucoup
pendant deux ou trois ans pour combler les lacunes et puis, ensuite, ne plus en
recruter.
Pourquoi se priver de cette possibilité dans l'immédiat, alors que, à tout le
moins, ces magistrats à titre temporaire pourraient venir compléter les
formations collégiales, qui ont énormément de mal à fonctionner correctement,
ou, peut-être, les effectifs des tribunaux d'instance ?
Vous auriez ainsi à votre disposition des emplois que vous pourriez gérer avec
beaucoup de souplesse, de manière très concrète. Ils rendraient sans aucun
doute service, au moins pendant quelques années, dans la situation où nous
sommes.
Cela étant, la nécessité de recourir pendant quelques années à des
recrutements complémentaires ne doit pas nous faire perdre de vue le problème
de la formation, dont on ne parle peut-être pas assez dans ce texte, et qui est
essentiel. Il ne se conçoit pas en dehors d'un fonctionnement amélioré de
l'Ecole nationale de la magistrature.
Il est déplorable, à cet égard - je le dis d'autant plus facilement, madame le
garde des sceaux, que vous n'y êtes pour rien - que, ces dernières années, on
ait trop strictement limité l'accès normal à cette école et que l'on ait ainsi
découragé nombre d'étudiants de qualité mieux placés que quiconque pour devenir
de bons magistrats. C'est absurde, puisque l'on est maintenant en train de
chercher, à droite ou à gauche - si j'ose dire ! - des gens qui viendront plus
ou moins en complément, après s'être privé du recrutement de gens qui seraient
entrés un peu plus nombreux à l'Ecole nationale de la magistrature. C'est
navrant.
Le système de l'Ecole nationale de la magistrature présente cependant une
grave carence, déjà dénoncée à maintes reprises, en particulier par notre
excellent collègue Jean-Jacques Hyest. Cette carence, c'est le caractère
excessivement théorique d'une formation qui produit des magistrats jeunes,
instruits sans doute, mais dépourvus pratiquement de toute expérience des
choses de la vie sociale et professionnelle.
Comment peut-on juger les multiples contentieux, alors que l'on ignore les
réalités quotidiennes dans lesquelles ils s'inscrivent ? C'est pourtant bien la
situation de nos magistrats actuels ! La solution est simple, bien connue :
elle pourrait être trouvée dans la participation pendant une durée
significative - un an - à la vie d'un cabinet qui ne peut qu'être un cabinet
d'avocats, puisque c'est le seul endroit où l'on sait quelles sont les réalités
de la vie contentieuse.
Cela me semble nécessaire, mais, dans l'état de carence où nous sommes, je
n'ai pas cru possible de proposer des améliorations s'agissant de la formation,
parce que cela rallongerait évidemment d'un an la durée des études. Cela étant,
sans doute faudra-t-il revenir sur cette réflexion, et le plus tôt sera le
mieux, pour compenser, corriger le caractère excessivement théorique de la
formation que reçoivent actuellement nos magistrats.
Je dirai un dernier mot sur le problème d'ensemble de l'organisation du
système judiciaire, en vue de le rendre plus apte à traiter les divers
contentieux de manière plus satisfaisante au triple point de vue de la
rapidité, de l'intelligibilité et de la sûreté de ses décisions.
Nous ne pouvons que nous réjouir de la vaste réflexion que vous avez engagée,
à cet égard, sur le thème des Entretiens de Vendôme. Nous la suivrons avec la
plus grande attention, soyez-en assurée.
Reprenant des réflexions anciennes de la commission, je me permets de formuler
la suggestion suivante : on ne résoudra pas le problème de l'organisation de la
justice si l'on ne procède pas à une prise en compte spécifique de ce qu'il est
convenu d'appeler le contentieux de masse. Je n'entre pas dans des explications
trop longues on sait bien quels problèmes j'entends évoquer, tant en matière
pénale qu'en matière civile.
C'est l'inflation croissante de ce contentieux de masse qui perturbe
profondément le fonctionnement de notre justice, les mécanismes classiques
n'étant pas adaptés à ce contentieux. En outre, il nous paraît dangereux de
croire indéfiniment que l'on pourra résoudre le problème en recourant à des
procédures alternatives, parallèles, qui échappent plus ou moins au
fonctionnement normal de la justice et aux critères fondamentaux d'une bonne
justice.
