SEANCE DU 3 AVRIL 2001
LOI D'ORIENTATION SUR LA FORÊT
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt. [Rapport n° 191
(2000-2001) et avis n° 190 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de juin dernier, l'Assemblée
nationale a débattre, en première lecture, du projet de loi d'orientation sur
la forêt. L'intérêt des députés, le caractère constructif du débat et la
diversité des sujets abordés ont renforcé ma conviction que parler de l'arbre,
de la forêt et du bois permet d'évoquer plusieurs questions cruciales pour
notre société.
Elément fondamental de notre économie et de nos paysages, la forêt illustre
par excellence la nécessité et l'utilité de l'action politique et du rôle de
l'Etat dans la prise en compte du long terme, de l'intérêt collectif, de
l'emploi, comme de la prévention des risques naturels et du patrimoine.
Le Premier ministre lui-même a insisté, à l'occasion de sa visite en Lorraine
en janvier dernier, sur l'ambition du Gouvernement pour ce texte.
Le projet que j'ai l'honneur de vous présenter est issu d'une large
concertation.
Je tiens à réaffirmer ici, devant vous, que ce projet de loi est autant celui
des parlementaires - et celui de la société - que celui du Gouvernement. Il est
en effet le fruit des échanges approfondis qui se sont instaurés ces dernières
années entre tous les acteurs et les partenaires de la politique forestière,
notamment sur la base du rapport de Jean-Louis Bianco,
La forêt, une chance
pour la France
, publié en 1998. Les tempêtes de décembre 1999 ont apporté
une nouvelle pertinence aux dialogues, aux innovations - voire aux
revendications ! - tout en mettant en lumière les forces et les faiblesses de
la filière forêt-bois. Mais j'y reviendrai.
La richesse des débats à l'Assemblée nationale a reflété cette volonté de
concertation active et sans
a priori
. J'ai souvent souscrit, sans parti
pris, à de nombreux amendements. Le travail que nous mènerons ici s'inscrira,
je n'en doute pas, dans cette dynamique d'ouverture et de recherche de
l'intérêt général.
Ce projet de loi, nous l'avons voulu ancré dans les évolutions du monde
d'aujourd'hui.
Dans un premier temps, je souhaite revenir rapidement sur les évolutions
fondamentales de notre société qu'il appartient à la politique forestière de
prendre en compte. Je retiendrai cinq axes majeurs.
Le premier axe est centré sur l'indispensable ouverture sur le monde. Les
frontières de notre environnement écologique, économique et social se sont
étendues à l'ensemble de la planète. Les enjeux sont globaux.
Le deuxième axe privilégie le soutien à la société. Nous vivons dans une
société dont les demandes, exprimées ou tacites, sont de plus en plus complexes
: accueil et sécurité, emploi et naturalité, beauté et durabilité... Ces
demandes de nos concitoyens s'expriment par une exigence de services et
d'usages, mais aussi par la volonté d'être davantage et mieux associés aux
choix stratégiques.
Ces demandes s'accompagnent d'une urbanisation croissante, et ce sera le
troisième axe de mon exposé.
Une charge affective forte est projetée sur des espaces ruraux par une
population avant tout citadine. L'arbre, témoin biologique immuable, du moins
en apparence, devient le symbole de la continuité du vivant. Dans ce contexte,
tout changement, même ponctuel, est perçu comme une agression. Et les forêts se
trouvent ainsi progressivement assimilées par l'opinion à des espaces publics
au service de tous, alors même que les trois quarts de leur étendue relèvent de
domaines privés.
La construction de l'Union européenne constitue le quatrième axe.
La forêt est restée, en quelque sorte, sur le seuil de cette aventure. Les
produits forestiers ne figurant pas dans le traité de Rome, la forêt n'y est
abordée que par le biais des autres politiques communes : l'agriculture bien
sûr, l'aménagement du territoire, l'environnement ou l'énergie... Pourtant un
intérêt se développe, et il n'est pas anondin de constater que la première
réunion rassemblant l'ensemble des pays du continent européen après la chute du
mur de Berlin a concerné la forêt, sur l'initiative de Louis Mermaz et de son
homologue finlandais, jetant à Strasbourg les bases de ce qui allait devenir le
« processus pan-européen d'Helsinki ».
Enfin, cinquième axe, au niveau national, la décentralisation a introduit une
nouvelle donne. La forêt en a intégré le mouvement, notamment à travers les
contrats de plan Etat-région et la création des commissions régionales de la
forêt et des produits forestiers, en 1985.
Cette prise en compte - je dirais presque « par essence » - du long terme
propre aux préoccupations forestières inscrit bien ce projet de loi dans la
ligne des grands projets d'orientation sur la forêt et des premières
ordonnances royales visant à « soutenir perpétuellement en bon état » le
domaine forestier, pour reprendre les termes de l'ordonnance de Philippe VI de
Valois en 1346.
Comme quoi, en matière forestière, la gestion durable n'est ni une innovation,
ni une mode, c'est bien une nécessité, n'en déplaise à nos modernes Robin des
bois !
Pour autant, la gestion du long terme n'exonère pas des responsabilités
immédiates. Les 18 mois qui viennent de s'écouler ont été riches
d'enseignements à cet égard.
Il nous a tout d'abord fallu gérer l'impact des tempêtes du mois de décembre
1999 sur ces réflexions d'orientation.
Plus d'un an après ce désastre, les flux de bois se rétablissent
progressivement, même si, j'en ai bien conscience, la situation reste encore
difficile à court terme, notamment dans certaines régions sinistrées par les
ouragans Lothar et Martin.
Le Gouvernement a toujours considéré que la perspective dans laquelle se
plaçait le projet de loi, en liaison avec la réforme des financements
forestiers conduite dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000 et la
définition de la stratégie forestière française, ne s'en trouvait pas altérée.
J'ai souvent répété que les chablis ne devaient pas cacher le reste de la
forêt. En maintenant le calendrier d'examen du projet de loi, nous avons
assumé, sans démagogie, son décalage relatif avec les événements. Je crois que
nous avons eu raison de faire ce choix.
En effet, les atouts et les handicaps structurels du secteur de la forêt et du
bois, pas plus que les enjeux internationaux, n'ont été significativement
modifiés par l'épreuve que notre pays a affronté. M. Jean-Louis Bianco évaluait
dans son rapport la quantité de bois supplémentaire à prélever dans les forêts
françaises à 6 millions de mètres cubes par an. La pertinence de son analyse
n'est pas remise en cause, même si la tempête a abattu une partie de ces
volumes « surcapitalisés » sur pied.
Un an après, nous sommes arrivés à l'heure des premiers bilans.
L'ambitieux plan national pour la forêt mis en place par le Gouvernement a
mobilisé près de 10 milliards de francs de soutiens financiers et 12 milliards
de francs de prêts bonifiés. Il comportera, d'ici à 2003, 1,7 milliard de
francs dans le cadre des « avenants tempête » aux contrats de plan.
Nous avons voulu un dispositif souple et évolutif pour faire face aux dégâts
et préparer la reconstitution du patrimoine forestier.
Les efforts de tous, en premier lieu ceux des professionnels concernés, ont
porté leurs fruits. Environ la moitié des chablis aura ainsi été récoltée en
2000 par l'ensemble de la filière. Je crois que c'est un bon résultat, un
résultat qu'aucun d'entre nous n'aurait prévu ou osé espérer voilà un an, mais
la tâche reste lourde et d'autant plus difficile que la forêt ne se trouve
plus, si j'ose dire, sous les feux de l'actualité.
C'est pourquoi le Gouvernement a confirmé le prolongement des aides du plan
national pour la forêt et poursuivi, au cours des derniers mois, la mise au
point de certains points particuliers.
L'instruction fiscale précisant les modalités de la déduction des revenus
professionnels des charges liées aux tempêtes est parue le 23 janvier 2001.
Une mission prospective interministérielle se met en place, sous l'égide du
ministère de l'intérieur, pour évaluer les conditions d'un soutien à la
trésorerie des communes touchées au-delà de 2001.
Les pluies de cet hiver, elles aussi exceptionnelles, ont à nouveau freiné la
sortie des bois, en rendant les conditions d'exploitation en forêt
particulièrement difficile. La poursuite de l'aide au transport au cours des
prochains mois me paraît, dans son principe, d'autant plus indispensable que
les bois abattus encore à mobiliser sont à présent de moindre qualité et moins
accessibles. Les modalités de la poursuite de l'aide au transport, qui sont en
cours de discussion, seront arrêtées courant avril.
Le dispositif d'aides à la reconstitution est opérationnel sur l'ensemble du
territoire depuis l'automne dernier. Une phase active de travaux s'engage,
favorisée par un dispositif spécifique d'aide aux pépiniéristes forestiers
arrêté en novembre dernier et leur tout récent accès à des aides à
l'investissement dans le cadre des avenants aux contrats de plan Etat-région.
Je viens néanmoins d'alerter ma collègue secrétaire d'Etat au budget sur
quelques difficultés administratives apparues dans les procédures
d'instruction.
Enfin, l'actualisation des plans de prévention et de lutte contre les
incendies de forêts adaptés aux risques spécifiques liés aux chablis, mis en
place l'été dernier, est en cours.
Au-delà, il nous appartiendra de tirer les enseignements à moyen terme de cet
événement, de nous livrer à l'exercice du « retour sur expérience ». Plusieurs
amendements de l'Assemblée nationale ont introduit des rapports spécifiques
liés à certains volets de cette évaluation. Je tiens, pour ma part, à
l'élaboration d'un plan de campagne en cas de tempêtes en forêt à l'échelon
tant national que régional.
Durant cette année mouvementée, la filière a démontré, je pense, sa capacité à
sortir renforcée de l'épreuve actuelle. En plusieurs occasions, j'ai invité les
professionnels à faire de 2001 « l'année du bois », et j'ai plaisir à saluer la
multiplicité des initiatives qui, depuis quelques mois, s'inscrivent dans cet
objectif.
Ainsi, la première semaine du bois, instaurée d'ailleurs sur une initiative
parlementaire, vient de s'achever ; avec plus de 800 manifestations à travers
toute la France, cette opération de communication a connu un véritable succès,
qui a largement dépassé les espérances de ses promoteurs et qui illustre bien
l'intérêt du grand public pour cette filière.
J'ai signé dans ce cadre, le 28 mars dernier, la charte «
Bois-construction-environnement » aux côtés de mes collègues Marie-Noëlle
Lienemann et Dominique Voynet, l'objectif étant d'accroître de 25 % la part de
marché de cet éco-matériau. Avec le pôle construction du centre technique du
bois et de l'ameublement, le CTBA, inauguré en octobre dernier à Bordeaux, la
filière dispose à présent des moyens de dynamiser l'utilisation du bois dans le
bâtiment.
En outre, la création d'un espace national de la forêt et du bois, lieu
d'échange et d'interactivité regroupant sur un site commun les principaux
partenaires de la filière, est à l'étude.
Enfin, les négociations relatives à la structuration d'une interprofession se
sont approfondies depuis le début de l'année et donnent lieu à des débats sans
précédent entre les intervenants de ce secteur.
Par ce projet de loi d'orientation sur la forêt, c'est donc fort de l'alliance
d'un secteur en pleine évolution que le Gouvernement réaffirme sa confiance
dans les potentialités de la forêt et de l'industrie du bois.
En effet, c'est demain que ce texte prépare, et je voudrais en rappeler ici
les lignes de force.
Première ligne de force, il faut situer la loi française dans l'environnement
juridique international, qui est en pleine évolution après le Sommet de la
terre de Rio de 1992 et eu égard aux conventions des Nations unies sur la
biodiversité, aux changements climatiques... et à la nécessité de relier le
droit français à un droit international de l'environnement qui est en train de
se constituer. Dans notre pays, où le poids de la dimension socio-culturelle
est fort, la multifonctionnalité est une référence traditionnelle en forêt. La
France, comme l'Europe, s'est néanmoins trouvée paradoxalement désarçonnée par
l'irruption de la gestion durable sur la scène internationale et dans
l'obligation de mettre en forme un savoir-faire séculaire de gestion des
espaces naturels, certes riche mais méconnu, ainsi que de justifier ses choix
face à la formule plus lisible de la séparation des territoiresAfficher 20 % du
territoire classé en réserve intégrale (formule prisée par les ONG
environnementales et de nombreux pays anglo-saxons) est bien plus médiatique
que de tenter d'expliquer une prise en compte graduée de la biodiversité sur
l'ensemble du territoire...
, selon laquelle il faut protéger ici, exploiter là, comme si ces deux
fonctions étaient antinomiques et inconciliables. La remise en question du
protocole de Kyoto, succédant à l'incapacité des participants à la conférence
de La Haye à parvenir, en novembre dernier, à adopter une position commune sur
la question des forêts, illustre le chemin qu'il nous reste à parcourir en la
matière.
J'en viens à la deuxième ligne de force : nous devons nous donner les moyens
d'établir des rapports rénovés entre forêt et société.
Le projet de loi vise à réaffirmer la responsabilité de l'Etat en tant que
garant vis-à-vis du long terme et de l'intérêt général et sa vocation d'arbitre
lorsque des divergences légitimes d'intérêts pénalisent la réalisation des
objectifs globaux.
Le texte ouvre parallèlement la possibilité de privilégier l'approche
contractuelle, lorsque celle-ci s'avère plus pertinente. Je voudrais citer ici,
en particulier, la création de chartes de territoires forestiers, qui a fait
l'objet de fructueuses discussions à l'Assemblée nationale. Ces chartes doivent
devenir de véritables outils de formation de projets multifonctionnels ancrés
dans les réalités de terrain. Une dizaine de démarches expérimentales sont déjà
engagées dans l'optique du programme-pilote que j'ai souhaité mettre en place
sans attendre la promulgation de la loi. Il s'agit d'une véritable évolution de
fond pour le secteur forestier, qu'il appartiendra ensuite aux partenaires
professionnels, aux élus et aux représentants du monde associatif de mettre en
oeuvre, en relation avec l'Etat, en définissant un équilibre entre le contrat
et la préservation de l'intérêt général.
Le projet de loi établit enfin des liens entre le code forestier et les autres
législations avec lesquelles il entretient des relations de plus en plus
étroites - les exemples les plus récents en étant la loi relative à la chasse,
la loi relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et
sportives, ou encore l'ordonnance Natura 2000.
Troisième ligne de force : l'atout économique que constitue, en France, un
patrimoine forestier en croissance continue depuis plusieurs dizaines d'années,
atout économique qui doit être valorisé, dans un monde où la demande en bois
augmente.
La compétitivité de la filière de transformation des produits forestiers et
dérivés du bois représente un enjeu en matière d'aménagement du territoire et
de développement des emplois ruraux. Le projet de loi comporte notamment des
dispositions en faveur de l'élévation de la qualification professionnelle dans
le secteur des travaux forestiers, de l'amélioration des conditions de
sécurité, de la lutte contre le travail dissimulé, de la stabilité des
entreprises et du développement des emplois en milieu rural.
En outre, l'élaboration d'un rapport spécial sur le travail en forêt a été
décidée par un amendement adopté à l'Assemblée nationale, et le système de
dotation pour les jeunes entrepreneurs de travaux forestiers, qui relève du
domaine réglementaire, se met en place.
Je voudrais, enfin, souligner les multiples dispositions introduites dans le
projet de loi pour faciliter le renforcement de la solidarité de filière et
structurer les organisations interprofessionnelles, qui sont assorties d'un
cadrage du processus d'écocertification de la gestion durable.
Le projet de loi comporte ainsi cinq grands titres : développer une politique
de gestion durable et multifonctionnelle ; favoriser le développement et la
compétitivité de la filière forêt-bois ; inscrire la politique forestière dans
la gestion des territoires ; renforcer la protection des écosystèmes forestiers
ou naturels ; mieux organiser les institutions et les professions relatives à
la forêt.
Il prévoit, en outre, la suppression, au sein du code forestier, de nombreux
articles obsolètes, contradictoires avec d'autres lois récentes ou
excessivement dirigistes. Avec ce texte, nous modernisons le code forestier et
nous le réduisons puisque, sauf décisions contraires de votre assemblée, nous
supprimerons plus d'articles que nous n'en créerons.
J'aimerais enfin revenir sur deux sujets qui ont fait l'objet de débats
intenses.
Il s'agit, d'une part, de la possibilité de mobiliser l'épargne au profit
d'une dynamisation des investissements forestiers et de la restructuration
foncière. Le groupe de travail chargé de formuler des propositions concrètes à
introduire en seconde lecture dans ce projet de loi s'est réuni à plusieurs
reprises dans différentes configurations, la dernière associant d'ailleurs les
parlementaires des deux assemblées et les professionnels. Les objectifs et les
moyens sont à présent clairement identifiés. Il nous reste à définir
l'instrument - ou peut-être les instruments - qui permettra d'optimiser la
réponse apportée, mais l'engagement a été pris : cette loi ne sera pas
promulguée sans que cet instrument y soit inscrit. Le travail avance bien !
Il s'agit, d'autre part, du dispositif des assurances en forêt. Je vous
confirme que le Gouvernement a déjà mis en chantier, de façon informelle, le
rapport spécial, introduit le biais de l'adoption d'un amendement, sur les
enseignements de la tempête dans le domaine des assurances. Les premières
analyses conduites ont, par ailleurs, souligné la sensibilité du couplage
actuel du risque tempête à l'assurance incendie, qui pourrait menacer à très
court terme la pérennité de cette dernière garantie, confirmant ainsi, si
besoin était, le caractère crucial de la question.
Au-delà de ces interrogations récurrentes, portant sur des sujets complexes à
propos desquels les avancées sont obtenues pas à pas, notre travail
d'aujourd'hui saura, je n'en doute pas, dissiper les dernières ambiguïtés et
introduire de nouvelles améliorations.
J'ai parfois l'occasion de dire que la forêt est en quelque sorte le miroir de
nos sociétés. C'est de plus, si j'ose dire, un miroir qui a de la mémoire.
M. Jean-Louis Carrère.
Un miroir aux alouettes !
(Sourires.)
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Nos forêts sont le résultat des
orientations d'hier et traduisent la réponse apportée par les hommes à des
situations passées, quand l'Etat voulait, par exemple, reconstruire sa marine,
assurer les besoins en énergie ou protéger les sols de montagne d'une érosion
catastrophique. Notre action d'aujourd'hui s'inscrit dans cette histoire, qui
passe de génération en génération, et dont la forêt est à la fois le souvenir
et le témoignage.
C'est pourquoi les forêts sont leçons de modestie : nous héritons de celles
qu'ont façonnées nos aïeux et nous travaillons celles que connaîtront les
générations futures. La forêt est aussi affaire d'ambition, et les ravages que
deux ouragans ont faits en quelques heures ne doivent pas nous conduire au
fatalisme ou à la résignation.
C'est donc à la fois avec humilité et fierté que je vous présente aujourd'hui,
mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation sur la forêt,
nouvelle étape de la longue et complexe histoire forestière de notre pays. Nous
le savons, l'homme et la nature ne sont pas nécessairement antagonistes. C'est
tout le propos de ce texte, un propos d'une actualité particulière en ce début
de siècle.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe François,
rapporteur de la commisssion des affaires économiques et du Plan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi d'orientation sur la forêt, examiné par l'Assemblée nationale en juin
dernier, s'inscrit dans une longue réflexion, puisqu'un avant-projet de loi
avait été rédigé, en son temps, par M. Philippe Vasseur, alors ministre de
l'agriculture. Vous avez, monsieur le ministre, repris ce chantier en novembre
1998, sur la base de l'excellent rapport de notre collègue député Jean-Louis
Bianco.
M. Roland du Luart,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Remarquable rapport !
M. Philippe François,
rapporteur.
Les tempêtes de décembre 1999, qui ont provoqué des dégâts
sans précédent dans la forêt française, ne remettent pas en cause, loin s'en
faut, la nécessité d'une loi d'orientation pour ce secteur.
Leurs conséquences mettent en lumière, en revanche, certaines lacunes dans les
propositions gouvernementales, lacunes qu'il nous appartiendra de combler, dans
la mesure du possible, cette semaine ou lors de la seconde lecture, puisque
l'urgence n'a pas été déclarée pour ce projet de loi.
Je voudrais tout d'abord insister sur certaines des caractéristiques de la
forêt française.
Le patrimoine forestier français connaît une progression forte et continue,
avec une surface de 15 millions d'hectares, soit un taux de boisement du
territoire de 27,7 %. Cette dynamique d'extension, qui représente environ 80
000 hectares supplémentaires de forêts chaque année, est essentiellement le
fait d'une colonisation naturelle des landes et des friches dues à la déprise
agricole. Marquée par l'action de l'homme, la forêt française reste diversifiée
: on y recense soixante essences de résineux et soixante-seize essences de
feuillus, ces dernières étant représentées de façon prépondérante.
S'agissant de la structure forestière, les forêts publiques représentent 3,8
millions d'hectares, alors que la forêt privée, avec 10,7 millions d'hectares,
soit 74 % de la forêt française, se répartit entre plus de 4,5 millions de
propriétaires et est constituée, à plus de 60 %, d'unités de moins de
vingt-cinq hectares. En dépit de cet extrême morcellement qui justifie des
mesures encourageant le regroupement technique et de gestion, il faut noter que
40 000 propriétaires possèdent des forêts de plus de vingt-cinq hectares,
couvrant 4,3 millions d'hectares, soit 45 % du total des forêts privées.
Cependant, la proportion des forêts possédées par des personnes physiques ou
morales dont l'activité principale concerne la récolte ou la valorisation du
bois reste très faible, de l'ordre de 1 % à 2 %, contre 37 % en Suède et 7 % au
Portugal.
La forêt française se caractérise également par une sous-exploitation
chronique, avec un taux de prélèvement annuel estimé à 63 %, à comparer au taux
de 69 % présenté par les pays scandinaves et à celui de 77 % enregistré dans la
zone de l'Amérique du Nord. La récolte de bois a certes progressé depuis dix
ans, mais dans des proportions moindres que l'accroissement de la production.
Dans l'optique d'une gestion durable de la ressource sylvicole, il faut donc
poursuivre l'effort de mobilisation du bois et augmenter la récolte, au risque,
sinon, de devoir faire face aux effets négatifs du vieillissement de la forêt.
La France, dont 30 % de la surface est boisée, ne peut ignorer cette très
grande richesse économique.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'espace agricole et forestier, en
particulier la forêt, contribue de façon positive à la lutte contre l'effet de
serre par le stockage du carbone dans la matière organique des sols forestiers
et la biomasse. On estime ainsi que la contribution nette de la biomasse
forestière revient à la neutralisation de 9 % des émissions françaises de
carbone.
