SEANCE DU 24 JANVIER 2001
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
1
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Robert Del Picchia, Pierre Hérisson,
Louis de Broissia, Michel Pelchat, Pierre Fauchon.
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
3.
Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes
(p.
3
).
MM. le président, Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes ; Alain
Lambert, président de la commission des finances.
4.
Modification de l'ordre du jour
(p.
4
).
5.
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
5
).
6.
Dépôt d'un rapport
(p.
6
).
7.
Dépôt d'un rapport d'information
(p.
7
).
8.
Ordre du jour
(p.
8
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi
organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Del Picchia.
M. Robert Del Picchia.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour éviter
les répétitions, puisque le reproche a été formulé hier, j'évoquerai un cas un
peu particulier.
Mais avant d'aller plus loin, permettez-moi de répondre par avance à une
question que certains d'entre vous pourraient se poser en me voyant à cette
tribune : mais que vient donc faire un sénateur des Français de l'étranger dans
cette galère ?
(Sourires.)
Et certains, toujours les mêmes, d'ailleurs, d'ajouter
vraisemblablement qu'il s'agit de problèmes de politique intérieure, qui, de
plus, concernent surtout l'Assemblée nationale.
Je comprends fort bien que l'on puisse s'interroger. Il est vrai qu'un
sénateur des Français de l'étranger est censé s'intéresser davantage aux
problèmes extérieurs, notamment à la politique étrangère, à la défense, à
l'enseignement du français à l'étranger, à la coopération, ou encore à l'aide
sociale en faveur des expatriés.
A cela, je réponds d'abord que les quelque 1,8 million de Français établis
hors de France sont des Français à part entière, et non pas, comme le disent ou
le pensent certains, des Français entièrement à part. Comme les Français de
métropole, ils sont pleinement concernés par tout ce qui se passe sur le
territoire national,
a fortiori
quand il s'agit d'élections auxquelles,
il convient de le souligner, les Français de l'étranger participent.
Je rappelle, à cet égard, que les Français établis hors de France votent aux
législatives par procuration, ou personnellement, le jour du vote ; pour les
présidentielles, les référendums et les élections européennes, ils peuvent même
voter dans les bureaux de vote installés dans les ambassades et les
consulats.
Il est donc normal que les Français établis hors de France fassent entendre
leur voix dans ce débat national.
En outre, aux termes de l'article 24 de la Constitution, « les Français de
l'étranger sont représentés au Sénat. » Par sa simplicité et sa clarté, cette
courte phrase indique qu'ils ne sont pas représentés à l'Assemblée nationale.
Et, pourtant, ils participent, puisqu'ils votent pour les députés. Leur seule
représentation parlementaire étant le Sénat, il est normal que ce soit dans
cette chambre que leurs positions soient développées.
M. Louis de Broissia.
Très habile démonstration !
M. Robert Del Picchia.
Mes collègues sénateurs représentant les Français de l'étranger pensent sans
doute la même chose et feront peut-être comme moi.
Les reproches faits, à tort, certes, mais faits tout de même au Sénat, que
l'on accuse de vouloir s'occuper de ce qui ne regarderait que l'Assemblée
nationale, même s'ils étaient justifiés, ce que je ne pense pas, ne
s'appliqueraient peut-être pas aux sénateurs représentant les Français de
l'étranger, qui sont aussi chargés par leurs mandants de s'occuper de ce qui se
passe à l'Assemblée nationale, puisqu'ils représentent les Français de
l'étranger au Parlement.
Une autre raison me pousse à intervenir aujourd'hui : il est peut-être bon que
nos collègues députés, qui n'ont pas l'habitude de côtoyer les élus de
l'étranger, puissent entendre, ou lire dans le
Journal officiel,
des
propos un peu différents de ceux qu'ils entendent régulièrement sur la
politique qui, en l'espèce, n'est plus seulement intérieure, car l'élection à
l'Assemblée nationale et, surtout, l'élection présidentielle touchent aussi à
la politique extérieure.
Enfin, permettez-moi d'apporter une petite précision technique. S'agissant des
fameuses signatures destinées à appuyer une candidature à la présidence de la
République, il ne faudrait pas oublier celles des élus des Français de
l'étranger ; je pense là aux cent cinquante grands électeurs des sénateurs
représentant les Français de l'étranger, qui, élus au suffrage universel,
siègent au Conseil supérieur des Français de l'étranger : ces cent cinquante
personnes dispersées dans le monde entier ont aussi le droit de signer en
faveur d'un candidat à la présidence de la République.
Vous le voyez, nous avons de bonnes raisons, nous, représentant les Français
de l'étranger, qui, de par la Constitution, sommes dans un rôle un peu hybride,
à la fois députés et sénateurs des Français de l'étranger, de faire entendre la
voix et les remarques des Français qui résident hors de France, qui ont
peut-être une autre vue des choses et, en tout cas, un peu plus de recul.
Je me garderai bien de juger. Il s'agit non pas de juger, mais peut-être
d'expliquer ce que nous ressentons, nous, Français de l'étranger, face à ce
débat sur l'inversion du calendrier électoral.
Que pensent les Français établis hors de France de ce débat ?
J'ai interrogé, dans une quinzaine de pays, des Français issus de couches très
différentes de la population, et leurs réponses sont quelquefois brutales. Par
souci d'équilibre politique - habitude de rigueur de l'étranger - je me
bornerai à cette réflexion, qui résume bien les réponses : « Avec tout ce qui
se passe dans le monde, avec tous les débats en France, avec tous les problèmes
non encore résolus - retraite, sécurité, enseignement, justice, inquiétude des
jeunes - ils n'ont donc que cela à faire ? » Entendez par ce « ils », les
hommes politiques !
Et une seconde question suit immédiatement la première : « A quoi cela va-t-il
servir ? »
Voilà, en résumé, la première réaction : est-ce si urgent ? A quoi cela
va-t-il servir ?
Et les mêmes d'ajouter : « Vous perdez votre temps. De toute façon, nous
voterons pour qui nous voudrons comme députés, comme président, avant ou après.
» Car ainsi est le processus démocratique : chacun votera pour qui il voudra,
avant ou après, les dates des élections important peu. Bien évidemment, il ne
s'agit que d'une extrapolation et les conclusions que l'on peut en tirer sont
limitées, mais les statistiques prouvent que jamais, à quelques semaines
d'intervalle, les Français de l'étranger n'ont émis des votes opposés.
Sur le fond - on nous l'a fait remarquer tout au long des débats ou par presse
interposée, d'ailleurs - certains estiment que les gaullistes ne peuvent qu'y
être favorables, que cela relève de l'esprit gaulliste, encore que, dans la
pratique de la Ve République, et de nombreux orateurs l'ont noté avant moi, sur
les six élections présidentielles intervenues au suffrage universel depuis
1962, deux seulement ont immédiatement précédé des élections législatives, pour
des raisons que nous connaissons.
Les Français de l'étranger se posent la question et nous pouvons nous la poser
avec eux. A quoi va-t-on aboutir ? Cette modification touche-t-elle à l'avenir
des institutions ? Allons-nous passer de la Ve à la VIe République ?
Mais, et tout le monde en est d'accord, ce n'est pas le débat d'aujourd'hui,
et, même s'il a eu lieu brièvement à l'Assemblée nationale, il mériterait des
jours et même des nuits de discussion.
Reste que, aujourd'hui, nous sommes simplement confrontés à une inversion des
dates d'élections, question simple, mais qui donne à réfléchir, d'abord sur la
méthode, ensuite sur les raisons qui poussent à cette inversion.
En allant plus loin dans la réflexion, et au détour d'une conversation avec
d'éminents juristes - car il y en a aussi parmi les Français de l'étranger - on
a attiré mon attention sur ce débat en posant deux questions d'apparence
anodine : est-ce vraiment conforme à la Constitution ? De quoi s'agit-il ?
La proposition de loi, comme vous le savez, mes chers collègues, tend à
modifier, en l'inversant, le fameux calendrier électoral. Plusieurs solutions
étaient possibles, mais il semble que l'on s'oriente aujourd'hui vers un
allongement de la durée du mandat des députés actuels. Les Français de
l'étranger l'ont très bien compris et, au fond, très honnêtement, cela ne les
dérange pas plus que cela ! Simplement, quand on leur explique ce que
représente cet allongement, ils s'interrogent : est-ce que tout cela est bien
constitutionnel ?
Certains constitutionnalistes estiment que cet allongement est possible s'il
ne dure pas trop longtemps et qu'il permettrait même de faciliter
l'organisation des élections. A cet égard, j'ai entendu, avec un certain
intérêt, de véritables et belles leçons de droit constitutionnel dans la bouche
de mes éminents collègues socialistes. Leur démonstration paraît sans faille
et, je dois le reconnaître très honnêtement devant la Haute Assemblée, j'étais
presque totalement convaincu. Cependant, précisément du fait de leur talent, je
suis persuadé qu'ils auraient été tout aussi capables de faire la démonstration
inverse : n'aurais-je pas été alors également convaincu ? Ces démonstrations me
laissent donc très circonspect.
D'autres constitutionnalistes estiment, en revanche, que prolonger de
plusieurs semaines la durée du mandat des députés pourrait peut-être faire un
peu long. De surcroît, même si la prolongation est validée par le Conseil
constitutionnel, même si, comme l'ont expliqué certains, le Conseil
constitutionnel se garde de jouer le rôle de législateur, la proposition de loi
organique pourrait ne pas être validée, et pour d'autres raisons.
Certains pensent à la méthode, à la procédure, notamment à l'absence d'avis
du Conseil d'Etat. Je sais que les avis sont partagés et qu'il s'en trouvera
toujours pour nous expliquer l'esprit de la loi. Tous ces débats de
spécialistes qui intéressent un milieu restreint - des juristes, des hommes
politiques et quelques journalistes - ont-ils une quelconque crédibilité auprès
de la population ?
M. Louis de Broissia.
Pas vraiment !
M. Robert Del Picchia.
Je me garderai bien de me prononcer sur l'opinion de la population en
métropole. Mais, pour ce qui est des Français de l'étranger, selon le sondage
auquel j'ai procédé, il semble qu'il n'en soit rien. Ces explications de la «
légalité constitutionnelle » - ou son contraire, qui peut d'ailleurs être tout
aussi bien expliqué par les mêmes - n'ont aucun impact sur l'électeur, quel
qu'il soit. Pour lui, tout cela n'est que « blabla » - je cite le mot le plus
employé !
Que veut-on faire ? Pourquoi ? Telles sont les deux questions qui dominent.
A la première, on est obligé de répondre : « Allonger le mandat des députés ».
La réponse des Français de l'étranger est assez étonnante : « Ah bon ? Mais on
ne m'a pas demandé mon avis ». Et ils ajoutent dans la foulée : « De quel droit
les élus prolongent-ils leur propre mandat ? Mon député, je l'ai élu pour cinq
ans, pas plus. Il faudrait me demander si je suis d'accord pour prolonger son
mandat. » Ils terminent parfois en disant avec une certaine malice un peu
provocante : « J'ai peut-être changé d'avis sur lui et, s'il fait cela, je
risque fort de changer mon vote la prochaine fois ! »
Le Français de l'étranger souhaite donc qu'on lui demande son avis.
Bien sûr, on répond à ces propos que le mandat des députés est de cinq ans et
que, hormis le cas de dissolution, ces derniers l'exercent jusqu'au bout. On
répond ensuite que c'est le principe de la représentativité parlementaire, les
députés et les sénateurs étant au Parlement pour faire entendre la voix des
électeurs. Lorsque se dégage une majorité, on peut dire que c'est la majorité
des Françaises et des Français qui, à travers leurs élus, ont accepté ou
repoussé telle ou telle décision.
Seulement voilà, la majorité qui gouverne n'est pas celle qui veut prolonger
le mandat des députés.
Je m'explique.
Si les élus socialistes semblent tous d'accord - en tout cas leur vote à
l'Assemblée nationale le prouverait - qu'en est-il de leurs alliés ? Les
Français de l'étranger me font alors remarquer la position de M. Robert Hue, le
leader du parti communiste à l'Assemblée nationale.
Je ne voudrais pas, monsieur le président, aller très loin dans les
citations.
M. Louis de Broissia.
Si, faites-en quelques-unes car on connaît mal ce sujet !
M. Robert Del Picchia.
Je citerai seulement, me référant au
Journal officiel,
M. Robert Hue,
qui a dit à l'Assemblée nationale : « Le parti communiste a affirmé d'emblée
son opposition à l'inversion du calendrier électoral de 2002 destinée à faire
précéder les élections législatives par les élections présidentielles.
Aujourd'hui, je confirme en son nom et au nom des députés du groupe communiste
et apparentés notre hostilité à ce projet. En conséquence, nous voterons contre
les propositions de loi organique qui nous sont soumises. »
Les signataires de la proposition de loi n'ont pas eu plus de succès en
argumentant sur la cohérence du calendrier proposé.
Je passe sur les autres citations !
M. le président.
Faites plaisir à M. de Broissia, il veut avoir toutes les citations !
M. Robert Del Picchia.
Non, monsieur le président, j'ai dit que j'allais être concret et répondre à
M. le ministre sur un cas particulier, celui des Français de l'étranger. Je me
bornerai donc à cela.
M. le président.
Ne privez pas M. de Broissia de ce plaisir, il attend cela avec impatience
!
M. Robert Del Picchia.
Il va écouter la suite.
Les choses sont claires, en tout cas pour les Français de l'étranger. Dans
cette affaire de calendrier électoral, ils estiment que la gauche plurielle a
perdu son principal allié.
Mais ce n'est pas le seul, on l'a vu lors du vote à l'Assemblée nationale,
certains Verts, comme M. Mamère, M. Cochet, et aussi certains amis de M.
Chevènement n'y étaient pas favorables.
Ce n'est donc que par une « majorité de circonstance » - personnellement, je
dirais une « majorité différente », parce que tout le monde a le droit de voter
pour qui il veut et pour le projet qu'il veut - que cette proposition de loi a
été adoptée à l'Assemblée nationale. Comme l'ont fait remarquer certains, si la
majorité avait été gouvernementale, elle aurait été respectée, peut-être même
acceptée par l'électeur ; ils sont troublés par celle qui s'est créée
occasionnellement autour de cette possibilité.
C'est donc une modification qui pourrait éventuellement permettre de faire un
meilleur score aux élections législatives, voire de remporter l'élection
présidentielle, pensent certains, à tort lorsqu'on questionne l'électeur. C'est
quoi, alors ? Un calcul électoral ? Peut-être. Personnellement, je ne veux ni
le préjuger ni en juger.
