SEANCE DU 31 JANVIER 2001
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Mission d'information
(p.
1
).
3.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
2
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Louis Althapé, Jean-Paul Emin, Daniel
Goulet.
4.
Souhaits de bienvenue à une délégation de sénateurs du Mexique
(p.
3
).
5.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
4
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Yann Gaillard, Jean-Paul Emorine,
Lucien Lanier, Gérard César, Jean Chérioux, James Bordas.
6.
Rappel au règlement
(p.
5
).
MM. Jean-Pierre Raffarin, le président.
Suspension et reprise de la séance (p. 6 )
7.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
7
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Philippe de Gaulle, Alain Vasselle,
Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois ; Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Renvoi de la suite de la discussion.
8.
Dépôt d'un projet de loi
(p.
8
).
9.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
9
).
10.
Transmission de propositions de loi
(p.
10
).
11.
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
11
).
12.
Renvoi pour avis
(p.
12
).
13.
Dépôt de rapports
(p.
13
).
14.
Ordre du jour
(p.
14
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1
PROCE`S-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
MISSION D'INFORMATION
M. le président.
L'ordre du jour appelle l'examen de la demande présentée par la commission des
affaires sociales tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une
mission d'information sur la politique de lutte contre le cancer.
Il a été donné connaissance au Sénat de cette demande au cours de sa séance du
mardi 19 décembre 2000.
Je vais consulter sur cette demande.
Il n'y a pas d'opposition ?...
En conséquence, la commission des affaires sociales est autorisée, en
application de l'article 21 du règlement, à désigner cette mission
d'information.
M. Lucien Neuwirth.
Très bien !
3
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi
organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Althapé, pour
continuer son intervention qui a été interrompue hier en raison d'impératifs
d'horaire.
M. Louis Althapé.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, hier,
je n'ai pas pu achever mon intervention et je me demande, puisque certains
d'entre vous n'ont pas pu entendre mon exposé, si je ne devrais pas le
reprendre intégralement.
(Sourires.)
M. le président.
Vous pourriez en résumer le début, à l'intention de Mme le secrétaire d'Etat
et de moi-même puisque je n'ai pas eu la chance de présider la séance hier.
M. Louis Althapé.
Il est difficile de résumer un texte aussi dense, aussi complexe, mais je vais
très rapidement rappeler ce que j'ai dit, monsieur le président.
J'ai essentiellement formulé des remarques d'ordre constitutionnel, en
m'appuyant sur les interventions brillantes de notre collègue M. Gélard,...
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Le doyen
Gélard !
M. Louis Althapé.
... sur le viol quelque peu systématique de la Constitution par le
Gouvernement.
Notre discussion peut paraître quelque peu surfaite. Je pense sincèrement que
ce n'est pas le cas. Croyez-moi, le Sénat mène un bon débat, qui traduit son
souci de faire en sorte que la démocratie soit toujours présente et sa volonté
de jouer pleinement son rôle.
Hier, notre excellent collègue, M. Hilaire Flandre, s'est borné à présenter
quelques commentaires sur un texte des instances du parti socialiste. Pour ma
part, je vais poursuivre mon intervention en citant ce texte, afin d'éclairer
plus encore nos débats.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Il n'y a rien de tel qu'une citation pour respecter l'esprit et la lettre d'un
texte !
(Tout à fait ! sur les mêmes travées.)
« Pourtant, on oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne
s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix.
« Dans trente-quatre circonscriptions où s'opposaient en duel un candidat
socialiste et un candidat de l'opposition, la victoire socialiste n'a été
acquise que par un score compris entre 50 % et 51,5 % des voix. Si ces
trente-quatre circonscriptions avaient basculé à droite en 1997, le résultat
final en aurait été inversé, et la gauche serait actuellement dans
l'opposition. » Nous ne pouvons que le regretter ! « Il aurait suffi pour cela
qu'à l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur
comportement.
« A cet égard, les résultats du département de la Drôme sont particulièrement
instructifs. En juin 1997, les quatre circonscriptions sont revenues à la
gauche. Mais trois sièges ont été remportés avec un score inférieur à 51 % et
le dernier l'a été à l'occasion d'une triangulaire avec le Front national.
Ainsi, Michèle Rivasi gagne avec 33 voix d'avance sur le candidat de droite,
Michel Grégoire avec 57 voix, Eric Besson avec 110 voix, tandis qu'Henriette
Bertholet l'emporte avec 2 267 voix d'avance, mais dans une triangulaire où le
Front national recueille 9 597 voix au second tour. »
M. Jean Chérioux.
Le Front national aura été utile !
M. Louis Althapé.
C'est un constat que nous pouvons tous dresser !
M. Jean Chérioux.
Ils peuvent le remercier !
M. Louis Althapé.
Je poursuis ma citation : « Combien parviendront à conserver leur siège en
2002 ? »
M. Jean Chérioux.
Ils peuvent le laisser !
M. Louis Althapé.
Nous verrons plus tard !
« Les exemples similaires sont nombreux. André Godin, dans l'Ain, qui
l'emporte avec 290 voix d'avance, Robert Honde, dans l'Aisne, avec 290 voix,
Alain Tourret, dans le Calvados, avec 600 voix, Michel Suchod, en Dordogne, qui
l'emporte de 700 voix, Georges Lemoine, dans l'Eure-et-Loir, par 800 voix,
François Guillandre, dans le Finistère, par 360 voix, comme Jacqueline Lazard,
qui n'aura que 120 voix d'avance à l'issue du second tour, Yvette
Benayoun-Nakache, en Haute-Garonne, qui devance son rival de 250 voix, Monique
Denise, dans le Nord, avec moins de 500 voix d'avance, ou Alain Cacheux avec
300 voix, Jean-Jacques Denis, en Meurthe-et-Moselle, par 130 voix, Jérôme
Cahuzac, dans le Lot-et-Garonne, par 700 voix, ou encore, dans le département
de la Loire-Atlantique, René Leroux, qui gagna de 200 voix, Patrick Rimbert, de
360 voix et Marie-Françoise Clergeau, de 750 voix. »
M. Jean Chérioux.
On n'a pas demandé le recomptage ?
M. Louis Althapé.
Non ! Et c'est un peu tard maintenant.
« On ne saurait non plus minimiser les soixante-seize triangulaires que la
gauche gagna à quarante-sept reprises. Une dizaine de circonscriptions auraient
pu passer à droite sans le maintien du Front national au second tour.
L'effondrement de l'extrême droite modifiera également la configuration
politique dans certaines circonscriptions, comme à Toulon, où Robert Gaia et
Odette Casanova ont chacun affronté en duel un candidat du Front national au
second tour des législatives.
« Ainsi, si la gauche a remporté les dernières élections, elle ne parvient pas
pour autant à retrouver ses meilleurs niveaux. »
Je vais citer, là encore, quelques pourcentages intéressants...
M. Jean Chérioux.
C'est toujours le texte socialiste ?
M. Louis Althapé.
Je ne m'en écarte pas d'un mot, mon cher collègue !
Ecoutez plutôt : « Avec 25,7 % des suffrages exprimés au premier tour des
élections législatives de juin 1997, le parti socialiste reste loin de ses
performances des années quatre-vingt, lorsqu'il frôlait 38 % des suffrages en
1981, dépassait 32 % en 1986 et 37 % en 1988. En 1988, le parti socialiste
dépassait le seuil des 40 % dans 200 des 555 circonscriptions métropolitaines,
en 1993 dans deux, et, en 1997, malgré sa remontée, dans seulement vingt-cinq.
Il dépassait les 35 % dans soixante-douze des quatre-vingt-seize départements
en 1981, soixante-quatre en 1988, deux en 1993 et seulement six en 1997.
« Ce serait donc une erreur de croire que le parti socialiste, malgré le
travail réalisé par Lionel Jospin entre 1995 et 1997, a regagné la totalité du
terrain perdu entre 1988 et 1993. Dans les circonscriptions où il dépassait 40
% des voix en 1988, le parti socialiste a pu perdre plus de 30 % de ses scores
initiaux, et recule de 14 points en moyenne dans les 490 circonscriptions - sur
577 - où il a été constamment présent entre 1988 et 1997.
« Cette baisse s'explique en partie par la perte d'influence du parti
socialiste en milieu populaire. »
Les quelques chiffres qui suivent sont également très significatifs. « Il
recule massivement en milieu ouvrier - il perd 16 points - et dans les classes
moyennes salariées - il baisse en effet de 13 points chez les professeurs
intermédiaires et de 11 points chez les employés. Aujourd'hui, le parti
socialiste recueille davantage de voix parmi les cadres supérieurs que parmi
les ouvriers. »
M. Jean Chérioux.
C'est la gauche caviar !
M. Louis Althapé.
Eh oui !
« Au sein de la gauche, le poids du parti socialiste évolue également dans un
sens qui ne lui est pas favorable. Alors qu'il représentait 74 % du total des
voix de gauche en 1988, 61 % en 1993, il n'en représente plus que 58 %
désormais. »
J'en ai terminé avec la lecture des extraits tirés de ce document du parti
socialiste.
Je n'ai pas résisté à l'envie de vous communiquer ces chiffres très
intéressants, comme vous pouvez en juger.
Il est particulièrement enrichissant de voir à quel point la gauche a
délibérément lié son sort électoral à celui de l'extrême droite.
Nous n'en avions jamais douté, mais un tel cynisme électoral ne peut
qu'émouvoir à chaque fois les républicains et démocrates que nous sommes.
Cette analyse d'origine socialiste, cette analyse chiffrée et imparable, le
Premier ministre l'a faite sienne bien entendu : respectez le calendrier,
c'était prendre le risque de voir la droite majoritaire à l'Assemblée nationale
et le destin présidentiel de Lionel Jospin stoppé net.
La suite, vous la connaissez, nous y sommes d'ailleurs : en inversant le
calendrier, nous cautionnons le Premier ministre, dont les troupes, sur le
terrain, savent pertinemment que le renouvellement est aléatoire. S'appuyant
sur des sondages établis dans la perspective de l'élection présidentielle, il
est conforté : il peut gagner, il est meilleur que ses députés de base qui
n'arrivent pas à faire comprendre la justesse et la qualité de sa politique.
Cette manoeuvre politicienne, la gauche pourra la classer dans l'armoire des
modifications de circonstance nécessaires à son maintien au pouvoir.
Rappelez-vous, mes chers collègues : la proportionnelle, en 1986, autorise
l'extrême droite à entrer au Parlement et la modification du prochain scrutin
pour les élections régionales de 2004 au détriment d'une authentique
représentation territoriale, voire locale, est déjà votée. Ensuite, il y a la
perspective d'une modification du scrutin départemental pour affaiblir les
conseils généraux en 2007, qui ne pourront plus être la formidable caisse de
péréquation entre le monde urbain et le monde rural. Enfin, je ne peux oublier
la modification du mode de scrutin pour les prochaines élections sénatoriales.
C'est bien l'Assemblée nationale qui nous impose la proportionnelle dans les
départements comptant trois et quatre sénateurs. Gain mécanique pour la gauche
; de trente à quarante sièges !
M. Jean Chérioux.
Oui, mais eux ont lu
Le Prince
de Machiavel, tandis que nous, nous ne
l'avons pas assez lu !
M. le président.
Veuillez laisser parler l'orateur, qui a encore des choses intéressantes à
nous dire !
M. Louis Althapé.
J'arrête : l'armoire est pleine !
Les Françaises et les Français méritent mieux que d'être les témoins d'un
débat qui leur donne le sentiment que la classe politique est plus soucieuse
d'imaginer sa pérennité que d'aborder les véritables problèmes de société qui
se posent aujourd'hui. Avec ce projet de loi, la gauche porte atteinte une
nouvelle fois à la crédibilité des parlementaires.
Par son opposition à ce texte, le Sénat rappelle tout simplement à l'opinion
publique et au pouvoir en place qu'il ne peut privilégier impunément la
démarche politicienne au détriment des aspirations légitimes et urgentes des
Françaises et des Français !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Emin.
M. Jean-Paul Emin.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me
présente devant vous, cet après-midi, pour vous livrer avec force la conviction
qui est la mienne : non, je ne suis pas favorable à l'inversion du calendrier
électoral de l'année 2002 !
Par conséquent, je voterai contre la proposition de loi dont nous débattons
aujourd'hui, parce que j'estime qu'elle est inopportune et, qui plus est,
injustifiée.
Inopportune, elle l'est sur le plan formel, parce qu'elle est précipitée et
engagée de façon cavalière.
Injustifiée, elle l'est par ses motifs. Ne nous y trompons pas : contrairement
à ce qu'on essaie de nous faire croire, il ne s'agit pas de se préoccuper de la
réforme de nos institutions à long terme ; il ne s'agit pas de rechercher quel
pourrait être un meilleur équilibre des trois pouvoirs - législatif, exécutif
et judiciaire - pas plus qu'il ne s'agit de s'interroger sur l'éventualité d'un
changement de Constitution.
Pourtant, voilà bien quelques enjeux fondamentaux de notre démocratie. Ce sont
ces questions qu'il aurait fallu approfondir dans le cadre d'un vrai débat
parlementaire, avec tout le temps de la réflexion nécessaire, pour travailler
dans la sérénité et engager une véritable réforme institutionnelle sur la base
d'un projet cohérent.
Mais, je regrette d'avoir à vous le dire, plusieurs de mes collègues l'ont
déjà fait : ce n'est pas cela qu'on nous propose aujourd'hui.
L'argument institutionnel n'est qu'un prétexte, une apparence, un habillage
pour mieux masquer la vraie raison qui, elle, est moins avouable parce qu'elle
relève uniquement et malheureusement de la manoeuvre politicienne.
Evidemment, la situation n'est pas aisée pour le Premier ministre. « J'ai dit
ce que je ferai, et je ferai ce que j'ai dit », nous annonçait-il en arrivant.
Seulement, l'artifice dialectique ne suffit plus au fur et à mesure que l'on se
rapproche de l'élection présidentielle.
L'équation du Premier ministre, la voici : faire en sorte de révéler toutes
ses intentions, mais n'en avouer aucune ouvertement. L'exercice est périlleux,
le risque de surplace est grand, mais, surtout, personne n'est dupe.
Nous avons donc tous compris que Lionel Jospin souhaite être candidat à
l'élection présidentielle de 2002. A partir de là, quel est le problème ?
Il va s'agir pour le Premier ministre d'effectuer sa campagne dans les
meilleures conditions, ce qui implique notamment pour lui d'élaborer sa
stratégie sans la rendre dépendante du résultat des élections législatives.
Rien n'indique, en effet, que la majorité actuelle gagnera les élections
législatives en 2002. L'excellent propos de notre collègue Althapé ne fait que
nous en convaincre. Il serait alors malaisé pour le Premier ministre de se
présenter à l'élection présidentielle prévue quelques semaines plus tard ! Il
faut donc éviter que les élections législatives ne soient antérieures à
l'élection présidentielle. Et le moyen le plus simple - cela dit, bien sûr,
sans ironie - est de faire entériner cette modification par le Parlement.
Nous avons vu la manoeuvre se dérouler devant nos yeux à partir du mois de
décembre, et c'est elle qui nous conduit de nouveau à débattre aujourd'hui.
Voilà le véritable argument : il n'est pas à rechercher ailleurs !
Seulement, tous les prétextes sont bons pour essayer de justifier cette
modification de circonstance, voire de convenance.
Il y aurait tout d'abord la logique de l'« élection directrice » qui serait
l'élection présidentielle. Dans cette perspective, l'élection présidentielle
devrait donc être organisée la première. Mais cette logique n'est textuellement
inscrite nulle part. Nulle part, en effet, il n'est précisé que l'élection
présidentielle doit avoir lieu avant les élections législatives.
On évoque ensuite la nécessité de « rétablir la clarté institutionnelle et
démocratique », de réinstaurer la « dynamique de la cohérence ». C'est la
cohabitation qui est ici visée.
La cohabitation serait illogique, elle n'aurait pas lieu d'être et on ne
devrait la considérer que comme un accident dans notre vie politique. Or,
depuis 1986, nous avons par trois fois fait l'expérience de cette situation.
Si l'on se réfère à la période qui couvre les quinze dernières années, on
constate que les différentes cohabitations que nous avons connues représentent
un total de plus de sept ans, c'est-à-dire près de la moitié de la période
considérée ! Cela commence à faire beaucoup pour qualifier la cohabitation de
simple accident de notre vie politique !
De plus, l'inversion du calendrier électoral ne résoudrait absolument pas le
problème de la cohabitation.
D'abord, cette inversion ne vaudrait qu'une fois pour l'année 2002. Mais elle
n'empêcherait nullement un hypothétique décès, une éventuelle démission d'un
chef de l'Etat futur, pas plus qu'elle ne retirerait à ce même chef de l'Etat
le droit de dissoudre l'Assemblée nationale. Nous en reviendrions alors au
point de départ, c'est-à-dire à un décalage temporel entre l'élection
présidentielle et les élections législatives, avec la possibilité de revenir à
une situation de cohabitation.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, aucun
des arguments avancés par M. le Premier ministre et ceux qui sont favorables au
texte que nous discutons aujourd'hui n'est véritablement valable, et nous le
voyons bien !
Seulement, nous ne sommes pas des spectateurs passifs. Nous sommes des acteurs
qui voulons être efficaces, qui exerçons pleinement nos prérogatives de
parlementaires, cela afin de défendre les intérêts des Français dans leur
ensemble. Ce devoir nous impose de ne pas nous livrer aux querelles
politiciennes ni à toutes les manoeuvres qu'elles impliquent.
Nous nous devons de respecter la confiance que les Français nous ont accordée.
Pour ce faire, nous nous devons d'examiner chaque texte qui nous est soumis
avec tout le temps nécessaire, sans précipitation, en gardant toujours non
seulement le souci de l'objectivité, mais, bien plus encore, celui de la
vérité.
Nous nous devons aussi de dire la vérité pour que les choses soient bien
claires et que chacun soit bien conscient des enjeux réels du débat et de ses
conséquences pour l'avenir. Comme le disait Sénèque, « le langage de la vérité
est simple ».
Je voudrais donc, à mon tour, vous exposer simplement les motifs qui
justifient mon opposition à ce texte. J'en dénombre principalement deux.
J'estime d'abord que cette proposition de loi va à l'encontre de l'essence
même de notre démocratie, et je vais m'en expliquer. Je pense ensuite qu'elle
n'est tout simplement pas sérieuse, parce qu'elle n'est étayée par aucun
argument solide, objectif et donc susceptible d'emporter ma conviction.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
suis, comme beaucoup d'autres, fondamentalement attaché à la démocratie. Il y a
des choses qui vont sans dire, mais qui vont encore mieux en les disant ; c'est
pourquoi je voudrais rappeler un principe esentiel de la démocratie, celui de
la liberté de choix des électeurs.
Ce principe implique deux corollaires : pour les électeurs, celui de se
déterminer sans contrainte en fonction de leur sensibilité, et, pour les élus,
celui d'exercer pleinement et fidèlement leur mandat en se consacrant à
l'intérêt général. Or, dans le cas présent, on cherche à forcer la main des
électeurs et l'on assiste à un effacement de l'intérêt général au profit de
l'intérêt particulier. Quel abaissement de la démocratie !
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne
développerai pas à nouveau les arguments avancés par les défenseurs du texte
que nous examinons en ce moment. Je souhaite seulement revenir d'un mot sur
l'équilibre institutionnel.
On nous explique que l'inversion du calendrier électoral permettrait de
valoriser la primauté de la fonction présidentielle. Mais sur quel fondement
repose donc l'idée que les Français sont tenus d'élire d'abord un Président de
la République pour désigner immédiatement après leurs représentants à
l'Assemblée nationale ?
On nous explique que l'inversion proposée permettrait de minimiser le risque
de cohabitation, jugée néfaste pour le bon fonctionnement des pouvoirs publics.
Mais un risque minimal n'est pas un risque nul.
Rien n'est jamais acquis. Si la cohabitation est une mauvaise chose, que les
responsables politiques déploient tout leur talent pour s'employer à en
convaincre les Français ! Mais, de grâce, qu'on laisse ceux-ci libres de leur
choix, qu'il reviendra ensuite aux élus d'assumer.
Toucher au calendrier électoral reviendrait à instrumentaliser purement et
simplement les électeurs. Laissons-les donc se déterminer en temps voulu, sans
leur forcer la main ! C'est bien cela, la démocratie !
En outre, ce texte ne reflète nullement la volonté générale. Il a simplement
vocation à satisfaire l'intérêt électoral du Premier ministre ; c'est la seule
raison pour laquelle il a été élaboré.
Qui plus est, sur le fond, cette proposition de loi n'est tout simplement pas
sincère. On invoque, en effet, une tradition constitutionnelle qui voudrait que
l'élection présidentielle fût la plus importante, consacrant par là même la
primauté du chef de l'Etat, pour en tirer la conclusion que cette élection doit
donc être organisée la première. Mais ce n'est pas un argument objectif.
Si la Constitution pose, notamment dans ses articles 5 et 16, la primauté du
chef de l'Etat, cette primauté n'implique nullement que le Président de la
République soit élu obligatoirement avant les députés. Que l'on se souvienne, à
titre d'exemple, des élections présidentielles de 1969 et de 1974 ! Dans les
deux cas, elles avaient été précédées d'élections législatives qui avaient eu
lieu respectivement en juin 1968 et en mars 1973.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui, monsieur le président, madame la
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, est dénué de toute argumentation
véritablement convaincante et n'a aucune portée à long terme. Comment, dès
lors, attendre de moi que j'y souscrive et que j'apporte mon adhésion à un
texte que j'estime superficiel et sans fondement ?
Revenant à la réalité du terrain, je voudrais ici faire constater, par
exemple, qu'aucune entreprise, aucune PME, aucune association, et donc
a
fortiori
aucun gouvernement qui doit gérer l'Etat de façon exemplaire, ne
pourrait, sans risques, effectuer une évolution structurelle sans une réflexion
globale approfondie. La tactique n'a jamais remplacé la stratégie à moyen et à
long terme. Une réforme structurelle doit impérativement résoudre le problème
institutionnel posé, ce qui n'est pas le cas de cette proposition de loi.
Ce n'est pas sans une certaine tristesse que l'on entend, parmi les arguments
subjectifs en faveur de ce texte, évoquer le général de Gaulle. Comment
ose-t-on imaginer que cette démarche politicienne relève d'un esprit gaullien ?
Cette tentative malencontreuse d'appropriation de l'esprit gaulliste est pour
le moins regrettable. L'argument de la primauté de l'élection présidentielle,
intellectuellement estimable, devient franchement critiquable lorsqu'il s'agit
d'opportunisme électoral.
Cette affaire est préjudiciable à la démocratie. On a certes évoqué ici
d'autres modifications de calendrier durant la Ve République, mais aucune ne
concernait l'inversion de calendrier des élections législatives et
présidentielles. Les textes présentés au Parlement ne relevaient que de
l'organisation ou de la simplification des calendriers des élections
municipales ou cantonales.
Saint-Exupéry a écrit : « Lorsque les mots perdent leur sens, les hommes
perdent leur liberté. » Nous devons à coup sûr craindre pour le respect de la
démocratie.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai
assez longuement évoqué la démocratie au cours de cette intervention, car il
est bon, parfois, de revenir aux fondements de notre système pour, au milieu de
l'agitation politicienne, distinguer l'essentiel de l'accessoire.
C'est notre démocratie que j'entends défendre, aujourd'hui comme demain.
Aujourd'hui, je n'accorderai donc pas mon suffrage à un texte qui, à mon avis,
lui fait offense.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Goulet.
M. Daniel Goulet.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, être
le énième orateur inscrit dans la discussion générale sur ce texte ne présente
pas que des inconvénients. Cela permet au sénateur de province, que dis-je, au
sénateur de base que je suis de tenter de déceler, à travers plusieurs jours de
débat, ou plutôt de monologue, les éléments nécessaires à alimenter sa propre
réflexion. Lui qui est un homme de terrain, qui n'est ni un juriste ni un
constitutionnaliste averti, a écouté avec attention, grâce à la chaîne
parlementaire à différentes reprises, les orateurs et surtout les experts qui
se sont exprimés sur ce texte visant la prolongation des pouvoirs de
l'Assemblée nationale.
D'emblée, je tiens à dire combien j'ai trouvé intéressantes les interventions
de nos collègues, placées sous le signe du droit, par exemple pour MM.
Badinter, Marini et Gélard, sous le signe de l'humour, mais aussi du sérieux,
sous le signe de la politique pour M. Gerbaud, ou encore pour le président du
groupe auquel j'appartiens, M. Josselin de Rohan.
Chacun a tenté d'apporter sa pierre à ce qui aurait dû donner lieu à un débat.
Or - et c'est ma première observation - de débat, il n'y en a pas eu.
Je suis absolument consterné de la façon dont le présent texte est traité et
je n'en suis pas fier. Je n'en suis pas fier lorsque, comme nombre de mes
collègues, je retrouve mes concitoyens chaque semaine dans ma province.
La presse, se faisant l'écho du Gouvernement, critique même la stratégie
d'escargot du Sénat. Le Gouvernement, s'il se montre poliment attentif aux
propos tenus par les orateurs, n'en reste pas moins sur sa position dogmatique
sans chercher à leur répondre véritablement.