De plus, le développement de l'utilisation du bois-matériau participe de
l'objectif de stockage, et la promotion du bois-énergie permet d'économiser des
énergies fossiles et de réduire les émissions de gaz carbonique.
Monsieur le ministre, la forêt constitue un levier important dans une
politique de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. Il serait,
à mon sens, désastreux de ne pas en tenir compte, d'autant plus que toute
action volontariste en matière forestière contribue à la richesse nationale et
peut créer des emplois.
Au niveau international, depuis la prise de position du président des
Etats-Unis refusant de souscrire aux engagements de Kyoto, le processus de
négociation prévu à Bonn du 16 au 27 juillet prochain semble très compromis.
S'il en était autrement, quelle sera la position de la Communauté européenne et
de la France en particulier pour faire prendre en compte la contribution des
forêts ?
Sur le plan national, en tant que rapporteur de la loi sur l'air et
l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996, je regrette que le
décret d'application prévu à l'article 21 et imposant, à compter du 1er janvier
2000, l'utilisation d'une quantité minimale de bois dans les constructions
nouvelles ne soit toujours pas publié. Cette disposition résultait, mes chers
collègues, je vous le rappelle, d'un amendement voté par le Sénat.
Après ce panorama sur la forêt française, je voudrais, bien sûr, rappeler
l'importance des dégâts occasionnés par les fameuses tempêtes de décembre 1999
due non seulement à la violence exceptionnelle des vents, bien entendu, mais
aussi aux surfaces et aux volumes de bois à l'hectare qui caractérisent la
forêt française.
Le volume de chablis, estimé à l'origine à environ 140 millions de mètres
cubes, devra être progressivement affiné en fonction des relevés en cours
d'établissement par l'inventaire forestier national. Le chiffre final sera
probablement inférieur aux premières estimations.
Mais en tout état de cause, sur ce volume, seuls 70 % seront
commercialisables.
Toutes les régions françaises ont été touchées, ce qui a entraîné la
saturation globale du marché du bois et une chute du prix du bois de l'ordre de
30 % à 40 %. De plus, nombre de propriétaires forestiers confrontés à de très
graves difficultés d'exploitation n'ont pas pu commercialiser leurs chablis.
Je laisserai à mon collègue Roland du Luart le soin de rappeler les
dispositions financières du plan national d'urgence pour la forêt, qui
représente 2 milliards de crédits budgétaires et 12 milliards de prêts
bonifiés, vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre.
Tout en vous renvoyant très largement à mon rapport écrit, je veux cependant
faire valoir l'importance de la filière bois. Dans son rapport, M. Jean-Louis
Bianco soulignait l'effort consenti par l'industrie du bois pour se développer
dans un contexte de forte concurrence internationale.
Mais la filière reste soumise à des handicaps lourds et connus que sont la
dispersion de la propriété, qui nuit à la sécurité et à la régularité des
approvisionnements, la faible intégration de la filière elle-même et une
tendance à la baisse de la demande de bois d'oeuvre qui semble heureusement
s'inverser depuis une dizaine d'années, grâce aux efforts de promotion menés
par la profession.
Ainsi, la première transformation, qui inclut notamment les entreprises
d'exploitation et de récolte du bois, l'industrie du sciage et celle des
panneaux, doit accomplir un effort de modernisation sans précédent car elle
constitue à l'heure actuelle l'un des maillons les plus faibles identifiés.
L'industrie du sciage, pour répondre aux besoins du marché, est donc
confrontée à des besoins d'investissement très importants pour améliorer la
valeur ajoutée sur les produits bois-bâtiment. L'utilisation du bois-matériau
dans la construction ne deviendra une réalité que si le secteur peut proposer,
comme en Allemagne, en Autriche, voire en Scandinavie, des produits de qualité,
normalisés, séchés et prêts à l'emploi.
En insistant sur le poids économique de la filière bois, notamment en termes
de création d'emplois, M. Jean-Louis Bianco plaide pour la définition d'une
véritable stratégie forestière, assortie de moyens financiers conséquents. Il
chiffre ainsi l'investissement supplémentaire nécessaire pour financer une
politique forestière ambitieuse à 1 milliard de francs par an. Cette
proposition, à laquelle je souscris totalement, est d'autant plus opportune
que, je le rappelle, la France reste, au sein des pays développés, celui qui
consacre le moins d'argent public à la forêt.
Au-delà de ces chiffres, nous aurons l'occasion, lors de l'examen de l'article
11 du projet de loi, de débattre des conditions favorisant la mise en place
d'une interprofession. C'est un outil indispensable pour engager des actions
collectives de promotion de la filière, mais, compte tenu des réserves et des
prises de position exprimées par certains des acteurs économiques concernés, un
effort très important d'explication devra être fourni.
Je présenterai le projet de loi d'orientation sur la forêt en rappelant qu'il
s'articule autour de quatre axes principaux, à savoir : la gestion durable et
multifonctionnelle de la forêt ; la compétitivité de la filière forêt-bois ; la
gestion des territoires et la protection des écosystèmes forestiers et naturels
; enfin, l'organisation des institutions et des professionnels de la forêt.
L'affirmation du principe d'une gestion durable fait l'objet de l'article 1er
du projet de loi qui, à travers un titre préliminaire inséré dans le code
forestier, regroupe les orientations de la politique forestière pour les
présenter de façon cohérente et faire ainsi valoir qu'elles s'inscrivent dans
la droite ligne des engagements internationaux souscrits par la France,
notamment en 1993 à Helsinki, lors de la conférence ministérielle pour la
protection des forêts en Europe.
Cette mise en forme des objectifs de la politique forestière ne doit pas être
négligée dans un contexte de concurrence internationale soumis à l'influence de
certaines associations environnementales internationales. J'en veux pour preuve
le ton systématiquement agressif de l'article du 24 janvier dernier publié dans
le
Herald Tribune
et intitulé : « L'écosystème de l'Europe en voie de
décomposition ». La politique forestière des pays européens, notamment de la
France, y est systématiquement critiquée sur la base d'affirmations erronées,
mensongères ou volontairement biaisées.
Il est donc indispensable de mettre en valeur les atouts de la forêt française
en matière de gestion durable.
Ainsi, pour encourager l'application de ces critères, l'article 1er crée de
nouveaux outils de gestion simplifiés, permettant ainsi aux propriétaires de
petites parcelles ou de parcelles présentant un faible intérêt économique
d'offrir néanmoins des garanties de gestion durable et leur garantissant un
accès aux aides publiques.
Le titre II se compose d'un ensemble de dispositions visant à favoriser la
compétitivité et le développement économique de la filière bois.
Les modes de vente de l'ONF sont ainsi adaptés en vue de permettre un recours
plus large aux procédures de vente à l'amiable, susceptibles de lui garantir
des débouchés plus réguliers.
Le projet de loi renforce les exigences de qualification professionnelle
s'imposant à l'ensemble des personnes qui procèdent à des travaux de récolte
sur les parcelles d'autrui, afin de diminuer le risque d'accidents du travail,
encore trop fréquents.
Plusieurs dispositions enfin contribuent à la lutte contre le travail
dissimulé, qui constitue un phénomène préoccupant dans ce secteur.
Tendant à inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires, le
titre III du projet de loi adapte tout d'abord la législation relative au
défrichement pour prendre en compte le niveau local.
Il complète également les dispositions du code forestier traitant de la
réglementation des boisements en vue de parvenir à un équilibre satisfaisant
entre aménagement rural et forestier.
Enfin, d'importantes dispositions viennent renforcer la prévention des
incendies de forêts. Elles opèrent un recentrage sur les zones les plus à
risque des mesures renforcées de prévention, en particulier des obligations de
débroussaillement ; elles clarifient également les compétences du maire et du
préfet et confortent le plan de prévention des risques d'incendie de forêt
prévu par la loi Barnier de 1995.
S'agissant de l'organisation des institutions et des professionnels, le projet
de loi encourage l'Office national des forêts à développer ses interventions
conventionnelles tant sur le territoire national qu'à l'étranger.
Les missions des centres régionaux de la propriété forestière sont adaptées en
vue de prendre désormais en compte l'objectif de développement forestier
durable.
Tout en partageant les objectifs affichés par les auteurs de ce projet de loi
d'orientation, la commission des affaires économiques considère qu'ils
induisent trop souvent un surcroît de réglementation, qui ne s'accompagne pas
de moyens financiers suffisants.
Tout en reconnaissant la nécessité de favoriser la mise en oeuvre d'une
gestion durable en matière forestière, conformément à nos engagements
internationaux, force est de constater que les propositions du projet de loi,
souvent renforcées par l'Assemblée nationale, vont multiplier les contraintes
administratives.
Ainsi, le texte se traduit par un alourdissement sensible et non justifié des
interdictions et des sanctions encourues en cas d'infraction à la législation
forestière.
L'Assemblée nationale a également rétabli la taxe de défrichement, dont la
suppression par la loi de finances pour 2000 relevait d'un mouvement bienvenu
de simplification fiscale.
Enfin, elle a prévu la création d'associations foncières de gestion forestière
au profit desquelles les propriétaires non identifiés de parcelles vacantes
sont réputés avoir renoncé à leur bien, ce qui constitue une atteinte
inacceptable au droit de propriété constitutionnellement garanti.
En face de ces contraintes nouvelles, les moyens financiers sont souvent
notoirement insuffisants.
Le projet de loi affirme la multifonctionnalité de la forêt à travers son rôle
social et environnemental, mais il n'en tire pas clairement les conséquences
sur le plan financier. Ainsi en est-il de l'article 3, qui encourage l'accueil
du public en forêt sans résoudre tous les problèmes qui en découlent, notamment
sur le plan de la responsabilité assumée par le propriétaire.
L'encouragement au regroupement technique est affirmé dans le livre
préliminaire du code forestier, mais nulle part il n'est fait mention d'aides
spécifiques indispensables à sa mise en oeuvre.
De plus, l'Assemblée nationale n'a pas remédié à certaines lacunes de ce
texte, dont l'absence de dispositions destinées à favoriser l'investissement en
forêt. A la demande du Gouvernement, elle n'a pas adopté l'amendement présenté
par la commission de la production et des échanges, qui définissait le
mécanisme d'un plan d'épargne forêt, se contentant de voter un article
additionnel prévoyant la création, sans le définir, d'un tel dispositif.
Outre des propositions de simplification rédactionnelle, la commission des
affaires économiques a voulu améliorer les garanties offertes aux propriétaires
forestiers en matière de gestion forestière à travers notamment : la limitation
des engagements de non-démembrement ou des contraintes de gestion à souscrire
par un propriétaire privé dès lors qu'il sollicite des aides publiques ; un
encouragement au regroupement foncier forestier en inscrivant le principe
d'aides spécifiques dans le livre préliminaire du code forestier ;
l'attribution d'aides publiques aux propriétaires tenus de procéder au
nettoyage des chablis au nom de la prévention des incendies ; enfin, la
définition de sanctions proportionnées à la gravité de l'infraction commise.
A travers un travail mené en étroite concertation avec la commission des
finances, qui a étudié les aspects financiers et fiscaux de ce projet de loi,
la commission des affaires économiques vous proposera un dispositif
d'investissement forestier.
En conclusion, je relèverai que plusieurs chantiers inachevés attendent des
solutions qui restent à définir.
Ainsi, les conséquences des tempêtes de 1999 font ressortir la nécessité de
formuler des propositions facilitant le regroupement foncier forestier ainsi
que la mise en place d'un mécanisme de mutualisation des risques que les
systèmes d'assurance traditionnels semblent dans l'incapacité de couvrir de
manière satisfaisante.
Des groupes de travail associant les professionnels concernés et
l'administration n'ont pas, à ce jour, abouti à des propositions concrètes,
mais il faudra parvenir à en dégager d'ici à l'examen en seconde lecture de ce
texte si l'on veut qu'il soit un outil efficace pour mettre en oeuvre la
stratégie forestière française des quinze prochaines années.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Roland du Luart,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité, à
l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi d'orientation sur la
forêt, se saisir pour avis de ce texte.
Nommé rapporteur pour avis, je souhaiterais aujourd'hui vous présenter mes
principales observations concernant ce texte ; elles sont issues d'un travail
pour une large part commun avec celui de l'excellent rapporteur de la
commission des affaires économiques, notre collègue Philippe François.
Ce projet de loi d'orientation sur la forêt intervient dans un contexte très
particulier, celui d'une forêt française meurtrie par les tempêtes de la fin
décembre 1999.
Très attendu par l'ensemble des acteurs de la filière sylvicole française -
propriétaires forestiers, exploitants, industriels, professionnels du secteur
forestier - ce projet de loi tardif, puisqu'il intervient plus de deux ans
après la publication, le 25 août 1998, de l'excellent rapport de notre collègue
député Jean-Louis Bianco,
La forêt, une chance pour la France
aura
peut-être le mérite - c'est en tout cas sa vocation - de redonner confiance à
tous ces acteurs et à l'ensemble d'une filière qui joue un rôle si important
pour notre économie.
Si les tempêtes de la fin 1999 ont eu un effet dévastateur sur des plans aussi
bien économique, technique, financier que psychologique, elles ont surtout
permis de mettre l'accent sur la nécessité de réformes depuis trop longtemps
repoussées, car les difficultés rencontrées par les forestiers ne datent
certainement pas des tempêtes : elles remontent à bien plus longtemps, et les
tempêtes n'auront fait qu'accentuer ces difficultés, provoquant par là même une
prise de conscience de l'urgence des réformes.
Pourtant, le présent projet de loi m'est apparu comme particulièrement
décevant sur le plan fiscal et financier ; mais je sais que le chantier est
difficile. Alors que le Gouvernement s'était engagé, à la suite du rapport
Bianco, à proposer toute une série d'adaptations de la fiscalité forestière,
force est de constater que le présent projet de loi n'est pas à la hauteur des
ambitions alors affichées par le Gouvernement.
Ce dernier proposait en effet, à l'époque, de nouvelles orientations de la
politique forestière, destinées : à favoriser l'investissement forestier afin
de permettre la pérennisation et le développement des groupements familiaux ou
des investisseurs institutionnels ; à mettre en place des dispositifs
juridiques et incitatifs permettant de lutter contre le morcellement foncier
forestier ; à mieux intégrer l'Office national des forêts au développement de
la filière ; enfin, à redéfnir les objectifs et les moyens du FFN, puisque, à
l'époque, ce dernier existait toujours.
Je ne peux que constater le retard qui a été pris dans la mise en oeuvre du
calendrier législatif relatif à la forêt - un projet de loi était initialement
prévu avant la fin de l'année 1999 - et regretter que les dispositions fiscales
de ce texte soient minimes ; d'ailleurs, elles ne répondent pas aux attentes
formulées par les acteurs du secteur forestier.
Ces attentes sont d'autant plus vives depuis les tempêtes de la fin 1999.
Celles-ci ont, en effet, révélé la fragilité des mécanismes actuels de
financement de la forêt, aussi bien publique que privée, ainsi que le caractère
obsolète de certains aspects du régime fiscal forestier.
S'agissant de la forêt privée, notamment, je voudrais insister ici sur trois
problèmes prégnants.
J'évoquerai tout d'abord le morcellement forestier, contre lequel divers
dispositifs ont déjà été mis en place, notamment les groupements forestiers, ou
les associations syndicales de gestion forestière. La formule du groupement
forestier a fait la preuve de son efficacité, en particulier pour préserver les
unités existantes, lors d'une succession.
Depuis une dizaine d'années, cependant, une crise frappe les groupements
forestiers en raison des difficultés que rencontrent les porteurs de parts
lorsqu'ils souhaitent se retirer du groupement ; d'où la nécessité d'accroître
la fluidité des parts de groupements forestiers, ce qui permettrait la création
d'un véritable marché.
Le présent projet de loi ne contient que très peu de réponses à ce problème du
morcellement et de la nécessaire restructuration forestière. La seule mesure
concrète proposée est l'extension de la procédure de dation en paiement des
droits de succession aux immeubles en nature de bois, forêts ou espaces
naturels pouvant être incorporés au domaine forestier de l'Etat, mesure à
laquelle je suis favorable.
D'autres actions sont à entreprendre dans plusieurs domaines. Il faudrait
notamment poursuivre des opérations concertées de sensibilisation et de
formation des petits propriétaires ou encore encourager toute acquisition de
petites parcelles boisées destinée à incorporer celles-ci à des unités plus
consistantes.
En outre, lever la présomption de salariat, souvent perçue comme un obstacle à
l'entretien des petites parcelles forestières, contribuerait sans doute à un
meilleur entretien et à une sélection progressive fondée sur la compétence.
Le second problème que je souhaite aborder, le plus important aujourd'hui
selon moi, est celui de la faiblesse du placement ou de l'investissement
forestier.
Je considère que la création d'un mécanisme financier destiné à favoriser
l'investissement forestier est aujourd'hui prioritaire et aurait dû constituer
la pierre angulaire de ce projet de loi d'orientation. Le Gouvernement a
d'ailleurs lui-même reconnu les lacunes du texte sur cette question
délicate.
Le faible niveau des investissements forestiers est un problème aujourd'hui
unanimement reconnu. Ainsi, la mise en valeur, au moyen de plantations ou de
semis, des surfaces forestières sans peuplement d'avenir a constitué
l'essentiel des investissements forestiers entre 1950 et 1970. Ces opérations,
aidées financièrement, ont décliné constamment depuis lors.
En outre, je voudrais également souligner ici l'inquiétude croissante des
propriétaires forestiers quant aux charges engendrées par les fonctions
écologique et sociale de la forêt.
Le développement de la fréquentation du public ainsi que la mise en place de
mesures réglementaires relatives à la fonction écologique des forêts donnent
lieu à ce que les propriétaires considèrent comme des surcoûts à leur charge.
Cette situation peut être démobilisatrice pour les investissements en
sylviculture, d'autant plus que ceux-ci s'engagent sur le long terme.
Si le principe de la création d'un dispositif de soutien à l'investissement
forestier fait l'unanimité, ses modalités techniques d'application ont
longtemps divisé les partenaires du secteur forestier. Aujourd'hui, après de
nombreuses consultations et la mise en place d'un groupe de travail rassemblant
- et je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris cette initiative -
tous les acteurs concernés par ce dispositif - Gouvernement, parlementaires,
professionnels, représentants des propriétaires forestiers - plusieurs pistes
de réforme ont pu être évoquées et une solution consensuelle semble se dessiner
en faveur d'un dispositif hybride de type « fonds d'épargne forêt », qui
répondrait aussi bien aux attentes des propriétaires qu'à celles des
professionnels forestiers.
L'introduction dans le présent projet de loi d'un tel dispositif, certes
perfectible, permettrait de faire avancer le débat et, avant tout,
contribuerait à redonner confiance aux acteurs de la forêt française. J'aurai
l'occasion de vous présenter ce dispositif sous la forme d'un amendement à
l'article 5 B du présent projet de loi. Je tiens toutefois à souligner ici
qu'il s'agit d'une proposition d'appel, qui n'a pas forcément vocation à
demeurer en l'état et qui devra sans doute faire l'objet d'une réelle
concertation de tous les acteurs concernés. La deuxième lecture de ce texte
nous donnera le temps d'aller plus avant dans cette réflexion.
Enfin, le troisième problème crucial que je voudrais évoquer ici est celui de
l'assurance des forêts privées.
Les tempêtes de la fin 1999 ont révélé l'ampleur des lacunes existant en
matière d'assurance des forêts. Il n'existe en effet, à l'heure actuelle, aucun
mécanisme d'assurance propre à la forêt. Certains professionnels préconisent la
création d'un dispositif de type « calamités forestières », similaire à ce qui
existe dans le secteur agricole et qui n'a jamais été transposé au secteur
forestier.
Deux sortes d'outils pourraient être envisagés : un fonds d'indemnisation «
catastrophes naturelles » applicable aux forêts ou la création d'un fonds
d'indemnisation spécifique aux forêts.
Aujourd'hui en France, très peu de sociétés d'assurance ont mis en place des
contrats spécifiques aux risques forêt et, depuis les récentes tempêtes, on
assiste à une volonté, assez compréhensible, de désengagement de ces assureurs.
La surface forestière assurée ne représente que 600 000 hectares, soit 4 % de
la surface forestière totale ; cela correspond à un total d'environ 8 000
contrats.
Il s'agit, bien sûr, d'une question très délicate, sur laquelle il est
aujourd'hui difficile d'avancer des solutions concrètes. Le Gouvernement n'a
d'ailleurs pu formuler aucune proposition à ce sujet au sein du présent projet
de loi. Seule une disposition introduite par l'Assemblée nationale, prévoyant
la présentation au Parlement, par le Gouvernement, d'un rapport dressant le
bilan des intempéries de décembre 1999 sur les propriétés forestières et
formulant des propositions en matière d'assurance contre les risques de
chablis, mentionne explicitement ce problème.
Sur toutes ces questions, je considère que la France a beaucoup à apprendre de
ses partenaires européens.
Alors que la France dispose d'une des superficies forestières les plus
importantes d'Europe, elle se situe très en retrait des autres pays européens,
notamment des pays scandinaves, mais aussi de l'Allemagne ou du Royaume-Uni,
s'agissant de sa fiscalité forestière.
Outre l'évocation de ces trois points saillants, d'autres mesures plus
ponctuelles doivent être envisagées à l'occasion de l'examen de ce texte par
notre assemblée, aussi bien des mesures d'adaptation de la fiscalité forestière
que des mesures, plus conjoncturelles, de soutien à la filière sylvicole.
Il s'agit, certes, d'un projet de loi dit « d'orientation », s'inscrivant dans
le long terme et ayant vocation à contenir des mesures plus structurelles que
conjoncturelles, mais, précisément, les forestiers sont aujourd'hui «
désorientés ». On ne pourra pas faire l'économie, dans ce projet de loi, de
mesures spécifiques de type « post-tempêtes » destinées à aider les
propriétaires forestiers à retrouver confiance.
Les principales propositions que je formulerai ici sont les suivantes.
Tout d'abord concernant le rétablissement de la taxe de défrichement opéré par
l'Assemblée nationale en première lecture, il me semble inopportun de revenir
sur une disposition votée par le Parlement dans la loi de finances pour 2000
qui a prévu la disparition de cette taxe à compter du 1er janvier 2001. Dans un
souci de simplification fiscale et de cohérence législative, je crois
nécessaire de maintenir l'état actuel du droit, à savoir la suppression de la
taxe sur le défrichement.