« Si l'on veut aller au bout de la logique », estiment ces Français de
l'étranger, « les députés ne devraient pas pouvoir prolonger eux-mêmes leur
mandat. Il serait nécessaire de questionner ceux qui ont attribué ces mandats,
ceux qui les ont élus ». Comment faire ? Une seule possibilité est prévue : le
référendum. Il nous faudrait donc demander à la population si elle accepte de
modifier le calendrier électoral en allongeant le mandat des députés. Oui, un
référendum ! La démocratie directe pour faire respecter la Constitution,
c'est-à-dire les institutions ! Je sais que le mot fait frémir, sourire, voire
rire certains. En tout cas, il apostrophe.
Mes chers collègues, sommes-nous vraiment sûrs que le Conseil constitutionnel
ne trouvera rien à redire à cette modification du calendrier électoral ? Malgré
les assurances données par certains et toutes les preuves techniques qui nous
sont fournies, nous n'en sommes pas sûrs à 100 %. Nous avons d'ailleurs eu
quelquefois des surprises, et des deux côtés de l'hémicycle !
Ne vaudrait-il pas mieux prévenir que guérir ?
Et que l'on ne nous avance pas l'argument du peu de participation au
référendum. Tout le monde le sait, lorsqu'il n'y a pas d'affrontement
politique, lorsqu'il n'y a ni débat contradictoire ni véritable confrontation
d'idées, comme ce fut le cas lors du dernier référendum, l'électeur ne se
déplace pas.
M. Louis de Broissia.
Cela s'appelle la pensée unique, mon cher collègue !
M. Robert Del Picchia.
Merci, monsieur de Broissia !
En revanche, lorsqu'il y a affrontement, eh bien, les électeurs peuvent y
trouver de l'intérêt, et alors ils votent.
Un référendum sur ce sujet stimulerait peut-être les électeurs, en tout cas
donnerait à l'opinion publique l'impression que les politiques lui demandent
son avis et n'arrangent par un scrutin selon leurs propres intérêts électoraux,
comme semblent le penser les Français de l'étranger. Je veux bien croire qu'ils
se trompent, que l'opinion publique à l'étranger se trompe aussi, mais encore
faudrait-il leur donner la preuve du contraire, preuve que, jusqu'à présent,
nous n'avons pas.
Je ne vous apprendrai pas comment provoquer un référendum ; vous connaissez
tous l'article 11 de la Constitution, je ne vais donc pas vous faire l'injure
de vous le lire.
J'anticipe peut-être un peu, mais je ne pense pas que les deux assemblées
soient d'accord pour cela. Puisque, apparemment, c'est le Premier ministre qui
souhaite le plus cette inversion de calendrier, on pourrait peut-être lui
suggérer de faire, au nom du Gouvernement, cette proposition au Président de la
République... Nous verrons bien !
Pour autant, doit-on aborder ici la question de la conformité
constitutionnelle ? Le Sénat, dans sa sagesse, l'a fait. Souvenez-vous, si vous
y avez assisté salle Médicis, - personnellement, je ne suis pas suffisamment
compétent, mais le les ai écoutés - l'audition des constitutionnalistes de haut
niveau.
Cinq d'entre eux, parmi les plus éminents, sont venus devant la commission des
lois. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les avis étaient partagés. Sur les
cinq, trois étaient d'accord sur le principe de changement du calendrier, mais
deux y étaient opposés.
M. Patrice Gélard.
Les professeurs de droit se trompent toujours !
M. Robert Del Picchia.
J'ai envie de dire : « Ne soyons pas plus royalistes que les républicains de
la République ! » On est loin, en tout cas, du consensus et de la limpidité de
cette proposition de loi !
Mes chers collègues, sur le plan politique, les Français de l'étranger sont
aussi conscients et informés de ce qui se passe en France. D'ailleurs les
candidats, tous les candidats à la présidence de la République - ayant vécu
trente ans à l'étranger, j'ai eu l'occasion d'entendre et de lire nombre de
leurs professions de foi ! - sont intéressés ! Ils ne manquent jamais
l'occasion de parler des Français de l'étranger ni de leur consacrer une bonne
place dans leur profession de foi. Il ne sont pas non plus avares de promesses
électorales à leur égard je pourrais vous en citer toute une liste, mais je
veux épargner cette lecture au président.
M. le président.
C'est M. de Broissia qui les attendait !
M. Louis de Broissia.
Celles de Robert Hue uniquement !
M. le président.
Pourquoi êtes-vous aussi sélectif, monsieur de Broissia ?
M. Louis de Broissia.
Parce que je connais moins bien la pensée de Robert Hue que celle de Noël
Mamère !
(Rires.)
M. Robert Del Picchia.
Pourquoi les candidats à la présidence de la République manifestent-ils un tel
« amour » pour les français de l'étranger ? Par amour pour eux ? Parfois. Mais
toujours pour leur bulletin de vote ! Car leurs voix sont encore plus
nécessaires à l'approche du deuxième tour au score assez étroit. On ne sait
jamais, si ces voix faisaient la différence... L'élection de George Bush est un
bel exemple, puisqu'il a été élu par les voix des résidents à l'étranger, après
des péripéties sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Tout ce propos tendait à vous démontrer que nos compatriotes qui vivent à
l'étranger ont aussi un avis politique. Lequel est-il ? C'est triste à dire
devant cette assemblée, je dois le reconnaître, mais, à l'exception de quelques
militants politiques de gauche et de droite - et il y en de moins en moins à
l'étranger ! - les Français de l'étranger voient dans cette question de
l'inversion du calendrier un débat stérile et sans aucun intérêt.
Une position claire apparaît pourtant sur l'impact qu'aurait cette
modification du calendrier électoral : dans leur très grande majorité, les
Français de l'étranger affirment que, quel que doit le calendrier, cela n'aura
pas d'influence sur leur vote.
Ils continueront à voter pour le candidat à la présidence de la République
qu'il connaissent et apprécient, et que l'Assemblée nationale soit de telle ou
telle couleur, cela ne les fera pas changer d'avis s'ils doivent choisir le
Président après. C'est le vote de confiance en la personne qu'ils mettent en
avant.
Pour ce qui est du scrutin pour les députés, ils continueront à voter selon
leur choix de représentativité locale. Leur penchant pour tel parti, tel groupe
ou tel mouvement politiques ne sera pas influencé, affirment-ils, par la
présence de telle ou telle personne à l'Elysée.
Mais cette grande majorité des Français de l'étranger - au demeurant
indifférente, en tout cas pas hostile à un nouveau calendrier électoral - reste
très méfiante sur l'application de ce calendrier dès la prochaine élection ;
ils nous le disent bien. Elle serait en revanche favorable à cette
modification, à condition qu'elle ne s'applique qu'après 2002, cela évitant
selon eux toute suspicion.
Si l'intention est bien de trouver une solution pour éviter des problèmes de
calendrier à l'avenir, une telle modification devrait être acceptée par tout le
monde. Mais si l'on insiste pour l'appliquer à tout prix en urgence,...
M. Louis de Broissia.
En urgence !
M. Robert Del Picchia.
... c'est qu'il y a derrière des calculs électoralistes chez ceux qui votent
pour.
Représentant au Parlement les Français de l'étranger, je me dois, pour ma
part, de soutenir la position de la large majorité d'entre eux ; aussi je ne
voterai pas la propositon de loi de l'Assemblée nationale.
En revanche, je voterai, monsieur le rapporteur, pour votre excellente
proposition qui correspond à ce que souhaitent, dans leur majorité, les
Français de l'étranger.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, le 20
décembre dernier, l'Assemblée nationale, à la majorité de 300 voix contre 245
sur 551 votants et 545 suffrages exrimés, adoptait le texte modifiant la date
d'expiration de ses pouvoirs.
Pourquoi tout ce remue-ménage, si mal compris de nos concitoyens et plus
particulièrement de nos électeurs ? Ils m'en parlent très souvent, comme à vous
j'imagine, dans le cadre d'échanges à l'occasion de la campagne des municipales
et des cantonales, mais pas seulement.
Il y a eu le quinquennat, dont l'idée a été lancée par les mêmes, au motif,
entre autres, que 90 % des Français y étaient favorables, alors que 15 % se
sont déplacés pour dire oui.
M. Michel Doublet.
Très bon exemple !
M. Pierre Hérisson.
Il faut par ailleurs s'interroger sur nos relations avec les médias, et plus
particulièrement avec les sondages. Qui manipule qui ? Si ce n'est pas le sujet
du débat d'aujourd'hui, c'est une vraie question !
Aujourd'hui, le texte porte sur la modification du calendrier électoral, mais
surtout, nous ne le disons pas assez, sur l'allongement de la législature.
Demain, ce sera quoi ?
Si notre Constitution n'est plus adaptée à notre vie politique, il faut y
réfléchir et la changer, ou la faire évoluer en profondeur. Mais que veulent
dire toutes ces modifications successives tenant plus à des considérations
politiciennes et à des ambitions personnelles qu'à l'intérêt général ?
Là comme ailleurs, on papillonne en saupoudrant les réformettes, que l'on fait
valider par le Congrès, en occultant bien sûr le problème de fond, qui est
celui des rôles respectifs du Président de la République et du Parlement dans
nos institutions.
Il nous faut engager un vrai débat sur le rôle du Parlement dans notre pays :
que lui reste-t-il réellement comme pouvoir ?
En 2002, l'élection du Président de la République devait avoir lieu après le
renouvellement de l'Assemblée nationale. Cette situation résulte du décès du
président Pompidou et de la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997. Si
nous avons peur des hasards du calendrier, il nous faut supprimer le droit de
dissolution... mais aussi, peut-être, rendre immortels les présidents de la
République... pendant la durée de leur mandat tout du moins ! Sinon, rien n'est
réglé, et le problème reste entier !
Qu'il s'agisse du quinquennat ou de l'allongement de la durée du mandat, on
cherche à nous convaincre qu'ils auront pour effet de réduire les risques de
cohabitation. Comment peut-on avancer cela ?
Si les Français veulent la cohabitation, ils l'installeront et voteront pour
qu'il en soit ainsi, quel que soit le calendrier.
Certains parient sur le fait que le Président de la République n'osera pas
dissoudre une seconde fois. C'est faire l'impasse sur ce qu'il pourrait
présenter comme un rétablissement du calendrier à bonne date, le moment
venu.
Le mieux serait peut-être alors de procéder le même jour à l'élection du
Président de la République et à celle des membres de l'Assemblée nationale.
Mais là encore les mêmes ne seront pas certains de réussir leur « coup » !
Alors, soyons sérieux et essayons de redevenir crédibles !
Sur un plan juridique, les constitutionnalistes sont divisés et s'interrogent
sur le point de savoir ce que devient la fonction présidentielle selon que l'on
inverse ou non le calendrier. Le modifier, c'est toucher moralement à la
Constitution, sans qu'il y ait de motifs sérieux pour le faire. Notre
Constitution ne mérite-t-elle pas une autre attention que celle que permet le
recours à une procédure d'urgence ?
Je regrette, sur un plan politique, que l'union de la droite soit encore mise
à mal...
M. Michel Doublet.
A qui la faute ?
M. Pierre Hérisson.
... aux yeux de l'opinion, sur un texte qui aurait dû nous unir autour du
Président de la République, qui rejette cette idée d'allongement du calendrier
électoral pour 2002.
J'en appelle donc à la sagesse de mes collègues de droite à l'Assemblée
nationale pour qu'ils rejettent ce texte, puisque eux seuls en ont
véritablement le pouvoir.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
En effet, ses fondements sont sans consistance. Ses créateurs ont extrapolé,
supputé, subodoré, changé d'avis, peut-être fait appel aux astres pour
connaître les résultats électoraux !
On ne peut entrer dans cette dynamique politicienne qui méprise l'électeur et
bafoue la Constitution.
Pour toutes ces raisons, en mon âme et conscience et avec mes collègues du
groupe de l'Union centriste, je voterai contre cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
J'espère que le Sénat aura à coeur de montrer le chemin de la raison à
l'Assemblée nationale. Si la raison l'emporte, cela permettra de tordre le cou
à une rumeur renaissante de complicité avec le parti socialiste. Il s'agit là
d'une priorité visant à rendre les choses lisibles pour nos électeurs, surtout
à l'approche d'une échéance électorale locale très importante dans notre
pays.
Pour terminer, je citerai Henri Bergson : « L'intelligence est caractérisée
par une incompréhension naturelle de la vie. »
M. Emmanuel Hamel.
Un grand philosophe !
M. Louis de Broissia.
Un très bon orateur.
M. Pierre Hérisson.
Comprenne qui pourra ! Comprenne qui voudra !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Monsieur Fauchon, les deux collègues inscrits avant vous étant sur le chemin
de l'hémicycle, je vous donne la parole.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, vous me prenez au dépourvu. J'arrive en cet instant et
je n'ai pas le texte de mon intervention. Accordez-moi une minute, s'il vous
plaît.
M. le président.
Non, monsieur Fauchon, nous ne pouvons attendre. Mais, pour vous être
agréable, je vais demander à... M. de Broissia d'intervenir dès maintenant.
Vous avez la parole, mon cher collègue.
M. Louis de Broissia.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier, monsieur le président, pour la
manière très élégante dont vous menez ces débats.
Je dirai ensuite à M. le ministre combien je suis sensible à l'écoute qu'il va
m'accorder.
Enfin, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part du plaisir que
j'ai à intervenir sur ce sujet important.
Mon intervention s'articulera en quatre volets.
Dans un premier temps, j'expliciterai l'approche politique que j'ai de ce
sujet délicat. Dans un deuxième temps, si mes chers collègues me prêtent
toujours l'oreille, j'évoquerai le climat politicien qui imprègne le débat
auquel nous nous livrons aujourd'hui. Dans un troisième temps, je ferai part de
considérations personnelles sur les élections de 1997, qui, selon moi,
éclairent les raisons pour lesquelles le Gouvernement a demandé avec tant
d'urgence cette discussion. Enfin, s'il me reste quelque temps, car le temps
nous est toujours compté, monsieur le président...
M. le président.
Vous avez droit à quarante-cinq minutes, mon cher collègue.
Mais si vous avez besoin de plus de temps, vous l'aurez.
M. Louis de Broissia.
Je vous remercie, monsieur le président.
Si j'en ai le temps, disais-je, je donnerai un aperçu de la manière dont, au
sein du groupe gaulliste, j'ai vécu la Ve République, cette Ve République dont
les règles, que j'ai vu voter voilà un certain nombre d'années, sont
constamment modifiées depuis quelque temps.