Ces expériences sont intéressantes en tant qu'expériences. Je ne crois pas que
l'on puisse en faire un système qui se développerait indéfiniment et qui
mettrait en quelque sorte en place deux justices : une véritable justice et un
système plus ou moins associatif qui gérerait la justice des petites gens dans
des conditions dont on s'apercevrait un jour qu'elles ne correspondent pas
vraiment aux critères que nous souhaitons.
La solution ne consiste pas à renvoyer ce contentieux à l'extérieur ni à le
traiter par voie d'« abattage ». Il faut imaginer une justice adaptée au
contentieux de masse par ses procédures, par ses modes de fonctionnement, par
la typologie de ses magistrats. On retrouve là les magistrats issus de la
société civile, à l'exemple de ce que font les Anglais avec les
magistrat's
courts,
qui fonctionnent fort bien depuis Henry II et qui emploient 7 000
ou 8 000 magistrats de la société civile. Personne ne s'en plaint, cela
fonctionne très bien.
En résumé, il s'agit, au fond, de ressusciter les justices de paix de naguère,
fort bien adaptées au petit contentieux lorsqu'il était rural. Il n'y a plus de
petit contentieux rural, mais il y a un considérable petit contentieux des
quartiers suburbains, qui est quantitativement plus important que cet ancien
contentieux rural.
Ces juridictions renouvelées pourraient connaître le renouveau en intégrant
les expériences les plus récentes, telles que celles des maisons de justice,
des conciliateurs, qui sont forts intéressantes. Elles seraient capables de
traiter ce contentieux d'une manière originale, différente du traitement
classique, qui est beaucoup trop sophistiqué, intellectuel et incompréhensible,
et elles présenteraient l'avantage de se situer au sein de l'appareil
judiciaire, et non à l'extérieur. Mais il s'agit là, évidemment, de
perspectives nouvelles qui dépassent le cadre du présent projet de loi.
J'en reviens donc au texte, pour conclure, au nom de la commission des lois, à
son adoption, d'autant que nous en sommes en grande partie les auteurs, sous
réserve de l'adoption de quelques amendements qui sont le plus souvent de
nature à apporter des améliorations mais sans aller - M. Charasse voudra bien
m'en excuser - jusqu'à l'adoption de certaines autres propositions dont la
commission pense qu'ils étaient surtout de nature à enrichir et à animer le
débat.
M. Michel Charasse.
Courage, fuyons !
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de
loi organique relatif à la carrière des magistrats prend un relief particulier
dans le contexte actuel, à un moment où la profession apparaît à bien des
égards sinistrées.
Le déficit apparaît patent en termes de personnel, qu'ils soient magistrats ou
greffiers, de locaux ou de matériel informatique, dont la pénurie a retardé, on
le sait, l'entrée en application du juge des libertés ; sans un bureau ni une
liaison informatique, il était en effet difficile à ce juge d'exercer sa
mission !
Submergée par un accroissement constant de ses missions, sans que les moyens
de les mettre en oeuvre suivent toujours, la justice judiciaire exprime depuis
maintenant de nombreux mois son inquiétude.
Vous avez pris la mesure de ce mécontentement, madame la ministre, en
acceptant de réfléchir avec l'ensemble des acteurs du monde judiciaire à une
réforme en profondeur de la justice du triple point de vue de son
fonctionnement, de sa qualité et de son accessibilité.
Les Entretiens de Vendôme, qui sont entrés dans leur phase pratique avec la
consultation nationale des magistrats, devraient ainsi déboucher sur des pistes
d'autant plus instructives qu'ils traduisent, une fois encore, votre esprit
d'ouverture et votre souci de la participation.
Encore faudra-t-il, madame la ministre, une fois l'état des lieux dressé, que
les moyens budgétaires suivent, et parce que nous savons que cette bataille
n'est pas gagnée, nous n'hésiterons pas à le rappeler et à vous soutenir, vous
le savez.
En attendant, le texte, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, est
un premier pas vers la revalorisation de la profession, ce qui n'est pas
négligeable à l'heure où l'on parle de recrutements massifs : 1 200 magistrats
d'ici à 2005.
Les amendements présentés par le Gouvernement s'agissant des recrutements
complémentaires - concours exceptionnels, recrutements sur titres - permettent
en tout cas de donner une dimension concrète à ces engagements en termes
d'effectifs.
Ce texte satisfait donc pour une large part les sénateurs de notre groupe ; il
complète et enrichit le texte qui avait été précédemment adopté ici, et nous
nous réjouissons que la commission des lois ait choisi de l'approuver dans une
large part, même si - j'y reviendrai - nous regrettons que l'idée d'un délai
couperet de sept ou dix ans ait fini par s'imposer.
