SEANCE DU 23 JANVIER 2001
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Karoutchi.
M. Roger Karoutchi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
voilà quelques jours, à l'occasion de sa cérémonie des voeux à la presse, le
Premier ministre déclarait, d'une manière d'ailleurs très dégagée, que pour «
le Gouvernement et la majorité, l'année 2001 n'est ni une année d'attente ni
une fin de période ».
A entendre ces propos, nous aurions pu nous attendre, pour débuter l'année, à
une démonstration plus explicite de la volonté gouvernementale. S'il est des
symboles, celui-ci est fort instructif.
Par excès de naïveté, sans doute, je m'étais imaginé que le Gouvernement
allait, enfin, s'atteler aux réformes d'envergure, profondes et indispensables,
dont notre pays a besoin et que la majorité plurielle reporte d'une année sur
l'autre depuis 1997.
J'avais la candeur de penser que le Gouvernement tenterait de tirer profit de
la nouvelle donne économique, conséquence à la fois des mesures courageuses
prises par les gouvernements précédents et de la reprise de la croissance
mondiale, pour réformer notre système éducatif ou pour régler la question des
retraites.
J'étais suffisamment crédule pour espérer du Gouvernement des mesures pour
lutter contre la montée de la violence et des incivilités, notamment en milieu
urbain, pour améliorer la sécurité dans les transports ou encore pour résoudre
le malaise de la fonction publique. Eh bien non ! Toutes ces mesures n'ont rien
d'urgent ; l'urgence, c'est une réforme purement électoraliste !
Alors que nous étions en droit d'espérer, pour reprendre l'expression
désormais consacrée, que 2001 soit une année utile pour la France, vous en avez
décidé autrement : voilà qu'on tente d'en faire une année utile pour les
socialistes et quelques alliés inopinés et encore, voilà peu, inespérés.
Décidément, les débats institutionnels sont toujours le meilleur alibi contre
l'inaction.
Une fois de plus, le Gouvernement laisse passer son tour. Il est obsédé par
les échéances électorales futures. On attendait de lui une ambition pour la
France ; il ne nous propose aujourd'hui qu'une mise en musique de son ambition
électorale pour son candidat à l'élection présidentielle.
Loin des grands discours solennels, la véritable nature de l'action
gouvernementale apparaît. C'est désormais très clair : le peuple français a
aimé, aime et aimera le Premier ministre, qui espère changer de résidence. Tout
le reste ne doit être que second et, surtout, tout doit être fait pour que ce
postulat perdure.
Pour autant, quels que soient les calculs qui guident l'examen de cette
proposition de loi, il n'est pas question, comme cela a pu être dit ici et là,
de traîner les pieds uniquement pour contrarier les volontés du
Gouvernement.
Il n'est pas question de jouer la montre ou de faire une quelconque
obstruction uniquement pour entraver ou pour paralyser, coûte que coûte, le
vote de cette proposition de loi.
Non, la conception des membres du groupe du Rassemblement pour la République
du rôle du Parlement est tout autre. Et je me suis réjoui de constater qu'un
éminent membre du parti socialiste, ancien ministre, ancien président du
Conseil constitutionnel, ait contribué lui aussi, méticuleusement, longuement,
quitte à en oublier le temps de parole, à la richesse et à la qualité de nos
débats. Je ne pense pas que quiconque puisse le soupçonner de se lancer dans
une « opération escargot », comme l'a dit, peut-être malencontreusement, le
président de l'Assemblée nationale, Raymond Forni.
C'est en effet à nous, ainsi qu'à nos collègues députés, que reviennent la
charge et la responsabilité du vote des lois. Pour ce faire, il s'agit de bien
comprendre les tenants et les aboutissants du texte qui nous est présenté. Il
s'agit simplement, comme l'a rappelé notre honorable collègue et président de
groupe, Josselin de Rohan, « de discuter de manière approfondie ».
Et s'agissant d'une question institutionnelle de fond, d'une question touchant
à notre Constitution, notre vigilance doit être d'autant plus renforcée.
En 2002 doivent donc se tenir à la fois les élections législatives et
l'élection présidentielle, ce que nous savons depuis bien longtemps et ce qui
n'est pas une première sous la Ve République.
La question sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer est d'une
simplicité biblique et peut être ainsi formulée : « Faut-il inverser les dates
d'élections pour positionner le scrutin législatif après le scrutin
présidentiel ? » Eu égard à la genèse et aux conditions de ce débat, j'aurais
tendance, très honnêtement, à remplacer l'expression « inverser le calendrier »
par celle d'« établir un calendrier à sa convenance ».
En résumé, la thématique abordée est une sorte de version moderne de la
problématique de la charrue et des boeufs. Encore faut-il savoir ce qu'est la
charrue, ce que sont les boeufs et, surtout, qui de l'animal ou de l'instrument
de labour a l'ascendant sur l'autre.
Chacun conviendra que ce débat sur la séquence calendaire est à mille lieues
des préoccupations quotidiennes des Français. Le Gouvernement en a d'ailleurs
bien conscience, et c'est sans doute la raison pour laquelle, une fois de plus,
il veut agir dans la précipitation, en l'espèce avant les élections
municipales, quitte à passer en force et à prendre quelques accommodements avec
le fonctionnement régulier de la démocratie.
Car s'il est bien un élément sur lequel les observateurs s'accordent dans
cette affaire, c'est l'attitude hégémonique du parti socialiste. Il se fiche,
comme d'une guigne, ce qui n'est pas nouveau, de l'avis de l'opposition
nationale - le contraire aurait pu nous faire plaisir et nous combler
d'étonnement, mais n'en demandons pas trop ! -, mais il se fiche tout autant de
celui des communistes, qui vont décidément bientôt devenir l'opposition
intérieure d'une majorité à laquelle ils sont de moins en moins associés.
Surtout, il se fiche éperdument de l'équilibre de nos institutions et, par là
même, du suffrage des Français.
M. Jacques Valade.
Nos collègues socialistes le montrent par leur présence...
M. Roger Karoutchi.
Dans cette affaire, je viens de le dire, le Gouvernement ne fait pas grand cas
de l'opposition nationale, ce qui n'est finalement pas vraiment une surprise.
Dans sa grande bonté, il a tout de même fait grâce d'une petite matinée de «
micro-débat » à l'Assemblée nationale : trois petites heures pour débattre de
l'avenir de nos institutions ! Résultat : un débat escamoté, improvisé,
incomplet. Au demeurant, l'objectif n'était d'ailleurs pas tant de réfléchir à
l'avenir de nos institutions que de monter un coup politique.
Certains pourraient trouver ce discours sévère car, il faut le reconnaître, le
recours à une proposition de loi accompagnée d'une matinée de débat a donné
l'occasion à l'opposition à l'Assemblée nationale de s'exprimer sur cette
question ô combien importante et passionnante... Mais n'est-ce pas simplement
une ruse pour éviter le passage devant le Conseil d'Etat et le Conseil des
ministres ? N'est-ce pas, tout bonnement, une astuce pour dissimuler les
divergences au sein même du Gouvernement ? N'est-ce pas, en fin de compte, une
feinte pour accélérer la procédure et agir en catimini, afin de protéger, à
tout hasard, l'instigateur de cette mesure en cas de réaction négative de
l'opinion publique ?
Mes chers collègues, le Gouvernement n'a pas fait preuve de beaucoup de
considération à l'égard de l'opposition à l'Assemblée nationale. Mais alors,
que dire du traitement que l'on nous inflige ici, au Sénat ?
Malgré toutes les négligences et diverses anomalies que j'ai évoquées il y a
quelques instants, le traitement auquel ont eu droit nos collègues députés
apparaît comme privilégié par rapport à celui qui nous est réservé, au sein de
la Haute Assemblée : ni débat sur l'avenir de nos institutions ni droit de
réflexion, droit qui fait pourtant partie intégrante de notre démocratie.
Notre excellent collègue Pierre Fauchon, vice-président de la commission des
lois, a clairement demandé au Gouvernement un délai de réflexion afin que le
Sénat puisse consulter des constitutionnalistes. Le Gouvernement, une fois de
plus, n'a rien voulu entendre et il nous a imposé la date du 16 janvier.
A ce sujet, notre collègue Christian Bonnet, rapporteur de la commission de
lois, est d'ailleurs très explicite dans ses conclusions : « Les conditions
d'examen de la proposition de loi organique par le Parlement ne sont pas
acceptables dans la mesure où l'ordre des échéances électorales de 2002 est
connu depuis 1997 ; le Gouvernement a brutalement changé de position sur cette
question et a dès lors imposé aux assemblées de se saisir de cette question
dans la précipitation. »
Comme à son habitude, le Gouvernement passe outre les prérogatives de notre
assemblée et n'envisage la vie démocratique que comme une affaire de rapport de
force. Bernard Roman, député socialiste, rapporteur de la commission de lois de
l'Assemblée nationale sur ce texte, le reconnaît d'ailleurs dans son rapport,
où l'on peut lire ceci : « Les institutions de la Ve République sont souvent
critiquées. Le Parlement y semble tenu en minorité par un exécutif qui dispose
des principaux leviers de pouvoir et impose ainsi continument sa volonté. »
Au moins, les choses sont claires ! Le Gouvernement attend simplement du
Parlement qu'il donne son feu vert à l'occasion d'un débat au lance-pierre !
Nous l'avons bien compris, dans le stratagème conçu par les meilleurs esprits
du Gouvernement, il n'a jamais été question d'associer l'opposition, ni même
les assemblées, à une quelconque réflexion sur nos institutions.
Eh bien, dans cette affaire, le Gouvernement va sans doute trop vite en
besogne.
Il ne se montre pas non plus très révérencieux à l'égard de sa propre
majorité, mais cela commence à devenir une habitude !...
Devant un Lionel Jospin de moins en moins Premier ministre et de plus en plus
candidat à l'élection présidentielle, la majorité plurielle constate ses
désaccords de fond, mais, devant les médias, elle dissimule ses divisions,
affichant une unité de façade censée contraster avec une droite décrite -
nouveau postulat - comme fondamentalement divisée.
Deux des composantes les plus importantes de sa coalition hétéroclite, les
communistes et les Verts, sont pourtant hostiles à ce calendrier électoral.
Mais peu importe ! Il suffit de trouver quelques soutiens de circonstance en
attisant les ambitions, les calculs, les espoirs des uns et des autres.
C'est l'un des leaders de cette majorité plurielle, le secrétaire général du
parti communiste, Robert Hue, qui déclarait le 17 décembre dernier : « Je veux
simplement dire que je suis résolument opposé à ce projet d'inversion, car il
ferait, encore plus qu'aujourd'hui, de la présidentielle l'élection
structurante de la vie politique. »
Mme Nicole Borvo.
C'est assez rare que vous citiez les propos du secrétaire général du parti
communiste !
M. Roger Karoutchi.
Mais c'est pour moi un vrai plaisir, ma chère collègue ! Je le citerai
d'ailleurs à nouveau tout à l'heure.
Mme Nicole Borvo.
Vous devriez plutôt vous occuper des problèmes des partis de droite !
M. le président.
Madame Borvo, si vous souhaitez interrompre M. Karoutchi, avec son
autorisation, ne vous en privez surtout pas !
(Rires sur les travées du
RPR.)
M. Gérard Cornu.
Il la donnera ! Il est galant !
M. Roger Karoutchi.
En vérité, monsieur le président, je n'en avais pas fini avec cette citation
de Robert Hue. Et je ne doute pas que Mme Borvo ne verra pas, dans le fait de
citer le dirigeant national de son parti, une agression. Ce n'est rien d'autre
qu'un signe de déférence à l'égard des propos extrêmement intelligents d'un
homme politique de qualité...