Et moi, sénateur de terrain, j'aimerais bien que l'on m'explique pourquoi, au
nom de quelle impérieuse nécessité, notre assemblée se voit obligée de fournir
tant d'efforts pour se faire entendre sur ce thème alors que bien d'autres
sujets préoccupent les Français, comme cela a été souligné à de nombreuses
reprises.
On dira qu'il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Mais ne
dit-on pas aussi, madame le secrétaire d'Etat, que ce qui se conçoit bien
s'énonce clairement et que les mots pour le dire viennent aisément.
Or, de discours aisé, compréhensible et convaincant, je n'en ai entendu aucun
de la part du Gouvernement ou des membres de l'opposition sénatoriale. Je fais
bien entendu abstraction de nos collègues MM. Badinter et Allouche, mais leur
force et leur conviction n'étaient assises sur aucun fondement juridique
sérieux, déterminant et inattaquable. C'est bien ce que notre collègue M.
Gélard et d'autres avant lui avaient tenté de dire sans être entendus, bien
qu'ils aient été compris.
Comme je le disais, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il est
vraiment navrant que, face aux arguments de M. Gélard, arguments juridiques
s'il en est, le Gouvernement n'ait pas voulu ou pas pu répondre.
Pour moi qui, je le répète, ne suis pas juriste mais qui ai derrière moi et,
je le souhaite, devant moi encore quelques années de vie parlementaire, un
argument au moins aurait mérité une réponse du Gouvernement. Très égoïstement,
j'aurais voulu une réponse sur le point de savoir ce qu'il en est de la
question du dépassement des pouvoirs de l'Assemblée nationale au regard du
mandat dont chaque député est investi. C'est pour moi fondamental.
N'est-il pas vrai que le mandat confié par l'électeur à son député est de cinq
ans et non pas de cinq ans et quelques mois supplémentaires ? Cet argument me
parassait digne d'intérêt, comme d'autres d'ailleurs. M. Gélard l'a soulevé et
je n'ai pas entendu de réponse.
Bien des orateurs et non des moindres ont ainsi déclaré qu'il fallait une
toilette sérieuse de notre Constitution. Ce point semble acquis, même par les
gaullistes.
Pour moi, le gaullisme, c'est une certaine idée de la France, à l'intérieur de
ses frontières bien entendu, mais aussi à l'étranger, une France qui montre
l'exemple, qui est un phare pour les droits de l'homme et les libertés
fondamentales, non pas un miroir aux alouettes.
A cet égard, je me dois d'ouvrir une parenthèse. En ma qualité de membre du
Conseil de l'Europe - et je parle sous le contrôle de certains collègues qui
siègent avec moi à Strasbourg - j'ai, depuis deux ans, effectué de nombreuses
missions, notamment en tant que président ou rapporteur de commissions de
contrôle et d'observateur des élections dans les nouveaux pays de l'Europe
orientale et de l'Europe centrale, comme récemment en Georgie et en Croatie.
Savez-vous, mes chers collègues, de quelle autorité le parlementaire français
est crédité lorsqu'il arrive dans ce pays ? La France constitue une référence
sûre : c'est le pays des droits de l'homme et des libertés, non le pays du
coca-cola ou du dollar roi.
Vous ignorez peut-être, mes chers collègues, la lutte que, dans ces
circonstances, nous devons mener contre les observateurs, théoriquement amis
mais en fait concurrents, de l'OSCE, totalement acquis aux méthodes et aux
normes américaines.
Vous n'imaginez pas le discrédit qui est désormais attaché aux Etats-Unis
d'Amérique dans ces pays dits émergents, après qu'il a fallu un mois pour
faire, ou plutôt pour interrompre, un décompte historique qui donnait à
l'évidence M. Al Gore perdant officiel et gagnant réel. Allons-nous à notre
tour, donner une image de magouillage et d'obscurantisme démocratique ?
Savez-vous que les élections législatives croates, les premières de l'ère
post-Tudjman, avaient lieu il y a un peu plus d'un an, un certain 2 janvier ? A
ce propos, je me félicite de la création du groupe France-Croatie ; nos
collègues croates m'ont téléphoné il y a quelques jours pour s'en féliciter.
Mais j'en reviens aux observateurs de l'OSCE, qui avaient vu dans le choix de
la date du 2 janvier une manoeuvre politicienne de la part des
organisateurs.
C'est alors que les responsables politiques croates ont répliqué qu'il était
possible que des élections soient organisées à cette date, car - ils avaient
vérifié avant de la choisir - en France un scrutin législatif avait eu lieu en
1956 à cette même date. C'est sur la base de cette jurisprudence que la date du
scrutin avait donc été définitivement arrêtée.
Vous le voyez, mes chers collègues, madame le secrétaire d'Etat, nous sommes,
de gré ou de force, une référence, et plus encore aujourd'hui qu'hier, lorsque
l'on connaît les piteux résultats de la politique étrangère américaine au
Moyen-Orient ou dans les pays du Golfe.
C'est en tant que président des groupes France-Palestine et France-pays du
Golfe que je m'exprime : j'ai la prétention de connaître, un peu, la situation
dans ces pays.
Nous vivons dans un monde de verre : tout se sait en temps réel ; rien
n'échappe à l'auditeur attentif, d'où qu'il soit, et notre débat, ou, plutôt,
cette succession de monologues, porte atteinte, que vous le vouliez ou non, à
la crédibilité de la France.
A ce titre, nous sommes tous responsables. Alors, madame le secrétaire d'Etat,
donnez-nous un vrai débat, je veux dire un échange d'arguments, pas de dogmes,
un vrai débat qui ne nous discrédite ni en France ni dans les pays étrangers
qui nous observent, nous jugent et s'inspirent de notre savoir-faire
démocratique.
Nous n'approuvons pas toujours et nous approuvons même rarement la politique
gouvernementale, mais vous avez toujours admis et reconnu que le Sénat
constituait un lieu d'échanges, de débats et de réflexion. Ne contribuez donc
pas, par votre attitude stérile, à nuire à la réputation d'une institution qui
est une institution républicaine digne de respect et de considération.
Vous participez, par votre attitude, à ce mouvement général qui tend à se
moquer, se gausser du Sénat.
Le dernier exemple remonte à vendredi matin alors que M. Jean Amadou, sur
Europe 1, mentionnait une affaire pendante devant le tribunal de Paris, pour
laquelle un de nos collègues sénateur avait été appelé à comparaître en qualité
de témoin.
A cette occasion, M. Amadou, dont personne ne pense un instant contester le
talent, précisait que ce collègue n'avait pas déféré à cette citation au motif
qu'il avait un emploi du temps trop chargé.
Et M. Amadou, homme ô combien intelligent et doté de hautes conceptions
républicaines, voire gauloises, de s'écrier en substance : « Un sénateur de la
République qui a un emploi du temps chargé, c'est bien la première fois que
cela arrive... c'est impossible ! »
J'ai pensé un instant l'inviter à me suivre dans mon département pendant un
week-end, période pendant laquelle il doit sans doute jardiner, lui, pour qu'il
constate, au vu des six ou sept manifestations, débats, rencontres et des
centaines de kilomètres que nous parcourons tous, que nous avons des agendas
beaucoup plus chargés qu'il ne l'imagine.
Les allégations qui visent à discréditer des parlementaires de la République
pour un bon mot ou pour faire de l'audience, comme on dit, ne sont ni dignes ni
convenables.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Or ce débat, ou ce monologue, procède du même esprit et peut donner quelques
idées à des chansonniers en mal d'inspiration.
Non, bien entendu, madame le secrétaire d'Etat, vous ne discréditez pas le
Sénat ni les sénateurs mais, en ne leur répondant que brièvement ou de façon
elliptique, vous leur montrez la vanité de ce monde parisien et politicien.
Enfin, quand je dis « ce monde », je veux dire « ce microcosme ».
Nous avons la vanité de penser que nous pouvons tenter de vous faire
comprendre notre position.
Votre vanité est de ne pas vouloir engager un vrai débat sur nos institutions,
débat que, encore une fois, nombre d'entre nous ont appelé de leurs voeux.
Vanitas, vanitatis ! L'Ecclésiaste
pour les uns,
Qôhéléth
pour
les autres, ce texte qui rassemble le monde judéo-chrétien est d'une actualité
brûlante.
Nous sommes ici dans la situation que nous avons connue et, pour certains,
vécue en 1981, au moment du vote de la loi sur les nationalisations.
Lors des débats, notre collègue Jean Foyer, éminent juriste, défendait une
exception d'inconstitutionnalité avec la compétence et la foi qui l'animaient
toujours, lorsque M. Laignel, si ma mémoire est exacte, l'a interrompu pour
déclarer en une phrase restée célèbre : « Vous avez juridiquement tort parce
que vous êtes politiquement minoritaires ».
J'ai envie de vous dire, à mon tour, madame le secrétaire d'Etat, ce n'est pas
parce que vous êtes politiquement majoritaires à l'Assemblée nationale que vous
avez juridiquement raison, loin s'en faut !
(Applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
La raison aurait appelé un vrai débat, non seulement sur la loi électorale
mais encore, et cela nous concerne directement au Sénat, sur la durée du mandat
des sénateurs.
Nous sommes en effet un certain nombre dans cet hémicycle à nous être
interrogés et à avoir déposé une proposition de loi pour ramener le mandat des
sénateurs de neuf à six ans en raison du vote du quinquennat. Voilà un bon
sujet !
Pourquoi donc ne pas ouvrir un vrai débat, comme cela a été fait pour la
procédure pénale ou le code pénal, et organiser autour d'une commission de
réforme de la Constitution une vraie réflexion ?
D'ailleurs, il faudra bien agir ainsi non seulement pour les questions
électorales mais aussi pour les questions relatives aux compétences des
collectivités territoriales dans le cadre d'une décentralisation modernisée et
plus efficace. Eh oui, cela se fera peut-être ! Souhaitons-le !
Finalement, mais nous le savions déjà, ce débat tronqué n'en est qu'une
illustration de plus : votre morale politique est à géométrie variable.
C'est vrai, avant 1981, vous avez parfois, de façon excessive, essuyé les
affres de la situation de minoritaires. Vous dénonciez, alors, les méthodes de
la majorité de l'époque.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, je suis rempli d'espoir quant
aux résultats des prochaines échéances électorales...
Donc, vous l'aurez compris, madame, je ne voterai pas ce texte, pour bien des
raisons, dont l'une est dirimante : vous ne m'avez pas convaincu. Au demeurant,
quel que soit le mal que l'on peut penser de notre honorable Haute Assemblée et
du travail qui y est fait, le Sénat rassemble des femmes et des hommes de
conviction et de dialogue, et je m'honore d'en faire partie.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
4
SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION
DE SÉNATEURS DU MEXIQUE
M. le président.
Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune
officielle d'une délégation de sénateurs des Etats-Unis du Mexique, en visite
de travail dans notre pays.
(Mme le secrétaire d'Etat ainsi que Mmes et MM. les sénateurs se
lèvent.)
La délégation, composée de membres de la commission constitutionnelle du
Sénat mexicain, est conduite par son président, M. Manuel Bartlett Diaz. Elle a
été reçue par le groupe sénatorial d'amitié France-Mexique, présidé par notre
collègue Charles Descours, et par Henri Revol, président du groupe d'étude de
l'énergie.
En votre nom, je souhaite à nos amis mexicains la plus chaleureuse bienvenue
et je forme des voeux pour que leur séjour en France réponde à leur attente et
renforce, si besoin était, l'amitié entre nos deux assemblées et, à travers
elles, entre nos deux peuples.
(Applaudissements.)
5
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique modifiant la
date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous
disposons au Sénat d'une belle et riche bibliothèque, dont les administrateurs
et les agents sont aussi compétents que serviables ; c'est à ses trésors que
j'ai recouru pour étayer les quelques propos que je m'apprête à tenir.
On peut lire, dans un ouvrage ingénieux, paru aux éditions de L'Harmattan, le
Dictionnaire de la vie politique et du droit constitutionnel américain,
la définition suivante : «
Filibuster
(obstruction) : tactique dilatoire
qui consiste à prononcer délibérément d'interminables discours pour faire
obstruction à un débat. Occasionnellement, il arrive qu'elle soit employée au
Sénat des Etats-Unis par un sénateur désireux d'empêcher l'adoption d'une loi
en bloquant tous les travaux de l'assemblée. » L'un des
recordmen
en ce
domaine semble être M. Storm Thurmond, qui, en 1957, occupa la tribune du Sénat
sans la quitter durant vingt-quatre heures et dix-huit minutes.
(Bravo ! et
rires sur les travées du RPR),
en lisant la Bible et l'annuaire du
téléphone pour retarder l'adoption du
Civil Rights Act
du 20 août 1957
garantissant aux noirs le droit de vote.
M. René Garrec.
Ce n'est pas convenable !
M. Yann Gaillard.
« Une scène de ce type a été représentée au cinéma dans un film de Franck
Capra de 1939,
Mr Smith au Sénat. »
M. le président.
Un excellent film !
M. Hilaire Flandre.
Quelle culture !
M. Yann Gaillard.
Le sénateur Thurmond, dont on peut sans doute contester la motivation, mais
non l'énergie, ne semble pas s'être ressenti de sa performance puisque,
quarante-quatre ans après, il siège toujours au Sénat des Etats-Unis dont, à 99
ans, il est l'indiscutable et toujours actif doyen,
president pro
tempore,
pour parler anglais...
M. Jean Chérioux.
C'est plutôt du latin !
M. Yann Gaillard.
Disons que c'est du latin anglicisé !
(Sourires.)
Il ne faut pas croire que cette tactique parlementaire soit le privilège des
sénateurs républicains du Sud. Un sénateur libéral de l'Oregon, Wayne Morse, en
1954, garda la parole pendant vingt-deux heures pour protester contre une loi
pétrolière. En 1970, d'autres sénateurs, favorables, eux, aux écologistes, ont
recouru à cette technique pour bloquer la construction de l'avion de transport
américain supersonique, qui ne s'en est d'ailleurs jamais remis.
On trouve donc, dans l'histoire parlementaire, bien des « flibustes », plus,
il est vrai, dans les pays anglo-saxons que dans les pays latins.
Historiquement, l'exemple le plus célèbre est celui des parlementaires
irlandais qui, à la fin du xixe siècle, en 1881, bloquèrent pendant quarante
heures le fonctionnement de la chambre des Communes. Le règlement de cette
dernière était alors fort libéral, au point que le Premier ministre Gladstone,
qui était pourtant favorable au
Home Rule
dans son for intérieur, dut
inspirer au
speaker
de l'époque la réforme qui permet de prononcer la
clôture des débats à la majorité des deux tiers.
Autre exemple : le Parlement canadien, dans sa chambre des Communes, connut, à
l'époque de M. Trudeau, une « flibuste » innovante : celle de la sonnette à
laquelle on ne répond pas pour venir voter la motion que l'on a soi-même
déposée. Cette sonnerie retentit en vain pendant quinze jours à cause d'un
différend sur des problèmes énergétiques. Les règles de quorum sont en effet
particulièrement strictes dans cette assemblée. Il ne fallut pas moins d'un
accord politique entre la majorité libérale et l'opposition conservatrice pour
s'en sortir ! Voilà un exemple de fin heureuse d'une obstruction. Qui sait si
?...
Mes chers collègues, nous sommes restés jusqu'à présent bien au-delà de ces
happenings.
L'« opération escargot » à laquelle la majorité sénatoriale
se livre depuis le 16 janvier, à l'heure où je parle, n'a pas mobilisé moins de
quarante-sept des nôtres. Mais nous serons certainement plus de cinquante en
arrivant au port !
(Rires.)
Certains, il est vrai, se sont exprimés de façon nuancée, non sans concourir,
du fait même de leur prise de parole, au but recherché. Cela étant, je ne ferai
pas l'injure de ranger au nombre des acteurs involontaires de ce combat les
quatre orateurs de l'opposition sénatoriale, dont les interventions n'en ont
pas moins été utiles, telle celle de M. Badinter, qui fut une magistrale leçon
d'agrégation de cinquante minutes, plus longue, sinon plus convaincante, que
celle du doyen Gélard lui-même.
M. Jean-Paul Emorine.
Beaucoup moins convaincante !
M. Yann Gaillard.
Je n'ai pas dit qu'elle était plus convaincante !
L'expression d'« opération escargot », qu'il faut bien accepter puisqu'elle
est déjà entrée dans la chronique, voire dans l'histoire, est empruntée aux
chauffeurs routiers et aux chauffeurs de taxi. Dois-je dire que je ne m'en
offusque nullement ?
Si notre majorité, d'habitude fort respectueuse des usages, a dû se résoudre à
bousculer quelque peu le parlementarisme rationalisé, n'est-ce pas parce
qu'elle s'est sentie confrontée à l'inacceptable ?
On parle beaucoup, dans la vie sociale, de « prise de parole ». Quand telle
profession se sent incomprise - et Dieu sait si notre Sénat peut se sentir
incompris du Premier ministre et du président de l'Assemblée nationale !
-...
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Yann Gaillard.
... ou quand telle catégorie opprimée franchit les bornes du consensus muet
sur lequel repose en général la vie collective, elle manifeste alors, cette
classe, cette profession, cette minorité, en sortant de l'habituel, que quelque
chose est en train de se produire à quoi elle se doit de s'opposer de toutes
ses forces. Elle est conduite ainsi à l'innovation, à l'inventivité, et elle
fait soudain preuve d'une audace qui peut l'étonner elle-même, mais dont la
légitimité supérieure lui paraît de plus en plus évidente au fur et à mesure
que se développe son expérience et que s'approfondit sa pratique nouvelle.
C'est bien là ce que nous vivons ensemble, mes chers collègues.
Comme mon ami Hilaire Flandre, qui nous a avoué hier qu'il s'était décidé «
sur le tard » à prendre la parole dans ce débat, je m'étais, je le confesse,
d'abord contenté d'écouter et d'applaudir. Mais plus ce débat durait, plus les
arguments s'ajoutaient aux arguments, et plus je ressentais cette séduction qui
s'attache à l'inattendu, au point de vouloir finalement y apporter, moi aussi,
mon « grain de sel ».
(Sourires.)
Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il n'y avait aucun doublon, aucune redondance
dans les discours que nous avons entendus. Mais notre éminent rapporteur, M.
Christian Bonnet, n'avait-il pas déjà tout dit ?
M. René Garrec.
Excellent rapporteur !
M. Yann Gaillard.
Et pourtant la mayonnaise prenait. Il m'a même semblé que le malheureux
ministre du moment, otage de nos débats, finissait par éprouver ce charme,
ainsi qu'en témoigna M. Queyranne dans son dialogue avec Patrice Gélard.
Même notre estimé collègue M. Allouche qui, en tant qu'observateur du groupe
socialiste, accusa naguère le Sénat de se déconsidérer, le lendemain, en tant
que président de séance, multipliait compliments et sourires à l'adresse des
orateurs.
(Sourires.)
Il est vrai que, à la longue, notre opération, au demeurant fort civilisée et
tout à fait respectueuse du règlement, finissait par ressembler à un tournoi de
bon goût et, oserai-je le dire, à une société savante.
(Nouveaux
sourires.)
Respectueuse du règlement, ai-je dit : on l'a bien vu quand, dans sa lettre
rectificative du 23 janvier, M. Queyranne tenta de contraindre notre assemblée
à siéger le mercredi 24 janvier dans la matinée, alors que celle-ci est
réservée aux séances des commissions. Le vote de l'assemblée sollicité par le
président Jean-Claude Gaudin, sur la base de l'article 32 de notre règlement,
réduisit à néant cette prétention du Gouvernement.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Yann Gaillard.
Les spécialistes du droit parlementaire, les Eugène Pierre du xxie siècle,
pourront scruter à la loupe les termes du dialogue. Il est vrai que le
Gouvernement aurait pu s'éviter ce qu'on peut bien appeler une tentative
d'intimidation, puisqu'elle était vouée à l'échec.
Je me réfère, mes chers collègues, à un très intéressant article de la revue
Pouvoirs
de l'année 1985, sous la signature de M. Yves Colmou, qui est,
je crois, conseiller auprès de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Il est d'ailleurs très souvent dans cet hémicycle !
M. Yann Gaillard.
Cet article, qui a pour titre : «
Vade-mecum
du député obstructeur »,
je ne résiste pas à l'envie de vous en lire quelques extraits, et d'abord cette
ouverture brillante : « "Le Gouvernement est maître de l'ordre du jour", c'est
ainsi que se résument souvent les dispositions de l'article 48 de la
Constitution... La réalité du travail parlementaire est bien différente de
cette lecture rapide. Si le Gouvernement est maître de l'ordre du jour, il
n'est pas maître du jour. » Ô Combien M. Colmou a raison !
Celui-ci précise : « En effet, si la Constitution et le règlement de
l'Assemblée nationale... » - le raisonnement est évidemment transposable au
Sénat - « ... organisent les débats et en précisent la procédure, ils ne sont
que des outils pour mieux utiliser le temps du débat, mais sans en fixer la
limite de durée. L'incertitude sur la durée du débat s'oppose à la certitude de
son résultat dès lors que la majorité se prononce en faveur du projet de loi
qui lui est soumis par le Gouvernement. » En est-il de même, mes chers
collègues, si un projet est insidieusement déguisé en proposition de loi ?
L'avenir le dira, mais j'y reviendrai à la fin de mon propos.
Je poursuis la citation de l'excellent M. Colmou : « Alors, un nouvel enjeu,
celui du temps, apparaît dans la bataille parlementaire. Si l'exécutif et sa
majorité possèdent la maîtrise de la décision,... » - encore faut-il qu'il y
ait toujours une majorité - « ... ils ne maîtrisent pas le temps nécessaire
pour l'obtenir. »
La conduite de notre majorité sénatoriale a donc été conforme en tous points à
la doctrine Colmou
(Sourires),
lequel justifiait ce qu'il appelle la «
stratégie d'obstruction », stratégie utilisée tantôt par la gauche - loi
sécurité et liberté, en 1980 - tantôt par la droite - loi de nationalisation,
en 1981.
Ce remarquable article comporte en outre d'excellents conseils techniques. Eh
oui, mes chers collègues, vous avez tout naturellement, au cours de ces belles
journées, suivi les préceptes du conseiller du ministre de l'intérieur. « Le
succès d'une belle bataille, prêchait-il dès 1985, suppose une organisation
collective, une utilisation de tous les moyens constitutionnels et
réglementaires, une parfaite maîtrise des débats de séance. L'organisation de
l'obstruction doit reposer sur des parlementaires compétents,... » - ce que
nous sommes ! - « ... aidés de collaborateurs productifs,... » - nous n'en
manquons pas ! - « ... tous se sentant portés par une partie au moins de
l'opinion publique. » Et M. Colmou de s'écrier : « N'obstrue pas qui veut. Si
l'obstruction consiste notamment à multiplier les prises de parole, encore
faut-il savoir de quoi l'on parle. » Hélas ! nous ne le savons que trop...
N'en déplaise à M. le président de l'Assemblée nationale, qui multiplie à
plaisir les déclarations dédaigneuses, pour ne pas dire offensantes, à l'égard
de l'autre chambre du Parlement,...
M. Patrice Gélard.
Exactement !
M. Yann Gaillard.
... vous avez fait ces jours-ci, mes chers collègues, votre devoir. Vous êtes
allés jusqu'à l'extrême limite des possibilités constitutionnelles et
réglementaires, mais sans jamais les dépasser, pour manifester aux yeux du
Gouvernement et de l'opinion votre opposition déterminée, j'allais dire
passionnée, à une manoeuvre de l'adversaire. Quelle manoeuvre ? Celle de
l'inversion du calendrier. Une manoeuvre qui vient troubler l'intervention
prévisible du suffrage universel et embarrasser la parole du peuple souverain
en 2002.
Et pourquoi cette manoeuvre vous paraît-elle à ce point détestable ? Qu'est-ce
qui, en elle, par-delà les arguments constitutionnels ou les considérations
pratiques, nous a fait sortir de notre modération naturelle ? Pourquoi
n'avons-nous pas hésité à briser le miroir, pour ne pas parler de fendre
l'armure ? N'est-ce pas tout simplement parce que nous avons éprouvé un
sentiment très profond, ancré dans l'âme humaine, que les enfants éprouvent
avec force, dès leur plus jeune âge, le refus de la tromperie ?
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
La tromperie ou, si vous
préférez, l'imposture, car c'est bien de cela qu'il s'agit, en fin de
compte.
Chers collègues, nous sommes arrivés à l'heure où notre combat, entrepris dans
l'indifférence, le scepticisme et l'ironie, commence à rencontrer l'intérêt des
uns et des autres, ce qui est bien normal puisque nous sommes sur le point de
gagner !
Oui, quelque chose est en train de basculer. Certes, nombre de personnes
connaissent d'expérience la « dangerosité » du Sénat, institution qui a de la
mémoire, sinon de la rancune, et qui digère les affronts avec l'apparente
tranquillité de la mule du pape. Mais le seul esprit de corps n'aurait pas
suffi à soutenir notre courage, non plus que le seul intérêt politique de notre
camp.