Notre satisfaction est d'autant plus grande que l'Assemblée nationale a fait
siennes les suggestions et les remarques que nous avions pu formuler en
première lecture.
Je pense, d'abord, à la question de la transparence des audiences
disciplinaires du CSM, qui est étendue, comme nous l'avions souhaité, aux
magistrats du parquet. L'équité entre les magistrats de l'ordre judiciaire est
ainsi rétablie.
Mais c'est surtout la reprise de nos amendements tendant à la représentation
proportionnelle pour l'élection au Conseil supérieur de la magistrature qui
est, pour nous, source de satisfaction.
Je me réjouis que M. le rapporteur se rallie à notre position en proposant
l'adoption de l'article 14, alors qu'il l'avait considérée comme hors sujet et
non urgente en première lecture.
Avec cet article 14, s'il est adopté, les élections supérieur se feront
dorénavant à la représentation proportionnelle au sein du CSM, et non plus au
scrutin uninominal à un tour, comme c'est le cas aujourd'hui, ce qui jouera
dans le sens d'une représentation pluraliste du corps.
Notre attention a néanmoins été appelée sur les modalités d'application du
système. En effet, si l'on fait référence aux décrets, dans certaines cours
d'appel, seuls un, deux ou trois sièges sont à pourvoir, ce qui limite - nous
devons le reconnaître - la portée de la représentation proportionnelle ! Il
faudrait penser à augmenter notablement le corps des électeurs.
Par ailleurs, si l'article 14 proposé par l'Assemblée nationale institue la
parité, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, il ignore le problème du
surpoids de la hiérarchie judiciaire au sein du CSM, ce qui atténue, selon
nous, la portée de la démarche.
Nous avions, pour notre part, proposé en première lecture l'institution d'un
collège unique pour l'ensemble des magistrats, sans distinction
hiérarchique.
Cette réforme nous semblait cohérente avec la démarche de simplification des
grades et nous regrettons qu'elle n'ait pas été reprise. C'est pourquoi nous
soutiendrons l'amendement de notre collègue M. Courtois, qui va dans le même
sens.
Notre lecture du texte est donc positive, et ce d'autant plusque les députés
ont apporté de réelles améliorations aux nouvelles règles de mobilité en
garantissant que les magistrats y appelés à quitter leur poste en vertu de la
limitation de la durée des fonctions de chef de juridiction ou de procureur,
retrouveront une place dans la hiérarchie judiciaire.
En revanche, les sénateurs communistes restent tout à fait réservés sur le
couperet des sept ans, à nouveau présenté par la commission des lois, et auquel
se range, nous le déplorons, le Gouvernement, qui propose une rédaction
transactionnelle à dix ans.
Cette règle leur paraît, en l'état actuel des textes, attenter au principe
d'inamovibilité.
(M. Charasse s'exclame.)
Je tiens à rappeler qu'il en
serait différemment si la droite n'avait pas fait échouer la révision
constitutionnelle relative à la réforme du Conseil supérieur de la
magistrature, qui seule, en garantissant l'autonomie réelle des magistrats,
peut justifier une mobilité renforcée.
En outre, nous avions déjà exprimé en première lecture nos réserves quant aux
conséquences d'une telle règle sur des dossiers complexes dont l'instruction
peut s'étendre sur plusieurs années ; je pense aux affaires financières et au
suivi des mineurs en danger, mais M. Badinter a également évoqué, en
commission, l'affaire du tunnel du Mont-Blanc ou des disparues de l'Yonne.
Il est certain à cet égard que, si la règle de la collégialité, notamment en
matière d'instruction, que nous avions instamment demandée lors du vote du
projet de loi relatif au renforcement de la présomption d'innocence, avait été
retenue, nous ne nous trouverions pas devant les mêmes difficultés.
Sous réserve de ces remarques, mon groupe votera un texte qui, très attendu
par la profession, sera le premier signe manifestant que nous ne laisserons pas
en déshérence une mission aussi essentielle que celle de la justice.
Je crois que nous aurons marqué une singulière avancée en ce sens avec ce
projet de loi.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je souhaite répondre à M. Fauchon, qui m'a interpellée
très aimablement tout à l'heure.
