SEANCE DU 3 AVRIL 2001
ÉLOGE FUNÈBRE DE PIERRE JEAMBRUN,
SÉNATEUR DU JURA
M. le président.
Mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Pierre Jeambrun.
(M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Figure familière de notre assemblée, notre collègue et ami Pierre Jeambrun
nous a quittés le 7 février dernier.
Pierre Jeambrun était un homme curieux des autres.
Grand observateur de la vie politique, il la considérait avec lucidité et
affection.
Son parcours politique porte la marque de la fidélité : fidélité à un homme,
Edgar Faure, et fidélité à une terre, le Jura.
Pierre Jeambrun est né le 4 juin 1921 à Lons-le-Saunier, dans une famille
jurassienne de longue date. C'est à Lons-le-Saunier que Pierre Jeambrun grandit
et qu'il fit des études brillantes marquées par un prix au concours général en
histoire.
De sa jeunesse lédonienne, Pierre Jeambrun se plaisait à évoquer les visites à
la préfecture, où travaillaient sa mère et sa grand-mère. D'un températement
curieux, Pierre Jeambrun acquiert, à l'occasion de ces visites, une familiarité
précoce avec la vie politique locale et avec le radicalisme, qui sera
l'engagement de toute sa vie.
« A cette époque, écrit-il dans l'un de ses ouvrages, le radicalisme était
notre lait maternel, l'élu était la courroie de transmission directe avec le
pouvoir. Il plongeait dans le peuple dont il était issu. »
La nécessité d'être à l'écoute de ses concitoyens et de répondre à leurs
aspirations seront la ligne de conduite indéfectible de Pierre Jeambrun.
Après des études de droit à Lyon, notre collègue entame, en 1941, une carrière
de fonctionnaire des finances, dans les services de l'enregistrement, qui le
conduira dans les Vosges.
Docteur en droit, après une thèse sur le droit de préemption du fisc,
l'affectation vosgienne de Pierre Jeambrun ne lui fait cependant pas oublier
son cher Jura, dont il rédigera une magistrale géographie politique qui
retiendra l'attention d'Edgar Faure.
C'est ainsi que Pierre Jeambrun entre, en 1950, au cabinet d'Edgar Faure,
alors ministre du budget, pour s'occuper des questions jurassiennes. Chargé de
mission recruté pour six mois, il restera aux côtés d'Edgar Faure durant
quelque vingt-quatre années.
De 1950 à 1957, notre collègue suit Edgar Faure à la justice, à la présidence
du Conseil, aux finances, aux affaires étrangères, accumulant ainsi une
connaissance précieuse et diversifiée du fonctionnement de l'Etat.
En 1958, Pierre Jeambrun reprend sa carrière de fonctionnaire comme receveur
des finances, chef d'un important service de la loterie nationale. Rappelé en
1968 auprès d'Edgar Faure à l'éducation nationale, il devient, en 1973, lors de
l'élection d'Edgar Faure à la présidence de l'Assemblée nationale, son
directeur adjoint de cabinet au Palais-Bourbon.
Cet attachement à un homme traduit une fidélité rare, très rare.
Sa grande admiration pour les capacités intellectuelles d'Edgar Faure allait
de pair avec un regard lucide, parfois décapant, mais toujours bienveillant,
dont témoignent les confidences publiées en 1998 sous le titre
Les Sept
Visages d'Edgar Faure
.
L'année 1974 introduit une rupture dans ce parcours d'homme politique de
l'ombre. Pierre Jeambrun est brillamment élu, dès le premier tour, sénateur du
Jura. Il sera réélu en 1983 et en 1992.
Un lien très fort unissait, dès l'origine, Pierre Jeambrun à sa terre natale.
Son goût pour la chose publique, son expérience de l'Etat, sa connaissance des
caractères, des habitudes et des terroirs rendaient naturelle cette orientation
nouvelle.
Nommé à la commission des affaires économiques, Pierre Jeambrun s'attache plus
particulièrement à la défense du monde rural. Plusieurs années rapporteur du
budget des industries agricoles et alimentaires, il intervient dans la
discussion des grandes orientations de la politique agricole française.
Dans le même temps, de 1974 à 1983, Pierre Jeambrun est un pilier de la
commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes du Sénat, où
son expérience de l'Etat, son bon sens et sa formation de fonctionnaire des
finances constituent des apports précieux et appréciés.
Financier averti, Jeambrun est aussi un bon vivant. Conviés par lui à une
session de commission en Franche-Comté, en octobre 1979, des parlementaires de
l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale garderont un souvenir ému des
vendanges en Arbois.