Monsieur le ministre, vous avez sans doute été sinon surpris du moins
impressionné de voir tant de sénateurs de France métropolitaine, de Paris et de
province, d'outre-mer, représentant les Français de l'étranger s'inscrire dans
un débat que vous vouliez évacuer en recourant à des procédures que vous
chérissez, c'est-à-dire à des procédures rapides et d'urgence.
Certains se sont dit que nous voulions, nous inspirant de feu François
Mitterrand, « donner du temps au temps. » Oui, mais pas seulement. Et je tiens
à dire en cet instant à M. le président du Sénat que nous qui avons l'habitude
de voir notre temps compté sur des sujets souvent importants, nous avons
plaisir à nous inscrire sans contrainte dans un débat capital, en prenant le
temps d'organiser notre réflexion.
Peut-être avions-nous comme idée, mes chers collègues, de dénoncer la
duplicité de la manoeuvre ? Oui - et le président Josselin de Rohan l'a dit
excellemment -, mais pas seulement.
Entendions-nous peut-être aussi, monsieur le ministre, mes chers collègues de
l'opposition sénatoriale, accomplir notre devoir d'opposant ? Oui, et j'ai à
l'esprit - je n'étais pas encore député alors - l'époque - c'était en 1982 - où
des opposants montaient à la tribune les uns après les autres pour expliquer
pourquoi certains textes ne devaient pas être entérinés par le Parlement. Nous
sommes prêts, pour notre part, à faire encore durablement notre devoir
d'opposant sur ce texte important. Mais ce n'est pas notre seul objectif.
Voulions-nous indiquer à nos collègues du Palais-Bourbon que nous avons notre
mot à dire ? Certes.
Comme Robert Del Picchia l'a dit tout à l'heure, en tant qu'ancien député, il
nous paraît logique, monsieur le ministre, qu'à l'heure même où les cinq cent
soixante-dix-sept députés consacrent beaucoup de leur temps à tenter de réduire
la durée du mandat sénatorial pour préserver l'équilibre de nos institutions,
les sénateurs aient leur mot à dire sur l'allongement subreptice du mandat des
députés.
M. Charles Descours.
Excellent !
M. Louis de Broissia.
Mais, toutes ces raisons ne suffisent pas à expliquer, monsieur le ministre,
mes chers collègues, l'engagement de tant de talents dans ce débat. J'ai
d'ailleurs noté avec plaisir que, se joignant aux talents anciens, des talents
nouveaux ont pu émerger dans cet hémicycle. Se sont ainsi succédé des façons de
voir concordantes ou complémentaires, mais toutes enrichissantes.
Pourquoi cette mobilisation ? Pourquoi cette détermination ?
Nous ne dénonçons pas aujourd'hui ce que l'on pourrait appeler le « coup
d'Etat permanent » de Lionel Jospin. Nous dénonçons le « coup tordu » porté à
la République sous couvert de défense de la Ve République. Nous dénonçons ce
que nous appelons, et que nos électeurs, dans nos villes, nos campagnes, nos
circonscriptions, nos départements considèrent comme tel, le « tripatouillage
organisé » à des fins personnelles ou circonstancielles.
Mais aussi, monsieur le président, monsieur le ministre, nous avons tous, sur
le même sujet, très bref en apparence, beaucoup à dire, en adoptant chacun une
optique, une tonalité différentes.
Chacun d'entre nous, membre du groupe du RPR ou membre des autres groupes de
la majorité - j'ai entendu avec grand plaisir M. Hérisson tout à l'heure - doit
témoigner de la résonance qu'a encore aujourd'hui, au xxie siècle à dans le
coeur de nos concitoyens, la Ve République, avec son originalité, cette Ve
République à laquelle vous voulez toucher, texte par texte, petit texte par
petit texte, tout petit texte par tout petit texte. Nous dénonçons ces
modifications subreptices, ces arrangements limites, ces arrangements
misérables.
Je vais maintenant, monsieur le ministre, développer les raisons pour
lesquelles je récuse le mécanisme d'urgence.
Pour des raisons soudaines, qui ont été rappelées à la tribune à plusieurs
reprises, le chef du Gouvernement, - l'autre tête de l'exécutif comme il aime à
s'appeler - d'une façon sur laquelle je reviendrai à la fin de mon
intervention, vient donc de donner raison, après cinq semaines de calcul, à une
partie de sa majorité et à une poignée d'élus de son opposition, que le Général
aurait qualifiée de quarteron d'ambitions refoulées, avouées ou inavouées, en
mettant à l'ordre du jour du Parlement une proposition de loi organique - ça
fait bien, ça fait sérieux - adoptée en urgence, et ce sans expliquer cette
conversion soudaine.
Dans un premier temps, je vais essayer d'expliquer pourquoi cette décision a
été ainsi prise.
« Urgence », a dit le Premier ministre.
Oui, mes chers collègues, à la fin de l'année 2000, le Premier ministre vient
de découvrir que 2002 arriverait... l'an prochain !
Oui, M. Jospin a regardé son calendrier - il est très occupé, les tâches du
Gouvernement sont telles qu'il n'a pas le temps d'ouvrir son agenda - et il a
découvert que l'on était à la veille des élections de 2002 ! On peut considérer
effectivement qu'un chef de Gouvernement est très occupé ; c'est une
explication que j'accepte.
Mais M. Jospin a en fait découvert qu'être Premier ministre - et là c'est une
réflexion plus sérieuse - était un exercice très difficile, et ce d'autant plus
que l'on avait déjà gouverné longuement et que, pour tous les choix qui
n'avaient pas encore été faits, l'urgence commençait à s'imposer. Il allait
donc falloir choisir entre les gens que l'on contenterait et ceux que l'on
mécontenterait. Tous les maires qui sont ici présents, tous les présidents de
conseils généraux, tous les tenants d'un exécutif savent que le choix ne
contente pas à 100 % l'électorat.
En fait, il était urgent d'attendre, d'attendre pour gouverner, mais non pour
modifier la Constitution !
Enfin, mes chers collègues, je crois que le Premier ministre a découvert
soudainement - à mon sens, il avait trop le « nez dans le guidon » - qu'après
un exercice de cohabitation de longue durée, le Président de la République
exerçait un vrai mandat - je crois que c'est même la véritable raison de
l'urgence - et qu'à trop vouloir l'affaiblir, à trop vouloir l'abaisser, le
banaliser, le contrecarrer sans cesse, il ne réussissait qu'à donner à
l'opinion publique une impression de faiblesse, de calcul, de rivalité, alors
que Jacques Chirac continuait d'être populaire, estimé et aimé.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Oui, mes chers collègues, nous l'avons tous compris, mais nous sommes là pour
le dire et le répéter fortement, M. Jospin, par cette proposition de loi
organique, vient simplement, en urgence, d'entrer en campagne présidentielle.
C'est le calendrier présidentiel qui est annoncé !
M. Jospin a également annoncé, et nous devons le dire aux Français, qu'il ne
voulait plus vraiment gouverner, et il l'indique à ceux qui veulent - c'est le
cas du Sénat - examiner attentivement cette proposition de loi.
M. Jospin l'a dit au début de cette année : il a prévu d'affronter les vrais
problèmes de la France.
Quels sont les vrais problèmes de la France ? C'est ici l'occasion de les
rappeler rapidement, monsieur le président.
Est-ce que les Français se posent des questions sur la loi organique relative
au calendrier ou sur l'entrée en campagne de M. Jospin ? Non !
Problème important, urgent, dont on parle tous les jours à la radio, à la
télévision et dans les journaux : la retraite. Nous sommes totalement en phase
avec le président de Raincourt sur le caractère urgent de ce dossier. Les
Français doivent le savoir - mais les parlementaires sont là pour le dire, du
haut des tribunes ou sur la place de nos villes et de nos villages -, on traite
le problème des retraites par des rapports qui sont à la loi ce que les
cataplasmes de mon enfance étaient au traitement de la grippe. Un cataplasme,
chacun le sait, c'est à base de moutarde ; cela gratte, cela chauffe parfois,
cela irrite, mais cela ne guérit pas ! Eh bien, de rapport en rapport, on pense
avoir traité le problème de la retraite, mais rien n'a changé. Et il suffit que
le MEDEF - pas le Parlement, qui devrait pourtant être saisi de cette question
- fasse du blocage pour que le système soit lui-même bloqué ! On discutera et
on vieillira ensemble !
Evacuez, circulez, mesdames, messieurs nos concitoyens ! M. Jospin entre en
campagne présidentielle ! La proposition de loi organique lui permet de
l'annoncer. La retraite viendra plus tard !
Autre sujet : la sécurité. C'est un sujet auquel, monsieur le ministre, je le
sais, vous êtes particulièrement sensible. Il concerne la vie de nos
concitoyens, jour et nuit, la semaine et le dimanche, en ville comme à la
campagne.
M. Jacques-Richard Delong.
Surtout la nuit !
M. Louis de Broissia.
Il va de soi qu'il est beaucoup plus urgent, mes chers collègues, de traiter
d'un calendrier électoral qui arrangera des troïkas ou des quarterons, ceux que
j'évoquais tout à l'heure, que d'empêcher les voitures de brûler à Strasbourg à
chaque Saint-Sylvestre. Ce n'est pas gênant ! Cela attendra 2002 ou 2003 ! Que
les Strasbourgeois se rassurent : déjà, la flambée de la Saint-Sylvestre 2001
est programmée ! M. Jospin s'occupera de ce sujet après que nous aurons voté la
proposition de loi organique.
M. Jacques-Richard Delong.
Pourquoi mettent-ils de l'essence dans leur voiture ?
M. Louis de Broisia.
Pourquoi, mes chers collègues, faudrait-il empêcher les policiers et les
gendarmes de se faire tirer comme des lapins par des criminels ou des voyous ou
de se faire renverser par des fuyards ? Peu importe ! On s'en occupera plus
tard ! D'ailleurs aucune proposition de loi ne nous a été soumise sur ce sujet,
monsieur le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
C'est scandaleux !
M. Louis de Broissia.
C'est effectivement scandaleux de laisser les policiers et les gendarmes se
faire tirer dessus ou renverser !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
C'est ce que vous dites qui est scandaleux !
C'est indigne !
M. Louis de Broissia.
Monsieur le ministre, je connais, moi aussi, des policiers et des gendarmes.
Il est scandaleux de laisser les criminels tirer sur les gendarmes et les
policiers sans que nous puissions réagir, alors qu'on nous soumet, en urgence,
une proposition de loi organique sur le calendrier électoral. Cela, c'est
scandaleux !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je ne savais pas que vous pouviez vous situer à
un tel niveau !
M. Louis de Broissia.
Nous sommes au niveau de la responsabilité nationale qui est la nôtre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je ne reconnais pas celui dont des gens qui vous
connaissent en Côte-d'Or m'ont parlé !
M. Louis de Broissia.
Eh bien, parlons-en, de la Côte-d'Or ! J'y rencontre sans cesse les policiers
et les gendarmes. Tous me disent leur inquiétude de voir que le Gouvernement ne
réagit pas,...
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Louis de Broissia.
... que des moyens nouveaux ne sont pas donnés ; ils me disent leur inquiétude
d'entendre le Premier ministre prétendre que c'est la faute de ceux qui
gouvernaient en 1995. C'est vous qui êtes au Gouvernement, pas nous ! C'est à
vous de répondre !
(Applaudissements sur les travées du RPR. - M. Hérisson
applaudit également.)
Est-il intéressant d'enrayer l'inquiétante montée de la délinquance, sous
toutes ses formes ? Vous aurez l'occasion, monsieur le ministre, de nous en
parler, de nous donner les chiffres de la délinquance, de l'incivisme, de la
criminalité. Mais, mes chers collègues, cela n'est pas important, cela n'est
pas urgent : il faut d'abord voter la proposition de loi organique !
Faut-il mettre en place une organisation de la police, de la gendarmerie et
des douanes propre à mettre hors d'état de nuire les bandes organisées qui,
aujourd'hui, pratiquent le racket, la vente de drogue, les « saucissonnages »,
les cambriolages, sans oublier les attaques contre des convoyeurs de fonds ? De
quelle proposition de loi cela fait-il l'objet ? Par quelles mesures d'urgence
répond-on à cette augmentation de la criminalité ?
Comment répondra-t-on, monsieur le ministre, avant que l'euro se mette en
place, avec une circulation fantastique de nouveaux moyens de paiement, à la
montée prévisible de la criminalité ?
Tout ce qu'on nous offre, c'est une proposition de loi organique sur le
calendrier !
Plutôt - monsieur le ministre, je sais que je vais vous fâcher - que de mettre
en place des moyens nouveaux pour arrêter, en Corse, l'assassin d'un préfet de
la République, on le laisse encore courir.
(Marques d'approbation sur les
travées du RPR.)
M. Pierre Hérisson.
Très bonne remarque !
M. Louis de Broissia.
Plutôt que de rassurer le citoyen, de galvaniser la police, la gendarmerie,
les douanes et toutes les forces de sécurité, on nous dit : « Circulez ! M.
Jospin entre en campagne présidentielle. La proposition de loi organique lui
permettra de bâtir son programme. »
Je vais encore vous fâcher, monsieur le ministre, en évoquant la
décentralisation. C'est un méli-mélo inextricable et inapplicable, et je suis
prêt à en apporter la démonstration. J'aurai l'occasion de le faire le 31
janvier et je me réserve, monsieur le président, pour cet autre débat...
M. le président.
Vu l'allure à laquelle vous avancez, monsieur de Broissia, il n'est pas sûr
qu'il puisse se dérouler le 31 janvier !
M. Louis de Broissia.
Effectivement, monsieur le président.
M. Michel Pelchat.
Ce sera le 31 février !
(Sourires.)
M. Louis de Broissia.
Je rappelle qu'il y a eu, au cours des dernières années, au moins trois textes
relatifs à la décentralisation : le texte de M. Chevènement sur la
simplification de la coopération intercommunale ; le texte de Mme Voynet sur
l'aménagement et le développement durable du territoire ; le texte de M.
Gayssot sur la solidarité et le renouvellement urbain.
Eh bien, toutes ces « déclarations » décentralisatrices s'opposent au
jacobinisme de fait exercé par le gouvernement de M. Jospin.
On pourrait penser qu'il serait urgent, en 2001, de réfléchir à une meilleure
efficacité de l'action publique. On pourrait même penser - après tout, nous
sommes tous là pour cela - qu'il faudrait réformer l'Etat. Non ! C'est
impopulaire ! Cela risque de déplaire aux fonctionnaires ! On a d'ailleurs
renvoyé M. Zuccarelli, qui s'occupait, si j'ai bien compris, de la réforme de
l'Etat. Circulez ! Il y a plus urgent pour M. Jospin : la campagne
présidentielle s'ouvre et le Gouvernement nous invite à un énième débat sur la
décentralisation dont, comme d'habiture, il ne sortira rien, ou pas
grand-chose.