S'agissant de la législation concernant le délai pendant lequel le
propriétaire forestier peut présenter un plan simple de gestion afin de pouvoir
bénéficier de régimes d'exonération fiscale spécifiques, je considère que
l'abaissement de cinq à trois ans de ce délai par le présent projet de loi
constitue un recul de la politique forestière, et je souhaite le rétablissement
du délai de cinq ans.
Afin de favoriser la constitution des associations syndicales de gestion
forestière, je vous proposerai également d'exonérer ces associations de
l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.
Pour encourager le regroupement forestier, je propose l'exonération du droit
fixe de 1 500 francs associé à l'apport de toutes petites parcelles boisées à
des groupements forestiers. Dans ce cas, le droit fixe a souvent une valeur
supérieure au bien que l'on se propose d'acquérir.
Afin de ne pas pénaliser le développement des entreprises de travaux
agricoles, ruraux et forestiers, il me semblerait opportun d'envisager une
réduction du taux de plafonnement de la taxe professionnelle due par ces
entreprises. Je voudrais insister ici sur la nécessité de soutenir la
profession d'entrepreneur de travaux d'exploitation forestière : il est
essentiel pour la compétitivité de toute la filière d'aider cette profession à
s'organiser, afin qu'elle puisse être représentée dans les diverses instances
et exprimer ses attentes.
Il me semble également nécessaire d'adapter l'application du système «
Sérot-Monichon » afin de permettre le transfert des engagements résultant de ce
régime spécifique de réduction des droits de mutation du vendeur à l'acquéreur.
Il paraît en effet injuste que le vendeur soit tenu pour responsable du
manquement à ces engagements par l'acquéreur.
Enfin, dans le cadre des mesures post-tempêtes, je souhaite étendre le
dispositif d'exonération des droits de mutation pour l'acquisition de parcelles
boisées aux acquisitions à titre gratuit ainsi qu'aux parts de groupements
forestiers. Je tiens d'ailleurs à rappeler brièvement les mesures qui ont déjà
été prises par le Gouvernement dans le cadre du plan national pour la forêt du
12 janvier 2000.
Ce plan d'urgence représente 2 milliards de francs de crédits budgétaires et
12 milliards de francs de prêts bonifiés. En outre, selon les déclarations du
Gouvernement, 600 millions de francs par an pendant dix ans devraient aider les
propriétaires à reconstituer les peuplements détruits. Des mesures fiscales
complètent d'ailleurs ce dispositif.
Le programme spécifique en faveur de la forêt répond donc à trois objectifs
majeurs : assurer la mobilisation du bois ; permettre le stockage et favoriser
la valorisation du bois ; enfin, organiser la reconstitution des écosystèmes
forestiers.
Malgré les intentions louables affichées par le Gouvernement, le constat sur
le terrain et le bilan de ces aides, un an après les tempêtes, sont
décevants.
La réalité sur le terrain, en effet, ne correspond malheureusement pas aux
attentes des forestiers, et les espoirs suscités par l'annonce de ce plan ont
été en partie déçus.
La plupart des aides directes, pour un montant global de l'ordre de 1,4
milliard de francs, ne sont pas encore parvenues à leurs destinataires. On
constate de très importants délais dans leur acheminement, délais qui
pénalisent les exploitants et, surtout, les propriétaires forestiers. L'aide
financière de l'Etat pour la reconstitution des forêts était promise par le
Gouvernement pour la fin du mois d'août 2000. Je sais, monsieur le ministre,
qu'il s'agit encore du conflit entre votre ministère et Bercy. Alors,
accélérons Bercy !
Aujourd'hui, plus d'un an après le choc des tempêtes, les attentes sont
grandes et les esprits sont encore fragiles.
Le Sénat a déjà eu l'occasion, l'année passée, d'affirmer son soutien à la
filière sylvicole - notamment au moment du vote des différents projets de loi
de finances, rectificatives et initiale - en proposant des mécanismes fiscaux
de soutien. Il s'agit, aujourd'hui encore, de ne pas décevoir l'ensemble de ces
acteurs, qui attendent des réformes, et de donner un vrai « souffle » à la
politique forestière française.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et, bien sûr, sur le Parlement.
(Applaudissements.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 46 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la
législation forestière, dont l'objet principal est la conservation d'une des
plus précieuses richesses de l'Etat, se lie à tant d'autres intérêts et touche
par tant de points importants à la propriété privée, qu'elle doit être l'un des
premiers objets de la sollicitude des gouvernants ». Ainsi s'exprimait M. de
Martignac dans l'exposé des motifs du projet de code forestier de 1827, devant
la Chambre des pairs.
Il eut du mal à convaincre cette dernière. Si l'on en croit l'éditeur du code,
l'avis presque unanime de cette chambre était de n'apporter aucun changement au
code forestier. L'ordonnance de Colbert, qui datait de 1669, était, il est
vrai, assez récente : elle avait cent soixante-dix-huit ans - tout juste le
temps d'une génération d'arbres ! Martignac invoqua la marche du temps, les
progrès de l'industrie et l'économie publique...
Cent cinquante-quatre ans après, nous nous attelons de nouveau à cette
tâche.
La Fédération nationale des communes forestières de France, dont j'ai
l'honneur d'être ici le porte-voix, en l'absence de son président, notre estimé
collègue Jacques-Richard Delong, est d'accord sur cette entreprise de
rénovation, sans céder à la nostalgie. Elle avait approuvé M. Philippe Vasseur
quand il parla de présenter un projet de loi d'orientation sur l'agriculture,
l'alimentation et la forêt. Elle a salué la sortie du rapport Bianco, où elle a
reconnu quelques-unes de ses idées, notamment ce point clé : la gestion durable
des territoires forestiers confortée par des contrats de territoires. Elle
avait regretté la dissociation de la partie forestière, au moment de la
discussion de la loi d'orientation agricole. Elle est donc satisfaite de voir
venir devant le Parlement ce texte tant attendu.
Il est vrai qu'entre-temps le contexte, lui, s'est assombri. Comment discuter
d'une loi forestière sans évoquer ces deux événements : les tempêtes de
décembre 1999 et, tout récemment, mais avec des conséquences non moins graves à
long terme, le rejet du protocole de Kyoto par le nouveau président des
Etats-Unis ?
Sur la tempête, on a déjà tout dit ou presque, sauf la réponse à la lancinante
question : en reviendra-t-il de semblables, et quand ? Ainsi, 140 millions de
mètres cubes, soit 300 millions d'arbres touchés dans les forêts françaises ;
44 millions de mètres cubes, soit 130 millions d'arbres frappés dans les forêts
publiques ; 25 millions de mètres cubes dans les forêts communales... Ces
chiffres catastrophiques interfèrent forcément dans la discussion du projet de
loi, même si votre texte est conçu, comme les deux précédents, pour durer cent
cinquante ans.
Il nous faut bien dire d'abord un mot du plan « chablis ». Vous avez obtenu
des moyens financiers honorables, mais il n'a pas été possible, en dépit des
efforts de tous - élus, exploitants et services publics, à commencer par ceux
des préfectures et par l'ONF -, de dégager entièrement le terrain, bien que 23
millions de mètres cubes aient pu être commercialisés sur les 30 millions de
mètres cubes commercialisables. Il reste encore à exploiter des volumes
importants d'essences peu sensibles à la dégradation, telles que les chênes et
les douglas, mais aussi des hêtres et des résineux de qualité secondaire.
Notons au passage que les résultats obtenus l'ont été au prix d'un
assouplissement considérable des méthodes de commercialisation des bois. Devant
l'échec des premières adjudications, l'Office a sagement rangé ses catalogues
et a recouru au gré à gré sur une large échelle, dans le cadre d'un accord
national avec les exploitants forestiers qui fut très durement négocié, et
parfois - mais pas toujours - péniblement appliqué... C'était, en somme,
anticiper sur votre projet de loi, qui prévoit que les méthodes de
commercialisation des bois devront être plus diversifiées et mieux répondre aux
situations dans le temps et dans l'espace.
Les communes forestières sont ouvertes à ces perspectives, à condition
toutefois que cette évolution ne se fasse pas au détriment de leurs recettes de
bois, dont on mesure aujourd'hui l'importance dans les budgets des communes de
l'Est de la France. Par ailleurs, je rappelle que le choix du mode de
commercialisation des bois récoltés en forêt communale revient aux maires.
En d'autres termes, il a fallu faire face à une situation exceptionnelle, mais
nous continuons à souhaiter un large éventail des méthodes de vente, et
l'adjudication au rabais ne nous paraît nullement condamnée par l'histoire.
Les intempéries de cet hiver ont considérablement freiné l'exploitation et la
vidange des produits de la tempête. Aussi, nous vous demandons de bien vouloir
prolonger les aides au transport, qui, seules, permettront d'exploiter
certaines qualités de bois.
Les élus forestiers, tenant compte des expériences passées, redoutent la
renversée prochaine d'arbres fragilisés ainsi que les attaques de scolytes, qui
risquent d'affecter, sur plusieurs années, l'équivalent de 30 % à 50 % du
volume tombé en chablis en 1999. Aussi la vigilance s'impose-t-elle dans les
domaines phytosanitaire et financier.
Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre, pour nous soutenir auprès
de M. le ministre de l'intérieur, afin qu'il continue d'apporter aux communes
sinistrées les aides, versées sous forme de subvention de fonctionnement, dont
l'attribution durant l'année 2000 a été facilitée par ses services.
Les maires attendent également beaucoup de la mission interministérielle qui a
été mise en place par M. le Premier ministre afin de procéder à l'examen de la
situation financière de chacune des communes forestières sinistrées par les
tempêtes, à court et à moyen terme.
Deuxième interférence de la tempête avec le projet de loi d'orientation : la
reconstitution des forêts.
Au mois d'octobre 2000, lors d'un colloque qui s'est tenu à Epinal, les
communes forestières ont entrepris une réflexion commune avec l'ONF et publié
avec ce dernier, au mois de janvier 2001, un manifeste sur la reconstitution.
Un guide technique est en cours de préparation ; il sera diffusé au mois de mai
à tous les maires, à tous les personnels de l'ONF et dans le public.
Si le recours à la régénération naturelle, plus longue à obtenir, doit être la
règle, des plantations s'avéreront nécessaires. Aussi, les communes, qui seront
systématiquement impliquées par l'Office pour décider des choix à effectuer,
comptent sur leur gestionnaire pour maîtriser la récolte et la conservation des
graines, l'élevage des plants en pépinières - sous forme de contrats de culture
- et les travaux de plantation.
L'ONF possède les moyens techniques et réglementaires adéquats - notamment la
Sécherie de graines forestières de La Joux - pour apporter, avec le
professionnalisme nécessaire, toutes les garanties aux communes.
En dépit des moyens financiers importants que vous avez prévus pour la
reconstitution, monsieur le ministre, certaines communes éprouveront beaucoup
de difficultés à financer, pour les parties qui leur incombent, la
reconstitution de leur forêt. Dès à présent, nous vous demandons que soit
examinés, en tant que de besoin, les cas particulièrement difficiles.
Une troisième conséquence de la tempête doit être présente à notre esprit au
moment où nous ouvrons cette discussion : les prévisions de récolte forestière
devront être revues à la baisse pour les dix prochaines années - ce qui remet
tout de même quelque peu en cause l'analyse de M. Jean-Louis Bianco, à laquelle
nous étions ralliés.
Dans son rapport, qui - cela a déjà été dit - s'intitule :
La forêt, une
chance pour la France
, l'ancien président de l'ONF qu'il est tablait sur
une augmentation des récoltes de bois dans un délai de cinq à dix ans dans les
forêts domaniales et communales, afin de dynamiser l'ensemble de la filière.
Ces prélèvements, destinés à enrayer une surcapitalisation qui serait
préjudiciable à l'équilibre biologique des forêts, devraient en outre présenter
l'avantage de procurer des recettes supplémentaires tant aux communes qu'à
l'ONF.
Après le passage de la tempête, la diminution des récoltes se traduira donc
pour de nombreuses communes par des difficultés budgétaires notables pendant
plusieurs années, voire, parfois, plusieurs décennies.
Il est avéré que l'Office national des forêts, pour ce qui le concerne, se
trouvera durant plusieurs années dans une situation financière difficile, et ce
d'autant plus que ses réserves seront complètement épuisées en 2001.
Les communes forestières sont très préoccupées par la fragilité financière de
leur gestionnaire et renouvellent aujourd'hui avec force leur demande d'une
recapitalisation de l'Office national des forêts au niveau approprié, afin que
cet établissement puisse remplir les missions qui lui sont assignées par
l'Etat, à un moment où notre pays en a le plus grand besoin.
Il est en effet légitime que le financement des forêts publiques soit assuré
de manière pérenne par le produit des écotaxes et que l'on rémunère globalement
les services non marchands rendus par les forêts pour la protection des
ressources en eau, l'accueil du public, la préservation des paysages, la
protection des habitats ainsi que des espèces végétales et animales vivant en
forêt et, bien entendu, la lutte contre l'effet de serre ; bref, tout ce qu'il
conviendra, après l'adoption de la loi, de résumer par le terme un peu lourd de
« multifonctionnalité », notion qui, avec celle de gestion durable, est un des
grands apports de la loi d'orientation.
Je viens de prononcer les mots fatidiques d'« effet de serre ». La montée de
l'inquiétude à propos du réchauffement de la planète est, comme la tempête
historique de cette fin de siècle, un des éléments essentiels de ce contexte,
monsieur le ministre. Il faut bien que votre texte les prenne en compte. Qui
sait même si ces deux éléments ne sont pas liés ?
Oui, mes chers collègues, les communes forestières s'interrogent, elles aussi,
sur l'évolution des climats et sur son incidence à long terme sur les essences
cultivées dans nos forêts. En particulier, elles s'inquiètent des récentes
déclarations du président des Etats-Unis, qu'elles voient renier la signature
de son pays au bas du protocole de Kyoto. Car aucun pays ne peut s'affranchir
des risques très importants qu'engendre le dégagement croissant de gaz à effet
de serre dans l'atmosphère.
Certes, les Etats-Unis ont tort ; mais nous n'avons pas nous-mêmes été
imprudents ? A La Haye, les Européens ont refusé tout compromis avec les
Américains, pour des raisons dogmatiques : il s'agissait de rejeter toute
possibilité d'alternative, même partielle, aux économies d'énergie par la
promotion des puits de carbone en forêt. Cette raideur écologiste a fourni un
prétexte à la délégation américaine. Sans la justifier, bien sûr, elle lui a
rendu plus aisée la remise en cause du protocole.
La proposition de loi du sénateur Vergès - souvenez-vous-en, mes chers
collègues -, adoptée à la quasi-unanimité par le Sénat, avait pourtant ouvert
la voie à une tactique bien différente : en faisant de l'effet de serre une
grande cause nationale et en créant un observatoire dans ce domaine, la Haute
Assemblée avait une fois de plus confirmé sa sagesse et son aptitude à prendre
en compte la durée dans les décisions publiques.
Dès le mois de novembre 1999, monsieur le ministre, notre collègue M. Delong
vous a rapporté la volonté des communes forestières de prendre part à la lutte
contre l'effet de serre, avec le soutien financier de l'Etat.
Plusieurs champs d'action existent, depuis la redynamisation de la
sylviculture, notamment dans les jeunes peuplements, ou l'enrichissement de
plusieurs centaines de milliers d'hectares de forêts communales jusqu'à
l'acquisition raisonnée et à la valorisation forestière de parcelles
irréversiblement abandonnées par l'agriculture.
J'en viens maintenant au survol rapide du texte. Je ne m'y attarderai pas,
puisque les rapports très précis et complets de nos collègues François,
rapporteur de la commission des affaires économiques, et du Luart, rapporteur
pour avis de la commission des finances, sont pratiquement exhaustifs.
Les communes forestières se plaisent à saluer la concertation à laquelle elles
ont été conviées par votre cabinet et par vous-même, monsieur le ministre, pour
l'élaboration de ce texte. Au surplus, quand on légifère pour cent cinquante
ans, les clivages politiques du moment n'ont pas grand sens !
Les communes forestières se reconnaissent donc dans les principales
dispositions de ce texte : gestion durable labellisée - qui vous permettra de
lancer la certification, à laquelle nous travaillons en liaison avec la forêt
privée - ; multifonctionnalité, qu'il faudra bien sûr financer ; réorganisation
de l'interprofession forêt-bois, qui devra respecter la liberté de chacun,
notamment dans la seconde transformation ; introduction de la notion de
territoires forestiers contractualisés ; sans oublier quelques toilettages,
comme la disparition du folklorique garde-coupe.
Nous constatons que, selon la loi, la forêt française s'appuiera sur deux
institutions fortes : l'ONF, dont le conseil d'administration doit être élargi,
pour la forêt publique, et le futur centre national professionnel de la
propriété pour la forêt privée.
Pour sa part, la Fédération nationale des communes forestières attend de
l'ONF, son gestionnaire, qu'il évolue fortement et rapidement. A cette fin,
elle a entrepris avec les responsables de l'établissement une réflexion qui
aboutira dans les prochains mois, lors des assises nationales de la forêt
communale. Les conclusions de ces assises devront être reprises - du moins le
souhaitons-nous - dans le contrat Etat-ONF en cours d'élaboration.
Cependant, la réforme qui affectera l'ONF devra s'attacher à préserver le
principe actuel du maillage territorial, sous peine de voir disparaître du
paysage rural un établissement public efficace, placé au service de la gestion
des forêts publiques, mais aussi des territoires forestiers et ruraux, comme le
prévoit la loi d'orientation forestière.
L'exigence d'une qualité accrue des prestations de l'Office a conduit notre
fédération à demander à l'établissement qu'il soit certifié ISO 9000. Les
interventions de l'Office pour le compte des communes seront ainsi plus
ciblées, plus efficaces et moins onéreuses.
L'avenir est lourd de menaces, mais cette loi d'orientation nous permettra de
l'aborder avec espoir et volontarisme. Elle le permettra d'autant plus,
monsieur le ministre, si vous acceptez les amendements que nous avons déposés
pour « muscler » ce texte. Ils portent, entre autres objets, sur la spécificité
des forêts publiques.
Ils concernent, d'abord, le projet de fonds d'épargne forestière à l'usage des
communes, qui est un peu le symétrique, quoique différent, de celui que notre
collègue du Luart a évoqué pour la forêt privée. Je rappelle que vous venez
d'être saisi, ainsi que vos collègues de l'intérieur et des finances, d'un
rapport circonstancié que je vous ai adressé voilà trois jours, au nom de la
fédération.
Ces amendements concernent, ensuite, les chartes de territoire forestier, que
nous souhaitons voir bénéficier de dispositifs financiers équivalents -
pourquoi pas ? - à ceux des contrats territoriaux d'exploitation en
agriculture.
Ces amendements concernent, enfin, le financement de la formation des élus par
une partie du produit des cotisations versées aux chambres d'agriculture, sur
lesquelles nous n'avons aucune retombée jusqu'à présent. C'est un sujet que
vous connaissez bien et qui a fait l'objet d'une réponse de principe favorable
des chambres d'agriculture.
Je terminerai mon propos par un petit retour en arrière. En 1827 - j'y reviens
- devant la chambre des députés, le général Sebastiani commençait son discours
en ces termes : « Messieurs, nous discutons aujourd'hui une véritable loi, une
bonne loi, malgré les imperfections que je regrette d'y trouver. » C'est un peu
ce qu'a dit M. du Luart.
(Sourires.)
Il ajoutait : « Je viens défendre
la haute, la grande propriété, la propriété aristocratique, car elle seule
possède les bois. » Vous le voyez, là ce n'est pas ce qu'a dit M. du Luart.
(Nouveaux sourires.)
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
avons, nous aussi, devant nous une véritable loi, une bonne loi, qu'il convient
encore de perfectionner. Aussi, ensemble, défendons la haute, la grande, la
propriété démocratique, celle des générations futures, car c'est bien pour
elles, forêt publique et forêt privée, et sur toutes les travées de notre Haute
Assemblée, que nous travaillons.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - M. Joly applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais,
à mon tour, me réjouir de l'examen de ce projet de loi d'orientation sur la
forêt. Son importance et son urgence ont déjà été rappelées. Elles tiennent aux
conséquences de l'ouragan de décembre 1999, mais plus encore à l'attention que
nous devons porter à l'amélioration de toutes les activités de la filière bois
et de sa compétitivité.
A mes yeux, l'événement le plus remarquable réside cependant ailleurs, dans la
reconnaissance affirmée de la multifonctionnalité de la forêt : à côté du rôle
économique de la production-vente de bois et des activités qui en découlent, le
projet de loi affirme que les fonctions sociales et environnementales doivent
être intégrées dans une gestion de développement durable. Certes, cela fait des
années que les discours forestiers sont infiltrés de références sociétales et
environnementales. Mais que la loi couronne cette évolution par l'inscription
du principe de gestion durable me fait penser qu'une page est tournée et qu'une
étape nouvelle est entamée.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, j'approuve globalement le
projet de loi qui nous est soumis.
M. René-Pierre Signé.
Belles paroles !
M. Philippe Richert.
Je n'ai pas tout à fait terminé mon propos !
La philosophie de ce texte, les orientations qu'il trace, les objectifs qu'il
affiche et l'ambition pour la filière bois qu'il veut servir méritent que nous
le soutenions.
Néanmoins,
(Ah ! sur les travées socialistes)
... Eh oui, je devais y
venir.
Néanmoins, disais-je, entre ces perspectives volontaristes et les mesures
proposées, je me vois obligé de relever des insuffisances et d'exprimer
quelques doutes.
Tout d'abord, je constate, avec nos rapporteurs, la nécessité de renforcer
considérablement le volet financier et plus particulièrement le soutien à
l'investissement forestier. Il est avéré que la réorganisation de la forêt
privée doit être une priorité. Il est tout aussi patent - la tempête l'a encore
montré - que l'investissement forestier est aléatoire...
M. Jean-Louis Carrère.
Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Même la vie est aléatoire !
M. Philippe Richert.
... et que sa rentabilité est sans commune mesure avec le placement boursier.
C'est pourquoi nous devons prévoir dans ce texte les modalités permettant de
dynamiser les moyens en direction de l'investissement forestier. La proposition
d'un « fonds d'épargne forêt » de M. le rapporteur pour avis présente tous les
avantages recherchés. Il convient de la conjuguer avec les autres mesures de
réorganisation fiscale préconisées pour que toute la filière sylvicole puisse
être rénovée et optimisée.