Européen convaincu, Pierre Jeambrun fut vice-président du groupe sénatorial du
Mouvement européen. La construction européenne sera une dimension importante de
son action et de sa réflexion.
Désigné aux assemblées de l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, et du
Conseil de l'Europe en qualité de suppléant dès 1974, puis de titulaire de 1977
à 1998, Pierre Jeambrun est, en 1978, élu président de la commission des
relations avec les parlements nationaux de l'UEO et, de 1986 à 1998,
vice-président de la délégation française aux assemblées du Conseil de l'Europe
et de l'UEO. Il dépose à ce titre plusieurs rapports d'information sur les
activités de sa délégation.
Hostile à toute idée de conflit, Pierre Jeambrun croyait dans les relations
interpersonnelles pour garantir la paix.
Ses talents de conciliateur déploient toute leur mesure au sein de son groupe
politique, la gauche démocratique devenue Rassemblement démocratique et social
européen, mais aussi sur tous les bancs de cette assemblée, où il est une
personnalité reconnue comme très consensuelle. C'est ainsi qu'il est élu juge
titulaire à la Haute Cour en 1997.
Collectionneur passionné et éclectique, aimant plus la quête de l'objet que sa
possession, il n'hésitait pas à céder, lorsqu'il les jugeait achevées, ses
collections d'objets familiers pour en entreprendre d'autres.
C'est dans le même esprit de curiosité qu'il se livre à la recherche de
témoignages et de pièces historiques qui fournissent la matière de ses livres.
Biographe de Jules Grévy, de Charles Dumont, puis d'Edgar Faure, il s'attache à
montrer leur apport en politique, mais aussi - d'une façon très humaine -
comment les nécessités de la politique ont façonné ces hommes, portraits
croisés de la France et des hommes politiques jurassiens au travers des
républiques, qu'il dresse avec talent.
Pierre Jeambrun aimait passionnément la politique.
Il aimait à en comprendre les ressorts. Il considérait la politique comme
exemplaire de l'action humaine. Il la connaissait à merveille. Et le charmeur
qu'il était savait nous enchanter par la malice de ses récits consacrés à la
politique.
La grande humanité et l'humour de Pierre Jeambrun nous manqueront.
Au nom du Sénat tout entier, j'assure son épouse, ses deux filles et son fils,
de notre sympathie sincèrement attristée. A ses collègues de la commission des
affaires culturelles et à ses amis du groupe du RDSE, j'adresse nos sincères
condoléances.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je veux
m'associer à l'hommage que vous rendez à Pierre Jeambrun.
Membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, le sénateur
Jeambrun était, parmi vous, le représentant des hommes et des femmes du Jura,
dont il avait une connaissance personnelle, presque familiale.
Elu, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, à trois reprises au
Sénat, il était, je le sais, un parlementaire apprécié de tous.
C'est par une étude remarquée sur la géographie électorale du Jura qu'il entra
en politique. Il était alors inspecteur de l'enregistrement, poste envié, en ce
temps, au sein de l'administration des finances. Il se mit au service du
président Edgar Faure et y resta pendant toute la vie de celui-ci, d'abord dans
différents cabinets ministériels, puis à la présidence du Conseil, et dans
d'autres ministères encore, dont celui des finances. Il fut ensuite directeur
adjoint de son cabinet à la présidence de l'Assemblée nationale.
Pierre Jeambrun a été avant tout un ami fidèle, fidèle à celui qu'il surnomma
affectueusement « l'homme aux sept visages », fidèle à une certaine conception
de l'Europe et de la République que, précisément, Edgar Faure incarnait.
Les longues heures de travail, les allers et retours dans les trains, les
permanences, les épreuves, mais aussi les satisfactions : telle est la vie des
élus du peuple, la vie de leurs collaborateurs, la vie des femmes et des hommes
qui donnent leur temps, leur énergie et leur volonté au service des autres, de
leur région et de leurs convictions.
Au nom du Gouvernement de la République, je veux adresser à l'épouse de Pierre
Jeambrun, à ses trois enfants ainsi qu'à ses proches mes condoléances les plus
sincères.
M. le président.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à observer, à la
mémoire de Pierre Jeambrun, une minute de silence.
(M. le ministre, Mmes et
MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
Mes chers collègues, selon la tradition, nous allons interrompre nos travaux
pendant quelques instants pour me permettre de saluer la famille de Pierre
Jeambrun.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures
trente-cinq.)