J'évoquerai encore deux réformes. On pourrait en mentionner d'autres, mais il
faut être bref.
La réforme de l'éducation ? Circulez ! M. Jospin entre en campagne électorale
! La proposition de loi organique lui permet d'entrer en campagne électorale
sans annoncer de programme.
Pourquoi se fâcher davantage avec le corps enseignant ? Pourquoi annoncer quoi
que ce soit ? Ce n'est pas la peine ! On a renvoyé, après des propos toujours
très aimables, un ami de trente ans, à moins que ce ne soit de vingt-sept ans,
qui avait gratifié les enseignants d'épithètes particulièrement flatteurs.
Eh bien, aujourd'hui, on cajole le corps enseignant, on le berce, on l'endort
!
M. Pierre Hérisson.
Le mammouth est sympathique !
M. Louis de Broissia.
On caresse le mammouth dans le sens du poil !
(Sourires.)
Ne dérangeons
pas le mammouth qui dort ! Circulez, mes chez collègues, la campagne
présidentielle de M. Jospin est ouverte !
Enfin, la réforme fiscale. L'Europe nous y invite, de même que nos
concitoyens. Mais, là encore, ciculez, mes chers collègues... Vous connaissez
la suite...
Quand on est fatigué de gouverner, quand l'usure du temps pèse et quand on
sent que l'opinion patine - sondage après sondage, cela se vérifie - quand on
voit aussi approcher inéluctablement l'échéance à laquelle on rêve, quand on a
encore une majorité, qu'on pense tenir jusqu'aux municipales - après, on va se
déchirer - eh bien, on sort une loi de convenance, un loi de calcul.
Monsieur le président, permettez-moi de faire une courte citation, qui sera
certainement très éclairante pour nos collègues :
« L'erreur est à la vérité ce que le machiavélisme est à la morale. Si vous
abandonnez la morale pour vous jeter dans les ruses du machiavélisme, vous
n'êtes jamais sûr d'avoir entre ces ruses choisi la meilleure. Si vous renoncez
à la recherche de la vérité, vous n'êtes jamais certain d'avoir choisi l'erreur
la plus utile.
« La vérité n'est pas seulement bonne à connaître, mais bonne à rechercher.
Alors même qu'on se trompe dans cette recherche, on est plus heureux qu'en y
renonçant. L'idée de la vérité est du repos pour l'esprit, comme l'idée de la
morale est du repos pour le coeur. »
Cette citation est tirée des
Principes de la politique
de Benjamin
Constant.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que
sur certaines travées de l'Union centriste.)
Mes chers collègues, j'ai expliqué comment, pour des raisons politiques, le
Premier ministre et, avec lui, le Gouvernement avaient choisi d'imposer
l'urgence.
Vous l'avez bien compris, je ne suis vraiment pas convaincu du bien-fondé de
l'urgence politique qui est ordonnée par M. Jospin. J'espère vous avoir, en
revanche, largement convaincus du contraire.
J'aimerais maintenant - et je vais peut-être vous fâcher encore une fois,
monsieur le ministre ! - vous expliquer qu'il s'agit d'un choix politicien au
sens le plus complet du terme.
Ce texte de loi, mes chers collègues, répond aussi à une grande anxiété du
Gouvernement, de son chef, de ses ministres, devant deux phénomènes.
Le premier - sur lequel vous comprendrez que je ne m'attarde pas trop - est la
persistance, constatée dimanche après dimanche, de la faveur, certes fragile,
des électeurs vis-à-vis de la majorité présidentielle. Election partielle après
élection partielle, nous nous apercevons que les cantons restent fidèles. Cette
faveur est également perceptible dans les sondages, qui montrent que la cote de
popularité du Président de la République demeure élevée chez les Français.
Deuxième source d'anxiété pour le Gouvernement : le désordre des alliés, cette
armée hétéroclite qui s'est constituée
de facto
en 1997. Or des
difficultés surgissent manifestement au sein de certains partis alliés, les
Verts ou d'autres.
Mais je pense aussi à cet allié qui avait été le véritable gagnant des
élections de 1997 : l'extrême droite.
C'est là une donnée essentielle de l'urgence qui nous est imposée pour la
discussion de cette proposition de loi organique.
Mes chers collègues, ce n'est pas à vous, qui siégez dans une assemblée
réputée pour sa sagesse, une sagesse qu'elle tire de la grande expérience des
élus qui la composent et des grands électeurs qui les ont désignés, de leur
enracinement profond dans nos cités, nos départements et nos régions, ce n'est
pas à vous, dis-je, que j'ai besoin de rappeler ce qui s'est passé en 1997.
Vous vous souvenez, bien entendu, des conditions dans lesquelles a émergé une
nouvelle majorité à l'Assemblée nationale en 1997.
L'année 1997 restera dans l'histoire comme celle où le Président de la
République, Jacques Chirac, a décidé de dissoudre l'Assemblée nationale. Mais
on a un peu trop tendance à faire l'impasse - à moins que ce ne soit de
l'habileté - sur le fait que le Front national avait encore une fois fait la
courte échelle à la gauche pour que celle-ci prenne le pouvoir. L'année 1997
est celle où le parti socialiste a récolté les fruits de sa politique si
volontairement ambiguë.
M. Michel Doublet.
Très bien !
M. Louis de Broissia.
Mes chers collègues, j'ai sous les yeux un article paru à l'issue du premier
tour des élections de 1997.
M. Henri de Raincourt.
Dans quel journal ?
M. Louis de Broissia.
Dans
La Croix.
Mais je peux aussi citer l'analyse du
Monde
.
M. Michel Pelchat.
Ce n'est pas la peine !
M. Henri de Raincourt.
La Croix,
c'est très bien !
M. Louis de Broissia.
Cet article donne quelques-unes des clés du second tour des élections
législatives de 1997. Premier point : « La gauche est favorite ». Deuxième
point : « Des triangulaires meurtrières pour la droite ». Troisième point : «
L'effet du ticket Madelin-Séguin ».
M. Henri de Raincourt.
Un ticket gagnant !
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Michel Pelchat.
Deux grands champions !
M. Louis de Broissia.
Arrêtons-nous au deuxième point : « Des triangulaires meurtrières pour la
droite ».
« Dans 79 circonscriptions, trois candidats - j'étais, mes chers collègues,
l'un d'eux - se retrouveront en lisse pour le second tour. A qui profiteront
ces triangulaires ? »
M. Michel Doublet.
A la gauche !
M. Louis de Broissia.
« C'est l'un des enjeux du scrutin de dimanche. Parmi elles, 76
circonscriptions verront s'opposer un candidat de droite, un de gauche et un du
Front national... Le maintien de ces candidatures va considérablement gêner la
droite. En effet, sur ces 76 triangulaires, 69 concernent un sortant RPR ou
UDF, privé d'au moins la moitié des voix FN si l'on s'en tient aux reports
habituels. »
Je ne lis pas plus loin,...
M. Henri de Raincourt.
Dommage !
M. Louis de Broissia.
... pour en venir à un deuxième article : « Le comportement électoral des
électeurs du FN sera déterminant. » Eh oui, mes chers collègues, car si tout le
monde l'a oublié, à commencer par Lionel Jospin, moi, je ne l'ai jamais oublié
car j'étais parmi les 76 candidats sur le front ! Je l'ai rappelé à M. Jospin à
l'Assemblée nationale, je le rappelle devant son ministre de l'intérieur
aujourd'hui : « Jean-Marie Le Pen a donné, jeudi soir à Paris - donc trois
jours avant le second tour - des consignes de vote aux électeurs de son parti.
» Quelles étaient-elles ces consignes de vote, mes chers collègues ?
M. Jacques-Richard Delong.
On aimerait bien le savoir !
M. Louis de Broissia.
C'était qu'il fallait faire barrage à tous les candidats de la droite !
M. Henri de Raincourt.
... républicaine !
M. Jacques-Richard Delong.
Evidemment !
M. Louis de Broissia.
Et c'est ce que les électeurs du FN ont fait !
« Les suivront-ils ? » continuait
La Croix.
« Jusqu'à ces dernières
élections, les reports de voix FN se faisaient pour moitié au bénéfice du
candidat de la droite et pour un quart au bénéfice du candidat de la gauche. »
Le reste se perdait.
C'est précisément les résultats de ces élections législatives de 1997 que l'on
nous demande aujourd'hui de prolonger par le biais de la proposition de loi
organique qui nous est soumise !
M. Henri Torre.
Très juste !
M. Louis de Broissia.
Eh oui, mes chers collègues, on nous propose de prolonger le mandat d'une
assemblée...
M. Michel Pelchat.
... mal élue !
M. Louis de Broissia.
... composée, comme toute formation politique, par le jeu d'alliances fragiles
ou solides, mais qui, en l'occurrence, reposent sur des bases bien incertaines
! Je n'ai jamais entendu à l'époque une voix de gauche autorisée récuser
fermement l'apport des voix du Front national. Jamais !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Je vais continuer à citer
La Croix
, car je vous décevrais, mes chers
collègues, en changeant de référence...
M. Henri de Raincourt.
Oh oui !
M. Louis de Broissia.
Mais je pourrais citer d'autres journaux. Cela étant, cet article est amusant
: on l'a oublié, il dérange, mais il est intéressant, puisque nous traitons
aujourd'hui de la façon de prolonger le mandat de ces 577 députés - moins deux
ou trois qui ont rejoint le Sénat.
« Le poids du Front national : la gauche doit-elle la victoire au Front
national ? La question mérite d'être posée... »
M. Jacques-Richard Delong.
Que dit
La Croix ?
M. Hilaire Flandre.
C'est la réponse que l'on voudrait !
M. Louis de Broissia.
Je vais vous la donner !
« La question mérite d'être posée, dans la mesure où le haut niveau du Front
national et sa stratégie de maintien systématique là où il le pouvait ont
conduit à une multiplication des triangulaires. De ce point de vue, il importe
d'avoir deux chiffres en tête - chiffres que je donnerai si vous le
souhaitez.
« Que se serait-il passé si le FN avait retiré ses candidats ?... »
M. Michel Doublet.
On aurait gagné !
M. Louis de Broissia.
« Il est impossible de le savoir avec précision. Il est simplement certain que
la gauche n'aurait pas emporté ces 39 circonscriptions mais que toutes
n'auraient pas été conservées par la droite... Contrairement à 1988, aucune
négociation avec le FN n'a eu lieu cette année. La droite paie en partie le
prix de sa rigueur. » Ainsi conclut
La Croix.
M. Michel Pelchat.
Parole d'évangile !
M. Louis de Broissia.
Oui, la droite républicaine a perdu en 1997 les élections législatives, tout
perdu fors l'honneur ! Oui, la victoire de la gauche en 1997 à l'Assemblée
nationale laisse un vague goût de compromis honteux accepté sans murmures. Je
peux en témoigner, je le répète, étant un rescapé de cette triangulaire. Je ne
l'ai jamais oublié !
Mes chers collègues, on a vu les raisons politiques pour lesquelles le
Gouvernement voulait imposer l'urgence : il y a urgence à entrer en campagne
présidentielle pour Lionel Jospin, comme je crois vous l'avoir démontré sans
vous avoir définitivement convaincus.
M. Henri Torre.
Ça va venir !
M. Louis de Broissia.
Il y a aussi des raisons politiciennes : elles se fondent sur l'analyse fine
faite par les experts du parti socialiste sur la manière dont la campagne
pourrait être menée à l'occasion des prochaines législatives.
Comme chacun le constate, le Front national, création
de facto
de la
société française et du parti socialiste - cherchez à qui profitait le crime !
- fait aujourd'hui cruellement défaut. Or, pour compenser le prompt renfort de
l'extrême droite, on ne peut plus puiser ni chez les verts ni chez les
communistes. Il fallait dont trouver un faux-fuyant, un écran de fumée,
cathodique d'abord - cela compte - politique ensuite, et c'est pourquoi le
Gouvernement a décidé de modifier, en présentant la modification comme une
opération mineure, le calendrier des élections. Quand on ne peut pas changer
les électeurs, on s'attaque au calendrier électoral !
Cette proposition de loi, mes chers collègues, je ne suis pas le premier à le
dire,...
M. Henri de Raincourt.
Vous ne serez pas non plus le dernier !
M. Louis de Broissia.
... consacre une manipulation. Nous avons beaucoup de tendresse ici pour
quelqu'un qui a déjà été cité à trois ou quatre reprises, notamment par M. de
Rohan : je veux parler du distingué Daniel Cohn-Bendit, qui occupait naguère le
boulevard Saint-Germain...
M. Michel Pelchat.
... la rue Gay-Lussac et la rue Soufflot !
M. Louis de Broissia.
... et qui, aujourd'hui, occupe les écrans médiatiques - c'est plus
confortable. Daniel Cohn-Bendit déclarait avec la simplicité et le sens de la
provocation qui lui sont chers : « Faisons de la politique comme Machiavel ; il
faut désarçonner l'adversaire. » Eh bien, il faut admettre que le parcours de
Lionel Jospin est un peu machiavélique ! Il est cependant surtout empreint de
beaucoup de cynisme : démonter le mécanisme de la montée au pouvoir de Lionel
Jospin, c'est assister à l'irrésistible ascension du roi Lionel en quatre
étapes.
Première étape, il faut - et avouons que nous lui servons assez régulièrement
de marchepied - profiter des fautes de l'adversaire, s'appuyer uniquement sur
l'opinion,...
M. Michel Pelchat.
Citez des exemples !
M. Louis de Broissia.
... dédaigner tous les corps intermédiaires - la décentralisation, la Haute
Assemblée, qui, de toute façon, vote mal,...
M. Henri de Raincourt
et
M. Josselin de Rohan.
C'est une « anomalie » !
M. Louis de Broissia.
... rien de tout cela ne compte ! Enfin, il faut utiliser les adversaires des
adversaires - voir l'épisode du Front national - et d'abord monter sur les
marches du pouvoir.
Cette première étape est réussie, il faut le reconnaître : Lionel Jospin,
Premier ministre, occupe la première marche de son irrésistible - du moins le
pense-t-il - ascension vers le pouvoir suprême.
Deuxième étape - mes chers collègues, nous devrions y être encore plus
rigoureusement attentifs que nous ne le sommes - il s'agit, par une sorte
d'arrogance institutionnelle, d'affaiblir celui qui est au-dessus, de le
banaliser, jusqu'à ce que l'exécutif soit décrit comme une espèce de duo de «
copains » qui n'en sont pas vraiment. A cet égard, je ne vous cache pas que je
suis choqué quand j'entends le Premier ministre, que la Constitution désigne
comme étant le chef du Gouvernement, parler de « l'autre tête de l'exécutif
».