Ma deuxième observation se rapporte à la gestion durable, qui intègre les
notions de rentabilité économique mais aussi la dimension sociale et
environnementale. Incontestablement, ces rôles dits secondaires de la forêt
méritent d'être mieux pris en compte.
D'ailleurs, lorsqu'on discute avec nos concitoyens, on se rend compte qu'ils
sont souvent d'avis que les rôles socio-environnementaux devraient primer par
rapport au rôle économique. Nous devrions donc faire des efforts pour que ces
rôles socio-environnementaux soient mieux pris en compte.
Comme cela a été rappelé tout à l'heure, l'un des grands enjeux des décennies
à venir est la question de l'effet de serre. Nous savons le rôle éminent joué
par la forêt comme capteur des gaz qui favorisent le réchauffement de la
planète. Il s'agit donc d'un sujet essentiel et grave, qui mérite bien plus
qu'un paragraphe annexe à un rapport !
Un autre aspect, sanitaire cette fois, des bienfaits de la forêt est celui de
la purification de l'air. Le rapporteur de la commission des affaires
économiques du Sénat, M. Philippe François, avait déjà été rapporteur du projet
de loi sur l'air, déposé par Mme Corinne Lepage. Depuis le vote de ce texte, il
est établi que les particules fines de cinq à dix microns constituent uen
source de pollution de l'air difficile à maîtriser et pouvant intervenir dans
l'apparition d'affections ou dans leur aggravation. Or les forêts constituent
un filtre qui amène ces poussières à se déposer, à se faire piéger. Lorsque
l'on sait que la pollution atmosphérique est mise en cause dans plusieurs
dizaines de milliers de décès annuels précoces ou dans des affections
multiples, comme l'asthme ou la bronchiolite des nourrissons, nous mesurons le
rôle bénéfique primordial que peut jouer la forêt. Et que dire de la protection
contre les risques naturels, les avalanches, l'érosion, les inondations, et
bien d'autres ?
Monsieur le ministre, l'examen en détail des propositions gouvernementales
fait ressortir que les mesures prévues pour tenir compte de la
multifonctionnalité de la forêt sont particulièrement réduites.
Le rapporteur, M. Philippe François, l'a d'ailleurs fort bien indiqué : « La
volonté d'encourager la multifonctionnalité de la forêt, à travers son rôle
social et environnemental, est affirmée. » Cependant, le projet de loi n'en
tire pas clairement les conséquences sur le plan financier. Il est donc
indispensable que les moyens adéquats soient dégagés et budgétés.
Qu'en est-il des aides nouvelles pour compenser et asseoir les orientations
?
Les propriétaires privés voient les aides conditionnées par des impératifs de
gestion durable, ce qui permet d'espérer un infléchissement des pratiques ;
mais cette mesure génère dans le même temps un cortège de formalités
administratives complexes et décourageantes, qu'il faudrait essayer de
simplifier pour qu'elles soient réellement efficaces.
Pour les forêts domaniales, je le rappelle, monsieur le ministre, en Alsace,
les forêts publiques représentent 80 % des surfaces boisées, soit presque
l'inverse de la proportion en moyenne nationale, qui est de 30 % contre 70 %.
Je ne discerne, là encore, que très difficilement l'abondement des moyens
nécessaires pour mieux prendre en compte cette multifonctionnalité.
Les routes forestières, par exemple, depuis des décennies se dégradent à un
rythme alarmant. Bientôt, des efforts de générations d'aménageurs, cynégétiques
et forestiers seront anéantis par la faute de ceux qui n'ont parlé que chiffre
d'affaires et bénéfices, oubliant les autres fonctions, comme l'accueil du
public, notamment des citadins, ou la biodiversité. Je regrette, là encore, les
réelles carences du texte en termes de moyens.
Indiscutablement, il faut simplifier les procédures pour le privé, me
semble-t-il, et mettre en place, pour le public, les moyens financiers
indispensables pour permettre aux forêts d'assurer les missions de
multifonctionnalité que nous voulons tous leur reconnaître.
Pour terminer, je dirai un mot sur la biodiversité elle-même.
Le patrimoine forestier a une valeur écologique inestimable. La richesse de ce
milieu est d'autant plus grande qu'il abrite des espèces rares ou endémiques et
des écosystèmes complexes. L'uniformité, dans ce cas de figure, est réductrice.
L'ouragan de décembre 1999 ayant dévasté des milliers d'hectares forestiers, je
formule le voeu non seulement que l'on s'oriente, pour la reforestation, vers
des méthodes plus douces, moins artificielles, avec des espèces locales
adaptées au milieu,...
M. Yann Gaillard.
Très bien !
M. Philippe Richert.
... mais également que l'on prenne les mesures pour reconstituer des
écosystèmes favorables à des espèces animales ou végétales ayant fortement
régressé, voire disparu du fait des modifications profondes que leurs milieux
de vie avaient subies.
Je prends un exemple particulier qui intéresse notamment le grand tétras, le
grand coq de bruyère. Actuellement, il n'y a plus que quelques coqs dans les
Vosges alsaciennes.
M. Gérard Braun.
Et lorraines !
M. Philippe Richert.
Il y en a un peu plus en Lorraine, cher ami !
Or la tempête a complètement modifié le milieu et il serait tout à fait
possible de recréer les écosystèmes favorables au coq de bruyère, comme il y en
avait au début du xxe siècle. Je souhaite, monsieur le ministre, que, sur ce
sujet, vous puissiez nous apporter des assurances qui seraient de nature à
donner un signe tangible pour que cette reconquête environnementale favorable à
la biodiversité puisse se réaliser.
(M. Carrère applaudit.)
Voilà, monsieur le ministre, en vous réitérant ma satisfaction pour l'esprit
général qui oriente ce projet de loi, quelques suggestions qui, à mon sens,
mériteraient d'être approfondies.
Avec les propositions des rapporteurs des commissions, que je tiens à
féliciter, des améliorations sensibles pourront être apportées pour que ce
projet de loi d'orientation puisse servir efficacement de cadre directeur pour
des forêts durables auxquelles tous nos concitoyens sont attachés et qui font
partie des merveilles de notre pays.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE - M. Pastor applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que
nous abordons aujourd'hui était très attendu. Selon moi, il l'était pour deux
raisons principales.
En premier lieu, on en parle depuis plusieurs années. M. Philippe Vasseur,
l'un de vos prédécesseurs, avait d'ailleurs décidé d'intégrer les dispositions
relatives à la forêt dans son projet de loi d'orientation agricole. Les
majorités changeant, vous avez décidé, monsieur le ministre, de retirer ce
volet forestier du projet de loi d'orientation agricole pour en faire un projet
de loi indépendant. Pourquoi pas ? Je pense même que ce n'est pas forcément une
mauvaise chose. Mais, par voie de conséquence, nous avons, vous avez perdu du
temps. La loi d'orientation agricole ayant été adoptée en juin 1999, il aurait
été souhaitable qu'il en fût de même du texte sur la forêt.
En second lieu, monsieur le ministre, c'est en août 1998 que M. Bianco
remettait à M. le Premier ministre son rapport
La forêt, une chance pour la
France.
Mais, le temps passant, les attentes se sont multipliées, et à cet égard le
présent projet de loi est plutôt décevant. Surtout, il n'a d'orientation
pratiquement plus que le titre. En effet, s'il aborde de nombreuses questions,
il laisse de côté les plus importantes : celles qui concernent le financement,
la fiscalité et l'encouragement de l'investissement forestier.
Or c'est maintenant que nous devons légiférer afin de garantir l'avenir de
notre patrimoine forestier et de le préparer à de nombreux enjeux.
Quelle est, en effet, la situation actuelle de la forêt française ? Nous
pourrions dire qu'elle est à la croisée des chemins : elle doit être mieux
gérée afin de développer pleinement toutes ses potentialités.
Nous connaissons tous les grands traits de notre forêt et nos rapporteurs, MM.
Philippe François et Roland du Luart, nous les ont brillamment rappelés tout à
l'heure.
Pour ma part, j'en retiens plus particulièrement quelques-uns, notamment ceux
qui sont à l'origine d'un certain nombre d'amendements que je présenterai au
nom de ma famille politique.
Avec une superficie de près de 16 millions d'hectares, la forêt française est
la troisième d'Europe, après celles de la Suède et de la Finlande. Elle est en
pleine expansion puisqu'elle ne couvrait que 10 millions d'hectares en 1990.
Elle se caractérise, comme plusieurs de nos collègues y ont insisté, par la
forte présence de la forêt privée, qui occupe les deux tiers de notre forêt
nationale. Elle constitue un secteur économique important : la sylviculture,
l'exploitation forestière et les industries de transformation génèrent, en
effet, plus de 550 000 emplois dans quelque 40 000 entreprises, pour un chiffre
d'affaires proche des 500 milliards de francs. En outre, il est indispensable
de souligner que ces entreprises se situent essentiellement en milieu rural, ce
qui confère à ce secteur économique un rôle déterminant dans l'aménagement et
le développement du territoire.
Tous, nous connaissons les enjeux d'une forêt dynamique et bien gérée qui sont
autant d'atouts écologiques et économiques.
Premièrement, la forêt contribue aux grands équilibres naturels en termes de
diversité de la faune et de la flore ; elle permet ainsi de respecter les
engagements internationaux de la France au regard de la préservation de la
biodiversité.
Deuxièmement, la forêt protège les sols contre l'érosion, les avalanches ou
les glissements de terrains, sujet malheureusement d'actualité brûlante en
raison des nombreuses intempéries que nous avons connues récemment.
Troisièmement, la forêt favorise la régularité du régime des eaux et limite
les risques d'inondation.
Quatrièmement, la forêt joue un rôle important en fixant le gaz carbonique et
en participant à la lutte contre l'effet de serre. C'est d'ailleurs en partie
sur ce point de la prise en considération des forêts que les négociations de la
conférence de La Haye ont achoppé. Nous ne pouvons qu'espérer leur reprise avec
des perspectives plus positives.
Or la forêt française, en dépit d'un fort potentiel, apparaît aujourd'hui
comme sous-exploitée : d'une part, la récolte annuelle est inférieure à la
production nationale et les experts estiment qu'elle pourrait être augmentée de
6 millions de mètres cubes d'ici à dix ans ; d'autre part, la forêt française
est confrontée à de nouvelles exigences, à savoir la mondialisation des
échanges, les préoccupations environnementales, la concurrence d'autres
matériaux que le bois, le développement des fonctions non marchandes de la
forêt telles que le tourisme, la chasse, l'ouverture au public, l'entretien des
paysages, etc.
Face à cette nécessaire réforme de notre code forestier, ce projet de loi
est-il à la hauteur des ambitions que nous devons avoir pour la forêt française
? Permettez-moi d'en douter, monsieur le ministre, même si plusieurs
dispositions de votre texte sont intéressantes.
Je noterai d'ailleurs que vous avez repris plusieurs idées contenues dans le
projet de loi de Philippe Vasseur, tels la modernisation de l'ONF, la
clarification de la politique concernant la propriété privée, le renforcement
de la qualification professionnelle ou l'extension du mécanisme de la dation à
la forêt.
Schématiquement, votre projet, monsieur le ministre, vise à mettre en place
une gestion durable et multifonctionnelle des forêts ; nous partageons tout à
fait cet objectif. Cependant, ce texte ne permet pas de l'atteindre, et il est
bien loin des attentes des professionnels en ce qu'il répond plus à une logique
d'organisation administrative qu'à une logique économique.
A ce titre, je donnerai plusieurs exemples des manques de ce texte.
Tout d'abord, ce projet de loi renvoie à une cinquantaine de décrets sur
lesquels le Parlement n'a aucune maîtrise. Je rappellerai, monsieur le
ministre, que, voilà trois ou quatre mois tout au plus, le vice-président du
Conseil d'Etat lui-même regrettait que Gouvernement et Parlement n'assument pas
pleinement leurs responsabilités et renvoient trop souvent leurs textes à des
décrets en Conseil d'Etat.
Par ailleurs, plusieurs articles de ce projet de loi sont de simples
déclarations de principe qui n'entraînent aucune mesure concrète.
En outre, les leçons de la tempête de décembre 1999 ne sont pas toutes tirées.
Tout à l'heure, Xavier Pintat insistera sur ce point, lui dont la région,
l'Aquitaine, a été particulièrement touchée par cette catastrophe.
Ensuite, aucune réponse - en tout cas aucune réponse suffisante - n'est donnée
au problème du morcellement de la forêt française, et la question n'est pas
posée de savoir dans quelles conditions il faudrait envisager un remembrement
ou des échanges multilatéraux de parcelles.
De plus, il n'y a pas de stratégie pour la filière bois - je sais bien que
cela a été traité par ailleurs, mais il est dommage que vous n'ayez pas abordé
de nouveau ce point, monsieur le ministre - et aucun encouragement n'est
apporté à l'industrie de transformation.
J'ajoute que les chartes de territoire forestier risquent d'être un carcan
administratif, à l'instar de ce que sont les contrats territoriaux
d'exploitation, les CTE, et donc de susciter insuffisamment d'intérêt.
Je regrette aussi qu'il n'y ait aucune mesure financière particulière pour
accompagner les communes dans leur politique de développement du tourisme
forestier : les communes ont besoin d'être aidées pour aménager les forêts au
tourisme, notamment par la construction de parkings, l'entretien, la percée de
chemins et de sentiers de randonnée. Je sais que vous n'êtes pas le seul à
avoir votre mot à dire, monsieur le ministre, et que Bercy est toujours
derrière vous !
Enfin - et c'est le reproche le plus important que nous formulerons à
l'encontre de ce projet de loi - ce texte ne contient aucune mesure de
financement à la hauteur des enjeux.
Premièrement, en matière fiscale, le projet de loi adopté par l'Assemblée
nationale est très timoré. Sur ce point, M. Roland du Luart, rapporteur de la
commission des finances, a suggéré plusieurs amendements pertinents auxquels
nous apporterons notre soutien.
Deuxièmement, le texte ne comporte pas de mesures précises pour favoriser
l'investissement forestier : l'amendement sur le plan d'épargne forestier,
présenté à l'Assemblée nationale, a été retiré au profit d'un article sibyllin
sans véritable portée. Je propose de relancer l'idée ; la commission des
finances a d'ailleurs prévu un dispositif un peu différent. J'espère, monsieur
le ministre, que vous retiendrez l'une ou l'autre des propositions que nous
vous ferons au cours de ce débat.
M. Roland du Luart,
rapporteur pour avis.
Il fera la synthèse !
M. Ladislas Poniatowski.
Troisièmement, ce texte n'est accompagné d'aucune mesure financière.
Cela m'amène à poser deux interrogations : tout d'abord, quel rôle
entendez-vous réserver à l'Etat dans la politique pour la forêt ? Ensuite,
qu'avez-vous fait, monsieur le ministre, des propositions du rapport Bianco ?
Certes, vous en avez repris un certain nombre, mais vous en avez laissé trop
dans les tiroirs. La deuxième de ses principales recommandations est pourtant
très explicite : « Aucune recommandation ne sera efficace sans un
investissement supplémentaire de l'ordre de 1 milliard par an ». Pour 2001,
c'est à peine la moitié qui a été prévue dans le budget. Autrement dit, nous
démarrons sur de mauvais rails.
Le caractère multifonctionnel que vous donnez volontiers à la forêt signifie
que les missions d'intérêt général que peut remplir la forêt doivent être
financées par l'Etat. Or, l'engagement de ce dernier est très limité et,
globalement, la France accumule du retard en consacrant à la forêt de quatre à
dix fois moins d'argent public que ses voisins européens.
En conclusion, si, au-delà du drame des tempêtes de décembre 1999, nous avons,
dans l'ensemble, une forêt bien portante, c'est maintenant qu'il faut légiférer
pour anticiper les échéances à venir : les textes se sont accumulés depuis
Colbert, le code forestier est l'un de nos plus anciens codes, les enjeux
économiques, sociaux et culturels évoluent.
Mais, en ne reprenant que quelques recommandations du rapport Bianco, vous
nous proposez, monsieur le ministre, un projet de loi lacunaire qui ne permet
pas de concilier vraiment économie et écologie.
C'est pourquoi le Sénat entend améliorer substantiellement ce texte. Ainsi, la
commission des affaires économiques, par ses amendements, tentera-t-elle de
remédier à deux insuffisances majeures du projet de loi : des contraintes
administratives supplémentaires et des moyens financiers insuffisants. Quant à
la commission des finances, elle proposera d'améliorer la fiscalité sur la
forêt et de mettre en place un dispositif opérationnel afin d'encourager
l'investissement forestier.
Au nom du groupe des Républicains et Indépendants, j'ai déposé un certain
nombre d'amendements complémentaires qui tiennent compte des situations locales
et régionales en matière de gestion de nos forêts ou de développement de la
filière bois. J'espère, monsieur le ministre, que vous nous entendrez lors de
leur examen.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France
occupe la troisième place de producteur européen en matière forestière.
Toutefois, tous les moyens ne sont pas réunis pour que la filière forêt bois
soit aussi compétitive que l'on serait en mesure de l'espérer. Pourtant,
l'Hexagone bénéficie de nombreux atouts au niveau tant des sols que des
conditions climatiques.
Tout d'abord, malgré une réelle extension, l'exploitation forestière reste
morcelée. La plupart des unités sont inférieures à un hectare. Par ailleurs, on
est en droit de s'interroger sur le repli des investisseurs institutionnels
qui, actuellement, mettent en vente leurs parcelles. Ainsi, en raison de leur
anticipation d'une mauvaise rentabilité des investissements sylvicoles, ils
fragilisent des positions déjà mal assurées. Alors qu'ils devraient être des
relais privilégiés et des éléments moteurs des dispositions examinées, ils
donnent au contraire le mauvais exemple.
Comme les autres entreprises, celles du bois désirent entrer dans le xxie
siècle avec les atouts nécessaires pour envisager sereinement l'avenir. Un
cadre législatif s'imposait. L'évolution du contexte socio-économique, la
mondialisation des échanges et la concurrence accrue nécessitaient des
dispositions prenant en compte un développement durable de la forêt.
« L'île verte » désigne la Haute-Saône. C'est dire combien la forêt tient sa
place dans ce département, qui s'inscrit dans une région répondant au même
qualificatif - elle n'est d'ailleurs pas la seule sur le territoire national.
Néanmoins, moins de 2 % des propriétaires forestiers vivent des revenus de
cette activité.
Il y a là un réel constat d'échec. Lors de nos échanges au sein de la
commission des affaires économiques et du Plan, notre excellent rapporteur
Philippe François, comme l'orateur précédent a mentionné que la France
consacrait de quatre à dix fois moins de crédits publics à la forêt que ses
partenaires européens, alors que notre pays se situe juste derrière la Norvège
et la Finlande pour la production. Le propos est non pas de faire de cette
activité un secteur assisté, mais d'offrir les moyens d'un décollage qui
déboucherait sur une économie équilibrée.
Les acteurs concernés souhaitent que nos forêts soient mieux gérées, mieux
exploitées, mieux protégées dans un cadre assurant une multifonctionnalité
économique, sociale et biologique. Certains diront que c'est l'alliance
impossible de l'eau et du feu ; néanmoins, cette donnée est inscrite dans notre
patrimoine ; elle mérite toute notre attention, car elle est l'un des éléments
fondamentaux de la vie à venir.
L'écueil principal réside dans le morcellement des unités d'exploitation. Les
trois quarts d'une superficie nationale de plantation de 15 millions d'hectares
sont entre les mains de propriétaires privés détenant de faibles unités.
L'ensemble des structures professionnelles appelle à un regroupement technique
et économique des propriétaires forestiers afin d'organiser de façon
rationnelle leur action de gestion et de commercialisation. A cet égard, le
projet de loi présenté n'encourage pas suffisamment cet impératif.
La photographie actuelle est pourtant préoccupante. Marquée par une
sous-exploitation chronique, la forêt française vieillit : en vingt ans, son
rendement a perdu dix points.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est notamment la conséquence des
accords de la conférence d'Helsinki, voilà près de dix ans. L'Etat s'est engagé
à mettre en oeuvre une gestion durable dans le cadre d'une politique forestière
reposant sur une véritable stratégie. Or le budget forestier représente moins
de 1 % du budget de l'agriculture. Le rapport Bianco considérait que, en
fonction des transferts sociaux, on arrivait pour ces deux types d'activités à
un rapport de un pour quarante. Ce même document chiffrait l'investissement
supplémentaire nécessaire pour financer une stratégie forestière ambitieuse à 1
milliard de francs par an, et encore serions-nous à un chiffre encore inférieur
à celui des principaux concurrents.
Une enveloppe de la moitié de ces crédits suffirait pour permettre de lancer
valablement les dispositions proposées. Or il est à craindre que, faute de
moyens financiers, ces dispositions ne restent lettres mortes ; les déceptions
seront à la hauteur des attentes.
Les derniers lourds aléas climatiques ont mis en évidence l'indigence des
moyens consacrés par les pouvoirs publics à la politique forestière. La
brutalité des événements a été un révélateur.
A cet égard, il faut souligner que, un an après, certaines aides directes
n'étaient toujours pas parvenues aux destinataires. Au coût des dégâts s'ajoute
l'effondrement des cours, d'où une double pénalité.
Certaines organisations coopératives ont préfinancé les opérations de
bûcheronnage, de débardage et de transport, afin de permettre aux sylviculteurs
de faire face plus facilement aux graves difficultés d'exploitation.
La faible rentabilité actuelle des exploitations ne permet qu'à un très faible
nombre d'entre elles de s'assurer contre ce type de dommage. Mais il semble,
d'une façon générale, que les mécanismes d'indemnisation seraient à
reconsidérer dans leur temps de réponse.
Au-delà de la gestion de crise, on en revient à la nécessité de favoriser une
politique globale équilibrée répondant à un programme dont les étapes bien
définies autoriseraient des évaluations intermédiaires et, ainsi, des
corrections.
Or ce contrôle n'est pas inutile. En effet, l'utilisation du bois dans les
constructions, par exemple, que la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle
de l'énergie avait favorisée, reste en suspens, faute de décret d'application.
Les avantages du bois sont pourtant nombreux : peu consommateur d'énergie,
grandes qualités de régulation thermique, hygrométrique, acoustique et, par
ailleurs, d'une grande fiabilité, notamment avec les composites, proche du
béton. Il serait donc urgent de concrétiser les possibilités inscrites.
Tout comme le développement du bois dans son utilisation énergétique reste
absent d'une démarche qui cherche à viser un objectif d'indépendance, comment
ne pas considérer l'avantage des énergies renouvelables face, par exemple, aux
contraintes liées au fuel importé ? Outre le coût, les incidences sur
l'atmosphère sont considérables par le rejet massif de gaz carbonique de ce
dernier carburant.
