SEANCE DU 19 AVRIL 2001
M. le président.
La parole est à M. Martin.
M. Pierre Martin.
Monsieur le Premier ministre, c'est à vous que s'adresse ma question, que je
pose au nom des trois sénateurs de la Somme, et je vous remercie par avance d'y
répondre personnellement.
Vous êtes venu, le 9 avril dernier, constater les dégâts provoqués dans la
Somme par les inondations. Vous y avez rencontré la désolation. Vous avez pris
conscience de la détresse, de la colère des sinistrés abbevillois et perçu, je
l'espère, l'élan de solidarité qui s'est organisé.
A Fontaine-sur-Somme, village très touché de mon canton, élus, agriculteurs,
chasseurs et habitants vous attendaient. Vous n'êtes pas venu ! Certes, trois
Puma ont survolé le secteur, mais votre rencontre manquée avec le monde rural a
fait naître un sentiment d'amertume. Par ailleurs, un geste, un signe, un
témoignage de Mme Voynet eussent été très appréciés.
M. René-Pierre Signé.
Ils sont forts quand ils ne sont pas au Gouvernement !
M. Pierre Martin.
Quant à la situation actuelle, elle est dramatique. Le niveau de l'eau n'a
guère bougé. Cent huit communes concernées, 2 500 habitations inondées, 1 000
personnes évacuées, 300 hectares d'hortillonnages engloutis, créant une
situation désespérée pour les maraîchers, des centaines de salariés au chômage
technique, des entreprises menacées de délocalisation, des artisans et des
commerçants contraints de cesser leur activité, vingt-trois routes coupées, la
liaison ferroviaire Abbeville-Amiens interrompue, des équipements publics
inutilisables, des pollutions naissantes, des conditions d'hygiène détestables,
telle est la situation.
Et pour combien de temps encore ?
Néanmoins, municipalités, agents communaux, pompiers, protection civile,
gendarmes, policiers, militaires, associations, volontaires, tous mobilisés,
contribuent à redonner peu à peu courage aux sinistrés de la Somme.
Mais voilà, cela ne suffit pas ! L'enveloppe de 600 000 francs, portée à 1 200
000 francs, et les 20 millions annoncés vont dans le bon sens, mais ils seront
évidemment insuffisants.
Peut-on savoir dans quelles conditions le préfet de région mettra en oeuvre
ces sommes, en partenariat avec la région et le département, pour une gestion
la plus efficace possible d'une crise dont nul ne connaît aujourd'hui le terme
et le coût ?
Peut-on attendre de la mission d'expertise des investigations sérieuses allant
au-delà des seules explications liées à la pluviométrie et à la saturation des
nappes phréatiques, afin de lever définitivement le doute sur les
interrogations suspicieuses
(Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
et les affirmations
qui les confortent ?
Quand et pour qui prononcera-t-on l'état de catastrophe naturelle ?
Peut-on espérer la mise en place de dispositifs techniques financiers
permettant aux entreprises sinistrées de tous les secteurs économiques la
reprise rapide de leur activité pour la sauvegarde de l'emploi ?
Sommes-nous en droit d'espérer des mesures spécifiques pour les agriculteurs
quant au délai de dépôt des dossiers PAC et à l'utilisation des jachères ?
Pouvez-vous garantir au pays de Somme et à ses populations sinistrées la juste
considération de l'Etat et la prise en compte de tous les problèmes qui
n'apparaîtront qu'au terme de la décrue ?
La Somme a payé un lourd tribut à l'histoire. Elle a longtemps été oubliée.
Aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, une fois encore, notre département
est dans la difficulté. Il attend avec impatience le signe d'une reconnaissance
de la nation.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Avant de donner la parole à M. le Premier ministre pour répondre à M. Martin,
je veux rappeler que le président Guy Allouche, lors de la séance de mardi
dernier, a exprimé la sympathie du Sénat tout entier aux populations des
régions durement touchées par les inondations.
Sur ma proposition, le conseil de questure du Sénat a décidé, le même jour,
d'accorder aux collectivités sinistrées un secours financier.