M. Serge Vinçon.
Oui !
M. Josselin de Rohan.
Très juste !
M. Louis de Broissia.
« L'autre tête », est-ce une appellation républicaine ? Non, on parle du chef
de l'Etat ou du Président de la République !
(MM. de Rohan et Vinçon
acquiescent.)
La deuxième étape de la montée au pouvoir - et, mes chers collègues, vous
constatez que je m'en tiens au sujet qui nous est imparti - consiste donc à
banaliser le Président de la République, à l'affaiblir dans l'opinion en
montrant à celle-ci que la marche sur laquelle se situe le Premier ministre est
pratiquement à la hauteur de celle sur laquelle se situe le Président de la
République. Voilà qui est faire preuve d'une arrogance institutionnelle que la
Constitution ne saurait admettre !
Nous sommes à la fin de cette deuxième étape, passons à la troisième : briguer
le poste suprême tout en tentant, et c'est là la difficulté de la démarche et
tout le sens de la proposition de loi organique, de redonner au Président de la
République, à ce chef de l'Etat qui est aussi chef des armées, une dimension
optimale allant au-delà de la dimension que l'esprit de la Ve République lui a
reconnue, dimension optimale qui, aux yeux de Lionel Jospin, ne peut être
qu'une dimension politique : en faire le chef de la majorité !
Quatrième étape : comme dans toute montée au pouvoir, on ignore les dégâts
collatéraux, en particulier les dégâts constitutionnels, on réparera après !
Alors, mes chers collègues, le calendrier inversé pourrait être voté. C'est un
scénario que nous ne pouvons exclure car, quels que soient les talents qui
s'exprimeront au Sénat et même si l'opinion les relaie, nous pouvons penser que
l'Assemblée nationale - « l'autre assemblée », comme dirait Lionel Jospin -
adoptera la proposition de loi organique.
Eh bien, mes chers collègues, rendez-vous est pris devant le peuple, mais la
majorité à l'Assemblée nationale devrait écouter le message de celui qui, au
début du XIXe siècle, après avoir traversé les affres de la Révolution et
beaucoup étudié l'Amérique au travers de Tocqueville, défendait contre le
despotisme et la tyrannie la démocratie.
Benjamin Constant invitait ainsi, dans un passage que je trouve admirable et
dont je ne lirai, bien sûr, que quelques lignes, le peuple français a écouter
intelligemment - je dis bien intelligemment - la voix de la majorité : « Sans
doute il faut soumettre les individus à la majorité. Ce n'est pas que les
décisions de la majorité doivent être regardées comme infaillibles. Toute
décision collective, c'est-à-dire toute décision prise par une association
d'hommes, est exposée à deux espèces d'inconvénients. Quand c'est la passion
qui la dicte, il est clair que la passion peut conduire à l'erreur. Mais, lors
même que les décisions de la majorité se prennent dans le calme, elles sont
exposées à des dangers d'un autre genre. Elles se forment d'une transaction
entre les opinions divergentes. Or, si la vérité se trouvait dans l'une de ces
opinions, il est évident que la transaction n'a pu se faire qu'au détriment de
la vérité. Elle peut avoir rectifié, sous quelque rapport, les opinions fausses
; mais elle a dénaturé ou rendu moins exacte l'opinion juste. »
Benjamin Constant ajoutait : « Le droit de la majorité est le droit du plus
fort, il est injuste - cela nous renvoie au congrès de Valence - ; mais il
serait plus injuste encore que l'autorité du plus faible l'emportât. La société
devant prononcer, le plus fort ou le plus faible, le plus ou le moins nombreux
doit triompher. Si le droit de la majorité, c'est-à-dire du plus fort, n'était
pas reconnu, le droit de la minorité le serait, c'est-à-dire que l'injustice
pèserait sur un plus grand nombre. »
Nous le savons bien, mes chers collègues : la sagesse du xxe siècle nous
invitera à nous incliner devant la loi de la majorité.
De l'esprit des lois
reste cher à nos coeurs.
Après des débats très riches, après des analyses fines, mesurées,
contradictoires ou complémentaires, après avoir entendu des orateurs, le Sénat,
à une très large majorité, rejettera, comme je le ferai moi-même, la
proposition de loi organique. Il fera ainsi son oeuvre consacrée de bâtisseur
de république. Le Sénat n'enterre aucune réforme. Lui qui est le dernier refuge
de la démocratie et - on peut le dire - de la spontanéité, de l'expression, il
souhaitait le débat.
Celui-ci m'a appris beaucoup, et j'apprendrai encore en vous écoutant, mes
chers collègues. Tout d'abord, ce débat m'a appris qu'il fallait toujours
combattre « la pensée unique », et nous l'avons, je crois, combattue. Ensuite,
il m'a appris qu'il ne fallait pas considérer que certains anciens chefs,
vieillis sous le harnais, perdant un peu le Nord, après avoir quitté le
pouvoir, avaient toujours raison. Enfin, il m'a appris que nos concitoyens, et
nous l'avons tous dit, estiment que ce débat est inutile, superflu et non
urgent. Nul n'a évoqué dans aucune de mes permences hebdomadaires le thème
proposé. Je ne parle pas du sens que nous donnons à ce débat.
Permettez-moi de citer l'un de ceux qui ont soutenu cette proposition de loi à
l'Assemblée nationale. Il s'agit d'un ancien Président de la République dont je
tairai le nom mais que chacun reconnaîtra. J'ai lu attentivement la lettre
qu'il m'a envoyée. Voilà qui témoigne de mon ouverture d'esprit en abordant
cette proposition de loi organique. Je citerai donc un extrait d'une lettre du
4 janvier du député du Puy-de-Dôme, un de ces « chevaliers blancs de l'ordre
constitutionnel » cité hier par un orateur. Il a fait une déclaration en sept
points. Je ne citerai que le septième qui, comme dans la Bible, est toujours le
point important, celui par lequel il faut conclure, la touche finale.
« La solution la plus satisfaisante, écrivait-il, et la plus conforme aux
exigences de la modernité, depuis l'adoption du quinquennat » - nous avons
adopté le quinquennat voilà quelque temps - « serait en réalité de tenir les
deux élections à la même échéance. » Le chevalier blanc de l'ordre
constitutionnel, qui aspire, je crois, à rejoindre nos travées en septembre
prochain, exprime ainsi, par une sorte de septième amendement, le doute qui
l'étreint. J'espère d'ailleurs que ce doute l'étreindra encore lors du vote en
nouvelle lecture. Il poursuit ainsi : « Il me semble, en conclusion, que
l'ordre de succession de nos deux grandes élections nationales mérite de
retenir l'attention et la réflexion du milieu politique. » Soit ! Il ajoute : «
Etant moi-même de culture parlementaire et respectueux des droits du Parlement,
j'ai demandé qu'un large débat s'ouvre sur ce sujet ». Il serait « servi » dans
notre Haute Assemblée ! « Je souhaite que ce débat éclaire les points de vue de
ceux qui vont avoir à se prononcer, et qu'ils choississent finalement » - mes
chers collègues, je vous rends attentifs à l'expression - « de jouer le tiercé
de l'avenir de la France dans l'ordre et non pas dans le désordre. »
Non, monsieur le député du Puy-de-Dôme, la France ne se joue pas au PMU. Le
Français moyen, grâce à nous, grâce au Sénat, saura qu'il y a en France « de la
combine dans l'air », même si les médias ne s'y trompent plus grâce à la Haute
Assemblée.
Disons-le nettement : après Valéry Giscard d'Estaing - car je vois que
certains hésitaient sur le nom du député du Puy-de-Dôme
(Sourires)
-,
qui propose de jouer la France au tiercé, M. Jospin voudrait jouer la Ve
République à la roulette.
M. Henri de Richemont.
... russe !
M. Louis de Broissia.
Russe, effectivement !
M. le président.
Mon cher collègue, je me dois de vous signaler que vous avez atteint les
quarante-cinq minutes auxquelles vous aviez droit. Mais vous pouvez
poursuivre...
M. Louis de Broissia.
Monsieur le président, je m'achemine vers ma conclusion.
M. le président.
Prenez votre temps, monsieur de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Je vous remercie de la courtoisie de votre présidence... à laquelle je suis
habitué.
Le marché de M. Jospin est clair, brutal, cynique, même s'il est enrobé dans
une proposition de loi organique, ce qui est un beau paquet cadeau. Parce qu'il
sait que la discipline de fer du parti socialiste sur la gauche plurielle ne
survivra pas aux élections municipales et cantonales,...
M. Jacques-Richard Delong.
Elle est rouillée !
M. Louis de Broissia.
... il dit au peuple de gauche : avant les municipales et les cantonales,
rangez-vous derrière mon panache blanc constitutionnel, je vous ferai ensuite
remporter les batailles législatives suivantes.
Mes chers collègues, nous ne sommes pas là pour assurer la carrière de tel ou
tel. Nous sommes là pour faire des lois. C'est l'honneur de notre assemblée !
C'est pourquoi nous rejetterons le texte qui nous vient de l'Assemblée
nationale.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant
d'entrer dans le vif du sujet, je formulerai une observation.
Certains avaient dit, imprudemment, que ce débat relatif à la prorogation du
mandat de député afin d'inverser le calendrier des élections n'intéresserait
sans doute pas le Sénat puisque celui-ci n'est pas concerné. C'est une idée
assez bizarre. En effet, le Sénat est l'une des deux chambres qui constituent
le Parlement et les lois sont votées par le Parlement. Même s'il existe un
ordre de priorité en faveur de nos homologues de l'Assemblée nationale, c'est
en effet le Parlement qui adopte les textes législatifs.
J'ai entendu certains propos discourtois sur notre assemblée et, surtout, à
l'égard de ses travaux. Or ceux-ci sont importants et notre législation en tire
toujours profit. Il s'agit d'un apport considérable. en effet, chaque année
plus de 5 000 amendements sont adoptés par les députés qui appartiennent
pourtant à une majorité qui n'est pas la même que celle du Sénat. S'ajoute à
ces propos discourtois ce qui a été dit précédemment et que M. de Brossia a
rappelé. Je ne reprendrai pas le qualitatif qui a été employé. Il y a là, pour
le moins, un excès de langage. Ces propos imprudents ont été démentis par la
réalité.
On peut admettre le report d'élections locales, municipales ou cantonales, car
cela ne pose pas de véritable problème institutionnel. En revanche,
l'intervention de deux élections nationales, qui vont déterminer les
orientations politiques majeures, qui auront une influence dans un sens ou dans
un autre, pose un vrai problème pour nos institutions et pour la démocratie.
On me rétorquera que si, l'année prochaine, l'élection présidentielle précède
les élections législatives, cela ne remettra pas en question la démocratie. A
la limite, même si tel n'est pas le sens de ma réflexion, je veux bien en
convenir.
Cependant, une telle inversion constituera un précédent. Celui-ci pourra être
invoqué dans cinq ans ou dix ans pour procéder de la même manière. Or la raison
qui sera alors invoquée pourra être empreinte de malignité et notre démocratie
risquerait d'être mise en péril. Cela pourrait avoir des conséquences
dramatiques dans des circonstances politiques que nous ne pourrons envisager
aujourd'hui car elles apparaîtront peut-être d'ici à plusieurs années.
Telles sont donc les deux premières réflexions que je me suis faites et qui
pèseront lourd dans le vote que je serai amené à émettre sur ce texte.
Il a été longuement débattu du calendrier. De nombreux arguments ont été
développés. J'ai entendu surtout des arguments contre ce texte, et quelques
arguments en faveur de celui-ci, car j'ai lu le compte rendu des travaux de
l'Assemblée nationale. Je ne rappellerai pas l'ensemble de ces arguments.
J'insisterai simplement sur quelques aspects particuliers.
Depuis quelque temps, nous assistons à la mise en oeuvre, par le Gouvernement,
de ce que j'appellerai une « politique de report », politique spécifique et
originale.
Le premier exemple nous fut donné avec la loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes.
A la fin du mois de mai 2000, le Parlement adoptait définitivement ce texte.
Le garde des sceaux de l'époque se félicitait alors de cette grande réforme,
s'appropriant d'ailleurs au passage les avancées introduites par le Sénat -
encore un oubli des travaux de notre assemblée ! - je pense notamment à
l'instauration de la possibilité d'appel en matière criminelle.
Puis, les greffiers et les avocats se sont mis en grève. Les magistrats ont
également fait entendre leur voix. Tous estimaient impossible l'entrée en
vigueur de la loi dans les délais prévus, car aucun moyen supplémentaire et
approprié ne leur avait été donné.
L'actuel ministre de la justice a été contraint de tenir compte de cette
fronde du monde judiciaire. Au lieu de répondre à ses demandes légitimes, il a
demandé au Parlement, en décembre 2000, au cours des débats sur le texte
tendant à faciliter l'indemnisation des condamnés reconnus innocents, de
reporter de quelques mois l'application d'une partie des dispositions relatives
à la présomption d'innocence, celles qui concernent l'application des
peines.
L'imprévoyance coupable du Gouvernement, qui préfère consacrer des milliards
au financement des 35 heures plutôt que de faire face à ses obligations
régaliennes, a donné lieu au premier pas du Gouvernement dans cette politique
de report.
Le deuxième exemple que je voudrais citer a pour origine le revirement brutal
du Premier ministre entre la mi-octobre et la fin novembre 2000 ; je le
qualifierai de « report de convenance ».
Je veux bien sûr parler ici du soudain plaidoyer socialiste pour l'inversion
du calendrier électoral de 2002, sujet dont nous débattons actuellement.
Aujourd'hui, il est demandé au Parlement de proroger de quelques semaines la
durée du mandat des députés qui ont été élus en 1997.
Ainsi, les élections législatives auraient lieu après l'élection
présidentielle, contrairement à ce que prévoit le calendrier électoral
résultant de la dissolution de 1997.
Les arguments objectifs contre cette inversion ne manquent pas. Comme je l'ai
déjà dit, je n'y reviens pas. Certains de mes collègues les ont déjà largement
développés, et d'autres le feront sans doute encore.
Pour ma part, je pense que « l'esprit de nos institutions », « la clarté », «
le respect de la portée de chaque élection » et « l'intérêt général », thèmes
souvent invoqués par les défenseurs de l'inversion du calendrier, ne
constituent pas les véritables motivations de cette opération de « report » des
élections législatives.