L'interface traditionnelle agriculture-forêt, où l'un des termes prenait le
pas sur l'autre, est dépassée. Une autre dimension est apparue avec la donnée
écologique. La forêt est à la fois un enjeu économique et un espace d'usage. La
mise en oeuvre de la directive communautaire « Habitat » - réseau Natura 2000 -
a confronté le monde forestier à la politique de l'environnement.
Par ailleurs, la forêt publique cohabite-t-elle avec la forêt privée ? Toute
la difficulté sera d'articuler ces deux termes à bien des égards, et plus
particulièrement en matière de droits et de devoirs. Afin de mettre en place
une véritable synergie, il serait judicieux de multiplier les partenariats et
les initiatives contractuelles. Ainsi pourraient évoluer harmonieusement les
relations des industriels en aval, des collectivités territoriales et des
communes forestières, de l'Etat, au travers de ses structures spécifiques en
amont, et des associations de défense de l'environnement. Peut-être le texte
n'aborde-t-il pas suffisamment cet aspect des choses.
L'essentiel du domaine forestier étant aux mains de propriétaires privés,
l'objectif prioritaire est d'en dynamiser la gestion. Un réel statut de
l'exploitation forestière assurera une meilleure professionnalisation, facteur
de cristallisation d'investissements.
Parallèlement, il convient d'encourager le développement de ces entreprises en
les faisant bénéficier d'un arsenal de dispositions fiscales rendant accessible
une rentabilité qui fait défaut aujourd'hui. Il me semble, en effet, plus
positif d'encourager par des incitations laissant aux intervenants le choix de
l'utilisation des moyens épargnés que de créer des obligations comme la
contribution volontaire obligatoire, qui est contestée.
Par ailleurs, le rapport Bianco estime que « le secteur forêt-bois est un
formidable gisement d'emplois à exploiter » : 500 000 emplois dans toute la
filière, soit plus que dans l'automobile, est-il indiqué dans ce même document.
J'ajouterai que le milieu rural sera le premier à bénéficier des effets de la
mise en valeur des activités liées à l'ensemble de la filière. C'est une
aubaine qu'il ne faut pas laisser échapper.
En effet, tout concourt à un aménagement durable du territoire : d'abord, le
sol est utilisé pour une production s'inscrivant dans une complémentarité avec
d'autres types d'exploitations traditionnelles qui assurent un entretien de
l'espace ; ensuite, le produit est multifonctionnel et respectueux de
l'environnement ; enfin, l'activité est répartie de façon équilibrée dans
l'ensemble des régions.
La compétitivité de ce secteur passera par une organisation des acteurs depuis
l'échelon local jusqu'aux structures plus importantes et, surtout,
économiquement fiables. Si les aides publiques sont indispensables,
l'intervention d'investisseurs privés ne l'est pas moins. Elle se manifestera
si des incitations significatives sont mises en place.
En suivant les propositions de la commission des affaires économiques et du
Plan, nous arriverons à un texte réalisant, par rapport au projet initial, un
effort de simplification rédactionnel et de concision sur les principes
fondamentaux de la politique forestière à mettre en oeuvre, une meilleure
protection et organisation des propriétaires forestiers et, enfin, une
limitation des contraintes et des sanctions prévues.
Il me semble que cette gestion durable du domaine forestier français est le
terrain naturel de réconciliation de l'économie et de l'écologie.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce
qu'elle fixe des grandes lignes directrices, parce qu'elle porte en elle une
vision à long terme où se mêlent incitations et projets, parce qu'elle suscite
aussi des espoirs, autrement dit parce qu'elle est révélatrice de choix
politiques qui engagent l'avenir du champ qu'elle balise, une loi d'orientation
est toujours très attendue.
Celle-ci l'est d'autant plus que nos forêts sont encore meurtries et portent
toujours les marques des ravages infligés par les tempêtes de l'hiver dernier.
Deux jours, au cours desquels des vents soufflant entre 150 et 165 kilomètres à
l'heure, avec des rafales atteignant les 200 kilomètres à l'heure, auront suffi
pour dévaster quelque cinq cent mille hectares de nos forêts. De mémoire
d'historien, il faut remonter au xviie siècle pour trouver trace, dans les
archives, de tourmentes comparables à celles qui se sont déchaînées les 26 et
27 décembre 1999.
Bien sûr, les dégâts sont considérables : arbres couchés, déracinés, troncs
cassés, un total estimé à environ 44 millions de mètres cubes de chablis,
uniquement en ce qui concerne les forêts publiques.
Bien sûr, toute la filière économique forestière est touchée et s'en ressent
encore aujourd'hui.
Bien sûr, de nombreux petits propriétaires rencontrent des difficultés pour
nettoyer et dégager les arbres abattus.
L'Etat a mis en oeuvre un plan d'urgence important du point de vue financier,
qui a permis d'atténuer les effets de la tempête.
Sans négliger les soucis réels, les conséquences des tempêtes doivent aussi
être l'occasion de mieux débattre de ce projet de loi, tant elles ont aussi
révélé des problèmes de fond. Il ne faut pas qu'elles soient un prétexte pour
revoir à la baisse les légitimes ambitions du rapport Bianco.
Au cours des opérations de déblaiement et de dégagement des forêts,
quarante-huit personnes ont déjà perdu la vie et mille trois cents personnes
ont été blessées. C'est beaucoup, beaucoup trop pour invoquer la seule fatalité
de l'accident ! Ces morts révèlent combien le métier de forestier est
dangereux.
En 1991, une étude du Bureau international du travail sur les conditions de
sécurité du travail en milieu forestier plaçait en tête de liste des
professions les plus dangereuses les métiers de bûcheron et d'ouvrier
forestier.
Sur une vie professionnelle de quarante ans, un bûcheron sur trente décède
d'un accident de travail. Le taux de fréquence et la gravité des accidents
sont, par ailleurs, de deux à trois fois plus élevés que la moyenne du secteur
agricole.
Certes, les métiers forestiers ont toujours été durs. Cependant, comme dans
beaucoup d'autres secteurs d'activité, les conditions de travail de l'ensemble
de la profession se sont nettement détériorées depuis une vingtaine
d'années.
De plus en plus soumis au marché mondial, face à une forte pression
concurrentielle, le secteur des produits forestiers a cherché à réduire de
manière drastique ses coûts. Ici comme ailleurs, les moyens employés restent
les mêmes : réduction de l'emploi - moins 3 500 emplois de 1973 à 1997 en
sylviculture et dans les exploitations forestières - accroissement de la
productivité et de l'intensité du travail, développement de la
sous-traitance.
En vingt ans, le secteur des travaux d'exploitation forestière a connu une
vague de concentrations sans précédent, au cours de laquelle le nombre des
petites entreprises de six salariés ou plus aurait diminué de 45 %, tandis qu'à
l'autre extrémité se développait la sous-traitance à l'égard de petits
entrepreneurs devenus, de fait, indépendants.
Multiplication des formes de précarisation, accroissement de l'insécurité de
l'emploi, non-respect des règles d'hygiène et de sécurité, rémunération à la
tâche ou aux rendements, recours au travail clandestin, ce sont autant
d'indices de cette forte détérioration des conditions de travail, résultat de
la pression concurrentielle et, en réponse, de la stratégie d'externalisation
des activités forestières au profit de petits entrepreneurs, souvent
individuels, entamée il y a près de vingt ans.
Inégalités devant la mort, inégalités des conditions de travail, inégalités
salariales... autant de réalités sociales qui chargent de sens la rhétorique de
« la fracture sociale ».
Sur toutes ces questions, nos collègues députés ont pu améliorer le texte de
loi discuté en première lecture à l'Assemblée nationale.
Le texte est cependant encore perfectible et nous devons poursuivre le travail
entamé, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du caractère dangereux
des professions forestières et les dispositions auxquelles cette même
reconnaissance devrait aboutir, que ce soit au travers des conventions
collectives ou par la force de la loi.
L'amélioration des conditions de travail, la formation et l'élévation de la
qualification sont autant de facteurs qui contribuent à la diminution des
risques d'accident. Elles sont aussi des éléments de la compétitivité des
firmes, que le projet de loi d'orientation dont nous examinons aujourd'hui le
contenu semble vouloir privilégier.
Il est anormal de voir des ouvriers forestiers travailler seuls, souvent avec
du matériel obsolète ou inadapté. L'utilisation d'appareils thermiques à
vapeurs cancérigènes doit immédiatement être interdite, des carburants beaucoup
moins toxiques existant. A l'ONF, un ouvrier forestier s'occupe en moyenne de
mille hectares de forêt et perçoit 7 200 francs par mois avec vingt-deux ans
d'ancienneté. Ces deux chiffres montrent l'ampleur et l'urgence des mesures à
prendre.
Plus précisément, le présent projet de loi est dominé par deux principales
préoccupations : d'une part, inscrire le droit français dans la problématique
du droit international de l'environnement en voie de constitution et, d'autre
part, valoriser le potentiel économique de la forêt.
La première de ces préoccupations, si elle ne vise pas simplement à s'inscrire
opportunément dans l'air du temps, est honorable.
Parce qu'elle est présupposée jouer de multiples rôles en matière de
préservation de l'environnement - lutte contre l'effet de serre, régulation du
régime des eaux, avec notamment un effet modérateur sur les crues, préservation
des sols contre l'érosion, réduction des risques d'avalanches et des
glissements de terrains, fixation des dunes le long des côtes - la forêt doit
être protégée et préservée. Ainsi, les récentes inondations en Bretagne mettent
en évidence l'urgence à encourager les plantations linéaires - talus, haies -
et les plantations en bordure des cours d'eau parmi les autres mesures
nécessaires.
Dérivée du concept de développement durable et issue du sommet européen
d'Helsinki en juin 1993, la notion de gestion durable qui scande, de manière
presque incantatoire, le texte de projet de loi, vise l'application même de ce
principe de préservation. Elle inclut notamment les missions d'intérêt général
et de service public que la forêt a pour vocation d'assumer.
La seconde de ces préoccupations, si elle rend compte d'un réel volontarisme
politique, est essentielle pour la dynamique économique d'ensemble.
Même si l'on estime à environ 200 000 le nombre d'emplois perdus depuis le
début des années soixante-dix, le secteur forêt-bois représente encore
aujourd'hui 500 000 emplois, dont plus de la moitié, 260 000, sont des emplois
industriels.
En favorisant le développement de la trifonctionnalité de la forêt, à savoir
sa fonction économique de production et de transformation du bois qu'assume la
filière industrielle, sa fonction sociale - accueil du public, loisirs, sports
- et sa fonction environnementale - préservation et développement du patrimoine
écologique - il est possible de créer 100 000 emplois, objectif que se fixait
Jean-Louis Bianco dans son rapport
La forêt, une chance pour la
France.
Il soulignait cependant qu'un tel objectif supposait « des financements, une
stratégie et des outils de mise en oeuvre ». Et il poursuivait : « La France
consacre à la forêt quatre à dix fois moins d'argent public que des pays
européens comparables. Aucune recommandation de ce rapport ne sera efficace
sans un investissement supplémentaire de 1 milliard de francs par an, qui nous
laissera encore loin derrière des pays comme l'Allemagne ou la Suisse. »
Afin de valoriser le potentiel économique de la forêt, le texte du projet de
loi prévoit un certain nombre de mesures pour y remédier. Je rappellerai les
cinq principales d'entre elles.
La première mesure concerne la mise en place de chartes de territoire
forestier qui, en encourageant le regroupement des propriétaires, permettent de
lutter contre le morcellement de la forêt. Comparées à celles des grands
producteurs européens de bois et papier, les surfaces boisées détenues par les
firmes françaises de transformation sont très faibles : de l'ordre de 50 000
hectares, contre 5,7 millions d'hectares en Suède et 1,8 million d'hectares en
Finlande.
Notre forêt souffre de cet éclatement puisque environ 4 millions de petits
propriétaires possèdent chacun moins de 5 hectares. A titre d'exemple, les 563
000 hectares de notre forêt limousine sont morcelés en quelque 150 000 petits
propriétaires.
Il est difficle d'exploiter de manière économiquement cohérente une telle
dispersion de l'offre. A cet égard, le conseil général du Limousin faisait
remarquer que « de nombreux propriétaires, toujours plus urbains et de plus en
plus éloignés de leur propriété, se désintéressent progressivement de leur
forêt. Ils y investissent de moins en moins, pratiquant aux mieux une
sylviculture laxiste ».
La deuxième mesure a trait à la modernisation du mode de ventes de l'ONF,
notamment les ventes de gré à gré et les contrats d'approvisionnements
pluriannuels, qui, en assurant des débouchés plus réguliers aux professionnels
et en favorisant le regroupement des scieries, est aussi un facteur d'une
meilleure organisation de la production, donc
a priori
de la
compétitivité.
La troisième mesure est relative au principe de certification du bois : un
label de qualité, voire un « écolabel », devrait permettre d'accroître les
débouchés de nos forêts. Encore faut-il que cette disposition d'ordre
commercial ne se traduise pas par une hausse des prix, qui serait
contradictoire avec l'effet recherché. Certaines professions, la tonnellerie,
par exemple, le redoutent. Restons vigilants, d'autant que la visée commerciale
doit être assortie d'un réel effort de valorisation du potentiel productif et
économique pour avoir une véritable efficacité en matière de concurrence.
La quatrième mesure concerne un assortiment de dispositions d'incitation
fiscale, qui devraient permettre de favoriser l'investissement forestier.
Enfin, cinquièmement, à ces mesures, s'ajoute le principe de la création d'un
dispositif financier destiné également à favoriser l'investissement. Nous
aurons l'occasion d'y revenir au cours de la discussion des articles.
Ces mesures suffiront-elles à impulser une véritable dynamique de l'emploi
tout au long d'une filière riche en gisements d'emploi ?
Au niveau des activités les plus en amont, une étude du service des
statistiques industrielles du secrétariat d'Etat à l'industrie, le SESSI,
notait : « Les enjeux actuels de la sylviculture et de l'exploitation
forestière forment un tronc commun en amont, dont la nature, le fonctionnement
et la production sont caractéristiques d'une activité agricole plutôt
qu'industrielle, mais dont les enjeux actuels peuvent s'analyser en termes
d'industrialisation. »
Toute industrialisation, par les effets d'entraînement qu'elle implique dans
la filière et sur les autres secteurs d'activité est potentiellement
génératrice d'emplois. Elle peut se réaliser tout en respectant
l'environnement, selon le principe de la gestion durable.
Depuis quelques années, en effet, il semble bien que les orientations données
par les Etats lors de conférences internationales sur l'environnement, à Rio en
1992, à Kyoto en 1997, aient été jugées suffisamment crédibles par les firmes
industrielles pour que celles-ci intègrent les normes environnementales dans
leur compétitivité. Une part de plus en plus importante de l'investissement
dans l'industrie papetière est ainsi consacrée aux équipements visant à réduire
les pollutions : traitements des eaux rejetées, des odeurs, et autres
nuisances.
Espérons que le revirement actuel du président Bush ne se traduira pas par un
relâchement des efforts de l'industrie visant à intégrer les dommages causés à
l'environnement dans ses coûts.
Notre industrie papetière est actuellement dominée par de grandes firmes qui
réalisent à elle seules plus de 40 % du chiffre d'affaires et plus des deux
tiers des exportations. Malgré le redressement du taux de couverture, le
secteur est marqué par un déficit commercial pérenne.
Au cours des années quatre-vingt-dix, notre industrie papetière, faiblement
intégrée, s'approvisionnant en pâte à l'extérieur, a subi de plein fouet les
dérèglements monétaires.
Proie des producteurs nord-américains, le marché européen est vite devenu le
terrain d'affrontement des grands groupes papetiers : dévaluation compétitive,
rationalisation de la production, concentration du capital, course à la taille
critique, avec, à la clé, des milliers de suppressions d'emploi.
En l'absence de coordination monétaire internationale et de volonté politique
européenne, les prix, désormais soumis aux fluctuations incontrôlées de l'offre
et de la demande, auxquelles s'ajoutent les mouvements déréglés du dollar,
fragilisent fortement les productions non intégrées de pâte et de
papier-carton, dont les résultats fluctuent selon les mouvements d'humeur du
marché.
La zone euro ne réglera pas les problèmes si le prix de la pâte demeure fixé
en dollars sur le marché mondial et non en euros, l'euro assumant véritablement
le rôle de monnaie commune pour la facturation des transactions
internationales.
Après avoir abordé les dimensions économiques, j'en viens aux fonctions
sociales et environnementales, autrement dit à tout ce qui relève, de près ou
de loin, de missions d'intérêt général.
Au premier rang de ces missions figure l'accueil du public en forêt. L'accès
et la fréquentation du public doivent, certes, être réglementés. Mais notre
forêt doit aussi être le plus possible ouverte, sans que se multiplient, sous
des prétextes divers, les zones réservées, interdites au public.
Un équilibre doit être trouvé entre les préoccupations environnementales et
l'accessibilité de nos forêts. Le public y sera particulièrement sensible.
Aujourd'hui, en théorie, il y a 2 600 mètres carrés de forêt par habitant en
France, contre 3 000 mètres carrés sur le continent européen.
Cela suppose qu'un effort particulier soit mené afin d'assurer la protection
des milieux les plus vulnérables du point de vue de l'écosystème, mais aussi en
faveur de l'aménagement, de la mise en valeur des multiples activités que
peuvent offrir nos forêts.
A cet égard, le projet de loi prévoit que des conventions entre collectivités
locales et propriétaires soient conclues. Là encore, il revient à l'Etat de
participer financiërement à ces missions d'intérêt général, que les
collectivités locales et les propriétaires ne peuvent assumer seuls.
Prendre en compte notre patrimoine forestier dans ses aspects particuliers,
spécifiques, telle la forêt méditerranéenne, qui est de faible rentabilité mais
qui joue un rôle important en matière environnementale et touristique,
participe aussi des missions d'intérêt général.
A cet égard, le rôle de l'ONF est fondamental. Jean-Louis Bianco soulignait
d'ailleurs qu'il fallait que « l'Etat fasse un effort significatif pour que
l'ONF puisse tenir convenablement ses missions de service public. On ne pourra
pas affirmer prendre au sérieux ce projet, sans y mettre davantage de moyens...
Ce sera un des meilleurs investissements que l'Etat fera pour l'emploi. » Et il
ajoutait, comme en écho au principe du pollueur-payeur, qu'en matière
d'environnement et d'emploi le principe du prescripteur-payeur devait aussi
s'appliquer.
Chacun connaît les difficultés financières actuelles de l'ONF, qui résultent
en partie des tempêtes - je signale au passage que l'Union européenne n'a pas
consenti d'aides financières d'urgence à la France.
En gérant plus de 30 % des surfaces forestières, l'ONF a un rôle essentiel à
jouer en matière de gestion durable de nos forêts, ce qui implique de repenser
toute la politique de recrutement, en inversant, notamment, la courbe
descendante des emplois stables, ce qui relèverait du volontarisme politique
que réclamait Jean-Louis Bianco.
Mes chers collègues, la forêt française a pratiquement doublé au cours des
deux derniers siècles ; l'augmentation des rendements agricoles a encouragé la
reconquête de terres marginales. Chacun d'entre nous pourrait se réjouir, au
plan économique et écologique, de cette augmentation spectaculaire. La réalité
est différente, nous le savons tous : le morcellement extrême de la forêt
française ne facilite pas son exploitation optimale, loin s'en faut. Les
opérations de remembrement agricole ont sérieusement modifié les conditions de
retenue et d'écoulement des eaux de pluie.
Il convient donc aujourd'hui d'être particulièrement ambitieux à l'égard de la
forêt afin de faire se rejoindre, demain, le rêve et la réalité : le rêve de
toutes celles et de tous ceux qui y trouveront le calme, l'air pur et le repos
nécessaire et la réalité d'une économie du bois dynamique autour d'un matériau
durable et vivant, renouvelable à l'infini.
Je manquerai de temps pour évoquer l'aspect mondial de l'exploitation
forestière, qui illustre pourtant bien le pillage éhonté qui se poursuit,
mettant en péril les grands équilibres écologiques et climatiques de notre
planète.
La loi d'orientation agricole montre déjà ses premiers effets positifs tant en
matière environnementale que sanitaire. Demain, la loi d'orientation sur la
forêt peut également apporter beaucoup d'espoir. Le groupe communiste
républicain et citoyen entend bien s'investir dans son élaboration pour lui
donner toutes ses chances de succès.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Etonnant parallèle, dont nous nous réjouissons déjà, que celui que nous
pouvons établir entre la loi d'orientation agricole et le projet de loi
d'orientation forestière que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le
ministre.
Il est étonnant, tout d'abord, si l'on essaie de mesurer à quel point ce texte
était attendu par l'ensemble du monde forestier.
Avec la loi de 1985, on s'était efforcée d'améliorer la protection de la
forêt, de favoriser sa mise en valeur, par des déclinaisons régionales, la
protection des salariés travaillant en forêt, et de mieux organiser l'espace
agricole et forestier. Il aura donc fallu attendre la présente législature et
la volonté clairement affichée de M. le Premier ministre de donner une place
particulière et nouvelle à la forêt, en annonçant qu'un projet de loi serait
présenté - un texte spécifique mais global - à l'issue d'une concertation
nationale.
Cette intention avait été réaffirmée par vous-même, monsieur le ministre, en
particulier lors des débats sur la loi d'orientation agricole.
Un travail colossal de consultation a été mené sur l'ensemble du territoire
par notre collègue Jean-Louis Bianco. Le présent projet de loi s'inspire plus
que largement de ce travail. Et, étant donné l'unanimité qu'avait suscitée son
rapport, nous ne pouvons qu'être certains, monsieur le ministre, que ce projet
de loi en suscitera autant !... En tout cas, il faut l'espérer.
Les modifications structurelles, proposées dans ce projet de loi sont de
nature, sur le moyen terme, à éviter des ravages aussi dévastateurs que ceux
que nous avons connus à la fin de 1999.
Le second parallèle que je voudrais établir avec la loi d'orientation agricole
est celui de la gestion durable et de la reconnaissance de la
multifonctionnalité de la forêt. Ce texte s'efforce de développer ces
caractéristiques.
L'importance de la forêt est trop méconnue. Pourtant, elle joue un rôle dans
la purification de l'eau, dans le processus de lutte contre l'effet de serre.
Elle joue aussi un rôle social.