Quant aux arguments juridico-constitutionnels, après tant d'orateurs
compétents, je ne saurais, à ce stade de nos débats, les reprendre. Entre nous,
d'ailleurs, qui peut croire qu'une querelle juridique puisse jamais être vidée
?
(Sourires.)
Il y avait un enjeu plus profond, un plus secret et plus puissant ressort pour
expliquer votre constance, c'était bien le sentiment de l'imposture et
l'indignation qu'il suscite dans les âmes bien nées.
Triple imposture, en effet. D'abord, le Premier ministre et les siens ont joué
aux gaullistes d'occasion en se faisant soudain les interprètes inspirés d'une
doctrine qu'ils ont toujours combattue.
M. Jean Chérioux.
C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Yann Gaillard.
Ils me rappellent ce doctrinaire de la Restauration qui s'adressait à un
républicain en ces termes : « Je vous réclame au nom de vos principes la
liberté que je vous refuse au nom des miens. »
(Rires sur les travées du
RPR.)
Ils se sont ainsi arrogé le droit de vous faire la morale au nom d'une
primauté présidentielle dont ils découvraient les vertus alors qu'ils l'avaient
toujours combattue, n'hésitant pas même à jouer sur du double sens du mot «
premier », qui dénote, d'abord, l'ordre d'importance et connote, ensuite,
l'ordre chronologique. Mais à quoi bon reprendre cette réfutation qui a été
présentée quarante fois au moins dans cet hémicycle ?
On ne le dira jamais assez : la Constitution de la Ve République suppose une
double lecture, présidentielle et parlementaire, parce que la vision de son
fondateur n'était pas celle d'un doctrinaire mais celle d'un pragmatique
inspiré par un intérêt supérieur.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Yann Gaillard.
Deuxième imposture : s'être avancé masqué,
larvatus prodeo
, sous le
couvert d'une proposition de loi ou plutôt de la réunion providentielle de
plusieurs propositions de loi dont certaines étaient inspirées, on le sait
bien, par le désir de revanche ou l'ambition. De cette dernière, seul l'avenir
pourra dire éventuellement si elle aura été justifiée par les talents.
Ce faisant, le Premier ministre, qui s'était jusque-là présenté comme un homme
de conviction et de rigueur, se prêtait au jeu des majorités tournantes. Ce
converti aux institutions de la Ve République recourait, néophyte si vite
infidèle pour affirmer sa conviction nouvelle, aux pires procédés de la IVe
République, trompant ses alliés de la majorité plurielle - mais cela, c'est
leur affaire ! - et les remplaçant par quelques alouettes venues du centre !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Elles viennent de chez le meilleur faiseur !
(Sourires sur
les travées du RPR.)
M. Yann Gaillard.
Même mon ancien maître Edgar Faure n'eût osé parler à ce propos d'une majorité
d'idée, car, d'idée, ici on n'en voit guère, sinon celle, ancienne comme le
monde, que résume la formule bien connue : « Ôte-toi de là que je m'y mette !
».
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mais la troisième tromperie, la plus regrettable de toutes et qui ne peut se
pardonner, même en politique, c'est le manquement à la parole donnée.
Du 19 octobre au 26 novembre 2000, il n'aura guère fallu plus d'un mois pour
que des intentions hautement proclamées devant le pays soient abandonnées avec
cynisme devant le parti.
Je relis la déclaration vertueuse et apparemment raisonnable du 19 octobre
2000 sur ce qu'il est convenu d'appeler l'inversion du calendrier, déclaration
faite avant la décision : « Toute initiative de ma part serait interprétée de
façon étroitement politique, voire politicienne. Moi j'en resterai là, et il
faudrait vraiment qu'un consensus s'exprime pour que des initiatives puissent
être prises. »
Mes chers collègues, avec le recul, comme ces mots sonnent bizarrement ! «
Consensus », « esquisse », « des initiatives »... Que recouvre d'ailleurs cet
article indéfini ?
Qui ne voit qu'en réalité tout cela était préparé de longue main, et de
surcroît à la faveur de l'obscurité, comme en se cachant ? Après tout, en
effet, qu'est-ce qui empêchait le Premier ministre de se déclarer en temps
utile pour l'inversion des calendriers électoraux ?
C'était son droit, et il ne manque pas d'arguments à l'appui d'une telle
position, à commencer par celui, tout puissant en politique, de l'intérêt
électoral bien compris, et plus ou moins bien calculé, car c'est un calcul
toujours aléatoire.
Certes, mais il eût fallu renoncer à duper quelque temps encore les
communistes et les Verts - dupes d'ailleurs fort complaisantes - faire tomber
plus tôt que prévu le masque du gestionnaire cohabitationniste, peut-être même
en période de présidence française de l'Union européenne, et faire apparaître
celui du candidat. Encore que l'on ne sache plus très bien, dans ce méli-mélo
de la cohabitation, ce qui est masque et ce qui est visage !
(M. Hilaire Flandre rit.)
Chers « collègues escargots », puisse notre obstination dans cet hémicycle
contribuer devant le pays à faire tomber les masques, tous les masques !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous
sommes réunis pour nous prononcer sur une proposition de loi organique visant à
inverser le calendrier électoral de 2002 en prolongeant les pouvoirs de
l'Assemblée nationale jusqu'au troisième mardi de juin 2002 au lieu du premier
mardi d'avril, afin que la prochaine élection présidentielle ait lieu avant des
élections législatives.
Toute velléité de prolonger un mandat électoral présente inévitablement un
caractère douteux et très politicien.
Afin de tenter de donner quelque noblesse à ce qui n'est rien d'autre qu'une
manoeuvre électorale, les partisans de cette proposition de loi organique se
réfèrent à l'esprit des institutions qui commanderait de commencer par
l'élection présidentielle avant de passer aux élections législatives.
Ne nous y trompons pas : dans la catégorie des manoeuvres politiciennes et
partisanes, la présente proposition de loi organique est un modèle du genre
!
Ce texte est d'abord, et avant tout, le produit d'arrière-pensées politiques,
le fruit de longues tractations et de complexes marchandages. Force est de
constater que c'est avec talent que vous tentez de maquiller une manoeuvre
politique sous un habillage juridique méticuleux !
Pourtant, les valeurs définies par la Constitution se placent à la tête des
valeurs juridiques normatives. Tous les organes législatifs et exécutifs de
notre pays doivent donc les respecter. Rappeler à certains que la loi
fondamentale est intangible et qu'il est impératif de la protéger est donc
essentiel, car la proposition de loi organique qui nous est aujourd'hui soumise
ne dispose d'aucun fondement constitutionnel !
Il n'est en effet nulle part écrit dans la Constitution que l'élection
présidentielle doit avoir lieu avant les élections législatives : chaque
élection doit intervenir lorsque son échéance naturelle survient.
Les élections législatives doivent ainsi avoir lieu aux dates définies à
l'article L.O. 121 du code électoral, c'est-à-dire dans les deux mois qui
précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection,
comme c'est le cas depuis 1958.
Qu'il me soit permis de rappeler à nouveau que les élections législatives ont
déjà précédé l'élection présidentielle à trois reprises, et ce de manière tout
à fait normale : les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle
le 21 décembre 1958, soit un mois après la naissance de la Ve République ; les
23 et 30 juin 1968, pour une élection présidentielle les 1er et 15 juin 1969 ;
les 4 et 11 mars 1973, pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai
1974.
Que les élections législatives interviennent avant l'élection présidentielle
s'est donc déjà produit durant la Ve République. Cette situation est tout à
fait normale, d'autant qu'aucun événement n'est intervenu dans la vie politique
de notre pays. Il n'y a en la circonstance aucun caractère exceptionnel qui
nécessiterait, contrairement à ce que le Premier ministre affirmait dans son
discours devant l'Assemblée nationale le 19 décembre dernier, de « rétablir le
calendrier normal quand il est encore temps ».
L'attitude de votre gouvernement, madame le secrétaire d'Etat, est totalement
inadmissible. Elle est aussi fondamentalement indéfendable. Il n'y aurait pas
d'autre politique possible, il n'y aurait pas d'autre solution envisageable.
Dans ce cas, pourquoi avez-vous laissé s'engager des négociations et des
tractations au sein de votre majorité ? A la vérité, les choses n'étaient
peut-être pas si évidentes.
Une fois encore nous constatons que lorsque la gauche est au pouvoir et le
parti socialiste aux commandes, ils se servent des institutions bien plus
qu'ils ne les servent ! Avec vous, les lois sont faites sur mesure, non dans
l'intérêt supérieur du pays mais pour servir des ambitionspersonnelles. Vous
n'hésitez pas à « triturer » les rendez-vous des Français avec la démocratie,
et ce au nom de la tradition républicaine.
Prenez garde, les Français ne sont ni dupes ni incultes, ils savent
pertinemment que la tradition républicaine impose au contraire le respect des
échéances électorales et politiques.
Or, nous l'affirmons avec force, la proposition de loi organique qui nous est
soumise aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la Constitution qui ne
définit, ni en pratique ni en théorie, l'ordre des élections.
La présente proposition de loi organique affecte donc le coeur même de nos
principes constitutionnels. Elle est en outre inutile.
Il est, en effet, parfaitement inutile de modifier le calendrier électoral,
puisque celui-ci est en réalité commandé par des éléments d'ordre
constitutionnel que la loi organique ne peut en aucun cas modifier : droit de
dissolution, démission ou décès du Président de la République.
Si cette proposition de loi organique est adoptée et que le Président de la
République dissout l'Assemblée nationale, démissionne, ou décède quelque temps
après son élection, que se passera-t-il ? Le calendrier électoral sera de
nouveau modifié !
Si le Gouvernement veut, dans le cas où l'élection présidentielle et les
législatives auraient lieu la même année, que l'élection présidentielle précède
les élections législatives, cela est possible, mais seulement à condition
d'intégrer ce principe dans notre Constitution.
Or, si nous le faisons, se posera un autre problème : celui de
l'incompatibilité de ce principe avec le droit de dissolution. En vertu de
l'article 12 de la Constitution, les élections législatives doivent en effet
intervenir dans un délai de vingt jours au moins et de quarante jours au plus à
compter de la date de la dissolution. Le droit de dissolution est donc
susceptible de changer le calendrier électoral à tout instant.
L'intégration de ce principe dans notre Constitution serait également
incompatible avec le droit de démissionner du Président de la République et
elle n'aurait pas de sens dans l'éventualité de son décès. Ce serait même
complètement surréaliste, puisqu'il faudrait, en plus d'ôter au Président de la
République le droit de démissionner ou de dissoudre l'Assemblée nationale, lui
interdire de mourir !
La proposition de loi organique qui nous est soumise ne peut en aucun cas
constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances
électorales. Personne ne peut programmer à sa guise le calendrier électoral.
Soutenir le contraire est absurde. En fait, cette proposition de loi organique
ne vise qu'à satisfaire l'appétit de pouvoir et les ambitions d'un homme, M.
Lionel Jospin.
Dans une démocratie vivante, la vie politique est rythmée par le calendrier
électoral. Or, dans notre système institutionnel, la durée inégale des mandats
électifs entraîne immanquablement ce type de coïncidence et de télescopage. Il
n'y a là rien d'anormal.
Ce qui est éminemment choquant, c'est d'inverser l'ordre des éléctions dans un
contexte qui ne l'exigeait pas.
Admettons en effet un instant la théorie selon laquelle l'élection
présidentielle doit intervenir avant les élections législatives. Pour que cette
théorie soit applicable, deux mesures devraient être mises en oeuvre.
Il faudrait, d'abord, supprimer l'article 12 de la Constitution, qui prévoit
le droit de dissolution.
M. Patrice Gélard.
Non !
M. René Garrec.
Si, sinon cela ne fonctionne plus !
M. Patrice Gélard.
Il faudra en débattre !
M. Jean-Paul Emorine.
En effet, le maintien de ce droit permettant au Président de la République de
dissoudre l'Assemblée nationale, les élections législatives balaieraient alors
l'inversion. Or cet article est très clair. Il fait du droit de dissolution une
prérogative personnelle du Président de la République.
M. Serge Vinçon.
Absolument !
M. Jean-Paul Emorine.
Il revient donc à ce dernier de décider de manière discrétionnaire s'il doit
ou non faire usage de ce droit dont l'exercice n'est subordonné à aucune
condition de fond.
Il est subordonné seulement à des conditions de forme, mais elles sont
pratiquement négligeables : le Président de la République doit, avant de
prononcer la dissolution, consulter le Premier ministre, le président du Sénat
et le président de l'Assemblée nationale. Mais il n'est nullement tenu de
suivre leur avis. En tant que pouvoir propre du Président, le décret de
dissolution n'a pas à être contresigné par le Premier ministre. Ce qui
caractérise le droit de dissolution prévu par l'article 12, c'est qu'il
constitue, pour le Président de la République, un pouvoir propre et effectif,
une prérogative personnelle. Or la présente proposition de loi organique
occulte totalement cette prérogative présidentielle.
Il faudrait, ensuite, élire, en même temps que le Président de la République,
un vice-président, comme cela se fait dans d'autres pays, de façon à assurer la
présidence jusqu'au terme du mandat électoral du Président en cas de démission
ou de décès de celui-ci. Mais cela ne correspond en aucun cas à la Constitution
de 1958.
M. Serge Vinçon.
Ce n'est pas non plus la tradition en France !
M. Jean-Paul Emorine.
En réalité, le Président de la République dispose du droit de fixer le
calendrier électoral. Ce droit découle purement et simplement de son droit de
dissolution. En conséquence, cette proposition de loi organique remet en
question une prérogative personnelle du Président de la République, ce qui est
fondamentalement inconstitutionnel.
M. Hilaire Flandre.
... et incorrect !
M. Jean-Paul Emorine.
La succession à des dates rapprochées de deux consultations de nature très
différente peut-elle être nuisible à la clarté de l'expression du suffrage
universel par les effets d'influences réciproques ainsi induits ?
L'élection présidentielle a-t-elle des effets d'influence sur les élections
législatives ? Il semblerait que vous ayez répondu par l'affirmative à cette
question.
Vous pensez qu'en reportant les élections législatives l'onde de choc de
l'élection présidentielle sera telle que la gauche touchera le gros lot à ces
élections législatives.
Si, avec un tel pari, nous ne connaissons pas encore le vainqueur, nous savons
déjà qui sera la grande perdante : la démocratie.
En 2002, les élections législatives doivent précéder l'élection
présidentielle, en raison de la dissolution survenue en 1997. La proposition de
loi organique visant à inverser cet ordre constitue un report sans précédent
dans l'histoire de la Ve République, qui aura pour conséquence la prolongation
du mandat des députés sortants.
Est-il logique que les députés prennent eux-mêmes la décision de proroger leur
mandat ? Un événement particulier est-il survenu pour justifier que soit prise
une telle mesure ? N'y a-t-il pas, ici, une atteinte flagrante à la démocratie
? N'en déplaise à certains, admettre ce principe ouvre la porte à de multiples
abus.
L'article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique pour fixer « la
durée des pouvoirs de chaque assemblée ». Il n'autorise en aucun cas à faire
varier les différentes législatures en fonction des
desiderata
de ses
membres. La loi organique fixe une durée invariable du mandat législatif, et
non une durée variable comme le dispose l'objet de la proposition de loi que
nous étudions aujourd'hui.
Par ailleurs, comme l'a brillamment démontré M. Louis Favoreu lors de son
audition devant la commission des lois mardi 9 janvier dernier
(M. Gérard
César opine),
la réforme entreprise va à l'encontre de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel.
Si le Conseil constitutionnel a accordé des reports de dates d'élections, par
des décisions intervenues en 1990, en 1994 - pour deux d'entre elles - et en
1996, celles-ci concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées
locales, à savoir, les conseils municipaux et les conseils généraux pour les
trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière. En
conséquence, les enseignements que l'on peut tirer de ces décisions
s'appliquent
a fortiori
à la prorogation du mandat de l'Assemblée
nationale.
Or, le Conseil constitutionnel a, chaque fois, validé la démarche, en la
subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère
exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle
justification.
Les motifs retenus par le Conseil constitutionnel ont été, par exemple, de
favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de
l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec
une réforme du statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux
informés des conséquences de leur choix.
Cette jurisprudence étant bien entendu transposable au cas d'une élection
nationale, le Conseil constitutionnel serait donc amené à exercer un véritable
contrôle des motifs de la modification proposée.
En outre, l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel, dans ses
recommandations du 23 juillet 2000, aurait donné par avance une justification à
l'inversion du calendrier est récusée par M. Louis Favoreu, qui estime que la
seule préoccupation du Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date
limite de présentation des candidats, peut être parfaitement satisfaite. Il
suffit de fixer la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et de clore
les présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une
élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Cette proposition de loi organique ne repose sur aucun fondement
constitutionnel, contrairement à ce que ses partisans veulent essayer de nous
faire croire. Elle n'est fondée que sur des arguments inconstitutionnels :
suppression du droit de dissolution et de démission du Président de la
République, sans oublier l'interdiction de son décès, ou encore l'atteinte aux
pouvoirs propres du Président de la République et la prorogation sans aucune
justification du mandat des députés sortants.
Sur le plan purement politique aussi, cette proposition de loi est
indéfendable.
Vous faites disparaître un grand moment civique, les élections législatives,
derrière l'autre grand moment civique, l'élection présidentielle.
Après l'euphorie de la campagne pour l'élection présidentielle, on peut en
effet légitimement penser que les Français n'auront ni le temps ni la
possibilité, et encore moins l'envie, de s'intéresser aux élections
législatives, alors que chacun sait qu'ils leur accordent une place
privilégiée.
Madame le secrétaire d'Etat, vous auriez pu trouver un autre argument que
celui sur lequel vous avez bâti votre démonstration. La faiblesse de votre
argumentation est évidente. Etonnez-vous, après cela, que votre projet
n'emporte pas notre conviction.
S'il avait voulu respecter le calendrier électoral, le Gouvernement aurait pu
proposer la tenue des élections législatives à la mi-mars 2001. Réduire de deux
ou trois semaines le mandat législatif aurait effectivement été plus
judicieux.
J'ajouterai que cette solution, acceptable par tous, n'aurait fait l'objet
d'aucun recours devant le Conseil constitutionnel. Voilà, monsieur le
rapporteur, mes chers collègues, une autre solution possible, réalisable,
conforme à l'esprit et à la lettre de la Constitution, et préservant l'intérêt
général. D'ailleurs, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas voulu la retenir ou
tout au moins l'explorer, sinon parce qu'il est animé d'arrière-pensées
politiques ?
S'il est un sujet qui se prête à une concertation élargie, c'est bien
celui-là. Or vous ne l'avez pas voulue. Et pour cause ! Vous portez ainsi un
coup préjudiciable au bon déroulement de notre vie démocratique.
Vous savez également que votre proposition de loi engendrera des difficultés
insurmontables au moment où il faudra faire la part entre ce qui relève de la
campagne pour l'élection présidentielle et ce qui a trait aux élections
législatives.
Mes chers collègues, je veux réaffirmer que ce ne sont que des préoccupations
politiciennes et des considérations purement tactiques qui motivent le texte
qui nous est présenté. Le Gouvernement espère tirer profit aux élections
législatives de la dynamique de la victoire de l'un des siens à l'élection
présidentielle.
Mais, après tout, cela importe peu. S'il est une manipulation que vous ne
pourrez pas accomplir, c'est bien celle qui consiste à contrarier la volonté
d'une majorité de Français qui s'opposent et s'opposeront davantage à votre
politique.
Plus nombreux sont, chaque jour, celles et ceux qui mesurent les conséquences
et les méfaits de la gestion du Gouvernement.
Avec d'autres, nous saurons tirer tous les avantages de ces mesures néfastes
que représentent aussi bien cette modification du calendrier électoral que
l'ensemble de la politique du Gouvernement.
Outre les arguments inconstitutionnels sur lesquels cette proposition de loi
organique est fondée, au-delà des calculs politiques qui l'animent, elle
soulève, enfin, un problème plus grave, qui touche à la nature même de notre
régime.
Comme l'ont souligné bon nombre de mes collègues, le régime de la Ve
République présente un caractère mixte, à la fois parlementaire et présidentiel
: les emprunts au régime parlementaire sont d'autant plus nombreux que c'est un
tel régime que les constituants ont voulu établir. Ils ont donc inscrit dans
l'article 49 de la Constitution, ainsi qu'ils y étaient tenus par la loi
constitutionnelle du 3 juin 1958, la règle fondamentale du régime parlementaire
en prévoyant que le Gouvernement était responsable devant l'Assemblée
nationale. Ils ont fait du Gouvernement un organe collégial et solidaire. Ils
ont organisé sa collaboration constante avec les assemblées sur le plan
législatif. Ils ont soumis le Président de la République à l'obligation du
contreseing pour certaines de ses décisions. Ils lui ont attribué un pouvoir
propre, le droit de dissolution, qui est tout à fait significatif puisqu'on ne
le trouve dans aucun pouvoir présidentiel. Ainsi, il existe des éléments
incontestables de rattachement de la Ve République au régime parlementaire.
Mais la Ve République a également fait des emprunts au régime présidentiel.
La Constitution a nettement séparé mandat parlementaire et fonctions
ministérielles, et la révision de 1962, en faisant du Président l'élu direct
des électeurs, lui a assuré une autorité peu compatible avec le rôle qui est
celui du chef de l'Etat dans les régimes parlementaires contemporains. Mais
l'essentiel réside dans le fait que le Président de la République s'est saisi
de la plénitude du pouvoir, qu'il fixe les objectifs que le Premier ministre
est chargé de réaliser et, enfin, qu'il contrôle les moyens que ce dernier
emploie. S'il y a convergence d'orientation politique entre la majorité et
lui-même, le Président de la République peut choisir le Premier ministre
librement. Il participe au choix des ministres, il convoque le conseil des
ministres, il s'adresse à la nation et, enfin, au moins dans certains domaines,
notamment dans celui de la politique étrangère, il engage l'Etat indépendamment
du Gouvernement.
On est là très loin du régime parlementaire. Alors que ce dernier associe
constamment autorité et responsabilité, sous la Ve République, le Gouvernement
responsable ne dispose pas du pouvoir ultime et le Président qui en dispose est
irresponsable.
La Ve République participe donc à la fois d'un régime parlementaire et d'un
régime présidentiel. Elle possède un caractère mixte.
La question que pose cette proposition de loi organique est donc la suivante :
souhaite-t-on mettre fin à la Ve République pour créer une nouvelle république
? Pour ma part, je pense que nous disposons de bonnes institutions qui ont
démontré leur valeur depuis 1958.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
Or, quelles seraient les conséquences de cette proposition de loi organique si
ce n'est une modification de la nature du régime de la Ve République ?
Dans son audition par la commission des lois, le mardi 9 janvier dernier, M.
Pierre Pactet a montré que cette proposition de loi organique conduirait à la
présidentialisation de notre régime.
En effet, se prononçant contre un changement de régime, il a regretté que le
quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel, puisse être suivi d'un
deuxième pas plus accentué, celui de l'inversion du calendrier électoral,
rappelant ensuite que le régime présidentiel ne fonctionnait que dans un seul
pays, les Etats-Unis.
La conséquence serait une présidentialisation du régime de la Ve
République.
Les opposants au vote de cette proposition de loi organique affirment en effet
que vouloir volontairement modifier le calendrier électoral en faisant passer
l'élection présidentielle avant les élections législatives conduirait à
conférer un caractère mineur aux élections législatives au profit de l'élection
présidentielle. La démocratie s'en trouverait alors gravement compromise.
En effet, l'élection présidentielle pousse à la bipolarisation de la vie
politique. Chacun s'organise autour de personnalités dites « présidentiables ».
Faire passer l'élection présidentielle avant les élections législatives
conduirait à la bipolarisation de l'élection des députés jusqu'alors épargnée
par ce jeu politique. Les députés, choisis en fonction de leur proximité avec
le Président, se verraient relégués à un rôle d'auxiliaires du pouvoir
exécutif...
M. Louis de Broissia.
Ce qu'ils sont déjà !
M. Jean-Paul Emorine.
... disposant de l'essentiel des pouvoirs, ce qui serait inquiétant pour la
démocratie.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Hilaire Flandre.
On appelle cela des godillots !
M. Jean-Paul Emorine.
Ceux qui sont favorables à la présidentialisation du régime souhaitent le vote
de cette proposition de loi, dans la mesure où cela permettrait de préserver ce
temps fort que constitue l'élection présidentielle.
Ils redoutent en effet que le maintien des élections législatives avant
l'élection présidentielle n'entraîne un second tour qui opposerait deux
candidats dont l'un serait, s'il était élu, soutenu par une majorité au sein de
l'Assemblée nationale, tandis que l'autre serait, dans le même cas,
a
priori
« empêché » par une majorité hostile. Cela conduirait à diminuer le
prestige de l'élection présidentielle et à accepter par avance que les députés
prennent le pas sur le Président de la République.
Cette proposition de loi organique touche donc à la nature même de notre
régime, lequel a jusqu'à présent bien fonctionné, en permettant la stabilité
des institutions et de l'exercice des pouvoirs.