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Robert Hue poursuivait donc ainsi son propos : « Les législatives seraient
réduites à une simple formalité. Permettez-moi de le dire très directement,
cette subordination transformerait le Parlement en une « assemblée godillot
»...
Robert Hue ajoutait encore : « Et c'est en plus un signe de grave surdité
politique... On ressert aux Français une nouvelle astuce politicienne en guise
de réponse à des préoccupations qui demandent un large débat citoyen et des
mesures inédites, novatrices, à la mesure des bouleversements des rapports
humains qui caractérisent notre époque. »
On ne saurait être plus clair et, après tout, c'est à peu près le discours que
tiennent les sénateurs ici présents.
M. Gérard Cornu.
Tout à fait !
M. Roger Karoutchi.
Ce discours n'est pas, loin s'en faut, dénué de fondement, mais il soulève
tout de même quelques problèmes à partir du moment où il émane d'un membre de
la majorité. Il est vrai que le Gouvernement n'a jamais fait grand cas des
composantes non socialistes de sa majorité plurielle !
Mme Borvo me permettra de rappeler qu'en dehors du désaccord sur le texte en
discussion aujourd'hui, les exemples de discordances avec le parti communiste
sont nombreux, qu'il s'agisse du référendum sur le quinquennat, de la
revalorisation des minima sociaux ou encore, plus récemment, des mesures
destinées à compenser l'allégement de la CSG.
Autre nébuleuse de la majorté plurielle qui n'a jamais été entendue : le Parti
radical de gauche, le PRG. Ses souhaits de voir nos institutions évoluer
sensiblement sont toujours restés sans suite.
Avec votre permission, monsieur le président, je citerai non plus M. Robert
Hue, mais le président du parti radical de gauche, M. Jean-Michel Baylet.
M. le président.
Il est moins connu !
M. Roger Karoutchi.
Certes, mais il n'est pas moins respectable.
M. Baylet, donc, déclarait il y a peu : « Après la proposition par Lionel
Jospin d'inverser le calendrier électoral, le parti radical de gauche manifeste
son désaccord : sur la forme, car une telle annonce aurait dû se faire en
concertation avec la gauche plurielle, et le congrès du PS est un lieu mal
choisi. Sur le fond, car les radicaux continuent de penser que la bonne
solution est la concomitance des deux élections. »
Voilà qui est clair !
Le PRG, cependant, semble aujourd'hui préférer changer d'opinion et s'aligner
sur les positions du parti socialiste plutôt que de devoir constater, comme il
l'a souvent fait par le passé, que ses messages ont décidément du mal à passer
dans la gauche plurielle. Pourtant, la grande tradition radicale, forte de
respect républicain, voudrait que nos amis députés et sénateurs radicaux de
gauche refusent cette inversion de commodité.
Enfin, le Gouvernement n'a pas fait grand cas non plus des avis émis par les
Verts. Ces derniers ne peuvent, eux aussi, que constater l'attitude hégémonique
du parti socialiste sur cette question du calendrier. Il est vrai que, en la
matière ils ont une solide habitude, et que, après l'uranium enrichi, ou
appauvri, après la mise en place du crédit d'impôt pour pallier la suppresion
de l'allégement de la CSG par le Conseil constitutionnel, les Verts dénonçaient
« les incohérences de nos politiques fiscales qui ne peuvent que justifier des
mesures encore plus incompatibles avec l'objectif de lutte contre les
inégalités ».
Les Verts sont toujours dans la majorité plurielle, mais ils ne sont
décidément pas d'accord avec les socialistes sur grand-chose !
De leur côté, nos amis députés et sénateurs socialistes ont oublié leur
sensibilité parlementariste, que, par le passé, ils invoquaient si souvent face
à des gouvernements de droite. Très souvent, nous avons entendu des députés ou
des sénateurs socialistes rappeler les droits du Parlement face à l'exécutif.
Aujourd'hui, il faut les voir - cela peut même être parfois cocasse -
s'improviser protecteurs d'une Ve République dont ils étaient souvent les plus
grands pourfendeurs, tout en laissant le Parlement dans une position
seconde.
Le Premier ministre essaie d'apparaître aujourd'hui comme le grand défenseur
de notre Constitution, Constitution qu'il a pourtant combattue tout au long de
sa vie politique. Mais, après tout, on a le droit de changer ! Il reconnaît
d'ailleurs en toute sérénité ne pas l'avoir approuvée, tant en 1958 qu'en 1962.
Dans ces conditions, nous comprenons aisément que, par cette proposition de
loi, il se moque de porter atteinte à son article 12, relatif au droit de
dissolution du Président de la République :
« Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre
et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée
nationale.
« Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au
plus après la dissolution.
« L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit
son élection. »
Ce droit de dissolution est, en réalité, un droit de faire en sorte que le
calendrier des élections législatives soit aussi dépendant de la volonté du
Président de la République, et de lui seul ; et ce n'est pas parce qu'une
majorité de rencontre à l'Assemblée nationale décide d'un calendrier et arrête
des dates que celles-ci sont définitives ; en effet, si telle est la volonté du
Président de la République, ce calendrier peut ne pas être appliqué.
M. Serge Vinçon.
Tout à fait !
M. Roger Karoutchi.
De fait, c'est le chef de l'Etat qui, par le recours à la dissolution de
l'Assemblée nationale, peut fixer
de facto
les dates des élections
législatives et non pas une manoeuvre, aussi habilement montée soit-elle.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Détourner l'article 25 de notre Constitution n'effraie pas davantage le
Gouvernement. Le premier alinéa de cet article est ainsi formulé :
« Une loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre
de ses membres, leur indemnité, les conditions d'éligibilité, le régime des
inéligibilités et des incompatibilités. »
A aucun moment, cet article ne prévoit de faire varier la durée d'une
législature en fonction des velléités de la majorité.
Finalement, il est tout de même surprenant et moralement curieux de proposer
aux députés de voter eux-mêmes la prolongation de leur mandat, ce qui remet en
cause, sans conteste, le principe de la stabilité du mandat législatif.
Tout le monde admet qu'il est nécessaire de faire évoluer nos institutions,
mais sûrement pas de cette manière !
La Ve République a beaucoup changé avec le temps. Les trois cohabitations que
l'on a connues depuis 1986 ont petit à petit transformé notre régime. Au total,
sur les quinze dernières années, nous avons vécu plus d'une année sur deux sous
un régime de cohabitation.
Dans ces conditions, et plusieurs orateurs l'ont souligné ce matin, un vaste
débat, associant tous les acteurs de notre démocratie, devrait pouvoir voir le
jour si telle était la volonté du Gouvernement. Je parle non d'un micro-débat
destiné à « habiller » une décision de convenance et d'arrangement
conjoncturel, mais d'un vrai débat de fond, pour savoir ce qu'il en est de
l'avenir éventuel de la cohabitation ou du rééquilibrage des pouvoirs.
Il convient en effet, tout le monde en est d'accord, de renforcer les pouvoirs
de la représentation nationale pour aboutir à un régime équilibré, modernisé,
efficace, qui ne soit ni totalement présidentiel ni totalement parlementaire.
Le Parlement doit pouvoir disposer de véritables moyens de contrôle, notamment
en matière budgétaire, ce qui, je le rappelle, passe par la réforme de
l'ordonnance du 2 janvier 1959.
A ce sujet, j'observe au travers des propos de M. Fabius que la diligence du
Gouvernement en la matière est nettement moindre que celle qu'il manifeste
aujourd'hui pour une affaire d'éphéméride. Pourtant, tout le monde s'accorde à
reconnaître, à commencer par le ministre des finances lui-même, le caractère
urgent du dépoussiérage de cette loi organique relative aux lois de finances.
Elle n'a jamais connu de véritables réformes, contrairement à notre
Constitution dont elle est pourtant le prolongement direct.
L'objectif initial de l'ordonnance, qui était de rompre avec les errements du
régime parlementaire précédent, est aujourd'hui atteint. Désormais, il ne
s'agit plus de savoir si le budget va pouvoir être voté en temps et en heure ni
d'affirmer la prééminence de l'exécutif dans l'élaboration des lois de
finances. L'évolution de notre régime confère aujourd'hui à cette ordonnance un
caractère suranné. En la matière, les pouvoirs et les responsabilités de la
représentation nationale doivent être étendus, ce qui passe par une réflexion
globale, tant sur la présentation des lois de finances que sur le débat
budgétaire.
Quant aux récentes controverses funambulesques sur le montant de la cagnotte
fiscale, elles ne peuvent que nous encourager à conférer davantage de pouvoirs
au Parlement. Ce dernier doit disposer d'un droit d'initiative et d'un pouvoir
de contrôle. Pour y parvenir, il est indispensable de lui donner la possibilité
de proposer des modifications, des amendements, en recettes comme en dépenses,
et d'étendre ses moyens de contrôle.
Outre la réforme de l'ordonnance organique, des mesures doivent être prises
rapidement, plus rapidement que ne le prévoit le calendrier, afin de conférer
au Parlement une réelle autonomie législative et en faire autre chose qu'une
simple chambre d'enregistrement des volontés gouvernementales.
Dans le même temps, le Gouvernement serait bien inspiré de mener une grande
réflexion sur la décentralisation, sujet dont nous avons débattu ici, il y a
quelques jours. Il est à mon sens souhaitable de prendre d'urgence des mesures
visant à rapprocher les citoyens des lieux de décision. Il est tout aussi
urgent de clarifier l'attitude de l'Etat à l'égard des collectivités
territoriales, et en ce qui concerne tant les compétences qui leur sont
conférées que les moyens financiers qui leur sont transférés.
Il importe également de mettre en place un véritable statut de l'élu local.
Nous aurions d'ailleurs préféré que l'urgence soit déclarée plutôt pour la
proposition de loi relative au statut de l'élu local que pour la présente
proposition de loi ! L'initiative de plusieurs de nos collègues, parmi lesquels
Alain Vasselle, Jean-Paul Delevoye, Serge Mathieu et Jean Arthuis, a pour objet
d'accélérer l'élaboration d'un projet de loi très attendu, car nous ne pouvons
nous contenter, chacun le sait, du dispositif embryonnaire qui existe
aujourd'hui.
Pour en revenir à cette inversion de calendrier dont l'urgence ne nous
apparaît décidément pas, nous ne pouvons que constater le peu d'égards dont
témoigne le Gouvernement envers les Français : il s'agit, en fait, d'une
opération électorale destinée, à tort ou à raison, à conforter la position du
candidat socialiste aux élections présidentielles. Je dis « à tort ou à raison
», car les sondages, les calculs savants, les prévisions me paraissent bien
risqués à quinze mois de l'élection. Ceux qui s'y livrent seraient bien
inspirés de faire preuve de davantage de modération !
Il s'agit bien, cela a été dit, d'une opération de convenance et de
circonstance, d'une manoeuvre gouvernementale entreprise par pure commodité
électorale.
M. Gérard César.
C'est vrai !
M. Roger Karoutchi.
Depuis 1995, chacun sait que les prochaines élections présidentielles devront
se dérouler les 21 avril et 5 mai 2002.
M. Jacques Valade.
Eh oui !
M. Roger Karoutchi.
Depuis 1997, chacun sait que les prochaines élections législatives devront se
dérouler, en l'état actuel du calendrier, en mars 2002 ou, plus exactement,
soyons sereins, entre le 3 février et le 24 mars pour le premier tour.
Cela n'avait d'ailleurs pas échappé au Premier ministre lui-même, il est
dommage que Mme Borvo soit partie, car je m'apprête à le citer - j'aurai ainsi
fait le tour de tous les dirigeants de la gauche plurielle. Le 19 octobre 2000,
interrogé en direct par Patrick Poivre d'Arvor dans un journal télévisé, le
Premier ministre affirmait en effet qu'il ne prendrait aucune initiative en
matière de calendrier...