Pendant trop longtemps, la forêt n'a revêtu qu'une fonction de production,
tout comme l'agriculture. La filière bois constituait l'une de nos filières
économiques ayant une activité forte, mobilisant plus de 550 000 personnes,
mais « noyée » parmi les autres et mal connue.
Il faut évidemment conforter cette activité, la développer. C'est d'ailleurs
ce qui est prévu avec le titre II du projet de loi, qui vise à favorier la
compétitivité de la filière bois-forêt en proposant des instruments comme la
certification ou la création d'un plan d'épargne « forêt », dont l'objet est de
financer les investissements forestiers. Je proposerai à cet égard un
amendement visant à élargir le champ d'action de ce fonds.
Mais, tout comme l'agriculture, la forêt a, peu à peu, au fil du temps, rempli
des fonctions sociales, environnementales, et a constitué, petit à petit, un
élément essentiel au maintien des grands équilibres de notre société.
En un mot - puisqu'il en existe un dorénavant - elle est devenue «
multifonctionnelle ».
Cet aspect n'était ni reconnu, ni valorisé, ni pris en compte. Aujourd'hui, la
valorisation économique du patrimoine forestier va de pair avec sa valorisation
écologique, et les acteurs de cette valorisation attendent une
officialisation.
Pour ce faire, quel meilleur outil que les contrats ? Vous proposez donc,
monsieur le ministre, de mettre en place, pour ceux qui le souhaitent, des
chartes de territoire forestier, ce dont, bien sûr, nous nous réjouissons. Il
convient toutefois d'en préciser les moyens.
Fruit de la concertation avec les acteurs locaux, elles définiront, pour le
territoire le plus adapté et identifié, des programmes d'action pluriannuels et
institueront - c'est leur objet - des partenariats durables pour un
développement durable.
Enfin, ce projet de loi tend à redynamiser avec ambition la forêt française.
Une politique forestière cohérente et équilibrée nécessite aussi une meilleure
organisation des institutions de la forêt, que ce soit l'ONF - dont les
compétences sont étendues - les centres régionaux de la propriété forestière ou
les chambres d'agriculture, que je ne voudrais pas oublier.
Cela permettra sans nul doute d'accentuer le lien qui est désormais établi par
le présent projet de loi avec le développement des territoires.
Un amendement présenté par mon groupe précisera le degré de relation entre les
CRPF, les centres régionaux de la propriété forestière et les chambres
régionales d'agriculture.
Elément incontournable du développement local, de par son rôle direct ou
indirect - nous avons évoqués l'un et l'autre - la forêt doit apporter sa
spécificité, dans un contexte plus général de pays et de territoires.
Notre commission - et je tiens à saluer ici le travail de nos rapporteurs -
revient parfois, vous le noterez, sur le texte initial du Gouvernement ; nous
aurons tendance à la suivre dans bien des cas.
Comme vous le constaterez, monsieur le ministre, de nombreux amendements
techniques auront notre soutien.
Le plan d'épargne « forêt » ou le centre national professionnel de la
propriété forestière sont le signe d'un souci d'ouverture, de partage de
responsabilité entre les pouvoirs publics et le monde professionnel privé
concerné.
Quelques doutes persistent, notamment en ce qui concerne le problème des
assurances en forêt, vous l'avez évoqué, monsieur le ministre, il s'agit de
l'article 36. Ne conviendrait-il pas de faire preuve d'une très grande prudence
dans la relation avec les assureurs afin d'éviter le risque de retrait de
l'assurance incendie du monde forestier ?
Par ailleurs, je veux évoquer la pression indispensable pour favoriser les
groupements et éviter la dispersion des propriétaires privés. La tempête a fait
apparaître ce problème au grand jour : pour les propriétaires organisés, les
modalités d'indemnisation, mais aussi toutes les démarches liées à la remise en
état des lieux se sont bien passées ou, pour le moins, ont été bien engagées ;
en revanche, pour les propriétaires privés isolés, bien peu a pu être fait et
organisé.
L'ouverture que vous présentez favorise ces groupements et, malgré quelques
divisions professionnelles, que nous connaissons, vous donnez les moyens
financiers aux mécanismes interprofessionnels. A eux d'en faire l'usage
attendu. On ne peut que se féliciter de l'obligation nouvelle d'un débat entre
professionnels.
Il reste, monsieur le ministre, une sorte d'imprécision sur la gestion de la
forêt des DOM, mais aussi sur le régime réservé à l'ONF, plus particulièrement
sur son équilibre financier. Je souhaiterais que vous puissiez nous apporter
quelques garanties sur ces différents points.
Enfin, je vous demanderai de m'éclairer sur deux ou trois aspects, équivoques
à mes yeux.
Premièrement, dans l'optique du débat relatif au statut de la Corse, ou du
moins à son évolution, qu'en est-il de la forêt domaniale transférée au domaine
communal, et quelle incidence cette question aura-t-elle pour le reste du
territoire ? N'y a-t-il pas là un risque de démembrement de la propriété
forestière ?
Deuxièmement, la taxe sur le défrichement, dont la suppression avait été
inscrite dans la loi de finances pour 2000, avec effet au 1er janvier 2001, a
été rétablie par l'Assemblée nationale à l'occasion de l'examen du présent
projet de la loi d'orientation sur la forêt, mais nous devons prendre garde au
problème de chevauchement que l'on peut actuellement constater.
Troisièmement, j'ai le sentiment qu'un trop grand nombre de décrets sont pris,
ce qui me semble dommageable, sur le plan des principes, si l'on entend
favoriser le développement d'une vie législative plus sereine.
Pour conclure, j'indiquerai qu'une dizaine d'amendements ont été déposés par
mon groupe, qui portent notamment sur les financements, l'organisation de la
profession, le Conseil supérieur de la forêt et l'équilibre sylvo-cynégétique.
Parce que nous considérons que la forêt est une ressource inestimable,
renouvelable mais que l'on doit préserver, parce que les hommes ont désormais
acquis de l'expérience et ont la volonté tenace de la faire vivre pour en vivre
et de la protéger au profit des générations futures, nous serons heureux,
monsieur le ministre, de vous soutenir au cours de la discussion de ce texte
porteur d'avenir.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une étude
réalisée par la SOFRES, en date du 29 novembre 2000, montre que 91 % des
Français sont très attachés à la forêt. Cet attachement et le souci qu'ils
manifestent à l'égard de la protection de leur environnement les conduisent à
être très attentifs à son avenir. Dans le même temps, ils estiment que respect
et exploitation de la forêt sont compatibles.
Plus d'une année après les tempêtes de décembre 1999, qui, en trois jours et
en deux vagues successives, ont balayé la France et une partie de l'Europe,
cette étude définit parfaitement les enjeux auxquels les gestionnaires de la
forêt française sont aujourd'hui confrontés. Des chablis à ne savoir qu'en
faire, avec 145 millions de mètres cubes de bois tombés, arrachés, fracassés,
dont une centaine pour la forêt privée et une quarantaine pour la forêt
publique, soit plus de deux années d'exploitation, toutes formes de bois
confondues, bois d'oeuvre pour le bâtiment, bois d'industrie pour l'ameublement
ou le papier, ou encore bois de chauffage ; des ravages sans précédent pour le
premier massif européen et des régions entières sous le choc ; une décote des
prix importante pour l'ensemble des essences, un déficit pour la filière de
près de 15 milliards de francs : la forêt française, dont la filière bois
représente plus de 550 000 emplois, se prépare en effet à un avenir économique
et écologique difficile.
Devant ce désastre, le Sénat a proposé dès le 11 janvier 2000, je tiens à le
rappeler, sur l'initiative notamment de sa commission des finances, un certain
nombre de mesures en faveur des victimes de ces tempêtes.
Il s'agissait ainsi d'accélérer les remboursements du fonds de coopération de
la TVA au profit des collectivités locales concernées, de prévoir l'attribution
à ces dernières, par la Caisse des dépôts et consignations, de prêts-relais, en
attendant le versement d'aides ou de prêts bonifiés, et d'appliquer le taux
réduit de 5,5 % pour la TVA affectant les travaux nécessaires au déblaiement, à
l'exploitation et à la reconstitution des forêts.
Ont été également proposées des mesures fiscales se traduisant, en
particulier, par un dégrèvement exceptionnel au titre de la taxe foncière sur
les propriétés non bâties pour 1999, par l'instauration d'un mécanisme de
déduction du revenu foncier des charges exceptionnelles entraînées par les
tempêtes et, enfin, par une exemption des droits d'enregistrement sur la
première mutation pour les biens forestiers, cela afin de relancer
l'investissement.
Certaines de ces mesures ont été reprises par le Gouvernement à l'occasion de
l'annonce du plan national pour la forêt française, notamment la réduction à
5,5 % du taux de la TVA sur les travaux forestiers et l'accélération des
remboursements du fonds de compensation de la TVA pour les communes
sinistrées.
Cependant, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui est insuffisant,
en raison, en particulier, de l'absence d'un volet économique et fiscal.
Comme l'ont très bien souligné nos collègues Philippe François, rapporteur au
nom de la commission des affaires économiques et du Plan, et Roland du Luart,
rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, ce projet de loi
d'orientation sur la forêt ne prévoit pas de moyens financiers suffisants, de
dispositifs en faveur de l'investissement forestier et de mécanisme de
mutualisation des risques propres à la forêt.
Il présente, en outre, des excès en matière de réglementation et de
contraintes administratives, et je pense notamment ici aux garanties ou aux
présomptions de garantie de « gestion durable » qu'il faut apporter afin de
bénéficier des aides publiques, ou encore à l'alourdissement sensible des
sanctions encourues, s'agissant en particulier de la multiplication par cinq du
montant maximal de l'amende devant être acquittée en cas de coupe abusive, qui
pourrait désormais atteindre jusqu'à 1 million de francs.
Pis encore, il prévoit la création d'associations foncières de gestion
forestière, au profit desquelles les propriétaires non identifiés de parcelles
vacantes seront réputés avoir renoncé à leur bien, ce qui constitue une
atteinte flagrante au droit de propriété.
Les dispositions de ce projet de loi sont donc très en deçà des ambitions
affichées dans le rapport de M. Jean-Louis Bianco, remis au Premier ministre en
août 1998 et qui préconise notamment « la mise en place d'une fiscalité mieux
adaptée pour favoriser l'emploi, accroître la compétitivité, faciliter les
restructurations forestières », ou qui met l'accent sur « la nécessité de créer
un plan d'épargne-forêt doté d'avantages fiscaux qui le rendent attractif ». Ce
rapport recommande en outre « la création d'un établissement financier pour
favoriser l'investissement dans la filière bois et pour permettre
l'accroissement des fonds propres des PME dans ce secteur », ainsi que « la
mise en place des outils de capital-risque et d'investissement de l'épargne de
proximité ». Qu'en est-il de ces propositions ambitieuses ?
S'agissant de la défense de l'environnement, ce projet de loi présente aussi
des carences.
En effet, alors que la protection des paysages est devenue un élément
essentiel de notre vie sociale, la déprime agricole et l'exode rural ont, en
amenant une réduction du nombre des exploitants, conduit beaucoup de
propriétaires de parcelles à planter celles-ci en forêt sans tenir compte des
conséquences de telles plantations pour l'écosystème. Il en est résulté des
phénomènes d'enclavement visuel et de fermeture de certains fonds de vallée,
d'acidification des sols, voire d'altération de la qualité des eaux de certains
cours d'eau. C'est un problème qui nous préoccupe beaucoup dans les Vosges,
monsieur le ministre.
Les tempêtes de décembre 1999 ont malheureusement mis en exergue ces
phénomènes. Dans les vallées vosgiennes, par exemple, des peuplements complets
d'épicéas ont obstrué totalement les cours d'eau, l'empilement des grumes
pouvant, dans certains cas, atteindre sept mètres de hauteur sur plusieurs
kilomètres de distance. Par ailleurs, la destruction des berges, consécutive au
soulèvement des plateaux racinaires, a parfois conduit au déplacement du lit
mineur des rivières.
Or la législation en vigueur, très limitée, ne permet pas de prévenir
efficacement de telles plantations abusives. En effet, les mesures
d'interdiction complète sont lourdes à mettre en oeuvre au regard de leur durée
d'application, qui est de six ans, et ne sont que rarement appliquées par le
préfet. Quant aux demandes d'autorisation de boiser, leur acceptation est
seulement subordonnée à l'existence d'agriculteurs candidats à l'exploitation
des parcelles concernées. Les conséquences des tempêtes de décembre 1999 ont
montré les lacunes de la réglementation en la matière.
Enfin, en cas de boisements irréguliers, les maires sont souvent réticents à
constater les infractions. Lorsque le boisement devient vraiment gênant, les
délais de prescription, qui sont de six ans, ne permettent plus la mise en
demeure ni d'éventuelles poursuites.
Afin de remédier à cette inefficacité et aux rigidités constatées, je souhaite
en particulier, conformément à l'esprit des lois de décentralisation, que soit
accordé aux communes un moyen supplémentaire de maîtrise de leur sol.
Je propose ainsi, par le biais d'un amendement visant à compléter l'article L.
123-1 du code de l'urbanisme, d'ouvrir aux communes, dans l'optique de
l'élaboration des plans d'occupation des sols, rebaptisés « plans locaux
d'urbanisme » par la récente « loi Gayssot », la possibilité de déterminer des
zones « non forestées », de même qu'il existe des zones non constructibles. Il
appartiendrait ensuite au pouvoir réglementaire d'en préciser le régime. Dans
ce cadre, la sanction serait la même que celle qui est actuellement fixée à
l'article L. 126-1 du code rural. Quant aux communes non dotées d'un plan local
d'urbanisme, elles pourraient toujours recourir aux dispositions de ce même
article du code rural, la législation actuelle pouvant continuer à
s'appliquer.
Je proposerai aussi d'instaurer une distance minimale de huit mètres, de
chaque côté des routes et des berges, afin de définir des espaces préservés des
désordres occasionnés par les plantations, notamment de résineux. En laissant
des plateaux racinaires de plus de cinq mètres de hauteur le long des routes et
des berges, les tempêtes de décembre 1999 ont, en effet, montré l'insuffisance
de la bande de quatre mètres regagnée sur l'initiative des collectivités
locales.
Pour conclure, monsieur le ministre, je souhaite affirmer que la
reconnaissance de la forêt ne pourra être obtenue sans un immense travail
collectif. A cet égard, l'examen de ce texte est l'occasion, pour le Sénat et
le Gouvernement, en dehors de tout esprit partisan et des clivages politiques,
de proposer à tous les acteurs concernés une véritable loi d'orientation
offrant une vision claire de l'état et des besoins de la forêt française,
qu'elle soit domaniale, communale ou privée. La forêt française s'est construit
des marchés, elle peut et doit, aujourd'hui, se reconstruire un avenir.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quinze mois
après les deux grandes tempêtes qui ont balayé une partie de l'Europe et de
notre pays, les plaies sont encore à vif.
Avec près de 140 millions de mètres cubes de bois au sol, soit plus de quatre
années de récolte jetées sur le marché en quelques heures, ce fut une
catastrophe économique et écologique sans précédent. Des arbres séculaires
arrachés, des paysages défigurés sont les stigmates les plus spectaculaires
d'un patrimoine dégradé pour des décennies. En outre, des chablis ont commencé
à pourrir, la faune et le gibier ont été malmenés, des voies d'accès restent
impraticables, certaines se révélant encore dangereuses du fait de leur
instabilité.
Enfin, ce fut un traumatisme profond pour la population de notre pays. En
effet, certains ont tout perdu, tandis que, dans l'inconscient collectif, la
forêt est un bien commun ancestral, et pour beaucoup une valeur à long terme,
transmise de génération en génération et qui constitue, avant tout, notre
ballon d'oxygène.
Le plan national d'urgence pour la forêt, arrêté le 12 janvier 2000, avait
prévu la déduction fiscale des charges exceptionnelles d'exploitation des bois
sinistrés par les tempêtes, mais si l'instruction de la direction générale des
impôts a enfin paru le 18 janvier dernier, les dispositions qu'elle contient ne
peuvent en aucun cas nous satisfaire et se révèlent plutôt décevantes. C'est
pourquoi le groupe de l'Union centriste soutiendra les amendements présentés
par notre collègue Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des
finances, notamment celui qui vise à autoriser la déduction des charges
exceptionnelles de l'ensemble du revenu et à permettre le report de ce droit à
déduction sur dix ans.
Je représente le département de la Haute-Savoie, et vous ne serez donc pas
étonnés, mes chers collègues, de m'entendre défendre essentiellement ici la
forêt de montagne. La forêt de Haute-Savoie, et de montagne en général, a tout
d'abord une précieuse fonction de protection. Elle joue souvent un rôle de
contention et de limitation de différents phénomènes naturels : érosion
torrentielle, glissements de terrain, avalanches, chutes de blocs rocheux. Mais
notre forêt remplit aussi une fonction de préservation du milieu naturel,
puisqu'elle abrite de nombreuses espèces végétales et animales, constituant
ainsi une réserve biologique. Elle a, en outre, une fonction sociale,
puisqu'elle constitue,
intra-muros,
un site d'accueil pour différents
utilisateurs et participe,
extra-muros,
à la qualité du paysage et du
cadre de vie. Elle remplit enfin, ne l'oublions pas, une fonction économique
pour les entreprises et les collectivités.
Néanmoins, cette forêt souffre du handicap « montagne », comme
l'agriculture.
L'exploitation forestière en montagne est en effet difficile et donc coûteuse.
Elle exige le plus souvent la mise en oeuvre de techniques particulières et se
trouve confrontée à une âpre concurrence, puisque les cours du bois sont fixés
à l'échelon mondial.
Par ailleurs, elle est soumise aux conditions climatiques montagnardes, qui se
caractérisent par une saison de végétation relativement courte.
Enfin, cette forêt de montagne est tributaire d'un morcellement très
pénalisant, déjà évoqué par la plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette
tribune.
La forêt de Haute-Savoie, pour presque les deux tiers de sa surface, est
privée. Cette forêt privée couvre un peu plus de 100 000 hectares et appartient
à plus de 100 000 propriétaires, dont 97 % possèdent une surface de moins de
quatre hectares, le plus souvent divisée en plusieurs parcelles.
Face à cette situation, les communes acceptent parfois de se porter maître
d'ouvrage de projets de desserte structurants en forêt privée. Il importe
d'encourager ces communes en facilitant les conditions de passage des projets
sur les parcelles d'éventuels propriétaires récalcitrants. Aussi la future loi
forestière pourrait-elle prévoir la possibilité, pour les collectivités,
d'instaurer une servitude de passage pour l'exploitation forestière et
pastorale du type de la servitude créée pour l'exploitation des domaines
skiables, telle que prévue par l'article 53 de la loi « montagne » du 9 janvier
1985.
Le maniement des « associations syndicales » s'avère lourd. Les dispositions
de l'article L. 151-36 du code rural ne prévoient pas les conditions
d'utilisation futures de l'ouvrage après réalisation. Ces mesures seraient
ainsi utilement complétées.
C'est la raison pour laquelle quelques membres du groupe de l'Union centriste
représentants des régions de montagne, dont je fais partie, proposeront un
amendement dans ce sens.
En forêt de montagne, l'accroissement de la récolte de bois passe bien sûr par
une amélioration et par une densification de la desserte de l'exploitation
forestière.
L'amélioration et la densification des pistes et des routes favorisent de plus
un traitement irrégulier des peuplements permettant le maintien d'un couvert
forestier permanent très intéressant pour ces zones d'altitude. Mais cette
amélioration et cette densification se heurtent trop souvent à l'extrême
morcellement, déjà cité, de la forêt privée.
En effet, alors que les perspectives d'exploitation à court et à moyen terme
sont favorables, le nécessaire aménagement préalable de pistes forestières
comme l'éclaircissement de la forêt existante destiné à améliorer les
conditions de croissance des jeunes abres sont entravés par le morcellement de
la propriété, principal obstacle à la réalisation des travaux. Les parcelles
sont de très petite dimension, mal ou pas délimitées, ce qui impose de les
regrouper et d'en préciser les limites.
Or les frais d'acte notarié et de géomètre sont tels qu'ils retirent toute
rentabilité à l'opération. Ils sont même, pour certaines parcelles, supérieurs
au produit qui peut être espéré des coupes qui seront effectuées lorsque les
travaux auront été réalisés. Le montant des frais représente aujourd'hui un
coût forfaitaire minimal de 2 500 francs. Cela constitue, dans les secteurs
morcelés, un handicap lourd à la reconstitution foncière en forêt.
Les propriétaires privés demandent donc qu'une subvention puisse être versée
aux propriétaires acceptant l'échange de leurs parcelles et que ce dispositif
soit éventuellement accompagné d'une réduction des droits de mutation.
Je me permets de vous suggérer, monsieur le ministre, l'inscription de ces
dispositions dans la loi, et je présenterai, en conséquence, un amendement en
ce sens.
Plusieurs actions permettraient d'améliorer cette situation.
Il s'agirait tout d'abord de justifier les procédures administratives au
moment de la rédaction d'un acte notarié avec, par exemple, une dispense des
procédures d'autorisation liées à l'urbanisme et aux diverses préemptions
possibles dans les secteurs à vocation forestière affirmée.
Il s'agirait ensuite de réduire les frais administratifs liés à la rédaction
d'un acte notarié.
Il s'agirait enfin de compenser financièrement le coût forfaitaire d'un acte
dans le cas de l'acquisition, par un propriétaire, de parcelles voisines, cette
compensation pouvant être calquée sur le principe des aides existantes en
matière d'échanges de parcelles rurales.
Si la forêt de montagne a un rôle spécifique et irremplaçable, sa progression
est, pour certains massifs, la source d'une double inquiétude, soit parce
qu'elle est le signe apparent de la désertification, soit parce que l'absence
d'exploitation et, par conséquent, d'entretien, due aussi bien à des coûts
d'exploitation non compétitifs qu'à l'indifférence des propriétaires, en
général parce que la superficie qu'ils possèdent est modeste ou bien parce
qu'ils n'habitent plus à proximité, conduit à un étouffement des forêts qui les
rend moins pénétrables et moins sûres et ne leur permet plus d'assurer leur
rôle de prévention des risques naturels.
Le projet de loi d'orientation doit donc reconnaître la place particulière
qu'occupe la forêt de montagne dans la forêt française et, plus généralement,
pour l'équilibre du territoire national, tout comme la loi d'orientation
agricole avait, en 1999, rappelé et reconnu le rôle spécifique de l'agriculture
de montagne.
La reconnaissance du handicap doit s'accompagner d'un droit à l'exploitation,
justifié non seulement par l'équité mais aussi par des causes d'ordre public.
