SEANCE DU 3 MAI 2001
M. le président.
« Art. 9. - Il est créé, après l'article 225-16-3 du code pénal, une section 3
ter
ainsi rédigée :
« Section 3
ter
« De la manipulation mentale
«
Art. 225-16-4
. - Le fait, au sein d'un groupement qui poursuit des
activités ayant pour but ou pour effet de créer ou d'exploiter la dépendance
psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités,
d'exercer sur l'une d'entre elles des pressions graves et réitérées ou
d'utiliser des techniques propres à altérer son jugement afin de la conduire,
contre son gré ou non, à un acte ou à une abstention qui lui est gravement
préjudiciable, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 F
d'amende.
«
Art. 225-16-5
. - L'infraction prévue à l'article 225-16-4 est punie
de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende lorsqu'elle est commise
sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une
maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état
de grossesse, est apparente ou connue de son auteur.
«
Art. 225-16-6
. - Les personnes morales peuvent être déclarées
responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, des
infractions définies à la présente section.
« Les peines encourues par les personnes morales sont :
« 1° L'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 ;
« 2° Les peines mentionnées à l'article 131-39.
« L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité
dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été
commise. »
Sur l'article, la parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Dans toute démocratie, la liberté de conscience, la liberté religieuse et la
liberté d'association sont des droits fondamentaux assurés aux citoyens.
Cependant, les groupements à caractère sectaire, dangereux pour la démocratie,
s'appuient sur ces libertés fondamentales pour prospérer. La difficulté est de
s'opposer à ces groupements qui ignorent les règles démocratiques et
républicaines tout en veillant à ne porter atteinte à aucune des libertés
garanties par la Constitution.
A ce titre, le délit de manipulation mentale introduit par l'Assemblée
nationale a fait l'objet de nombreuses critiques et interrogations dans la
mesure où il pouvait se montrer dangereux pour l'exercice de ces libertés, et
notamment pour la liberté religieuse. De surcroît, il existe déjà un arsenal
juridique suffisant pour sanctionner les pratiques de déstabilisation mentale.
Ces mesures, il faut les appliquer, et il ne sert à rien de bouleverser le
droit.
Je pense qu'il est essentiel de concilier le bon exercice de la liberté
religieuse avec la lutte contre les sectes.
Autant le délit de manipulation mentale présente certains dangers, autant le
dispositif proposé par la commission des lois est plus prudent, tout en
introduisant un arsenal qui permet de lutter efficacement contre les sectes. La
nouvelle rédaction de l'article 9 s'appuie sur l'avis de la Commission
nationale consultative des droits de l'homme, qui estime qu'il n'est pas
nécessaire de créer un délit spécifique et considère que des circonstances
aggravantes peuvent être prévues lorsque l'état de dépendance physique ou
psychique a été causé par une secte.
Je considère que, face au problème des sectes, il est essentiel de conserver
une attitude très pragmatique en améliorant quelques points du dispositif
juridique existant mais qu'il ne faut en aucun cas bouleverser le droit en
créant un régime juridique spécifique aux sectes, car, à terme, cela conduirait
à une limitation de l'exercice des libertés fondamentales.
C'est pourquoi je voterai l'amendement qu'a déposé la commission sur cet
article.
M. le président.
Par amendement n° 10, M. About, au nom de la commission des lois, propose de
rédiger comme suit cet article :
« Il est créé, après l'article 223-15 du code pénal, une section VI
bis
ainsi rédigée :
« Section VI
bis
« De l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse
«
Art. 223-15-2.
- Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 2 500
000 F d'amende, l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de
faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la particulière
vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience
physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son
auteur, soit d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique
résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques
propres à altérer son jugement, pour conduire ce mineur ou cette personne à un
acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
« Lorsque l'infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un
groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de
maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes
qui participent à ces activités, les peines sont portées à cinq ans
d'emprisonnement et à 5 000 000 F d'amende.
«
Art. 223-15-3.
- Les personnes physiques coupables du délit prévu à
la présente section encourent également les peines complémentaires suivantes
:
« 1° L'interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les
modalités prévues par l'article 131-26 ;
« 2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27,
d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou
sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction
a été commise, pour une durée de cinq ans au plus ;
« 3° La fermeture, pour une durée de cinq ans au plus, des établissements ou
de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à
commettre les faits incriminés ;
« 4° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre
l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets
susceptibles de restitution ;
« 5° L'interdiction de séjour, suivant les modalités prévues par l'article
131-31 ;
« 6° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'émettre des chèques
autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré
ou ceux qui sont certifiés ;
« 7° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions
prévues par l'article 131-35.
«
Art. 223-15-4.
- Les personnes morales peuvent être déclarées
responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, de
l'infraction définie à la présente section.
« Les peines encourues par les personnes morales sont :
« 1° L'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 ;
« 2° Les peines mentionnées à l'article 131-39.
« L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité
dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été
commise. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Cet amendement tend à modifier l'article 9 pour tenir compte
des critiques formulées contre le délit de manipulation mentale et surtout des
remarques de la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Il s'agit de compléter et de déplacer du livre III au livre II du code pénal
le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance et de faiblesse plutôt que de
créer un nouveau délit spécifique aux sectes ; j'ai déjà dit que je n'aimais
pas les délits spécifiques...