D'ailleurs, aujourd'hui, dans l'opinion, plus personne ne se fait d'illusions
en la matière. Je pense que tout le monde a compris. Nous y sommes d'ailleurs
pour quelque chose, mes chers collègues, et nous devons en être fiers ! En
effet, nous avons fait ressortir par nos débats que la démarche qui nous était
présentée comme logique et coulant de source était, en fait, fondée sur des
calculs politiciens cafouilleux de la part du Gouvernement et du parti
socialiste. Mais la ficelle était trop grosse pour que l'opinion ne finisse pas
par s'en apercevoir !
La majorité de nos concitoyens l'a bien compris, et plus de la moitié des
Français qualifient de « manoeuvre politique » la proposition d'inversion du
calendrier soutenue par le Premier ministre. Les partenaires pluriels du
Gouvernement sont d'ailleurs, je crois, d'accord avec ce que j'avance ici, et
certains d'entre eux - et non des moindres - l'ont d'ailleurs fait savoir.
Après le « report de convenance personnelle », j'en viens à un troisième
exemple : il s'agit d'un « report » on ne peut plus intéressé, qui concerne le
cumul des mandats.
Ainsi, dans une lettre adressée au Premier ministre et aux présidents du Sénat
et de l'Assemblée nationale, et communiquée à la presse le 20 janvier, quatorze
euro-députés socialistes ont demandé au Gouvernement de reporter les
dispositions de la loi interdisant aux parlementaires européens de cumuler leur
mandat avec une fonction exécutive locale. Ce fait est tout de même assez
extraordinaire pour être signalé !
Parmi les signataires de cette demande, dont certains donnent des leçons dans
l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui, figurent les noms de M. Rocard,
ancien Premier ministre, de Mme Lienemann, ancienne ministre, et de Mme Bérès,
présidente de la délégation socialiste française. Il s'agit donc non pas de
subalternes, mais de responsables politiques importants. Tous souhaitent « dans
les trois semaines de sessions disponibles avant la suspension de février »,
que les parlementaires votent « une disposition législative susceptible de
reporter à la prochaine élection européenne » les dispositions les concernant
de la loi du 5 avril 2000, loi qu'ils ont quand même largement propulsée sur le
devant de la scène politique pour faire valoir leur volonté de non-cumul !
Aujourd'hui, alors que cette loi risque de s'appliquer à eux, ils en demandent
immédiatement le report afin de pouvoir, comme vous l'avez tous compris, mes
chers collègues, se représenter aux élections municipales : il s'agit donc là
à nouveau d'un report de circonstance.
Après avoir prôné l'interdiction du cumul des mandats et avoir accusé le Sénat
d'avoir empêché le Gouvernement d'aller plus loin dans cette politique, ce sont
ces femmes et ces hommes politiques socialistes qui demandent aujourd'hui le
report de l'application du dispositif voté.
N'avons-nous pas atteint ici le comble de l'ironie ?
En outre, pour ajouter au comique de la situation, je relève que ces députés
européens réclament le report en faisant valoir que la tradition voudrait que
de tels changements interviennent « à compter du prochain renouvellement et non
en cours de mandat ». Voilà une disposition qui peut être intéressante pour
l'affaire qui nous concerne, monsieur le ministre.
Il semble donc que le Gouvernement ne respecte même pas les traditions dont se
prévalent certains membres du parti socialiste, ce qui semble assez grave et
discordant.
Tous ces cas de « report », votés, en cours d'examen ou peut-être à venir,
m'amènent, monsieur le ministre, à vous en proposer un quatrième, dans la
logique de vos amis.
L'article 1er de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à
proroger le mandat des députés afin que l'élection présidentielle ait lieu
avant l'élection des députés.
Afin que cette démarche ne puisse plus être qualifiée de « politicienne », ce
qu'elle est en réalité aujourd'hui, pourquoi, monsieur le ministre, dans la
pure tradition socialiste rappelée par vos amis et que je viens d'évoquer voilà
quelques instants, ne pas reporter cette inversion du calendrier, c'est-à-dire
cette fixation du principe selon lequel l'élection présidentielle devra
toujours avoir lieu avant les élections législatives, quelles que soient les
circonstances ?
Si vous reportiez l'application de cette disposition, ne seraient pas visés
par l'article 1er les députés qui ont été élus en 1997, mais seulement ceux qui
le seront en 2002. Ce serait là une logique qui s'inscrirait dans la droite
ligne de la demande qui vous a été présentée par les euro-députés socialistes.
De surcroît, le texte qui nous est soumis ne pourrait alors pas être qualifié
de « politicien ». « Politicien », c'est ce qu'il est aujourd'hui, c'est ainsi
que nous le jugeons et que l'opinion publique le jugera, si tant est qu'il soit
finalement adopté. En tout cas, ce ne sera pas par nous, ici, au Sénat !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Jacques-Richard Delong.
Très brillant !
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre
excellent collègue Louis de Broissia citait tout à l'heure Benjamin Constant,
selon lequel il était important non pas nécessairement de trouver la vérité,
mais de la rechercher de bonne foi et assidûment. Je me placerai sous l'égide
de cette réflexion très simple de Benjamin Constant pour solliciter la
bienveillante attention du groupe le plus nombreux de cette assemblée et sa
patience, sinon son approbation, qui me paraît assez incertaine au point où
nous en sommes du débat.
Ce texte me paraît susciter des réflexions de deux ordres : les unes
concernent la procédure, disons même, monsieur le ministre, le procédé, les
autres, le fond de la question.
Quelle est tout d'abord cette question ? Il est toujours nécessaire, me
semble-t-il, de le rappeler. Il est évident, on l'a déjà dit, que le problème
soulevé concerne non pas seulement ce qui se passera l'année prochaine mais
aussi et surtout ce qu'il adviendra tous les cinq ans à partir de l'année
prochaine. Cette décision est donc d'une assez grande portée.
Cette considération incite et oblige, me semble-t-il, à lever le nez au-dessus
du guidon, d'autant plus que le court terme est encore trop éloigné pour qu'il
soit possible de faire à son égard des supputations fiables. Je me propose
donc, avec votre autorisation de dépasser les considérations
conjoncturelles.
Cette question est nouvelle. Elle ne se pose avec cette étendue que depuis
l'instauration du quinquennat présidentiel, dans les conditions d'ailleurs
pitoyables que l'on sait. En effet, antérieurement, la durée différente des
mandats - sept ans pour l'un, cinq ans pour l'autre - conférait un caractère
très aléatoire aux dates des élections : il n'y avait pas la concomitance que
nous constatons maintenant, ou alors, si elle se produisait une fois, elle ne
risquait pas de se reproduire avant longtemps !
Pour cette raison, il me paraît quelque peu abusif et inexact de parler d'un
retour aux sources - aux sources, il y avait en effet deux mandats de durées
différentes - et moins encore d'un quelconque « rétablissement » du calendrier.
Je me garderai d'ailleurs d'évoquer « l'esprit de la Ve République », concept
qui me paraît quelque peu mythique, en tout cas depuis que l'élection du
Président de la République au suffrage universel a profondément modifié le
système initial. Je préfère rechercher plus modestement le meilleur moyen -
c'est cela, la question - de faire fonctionner nos institutions telles qu'elles
sont.
Cette question nouvelle est aussi, me semble-t-il, porteuse de conséquences
suffisamment probables - on n'est certes jamais sûr de rien ! - pour que l'on
puisse s'y référer dans la recherche d'une réponse. Ces conséquences probables
sont grandes, voire considérables.
La probabilité, admettons-le, est qu'une élection législative précédant
l'élection présidentielle donne une certaine prééminence aux choix opérés lors
de cette élection législative, et donc à l'Assemblée nationale et à son
éventuelle majorité. Elle ferait ainsi peser une sorte d'hypothèque sur
l'élection présidentielle au risque, qui est tout de même grave, de la fausser
profondément.
Notre collègue Robert Badinter a parlé, non sans raison, d'une sorte
d'éliminatoire qui serait opérée par les élections législatives précédant
l'élection présidentielle. Ajoutons que cette éliminatoire serait d'autant plus
choquante qu'elle résulterait moins de la volonté consciente des électeurs que
du jeu des seconds tours électoraux, jeu qui, comme M. de Broissia nous l'a
rappelé, est tout à fait aléatoire. La situation serait évidemment différente
si les élections législatives ne comportaient qu'un seul tour.
Dans le cas contraire, c'est évidemment l'élu à la Présidence de la République
qui se trouve placé en position de déterminer fortement l'élection législative
- personne ne le conteste sérieusement - et d'obtenir que le résultat de
celle-ci confirme très vraisemblablement sa propre élection, confirmation
évidemment et opportunément nuancée par la répartition des voix et des sièges
entre les différentes composantes de sa majorité.
La cohérence qui en résulte devrait assurer l'unité d'action de l'exécutif et
donc réduire les hypothèses de cohabitation.
Je sais parfaitement qu'il ne s'agit là que de probabilités. Il peut en effet
toujours se passer d'autres choses. Mais la politique n'étant pas une science
exacte, il faut bien s'en tenir dans ce domaine, me semble-t-il, au calcul des
probabilités.
Si les choses se déroulent conformément à de telles probabilités, il est
permis de dire - et je crois que tout le monde l'admet - que, quelle que soit
la réponse, il en résultera un infléchissement très sérieux du fonctionnement
de notre démocratie. Il s'agit donc d'une vraie réforme constitutionnelle.
Dès lors, on ne saurait accepter - et je crois que, sur ce point, les
sénateurs siégeant dans la partie droite de cet hémicycle sont tous d'accord -
de faire passer ce texte pour un simple aménagement de calendrier répondant à
des considérations pratiques.
Je n'insisterai pas sur le délai pitoyable concédé à la commission des lois
pour examiner le texte, à savoir huit jours, dont un week-end. Il a fallu tous
les mérites de notre rapporteur pour surmonter un tel handicap ! Cela signifie
en réalité que nous étions priés de ne pas trop réfléchir et, surtout, de ne
pas consulter !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia.
Absolument !
M. Pierre Fauchon.
Par contrecoup, vous tous ici rassemblés vous êtes trouvés véritablement
bousculés dans vos délibérations.
M. Michel Pelchat.
Ça, c'est vrai !
M. Pierre Fauchon.
Il y a plus grave, qui touche au fond du problème : est-il correct
juridiquement et, en tout cas, est-il politiquement convenable de déguiser
cette réforme constitutionnelle en une simple proposition de loi votée à la
hâte, suivant une procédure sommaire...
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Pierre Fauchon.
... qui évacue tout à la fois l'avis du Conseil d'Etat, celui du Président de
la République en conseil des ministres et le recours au référendum ? C'est à
vous que je pose la question, monsieur le ministre, et j'aimerais avoir votre
réponse !
A cette question de procédure, je rattacherai une observation tirée du
caractère ponctuel de la mesure proposée. Voilà quelques mois, nous nous en
souvenons, il fallait instituer le quinquennat, sans rien de plus. Aujourd'hui,
il est proposé une inversion des élections dont le quinquennat est précisément
la meilleure motivation.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Pierre Fauchon.
Les deux mesures sont donc étroitement liées. Pourquoi ne pas les avoir
traitées simultanément ?
M. Louis de Broissia.
C'est parce qu'ils ne réfléchissent pas !
M. Pierre Fauchon.
Je ne suis pas sûr qu'ils ne réfléchissent pas.
M. Louis de Broissia.
Ils calculent !
M. Pierre Fauchon.
Peut-être ne réfléchissent-ils pas, mais ils calculent !
(Applaudissements
sur les travées du RPR.)
N'applaudissez pas trop vite... ou, plutôt,
profitez-en maintenant, car, tout à l'heure vous aurez plus de mal à le faire !
(Sourires.)
M. Josselin de Rohan.
Vous faites provision !
M. Pierre Fauchon.
J'engrange pour la mauvaise saison !
(Nouveaux sourires.)
On peut soulever la même question que précédemment pour la présente démarche.
A ceux qui craignent que l'inversion proposée ne se traduise par un
asservissement accentué de l'Assemblée nationale, on laisse espérer des mesures
complémentaires qui rétabliraient l'équilibre des pouvoirs et des
responsabilités. Là encore, pourquoi ne pas traiter simultanément de questions
aussi étroitement liées, le mal et son remède, en quelque sorte ? On procède
ainsi par petites touches sans prendre d'engagements pour la suite et, surtout,
monsieur le ministre, sans reconnaître, comme cela aurait été loyal et
convenable, que nos institutions appellent un ajustement global et
équilibré.
Les uns, et non des moindres, ont parlé d'« impressionnisme » et d'autres, non
sans humour ni sans réalisme, ont évoqué le « fauvisme ». J'ai apprécié cette
référence. Mais, puisque nous sommes dans les évocations picturales, je
rappellerai la grande leçon de Cézanne, en qui se retrouvent mieux ceux d'entre
nous qui ont le goût des constructions solides, puisant leur force dans
l'harmonie et la cohérence.
Il est permis dès lors de déplorer que le Gouvernement croie pouvoir
procéder, en cette occasion, par une démarche biaisée, improvisée, partielle,
si éloignée, monsieur le ministre, de l'idée qu'on aimerait se faire de son
sens des responsabilités...
MM. Louis de Broissia et Alain Gournac.
Il ne faut pas voter la proposition de loi, alors !
M. Jean Chérioux.
Il faut être logique !
M. Pierre Fauchon.
... comme de l'idée qu'il devrait se faire de la dignité du Parlement.
Je rejoins ici - et pas seulement ici, d'ailleurs - les réflexions de notre
collègue Philippe Marini.
Cependant, chers amis, si réservée, si sévère que puisse être notre
appréciation du procédé, elle ne saurait, à mes yeux, en mon âme et conscience,
prévaloir sur l'appréciation du fond du problème, dès lors que nous sommes
saisis et qu'il nous faut choisir, envers et contre tout.
Le réalisme - on a parlé tout à l'heure de Machiavel, dont j'ai déjà dit en
aparté qu'il n'était pas immoral, qu'il était réaliste, ce qui est peut-être
une forme de morale...
M. Jean Chérioux.
Il était surtout cynique !
M. Pierre Fauchon.
Non, il était réaliste, ce qui est, au fond, profondément moral.
Le réalisme, disais-je, nous oblige à faire un choix qui ne peut être dicté,
en définitive, que par la prise en considération des perspectives qu'il
ouvre.
La question peut être considérée sous deux angles : celui de la légitimité
démocratique, d'abord, celui de l'efficacité, ensuite.
Sous le premier angle, il me paraît évident qu'il faut donner l'avantage à
l'élection porteuse de la plus grande légitimité démocratique.
Or cet avantage est incontestablement, depuis l'élection du Président au
suffrage universel, et quoi que l'on en pense - personnellement, je m'en serais
bien passé !