Si ce geste symbolique n'est, certes, pas à la mesure du préjudice humain
causé par ces inondations, il apportera à l'évidence le témoignage sincère de
la solidarité du Sénat envers les victimes.
(Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin,
Premier ministre.
Monsieur le sénateur, dès le lundi 9 avril dernier, au
retour d'un voyage au Brésil, conscient de la dureté de l'épreuve à laquelle
nos compatriotes de la Somme étaient confrontés et désireux de manifester
moi-même directement, non pas simplement par le langage de la compassion mais
par la présence physique, ma solidarité, y compris à ceux dont je savais la
colère, je me suis rendu avec M. le ministre de l'intérieur à Abbeville.
C'était le jour où je devais rendre les arbitrages sur le budget pour 2002, et
il me fallait bien trancher entre mon souci d'être sur le terrain et la
nécessité de faire mon travail de Premier ministre. C'est pour cette seule
raison, monsieur le sénateur, et parce que je suis resté peut-être plus
longtemps que prévu à Abbeville, pour des raisons que vous comprendrez, que je
ne me suis pas rendu à Fontaine-sur-Somme, dans votre canton. Mais sachez que
je souhaitais le faire et que la visite était inscrite à mon programme.
Sur place, dans la vallée de la Somme, j'ai pu effectivement, comme vous
l'avez dit, mesurer le désarroi, les difficultés et parfois aussi la colère ou
l'incompréhension de nos compatriotes, en particulier dans le quartier des
Planches - bien mal nommé ou bien nommé, au contraire, en la circonstance ! - à
Abbeville.
Et parce que tout doit être dit, j'ajoute que cette colère, cette
incompréhension auraient peut-être été moins fortes si n'avait été répandue
auprès des personnes sinistrées, sans qu'elle soit démentie, cette rumeur
insensée selon laquelle on aurait pu vouloir noyer la Somme pour préserver
Paris.
Il a été fait justice, bien sûr, de cette rumeur et son caractère absurde a
été montré. Mais je n'ai pas rencontré un homme ou une femme, à ce moment-là,
dans ces conditions difficiles, qui ne me le rapporte en y croyant dur comme
fer.
J'aurais souhaité qu'un certain nombre d'élus locaux, au lieu de contribuer à
accréditer cette rumeur - tel n'est d'ailleurs pas votre cas, monsieur le
sénateur - la démentent en en montrant, dans notre pays, l'impossibilité.
Quoi qu'il en soit, et quels qu'aient été les commentaires, je crois bien
avoir été, avec le ministre de l'intérieur, la seule personnalité nationale à
aller directement au contact de ces habitants durement touchés et en colère.
Croyez bien que je ne regrette pas de l'avoir fait.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je souhaite maintenant répondre à deux des principales questions que vous
m'avez posées, qui concernent la mission interministérielle d'expertise, d'une
part, les conditions d'indemnisation, d'autre part.
Comme je l'ai dit avant-hier à l'Assemblée nationale, la mission d'expertise,
dont j'avais annoncé la création à Abbeville, a été formée très rapidement.
Elle est au travail depuis deux jours et ses membres ont déjà rencontré de
nombreux élus et responsables administratifs, ainsi que, bien sûr, d'autres
personnes.
La tâche de cette mission est double.
D'une part, elle est chargée d'analyser toutes les causes de ces inondations,
en identifiant les facteurs qui ont pu, au-delà du caractère exceptionnel des
précipitations, aggraver l'ampleur du phénomène.
D'autre part, elle devra évaluer l'efficacité des dispositifs de protection et
de prévention existants et proposer aux pouvoirs publics des mesures permettant
d'éviter qu'une telle catastrophe ne se reproduise ou, au moins, d'en limiter
les effets.
De ce point de vue, là encore, les élus locaux sont confrontés au problème des
choix, de la définition des plans d'occupation des sols et des zones
inondables, même si, la crue étant exceptionnelle, il était évidemment
difficile d'imaginer que certains terrains se trouveraient inondés.