Je ne puis affirmer fermement que son adoption mènerait à une
présidentialisation du régime ; ce que je puis affirmer, en revanche, c'est que
les institutions de la Ve République seront affectées d'une manière ou d'une
autre.
Comme l'a parfaitement souligné M. Louis Favoreu lors de son audition par la
commission des lois, il est préférable de toucher le moins possible aux
institutions, car les conséquences de telles réformes sont difficiles à
prévoir. Gardons-nous donc de prendre ce risque : les institutions de la Ve
République sont bonnes et précieuses.
L'unique défaut du régime de la Ve République est le risque de cohabitation.
Les partisans de la proposition de loi organique que nous étudions aujourd'hui
nous affirment que celle-ci permettrait d'éviter à l'avenir ce risque. Je n'en
crois rien : si l'on veut établir une garantie absolue contre la cohabitation,
il est nécessaire de changer de constitution.
Deux options s'ouvrent alors à nous : bâtir une constitution calquée sur le
modèle de la IIIe République, confinant le Président de la République dans un
rôle secondaire et revenant à un régime purement parlementaire, ou bien bâtir
une constitution selon le modèle américain, en instituant un régime
présidentiel, ce qui implique la suppression du poste de Premier ministre, du
droit de dissolution et de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée
nationale.
Cependant, nous connaissons tous les dérives qu'a connues le régime
parlementaire de la IIIe République. Quant au régime présidentiel, je
m'interroge sur la façon dont serait résolu, dans ce cadre, un conflit qui
pourrait survenir entre le Président de la République et l'Assemblée
nationale.
Ne nous y laissons pas prendre : cette proposition de loi organique, outre le
fait qu'elle méprise la Constitution et porte atteinte à la nature même de nos
institutions, n'est qu'une pure manoeuvre politicienne.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
Derrière un argument institutionnel se cache la véritable raison d'être de
cette proposition de loi organique : une pure mesure de convenance au service
de l'ambition électorale du Premier ministre et du parti socialiste !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Lanier.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Lucien Lanier.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
sujet dont nous débattons paraît, comme l'indiquait récemment notre excellent
collègue Josselin de Rohan, en décalage évident avec les préoccupations et les
attentes de nos concitoyens, qu'il s'agisse de la sécurité, de plus en plus
mise à mal, à l'heure actuelle, qu'il s'agisse de l'avenir des retraites dont
le nombre va s'accroissant, qu'il s'agisse de l'approfondissement de la
décentralisation ou du rôle de l'Etat et de ses agents, de l'adaptation de la
fiscalité, des moyens de fonctionnement de la justice, de la place et du rôle
de la France dans une Europe entrant dans certaines phases décisives de sa
constitution. Bref, tous ces sujets suscitent l'intérêt de nos concitoyens, car
ces derniers se sentent directement intéressés par eux et surtout parce qu'il
ressentent, au fur et à mesure que le temps passe, l'urgence - oui, l'urgence -
de solutions solides et stables, en tout cas de solutions capables d'épouser
leur temps et de s'adapter à l'avenir.
J'en déduis qu'il existe une hiérarchie des urgences face à tant de sujets
évoqués, et que l'urgence qui nous est aujourd'hui proposée suscite ou peut
susciter certains doutes. Non pas que le sujet soit dénué d'importance, au
contraire, si l'on veut bien le considérer comme inclus dans le cadre des
institutions et comme susceptible d'apporter amélioration et rigueur à ces
dernières. Mais est-ce bien le cas, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Louis de Broissia.
Il faut laisser répondre M. le secrétaire d'Etat !
(Sourires.)
M. Lucien Lanier.
En effet, il s'agit, à première vue, de reporter du premier mardi d'avril au
troisième mardi de juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée
nationale, modification conduisant, en 2002, à l'organisation d'une élection
présidentielle juste avant les élections législatives.
La question, on le voit, prend toute son ampleur si l'on observe, d'une part,
qu'elle s'inscrit dans une réflexion à long terme sur l'important sujet du
rapport temps en politique et sur la régulation d'un calendrier se situant dans
la logique d'un Etat de droit et, d'autre part, que les conséquences de la
réforme proposée induisent l'évolution des rapports entre la fonction
présidentielle et la fonction législative.
Consciente de ces données, la commission des lois, suivie par une majorité du
Sénat, avait estimé que la réforme proposée méritait une réflexion générale
approfondie sur ses conséquences quant à l'avenir des institutions de la
République.
Elle avait donc entrepris cette réflexion le 9 janvier dernier par une
audition publique de très éminents constitutionnalistes et historiens, audition
au demeurant dénuée de toutes réactions passionnelles ou partisanes, mais non
de compétence, et dont la synthèse démontre le grand contraste dans
l'appréciation du sujet de la part d'esprits éminents par la hauteur de leurs
vues mais qui tous, en revanche, concluaient à la nécessité d'une réflexion
approfondie, telle que la souhaitait la commission des lois.
Dès lors, pourquoi cette réflexion, bien naturelle, n'a-t-elle pu avoir lieu ?
Tout simplement parce que le Gouvernement, changeant du tout au tout d'idées et
d'opinions sur le sujet, ne l'a pas voulu puisque, lors du congrès du parti
socialiste réuni à Grenoble, l'annonce fut faite
ex abrupto
, comme
l'indique notre excellent rapporteur Christian Bonnet, d'un « rétablissement »
et non plus d'une « inversion » du calendrier électoral ; ce qui fut voté par
l'Assemblée nationale sous forme d'une proposition de loi.
En effet, le Gouvernement n'a pas voulu prendre la responsabilité du dépôt
d'un projet de loi...
M. Yann Gaillard.
Tout à fait !
M. Lucien Lanier.
... probablement afin d'éviter l'examen du texte par le Conseil d'Etat ainsi
que son adoption en conseil des ministres sous la présidence du Président de la
République.
Enfin, la procédure d'urgence a été retenue pour l'examen de cette proposition
de loi, d'où un débat à marche forcée, aucun temps n'étant ménagé pour une
réflexion approfondie telle qu'elle était souhaitable et souhaitée par la
majorité du Sénat. Cette dernière pourrait donc, dès lors, et assez
logiquement, avouons-le, ressentir les fâcheux symptômes qui avaient marqué la
procédure employée dans la précipitation lors de l'examen du texte relatif au
quinquennat,...
M. Louis de Broissia.
Absolument !
M. Lucien Lanier.
... qui, à l'évidence, avait démontré le manque réel de globalisation des
réformes concernant la vie politique en général et les institutions en
particulier.
Avouons que la procédure ainsi déclenchée et suivie peut, aujourd'hui,
susciter des soupçons de manipulation. De telles procédures réitérées ne
cachent-elles pas en effet une certaine volonté du Gouvernement d'aboutir, à
petit bruit et à petits pas, à une réforme profonde des institutions,
subreptice, benoîte, mais conforme à des intérêts propres dont la somme n'a
jamais servi l'intérêt général, c'est-à-dire le seul intérêt qui doit être
reconnu lorsqu'il s'agit des normes concernant la Constitution du pays.
Celle-ci ne saurait être modifiée, comme le dit notre excellent rapporteur, par
petites touches intentionnelles et successives, dans une précipitation
occultant la véritable compréhension du sujet en cause.
Ce texte a été déclaré d'urgence, et ce non sans arrière-pensée. Pourquoi dès
lors nous reprocher notre méfiance et notre goût pour les idées claires, les
réflexions saines et les projets bien conçus. En un mot, pourquoi reprocher au
Sénat de faire son devoir et de remplir sa mission ?
M. Hilaire Flandre.
C'est vrai !
M. Lucien Lanier.
Pourquoi nous accuser d'organiser une course de lenteur interprétée comme de
l'obstruction aux débats parlementaires, sans parler d'épithètes aussi
obligeantes que celles de « mascarade » ou d'« indignes procédure » ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Et de « petite troupe » !
M. Lucien Lanier.
Je ne saurais d'ailleurs vous mettre en cause personnellement, monsieur le
secrétaire d'Etat, non plus que le ministre de l'intérieur, car vous faites
certainement preuve, par votre présence, d'une courtoisie mesurée et d'une
patience dominée.
(Applaudissemens sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Gérard César.
Très juste !
M. Louis de Broissia.
Et il écoute avec beaucoup d'attention !
M. Lucien Lanier.
Et vous avez raison, parce que la proposition de loi qui nous est soumise est
à prendre ou à laisser et que nous ne voulons pas de la procédure déplorable
qui fut retenue pour le quinquennat, ni voir passer en force et par la force
une proposition de loi qui, qu'on le veuille ou non, engage l'avenir sans
qu'elle ait pu être réfléchie et débattue comme elle le méritait.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Lucien Lanier.
Nous n'avons aucune illusion sur le sort qui sera réservé à l'amendement -
pourtant de bon sens ! - que recommandent la commission des lois et son
excellent rapporteur. Dès lors, nous n'avons que le choix de dire, et chacun
des sénateurs en est maître, notre propre pensée, celle que nous aurions pu
exprimer si avaient pu se produire, en étroite corrélation avec l'Assemblée
nationale, la réflexion indispensable et le vrai débat souhaité, dont je ne
désespère pas qu'ils puissent avoir lieu et qu'ils puissent, autant que
nous-mêmes, éclairer les Français sur les choix qu'ils seront amenés à
prendre.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Louis de Broissia.
En deuxième lecture !
(Sourires sur les mêmes travées.)
M. Lucien Lanier.
Nous aurions en effet gagné beaucoup de temps si le Gouvernement, au lieu de
brusquer les choses et d'attaquer par surprise, avait accepté ce grand débat où
auraient pu être examinées et pensées les normes de nos institutions, en
corrélation avec le monde qui se fait et dont nous sommes partie intégrante.
Croyez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il nous soit agréable que M. le
ministre de l'intérieur nous donne l'impression qu'on lui fait perdre son
temps, ce temps que requiert, particulièrement en ce moment, la gestion des
affaires, alors que l'échange des idées, dans un débat global, peut faire
naître les réformes qu'appelle la modification du monde ?
Il y a, dit Shakespeare « dans le ventre du temps, bien des événements à
naître ». Autant les prévoir que les subir !
Ce n'est pas par une petite politique au coup par coup que nous y parviendrons
; sans compter que le coup par coup échappe à nos concitoyens, peu au fait des
arcanes et des subtilités des dits et des non-dits, des franchises et des
sous-entendus, des bonnes procédures face aux mauvaises manoeuvres.
Ne nous étonnons pas si l'abstention devient pratique courante, plus
qu'indifférence : ne serait-elle pas mépris pour certaines formes de la vie
politique et incompréhension des sujets qui nous animent parce qu'ils sont mal
présentés et trop souvent incompréhensibles ?
C'est pourquoi nous récusons ce que j'ai appelé « la petite politique au coup
par coup ». Car de deux choses l'une : ou bien « l'inversion » du calendrier,
que le Gouvernement dénomme « rétablissement », est un acte qui se veut
institutionnel, ou bien, si je me réfère à notre excellent collègue Claude
Estier : « il ne s'agit pas de changer notre Constitution ou de rééquilibrer
les pouvoirs, même si nous pouvons le souhaiter. Il serait difficile d'engager
maintenant un débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à
quatorze mois d'extrêmes décisions ».
Je suis un citoyen bien simple, peut-être même simplet
(Exclamations sur les travées du RPR)...
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Mais non !
(Sourires.)
M. Lucien Lanier.
... mais qui comprend ce qui s'exprime clairement.
Qui faut-il croire : notre éminent collègue, excellent président du groupe
socialiste, dont les propos tendent à rassurer sur l'ampleur d'un simple
rétablissement du calendrier qui n'a rien de révolutionnaire, ou bien le
Gouvernement, qui, dans sa déclaration d'urgence, excipe de la fidélité à «
l'esprit des institutions » qu'aurait déformée la conséquence fortuite de la
dissolution d'avril 1997, devenue, bien sûr, au fil du temps, responsable
universelle, le Gouvernement, qui excipe aussi de l'instauration du quinquennat
« pour rendre plus rare l'exercice de la dissolution », élément important des
institutions, le Gouvernement, qui justifie, enfin, l'actuelle proposition de
loi, traitée de texte de très bonne qualité technique, dont l'ambition est de
rétablir « une cohésion institutionnelle », pour reprendre les propos tenus par
M. le ministre de l'intérieur ?
La cause me paraît entendue ! Après le quinquennat, la réforme du calendrier
est bien un texte porteur, au coup par coup, d'une réforme profonde des
institutions, assurant ainsi, par d'autres réformes, et par la même méthode du
fait accompli, une Constitution sur mesure.
Qu'on ne s'y trompe pas : ce n'est pas l'évolution que je conteste, c'est la
méthode pour y parvenir, consistant, comme le dit fort bien notre excellent
rapporteur, « à modifier périodiquement et partiellement, par petites touches
successives, les règles de nos institutions ».
Jusqu'où peut aller cette méthode ? Alors que M. le ministre de l'intérieur
appelle le Sénat « à rejoindre, dans sa sagesse, l'Assemblée nationale sur la
voie du bon sens pour assurer un fonctionnement normal de nos institutions »,
le président de l'Assemblée nationale lui-même, homme mesuré, parlementaire
compétent, esprit certainement cultivé, dénie au Sénat - il est vrai lors d'une
interview - le droit de « retenir un texte qui ne le concerne pas directement,
puisqu'il s'agit des réélections à l'Assemblée nationale ».
Ces propos, malheureux, furent corroborés sans aucun ambage mais non sans
surprise pour nous, par M. le ministre des relations avec le Parlement,
déclarant « qu'une chambre ne devait pas se mêler, de manière intempestive, des
pouvoirs concernant l'autre assemblée ». Propos surprenants de la part d'un
ministre auquel nous portons notre estime pour sa courtoise et efficace
amabilité habituelle !
La méthode que nous réprouvons - je pose la question très solennellement,
monsieur le secrétaire d'Etat - programmerait-elle déjà, par un prochain coup
par coup, la réforme de l'anomalie du bicaméralisme ?
Et pourtant, dans sa déclaration liminaire, M. le ministre de l'intérieur
excipait de la logique de nos institutions, en citant l'excellent propos de
Michel Debré : « Un chef de l'Etat et un Parlement séparés, encadrant un
Gouvernement issu du premier et responsable devant le second ». Le laconisme de
ce propos lui offre toute sa clarté et résume en une phrase toute l'âme de
notre Constitution, mais aussi sa sagesse, qu'avait voulue, avec Michel Debré,
le général de Gaulle, à savoir un régime présidentiel et aussi
parlementaire.
Cette conception, si souvent critiquée, offre toute sa souplesse aux rapports
des hommes et des idées dans le cadre constitutionnel. Elle ouvre la porte à
une certaine alternance et tend à éviter la formation pérenne de puissances
politiques écrasantes à pensée comme à sens uniques.
Le régime présidentiel prévaut, évidemment, lorsqu'il y a, pour le Président,
concordance de majorité avec l'Assemblée nationale, l'un et l'autre émanant du
suffrage universel. Le régime parlementaire prévaut en cas contraire.
Telle est bien la spécificité de la Constitution française, qu'il convient de
manipuler avec précaution avant de l'attaquer par des réformes ponctuelles.
Votre souci de rétablir le calendrier électoral débouche en effet, que vous le
vouliez ou non, sur la confirmation du régime présidentiel, en lui offrant,
dans la foulée, une majorité dont la puissance ne garantit pas forcément le
maintien de la cohésion. Plusieurs exemples récents sont là pour le prouver.
Nonobstant ce fait, vous pensez rendre plus rare et - pourquoi pas ? -
supprimer le droit de dissolution. Ne pensez-vous pas qu'au nom de ce que vous
dénommez « la dynamique de la cohérence » vous fragilisez le système ?
Car, dans leur sagesse, les auteurs de la Constitution ont prévu, pour les cas
de conflit aigu entre régime présidentiel et régime parlementaire, deux
soupapes de sécurité : la dissolution et la cohabitation, deux pis-aller à
n'employer qu'avec précaution et seulement en cas de crise aiguë, prélude à une
crise constitutionnelle.
Or, la logique de votre proposition de loi vous incite, non sans bon sens, à
rendre la dissolution rarissime et la cohabitation provisoire.
Etes-vous sûr de parvenir à cette fin, en soi louable ?
Tout d'abord, vous souhaitez, par son rétablissement, corriger un calendrier
qui fut inversé par ce que vous qualifiez d'incidents de parcours.
Vous souhaitez que, par sa pérennité, l'ordre rétabli du calendrier récrée la
dynamique de la cohérence. N'y-a-t-il pas un peu trop d'assurance dans votre
pensée, car bien des incidents de parcours, fort divers au demeurant, pourront
se produire et se produiront sûrement.
Voyez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, la loi propose, mais les événements
disposent, et ils commandent. Ils chambouleront à leur tour le bel ordre du
calendrier électoral que vous souhaitez, et peut-être beaucoup plus souvent
qu'on ne le croit. L'histoire nous rappelle, en effet, nombre d'événements
inopinés. Devrez-vous alors rétablir chaque fois le calendrier inopinément
bousculé sans éviter pour autant les risques de dissolution et moins encore de
cohabitation ?
Déjà, l'adoption du quinquennat, première adaptation ponctuelle et subreptice
de la Constitution, a eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation. Le
très estimé historien René Rémond le dénonçait récemment en déplorant l'absence
de toute réflexion quelque peu fondamentale sur la durée optimale de chacun des
pouvoirs.
Le peuple, vrai et seul souverain en démocratie, lui a fait écho en prouvant,
par son abstention, non son indifférence mais ses doutes sur la vérité d'une
réforme ponctuelle et partielle.
Etes-vous sûr que votre proposition de loi ne produira pas le même effet, en
concrétisant la pérennité d'une cohabitation qui a déjà persisté pendant plus
de trois ans ?
Car, qui peut prétendre que, pour deux élections, mêmes rapprochées mais fort
différentes, l'une reposant sur des candidatures relativement restreintes et
faisant appel au suffrage universel sur le plan national et l'autre conduisant
à choisir entre des candidats fort nombreux et faisant appel au même suffrage
universel - mais dans 577 circonscriptions électorales - le peuple votera dans
le même sens ?
Il se réfugiera alors dans la cohabitation, qui semble même lui convenir comme
un pis-aller, comme un partage à peu près égal des sensibilités dans la France
actuelle, solution dont tout le monde reconnaît qu'il s'agit d'une soupape de
sécurité, d'un système excellent dans le provisoire, déplorable dans la
durée.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Lucien Lanier.
Dans la foulée de vos deux réformes, le quinquennat et celle-ci, parce
qu'elles sont ponctuelles et partielles, restera un grand triomphateur : le
système de cohabitation cahin-caha, source de dissolution.
Est-ce cela que vous souhaitez ? Je ne le crois pas. Mais c'est bien ce que
vous risquez.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes parfaitement
conscients qu'une Constitution est un texte vivant qui permet à la société de
s'adapter, particulièrement dans un Etat de droit. Elle doit donc épouser son
temps, mais pas par des rapiéçages successifs, hâtifs et mal instruits.
C'est la faiblesse de la proposition de loi organique que soutient le
Gouvernement : nous avions le devoir de vous le dire.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
choix d'une proposition de loi plutôt que d'un projet de loi, à la déclaration
d'urgence faite par le Gouvernement, aux délais très brefs concédés aux
assemblées pour conduire leurs travaux, se sont ajoutés, comme l'ont rappelé
les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, les propos de M. le président
de l'Assemblée nationale pour qui le Sénat aurait quelque audace à « retenir »
un texte qui ne le concerne pas directement, puisqu'il traite des élections à
l'Assemblée nationale.
M. Forni a même dit : « Je ne vois pas une chambre se mêler de manière
intempestive des pouvoirs qui concernent l'autre assemblée. » Je ne crois pas
avoir entendu de telles déclarations lorsque l'Assemblée nationale, il y a
quelques mois, votait, contre l'avis du Sénat, la modification du mode de
scrutin sénatorial.
Vous me permettrez également de rappeler que le calendrier électoral de 2002
est connu depuis 1997. Si le Gouvernement estimait nécessaire de le modifier,
il eût été possible de le faire dès 1999 afin que nous puissions débattre de
manière sereine et approfondie.
A l'inverse, si le texte proposé s'inscrit dans une perspective à long terme,
prenant en considération la réduction de la durée du mandat présidentiel,
est-il réellement souhaitable qu'une telle discussion soit conduite dans
l'improvisation, quelques mois avant les élections ?
Je partage totalement le sentiment de notre excellent rapporteur, M. Christian
Bonnet : « Quoi qu'on en pense sur le fond, le texte que vous nous soumettez
est présenté soit trop tard, soit trop tôt. » En outre, un certain nombre de
déclarations de M. le Premier ministre montrent que le dépôt de ce texte est
manifestement une opération purement politicienne et de pure convenance
personnelle que je peux qualifier de tentative quasi présidentielle.
En effet, qui a dit, le 19 octobre 2000 : « Toute initiative de ma part serait
interprétée de façon étroitement politique voire politicienne. Moi, j'en
resterai là. Il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des
initiatives puissent être prises » ? Il s'agissait de M. Jospin, Premier
ministre, qui s'exprimait sur le changement de calendrier des élections de 2002
devant plusieurs millions de téléspectateurs lors d'une intervention
télévisée.
Qui a dit, le 26 novembre 2000 : « le calendrier électoral n'est pas cohérent
» et affirmé que « le printemps 2002 ne devait pas être un printemps de la
confusion et des choix de convenance, mais un printemps de la clarté » ? C'est
M. Jospin, candidat à l'élection présidentielle, profitant du congrès des
socialistes pour décider de la politique de la France et du changement de
l'ordre des élections en 2002.
Trois jours après ce revirement, le Gouvernement a annoncé l'inscription à
l'ordre du jour de l'Assemblée nationale d'une proposition de loi émanant du
groupe socialiste et tendant à prolonger le mandat des députés, afin que
l'élection présidentielle se déroule avant les élections législatives.
D'ailleurs, cette proposition de loi n'est pas très courageuse, car le
Gouvernement aurait pu déposer un projet de loi. En plus, l'urgence a été
déclarée sur ce texte. Pour quelqu'un qui ne voulait pas changer les règles du
jeu avant les élections, il s'agit bien d'un revirement !
En effet, comme l'a dit Mme Voynet : « Pour justifier le refus d'introduire
une dose de proportionnelle, on m'explique que l'on ne change pas la règle du
jeu à un an des élections. Pourquoi la changer pour ce qui est du calendrier
électoral ? » Ce changement d'attitude relève de la tricherie, M. Jospin
manipulant le calendrier pour satisfaire ses propres intérêts. Les Français
l'ont d'ailleurs bien compris, puisqu'une majorité d'entre eux qualifient de
manoeuvre politique cette inversion.
Ce changement d'attitude trouve également son origine dans le doute. En effet,
M. Jospin a certainement peur des élections législatives et des dissensions qui
pourraient apparaître au sein de la gauche plurielle. N'oublions pas, mes chers
collègues - beaucoup d'entre nous l'ont rappelé - que plus de quarante
triangulaires impliquant des candidats du Front national ont permis à la gauche
d'être majoritaire aux dernières élections législatives.
Si ce simple rappel montre le caractère politicien de ce texte, sa principale
justification, la logique d'institution, ne répond pas à l'objectif affiché par
ses auteurs, elle ressemble plutôt à un prétexte. En effet, pour faire en sorte
que la situation prévue en 2002 ne puisse plus se reproduire, il serait
nécessaire que tous les présidents de la République achèvent désormais leur
mandat et que le droit de dissolution ne soit plus utilisé !
Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de souligner qu'à vouloir
modifier dans l'urgence la date d'une consultation électorale, le législateur
risque de créer de nouvelles et futures difficultés.
En effet, si le calendrier proposé doit être retenu et perdurer, il convient
d'ores et déjà de noter que, en 2007, comme en 1995, les élections municipales
précéderont l'élection présidentielle. De plus, elles seront couplées avec des
élections cantonales. Or ces consultations devront vraisemblablement être
déplacées, comme en 1995, pour éviter de rendre impossible la procédure de
parrainage des candidats à l'élection présidentielle.
En 1995, les élections municipales ont été reportées au mois de juin. Un tel
choix pourrait s'avérer difficile, sinon impossible, si les élections
législatives étaient organisées au cours du même mois. Un report en septembre
ne poserait pas moins de difficultés compte tenu, nous connaissons bien le
problème dans cette maison, de l'organisation d'élections sénatoriales.
Il semble donc que la méthode consistant à modifier par petites touches, par
petits bonds les règles de fonctionnement de l'institution atteint largement
ses limites. Mais il est vrai, mes chers collègues, que ce n'est pas le souci
principal de M. Jospin !
A cet argument de bon sens, largement développé par le rapporteur du Sénat,
vous me permettrez de rappeler que l'affirmation selon laquelle il y aurait une
tradition constitutionnelle sur l'ordre des deux élections est tout autant
erronée.