M. Gérard Cornu.
Ah !
M. Roger Karoutchi.
... de crainte que ne soit interprétée de façon étroitement politique voire
politicienne la mesure présentée par le Gouvernement s'il y avait inversion du
calendrier.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Et voilà !
M. Roger Karoutchi.
Et le chef du Gouvernement concluait en réponse aux questions du journaliste :
« moi, j'en resterai là ».
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Gérard César.
Parole d'évangile !
M. Roger Karoutchi.
Il eût mieux valu en rester là.
M. Dominique Braye.
On en a l'habitude !
M. Roger Karoutchi.
Cinq semaines plus tard, à l'occasion du congrès du parti socialiste, le
Premier ministre avait changé radicalement d'orientation et déclarait très
sereinement : « Ce qu'il faut souhaiter, c'est que le printemps 2002, celui des
grands rendez-vous démocratiques dans lesquels le peuple s'exprime et tranche,
ne soit pas un printemps de la confusion et des choix de convenance mais un
printemps de la clarté. »
Que s'est-il donc passé entre les déclarations du 19 octobre sur le
statu
quo
et le réquisitoire du 26 novembre en faveur de l'inversion ?
M. Patrick Lassourd.
Une éclipse !
M. Roger Karoutchi.
On murmure, mais je n'ose imaginer que cela puisse être vrai, que le chef du
Gouvernement aurait été quelque peu atteint par les déclarations sur les
farines animales du Président de la République, qui lui aurait un peu volé la
vedette médiatique.
On susurre, que cette sensible reconversion aurait été opérée à la lecture
d'une étude approfondie et très fouillée sur les résultats prévisionnels de la
gauche française aux élections de 2002, publiée en novembre 2000 dans une revue
que mes collègues de la majorité sénatoriale doivent peu lire - mais ils
devraient le faire régulièrement -, mais je veux parler de la
Revue
socialiste.
Chiffres à l'appui, l'expert de cette revue, Eric Perraudeau,
auteur éclairé, explique que la victoire de la gauche en 1997 ne s'est jouée
qu'à une dizaine de milliers de voix bien réparties en faveur de la gauche.
Il observe également, dans cette analyse, que, lors des élections cantonales
et législatives partielles qui se sont tenues depuis 1997, les candidats de la
droite républicaine l'ont bien souvent emporté. L'auteur de cette étude va
jusqu'à qualifier la progression de la gauche depuis 1997 d'évolution « en
trompe-l'oeil ».
Il est vrai que si l'on fait un rapide décompte des résultats des scrutins
dans les trente-trois cantons renouvelés en l'an 2000, on observe que vingt
cantons sont restés à droite, que trois ont été conquis par la droite et que la
gauche n'en a gagné qu'un seul.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Dans la Nièvre !
M. Roger Karoutchi.
Un scrutin est particulièrement évocateur et riche d'enseignements, celui -
j'aurais ainsi fait le tour - qui a eu lieu dans la circonscription de M.
François Hollande, le jour même où se tenait le congrès socialiste de Grenoble,
ce qui explique peut-être bien des choses.
Le conseiller général et maire sortant de Lubersac, charmante commune de la
Corrèze, étant décédé, s'affrontaient aux élections son fils - de droite - et
un candidat socialiste.
La presse et, d'après ce que l'on dit, certains experts électoraux socialistes
étaient très sûrs de la victoire du candidat socialiste.
Manque de chance - décidément, le 26 novembre aura beaucoup marqué les esprits
- 65 % des électeurs du canton sont allés voter, remarquable performance de
mobilisation pour une cantonale partielle, et le candidat de droite a été élu
dès le premier tour avec plus de 53 % des suffrages, résultat qui a pu faire
pâlir d'inquiétude les experts électoraux du parti socialiste et qui nous aide
peut-être à mieux comprendre l'attitude du chef du Gouvernement.
S'ajoutent à cette bonne tenue des candidats de droite aux élections locales
l'affaiblissement du Front national et la montée en puissance des partenaires
du parti socialiste dans la majorité plurielle. Nous avons tous encore
récemment constaté que les demandes en vue de passer des accords pour 2002
étaient de plus en plus pressantes au sein de celle-ci, notamment de la part
des Verts.
Les conséquences immédiates de ces reclassements politiques sont, pour la
droite, la réduction des risques de triangulaires pénalisant ses candidats et,
pour la gauche, de nouveaux handicaps en perspective du fait de la montée de
l'extrême gauche et des Verts. Je me permettrai de rappeler qu'un grand nombre
de députés socialistes doivent leur élection ou leur réélection en 1997 à la
seule existence du Front national et au maintien de ses candidats au second
tour des élections législatives.
M. Patrick Lassourd.
Quarante-trois !
M. Roger Karoutchi.
Il est vrai qu'en cas de défaite aux élections législatives de 2002, le
candidat attendu et naturel du parti socialiste à l'élection présidentielle
risquerait fort de se retrouver en difficulté dans son propre camp...
M. Gérard Cornu.
Ah !
M. Roger Karoutchi.
... quelques semaines avant le scrutin et, qui sait, les hommes n'étant que ce
qu'ils sont, cela pourrait sûrement donner des idées à quelques-uns de ses
amis, qui, pour son plus grand bien, se sacrifieraient pour le remplacer à
l'élection présidentielle.
M. Gérard Cornu.
Et il y en a !
M. Roger Karoutchi.
Je dois reconnaître que, pour tenter de « vendre » aux Français l'inversion du
calendrier comme une mesure nécessaire et indispensable au bon fonctionnement
de nos institutions, il faut beaucoup d'aplomb et de présomption. Le
Gouvernement et les orateurs socialistes avancent pour ce faire des arguments
moins convaincants les uns que les autres.
Le premier est d'affirmer qu'il existe une tradition constitutionnelle qui
veut que l'élection présidentielle soit l'élection reine, l'élection majeure,
l'élection pivot, et que, par conséquent, elle précède toujours le scrutin
législatif. Tout cela est totalement faux si l'on analyse la pratique
institutionnelle depuis 1958.
Depuis cette date, en effet, se sont tenues onze élections législatives et
sept élections présidentielles. Au total, le pouvoir a donc été relégitimé ou
conféré à quinze reprises. Par trois fois, les élections législatives ont eu
lieu en premier. Ce fut le cas en 1958, en 1968 et également en 1973.
A six reprises, les élections législatives se sont tenues à mi-parcours d'un
mandat présidentiel. Il s'agit des scrutins de 1962, 1967, 1978, 1986, 1993 et
1997.
Enfin, on dénombre seulement deux cas dans lesquels les élections législatives
ont suivi immédiatement un scrutin présidentiel : ce sont les élections de 1981
et de 1988.
Cependant - il faut peut-être le rappeler -, en 1981 comme en 1988, ce n'est
que grâce à une dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de
l'époque, François Mitterrand, que cet ordre calendaire a pu être appliqué.
Cela me renvoie à mon propos initial, à savoir que le calendrier électoral est,
du fait d'abord du droit de dissolution du Président de la République, aux
mains de celui-ci et il ne saurait être réglé par une mesure prétendument
d'urgence susceptible d'être votée à la sauvette.
Mes chers collègues, revenons, si vous le voulez bien, aux trois cas dans
lesquels les élections législatives ont précédé l'élection présidentielle.
En 1958, les législatives se sont tenues les 23 et 30 novembre, et la
présidentielle le 21 décembre, soit moins d'un mois après. Même si, comme
peuvent le faire remarquer certains partisans de l'inversion, l'élection de
1958 n'a pas eu lieu au scrutin universel direct, vous conviendrez, mes chers
collègues, qu'à cette époque, l'influence des partis politiques était
sensiblement plus importante qu'aujourd'hui.
En 1968, les législatives se sont déroulées les 23 et 30 juin, et l'élection
présidentielle les 1er et 15 juin 1969, soit moins d'un an plus tard. J'observe
que, malgré son élection post-législative, le Président Pompidou ne s'est
jamais vu reprocher d'être l'otage des députés de sa majorité.
Enfin, dernière en date, l'élection de 1973, qui s'est déroulée un an avant la
présidentielle de mai 1974 : au soir du 19 mai 1974, le président Giscard
d'Estaing, qui a eu, semble-t-il, un rôle dans l'inversion qui nous est
aujourd'hui proposée, n'a pas ressenti le besoin de dissoudre l'Assemblée
nationale pour mettre en place une majorité conforme au programme qu'il avait
développé tout au long de sa campagne.
Dans ces conditions, il ne fait aucun doute, mes chers collègues, que
l'argument avancé par le Gouvernement et le parti socialiste n'a guère plus de
valeur que s'il nous était proposé d'inverser par la loi les saisons.
Second prétexte, l'ordre prévu - l'ordre naturel - ne serait pas conforme à
l'esprit de nos institutions. Or, je ne vois pas à la lecture de la
Constitution comment on peut en arriver à dire que l'élection présidentielle
doit avoir la primauté.
Le Gouvernement l'avoue d'ailleurs à demi-mot puisque, la Constitution étant
muette dans la lettre, il s'empresse de se rattacher à son esprit. Quand la
lettre est muette, l'esprit peut être divers, et on trouvera en l'occurrence
autant d'analyses qu'on le souhaite, mais rien ne permet de considérer que les
élections législatives sont secondaires - j'estime d'ailleurs que l'Assemblée
nationale va un peu vite alors qu'il s'agit de ses propres pouvoirs !
De plus, est-ce au Parlement, qui n'a cessé de souhaiter un rééquilibrage
entre l'exécutif et le législatif, d'affirmer lui-même qu'il procède
indirectement du pouvoir du chef de l'exécutif et d'une élection mineur par
rapport à l'élection présidentielle ?
Le troisième argument avancé consiste à dire, comme on l'a déjà fait pour
l'adoption du quinquennat, que cette proposition de loi est une mesure
anti-cohabitation ou, plutôt, permettant d'éviter la cohabitation. Décidément,
ce thème de la cohabitation peut faire florès pour à peu près toute
argumentation et son contraire. C'est tout juste si le Gouvernement ne
l'utilise pas pour expliquer parfois son inaction, notamment en matière
fiscale. Plus sérieusement, si l'on veut supprimer tout risque de cohabitation,
il faut le dire clairement, ouvrir vraiment le débat et prendre les mesures
adéquates.
Non, monsieur le secrétaire d'Etat, nous le savons, l'inversion du calendrier
ne réglera en rien les risques de cohabitation, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, rien n'empêchera les Français de voter différemment lors de
scrutins proches dans le temps. Un récent sondage nous apprend d'ailleurs que
plus d'un Français sur trois souhaite qu'à l'issue des élections présidentielle
et législatives de 2002 le Président de la République et le Premier ministre
n'appartiennent pas à la même famille politique, considérant ainsi que la
cohabitation a fait ses preuves. Je n'en suis pas convaincu. Les Français, pour
le moment, ne condamnent pas la cohabitation en tant que telle, mais ils
peuvent condamner les calculs qui consistent à faire en sorte ou à croire
pouvoir faire en sorte que les prochaines élections législatives et
présidentielle auront un résultat uniforme.