Il doit donc exister des chartes de territoires forestiers au même titre qu'il
existe des contrats territoriaux d'exploitation « montagne », si possible en en
inscrivant le principe dans la loi, ce qui n'a pas été le cas pour les CTE.
Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, je présenterai un certain
nombre d'amendements, avec mes collègues du groupe « montagne ». Nous
souhaitons ainsi affirmer le principe que la politique forestière comprend,
parmi ses objectifs, de maintenir la forêt dans les territoires fragiles soumis
à l'érosion ou aux risques naturels, c'est-à-dire en montagne et en zone
méditerranéenne, d'assurer une durée suffisante - trois ans minimum - aux
charges de territoire forestier, les CTF, de définir les CTF spécifiquement
montagne, de faire des CTF un contrat bilatéral entre Etat et propriétaire
auquel peuvent adhérer les autres acteurs de la filière, de mieux garantir le
droit de propriété contre le délaissement dans le cadre des associations
foncières forestières au profit des copropriétaires ne pouvant être identifiés,
enfin, de maintenir la dimension pastorale du service de restauration des
terrains en montagne.
Pour conclure, je dirai que le projet de loi d'orientation recouvre de très
importants enjeux pour la forêt de montagne, qu'il nous appartient de maîtriser
en tirant les enseignements de la tempête de 1999 et en introduisant dans le
texte les mesures adaptées contenues dans les excellentes propositions de nos
rapporteurs, Philippe François et Roland du Luart, ainsi que dans les
amendements qui seront soumis à notre Haute Assemblée aussi bien par le groupe
de l'Union centriste que par notre groupe « montagne ».
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pintat, premier représentant de la forêt landaise !
(Sourires.)
M. Xavier Pintat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les
attentes suscitées par le rapport Bianco et le passage dévastateur de l'ouragan
du mois de décembre 1999, le dispositif du projet de loi d'orientation
forestière ne pouvait que décevoir.
La forêt française méritait un projet plus ambitieux. Aujourd'hui plus
qu'hier, ses acteurs sont confrontés à de lourdes contraintes attachées à la
mondialisation des marchés, à la montée en puissance des préoccupations
environnementales, à la concurrence des matériaux autres que le bois et,
dernièrement, à la reconstitution des principaux massifs forestiers.
Vouloir développer une gestion durable prenant en compte la
multifonctionnalité de la forêt est, certes, un objectif louable, mais nous
sommes loin, très loin, des besoins de la forêt française, qu'elle soit
domaniale, communale ou privée.
En effet, si nous sommes tous d'accord pour admettre que la forêt est une
culture importante et d'avenir pour notre pays, il faut donner à ses acteurs
les moyens et les financements nécessaires à sa bonne gestion.
Or, monsieur le ministre, vous vous êtes contenté de déclarations de principe
qui ne sont assorties d'aucune mesure positive ni d'aucun financement.
C'est ainsi qu'à l'exigence de valorisation économique de la forêt vous
répondez par un accroissement de charges sans lever l'ambiguïté sur sa fonction
première de production ni encourager sa compétitivité économique.
Bien sûr, vous assouplissez les modes de vente de l'Office national des
forêts, mais la liberté pour les sylviculteurs d'exploiter leur patrimoine,
disputée de plus en plus au titre de la protection de l'environnement, se
réduit au fil des articles à une « peau de chagrin ».
Ainsi, il n'est fait aucune référence à la notion de rentabilité, élément clé
de la gestion des forêts privées, qui représentent - dois-je le rappeler - les
deux tiers des massifs français et, en Aquitaine, 94 % de la surface
forestière.
Il conviendrait que, à ce titre, les propriétaires privés soient mieux
représentés, notamment auprès de la commission régionale de la forêt et des
produits forestiers. Je reviendrai sur ce point à l'occasion d'un
amendement.
Pourtant, le rôle économique de la forêt a été largement reconnu par les
accords d'Helsinki. En effet, elle génère 7 000 emplois permanents sur le
massif des Landes de Gascogne, pour un chiffre d'affaires de 17 milliards de
francs.
Enfin, l'absence de toute notion de rentabilité est d'autant plus fâcheuse
qu'elle intervient au moment où vous voudriez que les obligations, donc les
charges, augmentent au nom de la multifonctionnalité. Et celles-ci sont légion
: obligation de défricher, de reboiser, d'accueillir le public en forêt, de
préserver les grands équilibres naturels de la faune et de la flore. Ce sont
autant de charges de gestion supplémentaires qui nuisent à la compétitivité de
ces entreprises, seules appelées à les financer.
Pour ce qui est de la prise en compte des besoins spécifiques de la forêt, les
solutions sont connues mais elles sont soit repoussées soit abordées de manière
incomplète.
Pourtant, l'état de nos forêts exige plus que jamais l'adoption de mesures
incitatives pour limiter la division du foncier, drainer l'investissement vers
les entreprises forestières, renforcer la couverture des risques subis par le
bois, conforter l'organisation interprofessionnelle. Il me semble que nous en
sommes loin !
S'agissant de l'épargne nécessaire pour créer la ressource financière destinée
au financement de la sylviculture - je veux parler du plan épargne forêt -,
vous avez demandé à votre majorité de préférer un amendement de repli car « la
solution technique n'était toujours pas trouvée ».
Neuf mois ont passé. Le lancement d'un fonds commun de placement serait
évoqué.
Je suis personnellement étonné par une telle proposition qui, dans les années
quatre-vingt, a fait la preuve de son inefficacité. Elle n'a débouché que sur
des placements spéculatifs tout à fait étrangers au besoin d'investissement à
long terme des acteurs forestiers.
Ainsi, monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser l'état de la
réflexion du groupe de travail mis en place sur cette question et nous rassurer
sur votre détermination à inscrire cette mesure capitale - c'est-à-dire le plan
d'épargne forêt - dans le corps du texte qui nous intéresse aujourd'hui ?
S'agissant de la garantie des récoltes, la seule concession obtenue est
l'inscription d'un rapport du Gouvernement sur la création possible d'un fonds
national de garantie.
Pour les sylviculteurs qui assument seuls les risques d'une culture
obligatoire pour le plus grand profit de la collectivité, la mesure semble bien
mince.
S'agissant enfin de la lutte contre le morcellement foncier, la seule mesure
retenue consiste à limiter le bénéfice des aides publiques aux propriétaires
qui s'engagent à ne pas démembrer leur propriété. Bien sûr, en d'autres débat,
nous avons fini par obtenir des mesures d'allégement des charges sur les droits
de mutation. Je vous proposerai d'ailleurs d'étendre ce dispositif. Mais
n'aurait-il pas été plus efficace d'assortir l'obligation de non-démembrement
d'une exonération des droits de succession en ligne directe ? Une telle mesure
aurait été immédiatement suivie d'effet.
S'agissant enfin du renforcement de l'organisation interprofessionnelle, si
l'ensemble des acteurs de la filière bois appelle de leurs voeux
l'interprofession, ces accords ne sauraient aboutir à une intégration
autoritaire et porter atteinte aux particularités de certains massifs,
notamment celui du sud-ouest, où il existe déjà une interprofession.
L'article L. 632-1 du code rural, cité à l'article 11 du projet, ne
renvoie-t-il pas à l'article L. 632-6 du même code, qui permet de lever les
contributions volontaires ? Des craintes existent donc à ce sujet qu'il
conviendrait de lever.
En effet, la forêt française n'est pas une entité indistincte : chacun de ses
massifs est spécifique et dispose d'outils qui lui sont propres.
Ainsi en va-t-il de la politique de prévention contre le feu en Aquitaine, où
tous les propriétaires ont mutualisé ce risque, en acceptant de verser une taxe
annuelle, appelée taxe DFCI - défense de la forêt contre l'incendie - à une
association syndicale pour gérer et financer les travaux de défense contre
l'incendie. Grâce à ce mécanisme, la protection des forêts se fait sur plus
d'un million d'hectares, à un coût très économique.
Pourquoi ne pas encourager une telle politique par massif, en défiscalisant
les taxes versées à cet effet par les propriétaires ?
Cette approche, en totale rupture avec le régime répressif exposé à l'article
15 de ce texte, fera l'objet d'un amendement de ma part.
Enfin et surtout, ce texte me déçoit en ce qu'il ne prend pas en compte les
conséquences de la tempête. Vous m'objecterez sans doute que c'est là un
élément purement conjoncturel. Mais qui, dans cette enceinte, où l'on a
beaucoup cité les accords de Kyoto, osera affirmer qu'elles ne deviendront pas
de plus en plus fréquentes dans notre pays ?
En Aquitaine, première région forestière de France, les bilans s'alourdissent.
Nous aurons payé à la tempête un tribut de 31,6 millions de mètres cubes de
pins maritimes, dont 19,5 millions en Gironde et plus précisément 10 millions
en Médoc, comme l'a rappelé Ladislas Poniatowski. Ce sont sept années de
récolte qui sont définitivement perdues pour ce département.
Aucune indemnisation n'aura été consentie aux forestiers sinistrés. Les aides
accordées sont allées principalement aux acheteurs, aux intermédiaires, non aux
producteurs. Pourtant, avant de nettoyer et de reboiser, il faut sortir le bois
des parcelles et, pour ce faire, trouver un acquéreur. L'effondrement des prix,
la saturation des marchés et le bleuissement inévitable du bois ne le
permettent plus.
Que dire aussi des précipitations exceptionnelles qui se sont abattues sur la
France, si ce n'est qu'elles n'auront rien arrangé ?
En Médoc, il reste 7 millions de mètres cubes à terre. Ces résineux sont
aujourd'hui irrémédiablement perdus. Voilà la réalité à laquelle sont
confrontés les petits propriétaires privés et les communes forestières en
Médoc. Pour ces dernières, d'ailleurs, la situation est particulièrement
critique.
Je prendrai l'exemple évocateur de la commune d'Hourtin, qui a perdu 3 000
hectares sur ses 4 500 hectares de forêt. Ces pertes représentent plus de 20 %
des recettes affectées normalement à son budget. Pourtant l'Etat n'a pas hésité
à limiter l'aide au reboisement aux seules communes soumises au régime
forestier. La forêt communale d'Hourtin ne l'est pas, non plus que 103 autres
communes forestières en Gironde, et peut-être plus dans le département des
Landes.
Monsieur le ministre, une telle position est écologiquement irresponsable et
économiquement discriminatoire, car ce particularisme juridique, d'origine
historique, n'a jamais exonéré les communes forestières de leurs obligations,
bien au contraire.
Aussi l'amertume des maires girondins est-elle grande, car non seulement
l'Etat n'accorde aucune reconnaissance à leur travail mais, finalement, il
profite de leur détresse pour les soumettre.
Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu'il serait plus heureux de parler
de cogestion plutôt que de soumission et d'envisager pour ces communes un
régime plus adapté ? Par exemple, admettre que le pourcentage versé à l'ONF sur
toutes les ventes de bois ne porte que sur les peuplements nouveaux et non sur
ceux qui ont été plantés il y a plus de trente ans. La mise en place d'une
telle péréquation permettrait de reconnaître leur travail.
Par ailleurs, il serait judicieux d'étendre la compensation fiscale décidée
par l'Etat en faveur des communes pour la perte de recettes porvenant de la
taxe sur le foncier non bâti sur dix ans, soit la durée du plan de
reboissement. Cette mesure est très attendue et nous souhaiterons connaître
votre intention à ce sujet.
Je conclurai mon propos sur la faculté, enfin reconnue aux forestiers, de
déduire de leurs revenus les charges exceptionnelles liées à la tempête.
Promise le 12 janvier 2000 par M. le Premier ministre, cette mesure n'a été
validée que dernièrement. Proposée et adoptée à plusieurs reprises par notre
assemblée, elle avait été systématiquement repoussée au motif qu'elle était
censée « avantager les plus fortunés et encourager l'évasion fiscale ».
Il est heureux que le Gouvernement n'ait pas persévéré dans cette voie. Les
forestiers n'auraient pas compris.
En Aquitaine, en effet, 95 % des propriétaires possèdent moins de 25 hectares
et leur patrimoine, de faible rapport en temps normal, ne sera pas productif
avant vingt ou trente ans.
Cette mesure était donc incontournable. Elle conforte les efforts de
reconstruction des massifs. Je regrette toutefois que cette mesure fiscale soit
inopérante pour les propriétaires les plus sinistrés, donc privés de revenus
et, par conséquent, de la faculté de déduire les surcoûts d'exploitation.
Ainsi, monsieur le ministre, comme l'ont bien dit nos deux rapporteurs,
Philippe François et Roland du Luart, pour une gestion durable, il faut des
moyens et un financement durables. C'est la clef du succès de la politique
forestière souhaitée par tous, une politique qui doit prendre en compte tous
les différents régimes de la forêt française. Or, à cet égard, beaucoup reste à
faire.
Alors, espérons que le chemin sera parcouru ensemble, sauf à voir promulgué un
texte qui resterait inappliqué parce qu'inapplicable sur la majeure partie du
territoire forestier.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Après la voix du Médoc, celle de l'Entre-Deux-Mers : la parole est à M.
Dussaut.
(Sourires.)
M. Bernard Dussaut.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dernière
grande loi sur la forêt remonte à 1985. Ce projet de loi d'orientation était
donc très attendu et, après la déception qui a été la nôtre de ne pas pouvoir
l'examiner le 23 janvier dernier pour les raisons que vous savez, les choses
avancent finalement.
Au travers des objectifs affichés, il réaffirme les trois vocations de la
forêt : d'abord, une vocation économique, en favorisant la compétitivité de la
filière bois, en comprenant la production du bois comme valorisation économique
du patrimoine forestier ; ensuite, une vocation environnementale, en inscrivant
la politique forestière dans la gestion des territoires, en renforçant la
protection des écosystèmes forestiers ou naturels pour un développement durable
de la forêt, en luttant ainsi, notamment, contre l'effet de serre ; enfin, une
vocation sociale, comme l'accueil du public en forêt.
Ce texte propose de grandes avancées dans la conception même de la gestion de
la forêt, avec une approche territoriale et contractuelle dans le cadre de
chartes de territoires forestiers qui définiront des programmes d'actions
pluriannuels.
C'est donc un texte qui consacre la multifonctionnalité de la forêt française,
en respectant les engagements internationaux pris à Rio.
En bouleversant la dynamique de croissance dans laquelle se trouvait la
filière bois, la tempête de décembre 1999, par les dégâts et la détresse
qu'elle a provoqués, a confirmé le bien-fondé des axes qui avaient été définis
antérieurement, les rôles de chacun devant être précisés, les droits des
gestionnaires comme les devoirs des utilisateurs.
Elu du département de la Gironde, j'ai à coeur, vous vous en doutez, de mettre
en avant les situations particulières auxquelles sont confrontés les
professionnels de la filière bois de mon département.
Monsieur le ministre, ainsi que vous l'aviez très judicieusement souligné à
l'Assemblée nationale au mois de juin dernier, nous sommes face au décalage qui
nous a été imposé en décembre 1999 par la tempête entre une logique à long
terme de gestion durable de la forêt et des exigences à court terme dans les
régions sinistrées où demeurent encore des situations difficiles.
Le massif aquitain représente 1 800 000 hectares et constitue la plus grande
forêt d'Europe : il s'agit d'une immense ressource qui génère 30 000 emplois et
qui représente le cinquième de la récolte nationale du bois. C'est vous dire
l'étendue des conséquences qu'entraîne immanquablement une perturbation de cet
équilibre : elles sont ressenties sur les plans tant économique que social et
écologique.
Les mesures gouvernementales ont été très importantes, et la gestion française
a permis de maîtriser les conséquences les plus graves de la tempête. Mais,
aujourd'hui, les dégâts constatés sont encore plus importants que ne le
laissaient supposer les estimations initiales.
Une vraie mobilisation de l'administration a été nécessaire, et il convient de
saluer l'engagement de chacun. Il faut rester vigilant : les dossiers à traiter
sont encore nombreux et cela demande un personnel constamment disponible.
Cependant, en Aquitaine, la situation des petits propriétaires forestiers
demeure très préoccupante.
On peut comprendre la difficulté pour les pouvoirs publics d'indemniser tous
les biens assurables non assurés et le choix clairement affirmé du soutien à
l'économie. Mais ces petits propriétaires sont souvent des retraités qui ont
acheté pour se constituer un petit capital et qui n'ont désormais plus rien. En
effet, seulement moins de 1 % des propriétaires forestiers - et ce sont les
plus aisés -, étaient assurés, étant donné le coût élevé des primes. C'est vers
les sylviculteurs aux revenus limités et vers les communes forestières très
sinistrées qu'un geste reste à faire, un geste de solidarité nationale.
Il convient également de noter que, là où il y avait des regroupements, les
propriétaires forestiers s'en sont beaucoup mieux sortis. Cela doit nous
conduire, lors de l'examen de ce texte, à être extrêmement attentifs au grave
problème du morcellement de la forêt française, dont les conséquences sont
préjudiciables pour la profession forestière tout entière.
La valorisation des chablis par des aides à l'exploitation, au transport et au
stockage était essentielle, et je salue, là aussi, l'action du Gouvernement.
Toutefois, un renforcement des aides destinées à faciliter les expéditions de
bois par les voies maritimes reste indispensable.
D'autres chantiers sont encore ouverts. Le Gouvernement y travaille en
collaboration avec les parlementaires. Je pense notamment au plan d'épargne
pour la forêt. C'est un dossier qu'il faut faire avancer et l'amendement que le
groupe socialiste défendra à l'article 5 B va dans ce sens.
Il serait peut-être judicieux, enfin, d'étudier sérieusement le principe de la
création d'un fonds de calamité forestière, sorte de fonds d'assurance qui
couvrirait, pour la forêt, les catastrophes naturelles.
Le dernier alinéa de l'article 36 prévoit la présentation d'un rapport au
Parlement « dressant le bilan des intempéries de décembre 1999 sur les
propriétés forestières et présentant des propositions en matière d'assurance
contre les risques de chablis ». Nous espérons tous que la réflexion conduite
dans ce cadre débouchera sur des avancées significatives.
La catastrophe de décembre 1999 a mis en lumière les grandes faiblesses de
l'organisation de la forêt française, mais elle a aussi permis de confirmer le
bien-fondé de la démarche et des orientations définies par le Gouvernement à la
suite du rapport de Jean-Louis Bianco pour doter notre pays d'une grande loi
sur la forêt.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Vissac.
M. Guy Vissac.
Monsieur le ministre, vous l'avez rappelé, ce projet de loi comporte cinq
axes, à savoir la gestion durable et multifonctionnelle, la gestion des
territoires, la protection des écosystèmes forestiers et naturels, la
compétitivité de la filière bois ainsi que l'organisation des institutions et
des professionnels de la forêt.
Avant d'en venir au coeur du sujet, qui a déjà été largement abordé par notre
rapporteur, Philippe François, comme par les autres intervenants, permettez-moi
d'évoquer deux conséquences des tempêtes de décembre 1999, ne serait-ce que
pour reconnaître leur incidence sur la gestion des forêts et le marché du bois,
qui s'en trouve perturbé aujourd'hui mais qui le sera encore certainement
demain si nous n'apportons aucune solution.
Le problème du transport du bois est un premier exemple.
Je l'ai signalé, à l'occasion d'une question orale adressée au ministre de
l'équipement, des transports et du logement, en me référant à l'Auvergne et au
Massif central.
L'arrivée en masse sur le marché d'une quantité de bois arraché par la tempête
a démontré la désorganisation des systèmes de transport. La Société nationale
des chemins de fer français, en particulier, n'a pu répondre à la demande,
n'étant plus équipée en matériels de transport. Or l'augmentation de
l'exploitation de la forêt qui est prévue de manière constante par la présente
loi d'orientation sur la forêt sollicitera davantage le transport.
Qui veut la fin veut les moyens. Plus de bois sur le marché, et c'est tant
mieux, appelle une politique des transports mieux étudiée quant aux règles
actuellement appliquées au fret par route, souvent pénalisantes pour les
entreprises de transport routier, et un engagement mieux affirmé par la Société
nationale des chemins de fer français de revoir sa politique commerciale en
faveur du fret sur rail. Ce volet du transport est important dans
l'organisation du marché du bois.
Autre exemple : s'il est indispensable de gérer les conséquences d'une
catastrophe naturelle, il nous appartient également - et ce n'est pas assez
souligné - de conduire au plus haut niveau une réflexion sur les phénomènes
météorologiques exceptionnels, afin de savoir quels sont les risques de les
voir se reproduire, et à quelle échéance. Il convient, en particulier, comme
l'a souligné Jean Charroppin, député du Jura, de saisir l'office parlementaire
des choix scientifiques et technologiques de cette question.
On peut objecter qu'on ne peut gérer l'imprévisible. Cependant, deux tempêtes,
celle de 1982 et celle de 1999, donnent des indications précieuses que relèvent
les scientifiques : ne peuvent-elles pas servir, sur les plans technique et
météorologique, à la gestion des paysages et des reliefs ?
Malgré les inquiétudes que ressentent nombre de propriétaires forestiers
victimes de la tempête et auxquels l'Etat laisse espérer une indemnisation
annoncée mais qui n'est pas totalement servie, je suis satisfait de voir que la
forêt est, en ce début de millinaire, à l'honneur. Il était temps ! Il s'agit,
comme l'avait affirmé Jean-Louis Bianco, « d'une chance pour la France » ;
j'ajouterai que c'est un formidable atout écologique, social et économique. Ce
sont quelque 4 millions de propriétaires forestiers qui sont concernés, et ce,
pour 15 millions d'hectares en métropole, soit plus d'un quart du
territoire.
Enjeu écologique, social, économique, certes, mais aussi enjeu humain : huit
Français sur dix vont chaque année en forêt ; celle-ci représente pour eux un
lieu de détente, de ressourcement et de retrouvailles si nécessaires avec un
univers naturel multiséculaire qu'il nous appartient de préserver et d'enrichir
pour ceux qui viendront après nous.
Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, une loi d'orientation, c'est tout
d'abord une vision prospective, un projet à long terme qui s'inscrit dans le
droit imprescriptible des générations futures.
Certes, la forêt, c'est du bois, mais c'est aussi un recours, un refuge, un
sanctuaire naturel. Selon les enquêtes d'opinion, la forêt est aujourd'hui
perçue, de façon très majoritaire, comme un espace de nature indispensable,
fragile, menacé au niveau mondial, et qu'il convient donc de préserver.
J'espère que cette loi d'orientation sera à la hauteur des ambitions légitimes
qu'un grand pays comme le nôtre peut nourrir vis-à-vis de sa forêt.