Les élections législatives ont en effet précédé les élections présidentielles
à trois reprises : premièrement, les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection
présidentielle le 21 décembre 1958, soit moins d'un mois d'écart pour la
naissance de la Ve République ; deuxièmement, les 23 et 30 juin 1968, pour une
élection présidentielle qui s'est tenue les 1er et 15 juin 1969 au suffrage
universel, soit moins d'un an d'écart ; troisièmement, les 4 et 11 mars 1973,
pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai 1974, soit quatorze mois
d'écart. Le Président Giscard d'Estaing, qui s'élève aujourd'hui en donneur de
leçons de droit constitutionnel, n'a pas cru devoir à l'époque dissoudre
l'Assemblée nationale, pour assurer la prééminence de son programme sur celui
des partis qui constituaient alors la majorité parlementaire.
Les auteurs de cette proposition de loi veulent en effet ajouter à la
Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont jamais été
débattues depuis 1958. En effet, chacune des élections à venir interviendra en
fait à son échéance naturelle.
Les élections législatives auront lieu aux dates normales prévues par
l'article LO 121-1 du code électoral, c'est-à-dire dans les deux mois qui
précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection.
Il en est ainsi depuis 1958. C'est donc la norme depuis presque cinquante ans.
Il n'y a rien d'exceptionnel à la situation de cette année ! Il n'y a donc rien
à rétablir.
Quant aux dates de l'élection présidentielle, elles sont fixées ainsi depuis
la disparition du Président Georges Pompidou, soit depuis plus de vingt-six
ans.
Les deux élections interviendront par conséquent à des moments pratiquement
habituels et prévus depuis toujours dès lors qu'elles ont lieu la même
année.
De plus, par ce stratagème qu'il convient de condamner, les auteurs de ce
texte remette en cause le droit de dissolution.
Or ce droit, prévu par l'article 12 de la Constitution, est absolu et il n'est
pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant les
élections législatives. Rien dans la Constitution ne soumet le droit de
dissolution à des questions de calendrier ; rien dans la Constitution ne vient
limiter ce droit.
Cela est si vrai que, même si cette proposition de loi est adoptée, il
pourrait arriver que des élections législatives aient lieu avant l'élection
présidentielle. Il suffirait, par exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, que
votre majorité n'en soit plus une, ce qui est probable dans nos institutions et
dans notre vie parlementaire et que le Président de la République soit conduit
à utiliser à nouveau son droit de dissolution.
En contestant ce droit, ceux qui soutiennent ce texte s'opposent en réalité à
l'un des principes de notre Constitution : le droit de dissoudre.
Par ailleurs, aucune disposition de la Constitution ne peut empêcher la
démission, voire le décès du président. Même M. Jospin, qui a écouté ses
laudateurs, ne peut rien à cela. Fort heureusement, me direz-vous !
Dans ces conditions, vous me permettrez d'être sceptique lorsque le Premier
ministre invoque l'esprit d'une Constitution - qui, pourtant, selon ses propres
termes, n'est pas sa référence - et lorsque, comme le soulignait à cette
tribune M. Josselin de Rohan, éternel défenseur de nos institutions, le parti
socialiste s'érige en professeur de gaullisme et ne cesse de nous en remontrer
dans ce domaine.
Mais, comme le remarque judicieusement notre excellent rapporteur
(Très
bien ! sur les travées du RPR),...
M. Emmanuel Hamel.
Le qualificatif « excellent » n'est pas suffisant !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
N'en jetez plus !
M. Gérard César.
Comme vous l'avez fait judicieusement remarquer, « les références à l'esprit
des institutions n'ont été accompagnées d'aucune définition de celui-ci ».
Monsieur le rapporteur, vous avez fait des citations extraites des ouvrages de
Michel Debré, que chacun s'accordera à reconnaître comme l'un des pères de la
Constitution.
Ces citations démontrent éloquemment qu'à tout le moins ni lui ni le général
de Gaulle n'étaient favorables à la coïncidence des mandats respectifs des
députés et du Président de la République. Michel Debré admettait même qu'il y
eût deux lectures de la Constitution. Aussi les exégètes qui en ont une vision
unique peuvent-ils être légitimement récusés.
Quant à nous, nous estimons que ceux qui ont toujours combattu la Constitution
de la Ve République et qui ne rêvent que de l'abolir ne peuvent s'en prévaloir
sans hypocrisie et sans un certain cynisme.
Ne nous laissons donc pas abuser. Cette proposition de loi organique n'est
qu'une réforme de convenance et, derrière son habillage institutionnel, elle
n'a pas d'autres inspirations que politiciennes.
Par ailleurs, sur le plan constitutionnel, lors des auditions menées par notre
commission des lois, le professeur Pactet a estimé que la réforme du
calendrier, sans bouleverser le régime de la Ve République, appelait néanmoins
de sérieuses réserves quant à la cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas
fait l'objet d'un débat approndi sur les incidences de celui-ci, il a affirmé
qu'elle constituait l'une des plus grandes révisions de la Ve République,
comparable à celle de 1962, qui fut relative à l'élection au suffrage universel
direct du Président de la République, et à celle de 1974, qui ouvrit la saisine
du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Le professeur Pactet a rappelé que le quinquennat, décidé pour rendre la
cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet effet dans la mesure où le
droit de dissolution était maintenu et où le décès du Président provoquait une
nouvelle élection présidentielle en raison de l'absence, dans notre
Constitution, d'une disposition relative à un vice-président de la
République.
M. Jean Chérioux.
Me permettez-vous de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Gérard César.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean Chérioux.
Dans le cas que vous évoquez, mon cher collègue, c'est-à-dire si le droit de
dissolution était supprimé, il s'agirait non plus de la Ve République, mais
purement et simplement d'un régime présidentiel analogue à celui des Etats-Unis
! Ne parlons plus, dans ce cas, de révision, parlons plutôt de modification de
la Constitution. Nous abandonnerions alors cette dernière, qui a fait ses
preuves et qui a fonctionné avec beaucoup de souplesse, comme vous l'avez noté,
depuis 1958.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur César.
M. Gérard César.
Je vous remercie, mon cher collègue. Etant donné que vous avez posé les
questions et apporté les réponses, il n'est pas utile que j'approfondisse le
sujet !
(Sourires.)
Une fois de plus, monsieur Chérioux, votre observation est
tout à fait pertinente et elle correspond, je pense, à l'analyse que font non
seulement la majorité du Sénat, mais aussi la commission des lois et son
excellent rapporteur que j'ai cité voilà quelques instants.
M. le président.
Monsieur César, puis-je ajouter mes remerciements aux vôtres ? En effet, vous
organisez tous les deux les débats d'une façon tout à fait satisfaisante : l'un
parle, l'autre pose une question et donne la réponse !
(Nouveaux sourires.)
Monsieur César, veuillez poursuivre.
M. Gérard César.
Je vous remercie cher président et collègue girondin, de votre gentillesse et
de votre autorité tout à fait naturelle.
Le professeur Pactet a ajouté que les électeurs, dans un souci d'éviter une
trop grande concentration des pouvoirs, pouvaient émettre des votes différents
lors des élections législatives et présidentielles. C'est un cas qui peut se
produire. Il s'est demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans
une conception nostalgique des périodes de convergence observées au début de la
Ve République.
Quant à la logique des institutions, à l'origine conçue en réaction contre le
régime des partis, il a observé qu'elle avait beaucoup évolué et était
redevenue celle d'un régime de partis, semblable à celui des autres démocraties
occidentales. Il a ajouté que le Président de la République ne demeurait la clé
de voûte du système que dans l'hypothèse où il était soutenu par la majorité
parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du régime depuis la
cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel,
puisse être suivi d'un second pas plus accentué, avec l'inversion du calendrier
électoral.
M. Hilaire Flandre.
Ce n'était rien d'autre !
M. Gérard César.
Par ailleurs, l'éminent constitutionnaliste Louis Favoreu, qui a été largement
cité, d'ailleurs, sur tous les bancs de notre assemblée,...
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
C'est vrai !
M. Gérard César.
... constatant, quant à lui, que, dans les pays étrangers, les réformes
constitutionnelles touchant aux institutions se révélaient rares, a regretté,
monsieur le rapporteur, le penchant français pour les
réformesinstitutionnelles. Il a en effet jugé préférable de toucher le moins
possible aux institutions, estimant que les conséquences de telles réformes
étaient difficiles à prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer
la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée
pour réaliser des « coups politiques ».
Il a salué, à cet égard, le rôle essentiel joué par le Conseil constitutionnel
dans l'encadrement juridique de la vie politique, estimant qu'au-delà de la
protection des droits et des libertés fondamentales le rôle du Conseil
constitutionnel était de clarifier les données du débat politique et de faire
en sorte que les décisions soient prises en toute connaissance de cause, comme
l'ont montré récemment les décisions relatives à la contribution sociale
généralisée et à l'écotaxe.
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la
présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations
effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des
institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute
hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
Louis Favoreu a également souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par
une dissolution, la Constitution prévoyant en pareil cas la tenue d'élections
entre vingt et quarante jours après celle-ci. Il a observé que le Gouvernement
n'avait pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, je l'ai déjà
souligné, évitant ainsi l'examen du texte par le Conseil d'Etat et son adoption
en conseil des ministres, sous la présidence du Président de la République.
Il a déclaré qu'il allait essentiellement s'attacher à montrer que la réforme
entreprise allait à l'encontre de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
Evoquant les quatre décisions de cette instance sur des reports de dates
d'élections, intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles et en 1996,
il a souligné qu'elles concernaient la prorogation du mandat des membres
d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux
pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer,
a
fortiori
la prorogation du mandat des membres de l'Assemblée nationale.
M. Louis Favoreu - ses compétences justifient que je le cite encore - a
observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois validé la démarche
tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le
caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une
réelle justification. Il a noté que les motifs retenus par le Conseil avaient
été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la
continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des
élections avec une réforme sur le statut des élus, de permettre aux électeurs
d'être mieux informés des conséquences de leur choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une
élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc
amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée
alors qu'en doctrine il avait été relevé que le début d'un tel contrôle avait
été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et 1994.
M. Louis Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil
constitutionnel aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du
calendrier dans ses recommandations du 23 juillet 2000. Il a estimé que la
seule préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le
respect de la date limite de présentation des candidats, pouvait être
parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives
aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection
présidentielle au 2 avril à minuit pour une élection présidentielle fixée aux
21 avril et 5 mai. Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée
nationale, le ministre de l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en
conséquence, par de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la
seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était plutôt floue, le
contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les interlocuteurs. Il
en a conclu qu'il flottait un parfum de « détournement de pouvoir ».
M. Louis Favoreu a rappelé que certains avaient estimé que la proposition
pouvait apparaître soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du
Président de la République lors de la crise de la vache folle, soit comme un
instrument ayant pour objectif réel de favoriser l'élection de certains. Il a
toutefois souligné que les résultats de l'inversion du calendrier étaient
difficilement prévisibles selon nombre de spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, tel que les quatre projets de loi
précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil
constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est pas le cas de la
proposition de loi organique, dont les motifs avancés sont restés diffus, que
ce soit le respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou la
mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
Considérant qu'on ne pouvait pas modifier une loi organique sans justification
précise ne reposant pas uniquement sur des supputations politiques, M. Favoreu,
sans préjuger une éventuelle annulation, a estimé que le Conseil
constitutionnel pourrait être conduit à émettre de sérieuses réserves sur le
texte après avoir exercé un contrôle des motifs, comme il l'avait fait
s'agissant de l'écotaxe.
En conclusion, M. Louis Favoreu a considéré que, dans un état de droit, les
choix politiques devaient reposer sur des bases juridiques claires, ce qui
n'était pas le cas en l'occurrence.
Ces interventions d'éminents constitutionnalistes montrent que l'urgence et la
précipitation avec laquelle le Gouvernement nous demande l'examen de ce texte
sont dommageables.
Ne pourrait-on pas prendre le temps nécessaire - cela a été souligné par
plusieurs orateurs - pour lancer un véritable débat constitutionnel qui
impliquerait, non seulement le Parlement, mais aussi et surtout tous nos
concitoyens ? Ainsi mettrait-on fin, comme l'a rappelé notre collègue
rapporteur général du budget, M. Philippe Marini, dans son excellente
intervention, à l'idée selon laquelle nous autres parlementaire, vivons dans
une bulle et que les politiques ne se préoccupent pas de l'essentiel.
On ne débat pas des institutions à la sauvette ; on ne révise pas la
Constitution à tout propos pour en saper les fondements ou en altérer
l'esprit.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au-delà de l'inversion du
calendrier électoral, qui n'intéresse que l'ensemble des socialistes, voire les
Verts - à condition qu'elle soit recouverte d'une dose de peinture verte par
l'adoption de la proportionnelle - le parti communiste y étant opposé, je ne
vois pas l'intérêt - mis à part un intérêt électoraliste - de cette «
courageuse »proposition de loi. L'expression « Courage, fuyons » - fuyons un
projet de loi devant être soumis au Conseil d'Etat - s'applique bien en la
circonstance !
En définitive, seule l'Assemblée nationale voterait la prolongation de son
mandat jusqu'en juin 2002. Cela signifie qu'elle s'octroierait une prolongation
que nous pourrions considérer comme anti-constitutionnelle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les Françaises et les Français sont plus
préoccupés par l'insécurité que vous ne semblez le croire. J'en veux pour
preuve la réponse de M. le ministre de l'intérieur à notre collègue Denis Badré
au sujet des affrontements qui ont eu lieu à la Défense, samedi dernier.
Si l'on ne peut pas faire de reproches à la police, qui ne s'attendait
certainement pas à une violence d'une telle ampleur ni se déployant sur une
telle durée, ces faits, monsieur le secrétaire d'Etat, sont très graves car les
forces de police, vous le savez, sont placées sous l'autorité du ministre de
l'intérieur.
Les deux crises majeures que connaît notre pays en matière de sécurité sont le
fait de la grande délinquance et de la délinquance des jeunes, ces jeunes qui
n'ont jamais connu un minimum d'autorité dans leur famille ni dans
l'enseignement. La timide approche de Jean-Pierre Chevènement, avec
l'enfermement temporaire pour les jeunes mineurs, n'a pas vu le jour et a été
enterrée par Mme Guigou et par M. Jospin.
Les violences urbaines sont le fait de délinquants de plus en plus jeunes et
de plus en plus lourdement armés - de couteaux, de haches, de battes de
base-ball - qui s'affrontent comme des sauvages - et non pas, ainsi que cela a
été dit par un ministre de l'intérieur, comme des « sauvageons » - je répète,
comme des sauvages au risque de blesser gravement des passants et des enfants
innocents.
Ces mêmes violences se produisent dans les collèges et les lycées avec des
agressions contre les enseignants et le racket des élèves, lié à la drogue.
M. Hilaire Flandre.
C'est vrai !
M. Gérard César.
Ce qui est grave, c'est le sentiment d'impunité totale qui est le leur.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Exactement !
M. Jean Chérioux.
C'est tout le fond du problème !
M. Gérard César.
Voilà où nous en sommes arrivés par laxisme électoral, avec la fameuse
générosité de la gauche socialiste, alors que la fermeté de la police, de la
gendarmerie et, surtout, de la justice sont indispensables. On peut vraiment
parler de fiasco de la majorité plurielle !
M. Jean Chérioux.
Oui !
M. Gérard César.
Il en est de même en matière de retraites : il n'y a qu'à voir le rapport
Teulade ; de justice : le seul jeune arrêté à la Défense sur les 200, 300, 400
- personne n'a compté - a été aussitôt relâché. Et je ne parle pas de la santé
publique, des hôpitaux sous-équipés, des médecins, des infirmiers, des
personnels hospitaliers et libéraux désorientés, des fonctionnaires en grève
pour protester contre le manque de moyens, des 35 heures qui handicapent nos
entreprises, des emplois-jeunes sans avenir.
Le colloque qui nous a réunis au Sénat ce matin, autour des Ateliers de
l'alternance, a confirmé que nous sommes bien malheureusement à la veille d'une
explosion de la violence. Les émeutes de samedi dernier l'ont confirmé.
La sécurité est un droit naturel et imprescriptible de l'homme, inscrit dans
la Déclarations des droits de l'homme de 1789.
La sécurité est aussi une impérieuse exigence de justice sociale car la
délinquance et la violence frappent d'abord les plus démunis de nos concitoyens
et, en priorité, ceux qui vivent dans les quartiers difficiles.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes en charge du logement et je sais avec
quelle compétence vous travaillez, mais, lorsque vous voulez construire des
logements sociaux, il faut au préalable pouvoir y assurer la sécurité de
tous.
Il faut donc rétablir la sécurité dans ces cités, dans les halls des
immeubles, mais aussi rétablir les services de proximité, sans lesquels il n'y
a plus de vie possible dans ces quartiers, qui sont aujourd'hui défavorisés
mais que vous voulez - il faut vous en rendre justice - rénover.
Il est nécessaire d'avoir une véritable vision et une vraie politique
ambitieuse de lutte contre l'insécurité, qui devient un phénomène minoré,
banalisé et délétère.
Plutôt que d'inverser le calendrier électoral, il est nécessaire de susciter
une mobilisation générale de l'ensemble des acteurs qui concourent à la
sécurité publique. L'urgence consiste à s'attaquer aux racines du véritable
fléau qu'est la délinquance au quotidien.
Le Gouvernement est responsable de la sécurité, mais le ministre de
l'intérieur, en particulier, est responsable du commandement des forces de
police et de gendarmerie avec le ministre de la défense, et des services de la
justice avec le garde des sceaux.
Je rappelle qu'il y a peu, le présent Gouvernement avait envisagé de fermer
des commissariats et des gendarmeries, qui sont, comme chacun le sait, des
services de proximité. Les élus et la population se sont fort heureusement
manifestés pour éviter ces fermetures.
Il y a une énorme différence entre les faits et les informations incantatoires
des socialistes, qui découvrent que la sécurité constitue l'une des toutes
premières préoccupations de nos concitoyens. Depuis quatre ans qu'ils sont au
pouvoir, ils n'ont jamais mis en oeuvre les moyens nécessaires à un véritable
retour à la sécurité dans notre pays.
Pour assurer ce véritable retour à la sécurité, nous proposons que la
politique de sécurité soit définie, mise en oeuvre et contrôlée en concertation
étroite avec les maires ou les présidents d'établissements de coopération
intercommunale, les préfets, les magistrats, la police, la gendarmerie.
Mais il faut aussi des moyens juridiques, financiers et techniques. L'Etat vit
au crédit de sa police : les heures supplémentaires ne sont pas payées, ce qui
représente environ 200 millions de francs, ou ne sont pas compensées dans le
cadre des effets dévastateurs des 35 heures.
Une politique nouvelle et ambitieuse ne peut se faire à effectifs constants :
nous proposons de lancer une campagne de recrutement massif sur cinq ans de 30
000 policiers et 10 000 gendarmes afin de compenser les départs à la retraite
et l'application des 35 heures.
Nous sommes loin du compte avec l'annonce faite hier par le ministre de
l'intérieur du recrutement supplémentaire de 1 000 gardiens de la paix et de 5
000 adjoints de sécurité. Encore faudrait-il que ces nouveaux recrutés
bénéficient d'une formation allongée pour être vraiment efficaces.
Ce que nous voulons, c'est mettre en oeuvre les moyens nécessaires à un
véritable retour à la sécurité dans notre pays. Un sursaut républicain s'impose
car la délinquance n'est pas une fatalité.
Face aux mutations de la violence, la riposte républicaine doit allier
prévention et répression et s'appuyer sur les polices municipales, la police
nationale, la gendarmerie et la justice. Chaque Français a, en effet, le droit
de vivre en paix et en sécurité.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les priorités que
les Français souhaitent voir retenir. Il vaudrait mieux pratiquer l'inversion
du calendrier de la violence plutôt que celle du calendrier électoral.
M. Jean Chérioux.
Que oui !
M. François Trucy.
Très bien !
M. Gérard César.
L'inversion du calendrier électoral n'est pas une priorité pour les Français ;
ce n'est qu'une manoeuvre politicienne, qui se retournera contre ses auteurs.
Malheureusement, pendant ce temps, l'insécurité progresse, et c'est pourquoi,
comme vous vous en doutez, je ne pourrai pas voter le texte tel qu'il nous a
été transmis par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je comprends la lassitude que vous avez pu
éprouver en constatant que de nouvelles inscriptions sont venues allonger la
liste des intervenants dans ce débat sur une question qui nous interpelle,
certes, mais qui n'intéresse pas ceux qui sont confrontés aux difficultés de la
vie de tous les jours : chômage, inquiétude pour l'avenir des retraites - je
pense aux fonctionnaires qui sont descendus un jour dans la rue pour leurs
retraites puis, deux ou trois jours après, pour leurs salaires - problèmes
relatifs à l'éducation, insécurité, etc.
A vrai dire, monsieur le secrétaire d'Etat, je devais intervenir la semaine
dernière et, si vous consultez la première liste des orateurs, vous verrez que
j'y figurais en vingt-cinquième position.
Je ne voudrais pas que l'on pense que je m'étais retiré de ce débat pour
gagner du temps.
Ah, gagner du temps ! Qui ne le souhaite, dans cette période où les 35 heures,
quoi qu'en disent certains, nous les faisons bien souvent en deux jours quand,
dans nos collectivités locales, nous devons faire face à bien d'autres
préoccupations !
Non ! J'ai demandé à ce que mon propos soit reporté à plus tard tout
simplement pour pouvoir siéger au Conseil de l'Europe la semaine passée.
Je peux vous assurer, monsieur le secrétaire d'Etat, que, remplissant, je le
crois tout au moins, scrupuleusement mon rôle de représentant de la France,
j'ai dû répondre à de nombreuses questions, généralement ironiques, émanant de
représentants de plusieurs des quarante-trois pays qui composent dorénavant
cette assemblée parlementaire.
Je précise au passage, en effet, que l'Azerbaïdjan et l'Arménie ont fait leur
entrée dans cette assemblée, portant ainsi de quarante et un à quarante-trois
le nombre des nations représentées.
A ces représentants d'une très grande Europe s'étaient ajoutés en outre des
observateurs canadiens, mexicains et d'autres pays qui s'intéressent à cette
instance internationale. Et tous ces pays, dont certains aspirent à nous
rejoindre au sein de l'Union européenne, puisque nous passerons bientôt de
quinze à vingt-cinq ou à vingt-sept, découvrant les vertus de la démocratie,
s'interrogent et nous interrogent, nous, Français, qui aimons bien donner des
leçons : Que se passe-t-il en France ? Comment faites-vous pour modifier quand
cela vous chante le calendrier électoral ? Pourrons-nous faire pareil ?
Allons-nous, au gré des événements et parce que cela arrangerait nos
dirigeants, notamment quand ils s'accrochent au pouvoir, voir avancer, reculer
les échéances électorales et, pourquoi pas, les voir annuler en faisant des
élus des parlementaires à vie ?
Je vous assure, mes chers collègues, que l'on surprend nos partenaires ; et
nous sommes un peu gênés pour leur répondre. J'ai eu beau essayer de leur
expliquer que nous agissions dans l'intérêt du pays ; ils n'ont pas compris,
pas plus du reste que nos compatriotes, auprès desquels, dans nos communes,
nous devons justifier notre activité.
N'y a-t-il donc pas autre chose de plus important ? Si, bien sûr, et nous en
sommes tous convaincus. Je suis persuadé, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'en
votre for intérieur vous partagez cette conviction.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Non !
M. James Bordas.
Mais, direz-vous sans doute, à chaque jour suffit sa peine : prenons les
problèmes les uns après les autres. C'est d'ailleurs pourquoi nous sommes
là.
Lorsqu'une décision d'importance doit être prise, il est nécessaire de se
donner le temps de la réflexion pour s'interroger sur la justesse, en termes de
cohérence et de pertinence, de ce que l'on doit décider. Ce n'est pas notre
excellent et éminent collègue, Christian Bonnet, dont le rapport a constitué un
moment particulièrement important pour notre assemblée, qui soutiendra le
contraire.
La proposition de loi organique relative à l'inversion du calendrier électoral
de 2002 ne doit pas échapper à cette double règle de cohérence et de
pertinence. Or, si l'on se donne la peine de l'examiner sur le fond, on
constate qu'elle n'est ni cohérente ni pertinente.
Elle n'est pas cohérente eu égard à la volte-face brutale du Premier ministre
à ce sujet. « J'ai dit ce que je ferai et je ferai ce que j'ai dit », nous
annonçait-il en arrivant. Seulement, au fur et à mesure que l'on se rapproche
de l'élection présidentielle, l'artifice dialectique ne suffit plus.
En veut-on un exemple ? Il suffit de se reporter aux propos que Lionel Jospin
tenait le 19 octobre dernier. Ce jour-là, le Premier ministre s'était fermement
opposé à l'inversion du calendrier électoral. Il avait alors affirmé que «
toute initiative de sa part serait interprétée de façon étroitement politique,
voire politicienne ». Et il avait ajouté : « Moi, j'en resterai là, et il
faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent
être prises. »
Or que constate-t-on ? Deux mois plus tard, Lionel Jospin a changé d'avis et
le Parlement est prié d'examiner dans les plus brefs délais une proposition de
loi visant à inverser le calendrier électoral de l'année 2002. Mais où est donc
la cohérence entre les actes et les paroles ? A l'évidence, elle a totalement
disparu !