Par ailleurs, et c'est un argument évident, la simple application de la
Constitution de la Ve République rend le calendrier électoral amovible. Le
pouvoir de dissolution du Président de la République peut, s'il est utilisé,
décaler complètement les dates de scrutin et faire en sorte que les élections
législatives et présidentielle ne coïncident plus. De la même façon, la
démission ou le décès d'un Président de la République en exercice peut
chambouler complètement les dates d'élections. Par conséquent, on ne voit pas
en quoi cette mesure particulière de changement de calendrier peut avoir valeur
de référence puisque l'on sait que dès après 2002 le problème pourra se poser à
chaque renouvellement. Il existe bien quelques moyens : la suppression du droit
de dissolution - mais cela nous renvoie à un vrai débat constitutionnel, et non
à un débat dans l'urgence - et la substitution d'un vice-président au poste
actuel de Premier ministre - après tout, pourquoi pas, mais, là encore, il faut
revenir à un vrai débat constitutionnel approfondi avec le peuple français. Je
crains que toutes ces mesures ne soient pas à la portée du Gouvernement, quel
que soit, par ailleurs, le talent de ses membres. Nous le voyons bien, si
l'objectif est uniquement d'écarter les risques de cohabitation, il suffit de
le dire clairement, d'en débattre en y associant l'ensemble de nos concitoyens,
et de proposer les mesures appropriées par voie de référendum.
Un autre faux-fuyant est avancé par les contempteurs du maintien de la
séquence naturelle des élections : celui qui consiste à dire que l'ordre actuel
est confus et place les électeurs dans un embrouillamini électoral. Ces experts
en psychologie électorale craignent que les Français ne fassent un amalgame
entre les deux scrutins. Merci pour eux ! Ils sont persuadés, disent-ils, que
nos concitoyens ne perçoivent pas la différence entre l'élection du Président
de la République et l'élection des députés. Dans ces conditions, je crains
qu'il ne faille pousser le raisonnement plus loin. On pourrait, par exemple,
dire que le fait qu'il y ait des élections un an avant les élections
législatives ou présidentielle pose problème. Pis, monsieur le secrétaire
d'Etat, qu'est-ce que le Gouvernement a envisagé pour le tour suivant ? En
effet, du fait des municipales et cantonales de 2001, en 2007, c'est-à-dire
demain, au terme du quinquennat, nous aurons, la même année, des municipales,
des cantonales, des législatives et une présidentielle plus des sénatoriales.
Je défie qui que ce soit de me dire quel sera, dans ces conditions, le
calendrier de 2007 et si le Gouvernement du moment envisage d'engager des
détectives, des sondeurs, des prévisionnistes et des météorologues pour
résoudre ce calendrier calamiteux !
M. Patrick Lassourd.
La boule de cristal !
M. Gérard Cornu.
Eh oui !
M. Roger Karoutchi.
Non, vraiment, tous ces arguments sont des arguments de circonstance. Avant ou
après, les élections présidentielle et législatives se situeront dans tous les
cas à quelques semaines d'intervalle.
Alors, pour défendre cette mesure, le rapporteur de ce texte à l'Assemblée
nationale soutient qu'il existe des précédents sur cette question de la
prorogation de la durée de la mandature d'une assemblée, en faisant référence à
la décision du 6 décembre 1990. Il affirme ainsi qu'il suffit que « le
législateur se conforme aux principes d'ordre constitutionnel qui impliquent
notamment que les électeurs soient appelés à exercer, selon une périodicité
raisonnable, leur droit de suffrage et que les choix du législateur
s'inscrivent dans le cadre d'une réforme dont la finalité n'est contraire à
aucun principe non plus qu'à aucune règle de valeur constitutionnelle ».
Il poursuit en évoquant les précédents suivants : la loi du 21 décembre 1966,
qui a reporté de mars à octobre 1967 le renouvellement d'une série de
conseillers généraux ; la loi du 4 décembre 1972, qui a procédé au report
d'élections cantonales du mois de mars au mois d'octobre 1973 ; la loi du 8
janvier 1988, qui a reporté de mars à septembre une série d'élections
cantonales ; la loi du 11 décembre 1990 ; enfin, la loi de 1994, dont chacun se
souvient, qui a reporté au mois de juin les élections municipales de 1995.
Certes, ces reports ont bien eu lieu. Mais en aucun cas, chacun a pu le noter
dans les citations que je viens de faire, ils n'ont concerné des élections
législatives, à deux exceptions près, et pas n'importe lesquelles. Dans ces
deux cas, on ne peut pas dire que les conditions aient été les mêmes
qu'aujourd'hui.
Le premier cas, c'est, bien sûr, la Première Guerre mondiale : on n'allait pas
faire voter les Français massivement mobilisés sur le front, et les élections
législatives ont été décalées en 1919. Le second cas, guère plus facile,
c'était en 1940 : là, effectivement, l'assemblée élue en 1936, dont les membres
appartenaient majoritairement au Front populaire, a siégé au-delà de son
mandat, jusqu'au coup de force de Vichy. Vous voudrez bien reconnaître que dans
les deux cas - Première Guerre mondiale, Seconde Guerre mondiale et coup de
force de Vichy - les circonstances n'étaient pas uniquement des circonstances
de calendrier et d'arrangement électoral.
(Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
M. Gérard Cornu.
Et heureusement !
M. Roger Karoutchi.
En aucun cas, en temps de paix, une assemblée législative n'a prorogé
d'elle-même l'échéance de sa mandature. S'agissant d'élections locales,
municipales ou cantonales, il n'est pas choquant, pour des motifs d'intérêt
général, que le Parlement, qui n'est pas partie prenante, puisse se prononcer.
En revanche, proposer à des députés de proroger d'eux-mêmes la date d'échéance
de leur mandat, c'est évidemment un petit peu spécieux, et c'est une autre
affaire !
En outre, même dans ces conditions, un éminent constitutionnaliste, Louis
Favoreu, observait, lors de son audition par la commission des lois de notre
assemblée, que chaque fois que le Conseil constitutionnel avait validé une
démarche de prorogation, il l'avait subordonnée « au respect de conditions
strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire du report et
l'existence d'une réelle justification ».
Le codirecteur de la
Revue française de droit constitutionnel
a aussi
rappelé quelques-uns des motifs retenus par le Conseil : « favoriser la
participation des électeurs, assurer la continuité de l'administration
territoriale, éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le
statut des élus, ou encore permettre aux électeurs d'être mieux informés des
conséquences de leur choix ». Par hasard, l'un de ces éléments serait-il
utilisé par le Gouvernement pour expliquer le report ? Le Gouvernement a-t-il
l'intention d'informer les électeurs ? Un problème se pose-t-il sur la
continuité de l'administration territoriale ? Y a-t-il un problème sur
l'existence et la légitimité des parlementaires d'aujourd'hui ? Je ne le crois
pas ! Tout cela ne peut donc en aucun cas justifier une mesure d'exception.
Enfin, mes chers collègues, vous me permettrez de dire que nous ne comprenons
pas toujours les motifs qui poussent certains experts éminents du parti
socialiste, alors qu'ils affirment que cette réforme, n'a pas d'intérêt
électoral, à faire réaliser des études approfondies sur les projections des
résultats. Soyons sérieux. A-t-on déjà vu - et cela a déjà été dit ce matin -
quelqu'un modifier, sans y être obligé par des circonstances dramatiques, un
calendrier à son détriment ? Qui peut croire que, en l'occurrence, le
Gouvernement et le Premier ministre n'ont été guidés par rien d'autre que
l'intérêt général ?
Et puis si, malgré tout ce que je viens d'évoquer, nous pouvions avoir encore
quelques doutes, il suffirait de s'en référer à Daniel Cohn-Bendit
(Exclamations sur plusieurs travées du RPR)
, qui manquait à la
panoplie.
M. Patrick Lassourd.
Référence notable !
M. Roger Karoutchi.
En effet, interprète polyglotte du Gouvernement, il a déclaré récemment, en
toute sérénité : « Je suis pour l'inversion du calendrier, parce que je veux
que Lionel Jospin gagne la présidentielle ! »
Plusieurs sénateurs du RPR.
C'est clair !
M. Roger Karoutchi.
Voilà un argument de fond qui a au moins le mérite de la clarté !
A la question : « Quoi de plus limpide que les préceptes de La Fontaine ? »
posée voilà un demi-siècle par André Siegfried, l'un des maîtres de la
sociologie électorale, nous avons aujourd'hui enfin la réponse : ce qui est
plus limpide que les préceptes de La Fontaine, ce sont les déclarations de M.
Cohn-Bendit, révélatrices des pensées profondes d'une gauche de plus en plus
plurielle !
Nous l'avons bien compris, mes chers collègues, cette proposition de loi vise
à guider la main des Français lors des prochains scrutins. Les véritables
motivations de ce texte sont inavouées. En 1985, nous avions déjà eu
l'instauration de la proportionnelle pour empêcher la victoire de la droite
républicaine et favoriser, dans le même temps, le développement et l'expansion
de l'extrême droite, censés gêner cette même droite républicaine ; aujourd'hui,
la manoeuvre électorale pour déplacer les dates d'élections consiste à préparer
une candidature à la magistrature suprême.
Mais, pour être honnête et juste, il faut reconnaître que le Gouvernement n'en
est pas à son premier acte de « bravoure », loin s'en faut ; j'en parlais voilà
peu avec le président de l'Assemblée des régions de France : la modification
des scrutins régionaux et la réforme partielle du mode d'élection des sénateurs
visaient déjà ce même objectif, à caractère plus partisan que d'intérêt
général. Quelle ardeur à la tâche d'ailleurs quand il s'agit de stratégie
électorale ! On a beaucoup plus d'imagination, beaucoup plus de volonté en
cette matière que lorsqu'il s'agit d'aborder les vraies réformes, le tout au
nom de la clarté des scrutins.
Nous verrons bien ce que sera celle-ci en 2002, mais s'agissant par exemple de
la réforme des élections régionales - et je parle ici sous le contrôle de
nombreux élus régionaux - en Ile-de-France, dont j'ai le plaisir d'être un élu,
la clarté du scrutin se traduit par le fait qu'il n'y aura qu'une liste de 209
noms pour toute la région. Je suis sûr que, pour l'électeur citoyen de l'un des
huit départements d'Ile-de-France, la clarté des listes risque de donner plutôt
dans la confusion.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Eh oui !
M. Roger Karoutchi.
La vérité, c'est que toutes ces réformes de circonstance prouvent aujourd'hui
que le Gouvernement gère moins qu'il ne calcule, que le Gouvernement ne réforme
pas, qu'il aménage, que le Gouvernement ne prépare pas l'avenir des Français et
de nos enfants, qu'il se focalise sur son destin et la pérennisation de son
pouvoir.
En fait, c'est à l'ensemble de la droite que le défi est lancé. A nous de
gagner les élections de 2002, sans changer les règles du jeu, simplement projet
contre projet, monsieur le secrétaire d'Etat.
Nous avons, nous aussi, confiance en notre capacité à promouvoir une autre
ambition pour la France, une ambition salvatrice, et je suis convaincu que la
démarche qui est à l'origine de ce texte ne fera que rassembler tous ceux qui,
parmi nous, veulent l'union sans se renier.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR. - MM. Jean-Paul
Huchon et André Vallet applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous me
permettrez d'abord, en préambule à mon propos, de saluer notre collègue M.
Bonnet. J'ai en effet vivement apprécié son analyse excellente, la pertinence
des jugements et la finesse des interrogations soulevées dans son rapport
écrit, lequel, j'en suis persuadé, a grandement contribué à fonder et à
enrichir notre débat.
A l'heure où le candidat Jospin à l'élection présidentielle s'avise que
l'ordre naturel des élections de 2002 risque fort de lui être défavorable, on
comprend l'urgence décrétée pour mobiliser la représentation nationale et pour
modifier, toutes affaires cessantes, le calendrier dans un sens plus conforme
aux intérêts personnels du candidat socialiste.
Repousser les élections législatives après l'élection présidentielle est la
priorité d'un seul homme et d'un homme qui redoute le verdict des urnes. Il lui
paraît donc tout à fait normal de retoucher le code électoral, de modifier le
fonctionnement des institutions, de provoquer un débat au Parlement, de
s'allier avec une fraction de ses adversaires tout en s'aliénant le soutien de
ses amis...