L'équilibre environnemental que représente la superficie entre dans la
considération de la fonction du milieu écologique. Il en est même une assurance
et un pilier pour toute politique environnementale.
La forêt, ce sont aussi et surtout les hommes et les femmes qui y travaillent.
A ce sujet, il n'est pas inutile de rappeler que les métiers du bois ne
bénéficient pas d'une image valorisante, ce qui provoque, dans le cycle
secondaire de l'enseignement, des difficultés pour attirer des jeunes en CAP ou
en BEP. Les formations pour adultes sont alors privilégiées par défaut.
Même dans l'enseignement supérieur, en dépit de taux de placement non
négligeables, les écoles éprouvent des difficultés de recrutement. La tendance
actuelle est plutôt aux métiers perçus comme « environnementaux », qui attirent
de nombreux candidats ; je pense en particulier au brevet de technicien
supérieur de gestion forestière.
Il me paraît important que la discussion que nous commençons aujourd'hui
aboutisse à une véritable promotion des métiers du bois par des termes
favorisant la formation pour les adultes. Si le projet de loi prévoit des
dispositions relatives à la qualification professionnelle requise pour les
travaux d'exploitation de bois, il omet d'aborder la question de la formation
professionnelle et, plus largement, celle de l'enseignement dans l'ensemble de
la filière.
S'agissant de l'exploitant forestier et de l'entrepreneur de travaux
forestiers, je vous rappelle que, parmi les principales recommandations du
rapport Bianco, figuraient l'établissement d'un statut de l'exploitation
forestière - conditions d'entrée dans la profession, capacité professionnelle,
diminution du taux des cotisations accident du travail - et le renforcement de
la lutte contre le travail illégal. Il ne faudrait pas que ces louables
intentions restent sans lendemain !
D'autres professions de la filière doivent s'organiser et s'affirmer afin de
répondre objectivement à l'ambition du développement forestier et du marché du
bois face à la concurrence étrangère, souvent plus performante parce que mieux
structurée. Entrent dans ce cadre la modernisation de l'appareil de production
et les conditions de gestion. Je citerai un exemple de référence en la matière
: l'expertise foncière agricole et forestière, traitée à l'article 34 du projet
de loi, avec la création d'un conseil national, à l'égard duquel la profession
a des attentes justifiées.
Le projet de loi, outre qu'il s'intéresse à l'amélioration des conditions de
gestion durable des forêts, met l'accent sur la compétitivité de l'ensemble de
la filière bois.
Monsieur le ministre, la France a accumulé un retard certain en la matière. La
tempête de décembre 1999 a démontré le manque d'organisation de certaines
professions, qui ne peuvent plus négliger les contraintes d'une organisation
rationnelle de la gestion forestière.
La France, par la surface de ses forêts, qui représentent 14,5 millions
d'hectares, occupe le troisième rang des pays de l'Union européenne, après la
Finlande et la Suède. Chaque année, la forêt française s'accroît de 30 000
hectares. Avec 47 millions de mètres cubes, la récolte est inférieure à la
production naturelle, qui progresse de 85 millions de mètres cubes par an.
Ce projet de loi ne doit pas être celui des occasions manquées : gardons à
l'esprit que 100 000 emplois peuvent être créés en quelques années en milieu
rural, dans la production, la gestion des forêts, les industries du bois, la
protection des espaces naturels, le tourisme vert et les loisirs. La forêt a
toute sa place dans la lutte contre le chômage, ainsi que l'a démontré le
rapport Bianco.
J'en veux pour exemple le bâtiment, qui constitue de loin le marché le plus
important. Or, dans ce secteur, la part du bois diminue : celui-ci ne
représente que 10 % de la valeur des matériaux utilisés. Il est à déplorer que
la part de marché du bois dans la construction soit plus faible en France que
dans d'autres pays européens, que ce soient l'Allemagne, la Hollande ou les
pays scandinaves.
Il me paraît important de tout faire pour élargir la part du bois dans les
constructions en la portant, comme le recommande le rapport Bianco, de 10 % à
25 %. Il faudra, pour atteindre cet objectif, mener en la matière une politique
volontariste qui passe par la mise en place, en particulier sur le marché de la
construction, d'un véritable « plan bois construction », d'ailleurs également
préconisé par le rapport Bianco.
Je conclurai en rappelant, comme certains intervenants l'ont fait avant moi,
que notre pays consacre au secteur de la forêt quatre à dix fois moins d'argent
public que certains pays européens comparables. Sans moyens adéquats, les
mesures envisagées seront suspendues à un éventuel financement ultérieur. Les
acteurs de la forêt ont besoin d'assurances claires et précises sur ce
point.
Je vous rappelle que, dans les secteurs du sciage et de la transformation, la
profession demande la création d'une provision pour investissement, alors même
que le Gouvernement avait, en 1998, supprimé la provision pour fluctuation des
cours.
Si je n'ai pu que me féliciter, au début de mon intervention, de l'adoption
prochaine d'une loi tant attendue sur la forêt, vous me permettrez d'insister,
pour les déplorer, sur l'incertitude qui pèse sur l'attribution des moyens
financiers et sur les graves lacunes de ce texte en ce qui concerne la
formation professionnelle ou, plus largement, l'enseignement dans l'ensemble de
la filière.
L'organisation de la filière et un important plan de développement
d'utilisation du bois sont indispensables à une application réussie de la
future loi d'orientation.
Donnons au texte plus de souffle afin que ce secteur si important sur les
plans tant économique et social qu'écologique aborde le millénaire à venir dans
les meilleures conditions, en étant à la hauteur de ses ambitions.
La forêt française représente un atout incontestable pour la richesse
nationale, une valeur de gestion durable, un centre d'intérêt et d'activités,
notamment dans nos pays ruraux. Elle offre d'importantes possibilités pour le
développement et l'aménagement du territoire.
Je souhaite que cette loi d'orientation donne à l'ensemble de la filière les
moyens de sa légitime ambition de progrès.
Enfin, monsieur le ministre, afin de marquer l'égard que le Gouvernement et la
France ont pour le secteur économique de la forêt et du bois, ne serait-il pas
opportun, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, d'ajouter à vos
missions celle de la forêt, pour que vous deveniez vraiment le ministre chargé
de l'agriculture, de la pêche et de la forêt ? Ce serait un signe d'intérêt
remarqué.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Vous parlez de mon titre ? Car
la forêt fait déjà partie de mes missions !
M. Guy Vissac.
Je parle de vos missions !
Merci, monsieur le ministre de l'agriculture, de la pêche et de la forêt.
(Applaudissements sur les travées RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux.
Monsieur le ministre, j'en suis vraiment navré, mais, pour la quatorzième
fois, vous allez entendre un orateur vous rappeler qu'il y a déjà près d'un an
et demi que la forêt française a connu la plus forte tempête de son histoire ;
je n'ai pas l'impression de vous apprendre grand-chose, mais je souhaitais le
souligner ici !
Certes, les élections ont retardé d'un bon mois la discussion du projet de loi
d'orientation sur la forêt. Mais je regrette tout de même amèrement qu'un sujet
aussi important ait attendu aussi longtemps.
De mémoire d'administration des eaux et forêts, c'est-à-dire depuis 1824, il
n'existe pas de précédent de tempête aussi violente ni aussi étendue. Pour
l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, la forêt française n'a jamais connu de
telle catastrophe depuis le xviie siècle.
Dans ce contexte exceptionnel, la première question qui se pose à un élu comme
moi, face à ce projet de loi, c'est : pourquoi si tard ?
Le Gouvernement affirme que les forêts sont au centre de ses préoccupations.
Pourtant, il aura fallu dix mois pour que le projet de loi arrive de
l'Assemblée nationale au Sénat. Permettez-moi tout de même de vous interroger,
monsieur le ministre, sur votre capacité à le faire adopter avant la fin de
2001 !
Nous regrettons que vous n'ayez pas mis vos paroles en concordance avec vos
actes et que vous n'ayez pas clairement indiqué vos priorités.
Une deuxième question me vient immédiatement à l'esprit : pourquoi si peu ?
C'est bien la question des moyens mis en oeuvre pour faire face à la tempête !
Ce projet de loi d'orientation ne comporte pas le moindre mot sur les
conséquences des ouragans Lothar et Martin sur les forêts françaises. Pourtant,
les rapports sur ce sujet n'ont pas manqué : du rapport Birot au rapport
Sanson, l'administration n'a pas chômé dans les études et dans les propositions
!
On aurait cependant préféré qu'elle mobilisât toute son énergie pour mettre en
oeuvre les mesures annoncées. Hélas, cela n'a pas été le cas.
Il est tout de même incroyable, monsieur le ministre, que M. le Premier
ministre ait été obligé de reconnaître un oubli dans une instruction fiscale
visant à faire bénéficier d'une déduction des revenus professionnels les
charges liées à la tempête de décembre 1999 non couvertes par les assurances.
Annoncée pourtant le 12 janvier 2000, cette déduction avait tout simplement été
oubliée. Elle n'avait jamais vu le jour !
Il est grand temps de mettre au pas vos administrations, tout particulièrement
la forteresse Bercy, qui, à force, pourrait bien devenir la prochaine Bastille
!
On peut aussi citer les exploits de la SNCF, qui n'a pas été capable de mettre
à disposition suffisamment de wagons, mais qui a bien su profiter, malgré tout,
de cette bonne occasion pour pratiquer honteusement des hausses de tarif sur
les transports de grumes. Avouez tout de même qu'il ne s'agissait pas là d'une
décision d'une extrême élégance !
Votre projet de loi d'orientation, monsieur le ministre, renvoie les moyens
financiers à des textes ultérieurs, ce qui est normal. Pourtant, ce n'est pas
rassurant face à une administration qui semble n'en faire qu'à sa tête, ou
plutôt à la tête du client...
(Sourires.)
Les sénateurs seront vigilants à l'application des lois votées. Nous attendons
de vous des engagements et des délais de mise en oeuvre. Faute de quoi, le
cimetière des lois inappliquées, ô combien rempli, pourrait bien s'élargir
encore, lui aussi, à la loi sur la forêt !
Mais revenons au coeur de ce projet de loi d'orientation. Il comporte cinq
axes : la gestion durable et multifonctionnelle, la gestion des territoires, la
protection des écosystèmes, la compétitivité de la filière bois et, enfin,
l'organisation des institutions sylvicoles, tout particulièrement de l'Office
national des forêts. Notre excellent rapporteur et ami, Philippe François, en a
fait une remarquable analyse dont il convient de le féliciter.
M. Philippe François,
rapporteur.
Merci !
M. Bernard Barraux.
L'un des mérites de cette loi est celui de la clarification. On ne se rendait
pas compte du fouillis que pouvaient être la législation et la réglementation :
sept ou huit codes, de nombreuses lois. En ce domaine, le législateur fait
oeuvre utile pour que nous puissions, enfin, y voir un peu plus clair. Plus
accessible, la loi d'orientation sera, je l'espère, un outil au service des
citoyens et de leurs aspirations économiques, sociales et environnementales.
A cet égard, je souhaiterais insister sur la sensibilité de la société
française aux questions forestières. Avec la tempête, les Français ont exprimé
leur solidarité par leur soutien à de nombreuses initiatives et en apportant
leur obole à la reconstitution à venir des forêts. Dans les sondages, plus de
90 % des Français déclarent leur fort attachement à leur forêt. Plus d'un tiers
d'entre eux s'y rendent plusieurs fois par mois. La réduction du temps de
travail, l'accroissement du nombre de retraités, les besoins des Français en
espaces naturels, vont certainement accroître leur présence au coeur des
forêts.
Le besoin de nature, de forêt, doit aussi se traduire par plus de
responsabilité, de participation et d'information, tout particulièrement dans
les forêts publiques. La mise en place de comités d'usagers de la forêt
publique favoriserait la concertation, lèverait les suspicions et, surtout,
responsabiliserait davantage nos concitoyens.
Plus de respect pour la nature, plus de compréhension entre les utilisateurs
des espaces naturels grâce à des structures de concertation : c'est une
démocratie de proximité qu'il convient de favoriser !
Pour ma part, je souhaite insister sur quelques points peu ou mal pris en
compte dans le présent projet de loi.
Premièrement, il faut reconnaître et valoriser la forêt publique.
En reconnaissant l'apport de la sylviculture au développement durable, le
projet de loi vise à faire contribuer l'ensemble des forêts, publiques et
privées, à l'intérêt général. Cependant, il m'apparaît utile de reconnaître et
de valoriser de façon distincte les forêts publiques, tout particulièrement les
forêts communales. Jean-Richard Delong, président de la Fédération nationale
des communes forestières de France, la FNCOFOR, a présenté un amendement en ce
sens que je soutiendrai.
Les forêts communales sont en effet soumises par le code forestier, depuis
1827, à des contraintes spécifiques. Elles ont des obligations d'intérêt
général qui, d'ailleurs, ne sont pas toujours - ou pas suffisamment - financées
par la puissance publique. Elles ont pris une place importante en matière
d'accueil du public et de protection des milieux remarquables. Elles sont aussi
un laboratoire pour la gestion durable et pour la biodiversité.
C'est pourquoi le régime forestier, que nous sommes en train de rénover, doit
reconnaître les spécificités des forêts publiques.
Deuxièmement, il faut inscrire la forêt dans la gestion des territoires.
Le projet de loi, et c'est une bonne chose, ancre la politique forestière à
l'échelon local en proposant un cadre à la création de chartes de territoires
forestiers. C'est un outil au service du développement local et de l'emploi.
Tout projet de ce type doit s'articuler autour d'une identité - en
l'occurrence, d'une identité liée à la forêt -, d'un objectif commun avec un
animateur du développement. Cependant, l'Etat doit assumer ses responsabilités
financières et réglementaires. Il doit ouvrir des pistes au développement
local, mais il ne doit pas gêner les initiatives. Il ne doit surtout pas
reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre, selon sa si fâcheuse, si
vieille et si fréquente habitude.
Troisièmement, il faut financer la forêt publique de manière durable.
Les tempêtes ont fragilisé le financement de la forêt publique. Alors que les
charges d'exploitation se sont accrues, les recettes stagnent - peut-être même
diminueront-elles dans l'avenir - en raison d'un affaiblissement des capacités
de production et de la valeur patrimoniale des forêts. L'ONF ne pourra plus
dégager en forêt domaniale les excédents qui permettaient de financer les
missions d'intérêt général et de développement durable, tout particulièrement
dans les forêts des collectivités. Certains chiffres ont été avancés qui
évaluent les besoins de financement à environ 200 millions de francs par an
pendant dix ans.
L'Etat doit, au service de la forêt française, faire son devoir en mettant en
oeuvre des mécanismes durables de financement par le biais, pourquoi pas,
d'écotaxes qui - mieux que dans d'autres cas, censurés par le Conseil
constitutionnel - seraient ici parfaitement justifiées.
Mais, là aussi, le Gouvernement devra s'affranchir de sa bureaucratie
budgétaire. Et pourquoi ne pourrions-nous pas rêver en imaginant qu'il puisse,
un jour, innover en faveur d'une grande cause nationale et rompre avec la
sacro-sainte annualité des financements publics ?
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
débattons, ce soir, du projet de loi d'orientation sur la forêt, dont la
discussion a malheureusement été repoussée, alors même que l'élaboration de ce
texte avait suscité une grande attente auprès de nos concitoyens.
L'espace boisé recouvre, ne l'oublions pas, plus de 25 % du territoire
national. Nos concitoyens sont extrêmement attachés à leur forêt. En effet,
selon une étude réalisée par la SOFRES le 29 novembre 2000 pour La collective
du bois et de la forêt, 91 % des Français déclarent aimer les espaces
boisés.
Cet attachement se caractérise d'ailleurs par le fait que plus de trois
millions et demi de Français sont propriétaires d'un bois, la forêt privée
française représentant plus de 10 millions d'hectares, soit les deux tiers de
la surface forestière.
La forêt est perçue comme un espace de ressourcement, notamment par les
urbains.
Or si nous pouvons nous féliciter d'une forte expansion des surfaces
forestières au cours des deux derniers siècles, la politique forestière de la
France doit être en mesure d'aider les acteurs de ce secteur à relever les
principaux défis identifiés, notamment dans le rapport que Jean-Louis Bianco a
publié dernièrement.
Nous devons, en effet, être en mesure d'avoir une gestion durable d'une forêt
nécessairement multifonctionnelle, dont la valorisation est un élément
essentiel du dévelopement rural, dès lors qu'elle est de nature à créer de
nombreux emplois et à renforcer un secteur économique qu'il est important et
urgent de rendre plus dynamique et performant.
Le projet de loi d'orientation présenté par le Gouvernement répond à ces
objectifs, en privilégiant, dans ses dispositions, le développement d'une
gestion durable et diversifiée de la forêt, la compétitivité de la filière
forêt-bois, l'inscription de la politique forestière dans la gestion des
territoires, le renforcement de la protection des écosystèmes forestiers ou
naturels et, enfin, une meilleure organisation des institutions et des
professions relatives à ces espaces nécessaires à la qualité de vie de nos
concitoyens.
Une véritable politique forestière implique une approche de la forêt dans
l'ensemble de ses fonctions écologiques, économiques, sociales et
culturelles.
Nous ne pouvons donc qu'adhérer à la volonté du Gouvernement de réaffirmer
l'interministérialité des dossiers forestiers, en favorisant l'appréhension des
questions relatives à la forêt par les autres politiques publiques, qu'elles
soient nationales ou communautaires.
Par exemple, l'importance du rôle des forêts et des bois dans la préservation
des écosystèmes, et notamment dans la gestion de l'eau et la prévention des
crues, nécessite une approche globale des politiques. Il s'agit là d'un point
extrêmement important et d'actualité.
Aussi, le projet de loi vise à ce que le document de gestion devienne, pour
les propriétaires forestiers, un outil intégrant toutes les dispositions
législatives qui concourent à la protection de la biodiversité et des
paysages.
De même, ce projet de loi s'attache à faciliter les incitations financières
afin de développer la contractualisation avec les propriétaires, répondant
ainsi aux intérêts généraux dans les domaines environnementaux, économiques ou
sociaux. Par ailleurs, il tend à favoriser l'accueil du public et les
régénérations naturelles.
Une telle méthode permet, en effet, d'appréhender au mieux les spécificités
locales, car il existe non pas une forêt mais des forêts.
Cette volonté est d'ailleurs renforcée par le quatrième volet du projet de
loi, relatif à la protection des écosystèmes forestiers ou naturels, dont les
dispositions ont notamment pour objet de renforcer la prise en compte des
spécificités écologiques et environnementales dans la gestion forestière
courante.
La compétitivité de la filière forêt-bois constitue le second axe de ce projet
de loi.
Le respect de la forêt nous oblige en effet à beaucoup d'attention, afin que
le fonctionnement harmonieux de l'écosystème forestier ne soit pas perturbé.
L'exploitation du bois, loin d'être incompatible avec le respect de la forêt,
contribue justement, dès lors qu'elle est raisonnable, à assurer la vitalité et
le renouvellement de la surface forestière.
L'adoption des dispositions présentées par le Gouvernement et enrichies par le
débat parlementaire permettra de pérenniser cette filière économique, afin que
celle-ci conserve sa compétitivité sur des marchés devenus mondiaux et résiste
à la concurrence d'autres matériaux n'égalant pas la qualité environnementale
du bois.
Il convient, par ailleurs, de souligner que le projet de loi a pour objet de
faire de la certification un des outils de cette stratégie.
Les professionnels l'ont d'ailleurs bien compris puisque de nombreuses
régions, anticipant l'adoption du projet de loi, ont créé des associations de
certification.
Ainsi, sur l'initiative des principaux acteurs et partenaires de la filière
forêt-bois du Languedoc-Roussillon, l'association de certification forestière
pour le Languedoc-Roussillon a été créée le 28 novembre 2000.
A cet égard, il me paraît intéressant et utile, compte tenu de l'image que
nous avons bien souvent du midi de la France, de citer quelques chiffres
démontrant l'importance surprenante du patrimoine forestier en
Languedoc-Roussillon, notamment dans le département de l'Hérault. Il s'agit de
statistiques datant de 1996 et qui émanent des services de l'Inventaire
forestier. En Languedoc-Roussillon, on dénombre 974 522 hectares de forêt, dont
910 708 hectares en production, ce qui représente un taux de boisement de 35,1
%. Dans l'Hérault, on compte 203 202 hectares de forêt, dont 191 043 hectares
en production, soit un taux de boisement de 32 %.
Le projet de loi vise, en effet, à mieux organiser les institutions et les
professions relatives à la forêt, par une valorisation des formations et une
amélioration du dialogue entre les différentes organisations et
administrations. Une meilleure organisation des femmes et des hommes intéressés
par ce secteur constituera très certainement l'atout majeur de cette
filière.
Enfin, le projet de loi présenté tend à inscrire la politique forestière dans
la gestion des territoires.
Les caractéristiques des forêts sont en effet modelées par l'écosystème local
et l'utilisation économique de la forêt, qu'il s'agisse du tourisme ou de la
filière bois.
Ainsi, le projet de loi retient le cadre du territoire pour l'élaboration des
procédures afférentes à la gestion des forêts afin de mieux prendre en compte,
une nouvelle fois, la forêt dans sa complexité.
De cette manière, la défense des forêts contre l'incendie s'appuiera sur
l'analyse des interfaces entre zones urbaines et zones rurales, qui jouent un
rôle crucial dans la prévention et la lutte contre le feu. A cet égard,
l'expérience acquise par les conseillers généraux, siégeant au conseil
d'administration de l'entente interdépartementale pour la protection de la
forêt méditerranéenne, sera extrêmement précieuse.
De même, la prévention des risques naturels en montagne sera renforcée par une
meilleure coordination de la politique forestière avec le développement
économique et touristique qui accentue la fragilité des milieux naturels.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, définit une approche qui, tout en
s'appuyant sur l'expérience passée, offre les outils nécessaires à l'évolution
contrôlée de la forêt française. Nous le voterons donc avec le réalisme, le
pragmatisme et l'enthousiasme qui nous caractérisent. Oui, comme l'écrivait M.
Jean-Louis Bianco, en conclusion du rapport qu'il a remis au Premier ministre
en août 1998, « La forêt représente une formidable chance pour la France, une
chance pour la variété et la beauté de nos paysages, pour la préservation des
milieux et des espèces. C'est une réserve de nature où chacun, pris dans le
tourbillon du monde, peut retrouver le sens des vraies richesses. »
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Gaillard applaudit
également.)
M. le président.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
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