(Sourire)
- au Président de la République, qui lui, et lui
seul, est issu d'un choix démocratique parfaitement clair.
M. Hilaire Flandre.
On n'a pas toujours dit cela !
M. Pierre Fauchon.
C'est un autre débat de savoir si cet avantage n'engendre pas, au moins depuis
une dizaine d'années, des inconvénients qui, à nos yeux, le contrebalencent
terriblement.
En tout cas, face à la clarté de ce choix démocratique, qui est évidente, le
mode de scrutin des élections législatives, joint à l'état des partis
politiques, ne permet pas de dire sérieusement que ces élections expriment, à
l'échelon nationale, une option aussi claire.
M. de Broissia a parfaitement rappelé, tout à l'heure, ce qui s'est passé lors
des dernières élections législatives avec le mode de scrutin en vigueur : des
triangulaires, des jeux hasardeux, des reports de voix plus ou moins corrects,
etc.
M. Louis de Broissia.
Cela a agacé M. le ministre !
M. Pierre Fauchon.
Les élections sont claires à l'échelon des circonscriptions, mais le résultat
national n'est pas réellement convaincant. Disons que le résultat national est
un peu à l'image du résultat américain, pour faire allusion à ce qui s'est
passé tout récemment.
M. Hilaire Flandre.
Ce serait la même chose avec la proportionnelle !
M. Pierre Fauchon.
Mes chers collègues, selon moi, l'avantage de la chronologie doit donc, de
toute évidence, revenir à l'élection présidentielle, si l'on veut bien admettre
- il me semble que nous sommes d'accord sur ce principe fondamental - que la
clarté et l'authenticité de la volonté populaire sont la pierre de touche de la
démocratie. Cela reste, me semble-t-il, l'une des grandes leçons, et qui nous
est commune, du général de Gaulle. C'est ce que d'aucuns, et non des moindres,
ont appelé « ne pas marcher la tête à l'envers ».
Par ailleurs, et cela me paraît être une considération distincte et non moins
importante, le souci de l'efficacité rejoint, en l'espèce, celui de la
légitimité.
En un temps où la vie publique de notre pays est confrontée dans presque tous
les domaines à la nécessité d'engager de profondes réformes qui la fassent
passer de l'état de délabrement, de routine, d'usure, de quasi-paralysie -
chaque semaine, une réforme est annoncée qui est retirée deux jours après, même
quand elle paraissait fondée - à une nouvelle vitalité, priorité me paraît
devoir être donnée à la formule la plus capable de rendre le pouvoir exécutif
plus cohérent, et donc à même de réaliser ces réformes qui sont aussi
difficiles que nécessaires.
Des voix se sont élevées pour faire observer que ce dispositif conduirait
inévitablement à une plus grande inféodation de la majorité de l'Assemblée
nationale au Président. Je suis sensible à cet aspect du problème, car je
reconnais que le risque est réel.
Mais ce risque, bien pesé, ne doit-il pas être considéré comme moins dangereux
que celui de voir les pouvoirs essentiels juxtaposés dans une certaine
incohérence par le maintien du calendrier actuel, incohérence fâcheuse même
quand elle se pare du titre trompeur de cohabitation ? Eviter que se prolonge
l'incohérence de la cohabitation est, pour moi, une priorité absolue.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du réglement et d'administration générale.
Vous ne
l'éviterez pas !
M. Pierre Fauchon.
Je vous ai déjà dit, monsieur le rapporteur, que je m'en tiens à ce qui me
paraît le plus probable, sans en faire pour autant une certitude. Je sais trop
bien qu'il n'y a pas de certitude en ce domaine. Mais, si nous devons faire
notre métier, faisons-le en fonction des probabilités les plus grandes.
Naturellement, sur ce point, on peut ne pas être du même avis, et comme le dit
Philéas Fogg : « Constatons la différence. »
Au demeurant, il me paraît assez évident que la restauration du législatif, si
souhaitable et si légitime, ne se fera que dans un climat de confiance entre le
chef de l'Etat et l'Assemblée nationale, et donc dans la cohérence et non dans
la confrontation. Ce n'est pas en affaiblissant cette cohérence que l'on
favorisera une telle évolution.
Enfin, il est permis de faire observer qu'il appartient d'ores et déjà aux
membres de la majorité de l'Assemblée nationale, comme à nous-mêmes, qui en
faisons la démonstration autant que nous le pouvons, de faire la preuve de leur
capacité d'autonomie. En vérité, rien ne les en empêche. C'est une question de
courage... et de travail.
C'est pourquoi, mes chers collègues, tout en protestant contre le procédé,
mais en ne croyant pas que ma décision, sur le fond, puisse être dictée par
l'appréciation de ce procédé, je suis conduit à voter la proposition dont MM.
Raymond Barre et François Bayrou sont, pour moi, les premiers initiateurs.
M. Louis de Broissia.
La mort dans l'âme !
M. Jean Chérioux.
La fin justifie les moyens !
M. Pierre Fauchon.
Sans gaîté !
Je le ferai en souhaitant qu'elle permette l'accès au pouvoir d'un homme et
d'une équipe soucieux de rétablir l'équilibre des pouvoirs dans la République,
soucieux de restituer au pouvoir législatif la part de responsabilité qui doit
lui revenir dans l'élaboration de la loi, en même temps que les moyens
d'exercer son contrôle sur les pouvoirs publics et, plus largement, soucieux de
restituer au fonctionnement de nos institutions - c'est à vous que je
m'adresse, monsieur le ministre - non seulement l'efficacité mais aussi la
dignité dont les conditions du débat de ce jour ne font que souligner une
certaine carence.
(Applaudissements sur les travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est tout le portrait de Jacques Chirac !
M. le président.
Mes chers collègues, l'intervention de l'orateur suivant, M. Fournier, étant
prévue pour environ quarante minutes, alors qu'à dix-sept heures quinze M.
Pierre Joxe doit déposer le rapport annuel de la Cour des comptes, nous allons
interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept
heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
3
DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL
DE LA COUR DES COMPTES
M. le président.
L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez introduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le Premier président de la Cour des comptes est introduit selon le
cérémonial d'usage.)
La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes.
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le rapport public annuel que je vous
présente aujourd'hui est l'un des vecteurs classiques de la mission
d'assistance au Parlement que la Constitution confie à la Cour des comptes.
Mais, pour être classique, le genre ne doit pas moins en être partiellement
renouvelé et adapté, tâche à laquelle nous nous sommes attelés cette année pour
faciliter la lecture du rapport, et donc son utilisation, mais aussi pour en
accroître l'efficacité.
Ce rapport comporte des innovations par rapport aux éditions précédentes.
Ainsi, le chapitre consacré au compte rendu des activités des juridictions
financières - Cour des comptes et chambres régionales et territoriales des
comptes - a été largement développé. Nous traitons successivement de
l'évolution du champ de compétence des juridictions financières, de la
politique de contrôle, des travaux réalisés ainsi que des moyens dont nous
avons disposé tant en personnels qu'en crédits. J'ai pensé qu'il était normal
que la Cour des comptes s'applique à elle-même cet exercice de transparence et
d'évaluation.
Si les indications fournies dans le rapport sur les programmes de travail de
la Cour des comptes constituent, en France, une innovation, voilà plusieurs
années déjà que, dans les pays d'Europe, les institutions supérieures de
contrôle publient à l'avance les grandes orientations de leur politique de
contrôle, en partie d'ailleurs pour permettre aux commissions parlementaires de
les infléchir ou d'en tirer profit.
Nous efforçant d'évaluer les effets de certaines de nos interventions
antérieures, nous nous sommes intéressés aux suites données à nos contrôles sur
la Caisse des dépôts et consignations, dont nous avons eu l'occasion de nous
entretenir ici même, au Sénat, avec le président de la première chambre, sur
les musées nationaux, sur les conseils de prud'hommes ou sur l'Institut de
France. Ce dernier qui, il y a quelques années, a fait l'objet de vives
critiques de la Cour des comptes, a entrepris, sur l'initiative de son
chancelier, Pierre Messmer, une réforme approfondie de son règlement
administratif et de son règlement financier dont certaines dispositions, qui
remontaient à Charles X, n'étaient pas tout à fait en phase avec les principes
généraux du droit public contemporain !
Dans d'autres domaines, on a pu constater que les observations de la Cour des
comptes avaient été à l'origine de réformes importantes ; c'est le cas pour la
Caisse des dépôts et consignations, avec une meilleure maîtrise de certaines
opérations, ainsi que pour les conseillers prud'hommes. Nos remarques ont
également permis de remédier à de sérieuses défaillances de gestion, comme à
l'Institut de France.
Les conclusions d'une étude consacrée à l'intervention des associations dans
le domaine des politiques sociales vous intéresseront particulièrement. Elles
sont sans doute les prémices de travaux ultérieurs, car, plus on étudie ce
secteur, plus on s'aperçoit que, dans de nombreux domaines, la politique
sociale - c'est vrai en France, mais c'est vrai également dans d'autres pays
européens - est exercée, non plus uniquement par les collectivités locales, par
les collectivités publiques ou par les services de l'Etat, mais par des
associations qui, parfois, reçoivent des responsabilités et des délégations de
crédits immenses, sans être accompagnés des orientations et des contrôles
suffisants.
Naturellement, l'essentiel de notre rapport est consacré aux observations des
juridictions financières, assorties des réponses des ministres et des
dirigeants concernés et regroupées en chapitres correspondant aux grands
domaines d'intervention de l'Etat tels que l'éducation, la culture, la
recherche, l'action sanitaire et sociale.
Je sais que vous serez particulièrement intéressés par un domaine assez
nouveau, celui du contrôle des fonds européens, mais appelé à un développement
important du fait des exigences croissantes de la Commission européenne ainsi
que des risques financiers encourus par la France, comme par les autres membres
de l'Union européenne.
En effet, s'agissant, par exemple, des fonds structurels ou des aides
agricoles, quand il ne respecte pas la réglementation européenne, l'heureux
bénéficiaire de l'infraction garde l'argent pour lui, mais la République
française doit le reverser à l'Union européenne. Ces reversements sont allés
croissant ces dernières années, atteignant plusieurs centaines de millions de
francs. Comme les administrations des Etats membres sont en quelque sorte les
exécutants des décisions des instances européennes, il est normal, me
semble-t-il, que l'institution supérieure de contrôle nationale qu'est la Cour
des comptes exerce son contrôle pour éviter que, ultérieurement, la France ne
soit contrainte à des reversements qui, encore une fois, peuvent atteindre des
sommes considérables.
M. Emmanuel Hamel.
Il faut mettre un terme à ces reversements. C'est inadmissible d'être ainsi
spoliés !
M. le président.
Je vous en prie, mon cher collègue.
Monsieur le Premier président, veuillez poursuivre.
M. Pierre Joxe,
Premier président de la Cour des comptes.
Comme chaque année et comme
c'est prévu par la loi, la Cour des comptes rend également compte des travaux
des chambres régionales et territoriales des comptes. Le Sénat, Grand conseil
des communes de France, mais aussi des autres collectivités locales, y trouvera
un intérêt particulier.
Le domaine de compétence des chambres régionales s'est encore accru sans que
leurs moyens de travail aient été modifiés. Cela tient, comme vous le savez, à
la fixité des critères démographiques et financiers qui avaient été définis par
la loi en 1988 pour permettre l'apurement administratif, par le comptable
supérieur du Trésor, des comptes des collectivités de moins de 2 000 habitants
ou dont le budget est inférieur à 2 millions de francs. Ces critères étant
restés inchangés, par un effet mécanique, on enregistre une augmentation
régulière du nombre des comptes des collectivités territoriales à juger. De
même, le nombre des établissements publics locaux de coopération intercommunale
s'est accru, avant de se stabiliser l'année dernière.
Les chambres régionales des comptes voient leur charge de travail s'accroître
du fait de la multiplication des enquêtes et des travaux communs aux chambres
et à la Cour des comptes. Nous avons en effet entrepris, pour certaines
politiques publiques, de conduire des études communes. Ainsi, en matière de
politique sociale, en matière de politique sanitaire, les chambres régionales
des comptes peuvent contrôler les hôpitaux et la Cour des comptes avoir une
vision globale. La pratique des financements croisés induite par le
développement des politiques contractuelles rendant la gestion publique parfois
difficile à appréhender entre les interventions de l'Etat, de la région, des
départements, des communes, des structures intercommunales, - sans oublier les
crédits européens, qui font que, dans bien des cas, on se trouve devant un
véritable cocktail de crédits -, nous avons développé des interventions et des
contrôles croisés qui alourdissent la tâche des chambres régionales des
comptes.
Ces dernières contribuent au rapport public par leurs enquêtes et leurs
lettres d'observations définitives. Ces fameuses lettres dont la réforme est
envisagée dans la proposition de loi que vous avez déposée.
Une partie du rapport est consacrée aux collectivités territoriales. Vous
pourrez prendre connaissance du contenu de ces lettres d'observations
définitives et de la typologie des sujets qui y sont abordés. L'analyse
effectuée fournit un éclairage sur certains aspects des gestions locales, sur
les relations des collectivités territoriales avec les organismes de droit
privé, en particulier les associations, sur les groupements de collectivités.
Ces études intéresseront, je pense, les sénateurs que vous êtes.
Une autre étude concerne le contrôle des dépenses obligatoires. Les chambres
régionales des comptes donnent leur avis sur le contentieux relatif à la
non-inscription de dépenses obligatoires dans les budgets locaux pour les
exercices récents.
Le contentieux des dépenses obligatoires est une source d'informations utiles
sur la situation financière de certaines collectivités et sur le fonctionnement
de certains établissements publics de coopération intercommunale.
Une troisième étude concerne les délégations de service public. Il y est fait
état non seulement des progrès qui sont intervenus depuis les lois de 1993 et
de 1995, mais aussi des obstacles qui subsistent pour faire jouer vraiment la
concurrence et assurer la transparence au regard des normes tant nationales
qu'européennes. Cette partie du rapport mentionne également, ou suggère,
certaines dispositions susceptibles d'améliorer la situation.
Enfin, une quatrième étude est consacrée à la gestion des établissements
publics de coopération intercommunale. Sans vouloir faire un bilan de la
coopération intercommunale, que la loi de juillet 1999 vient de renforcer,
cette partie du rapport présente des caractéristiques communes et je pense
qu'il intéressera non seulement les membres du Sénat, mais aussi le ministre de
l'intérieur, que je salue à cette occasion.
Je ne m'attarderai pas davantage sur ce rapport, que je vais vous remettre. Je
serai, naturellement, à la disposition de vos commissions.