M. Roger Karoutchi.
Et voilà !
M. Patrick Lassourd.
Drôle de conception de la démocratie !
M. Joseph Ostermann.
Ce n'est pas beau !
M. Hilaire Flandre.
Oh, le vilain !
M. Patrick Lassourd.
Parallèlement, à l'heure où les Français s'inquiètent de leur sécurité
alimentaire, de l'accroissement des inégalités, du poids de l'impôt, de leur
avenir en termes d'emploi et de retraite, de l'éducation de leurs enfants, du
fonctionnement de la justice, on comprend que ce débat, totalement étranger à
l'intérêt général de nos concitoyens, contribue à creuser davantage encore le
fossé qui les sépare du politique et à déconsidérer un peu plus ses acteurs :
quel triste décalage entre notre débat et le « pays réel » !
Vous me pardonnerez d'exposer les faits aussi brutalement, mais non sans
ironie. Cependant, je suis trop indigné et moralement choqué du procédé pour ne
pas dire les choses telles qu'elles sont et parler en vérité.
Nous siégeons certes dans un palais où se déroula jadis la fameuse journée des
dupes. Mais vous l'aurez compris, monsieur le secrétaire d'Etat, nous ne serons
pas les vôtres, aujourd'hui, dans ce faux débat constitutionnel, véritable «
coup politique », où l'intérêt général n'est invoqué, avec hypocrisie, que pour
couvrir un profit personnel.
Il est en effet impossible de déceler dans le texte qui nous est soumis autre
chose que le fruit d'une manoeuvre électorale ! Tout le prouve.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Patrick Lassourd.
Je pense d'abord à l'utilisation de la procédure d'urgence qui est, en
l'occurrence, une fois de plus, totalement injustifiée et inopportune.
MM. Dominique Braye et Roger Karoutchi.
Tout à fait !
M. Patrick Lassourd.
Aucune crise politique ne réclamait une telle réforme. Ce calendrier était
connu depuis 1997.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Joseph Ostermann.
Tout à fait !
M. Patrick Lassourd.
Cette méthode, devenue coutumière au Gouvernement, « force » les élus du
peuple à légiférer sans la sérénité nécessaire et permet ainsi de faire adopter
de manière commode et rapide des textes de circonstances.
Je pense ensuite au revirement à cent quatre-vingts degrés opéré par le
Premier ministre, qui, le 19 novembre dernier, déclarait ceci : « A défaut de
consensus, toute initiative de ma part concernant un changement de calendrier
électoral serait interprétée de manière politique, voire politicienne ! » Vous
avez dit « politicienne » ? Eh bien, nous y sommes ! M. Jospin agit aujourd'hui
en totale contradiction avec ses récents propos !
M. Dominique Braye.
Comme toujours !
M. Patrick Lassourd.
Ce revirement est d'autant plus suspect de politisation qu'il a surgi lors du
congrès de Grenoble du parti socialiste, occasion manquant singulièrement de la
neutralité requise pour une mesure constitutionnelle et d'intérêt général,
comme vous en conviendrez ! En réalité, M. Jospin change non pas tant d'avis
que d'état : est-il encore le Premier ministre de la France ? Il est désormais
davantage dans la peau du candidat à l'élection présidentielle que dans celle
de chef de gouvernement ! L'intérêt et le calcul électoral priment ainsi, à
quatorze mois des échéances, sur les attentes des Français. Et ce débat marque
une véritable entrée en campagne électorale.
Autre indice de manoeuvre : la multiplication d'alliances incongrues suscitées
par le projet. Lâché par les communistes et les Verts, qui sont les partenaires
traditionnels du gouvernement socialiste auquel ils appartiennent, je le
souligne, le Premier ministre a, sur cette réforme, dévoilé les divisions de sa
majorité et été contraint d'aller chercher des appuis à droite en débauchant
quelques membres de l'UDF. Ainsi, un ancien Président de la République, que
vous avez toujours combattu, est-il devenu une inédite caution morale dont on
exploite sans trop d'efforts les nostalgies et les rancoeurs, ainsi les
socialistes versent-ils dans le gaullisme le plus affiché...
On aura tout vu ! Ces combinaisons douteuses avec des alliés de rencontre ne
nous échappent pas et ne grandissent pas ce débat ! Choisir l'appui
d'adversaires faute d'obtenir celui de vos amis, voilà, monsieur le ministre,
de quoi faire douter de la sincérité de vos intentions, comme de la force de
vos convictions !
Autre preuve : le calcul électoral tout simple évoqué avec une franchise un
peu primaire mais louable, car révélatrice, par Daniel Cohn-Bendit, Jean-Claude
Gayssot ou Henri Emmanuelli. Tous reconnaissent en effet que le prochain
scrutin présidentiel, avec le calendrier tel qu'il est, a toutes les chances
d'être défavorable à Lionel Jospin. Une possible défaite de la gauche plurielle
aux élections législatives de 2002 risquerait en effet d'être fatale à la
candidature de M. Jospin à l'élection présidentielle.
L'affaiblissement du Front national, dont l'émergence fut tant favorisée par
les socialistes qui y trouvaient leur compte... électoral, va réduire bon
nombre de triangulaires, favoriser ainsi la droite traditionnelle et réduire la
base électorale, déjà de coalition et, pour le moins, hétéroclite, du Premier
ministre. Le candidat Jospin, pour se gagner les suffrages, aurait à consentir
des concessions, à composer avec les diverses sensibilités de sa majorité ;
bref, il perdrait indépendance et latitude, et s'affaiblirait. Or, le candidat
Jospin ne souhaite pas être comptable du bilan du Premier ministre Jospin...
Pour conjurer la crainte des urnes et la peur de perdre, M. Jospin cherche à
assurer ses arrières par cette mesure tactique de pure stratégie personnelle
!
La volonté du Gouvernement de se soustraire au contrôle prévu par les
institutions constitue un dernier signe de manipulation électorale. Tout
d'abord, le choix de présenter le texte sous forme d'une « proposition de loi
», fort peu spontanée et tout à fait « dictée », méthode habituelle du
Gouvernement pour se défausser sur sa majorité de projets sensibles ou
embarrassants, permet d'échapper à l'avis du Conseil d'Etat, qui est requis
pour un projet de loi organique. La forme de la proposition de loi dispense
également le Gouvernement de soumettre le texte au référendum. Enfin, elle
évite l'examen en conseil des ministres, où le Président de la République,
directement concerné, aurait pu légitimement émettre réserves et remarques sur
un texte qui règle son propre avenir !
Ce dernier point a beaucoup choqué le parlementaire respectueux de la
Constitution que je suis. Ecarter injustement le Président de la République,
c'est faire fi de l'article 5 de la Constitution, qui dispose : « Le Président
de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son
arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la
continuité de l'Etat. » Autant dire que cet arbitrage a été totalement et
soigneusement occulté !
En dépit de toutes ces évidences tacticiennes, on a voulu habiller en hâte le
débat de respectabilité juridique. Ainsi ont été auditionnés d'éminents
constitutionnalistes, professeurs émérites, plutôt dubitatifs et pas du tout
unanimes sur les conséquences de cette inversion du calendrier. En effet,
personne ne peut garantir que la modification du calendrier, pas plus
d'ailleurs que le quinquennat, permettra de réduire la durée de la
cohabitation. Le texte proposé constitue donc un aveu d'impuissance
constitutionnelle mais un gage d'efficacité politique. Voilà la vérité !
M. Joseph Ostermann.
Et voilà !
M. Patrick Lassourd.
Le calendrier électoral dépend en fait de trois éléments échappant à toute loi
organique : la dissolution, la démission du Président de la République et son
décès. Sur ces trois points, personne ne peut agir. Le nouveau calendrier n'est
donc pas à l'abri d'une remise en cause, malgré le vote de la proposition de
loi. On comprend ainsi les lacunes, les fragilités et les dangers de la réforme
qui nous est proposée.
M. Louis Grillot.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
A la lumière de ces éléments, où est, monsieur le ministre, la force de vos
convictions ?
M. Dominique Braye.
Ils en ont eu !
M. Patrick Lassourd.
Comment nous faire croire que vous y croyez vous-même ?
Comment ne pas vous soupçonner de faire preuve d'une magistrale hypocrisie ?
Le masque ne tient pas, et notre indignation est grande de participer à un «
débat » qui devrait être abordé avec sincérité et honnêteté, et qui est, en
définitive, confisqué par des calculs peu dignes, gagnés d'avance.
Je relèverai trois motifs d'indignation.
En premier lieu, notons un manque manifeste d'honnêteté intellectuelle
concernant la lecture de la Constitution. Vous n'avez eu de cesse, monsieur le
ministre, de combattre le général de Gaulle et les institutions de la Ve
République, pour, aujourd'hui, vous en prévaloir ! Curieux paradoxe... Vous
vous posez en défenseur de l'esprit d'une constitution que l'auteur du
Coup
d'Etat permanent
parait de tous les méfaits... avant d'en faire son profit,
en l'appliquant à la lettre, notamment lors de la première cohabitation de 1986
!
Ce ne sont pas tant nos institutions qui méritent d'être montrées du doigt que
plutôt l'usage que l'on en a fait, et que vous en faites, avec la banalisation
de la cohabitation. Vous invoquez la tradition, la nécessité d'affirmer la
prééminence de l'élection présidentielle. Il n'y a aucune tradition en la
matière ; nombre de mes collègues ont rappelé les précédents où les élections
législatives ont eu lieu avant l'élection présidentielle. Notre tradition, à
nous, consiste à mettre les institutions et le calendrier électoral à l'abri
des calculs de convenance personnelle !
C'est plutôt sur la pratique que nous devons nous pencher. Grand pourfendeur
de la présidentialisation du régime, avant d'accéder au pouvoir, le Président
Mitterrand a, par la suite, nettement favorisé une lecture « présidentielle »
de la Constitution...
(M. Braye s'exclame.)
Vous avez bien retenu la leçon, en cherchant à « accommoder » nos institutions
au gré de vos intérêts. C'est vraiment indigne !
Le vrai débat consiste non pas à modifier le calendrier, mais à s'interroger
sur le devenir de nos institutions, sur l'équilibre des pouvoirs législatif et
exécutif, sur la nécessité ou non de passer à une République plus moderne.
C'est cela, le vrai respect d'une constitution écrite pour tous, dans l'intérêt
d'une nation.
Vous comprendrez donc combien nous condamnons cette lecture univoque que vous
cherchez à imposer, dans le seul intérêt d'un homme et d'un parti !
Mon deuxième motif d'indignation tient à cette méthode socialiste, contre
laquelle je m'élève, et qui consiste à retoucher constamment la Constitution.
On ne ravaude pas ainsi perpétuellement un texte constitutionnel, par petites
touches, comme un vieux vêtement emprunté qu'on ne se résout pas à ajuster une
bonne fois pour toutes.
Une dizaine de modifications de la Constitution ont lieu depuis 1922, sans
compter la tentative avortée de modification du Conseil supérieur de la
magistrature. Cette action au cas par cas a fini par faire perdre toute vision
globale du texte.
M. Dominique Braye.
Eh oui !
M. Patrick Lassourd.
Vous en portez l'entière responsabilité. Un débat sur les institutions est,
certes, tout à fait légitime, mais, alors, que ce soit un vrai débat,
c'est-à-dire un débat de fond, avec une réflexion d'ensemble !
Parallèlement, tous les projets de réforme des modes de scrutin décidés par la
gauche ont obéi à des motivations électoralistes. Déjà, en 1986, le mode de
scrutin législatif avait été modifié de manière à limiter les chances de
victoire de l'opposition. En 1990, c'était au tour des conseillers généraux de
faire les frais des ambitions électorales de la gauche.