Plus on se rapproche de l'élection présidentielle, moins le Premier ministre
s'embarrasse de détails. Son objectif majeur, c'est désormais de remporter
l'élection présidentielle, et l'inversion de calendrier électoral doit l'y
aider. Il lui est, cependant, évidemment impossible de le reconnaître
explicitement. Il est encore trop tôt pour se déclarer officiellement candidat.
C'est là le dilemme actuel du Premier ministre : faire en sorte de révéler
toutes ses intentions, mais sans les préciser.
Toutefois, les Français ne sont pas dupes. Ils ont bien compris que
l'intéressé était déjà en train de brûler les étapes.
Il s'agit donc, pour le candidat Jospin, de mener sa campagne dans les
meilleures conditions, ce qui implique notamment pour lui d'élaborer sa
stratégie de façon à la rendre indépendante du résultat des élections
législatives, quitte à décréter l'urgence pour l'examen de la présente
proposition de loi organique. Il est vrai que nous sommes habitués à cette
procédure !
Rien n'indique cependant que la majorité actuelle, la « majorité plurielle »,
gagnera les prochaines élections législatives. N'oublions pas qu'en 1997, cela
a été rappelé cet après-midi encore par notre collègue M. Althapé, ce sont les
candidats du Front national qui, dans bon nombre de circonscriptions, ont
permis aux candidats de la gauche de l'emporter. L'implosion de l'extrême
droite depuis lors laisse supposer qu'une telle situation a peu de chances de
se reproduire en 2002. Dans l'hypothèse d'une telle défaite de la majorité aux
élections législatives, il serait malaisé pour le Premier ministre d'envisager
sérieusement de se présenter à l'élection présidentielle prévue quelques
semaines plus tard.
Pour parer à ce risque, il faut empêcher la tenue des élections législatives
avant l'élection présidentielle, et le moyen le plus simple d'y parvenir est,
je le dis sans ironie, de faire entériner par le Parlement la modification du
calendrier électoral. Nous avons vu la manoeuvre se dérouler sous nos yeux dès
le mois de décembre, et c'est la même manoeuvre qui nous amène aujourd'hui à
débattre de ce texte.
La présente proposition de loi n'est motivée par aucune autre raison que celle
de la circonstance et de la convenance.
Par ailleurs, cette proposition n'est pas pertinente parce qu'elle ne
s'applique qu'à une situation ponctuelle, sans garantie pour l'avenir et sans
tenir compte des interrogations beaucoup plus vastes qu'elle suscite, et qu'il
conviendrait d'examiner dans le cadre d'un grand débat de fond.
Elle n'est pas pertinente parce qu'elle délaisse l'intérêt général au profit
de l'intérêt particulier du Premier ministre. Cela n'est pas acceptable. C'est
pourquoi, pour ma part, je suis opposé à cette inversion du calendrier
électoral de l'année 2002 et voterai donc contre ce texte.
Je souhaiterais, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, expliciter ma conviction à la lumière de deux idées
principales.
D'abord, si notre Constitution reconnaît effectivement la primauté de la
fonction présidentielle, elle ne prévoit nullement que l'élection du Président
de la République doit impérativement avoir lieu avant celle des députés. C'est
pourtant ce qu'on essaie de nous faire croire ! C'est en ce sens que le débat
est faussé, et c'est ainsi que se dévoile la manoeuvre politicienne.
Ensuite, la proposition de loi qui nous est soumise implique une réforme
d'envergure, celle de notre Etat lui-même. Cette proposition ne saurait donc
être examinée dans la précipitation et de manière superficielle.
J'aborderai, en premier lieu, le problème institutionnel.
D'aucuns, arguant du respect de la primauté de la fonction présidentielle,
estiment que l'inversion du calendrier électoral de 2002 et indispensable eu
égard à l'esprit des institutions.
Autrement dit, la question est la suivante : est-il nécessaire, dans les
institutions de la Ve République, que l'élection du Président de la République
ait lieu avant les élections législatives ? Il convient, pour y répondre, de se
reporter au texte de la Constitution.
Effectivement, notre Constitution affirme la primauté de la fonction
présidentielle. Plus précisément, c'est son titre II, composé des articles 5 à
19, qui précise les attributions du Président de la République. Parcourons
brièvement ces dispositions.
L'article 5 fait tout d'abord du Président de la République le garant du
respect de la Constitution et de l'indépendance nationale.
A l'article 10, il est précisé que, lorsqu'un vote du Parlement lui paraît
contraire aux intérêts nationaux, il peut demander une nouvelle
délibération.
L'article 11 lui confère le pouvoir de donner la parole directement au peuple
en soumettant à celui-ci tout projet de loi au moyen du référendum.
En vertu de l'article 13, c'est le Président de la République qui nomme aux
emplois civils et militaires de l'Etat.
L'article 15 dispose que le Chef de l'Etat est également le chef des
armées.
Ce sont ces dernières dispositions qui, au fil de la pratique des institutions
par les différents présidents qui se sont succédé depuis 1958, ont permis la
mise en place de ce que l'on a appelé les « domaines réservés », en ce qui
concerne la défense et les affaires étrangères.
Enfin, l'article 16 confère au Président de la République des pouvoirs
exceptionnels en cas de crise et l'article 17 lui permet d'exercer le droit de
grâce.
Si l'on s'en tient donc à un strict examen de la Constitution, en dehors de
toute interprétation, force est de constater qu'est réellement affirmée la
primauté de la fonction présidentielle.
Cette primauté a d'ailleurs été renforcée par le référendum de 1962, qui a
instauré l'élection du Président de la République au suffrage universel
direct.
Ainsi, depuis 1958, le Président de la République dispose de prérogatives
réelles et sa fonction est radicalement différente de ce qu'elle pouvait être
sous les IIIe et IVe Républiques, par exemple. Il est bon de le rappeler, car
nier la primauté de la fonction présidentielle n'aurait pas véritablement de
sens.
Cela implique-t-il que le Président de la République doive nécessairement être
élu avant les députés ? En d'autres termes, la primauté de la fonction
présidentielle justifie-t-elle réellement que soit inversé le calendrier
électoral de l'année 2002 ?
Avant de poursuivre, je dois formuler une remarque liminaire : le fait que la
primauté présidentielle soit consacrée par la Constitution ne signifie
nullement que notre loi fondamentale soit d'inspiration exclusivement
présidentialiste.
En fait, la Constitution porte en elle une double inspiration : d'une part,
certes, une inspiration présidentialiste, issue du discours de Bayeux de 1946,
mais aussi, d'autre part, une inspiration plus parlementariste, concrétisée par
le « parlementarisme rationalisé » cher à Michel Debré, que j'ai bien connu
dans ma région, cette Touraine à laquelle il était tant attaché.
La pratique constitutionnelle a montré que l'inspiration parlementariste
pouvait trouver toute sa place dans notre vie politique en période de
cohabitation. C'est ce quipermet de reconnaître à la fois la souplesse et la
grande stabilité des institutions de la Ve République, notamment par rapport
aux régimes précédents.
Nos institutions actuelles ont duré précisément parce qu'elles ont su
concilier les diverses inspirations que la France a connues depuis deux
siècles, mais aussi parce qu'elles ont permis d'éviter que ne s'instaure une
situation de crise politique comme ce fut régulièrement le cas au cours des
IIIe et IVe Républiques.
Cette remarque avait pour objet de montrer que la primauté de la fonction
présidentielle n'était qu'une des caractéristiques de la Constitution de 1958.
Il convient maintenant de poursuivre la réflexion en se demandant si cette
primauté présidentielle implique que l'élection du Président de la République
ait impérativement lieu avant celle des députés.
On en saurait nier que l'ordre des élections n'a absolument rien à voir avec
la prééminence du Président de la République. Cette prééminence, nous venons de
le voir, est garantie par la Constitution et par l'élection présidentielle au
suffrage universel direct. Le fait que la Constitution, en revanche, ne prévoie
aucune disposition sur l'ordre des élections prouve bien que la prééminence
présidentielle et le calendrier électoral sont deux éléments totalement
indépendants, et qu'il n'y a donc pas lieu de les subordonner de manière
artificielle.
Les constituants de 1958 n'ont pas jugé nécessaire de protéger le Président de
la République en imposant l'antériorité de son élection par rapport aux
élections législatives. Le problème ne s'est jamais posé. Les prérogatives du
Président sont inscrites dans le texte constitutionnel et cela ne souffre
aucune discussion.
Il n'y a pas à se servir de la Constitution pour essayer de trouver un motif
valable à une manipulation qui ne trompe personne.
Il convient maintenant d'aller encore plus loin en se demandant si la
proposition de loi pourrait avoir au moins un effet réel. En particulier, il
faut se poser la question de savoir si ce texte vise bien à inverser les
élections, c'est-à-dire s'il permet de garantir, pour l'avenir, que l'élection
présidentielle aura bien lieu avant les élections législatives.
Rien n'est moins certain, et cela pour deux raisons.
Les dispositions de la présente proposition de loi vaudraient pour 2002.
Certes, mais elles ne suppriment pas l'article 12 de la Constitution, qui
prévoit le droit de dissolution. Le maintien de ce droit autorise, à tout
moment, le futur chef de l'Etat à dissoudre l'Assemblée nationale.
Or, en cas de dissolution, les élections législatives doivent intervenir dans
un délai de vingt à quarante jours, ce qui nous ramène au point de départ
puisque l'ordre du calendrier électoral sera, alors, à nouveau modifié.
Le deuxième événement qui pourrait de nouveau compromettre l'ordre des
élections, c'est le décès du Président de la République. S'il n'est nullement
souhaitable, il n'est pas non plus impossible. Il convient de remarquer que le
Président de la République peut aussi, tout simplement, souhaiter démissionner
: on se retrouve alors dans une situation similaire.
Une solution consisterait à élire, en même temps que le Président de la
République, un vice-président, comme c'est déjà le cas dans d'autre pays, mais
il faudrait, dans le même temps, retirer au chef de l'Etat le droit de
dissolution, pour que l'idée d'inverser le calendrier de 2002 trouve -
peut-être - un peu de cohérence et de sens.
Seulement, envisager la suppression du droit de dissolution et l'élection d'un
vice-président, c'est déjà se situer dans la perspective plus large d'une
réforme de nos institutions. Mais, de cela, il n'est point question
aujourd'hui, et c'est une preuve supplémentaire du fait qu'il s'agit d'une
proposition de loi de circonstance et de convenance personnelle, d'une
manoeuvre politicienne qu'aucun argument ne peut valablement motiver.
Si l'on délaisse un moment les réflexions théoriques pour considérer les
faits, on remarque que même ceux-ci ne plaident pas en faveur de l'inversion du
calendrier.
En effet, si l'on considère l'histoire politique de notre pays depuis 1958, on
constate d'abord que, en 1958 justement, les élections législatives avaient
précédé de deux mois l'élection du Président de la République sans que
quiconque n'y trouve à redire.
Que l'on se souvienne également des élections présidentielles de 1969 et de
1974 : elles avaient l'une et l'autre été précédées d'élections législatives
qui avaient eu lieu respectivement en juin 1968 et mars 1973. Dans les deux
cas, il ne semble pas possible de dire que la primauté de la fonction
présidentielle a été remise en cause.
Supposons malgré tout, l'espace d'un instant, que l'inversion du calendrier
soit justifiée par la nécessité d'assurer la primauté de la fonction
présidentielle. Même si l'on se range à cet argument, compte tenu du calendrier
électoral et de la proximité des dates, la campagne pour l'élection
présidentielle aura de toute façon largement commencé avant les élections
législatives.
Que l'on se place d'un point de vue théorique ou d'un point de vue pratique,
force est de constater qu'il n'est décidément pas possible de trouver un motif
sérieux à ce texte qui nous est si brutalement soumis.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
j'en viens maintenant à la seconde idée principale qui justifie mon opposition
à l'inversion du calendrier électoral. Je veux parler de la réforme beaucoup
plus large qu'implique la proposition de loi organique, réforme qui est
pourtant totalement occultée de ce débat. Cette réforme, ce n'est pas tant
celle de nos institutions politiques que celle de notre Etat dans son
ensemble.
On peut longuement réfléchir à la réforme de nos institutions politiques et
envisager ce que pourrait être la Constitution d'une VIe République. Cependant,
cela revient dans tous les cas à considérer trois hypothèses.
Première hypothèse, on veut un retour au régime d'assemblée, mais personne ne
semble le vouloir.
Deuxième hypothèse, on envisage un régime parlementaire sur le modèle, par
exemple, du Royaume-Uni, mais ce n'est pas non plus souhaitable : nos
présidents de la République quels qu'ils soient sont élus au suffrage
universel, et cet acquis ne semble pas devoir être remis en cause. Le suffrage
universel confère au Président de la République une légitimité propre, qui
interdit qu'on lui confie un rôle purement représentatif : il doit disposer de
prérogatives personnelles.
Reste donc la troisième hypothèse, qui est celle du régime présidentiel. Ce
régime se caractérise par une séparation stricte des trois pouvoirs, exécutif,
législatif et judiciaire. Comme son nom l'indique, il est organisé autour de la
prééminence du Président de la République.
Pour instaurer un tel régime dans notre pays, il faudrait que les membres du
Gouvernement dépendent directement du Président de la République, ce qui
implique la suppression de la fonction de Premier ministre.
Pour assurer l'indépendance des trois pouvoirs, il faudrait en outre que le
Président de la République soit privé du droit de dissoudre l'Assemblée
nationale et que celle-ci ne puisse plus - c'est le corollaire - renverser le
Gouvernement par le vote d'une motion de censure.
Cependant, le régime présidentiel ne semble pas pouvoir être appliqué
directement à la France, du fait du caractère non fédéral de notre pays ainsi
que de sa culture propre. Transposer en France un régime présidentiel à
l'américaine comporterait ainsi un risque de blocage des institutions, auquel
la souplesse de la Ve République ne nous a absolument pas préparés.
Il faut donc soit rechercher des aménagements au régime présidentiel, soit
envisager une autre solution, laquelle ne saurait être imaginée en quelques
heures !
En fait, la vraie réforme institutionnelle dont notre pays a besoin, est non
pas seulement une réforme de nos seules institutions politiques, mais une
réforme profonde de l'Etat dans son ensemble.
Cette réforme implique notamment une relance réelle, audacieuse et efficace de
la décentralisation et des libertés locales.
Depuis bientôt vingt ans, la décentralisation dans notre pays est un acquis.
Elle ne saurait être remise en cause. Cela signifie que la libre administration
et l'autonomie - notamment fiscale - des collectivités locales ne doivent pas
être un concept théorique, mais une réalité. Cela signifie aussi que l'Etat ne
doit pas sans cesse, et de manière dissimulée, essayer de réinstaurer sa
tutelle sur les collectivités locales.
Ici, au Sénat, nous assumons pleinement notre rôle de représentants des
collectivités territoriales. Nous collaborons avec elles de manière active, je
le rappelais il y a un instant en évoquant la mission fondamentale qui est la
nôtre auprès des élus que nous sommes. Comme nous l'avons toujours fait, et
comme nous continuerons de le faire, nous nous employons à préserver et à
défendre les droits et les intérêts des collectivités locales. Cela signifie
que nous nous opposerons de manière vigoureuse à toutes les velléités
recentralisatrices que l'Etat serait tenté de mettre en pratique.
La réforme de notre Etat implique ensuite de mettre en place une véritable
démocratie de délibération, de participation et de concertation, dans laquelle
toutes les composantes de notre société doivent pouvoir trouver leur place. Là
encore, cela ne se fera pas en quelques heures. Il faut d'abord en avoir la
volonté, ensuite s'en donner les moyens.
C'est en recherchant cette réforme profonde de l'Etat et en construisant une
démocratie renouvelée que nous nous préoccuperons vraiment de l'avenir de la
France.
C'est en nous préoccupant de l'avenir de la France et de notre société que
nous assumerons pleinement nos responsabilités publiques au service de tous.
Mais, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, pour revenir au texte que nous débattons, je veux réaffirmer une
fois encore mon opposition à l'inversion du calendrier électoral, proposition
qui n'est pas tout à fait fortuite, contrairement à ce que laissait entendre le
Premier ministre.
Le hasard - et je reprends là, monsieur le rapporteur, certains de vos propos
- a incontestablement été le principal sujet du débat à l'Assemblée nationale
sur la présente proposition de loi organique. De nombreux orateurs ont ainsi
observé que l'ordre actuel des élections était le fruit d'un hasard auquel il
convenait de ne pas se soumettre.
Dans sa réponse aux questions orales avec débat sur l'avenir des institutions
qui ont précédé l'examen des propositions de loi, M. le Premier ministre s'est
ainsi exprimé : « Ce calendrier, on le sait, est tout à fait fortuit. Il est
l'effet conjugué de l'aléa d'une vie - la mort du Président Georges Pompidou en
1974 - et d'une décision politique inattendue, la dissolution de l'Assemblée
nationale en 1997, un an avant le terme de son mandat. »
De manière plus précise encore, M. Bernard Roman, président et rapporteur de
la commission des lois de l'Assemblée nationale, a entamé ainsi la présentation
de son rapport : « Deux événements fortuits - la mort du Président Georges
Pompidou en avril 1974 et la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997 par
l'actuel Président de la République - sont à l'origine du calendrier inédit de
2002. Ainsi, par le seul fait du hasard, non seulement les élections
législatives et présidentielles se dérouleront la même année mais, de surcroît,
le scrutin désignant les députés précédera l'élection présidentielle. »
Les auteurs des propositions de loi organique déposées à l'Assemblée nationale
ont repris en séance cette argumentation pour plaider en faveur de la
modification de l'ordre des consultations.
Un tel raisonnement - je tiens à le rappeler à mon tour, monsieur le
rapporteur - ne laisse pas d'étonner à plusieurs égards.
Il faut rappeler en effet qu'en 1958, après l'approbation par le peuple de la
Constitution de la Ve République, le Président de la République a été élu en
décembre après des élections législatives organisées en novembre. Assurément,
la situation n'était pas entièrement comparable dans la mesure où le Président
était alors élu par un collège de grands électeurs. Il serait cependant
audacieux d'affirmer que l'élection des députés avant celles du Président a
amoindri la capacité de ce dernier à diriger le pays.
Par ailleurs, en 1969, l'élection présidentielle est intervenue moins d'un an
après les élections législatives de 1968 ; en 1974, l'élection présidentielle
est intervenue quatorze mois après les élections législatives. Je reconnais que
ces calendriers n'étaient pas prévisibles et que les délais étaient plus
étendus que le délai actuellement prévu pour 2002, mais il conviendrait à tout
le moins de définir pour l'avenir quel délai entre des élections législatives
et une élection présidentielle pourra être considéré comme conforme à l'esprit
de nos institutions.
D'une manière générale, le Gouvernement comme les auteurs des propositions de
loi organique semblent considérer qu'en l'absence de hasard jamais une telle
situation n'aurait dû se produire sous la Ve République. Je n'hésite pas ici à
reprendre le constat de M. le rapporteur. Si tous les présidents de la
République avaient achevé leur mandat et si aucun n'avait dissout l'Assemblée
nationale, une élection présidentielle aurait été organisée en décembre 1958,
en décembre 1965, en décembre 1972, en décembre 1979, en décembre 1986 et en
décembre 1993 ; des élections législatives auraient été organisées en mars
1963, en mars 1968, en mars 1973, en mars 1978, en mars 1983, en mars 1988 et
en mars 1993.
Si le hasard - encore lui ! - n'avait pas fait son oeuvre, des élections
législatives et une élection présidentielle aurait été organisée la même année,
en 1993, les premières précédant la seconde... Un coup de dé jamais n'abolira
le hasard, comme l'a souligné notre rapporteur ! En tout état de cause, n'y
aurait-il pas quelque orgueil, de la part du législateur, fût-il organique, à
vouloir abolir le hasard ?
Le texte soumis à la délibération du Sénat n'est pas susceptible de permettre
d'atteindre les objectifs affichés par le Gouvernement et les auteurs de la
proposition de loi organique. En effet, pour faire en sorte que la situation
prévue en 2002 ne puisse plus se reproduire, il serait nécessaire que tous les
présidents de la République achèvent désormais leur mandat et que le droit de
dissolution ne soit plus utilisé.
Je regrette, enfin, que, devant l'Assemblée nationale, M. le Premier ministre
ait déclaré : « Nombreux sont ceux qui pensent qu'une telle séquence sans
précédent fait peu de cas de la logique de nos institutions et qu'elle est
contraire au bon sens, qu'elle constitue une anomalie. » Tiens, tiens, mes
chers collègues, on y revient ! La logique des institutions veut-elle que le
Président de la République soit élu avant les députés ? Implique-t-elle qu'il
n'y ait pas discordance entre la majorité issue de l'élection présidentielle et
la majorité issue des élections législatives ?
Consiste-t-elle à faire en sorte que le Président de la République puisse
exercer une influence déterminante sur le déroulement des élections
législatives ?
Avant de terminer, je voudrais faire état de propos qu'a tenus M. Didier Maus,
professeur associé à l'université de Paris-I...
M. Michel Pelchat.
Très, très compétent !
M. Jean Chérioux.
Un grand constitutionnaliste !
M. James Bordas.
... et codirecteur de la
Revue française de droit constitutionnel.
Signalant qu'il était indispensable de réexaminer l'ensemble du calendrier
électoral, il a rappelé qu'au début de la Ve République le premier trimestre
était réservé aux campagnes électorales, cette situation ayant été notablement
modifiée par la session unique. Il a fait part de son souhait de voir adopter,
pour 2002, des dispositions dérogatoires et a jugé indispensable que soit
ensuite reposée la question de l'ensemble des opérations électorales de manière
générale.
M. Didier Maus s'est déclaré favorable à une autre modification du calendrier
et a proposé que les élections législatives soient organisées les 16 et 23
juin, comme en 1988. Néanmoins, il a mis en lumière que l'assemblée
nouvellement élue aurait à surmonter une difficulté dans la mesure où elle ne
pourrait se réunir qu'à l'extrême fin de la session ordinaire et qu'il serait
donc nécessaire de convoquer une session extraordinaire pour constituer ses
organes.
Il a proposé plusieurs pistes de réflexion sur la modification du calendrier.
Il a signalé l'opportunité de reporter l'organisation des élections
législatives à la fin du mois de septembre, afin de permettre au Président de
la République nouvellement élu de préparer les élections législatives comme en
cas de dissolution. Il a également évoqué la possibilité de modifier en
profondeur le code électoral et de faire en sorte que les élections
législatives se déroulent les 9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une
réduction de la durée de la campagne électorale de trois semaines à quinze
jours. Il a estimé que cette solution permettrait de faire débuter la campagne
après l'installation du Président de la République.
En conclusion, il a estimé que la modification du calendrier électoral était
souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique, mais
techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le
Président occupe ses fonctions pour entamer les opérations d'organisation des
élections législatives. Répondant à l'un de nos collègues, M. Maus a dit que la
difficulté majeure résidait dans le parrainage des candidats à l'élection
présidentielle par les députés. Il a indiqué que, même si on avançait les
élections législatives au mois de février, ce problème ne serait pas réglé, le
mandat des députés actuels devant expirer le 2 avril.
Voilà peu de temps, notre collègue M. Lucien Lanier a fait remarquer à M.
Didier Maus que le calendrier ne pouvait être figé par un texte et que les
événements pouvaient le modifier. Il a estimé que la cohabitation pouvait
finalement triompher de cette inversion du calendrier, la majorité
présidentielle ne correspondant pas forcément à la majorité parlementaire. Il
lui a demandé s'il pensait que placer l'élection présidentielle avant les
élections législatives pouvait suffire à forcer la main du peuple pour éviter
la cohabitation.
M. Didier Maus a répondu qu'il n'avait aucune idée de la traduction politique
d'un maintien ou d'un changement du calendrier. Estimant que le peuple était
souverain, il a rappelé des propos tenus par Lamartine en 1848 : « Si le peuple
se trompe, tant pis pour le peuple. » Il a ajouté qu'il était nécessaire de
songer à la remise en ordre globale du calendrier. Il a fait remarquer que,
depuis 1958, le calendrier électoral s'était enrichi de trois nouvelles
consultations : l'élection présidentielle, les élections européennes et les
élections régionales.
Mes chers collègues, vous comprendrez qu'après cette intervention je réaffirme
avec force que je ne prendrai pas part à une manoeuvre de circonstance, à une
manoeuvre de convenance personnelle qui laisse de côté ces enjeux essentiels
que sont l'intérêt général et l'avenir de notre démocratie.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
6
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Jean-Pierre Raffarin.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
hier, notre collègue M. Gélard a fait un rappel au règlement - légitime ! -
concernant une intervention de M. Forni. Au cours de la même journée, le
président du groupe socialiste de notre assemblée avait parlé de « manoeuvre
d'obstruction », alors que M. Forni, en des termes inacceptables, évoquait une
« manoeuvre de retardement ».
M. Serge Vinçon.
C'est injurieux !
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est effectivement injurieux, mon cher collègue !
Aujourd'hui, dans une déclaration, M. Queyranne, membre du Gouvernement,
parle, lui aussi, de « manoeuvre d'obstruction » et nous accuse de ne pas
accomplir notre travail législatif.
M. Serge Vinçon.
C'est un comble !
M. Jean-Pierre Raffarin.
De qui se moque-t-on ?