En tant que président du Conseil supérieur des chambres régionales des
comptes, je dois aussi assurer la gestion et me préoccuper du statut des
magistrats des chambres régionales des comptes. Les moyens de ces juridictions
ne sont pas une fin en soi, mais la mission remplie par les chambres régionales
des comptes est tellement importante dans le cadre de la décentralisation que
je voudrais dire un mot sur la réforme du statut des magistrats des chambres
régionales des comptes. Vous devriez être saisis prochainement de cette réforme
à l'occasion de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions
statutaires relatives aux magistrats des chambres régionales de comptes, adopté
par le gouvernement en décembre 1999.
Vous avez déjà modifié le statut des magistrats des tribunaux administratifs.
Il s'agira, en quelque sorte, - je dis « en quelque sorte » parce que l'on ne
peut pas complètement les assimiler - d'aligner les uns sur les autres, comme
cela avait été le cas dans le passé lorsque, remplissant à l'époque vos
fonctions, monsieur le ministre de l'intérieur, j'avais créé le premier statut
des magistrats des tribunaux administratifs à l'image du tout récent statut des
magistrats des chambres régionales des comptes. Maintenant, nous sommes dans un
nouvel épisode.
Ce projet de loi statutaire, voté en première lecture par l'Assemblée
nationale le 30 mars 2000, devrait venir en discussion devant votre
assemblée.
La réforme, qui a pour objectif d'offrir aux magistrats des chambres
régionales des comptes une situation comparable à celle de leurs homologues des
tribunaux administratifs. Je pense qu'elle est indispensable à l'évolution de
ces institutions comme certaines réformes que vous avez proposées et qui sont
d'ailleurs aujourd'hui communément admises. Je pense, en particulier, à la
publication des réponses des administrateurs des collectivités locales aux
observations formulées par les chambres régionales des comptes.
Puis-je, en concluant, vous demander, monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, au moment où ce projet de loi viendra devant vous, de
bien vouloir le prendre en considération, sans tenter l'impossible, qui
consisterait à vouloir faire à la fois la réforme du statut des magistrats et
la réforme des chambres régionales des comptes. C'est une requête que je vous
fais parce qu'il s'agit là d'un corps de magistrats qui attend cette réforme
depuis maintenant plusieurs années et qui s'impatiente. Je ne dis pas qu'il
s'impatiente légitimement - ce serait trop dire - mais il s'impatiente.
(Applaudissements.)
(M. le Premier président de la Cour des comptes à M. le président du Sénat le
rapport annuel de la Cour des comptes.
M. le président.
Monsieur le Premier président, le Sénat vous donne acte du dépôt de ce
rapport.
M. Emmanuel Hamel.
Remarquable ! Puisse-t-il avoir des suites !
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finance, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le Premier
président de la Cour de comptes, mes chers collègues, l'exigence de
transparence des comptes publics est l'un des gages d'une saine gestion des
deniers publics.
Elle devient une exigence forte des sociétés modernes, et j'ajouterai que les
Etats les plus mal gérés sont souvent ceux dont les comptes restent opaques et
fermés à toute évolution.
Sous votre impulsion, monsieur le Premier président, la Cour des comptes
participe à cette révolution tranquille. Vous êtes un révolutionnaire
tranquille, finalement.
(Sourires.)
Elle n'hésite pas à révéler ce qu'elle constate, et, lorsque
les comptes de l'Etat apparaissent en pleine lumière, on l'a vu à propos de la
fonction publique en particulier, on mesure combien la gestion de notre pays
reste à parfaire.
Le Sénat, sa commission des finances en particulier, participe à sa manière à
cette révolution tranquille. Le Sénat, lui aussi, est un révolutionnaire
tranquille.
A quelques semaines d'intervalle, la commission des finances a rendu deux
documents significatifs de cette volonté de donner un nouvel élan : une enquête
sur le « mensonge budgétaire » de l'Etat ; une mission en vue de réformer
l'ordonnance de 1959, qu'elle a qualifiée de « constitution financière » de
l'Etat.
L'ensemble de l'activité de notre commission témoigne de cette évolution.
Ainsi, pour assister cet après-midi à la remise du rapport de la Cour des
comptes - avec un peu de retard, ce dont je vous prie de bien vouloir m'en
excuser - j'ai quitté, pour quelques instants la première réunion des
présidents des commissions budgétaires de l'ODCE, qui se tient dans le palais.
Vingt-deux Etats membres sur trente sont représentés pour cette « première »,
et trois observateurs sont présents, dont la commission du budget du Parlement
européen. Une telle réunion est à ma connaissance inédite en France. Elle se
tient au Sénat de la République française, grâce au souci dont témoigne son
président, Christian Poncelet, du rayonnement international de la Haute
Assemblée.
Le débat qui s'y déroule s'intitule : « Renforcer le contrôle du Parlement sur
l'exécutif : l'évolution du rôle du Parlement dans le processus budgétaire.
»
Alors que nous nous promettons de réformer nos propres règles, à l'évidence,
un éclairage international nous est également particulièrement utile. Notre
collègue Joël Bourdin, pour sa part, nous rendra prochainement des travaux
portant sur les différents systèmes d'information statistique sur les
administrations publiques, ainsi que sur la pratique du contrôle budgétaire aux
Etats-Unis.
Au coeur de toutes ces questions se placent les relations entre les assemblées
parlementaires et la Cour des comptes.
Les relations nouées entre la Cour des comptes et la commission des finances
de l'Assemblée nationale dans le cadre de la mission d'évaluation et de
contrôle nous apparaissent d'une étroitesse et d'une intensité qui n'a pas
encore été tout à fait atteinte avec la commission des finances du Sénat. Nous
avons, il est vrai, choisi une autre voie, qui est celle de l'évaluation des
politiques publiques, même si évaluer et contrôler sont deux notions à
l'évidence complémentaires. Dans ce cadre, la commission des finances n'a pas
fait appel à la Cour des comptes.
En revanche, dans le cadre de nos activités traditionnelles de contrôle, nous
réitérons, monsieur le Premier président, notre souhait d'une mise en oeuvre
d'auditions tripartites contradictoires entre la commission des finances, la
Cour des comptes et l'administration, à l'instar de ce que nous avions déjà
fait, comme vous l'avez souligné tout à l'heure, à propos de la Caisse des
dépôts et consignations. Je souhaite que nous parvenions à les réaliser,
notamment s'agissant de la mise en oeuvre des suites de l'enquête de la Cour
des comptes sur la fonction publique.
L'approfondissement des relations entre la Cour et la commission des finances
passe aussi par la revitalisation du droit d'enquête que détient la commission.
M. le Premier président m'a fait savoir qu'il était disposé à communiquer le
programme de travail de la Cour de manière à faciliter les demandes de notre
commission des finances. Je sais parfaitement qu'il est plus facile de demander
une enquête que de la réaliser. Dans mon esprit, ce droit d'enquête ne peut pas
s'interpréter comme un droit d'exiger toute enquête, sur n'importe quel sujet
et à n'importe quel moment, cela va de soi. Cela étant, si nouspouvons
coordonner nos informations, cela pourra être utile à l'exercice de nos
missions respectives.
Mais, monsieur le Premier président, la Cour jouera, je n'en doute pas, un
rôle important dans la réforme de l'ordonnance de 1959. Elle a déjà joué un
rôle moteur en rendant les premiers travaux sur ce sujet ; notre commission les
a publiés dans son rapport sur la « constitution financière » de la France. Je
la consulte actuellement sur les options retenues par ce rapport, et je sais,
monsieur le Premier président, que vous marquez votre volonté de dialogue sur
ce sujet.
La Cour est, me semble-t-il, concernée par cette réforme, non seulement parce
qu'elle y a réfléchi et y réfléchit encore, mais aussi parce que son propre
rôle pourrait en être modifié. Sera-t-elle amenée à émettre un avis préalable
aux projets de budget ? Procédera-t-elle à une véritable certification des
comptes de l'Etat ?Comment son contrôle s'articulera-t-il avec celui des
commissions des finances ? Faudra-t-il mettre en place une chambre de la Cour
dédiée au contrôle parlementaire, ou de nouveaux organes de contrôle budgétaire
et comptable au service du Parlement ?
Je vous livre franchement mes intentions sur ce point.
La première est ma volonté de proposer au Sénat d'introduire cette question du
contrôle à l'occasion de la réforme de l'ordonnance. La seconde est de tout
faire pour que le contrôle ne reste désormais plus vain. Constater est une
chose, porter remède aux dysfonctionnements en est une autre. Or, ces remèdes,
seul le Gouvernement peut, le plus souvent, les apporter. Si la mise en
évidence des dysfonctionnements n'y suffisait pas pour l'avenir, alors il
faudrait activer des incitations plus fortes.
Voilà ce que je voulais vous dire à l'occasion du dépôt, sur le bureau de
notre Haute Assemblée, du rapport public. C'est à cette tâche de réforme de
notre ordonnance, monsieur le Premier président, que notre Haute Assemblée
souhaite s'engager avec, si vous le voulez bien, le concours de la Cour des
comptes.
(Applaudissements.)
M. le président.
Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des
comptes.
(M. le Premier président est reconduit selon le même cérémonial qu'à son
entrée dans l'hémicycle.)
4
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président.
J'ai reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre en date
de ce jour par laquelle le Gouvernement modifie l'ordre du jour prioritaire de
la séance du jeudi 25 janvier, qui s'établit désormais comme suit :
A neuf heures trente :
- suite de la discussion de la proposition de loi organique modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
- questions d'actualité au Gouvernement ;
- suite de l'ordre du jour du matin.
Acte est donné de cette communication.
L'ordre du jour de la séance de demain, jeudi 25 janvier, est modifié en
conséquence.
Je vous rappelle que la conférence des présidents se réunira demain, à douze
heures quinze.
5
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- initiative du royaume de Suède en vue de l'adoption de l'acte du Conseil
modifiant le statut du personnel d'Europol : actes législatifs et autres
instruments.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1638 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- initiative du royaume de Suède en vue de l'adoption d'une décision du
Conseil instaurant un système d'analyses spécifiques de police scientifique en
vue de déterminer le profil des drogues de synthèse : actes législatifs et
autres instruments.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1639 et distribué.
6
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Jean-Paul Delevoye un rapport fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée
nationale, tendant à améliorer l'accès aux fonctions électives municipales (n°
145, 2000-2001).
Le rapport sera imprimé sous le n° 199 et distribué.
7
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de Mme Odette Terrade un rapport d'information fait au nom de la
délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les
hommes et les femmes sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale,
après déclaration d'urgence, relatif à l'interruption volontaire de grossesse
et à la contraception (n° 120, 2000-2001).
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 200 et distribué.
8
ORDRE DU JOUR
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, fixée au jeudi 25 janvier 2001 :
A neuf heures trente :
1. Suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166,
2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Rapport (n° 186, 2000-2001) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé à la clôture de la
discussion générale.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la proposition de loi
organique.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Suite de l'ordre du jour du matin.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la décentralisation :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 30 janvier
2001, à dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en
tant que crimes contre l'humanité (n° 314, 1999-2000) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 31 janvier 2001, à
dix-sept heures.
Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle
lecture, sur l'épargne salariale (n° 193, 2000-2001) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 31 janvier 2001, à seize
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures trente.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
BUREAU D'UNE COMMISSION PERMANENTE
Election d'un vice-président et d'un secrétaire
Dans sa séance du mercredi 24 janvier 2001, la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale a procédé à l'élection de M. Patrice Gélard en
qualité de vice-président, en remplacement de M. René-Georges Laurin, et de M.
Jean-Patrick Courtois en qualité de secrétaire, en remplacement de M. Patrice
Gélard.
Le bureau de la commission est ainsi constitué :
Président :
M. Jacques Larché.
Vice-présidents :
M. Patrice Gélard, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre
Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Robert Bret.
Secrétaires :
MM. Jean-Pierre Schosteck, Jean-Patrick Courtois, Jacques
Mahéas, Jean-Jacques Hyest.
NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES
M. Hubert Durand-Chastel a été nommé rapporteur du projet de loi n° 173
(2000-2001) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en
matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République dominicaine.
M. Robert Del Picchia a été nommé rapporteur du projet de loi n° 174
(2000-2001) autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en
matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République argentine.
M. André Rouvière a été nommé rapporteur du projet de loi n° 175 (2000-2001)
autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière
pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de
la République de Cuba.
COMMISSION DES FINANCES
M. Jacques Chaumont a été nommé rapporteur du projet de loi n° 181 (2000-2001)
autorisant l'approbation de l'avenant à la convention fiscale du 21 octobre
1976 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la
République du Cameroun.
M. Jacques Pelletier a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 152
(2000-2001) de M. Patrice Gélard et plusieurs de ses collègues visant à
permettre, en cas de mutation professionnelle ou familiale, de déduire le loyer
de relogement du revenu tiré de la résidence principale.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Sort des instituts français en Allemagne
1006.
- 24 janvier 2001. -
M. Daniel Hoeffel
appelle l'attention de
M. le ministre des affaires étrangères
sur les rumeurs persistantes concernant la fermeture de plus de la moitié des
instituts et centres culturels français en Allemagne. D'après le ministère des
affaires étrangères, la suppression devrait être compensée par la création de
plusieurs postes « d'attachés culturels » qui auraient une double mission à
remplir. Primo, mettre en oeuvre des projets bilatéraux, et parfois
multilatéraux, et secundo, permettre la relation directe des professionnels de
la culture de nos deux pays, notamment dans le domaine artistique, ce qui
aurait, pour conséquence, de créer un intermédiaire là où il y a pour l'instant
une relation directe. Il se pose la question de l'opportunité économique de la
fermeture des instituts, puisque seul le directeur était inscrit sur les lignes
budgétaires de la France. les fonctionnaires, chargés de mission, à la tête
d'antennes ne représenteraient-ils pas une dépense budgétaire ? Appartient-il
aux collectivités territoriales françaises et allemandes de reprendre le
flambeau de l'Etat démissionnaire de ces fonctions pour sauver les instituts ?
La coopération franco-allemande n'est pas une coopération qi se réduit à des
contraintes budgétaires. Ce choix s'impose en raison des enjeux historiques,
culturels, éducatifs, économiques et bien évidemment politiques. L'Europe a
besoin d'une relation franco-allemande consolidée et renforcée, ceci n'est
possible que si la société civile entretient des relations à des niveaux
différents. Le maintien et la garantie d'un bon fonctionnement de ces instituts
ont donc une signification toute particulière ; des éventuelles réformes
devraient être examinées dans la plus grande transparence et en concertation
étroite avec les villes et les Lander allemands concernés.