M. Dominique Braye.
Déjà !
M. Patrick Lassourd.
Récemment, les élections régionales ont également été visitées par l'esprit
réformateur du Gouvernement Jospin.
M. Dominique Braye.
Encore !
M. Patrick Lassourd.
Il en va de même pour le mode de scrutin des sénateurs, dont la modification
n'a pas d'autre visée que de gagner quelques sièges au Sénat, « anomalie » tout
de même utile !
M. Dominique Braye.
C'est un comble !
M. Patrick Lassourd.
Aujourd'hui, vous faites des émules au sein de la majorité plurielle, puisque
les Verts réclament à grands cris une dose de proportionnelle pour les
prochaines législatives, afin d'augmenter le nombre de leurs représentants.
Comment éviter, au regard de toutes ces manipulations, notre écoeurement
devant tant de cynisme et de mépris des choix réels des électeurs ? Comment
voulez-vous que nous vous fassions confiance ? Les exemples que je viens de
citer reflètent des manoeuvres de mauvais joueurs et de mauvais perdants, où
l'honneur est totalement absent.
M. Hilaire Flandre.
Absolument !
M. Patrick Lassourd.
Enfin, ce qui me choque profondément, c'est le caractère non démocratique de
votre méthode. Vous spéculez sur les motivations des électeurs, grands absents
du débat. Il n'a pas été question un instant, en effet, de solliciter leur
accord et de les consulter par la voie du référendum, ce qui aurait été
justifié. Car il ne faut pas perdre de vue - M. Badinter s'est plu lui-même à
le rappeler à cette tribune - que ce sont eux les maîtres des scrutins et de
notre démocratie !
Le peuple souverain a choisi le calendrier actuel, avec ses aléas. Ce n'est
donc pas lui qui aurait, dans un grand élan national, inspiré votre réforme !
Au vu des sondages, ce serait même plutôt le contraire, et ils seraient très
déçus de voir leurs attentes et leurs besoins si mal et si peu pris en compte
!
En tout cas, ce n'est pas cette « magouille » qui va les réconcilier avec la
politique ! L'abstentionnisme galopant est bien la preuve de cette
désaffection. Il est donc temps de les faire juges, directement, des grandes
questions qui intéressent leur avenir.
Je ne veux pas terminer...
M. Joseph Ostermann.
Déjà !
M. Patrick Lassourd.
... sans une note positive, sans esquisser les traits du vrai débat de fond
que nous aurions dû avoir depuis quelques jours.
Entrons donc de manière nette et globale dans une république modernisée !
Opérons un toilettage de fond de nos institutions adapté aux évolutions de
notre pays !
La constitution de 1958 est née d'un contexte particulier. Il est aujourd'hui
indispensable de moderniser nos institutions et de les reconstruire dans une
perspective d'ensemble.
En effet, quels sont les grands enjeux qui doivent présider à notre réflexion
?
C'est, d'abord, la position de la France au regard de la mondialisation et de
l'Union européenne.
Il faut affirmer la place de la France dans l'Union européenne, en la dotant
d'institutions stables, moderniser l'Etat, en revivifiant les libertés locales,
promouvoir une démocratie de proximité, en rendant effective la
décentralisation, faire en sorte que les décisions soient prises au plus près
du terrain, élaborer un projet économique et social orienté vers le dialogue et
la solidarité, établir des relations de confiance entre le peuple souverain et
la classe politique, notamment en élaborant un statut de l'élu.
Pour s'adapter, dans ces conditions, nos institutions doivent s'affranchir de
l'étatisation et de la concentration actuelle du pouvoir entre les mains de
l'autorité centrale et de la haute administration.
Il faut donc rééquilibrer et mieux séparer le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif, renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement, affirmer le rôle du
citoyen, établir un juste équilibre entre le pouvoir central et les
collectivités locales grâce à une régionalisation accrue.
Ce débat sur nos institutions permettra de poser les vraies questions :
faut-il ou non continuer à vivre des cohabitations, faut-il ou non se diriger
vers un régime présidentiel ou vers un régime parlementaire ?
Pour ce qui concerne la cohabitation, l'expérience a montré qu'elle
correspondait à un espace de temps qui n'est pas profitable à la France. Nos
institutions, une fois modernisées et toilettées, devront donc limiter au
minimum le risque de cohabitation, voire l'empêcher totalement. Avec la
cohabitation, nous avons gagné en paralysie, nous avons perdu en crédibilité
auprès de nos partenaires européens et mondiaux.
M. Georges Gruillot.
Très bien !
M. Patrick Lassourd.
Si nous nous dirigeons vers un régime présidentiel, il faudra poser les vraies
questions : celle du droit de dissolution, qui ne pourra pas être conservé,
celle de l'existence du Premier ministre, celle de la création éventuelle d'un
vice-président, celle de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement,
mais aussi celle de la nature des scrutins.
A considérer le régime présidentiel des Etats-Unis, bien connu, on note qu'il
y a une négociation permanente entre le président et le Congrès. Mais cette
négociation est facilitée par le fait qu'il y a deux formations politiques au
Congrès. Chez nous, notamment depuis l'émergence du pouvoir socialiste, nous
sommes face à un émiettement des formations politiques. Il n'est qu'à voir la
gauche plurielle !
Rappelons-nous le machiavélisme inouï du président Mitterrand pour faire
émerger une formation politique dont on connaît les idées extrémistes à seule
fin de diviser la droite à son profit personnel !
M. Hilaire Flandre.
Scandaleux !
M. Patrick Lassourd.
Comment, avec de tels comportements, aller vers un régime présidentiel, dans
lequel le président est obligé de négocier avec le Parlement, si l'on compte
une dizaine de formations politiques, certaines n'étant présentes que grâce au
machiavélisme d'un président soucieux d'assurer sa majorité et son élection
?
Actuellement, on voit certains partenaires de la majorité dite plurielle, les
Verts, demander l'adoption du scrutin proportionnel.
Je vous le dis, mes chers collègues, un régime présidentiel ne peut coexister
avec un scrutin proportionnel, car la présence d'un trop grand nombre de
formations politiques au Parlement empêchera toute négociation entre ledit
Parlement et le président.
Pour ce qui est du régime parlementaire pur et dur, il n'y a pas de surprise.
Nul besoin de faire de la fiction. De la fin de la guerre, en 1946, jusqu'en
1958, nous avons eu, en France, un régime parlementaire pur et dur. C'étaient
les délices de la IVe République.
Nous y avons perdu notre crédibilité, nous y avons perdu la force de notre
monnaie. Nous n'avons pas eu le développement économique que nous aurions pu
avoir. Nous avons collectionné un nombre incroyable de gouvernements. Nous ne
pouvons donc pas aller dans cette direction.
Dès lors, quelle est la bonne réponse ? La bonne réponse, c'est la
Constitution de la Ve République. Arrêtons de dire que c'est une anomalie parce
que c'est une constitution qui existe peu ou pas du tout en Europe et dans le
monde. Ce n'est pas une anomalie, c'est notre spécificité : elle convient à
notre identité, à notre culture, à notre façon de penser, de régler les
affaires de l'Etat.
Mais ce ne sont pas les petites retouches permanentes, comme le quinquennat,
le cumul des mandats, la parité, les changements de scrutin, notamment le
scrutin sénatorial, qui répondent au souci réfléchi de moderniser de façon
pérenne et harmonieuse les institutions.
Et s'il y a un gouvernement qui est vraiment très mal placé pour mener à bien
cette rénovation des institutions, c'est bien, monsieur le ministre, celui
auquel vous participez !
En conclusion, la mesure proposée contient, nous l'avons vu, davantage
d'arrière-pensées que de pensées tout court ! Elle nous a plongés dans un débat
strictement politique, dans le plus mauvais sens du terme, ce que nous
déplorons.
Ce n'est qu'au prix d'un vrai débat, que j'ai brièvement évoqué, que nous
pourrons reconquérir la confiance des Français, seuls comptables de votre
action.
Nous n'avons pas, monsieur le ministre, la même notion de la représentativité.
M. Jospin exerce ses fonctions dans l'impunité ; nous, nous concevons notre
mandat dans la responsabilité, sous le contrôle de la souveraineté populaire.
C'est là toute la différence. C'est pourquoi, avec mes collègues du groupe du
RPR, je ne voterai pas votre texte en l'état.
(Applaudissements sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu.
« Une constitution, c'est un esprit, des institutions, une pratique. »
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà ce
qu'affirmait le général de Gaulle lors de sa conférence de presse du 31 janvier
1964.
L'esprit ? C'est l'interprétation qui permet de faire prévaloir certains
principes sur d'autres, lorsqu'un choix est à faire. Les institutions ? Elles
constituent ce qu'il y a de descriptif dans une constitution. La pratique ?
C'est l'application de la Constitution, les règles que l'on arrête pour savoir
comment seront exercées concrètement les compétences, les textes ne prévoyant
pas tout. A cet égard, c'est l'esprit qui doit diriger la pratique, car tout ce
qui est juridiquement possible n'est pas politiquement acceptable.
Le général de Gaulle déclarait encore, lors de la même conférence de presse,
que, comme l'épreuve des hommes et des circonstances l'avait montré,
l'instrument répondait à son objet, non seulement pour ce qui concernait la
marche ordinaire des affaires, mais encore pour ce qui avait trait aux
situations difficiles, auxquelles la Constitution offrait les moyens de faire
face. Et le général de citer le référendum, la dissolution de l'Assemblée
nationale et les pouvoirs de crise.
Il m'a semblé qu'il n'était pas inutile de rappeler d'emblée ce que celui qui
avait en quelque sorte « passé commande » du texte constitutionnel avait
précisément en tête alors que, aujourd'hui, de notoires opposants aux
institutions de la Ve République entendent le relire sous un éclairage qui leur
est favorable, n'hésitant pas à lui prêter un sens qu'il n'a pas.
Nous touchons là, en effet, mes chers collègues, le coeur du sujet qui nous
préoccupe.
Les pères constituants ont en effet vu, dans le droit de dissolution dévolu
par l'article 12 au Président de la République, une véritable compétence
d'arbitrage. Rappelons-nous, au passage, que le droit de dissolution était,
sous la république précédente, l'apanage du président du Conseil.
La dissolution de 1997 étant présentée comme l'un des deux événements qui,
avec le décès du président Pompidou, ont contribué à faire du calendrier
électoral de 2002 ce qu'il est, il est loin d'être hors de propos de se pencher
quelques instants sur le concept.
Certains qualifient ce calendrier de « fortuit » pour mieux faire adhérer à
leur théorie celle du « rétablissement ». M. le ministre de l'intérieur a même
parlé de « rétablissement cohérent ».
Le terme « rétablir » est, à lui seul, tout un aveu. Le dictionnaire lui donne
pour synonyme : « remettre en place ». Or je ne crois pas commettre un abus de
langage en affirmant que « remettre en place », en somme remettre de l'ordre,
ce n'est pas le rôle du ministre de l'intérieur. Mais, ici, remettre de l'ordre
dans les échéances électorales devrait avoir pour corollaire un ordre préétabli
inscrit dans notre loi fondamentale.
Du reste, si ordre établi il devait y avoir en la matière, le général de
Gaulle l'aurait prévu dans le référendum constitutionnel de 1962. Or, pas un
mot ! En effet, il était facile d'instaurer une date fixe pour l'élection du
Président de la République, comme cela existe pour les élections
législatives.
En ce qui me concerne, je dirai plus volontiers de ce calendrier qu'il n'est
que la résultante de circonstances, de cas de figure prévisibles et inscrits
dans le texte constitutionnel qui, ne l'oublions pas, a été approuvé par 80 %
des Français lors du référendum du 28 septembre 1958.