En ce qui concerne les magistrats à titre temporaire, vous avez raison,
monsieur le rapporteur, mais le problème vient de ce que nous n'avons pas de
candidats pour ces postes-là. Je m'engage devant vous à sensibiliser de nouveau
les intéressés potentiels pour répondre à votre souci, mais encore faut-il que
les candidats se présentent.
Vous avez dit, monsieur Fauchon, que l'enseignement à l'Ecole nationale de la
magistrature était très théorique. Il l'est de moins en moins grâce aux stages
en entreprise, dans des cabinets d'avocat et en juridiction, stage qui offrent
une formation de qualité. Mais peut-être, en effet, la durée de ces stages
est-elle à revoir.
Je pense que l'Ecole nationale de la magistrature présente surtout cet
avantage d'évoluer très vite et constamment : ce n'est pas une école figée. A
cet égard, il faut saluer les directeurs successifs, qui ont su faire évoluer
la formation, même si je comprends votre souci de la rendre plus citoyenne, en
quelque sorte.
Concernant maintenant les postes, et sans polémique aucune car ce n'est pas du
tout le ton de nos échanges, il faut prendre en compte - je réponds ici
également aux sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen - les
arrivées nettes des magistrats dans les juridictions : 82 en 1995, 57 en 1996,
pour tomber à 39 en 1997. Ces arrivées ont repris, passant à 107 en 1998, à 214
en 1999, à 226 en 2000. Puis, un creux est apparu en 2001, faute de concours
exceptionnel, avec 176 arrivées seulement. Depuis, elles ont repris avec 325
arrivées nettes, puis 354, 370 et 390, pour atteindre le fameux effectif de 8
000 magistrats sur le terrain. J'insiste sur le fait que ces chiffres
comprennent les départs en retraite, parce que c'est cela qui est important
pour répondre à ce que vous avez l'un et l'autre qualifié de malaise de la
justice.
Pour ce qui est des Entretiens de Vendôme, après une réponse en termes de
moyens, qui sera vérifiable d'année en année, il s'agit de mettre à plat
l'institution dans son ensemble, et peut-être, à cette occasion, des questions
de formation seront-elles abordées, comme celle du passage d'une profession à
une autre. Nous aurons là des débats importants, à condition qu'ils soient à la
fois sereins et constructifs.
Il a été question tout à l'heure de la carte judiciaire, et j'avais moi-même
esquissé les problèmes d'accessibilité. Les maisons de la justice et du droit
sont un moyen, mais pas le seul. Il importe de mener une réflexion sur les
tribunaux d'instance, sur le rôle qu'ils peuvent jouer, très proche de ce que
vous disiez concernant les juges de paix en milieu rural.
En résumé, nous avons à parler en termes non plus de géographie mais
d'efficacité, de la même manière que nous aurons à parler en termes d'exercice
serein de la justice et de responsabilité.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je souhaiterais simplement ajouter quelques mots.
Sur cette question des magistrats exerçant à titre temporaire, on nous dit
qu'il n'y a pas de candidats. Mais il faut souligner que les conditions posées
pour accéder à ces postes n'ont rien d'encourageant ! Vous pensez bien que des
personnes arrivant en fin de carrière et âgées d'une soixantaine d'années y
peuvent attester une expérience assez grande pour ne pas avoir, de surcroît, à
passer des épreuves et à suivre des stages.
De deux choses l'une : ou bien l'on considère qu'elles sont capables et, dans
ce cas-là, elles exercent leurs fonctions pendant cinq ans et ce sans
pratiquement percevoir de rémunération, si ce n'est une indemnisation, ou bien
on renonce purement et simplement à utiliser cette voie de recrutement.
Pour avoir rencontré un ou deux candidats, je sais que, compte tenu des
conditions qui leurs sont proposées, il préfèrent rester chez eux. C'est un
certain service que rendent les magistrats exerçant à titre temporaire, et
qu'ils exercent avec dévouement ; il faut donc savoir être accueillant. Il faut
peut-être aussi faire circuler l'information, sans pour autant placarder des
annonces disant : « Engagez-vous, rengagez-vous dans la magistrature ! »,
certes, mais en réfléchissant aux modalités d'accès à ces postes.
Je crois que les gens ne connaissent pas très bien l'existence de cette
possibilité : le faible nombre de recrutements de ce type incite peu au dépôt
de candidatures. Il faudrait peut-être essayer de relancer cette initiative, ce
qui s'inscrirait tout à fait dans la démarche actuelle de la chancellerie.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je suis tout à fait d'accord avec vous !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une
heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)