Certains élus locaux de la Somme avaient demandé qu'un expert extérieur à
l'administration soit associé aux travaux de la mission interministérielle
d'expertise. Le conseil général de la Somme et l'association des maires du
département se sont entendus pour nous présenter un spécialiste reconnu en
matière d'hydrologie, expert auprès de l'UNESCO. Ce point ne pose bien sûr
aucun problème : cette personne pourra participer aux travaux de la mission
interministérielle d'expertise.
Celle-ci rendra ses premières conclusions avant la fin du mois de mai
prochain.
En ce qui concerne les conditions d'indemnisation, monsieur Martin, j'ai déjà
annoncé à l'Assemblée nationale que des crédits importants, à hauteur de 20
millions de francs, seraient attribués aux communes de la Somme, notamment pour
les aider à remettre en état les équipements endommagés par l'inondation.
J'ai également souligné qu'une aide d'urgence dont le montant a été doublé et
atteint désormais 1,2 million de francs, comme vous l'avez relevé, avait été
dégagée, était utilisée et pourrait être encore accrue, en fonction des
demandes, pour financer de petits achats, puisque tel était son unique objet,
il s'agit en effet, non d'une indemnisation, mais d'une aide d'urgence destinée
à permettre l'achat, par exemple, d'un réchaud, d'une couverture ou de divers
autres petits articles.
A cela s'ajouteront plusieurs dispositifs d'indemnisation.
A cet égard, nous devons trouver la bonne date s'agissant de la reconnaissance
de l'état de catastrophe naturelle pour les communes qui auront demandé à en
bénéficier. En effet, il ne faut pas qu'elle soit trop éloignée, sinon le
processus des indemnisations sera retardé, et il ne faut pas non plus qu'elle
soit trop précoce, sinon on ne sera pas en mesure, compte tenu de la lenteur de
la décrue, constamment interrompue et reprise, d'évaluer l'ampleur des dégâts.
Dès que l'état de catastrophe naturelle aura été reconnu pour les communes qui
en auront fait la demande, les particuliers et les entreprises concernés
pourront bénéficier de remboursements de la part des compagnies d'assurance.
Pour ce qui concerne les artisans et les commerçants dont l'activité a été
perturbée ou dont les installations ont subi des dégradations, ils pourront
bénéficier des aides du FISAC, le fonds d'intervention pour la sauvegarde, la
transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales,
qui était déjà intervenu à l'occasion d'autres inondations.
Des dispositions particulières vont également être prises pour aider les
entreprises touchées par le chômage technique, comme j'ai pu en voir sur le
terrain.
Enfin, beaucoup d'agriculteurs, vous l'avez dit, monsieur Martin, notamment
des hortillonneurs dans la région d'Amiens, sont victimes des inondations. Je
veux leur assurer qu'ils seront indemnisés, au titre du régime des catastrophes
naturelles pour leurs bâtiments et à celui du régime des calamités agricoles
pour les pertes de récoltes. L'évaluation des dommages sur le terrain est en
cours et la commission des calamités agricoles se réunira très
prochainement.
S'agissant toujours des agriculteurs, le Gouvernement demandera à la
Commission européenne les adaptations nécessaires pour permettre la prise en
compte des retards dans les semis. J'aurai d'ailleurs l'occasion de le dire au
commissaire européen Franz Fischler dès cet après-midi, puisque je le reçois à
Matignon.
Comme vous le voyez, messieurs les sénateurs de la Somme, la solidarité
nationale s'exerce pleinement en faveur de votre département. Le Gouvernement,
croyez-le, mobilise pour cela tous les moyens disponibles, car, à la
compassion, il faut constamment ajouter l'action.
(Applaudissements sur les
travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur certaines travées du RDSE, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
Nous vous remercions, monsieur le Premier ministre, de cette réponse. Elle
était un peu longue, mais le sujet le justifiait.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions d'actualité au
Gouvernement ; nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze,
sous la présidence de M. Gérard Larcher.)