Dans la discussion générale, monsieur le ministre, vous avez conclu en ces
termes : « Le rôle du législateur ne peut se résumer à attendre que des
événements extérieurs dénouent une incohérence dans le fonctionnement de nos
grandes institutions. » J'en déduis que, à l'inverse, on attendra de nous, au
moindre accident de parcours - nouvelle dissolution, disparition du chef de
l'Etat - que nous adoptions d'autres lois organiques, au coup par coup, que je
vous suggère de rebaptiser « lois de convenance ».
Le principal atout de la Ve République reste incontestablement la continuité
et la stabilité des institutions. Ces mêmes institutions ont pourtant permis
1981 et la première cohabitation, au grand étonnement de nombreuses personnes,
notamment d'éminents juristes qui avaient pu, à juste titre, redouter que la
Constitution de 1958 ne permette pas d'alternance politique sans que ses
fondements soient remis en cause.
Lorsque, en septembre 1962, le général de Gaulle annonce qu'il lui apparaît
souhaitable, pour renforcer la stabilité des institutions, que le chef de
l'Etat soit élu directement par les Français au suffrage universel direct, 62 %
des Français font le choix de lui donner raison. Toute la vie politique va, à
partir de là, être axée sur l'élection présidentielle.
D'aucuns voudraient aujourd'hui nous faire croire que l'esprit des
institutions commanderait de faire précéder les élections législatives par
l'élection présidentielle. Mieux : on nous dit que ce calendrier ne résulte ni
de la volonté du constituant, ni de celle du législateur.
Qu'indique, au juste, le texte de la Constitution sur ce point ? Rien ! Les
pères constituants n'ont, à aucun moment, estimé souhaitable d'instaurer une
sorte de protection du Président de la République en imposant que les élections
législatives aient lieu après son élection. Or la discrétion du texte
constitutionnel n'empêche visiblement pas certains de considérer quelques-unes
de leurs prescriptions comme autant d'acquis.
En dépit de virulentes critiques formulées en 1964 contre les institutions de
la Ve République, notamment dans son livre
Le Coup d'Etat permanent
, le
président Mitterrand, à son arrivée au pouvoir, adopte le régime tel qu'il est.
Tout au plus, dans un entretien au journal
Le Monde
, le 2 juillet 1981,
évoque-t-il la nécessité de réformer, à certains égards, la Constitution, tout
en affirmant que le train constitutionnel ne comprendrait que quelques wagons
qui ne seraient mis en marche « qu'après qu'auront été abordés les problèmes
urgents de la nation ». Il citait, alors, la situation économique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les problèmes urgents de la nation restent sans
réponse et le Gouvernement travaille principalement à un « tripatouillage » des
élections.
Quid
des préoccupations des Français ?
Quid
du dossier
des retraites ?
Quid
de l'application des 35 heures dans les entreprises
? Dans le contexte de forte croissance économique que connaît actuellement la
France, les petites et moyennes entreprises sont confrontées à une importante
pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, 800 000 à 900 000 offres d'emplois
ne seraient pas pourvues. Les difficultés de recrutement touchent tous les
secteurs de l'artisanat, plus particulièrement le bâtiment et l'hôtellerie.
Quelles mesures concrètes, qui soient adaptées à un contexte de reprise
économique, nous propose-t-on ? On ne saurait se contenter du leitmotiv que
nous sert Mme Guigou : « On ne touche à rien du dispositif relatif aux 35
heures. »
Les gouvernés ne décident pas de tout, mais ils décident de l'essentiel, à
savoir de qui gouvernera. Du coup, ce ne sont pas toujours les mêmes qui
gouvernent. Le peuple consulté exprime une volonté qu'un camp perde le pouvoir,
que le camp adverse l'exerce à sa place. C'est cela, la démocratie.
Dans un ouvrage consacré aux démocraties, Olivier Duhamel rend ainsi compte de
la décision des gouvernés : « Quelles que soient les modalités électorales ou
institutionnelles, le principe du système politique majoritaire se résume dans
la désignation de la majorité gouvernementale par le peuple. En dépit de
virulentes critiques formulées en 1964 contre les institutions de la Ve
République, notamment dans son livre
Le Coup d'Etat permanent
, le
président Mitterrand, à son arrivée au pouvoir, adopte le régime tel qu'il est.
Tout au plus, dans un entretien au journal
Le Monde
, le 2 juillet 1981,
évoque-t-il la nécessité de réformer, à certains égards, la Constitution, tout
en affirmant que le train constitutionnel ne comprendrait que quelques wagons
qui ne seraient mis en marche « qu'après qu'auront été abordés les problèmes
urgents de la nation ». Il citait, alors, la situation économique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les problèmes urgents de la nation restent sans
réponse et le Gouvernement travaille principalement à un « tripatouillage » des
élections.
Quid
des préoccupations des Français ?
Quid
du dossier
des retraites ?
Quid
de l'application des 35 heures dans les entreprises
? Dans le contexte de forte croissance économique que connaît actuellement la
France, les petites et moyennes entreprises sont confrontées à une importante
pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, 800 000 à 900 000 offres d'emplois
ne seraient pas pourvues. Les difficultés de recrutement touchent tous les
secteurs de l'artisanat, plus particulièrement le bâtiment et l'hôtellerie.
Quelles mesures concrètes, qui soient adaptées à un contexte de reprise
économique, nous propose-t-on ? On ne saurait se contenter du leitmotiv que
nous sert Mme Guigou : « On ne touche à rien du dispositif relatif aux 35
heures. »
Les gouvernés ne décident pas de tout, mais ils décident de l'essentiel, à
savoir de qui gouvernera. Du coup, ce ne sont pas toujours les mêmes qui
gouvernent. Le peuple consulté exprime une volonté qu'un camp perde le pouvoir,
que le camp adverse l'exerce à sa place. C'est cela, la démocratie.
Dans un ouvrage consacré aux démocraties, Olivier Duhamel rend ainsi compte de
la décision des gouvernés : « Quelles que soient les modalités électorales ou
institutionnelles, le principe du système politique majoritaire se résume dans
la désignation de la majorité gouvernementale par le peuple. L'électorat
choisit lui-même un parti ou une coalition formée avant l'élection ; il choisit
lui-même un chef, le
leader
du parti ou de la coalition, ou celui qu'il
a choisi pour diriger le gouvernement ; il choisit un projet politique, la
plate-forme électorale qui, toujours, fixe au moins quelques objectifs et
quelques moyens prioritaires pour les atteindre. Le système politique
majoritaire laisse au peuple le double choix de l'orientation politique et de
la personne qui la mettra en oeuvre. »
Ce système, s'il réduit le choix de l'électeur entre le candidat A et le
candidat B, lui confère le pouvoir considérable de changer d'avis et donc, par
là même, de changer le cours des choses. L'opposition d'aujourd'hui est la
majorité de demain, l'unique incertitude pesant sur la date de ce « demain » !
En France, deux élections ont une portée gouvernementale : celle du Président
de la République et celle de l'Assemblée nationale. Il en résulte une dualité
des majorités, parlementaire et présidentielle.
L'avènement d'une nouvelle majorité peut se produire à l'une ou l'autre de ces
deux élections. Disposant du droit de dissolution, le Président peut renvoyer
l'ancienne majorité et demander au peuple d'en désigner une nouvelle, plus
conforme à son choix présidentiel. C'est ce que fit François Mitterrand à deux
reprises, en 1981 puis en 1988.
A l'inverse, l'Assemblée nationale ne peut révoquer le Président, ce qui
implique que la nouvelle majorité parlementaire doit composer avec le maintien
du Président en place et donc cohabiter.
Or personne sur ces travées ne saurait contester la réussite de la Ve
République, pour les raisons déjà évoquées plus haut, à savoir la stabilité
gouvernementale, la libre expression de l'électorat et le respect de ses
choix.
Nous avons pu traverser des crises de diverses natures avec succès, ce qui
n'exclut pas une réflexion critique, un régime ne survivant que s'il
s'adapte.
Cette affirmation ne saurait toutefois ouvrir la brèche à toutes les réformes,
lesquelles doivent corriger mais ne pas détruire.
Que nous propose-t-on, au fond, aujourd'hui ? De faire précéder les élections
législatives par le scrutin présidentiel ; en somme, cela revient à fixer une
date ! Est-ce là véritablement une rénovation politique majeure ? Y a-t-il là
un véritable enjeu institutionnel ? En agissant de la sorte sommes-nous censés
apporter une solution à toutes les questions qui se posent ?
On voudrait nous convaincre du fait que le calendrier électoral de 2002 est en
quelque sorte illégitime, voire illégal, au motif que les élections
législatives n'ont jamais précédé le scrutin présidentiel. Ce fut pourtant le
cas à trois reprises - cela a été souligné - pour des variables d'écart allant
de un à quatorze mois : rappelez-vous 1958, 1968-1969 et 1973-1974.
En contestant l'ordre des scrutins, le Gouvernement et ceux qui font leurs
affaires d'une pareille théorie semblent remettre en cause le droit de
dissolution, responsable de la concomitance des deux élections la même année.
Ne pas laisser les élections intervenir à leur échéance naturelle a quelque
chose de choquant, car cela donne à croire que l'on se refuse à respecter les
conséquences d'un choix exercé librement par le Président de la République, en
conformité avec la lettre de la loi fondamentale.
Il va de soi que je ne conteste à aucun moment l'idée même d'un aménagement de
la Constitution. Il ne faut pas verser dans le fétichisme au point d'en être
esclave. Il est normal qu'elle s'adapte aux nouvelles aspirations des gouvernés
ou bien à une modification dans les rapports politiques. Le général de Gaulle
lui-même, en bon pragmatique, voulait cette latitude, l'essentiel étant pour
lui de ne pas bouleverser l'économie de la Constitution. Le peuple ne
l'avait-il pas, en effet, choisie ?
Ce qui est beaucoup moins respectable, c'est de conférer au texte
constitutionnel un esprit qui ne lui est pas conforme, cela pour mieux
brouiller les pistes et, finalement, se présenter comme ses défenseurs, alors
même que l'on est mû par des intentions peu avouables, d'autant moins avouables
que le Premier ministre irait presque jusqu'à tenter de nous faire croire qu'il
ne fait que se ranger à l'avis exprimé au travers de six initiatives
parlementaires, desquelles, je le suppose, se dégage le fameux consensus qu'il
a cru bon d'évoquer dans son interview télévisée du 19 octobre dernier.
Cette coalition de forces est, vous l'avouerez, pour le moins inattendue dès
lors qu'elle rassemble des personnalités qui appartiennent notoirement à des
camps adverses et que l'on voit se rapprocher pour des causes peu avouables,
voire un peu troubles. C'est ce qu'on pourrait qualifier de « cuisine
électorale politicienne » et, je dois le dire, nauséabonde.
De là à ce qu'on nous dise que le Premier ministre, en acceptant cette
démarche, fait montre de sa volonté de respecter les prérogatives du Parlement,
notamment son pouvoir d'initiative, il n'y a qu'un pas que certains n'ont pas
hésité à franchir !
Pour ma part, j'y verrai toutefois une incohérence avec l'objet de ces
propositions de loi qui visent à donner la priorité au scrutin présidentiel et
à faire des législatives un rendez-vous mineur tout juste bon à conforter le
candidat élu. S'il est quelqu'un pour m'expliquer la logique de tout cela, je
suis preneur !
Je me rangerai plus sérieusement du côté de ceux qui pensent que le chef du
Gouvernement a sciemment fait le choix de ne pas déposer de projet de loi afin
d'éviter le cap du Conseil d'Etat et du conseil des ministres. M. le rapporteur
l'ayant dit mieux que moi, il n'est pas utile d'y revenir.
Je m'étonnerai, à l'instar de M. Christian Bonnet et de bien d'autres
collèges, que la procédure d'urgence soit de rigueur pour régler une situation
qui est connue de tous depuis 1997...