Quel est ce travail législatif que l'on nous demande d'accomplir en permanence
dans l'urgence, avec des débats bâclés, supprimant la navette et en empêchant
le Sénat de jouer son rôle de sage dans l'élaboration de la loi ? Et ce
ministre vient nous donner des leçons en parlant de « manoeuvre de retardement
pilotée par le groupe du RPR » !
Je ne suis pas membre du RPR ; je ne l'ai jamais été, et cela n'est pas
péjoratif de ma part.
M. Serge Vinçon.
Moi, je ne suis pas pilote !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Moi non plus.
En tout cas, ces propos me paraissent quelque peu réducteurs.
Le Sénat ne jouerait pas son rôle de deuxième chambre ? Notre rôle
consisterait-t-il à nous coucher dès que la première chambre s'est exprimée ?
Qu'est-ce que cela veut dire ?
(M. Serge Vinçon opine.)
La première fonction d'une assemblée, c'est de faire la loi, mais c'est aussi
de faire une bonne loi avec de bons débats, qui permettent d'aller au fond des
choses. Débattre non pas avec lenteur mais avec profondeur, ce n'est pas une
manoeuvre ! Ce n'est pas non plus une manoeuvre de s'intéresser à un texte qui,
nous dit-on, ne concernerait que les députés, comme si on ne voyait pas la
manoeuvre concernant l'élection présidentielle qui se profile derrière lui.
Cela concerne non pas le Sénat mais les députés, nous dit-on. Or s'agissant de
l'élection présidentielle, c'est toute la République qui est concernée. Le
Président de la République est l'homme en charge de l'essentiel, disait le
général de Gaulle. Quand le Président de la République est concerné, c'est tout
le pays, et naturellement le Sénat, qui est concerné.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Tout se passe comme si ce débat était banal. Au fond, le Sénat, en débattant
de ce sujet, relancerait d'éternelles discussions. Or M. le rapporteur a été
clair. A la page dix-neuf de son rapport, il précise :
« Il s'agit d'une modification sans précédent. » Donc, puisqu'il n'y a pas de
précédent, il faut bien que l'on aille au fond des choses.
« Il est arrivé, depuis le début de la Ve République, que des mandats électifs
soient prolongés :
« - la loi n° 66-947 du 21 décembre 1966 a reporté de mars à octobre 1967 le
renouvellement d'une série de conseillers généraux ;
« - la loi n° 72-1070 du 4 décembre 1972 a également reporté le renouvellement
d'une série de conseillers généraux ;
« - la loi n° 88-26 du 8 janvier 1988 a reporté de mars à septembre le
renouvellement d'une série de conseillers généraux ;
« - la loi n° 90-1103 du 11 décembre 1990 a, pour sa part, prolongé le mandat
d'une série de conseillers généraux et écourté le mandat d'une autre série,
afin d'assurer la concomitance des élections régionales » - et chacun connaît
l'importance de ces élections - « et des élections cantonales ;
« - la loi n° 94-590 du 19 juillet 1994 a reporté de mars à juin 1995 les
élections municipales ;
« - enfin, la loi n° 96-89 du 6 février 1996 a reporté de mars à mai 1996 le
renouvellement des membres de l'Assemblée territoriale de la Polynésie
française. » Mais c'est la première fois - et cela est indiqué clairement dans
le rapport - que le mandat des députés est concerné.
« Aucun de ces exemples n'est comparable avec le texte aujourd'hui soumis au
Sénat, dans la mesure où ils concernent tous des assemblées locales. »
Voilà ce qui est dit dans l'excellent rapport de notre collègue M. Christian
Bonnet.
Moi, je suis profondément choqué par les déclarations de M. Queyranne. C'est
pourquoi, comme l'a fait hier notre collègue M. Gélard, je demande, en signe de
protestation, au nom de la Haute Assemblée, une suspension de séance de cinq
minutes.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants
et du RPR.)
M. le président.
Acte vous est donné de votre rappel au règlement.
Nous allons donc interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit
heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition de loi
organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Gaulle.
(Applaudissements sur les travées du groupe du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Philippe de Gaulle.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
peu près un an seulement avant la date normale prévue, voilà qu'on nous
demande, tout à coup, et en urgence, de proroger de quelques mois la durée du
mandat de l'Assemblée nationale.
C'est, nous dit le Gouvernement, pour éviter que l'élection présidentielle,
clef de voûte de la République, ne tombe quatre semaines après les élections
législatives.
Je note que ce gouvernement, qui est marxiste, s'inquiète subitement de
préserver la clef de voûte d'une constitution qu'il a toujours combattue, son
but ayant toujours été le gouvernement par une assemblée unique et
omniprésente, plus démagogique et révolutionnaire que d'autres régimes. A
l'instar de la Convention de Robespierre, près d'un siècle et demi auparavant,
ou de Lénine dans un autre pays se réclamant de Robespierre et même de
l'affreux Marat, c'est cette assemblée unique et omnipotente que préconisait
Léon Blum en 1936 et de nouveau en 1946, contre l'avis du général de Gaulle.
C'est toujours cette tendance à l'assemblée unique et omnipotente qui s'affirme
ouvertement ou sournoisement encore aujourd'hui, ce qui rend assez dérisoires
les propos parfois entendus ici même et selon lesquels les socialistes ont
toujours voulu défendre le Sénat.
Sur ce sujet, les seuls opposants sincères au général de Gaulle étaient, à mon
avis, des esprits radicaux restés dans l'optique du Sénat de la IIIe
République. Pour eux, comme pour les autres, il y a eu, bien sûr, le
mécontentement assez justifié de voir intégrer dans un premier temps les
syndicalistes du Conseil économique et social, assemblée héritée de la IVe
République que le général de Gaulle voulait supprimer ; c'est en effet cette
assemblée, et non le Sénat, comme on l'a faussement prétendu, que le général de
Gaulle souhaitait voir disparaître. Mais c'est par dessus tout l'élection du
Président de la République au suffrage universel qui a été la cause
fondamentale du conflit ; le Sénat se serait en effet vu supprimer une
prérogative qu'il s'était attribuée, de fait, depuis Mac-Mahon : faire le
Président de la République, généralement issu de son sein.
La Ve République, malgré sa naissance dans l'effondrement d'un régime
d'assemblée, malgré les difficultés considérables issues du désastre de la
Seconde Guerre mondiale, des convulsions d'une décolonisation trop tardive
malgré, enfin, les pesanteurs mentales d'une culture sociale malheureusement
héritée du xixe siècle, s'est instaurée, pour la première fois de notre
histoire, sur la seule souveraineté du peuple, seul souverain, en quatre
référendums massifs en dix ans.
Tirant les leçons de nos échecs de la fin de la IIIe République, de Vichy, de
l'expérience d'une IVe République, ratée au départ par la faute d'un
gouvernement à majorité marxiste, et de dix années d'études et de réflexions
publiques depuis les déclarations de Bayeux et de Strasbourg, c'est d'abord le
socle même de la République et de la nation, dans son existence même, que le
général de Gaulle s'est efforcé de bâtir.
C'est le général de Gaulle qui a été l'inspirateur et le fondateur de la
nouvelle Constitution, et c'est Michel Debré, rejoint par quelques autres, tels
René Cassin, Raymond Janot, Georges Pompidou, Félix Houphouët-Boigny, etc., qui
en ont été les rédacteurs.
Le général de Gaulle donna à cette Constitution une empreinte ferme dans
l'esprit de Bayeux et de Montesquieu : séparation des pouvoirs, droit par
l'article 11 pour le chef de l'Etat de dissolution et de consultation du peuple
par référendum, moyens pour lui de faire face à des situations exceptionnelles
par l'article 16, conçu pour répondre à quelque nouveau juin 1940 qui pourrait,
désormais, être le fait d'un assaillant nucléaire ; mais aussi, parlementarisme
clair et net : le Premier ministre est responsable devant le Parlement ; le
chef de l'Etat est l'arbitre « au-dessus des pouvoirs et des conflits de
pouvoirs » et a, de surcroît, en charge de bien plus hauts intérêts que la
seule gestion quotidienne du pays.
Pour la petite histoire, qui a parfois une plus grande importance qu'on ne
l'imagine de prime abord, je dirai que, lors de la promulgation du texte de la
Constitution, le général de Gaulle est entré en fureur lorsqu'il a constaté que
la rédaction de Michel Debré, dont il s'était abstenu de vérifier tous les
termes, faisait un lien intempestif entre 1958 et les préambules des
constitutions antérieures de 1946, de 1848, etc. « Ainsi, s'est-il exclamé, les
démagogues qui sont les inspirateurs de ces additions vont-ils pouvoir ergoter
sur les droits de l'homme pour rendre l'internationalisme, le cosmopolitisme et
l'apatridisme opposables aux droits du citoyen auquel le préambule et l'article
1er de notre constitution de 1958 donnent clairement la primauté. »
Parallèlement, a travaillé place Vendôme, au ministère de la justice, une
équipe de spécialistes dirigés par le garde des sceaux pour établir l'équilibre
de la justice, qui ne peut être rendue qu'au nom du souverain, c'est-à-dire le
peuple français, justice dont le bras séculier est de la responsabilité du
Gouvernement par le garde des sceaux et le chef de l'Etat, élu de tous les
Français, président du Conseil supérieur de la magistrature, pour garantir
l'indépendance fonctionnelle de chaque magistrat à dire le droit tel qu'il a
été fixé par le législateur, c'est-à-dire le Parlement.
Aussi, du texte de la Constitution aux équilibres juridiques subtils, le
fondateur de la Ve République a-t-il tenu à faire un acte historique en
choisissant d'abord le peuple comme premier récipiendaire. Et pas n'importe où
ni n'importe quand : place de la République, au coeur même du Paris populaire,
à l'ombre de la statue érigée en 1883 pour célébrer le triomphe de la
République ; le 4 septembre, date anniversaire de la IIIe République, à
laquelle, lui qui l'a sauvée du désastre de 1940, il entend rattacher la
continuité républicaine.
En réalité, et c'est ce qui démontre son impartialité, cette Constitution de
1958, le général de Gaulle n'en avait pas besoin pour lui-même, pas plus qu'il
n'en avait eu besoin en 1945. Il avait l'approbation quasi unanime du peuple
français et celle, formelle, du Parlement, qu'il avait estimée indispensable.
Il aurait ainsi pu gouverner, tout comme le Gouvernement britannique, sans
autre constitution que le bon sens et l'approbation de l'opinion. Il est
d'ailleurs deux fois parti de lui-même lorsque ce Parlement et l'opinion lui
ont fait défaut.
C'est bien pour ses successeurs que la Constitution de la Ve République a été
établie, pour les obliger, autant que possible, à gouverner.
Sanctionnée par un vote massif - 15 % d'abstention seulement - et positif -
plus de 79 % de « oui » - le 18 septembre 1958, après avoir été solennellement
présentée le 4 septembre, elle reçoit du suffrage universel une ratification
d'une étendue sans précédent, valant quitus de tout et mandat pour l'avenir.
Aujourd'hui, après plusieurs rajustements de détail, souvent inspirés par ceux
qui veulent changer les règles du jeu à leur manière et parfois même par ceux
qui espèrent ouvertement ou sournoisement la détruire par des modifications
répétées, cette Ve République, certains ne l'ont, dans le fond, encore pas
admise parce qu'ils veulent un autre régime.
Et voilà maintenant qu'on nous propose de changer les dates des élections
respectives du Président de la République et de l'Assemblée nationale, cette
dernière prorogeant son propre mandat de près de trois mois et en urgence !
A la vérité, cette proposition vole bas par rapport à l'histoire, à la nature
et à la mission de la Ve République telles que nous venons de les rappeler.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Cette proposition est bien loin des préoccupations actuelles des Français :
immigration, déstabilisation sociale ou scolaire, insécurité, qui vont être le
principal problème de l'Europe en général, et de la France en particulier,
mutations industrielles ou commerciales et chômage, biologie, nucléaire,
informatique, transports, monnaies, impôts et taxes, etc.
Il est arrivé, dans le passé, qu'une assemblée ait elle-même abrégé son
mandat, mais jamais, en République, à ma connaissance, un parlement français
n'a, de lui-même, décidé de proroger son mandat. Le Président de la République
et le Sénat l'y avaient invité seulement en temps de guerre, en 1870, en 1916
et en 1940.
Dans le régime de la Ve République, le Président de la République peut, bien
entendu, abréger ce mandat par dissolution.
Quoi qu'il en soit, il ne faut pas chercher à tricher avec les dates des
élections de ce pays telles qu'elles tombent à leurs échéances normales.
Quelles que soient ces échéances, dispersées ou confondues, pour les
différentes élections, il n'y a pas, et il n'y aura pas de confusion chez les
Français, qui ne sont pas des citoyens sous-développés et qui ne peuvent pas
l'être. Tout cela pour dire qu'il ne faudrait tout de même pas trop déformer
l'esprit de notre Constitution !
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR.)
En fait, aujourd'hui, on nous demande de modifier un calendrier électoral au
profit d'un Premier ministre candidat, et ce pour faciliter son élection au
détriment des autres, maintenant que l'état de grâce dont il bénéficiait a
disparu, qu'il s'use au fur et à mesure que le temps s'écoule et qu'on constate
de plus en plus son incapacité à prendre quelque mesure fondamentale appropriée
que ce soit, sur les retraites, par exemple.
M. Philippe Marini.
Bon exemple !
M. Michel Pelchat.
Entre autres !
M. Philippe de Gaulle.
Pour ma part, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, je ne saurais souscrire à une manoeuvre qui n'est ni dans la nature
ni dans la vocation de notre République, qui n'est d'aucune utilité pour le
peuple français et qui constituerait même un précédent de manipulation fâcheux
pour notre démocratie.
Je me permets de penser que c'est l'avis du Sénat, dans sa grande majorité, et
que ce pourrait bien être aussi celui de la majorité des Français.
(Vifs
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel.
Quelle lucidité !
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
c'est avec une certaine surprise, pour ne pas dire une certaine stupéfaction,
que j'ai découvert l'inscription de ce texte par le Gouvernement à l'ordre du
jour de l'Assemblée nationale, puis du Sénat.
Je me suis d'abord demandé ce qui conduisait le Gouvernement à déclarer
l'urgence et, ensuite, si ce texte correspondait effectivement à une attente
forte des Françaises et des Français.
J'avais plutôt le sentiment que nos compatriotes attendaient d'autres
initiatives de la part du Gouvernement, dans des domaines qui concernent leur
vie de tous les jours, et en premier lieu la sécurité.
M. Serge Vinçon.
C'est d'actualité !
M. Alain Vasselle.
Il y a bien eu, ici ou là, dans un certain nombre de villes, la signature de
contrats locaux de sécurité, et ce n'est pas M. le secrétaire d'Etat au
logement, plus particulièrement chargé du logement social, qui me démentira sur
ce point. Mais si je comprends que le Gouvernement ait soutenu de telles
initiatives, je ne suis pas persuadé qu'il ait, ce faisant, répondu à l'attente
des Français, ni que les résultats aient été ceux que l'on attendait, notamment
dans les villes où l'insécurité sévit. Il suffit en effet d'ouvrir le journal
chaque jour pour se rendre compte que l'insécurité est encore bien présente
dans ce pays et qu'elle reste la préoccupation majeure des Français.
Un texte sur l'inversion du calendrier des élections législatives et
présidentielle avait-il une urgence réelle ?
M. Philippe Marini.
Aucune !
M. Alain Vasselle.
Répondait-il effectivement à une attente profonde des Français ? Je n'en suis
pas persuadé.
Par ailleurs, le Gouvernement peut-il considérer qu'il a répondu aux attentes
des Français en matière d'insécurité, de chômage, de retraites ?
S'agissant des retraites, des manifestations de rue ont été organisées ces
derniers jours par les partenaires sociaux. Elles tendaient à ramener le
Gouvernement à la réalité des choses. Le message était clair : pourquoi
n'assurez-vous pas les retraites de demain alors que vous avez tous les
éléments pour ce faire ?
Et je ne parle ni des questions d'environnement, ni de la justice, ni de la
famille !
J'ai tout de même noté, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce gouvernement a
une spécialité, celle de travailler « à crédit » et de laisser des ardoises.
N'est-ce pas Mme Guigou qui, garde des sceaux pendant quelque temps, s'est
dépêchée de quitter sa fonction sans prévoir les moyens devant permettre au
texte de loi sur la présomption d'innocence de trouver son application ?
N'est-ce pas Mme Aubry, qui, après avoir mis en place cette bombe à
retardement que sont les 35 heures, a quitté le Gouvernement sans prévoir un
financement équilibré de la mesure ? Sont ainsi remis en cause, au travers du
dispositif des 35 heures tel que prévu dans la loi de financement de la
sécurité sociale, et l'équilibre des comptes sociaux et l'alimentation du fonds
de réserve devant permettre le financement des retraites dans les années à
venir.
J'aurai d'ailleurs l'occasion, pas plus tard que demain, d'interroger le
Gouvernement sur ce sujet des retraites pour qu'enfin il nous apporte un
véritable éclairage.
Voilà deux jours, sur une chaîne publique, relativement tard dans la soirée,
j'ai pu suivre un débat auquel participaient Denis Kessler, Patrick Devedjian
et le porte-parole du groupe socialiste. Denis Kessler a notamment précisé
qu'il était prêt à engager de nouveau les négociations sur le dossier des
retraites, à condition que le Gouvernement annonce la direction dans laquelle
il souhaitait que la réforme soit engagée.
Il faut en effet reconnaître que, pour le moment, nous sommes toujours dans
l'attente d'une initiative gouvernementale. Après plusieurs rapports, on a
simplement créé le conseil d'orientation des retraites, qui ronronne gentiment,
mais dont il ne sort rien. On attend tranquillement les échéances électorales
de 2002. Il faut caresser l'électeur dans le sens du poil pour éviter des
réactions à des mesures impopulaires qu'il faudrait avoir le courage de prendre
et que le Gouvernement se refuse à prendre.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Me permettez-vous de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Alain Vasselle.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Je souhaite ajouter à l'argumentation de notre collègue Alain
Vasselle un élément qui ne me paraît pas mince.
Le Gouvernement vient de perdre 64 milliards de francs...
M. Serge Vinçon.
Exactement !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
... qu'il comptait affecter au maigrelet fonds de réserve des
retraites. Peut-être est-ce une raison supplémentaire, pour lui, de se demander
où il va et quand il pourra prendre enfin une décision. Perdre 64 milliards de
francs du fait de la défection de deux opérateurs à l'offre d'attribution des
licences UMTS, ce n'est pas rien, on en conviendra !
M. François Trucy.
C'est vrai !
M. Serge Vinçon.
Ce n'était pas prévu !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la remarque de M. le rapporteur est tout à fait
pertinente. J'ai lu, en effet, dans
Le Monde
d'hier soir,...
M. Philippe Marini.
C'est-à-dire le
Journal officiel ! (Sourires sur les travées du
RPR.)
M. Alain Vasselle.
... que le groupe Bouygues avait également décidé de retirer sa
candidature.
M. Serge Vinçon.
Absolument !
M. Alain Vasselle.
Or, le bénéfice de cette opération devait permettre à la fois d'alléger la
dette, à concurrence de 14 milliards de francs, et d'alimenter le fonds de
réserve, à hauteur de 18 milliards de francs.
C'est important, car le Gouvernement a toujours avancé comme preuve de sa
détermination à préparer l'avenir la création de ce fonds de réserve destiné à
faire face aux difficultés que rencontreront tous les régimes de retraite à
partir de 2020 et jusqu'en 2040.
Aujourd'hui, nous le savons, il y a pratiquement deux actifs pour un retraité
; à partir de 2020, il y aura un actif pour un retraité ; puis, à partir de
2040, il y aura moins d'un actif pour un retraité. Si donc les réformes
nécessaires ne sont pas engagées dès à présent, ce ne sont pas ceux qui partent
à la retraite aujourd'hui qui connaîtront des difficultés, mais nos enfants et
nos petits-enfants quand ils atteindront l'âge de la retraite.
M. Lucien Lanier.
Tout à fait !
M. Alain Vasselle.
Nous savons aussi que la seule progression du nombre de cotisants n'y suffira
pas. Les experts, dont M. Charpin lui-même, l'ont confirmé : même si l'on met
l'ensemble des Françaises et des Français au travail à partir de 2020, un taux
d'immigration positif ne suffira pas pour faire face aux besoins de financement
des régimes de retraite.
Il me paraissait nécessaire de souligner ici que ce qu'attendent les
Françaises et les Français, ce n'est pas l'inversion du calendrier des
élections présidentielle et législatives, qui relève plus des préoccupations
politiciennes et des arrière-pensées électorales du Gouvernement.
Aujourd'hui, vous connaissez une situation plutôt favorable au plan national,
voire international. M. Philippe Marini, rapporteur général du budget, ne
manque pas de le rappeler lors de l'examen de chaque projet de loi de finances,
si la situation de la France est plutôt positive s'agissant de l'activité
économique et de la réduction du chômage, ce n'est pas tant en raison de la
politique que mène le Gouvernement Jospin depuis 1997, mais c'est bien parce
qu'un contexte européen et international favorable sur le plan économique a
permis une reprise de notre croissance qui est venue au bon moment renflouer
les caisses de l'Etat.
Cette reprise a d'ailleurs provoqué le débat sur la fameuse « cagnotte », dont
vous avez eu du mal à vous dépêtrer puisque, à partir du moment où les Français
ont découvert l'existence de cette cagnotte, chacun a voulu profiter de
celle-ci et bénéficier de l'amélioration de la situation économique de la
France.
M. Philippe Marini.
Juste remarque !
M. Alain Vasselle.
Je crois d'ailleurs que vous n'avez dû faire que des déçus, puisque vous
n'avez pas pu satisfaire les revendications de l'ensemble des catégories
sociales.
Je pourrai citer un autre exemple. Lorsque Mme Martine Aubry, alors ministre
de l'emploi, a présenté, voilà maintenant un peu plus de deux ans, à l'occasion
de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale devant le
Parlement, la réforme qu'elle a ensuite engagée concernant la politique
familiale, elle a justifié la mise sous conditions de ressources de
l'attribution des allocations familiales et la fiscalisation de ces allocations
familiales par le fait que la branche famille était en déficit. Aujourd'hui, la
branche famille est excédentaire et le Gouvernement n'a pourtant pas pris
l'initiative, dans la loi de financement de la sécurité sociale, de redonner
aux familles nombreuses ce qu'elles avaient perdu.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
C'est faux !
M. Alain Vasselle.
Je ne parle pas des allocations familiales pour le logement.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
C'est quand même le régime de la branche famille qui
en assume 50 %.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Vasselle ?
M. Alain Vasselle.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
J'ai observé pour ma part que l'augmentation des prestations
sociales a été de 2,2 % pour l'ensemble des prestations et de 1,8 % seulement
pour les allocations familiales. On ne peut pas appeler cela une politique
familiale !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Vasselle.
M. Alain Vasselle.
J'ajoute que, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le
Gouvernement a prévu une revalorisation des retraites de 0,5 %. Or les
retraités ont considéré que les comptes n'y étaient pas et que cela ne
constituait pas un véritable rattrapage de leur pouvoir d'achat.
La revalorisation des retraites a été inférieure - je dois en donner acte au
Gouvernement - à celle qui était prévue pour les allocations familiales.
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité avait justifié la réforme
qu'elle avait mise en oeuvre par le déficit de la branche famille. Elle nous
avait même assuré que, dès que la branche famille serait en excédent, la
politique du Gouvernement pourrait être revue. Ainsi, les familles concernées
retrouveraient une situation comparable à celle qu'elles connaissaient
antérieurement.
Le fameux quotient familial a donc été mis en place. Il a pénalisé
essentiellement les classes moyennes. La politique familiale a été remplacée
par la politique sociale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis désolé de devoir vous le dire avec
force : il n'y a plus de politique familiale en France ! Cela se vérifie chaque
fois que vous prenez des mesures.
Ainsi, lorsque la loi d'orientation agricole a été soumise à l'examen du
Sénat, la préoccupation du Gouvernement n'a pas été de permettre à la
profession agricole de retrouver le chemin de la croissance économique, mais
elle a été de mener une politique purement sociale et environnementale : il
s'agissait de faire de la redistribution de crédits par le biais des CTE, ces
fameux contrats territoriaux d'exploitation,...
M. Philippe Marini.
Encore une illusion !
M. Alain Vasselle.
... en mettant en place la modulation, c'est-à-dire en prenant dans la poche
de Pierre pour distribuer à Jacques.
Cette opération n'a pas provoqué la satisfaction qu'avait annoncée M. Glavany,
puisque les CTE sont un véritable échec, même si un certain nombre sont signés
ici ou là. Et, actuellement, la profession agricole se mobilise pour dénoncer
les insuffisances de la loi d'orientation agricole.
Les préoccupations du Gouvernement sont bien celles qui correspondent à son
idéologie : faire du social, faire de la politique. Mais les préoccupations
majeures des Français, elles ne sont pas du tout satisfaites, même si, en
apparence, nos concitoyens se contentent de la situation actuelle.
Jusqu'au jour où un renversement de conjoncture...
M. Serge Vinçon.
Il approche !