Les peines encourues seraient aggravées lorsque l'infraction est commise par
le dirigeant ou le représentant d'un groupement qui poursuit des activités
ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir et d'exploiter la sujétion
psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités. Les
personnes morales pourraient, en outre, être déclarées pénalement responsables
de ce délit d'abus de faiblesse.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
J'ai déjà indiqué dans mon discours introductif que
j'étais pleinement favorable à cet amendement.
Il convient de se féliciter que, sur cette question sensible, M. About et la
commission des lois du Sénat, à partir des dispositions initialement adoptées
par l'Assemblée nationale et éclairés par l'avis de la Commission consultative
des droits de l'homme, aient pu parvenir à un texte satisfaisant.
Je souhaite, par ailleurs, observer que les dispositions retenues ont pour
origine une infraction très ancienne de notre droit, puisqu'elle figurait dans
le code pénal napoléonien, à savoir l'abus des faiblesses d'un mineur.
Cette infraction, plus ou moins tombée en désuétude, avait ensuite, sur
l'initiative de M. Robert Badinter, trouvé une nouvelle vie dans le nouveau
code pénal, qui étendit ses éléments constitutifs à l'hypothèse de l'abus
frauduleux de la faiblesse d'une personne vulnérable.
J'éprouve une certaine satisfaction à constater que c'est une infraction
traditionnelle qui, sous réserve d'avoir fait l'objet à deux reprises d'une «
cure de jouvence », permettra à l'avenir de réprimer et, je l'espère, de
prévenir de façon efficace les dérives sectaires que connaît malheureusement
aujourd'hui notre société.
Les rédacteurs du code Napoléon n'avaient certes pas songé qu'une de ses
dispositions aurait un jour, près de deux siècles après sa promulgation, une
telle utilité !
Cette solution est, en tout état de cause, préférable à la création d'une
infraction nouvelle, dont la spécificité pouvait paraître critiquable.
L'amendement n° 10 inscrit, en effet, le caractère pénalement condamnable des
dérives sectaires dans l'ensemble du droit pénal existant, ce qui renforce la
légitimité d'une telle répression.
J'y suis donc favorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 10.
M. Michel Caldaguès.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Avec l'article 9, modifié ou non par l'amendement n° 10, nous nous heurtons
très précisément au risque que j'évoquais au cours de la discussion
générale.
Il est intéressant de décortiquer cet article 9 - je le répète ; amendé ou
non. On constate qu'il contient toute une collection d'alternatives. Par
conséquent, il frappe les esprits par un certain nombre de notions, de faits ou
d'affirmations qui ne sont que des alternatives par rapport à d'autres.
Alors, j'ai fait mes emplettes au sein de l'article 9.
Voici comme j'ai reconstitué le « panier » : si on lit bien l'article 9 et que
l'on tient compte des alternatives - des « ou » - on constate qu'est puni
l'abus frauduleux de l'état d'ignorance d'une personne en état de sujétion
psychologique résultant de l'exercice de pressions réitérées pour la conduire à
un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Je me ferais fort, si j'étais maître de l'action publique, d'envoyer, sinon
n'importe qui en prison avec une telle phrase, en tout cas beaucoup de gens
!
M. Nicolas About,
rapporteur.
Il faudrait y parvenir !
M. Michel Caldaguès.
C'est pourquoi je ne voterai évidemment ni l'amendement ni l'article.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je ne peux pas laisser dire que la France est remplie de gens
qui abusent frauduleusement de l'état de faiblesse, d'ignorance ou de sujétion
de certaines personnes pour les amener à des actes qui leur sont gravement
préjudiciables. Ce n'est pas possible ! Ces gens sont malheureusement trop
nombreux, mais il n'y a pas qu'eux, et c'est justement à ces personnes que nous
nous attaquons pour essayer de les faire condamner.
M. Michel Caldaguès.
Je demande la parole, pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Je veux répondre à M. About, qui essaye, parce que c'est de cela qu'il s'agit,
de déconsidérer mon intervention.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Non, je réponds !
M. Michel Caldaguès.
L'article 9 peut parfaitement permettre, par exemple, de condamner ceux qui
ont recours à des procédés publicitaires douteux. C'est ainsi que la télévision
publique aurait l'intention de supprimer la publicité dans les émissions
enfantines, laquelle peut en effet être à l'origine des conditionnements qu'il
est aisé d'imaginer. Ce n'est qu'un exemple !
Sans aller jusqu'à dire que la France est remplie de gens qui abusent de
l'ignorance, ou de la faiblesse des autres - si mon expression a été trop
forte, je l'atténue - je dis qu'avec un tel texte, on peut condamner beaucoup
de gens,...
M. Nicolas About,
rapporteur.
Je ne le crois pas !
M. Michel Caldaguès.
... peut-être même nuire à la liberté d'expression et, plus précisément, à la
liberté de la presse. Lisez attentivement ce texte, et vous me comprendrez!
M. Nicolas About,
rapporteur.
Le rapporteur a une autre idée de la valeur des juges !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Monsieur Caldaguès, j'ai confiance dans les magistrats
de mon pays et je suis convaincue qu'ils feront la différence entre une
publicité pour une lessive et un abus de faiblesse.
En revanche, je vous rappelle que certains procédés de vente qui forcent la
porte de personnes considérées comme fragiles sont actuellement condamnables, y
compris par le code de la consommation. Ce sont dorénavant des délits.
Par conséquent, je crois les magistrats parfaitement capables de distinguer un
vrai abus d'un faux.
M. Michel Caldaguès.
C'est bien ce que je voulais dire ! Si le délit existe déjà, il n'est pas
nécessaire de le créer à nouveau !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 9 est ainsi rédigé.
Article 10