M. Alain Vasselle.
... démontrera que la politique menée depuis 1999 a été néfaste pour la
France.
Le réveil sera plus douloureux qu'il ne l'a été en 1991 après le gouvernement
de M. Rocard et en 1993, où la situation avait empiré après la première période
de cohabitation, celle pendant laquelle M. Chirac avait été Premier
ministre.
La deuxième période de cohabitation a été plus douloureuse que la première car
les gouvernements en place ont dû engager à nouveau des réformes structurelles
et demander aux Français de fournir des efforts plus importants que ceux qui
leur avaient été demandés précédemment. Je suis persuadé, quant à moi, qu'une
troisièmepériode de cohabitation, si celle-ci devait survenir, ce que je ne
souhaite pas, serait encore plus douloureuse que la deuxième.
Le rôle de l'opposition consiste à apporter cet éclairage à l'ensemble des
Françaises et des Français afin qu'ils se rendent compte de la situation dans
laquelle ils risquent de se retrouver si le Gouvernement devait poursuivre la
politique actuelle.
Mes chers collègues, il y a des raisons d'être inquiets par une initiative de
cette nature, qui est loin des préoccupations fondamentales de nos
concitoyens.
Par ailleurs, cette proposition de loi répond bien à des arrière-pensées
électorales. C'est également le cas du projet de loi sur la parité et du projet
de loi sur le cumul des mandats. A mon avis, ces deux textes n'auraient eu
aucune raison d'être, monsieur le secrétaire d'Etat, si le Gouvernement avait
accepté de faire légiférer le Parlement sur le statut de l'élu.
M. Philippe Marini.
Ah oui, c'est vrai !
M. Alain Vasselle.
Le Sénat a pris l'initiative, grâce à M. le président du Sénat - je l'en
remercie une nouvelle fois - d'examiner la semaine dernière une proposition de
loi, que j'avais déposée et qui était cosignée par une centaine de sénateurs,
relative au statut de l'élu.
Le ministre qui siégeait au banc du Gouvernement nous a alors dit : « Bien que
je sois d'accord sur l'essentiel de votre texte, sur les trois quarts, pour ne
pas dire les 100 % des dispositions que vous proposez, je ne peux donner un
avis favorable parce que le Gouvernement va présenter au Parlement, au
printemps prochain, un projet de loi sur la décentralisation auquel sera
adjoint un volet sur le statut de l'élu. » Le Gouvernement ne l'avait pas prévu
initialement. Mais, puisqu'il y avait des initiatives parlementaires !...
Je relève que le groupe communiste, lui aussi, a réussi à faire inscrire à
l'ordre du jour de l'Assemblée nationale un texte sur le statut de l'élu.
L'Assemblée nationale a adopté un certain nombre de mesures, qui étaient
similaires à celles que j'ai proposées dans ma proposition de loi. Or le
Gouvernement, qui a approuvé ce qui était présenté par le groupe communiste à
l'Assemblée nationale, et qui approuve du bout des lèvres ce que je propose
dans cette enceinte avec plusieurs de mes collègues, conclut en disant : « Nous
sommes d'accord, mais nous ne donnerons pas un avis favorable parce qu'il faut
attendre le texte sur la décentralisation. »
M. Philippe Marini.
C'est dommage ! C'est un texte qui prend du retard !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Vous y contribuez !
M. Alain Vasselle.
Le Gouvernement préfère garder la main, garder l'avantage médiatique et
politique. Il ne souhaite donc pas que les mesures soient portées au crédit du
Sénat.
Il en a été de même en ce qui concerne la proposition de loi constitutionnelle
déposée par M. le président du Sénat. La Haute Assemblée l'a adoptée, mais le
Gouvernement a dénigré le dispositif imaginé par notre président et qui
invitait le Parlement à mener une réflexion fondamentale sur nos institutions,
sur les réformes constitutionnelles absolument nécessaires pour assurer aux
collectivités territoriales la sécurité de leurs ressources financières à
travers les contributions d'Etat.
C'est la raison pour laquelle je suis persuadé que, si le Gouvernement n'avait
pas mis la charrue devant les boeufs et avait accepté ou proposé un texte sur
le statut de l'élu, nous n'aurions pas eu besoin des projets de loi sur la
parité ou sur le cumul des mandats.
Le groupe communiste s'est d'ailleurs rendu compte très rapidement de la
limite de l'exercice, puisque la parité crée bien des difficultés à certaines
têtes de liste.
Je ne sais pas ce qu'il en est dans votre belle ville de Savoie, monsieur le
secrétaire d'Etat. Parvenez-vous à réaliser la parité ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Sans difficulté !
M. Alain Vasselle.
Il faudrait que vous donniez la recette à ceux qui peinent à la mettre en
oeuvre. Nombre de collègues, notamment dans les communes de 3 500 à 4 000
habitants, ne parviennent pas à boucler leur liste !
M. Philippe Marini.
Ils n'ont qu'à prendre les femmes des conseillers sortants !
M. Alain Vasselle.
Ils doivent faire de multiples démarches pour que des femmes acceptent de
figurer sur une liste en vue des élections municipales.
La présence des femmes sur les listes en vue des élections municipales ne
relève pas de dispositions législatives. Rien dans les textes n'interdisait aux
femmes de se présenter à des élections, quelles qu'elles soient.
M. Serge Vinçon.
Absolument !
M. Alain Vasselle.
La preuve en est : Mme Brisepierre est des nôtres.
M. Emmanuel Hamel.
C'est un cas exceptionnel, unique !
M. Alain Vasselle.
D'autres femmes sont sénateurs, députés ou élues dans les assemblées
municipales, cantonales ou régionales. Le problème des femmes c'est d'avoir un
statut de l'élu qui leur permette de concilier leur vie professionnelle, leur
vie familiale, et leur vie élective.
Tant que vous n'aurez pas réglé la question du statut de l'élu, il y aura des
difficultés. Y arriver par la force, par la voie législative n'est pas une
bonne méthode. On verra ce que cela donnera ! On verra comment fonctionneront
ces assemblées municipales avec des femmes qui rencontreront des
difficultés.
D'ailleurs, le groupe communiste, qui ne s'y est pas trompé, a déposé sa
proposition de loi sur le statut de l'élu. Il propose de régler le problème de
la garde des enfants, c'est-à-dire la prise en charge par la collectivité
publique des frais de garde d'enfants. Il sait très bien que, si ces femmes ne
trouvaient pas de solution pour se libérer de leurs charges familiales liées à
l'éducation de leurs enfants, elles ne pourraient pas assumer complètement leur
mandat.
Chaque jour, la démonstration est faite. Les textes de loi sont adoptés par
l'Assemblée nationale. A chaque occasion, le Sénat n'a pas manqué d'alerter le
Gouvernement sur les effets pervers des dispositions législatives qu'il fait
adopter et sur les difficultés pratiques que nous allons rencontrer dans leur
mise en application. Chaque fois, vous en êtes alertés. Pourtant, chaque fois,
vous passez en force. Malheureusement, lorsque les Français ont à vivre
l'application de ces textes au quotidien, ils ne peuvent qu'en souffrir et
rencontrer des difficultés.
Mes chers collègues, voilà en ce qui concerne les préoccupations des
Français.
Beaucoup d'autres exemples pourraient être cités. Je pense, notamment, aux
emplois-jeunes ou encore au fameux texte sur la solidarité et le renouvellement
urbains, le SRU. D'une manière un peu plus insidieuse, des mesures sont prises
pour faire en sorte que le parti socialiste, ou la majorité plurielle, garde
complètement le pouvoir en matière de politique d'aménagement du territoire et
d'urbanisme, et que les Françaises et les Français n'aient pas toute la liberté
d'action qui devrait être la leur dans le cadre d'une société comme la
nôtre.
Un autre texte démontre encore que ce gouvernement a des préoccupations
électoralistes - comme c'est le cas avec cette proposition de loi que nous
examinons aujourd'hui - c'est la fameuse loi relative à la chasse. Il fallait
donner satisfaction à une partie de la gauche plurielle, c'est-à-dire à Mme
Voynet ! Les chasseurs sont descendus dans la rue et un certain nombre
d'aménagements du texte ont été obtenus pour éviter de fâcher un peu trop une
partie de l'électorat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous savez très bien que parmi les chasseurs
une bonne partie de l'électorat est de votre côté. Il fallait donc à tout prix
ne contrarier ni Mme Voynet ni les chasseurs. On s'est donc retrouvé avec un
texte mi-figue mi-raisin, et ce fameux mercredi devenu un jour de non-chasse !
Je me suis toujours demandé s'il n'avait pas un caractère anticonstitutionnel.
D'ailleurs, je crois savoir que, même si tel n'a pas été l'avis du Conseil
constitutionnel, un recours a été engagé devant les instances européennes pour
leur demander de se prononcer sur le bien-fondé d'une disposition de cette
nature.
Lorsque le Gouvernement a engagé la réforme du mode d'élection des sénateurs,
n'avait-il pas d'arrière-pensées électorales, comme il en a aujourd'hui ? Cette
réforme n'avait-elle pas pour objet d'améliorer la représentation du parti
socialiste et du parti communiste au sein de la Haute Assemblée ? N'était-ce
pas une manipulation patente de la part du Gouvernement ?
M. Philippe Marini.
Une complète manipulation politique !
M. Serge Vinçon.
Absolument !
M. Alain Vasselle.
L'objectif est bien d'essayer, grâce à une meilleure représentation du parti
socialiste au Sénat, de permettre au Gouvernement d'atteindre la majorité des
trois cinquièmes au Congrès et donc d'être en mesure d'engager toutes les
réformes constitutionnelles qu'il souhaiterait faire voter !
Parlons précisément des réformes constitutionnelles. Depuis 1992, date à
laquelle je suis devenu sénateur, je crois être allé au moins sept fois à
Versailles. Je ne pense pas qu'en vingt ou vingt-cinq ans, au cours de leurs
mandats, les sénateurs qui m'ont précédé - ils sont un certain nombre ici - y
soient allés plus d'une ou deux fois ! Il n'y a jamais eu autant de réformes
constitutionnelles que ces dernières années. Je dois admettre qu'elles sont
intervenues sur l'initiative tant des gouvernements précédents que du vôtre.
Certes ! Mais l'envie ne vous manque pas de convoquer le Congrès un peu plus
souvent !
Si le Sénat n'avait pas fait valoir l'incohérence qu'il y aurait eu à adopter
à Versailles le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de
la magistrature sans engager préalablement une réforme globale de la justice,
le Gouvernement n'aurait pas fait marche arrière ni fait examiner le projet de
loi renforçant la protection de la présomption d'innocence !
S'agissant du quinquennat, même si je n'ai pas eu l'occasion de le dire à la
tribune parce que je ne m'étais pas inscrit dans le débat qui nous a conduits à
décider, dans un consensus quasi général, la réduction du mandat présidentiel,
je fais partie de ceux qui pensent que la réforme de la durée du mandat du
Président de la République ne se limitait pas à une question de durée. Si elle
pouvait peut-être se justifier, elle devait en tout cas, à mon sens, faire
partie d'une réforme globale.
Faire en permanence des « réformettes » de notre Constitution, ce n'est pas
très sérieux et c'est vraiment manquer de considération à l'égard des
Françaises et des Français !
Pour le quinquennat, un référendum a été organisé sur l'initiative du
Président de la République et en accord avec le Premier ministre. Mais quelle
est la légitimité d'une réforme constitutionnelle qui a mobilisé moins de 30 %
des Français, puisque à peine 27 % ou 28 % d'entre eux ont accepté de se
déplacer ? Cette réforme a fait l'objet d'une approbation d'autant plus faible
qu'un pourcentage non négligeable de Françaises et de Français s'y sont opposés
!
Pour ma part, je pense que nous ne devrions pas engager de réforme
constitutionnelle sans avoir l'assurance d'un minimum de participation des
électrices et des électeurs de ce pays. Il faudrait qu'au moins 50 % des
Françaises et des Français s'expriment pour considérer qu'il y a adhésion de la
population française à une réforme de notre constitution. Lancer une réforme
qui engage l'avenir de la France, de ses institutions, de sa Constitution avec
une si faible adhésion de la population française m'apparaît particulièrement
préoccupant.
Je regrette, de ce point de vue, que le Gouvernement n'ait pas fait preuve
d'une attention plus soutenue. Il serait bien inspiré de déposer un projet de
loi tendant à prévoir qu'aucune réforme constitutionnelle ne pourra désormais
être mise en oeuvre sans un minimum de participation des électrices et des
électeurs au scrutin. C'est déjà la règle pour un certain nombre d'élection,
celle des conseillers généraux par exemple. Les électrices et les électeurs le
savent, ne peut être considéré comme élu un conseiller général qui
recueillerait au premier tour la majorité des suffrages exprimés avec moins
d'un quart des inscrits. Un second tour est nécessaire.
Cette mesure montre la préoccupation fondamentale qui a été, à l'époque, celle
du législateur pour démontrer qu'il faut, pour représenter une population, un
minimum de légitimité, participation à l'élection concernée. Il devrait en être
de même pour les réformes constitutionnelles, surtout lorsqu'elles donnent lieu
à un réfé-rendum !
La solution de facilité aurait été d'aller à Versailles pour faire adopter le
quinquennat. Vous auriez peut-être eu de bonnes chances d'obtenir la majorité
qualifiée nécessaire pour faire aboutir la réforme. Elle n'aurait toutefois pas
eu la même valeur que celle qui résulte d'un référendum à l'occasion duquel
s'exprime l'ensemble des Françaises et des Français. Sur ce point, j'adhère
complètement à l'initiative qui a été prise par le Président de la République,
car les Françaises et les Français devaient se prononcer sur ce point et non
pas le Parlement seul.
La proposition de loi organique relative à l'inversion du calendrier électoral
s'inscrit, mes chers collègues, dans la continuité du syndrome qui touche le
Gouvernement, celui d'une « réformite » aigue de nos institutions qui tend à
devenir chronique. Mais, chacun le sait, une « réformite » ne donne que des
réformettes et non de véritables réformes !
Nous avions pourtant pris la peine d'alerter le Gouvernement sur les risques
qu'il faisait courir à notre démocratie et à nos institutions de la Ve
République. Si notre régime politique n'est plus viable, il faut d'abord
prendre le temps d'établir un véritable diagnostic afin d'engager un débat
constitutionnel digne de ce nom.
Ce n'est pas en escamotant un débat aujourd'hui nécessaire que nous y
gagnerons dans l'amélioration de notre Etat de droit. C'est d'ailleurs pour
cette raison que mes collègues de la majorité sénatoriale et moi-même attachons
de l'importance au débat d'aujourd'hui.
D'aucuns avanceront des raisons électoralistes, mais je rappellerai à ceux-là
que la discussion générale, dans le cadre de la procédure législative, consacre
la liberté d'opinion et la liberté d'expression, qui sont parmi les plus
précieuses dans une démocratie, car elles permettent encore au Parlement
d'exercer sa fonction, si ce n'est son pouvoir, alors qu'il est dévalorisé
aujourd'hui.
Les conséquences institutionnelles de ce texte ne peuvent être déniées. Elles
doivent même être reliées à d'autres, qui résultent notamment de la récente
modification de notre Constitution relative au quinquennat.
L'ampleur de cette réforme a sans doute été mal mesurée et le taux d'absention
a montré qu'on ne pouvait pas engager à la légère des réformes
constitutionnelles de cette nature sans veiller à ce que les Françaises et les
Français fassent preuve de civisme en y participant nombreux. Ce taux de
participation nous renseigne sur l'état de notre démocratie représentative.
L'inversion du calendrier électoral permettra-t-elle à nos concitoyens de se
sentir mieux représentés ? Je ne le pense pas. D'autres réformes offriraient de
meilleures réponses aux attentes légitimes des Français.
Les profonds changements intervenus ces dernières années dans la vie
économique et sociale posent la question de savoir comment l'Etat s'adaptera à
cette évolution. Permettez-moi d'emprunter le titre d'une communication du
professeur Pierre Vellas : « Pour les années 2000 : un Etat à réformer ou à
réinventer ? » Il faudrait être aveugle pour ne pas mesurer la pertinence de
cette question !
L'évolution de la notion d'Etat dans la société internationale et les
dysfonctionnements de la société d'aujourd'hui marquent le besoin de faire
quelque chose.
Mais, aujourd'hui encore, cette réforme de l'Etat est marquée par de fausses
manoeuvres - et la proposition de loi qui nous intéresse ce jour en est une -
qui en étouffent l'intérêt urgent.
A l'évidence, cette réforme n'a pas été préparée sérieusement. Elle a même
disparu du débat politique. J'en veux pour preuve le faible taux de
participation de nos collègues socialistes dans la discussion générale.
Je vois que les travées du groupe socialiste et celles du groupe communiste
républicain et citoyen sont particulièrement vides.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Je les comprends !
M. Alain Vasselle.
J'ai noté d'ailleurs qu'à l'Assemblée nationale les membres du groupe
socialiste n'avaient pas été beaucoup plus nombreux à participer au débat !
Je ne me permettrai pas de soupçonner un quelconque désintérêt pour le sujet,
tout au plus me permettrai-je de présumer un certain aveu de leur part quant
aux intentions peu louables et, pour le coup, purement électoralistes qui
s'attachent à cette manoeuvre du Gouvernement.
M. Jospin ne nous fera pas croire qu'un esprit bien déterminé tel que le sien
n'aurait pas mesuré les conséquences constitutionnelles de ces divers projets
et propositions de réforme, prétendument modernes et qui, additionnées et dans
une vision globale, entraînent des mutations profondes et le délitement de
notre régime.
Ainsi, qu'il affiche clairement sa volonté de transformer radicalement nos
institutions, c'est la moindre des exigences qui s'impose au chef de
gouvernement qui se veut, ou se dit, respectueux du peuple souverain.
C'est aussi la moindre des exigences qui s'impose à un chef de gouvernement
tirant sa seule légitimité de la majorité parlementaire qui le soutient mais
qui se trouve désunie aujourd'hui autour de cette question.
Le débat de ce jour y gagnerait en « lisibilité » et nous ne serions pas
obligés de lire entre les lignes tels des exégètes au discours parfois teinté
d'amertume.
Notre Constitution, charte fondamentale de l'organisation de l'Etat, n'est pas
une norme figée. C'est une norme vivante qui peut être révisée mais qui ne doit
pas être modifiée à tout rompre !
Parce qu'elle est une vraie création d'origine humaine, elle est un esprit et
des institutions. Si, aujourd'hui, la réforme attendue de l'Etat nécessite un
lissage de notre texte fondamental, voire une révision plus globale, nous ne
devons pas faire l'économie, dans un premier temps, d'une réelle réflexion sur
la réforme de l'Etat. Ce n'est que dans un second temps que l'on pourra entamer
une modification de la Constitution.
On doit veiller à ce que la Constitution en tant que norme suprême ne soit pas
« abîmée » par le mouvement inflationniste touchant les normes qui lui sont
soumises ; je veux parler des normes législatives et réglementaires.
La surproduction normative est une réalité, et j'en profite pour citer, à ce
propos, le rapport public du Conseil d'Etat de 1991 :
« Le droit n'apparaît plus comme une protection mais comme une menace. Enfin,
rien n'est plus contraire au principe d'égalité entre les citoyens que de
laisser proliférer un droit si complexe qu'il n'est accessible qu'à une poignée
de spécialistes... Si l'on n'y prend garde, il y aura demain deux catégories de
citoyens : ceux qui auront les moyens de s'offrir les services des experts pour
détourner ces subtilités à leur profit et les autres, éternels égarés du
labyrinthe juridique, laissés pour compte de l'Etat de droit. »
M. Jospin serait donc aujourd'hui le défenseur farouche de l'esprit de la
Constitution, alors qu'il faisait partie autrefois de ses plus féroces
détracteurs. Mes collègues ont déjà souligné que le fait que d'éminents
constitutionnalistes aient choisi de faire une lecture de la Constitution
propre à soutenir l'inversion du calendrier électoral de 2002 ne confère pas à
leur opinion valeur de parole d'évangile. Que ces éminents constitutionnalistes
soient en désaccord avec d'autres constitutionnalistes tout aussi éminents
relativise largement leur position.
Mais voilà, M. Jospin veut tout et oublie que nous n'avons pas été élus pour
favoriser l'élection de la gauche plurielle et encore moins la sienne. Il est
sain de le rappeler ! N'ayons pas peur de nos convictions ! C'est aussi cela
respecter le jeu de la démocratie.
Ne répugnons pas à le dire et à le redire même si nous n'avons pas toujours le
sentiment d'être écoutés, car nous avons au moins l'assurance d'être lus.
J'espère, mes chers collègues, que cette longue discussion générale aura
permis aux Françaises et aux Français d'être sensibilisés et de mieux
comprendre les arrière-pensées de ce Gouvernement. Celui-ci n'a, en effet,
d'autre souci que de créer, par la voie législative, toutes les conditions qui
permettent de pérenniser sa situation à la tête de ce pays, même si cela peut
en coûter aux Françaises et aux Français et même si cela peut mettre en cause à
la fois leur liberté, leurs conditions de vie, mais également leur sécurité et
leur épanouissement ainsi que ceux de leur famille.
Mes chers collègues, j'espère qu'ils ne seront pas dupes de cette initiative
du Gouvernement et qu'ils sauront sévèrement sanctionner celui-ci à l'occasion
des échéances électorales à venir.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR.)
8
DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi portant ratification de
l'ordonnance n° 2000-1249 du 21 décembre 2000 relative à la partie législative
du code de l'action sociale et des familles.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 212, distribué et renvoyé à la
commission des affaires sociales sous réserve de la constitution éventuelle
d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
9
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. Nicolas About une proposition de loi visant à améliorer les
droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer
dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les
enfants naturels ou adultérins.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 211, distribuée et renvoyée à
la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
10
TRANSMISSION DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture,
relative à la répression des rejets polluants des navires.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 207, distribuée et renvoyée à
la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture,
relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 208, distribuée et renvoyée à
la commission des affaires sociales.
11
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil portant mesures spécifiques concernant
certains produits agricoles en faveur des départements français d'outre-mer.
Proposition de règlement du Conseil portant mesures spécifiques concernant
certains produits agricoles en faveur des Açores et de Madère. Proposition de
règlement du Conseil portant mesures spécifiques concernant certains produits
agricoles en faveur des îles Canaries. Proposition de règlement du Conseil
modifiant le règlement (CE) n° 1254/1999 portant organisation commune des
marchés dans le secteur de la viande bovine.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1647 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- communication de la commission au Conseil et au Parlement européen sur un
deuxième train de mesures communautaires en matière de sécurité maritime suite
au naufrage du pétrolier Erika. Proposition de directive du Parlement européen
et du Conseil relative à la mise en place d'un système communautaire de suivi,
de contrôle et d'information sur le trafic maritime. Proposition de règlement
du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en place d'un fonds
d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures dans
les eaux européennes et d'autres mesures complémentaires. Proposition de
règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une agence européenne
pour la sécurité maritime.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1648 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la
directive 97/68/CE sur le rapprochement des législations des Etats membres
relatives aux mesures contre les émissions de gaz et de particules polluants
provenant des moteurs à combustion interne destinés aux engins mobiles non
routiers.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1649 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1259/1999
établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le
cadre de la politique agricole commune.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1650 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- lutte contre la traite des êtres humains et relative à la lutte contre
l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie : communication de
la Commission au Conseil et au Parlement européen. Proposition de
décision-cadre du Conseil relative à la lutte contre la traite des êtres
humains. Proposition de décision-cadre du Conseil relative à la lutte contre
l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1651 et distribué.
12
RENVOI POUR AVIS
M. le président. J'informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence de modernisation sociale (n° 185, 2000-2001), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires culturelles.
13
DÉPÔT DE RAPPORTS
M. le président.
J'ai reçu de Mme Dinah Derycke le rapport d'activité pour l'année 2000 de la
délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les
hommes et les femmes et le compte rendu des travaux de cette délégation sur la
prostitution, déposé en application de l'article 6
septies
de
l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires.
Le rapport sera imprimé sous le n° 209 et distribué.
J'ai reçu de M. Francis Giraud un rapport, fait au nom de la commission des
affaires sociales, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale,
après déclaration d'urgence, relatif à l'interruption volontaire de grossesse
et à la contraception (n° 120, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 210 et distribué.
14
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au jeudi 1er février 2001 :
A dix heures :
1. Suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166,
2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Rapport (n° 186, 2000-2001) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé à la clôture de la
discussion générale.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la proposition de loi
organique.
A quinze heures :
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL,
DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Patrice Gélard a été nommé rapporteur de la proposition de loi organique n°
6 (2000-2001) de M. Josselin de Rohan tendant à harmoniser les conditions
d'éligibilité aux mandats électoraux et aux fonctions électives dont la
commission des lois est saisie au fond.
M. Patrice Gélard a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 7
(2000-2001) de M. Josselin de Rohan tendant à harmoniser les conditions
d'éligibilité aux mandats électoraux et aux fonctions électives dont la
commission des lois est saisie au fond.
M. Georges Othily a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 115
(2000-2001) de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel relative aux
conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle
général des prisons dont la commission des lois est saisie au fond.