M. Louis de Broissia.
Eh oui !
M. Gérard Cornu.
... et que le Premier ministre jugeait pourtant tout à fait acceptable il y a
encore trois mois, mes chers collègues !
Comme la majorité d'entre vous, même à y regarder de très près, je ne vois
toujours pas d'où ressort le très large consensus « posé comme préalable à
toute réforme ! Sous prétexte d'une anomalie calendaire, le Gouvernement ne
cherche-t-il pas à faire dire au peuple ce qu'il veut entendre ?
A ce stade de ma réflexion, et en dehors de toute considération qui pourrait
être aisément qualifiée de politicienne, je me pose deux questions.
La première est d'ordre technique. L'acte qui consiste à repousser la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale remettra-t-il définitivement
le calendrier « à l'endroit », pour autant que l'on s'accorde sur l'endroit et
l'envers ? Objectivement, non ! Rien ne nous permet d'affirmer qu'aucun « fait
du hasard », pour reprendre les termes chers à Lionel Jospin, ne viendra de
nouveau perturber l'ordre des choses soudainement préconisé par le
Gouvernement, sauf à rayer de notre Constitution l'article 12 et à en écrire un
nouveau interdisant au chef de l'Etat d'avoir le mauvais goût de décéder
pendant l'exercice de ses fonctions !
Ma seconde question est de nature politique. Pareille pirouette aurait-elle
pour conséquence d'annihiler tout risque de cohabitation, cette parenthèse,
comme le dit M. Jospin ? Selon lui, la probabilité d'une cohabitation serait
moins grande, car « la dynamique de cohérence est la plus forte si l'élection
présidentielle précède les législatives ».
Admettons un instant que l'argument ne soit pas inspiré par des intérêts
partisans. Pourquoi pas ?
M. Louis de Broissia.
Admettons-le !
(Sourires.)
M. Gérard Cornu.
Que faisons-nous alors du choix démocratique librement exprimé par le peuple
français ?
M. Joseph Ostermann.
Et voilà !
M. Paul Blanc.
A la poubelle !
M. Hilaire Flandre.
Retour à la case départ !
M. Gérard Cornu.
Je rappelle que le peuple français n'en est pas à sa première cohabitation !
En neuf années, il a eu le temps de se faire une idée de la question !
Certes, il est acquis sur tous les bancs du Parlement - en tout cas j'ose le
croire - que la cohérence entre l'exécutif et le législatif rend plus efficace
l'action politique. C'est une évidence. Pour autant, il ne nous appartient pas
de forcer la main du destin, en l'occurrence celle des Français, en leur
demandant de considérer les élections législatives comme un scrutin visant à
plébisciter le Président de la République. Ne prenons pas les Français pour ce
qu'ils ne sont pas. Efforçons-nous plutôt de les convaincre de l'intérêt qu'il
y aurait à restaurer l'unité de projet et d'action entre les deux têtes de
l'exécutif.
Bien sûr, le Gouvernement a cherché à faire triompher les arguments qu'il
croyait imparables, tels que les modalités pratiques d'organisation des
parrainages en vue de l'élection présidentielle. Oh, là, là !
Il a même cru un temps trouver un allié de taille, le Conseil constitutionnel
- excusez du peu ! - lequel, dans sa décision de juillet dernier, recommande
que « les citoyens habilités à présenter des candidats puissent le faire après
avoir pris connaissance des résultats des élections à l'Assemblée nationale
».
Or, ainsi que l'a très bien exposé notre rapporteur, cette recommandation ne
saurait remettre en cause l'ordre des scrutins. Au contraire, il est tout à
fait possible de concilier les deux élections. Seize jours de réflexion pour
faire le choix de son candidat à l'élection présidentielle, voilà qui ne relève
pas de l'impossible. Qui pourrait soutenir le contraire ?
C'est pourquoi il m'apparaît plus raisonnable et plus respectueux de notre
Constitution et de l'électorat de suivre la voie ouverte par la commission des
lois, qui, dans sa sagesse, suggère que, dans le cas où le calendrier électoral
ferait précéder le scrutin présidentiel par le renouvellement de l'Assemblée
nationale, un délai d'au moins trente jours sépare le second tour des
législatives du premier tour de l'élection présidentielle.
Si l'on en croit un récent sondage, tout porterait à penser que les Français
apprécient le double exécutif : plus d'un tiers d'entre eux souhaitent que la
cohabitation perdure au-delà de 2002.
Si l'on considère en outre que, depuis 1978, aucune assemblée sortante n'a été
reconduite, alors, vous et moi en déduirons aisément que l'intérêt général dont
parle M. Jospin n'est pas celui du pays mais qu'il est bien plutôt celui de la
gauche et, il faut bien le dire, plus particulièrement son propre intérêt.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Louis de Broissia.
Personne n'en doute !
M. Gérard Cornu.
Aux partisans du « rétablissement », qui auront immédiatement qualifié cette
considération de politicienne, je répondrai volontiers et sans esprit
querelleur par cette déclaration faite en 1981 par qui vous savez - par
François Mitterrand - à un grand quotidien du soir - d'habitude, je ne le cite
pas trop, mais là, cela vaut la peine : « Les institutions n'étaient pas faites
à mon intention, mais elles sont bien faites pour moi. »
Il est vrai que la Ve République a su montrer qu'elle savait épouser le
mouvement démocratique. Alors, dérangerait-elle aujourd'hui parce qu'elle dure
? Si c'est effectivement le cas, il serait plus honnête de nous le dire
clairement et de nous proposer une réforme d'ensemble de nos institutions.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Gérard Cornu.
Ce serait plus respectable et plus conforme à ce qu'on est en droit d'attendre
d'un véritable chef de gouvernement.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Gérard Cornu.
Au lieu de cela, vous y allez par petites touches successives, tel un
impressionniste n'hésistant pas à juxtaposer sur la toile des couleurs réputées
ne pas s'entendre.
Si vous contestez la double nature, parlementaire et présidentielle, de notre
loi fondamentale, dites-le nous franchement, sans détour ; dites-le aussi au
peuple français à qui il appartient de choisir le tour que celle-ci doit
prendre. Nous sommes les témoins, pour ne pas dire les victimes, de la
conception particulière que vous avez de la légitimité du Parlement.
Si, contrairement à ce que vous affirmez, vous étiez respectueux et soucieux
du bon exercice de ses prérogatives, vous ne transposeriez pas par voie
d'ordonnance des directives européennes qui mériteraient un vrai débat
national, vous n'abuseriez pas, comme vous le faites, sur des textes
essentiels, de la procédure d'urgence... D'autres exemples pourraient être
cités.
Si vous aviez de l'égard pour le pouvoir législatif, vous ne réduiriez pas
l'élection des députés à un rendez-vous accessoire, vous ne les cantonneriez
pas dans le rôle de supporters de tel ou tel candidat à la présidence ! Vous
n'auriez pas non plus voulu que le dernier débat du deuxième millénaire
consistât, pour l'Assemblée nationale, à se voter un sursis de trois mois.
N'y avait-il rien de plus essentiel, de plus déterminant pour nos concitoyens
en attente de vraies réformes capables d'améliorer résolument leur vie
quotidienne ? Franchement !
(Franchement ! sur les travées du RPR.)
Peut-être vous souvenez-vous de ces quelques mots de notre regretté collègue
Hubert Bassot, cherchant à expliquer toute la difficulté de l'action politique
: « Saisi par les agitations du jour et les aspirations du siècle, bousculé par
l'écrit, trahi par le temps qui dérobe ses évidences et sa durée, placé devant
l'inattendu comme un chasseur surpris, voulant et prévoyant loin, pouvant et
voyant près, happé par tant d'actions, harcelé par tant de ses compatriotes qui
ne sont que ses contemporains d'un instant, lui qui explore l'avenir, eux qui
implorent l'immédiat, l'homme politique est l'homme pressé. L'histoire est son
désir. Le provisoire est son destin. »
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
Permettez-moi de penser que le Premier ministre ne donne pas, pour sa part,
l'impression d'être « l'homme pressé » de répondre aux véritables attentes du
peuple français. L'ambition, plutôt que l'histoire, semble être son désir,
l'art de la convenance, son pain quotidien ! Je doute qu'il faille s'en
honorer.
Certes, l'Assemblée nationale aura le dernier mot ! Elle jouera, en toute
vraisemblance, les prolongations au nom d'un prétendu intérêt général dont
personne, à vrai dire, ne sera dupe.
A tout le moins ne pourra-t-on pas reprocher au Sénat de n'avoir pas dit les
choses, de n'avoir pas mis en garde contre la vision constitutionnelle pour le
moins floue du Premier ministre.
Certains, bien sûr, ne manqueront pas de redire, après le Premier ministre,
que le Sénat est une « anomalie » de notre démocratie.
(Protestations sur les travées du RPR.)
Je voudrais insister un peu sur ces propos émis par le Premier ministre - le
Premier ministre de la France, mes chers collègues ! - propos qu'il va
peut-être regretter. Il a donc déclaré à la presse que le Sénat était une «
anomalie » de notre démocratie.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas bien de mentir, monsieur le
sénateur !
M. Gérard Cornu.
Quelle offense pour nous, mes chers collègues !
M. Paul Blanc.
Honte à lui !
M. Gérard Cornu.
Quelle offense aussi pour le bicamérisme ! Pourquoi voudrait-on que le mode
d'élection des sénateurs soit le même que celui des députés ? Pourquoi veut-on
porter atteinte au bicamérisme ? A quoi serviraient les sénateurs s'ils étaient
élus selon le même mode d'élection que les députés ? J'en parle en connaissance
de cause, je peux comparer, comme certains de mes collègues ici présents qui
ont également été députés auparavant.
Chacun peut faire des erreurs.... mais là, c'est une erreur vraiment très
grave !
Le Sénat a vocation à représenter le territoire, à représenter les multiples
communes françaises et, contrairement à certains, je pense que le nombre
considérable de ces communes fait la force de notre nation. A la tête de
chacune d'elles, se trouvent des maires, des bénévoles qui se consacrent au
service de leurs concitoyens ; nous en aurons encore le témoignage à l'occasion
des élections municipales.
En tout état de cause, cette manoeuvre orchestrée par Lionel Jospin nous
prouve une chose : le Premier ministre ayant peur de perdre les élections
législatives, il préfère changer les règles du jeu.
M. Dominique Braye.
Eh oui !
M. Gérard Cornu.
Du reste, la gauche n'en est pas, à cet égard, à son coup d'essai. En effet,
voulant limiter sa défaite lors des élections législatives de 1986, cela a déjà
été très justement rappelé par certains de nos collègues, elle avait déjà
modifié le mode de scrutin.
Que le Premier ministre arrête donc de nous parler de son droit d'inventaire !
Les méthodes de l'ère Mitterrand perdurent dans l'épisode Jospin. Parce qu'on
ne peut parler d'« ère Jospin » ! En tout cas, j'espère que ce ne sera qu'un
épisode !
(Sourires sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd.
Malheureux épisode !
M. Gérard Cornu.
Vous me permettrez enfin, et je terminerai par là mon propos...
(Lamentations ironiques sur les travées du RPR.)
M. Gérard César.
Quel dommage !
M. Gérard Cornu.
Il faut bien conclure à un moment, mes chers collègues. Mais j'espère que je
vous aurai intéressés.
(Oh oui ! sur les mêmes travées.)
M. Gérard Le Cam.
C'était effectivement passionnant...
M. Gérard Cornu.
Je conclurai donc en m'étonnant du peu de cas qui est fait du rôle dévolu par
l'article 5 de la Constitution au Président de la République, garant de nos
institutions.
Est-il normal que le Président de la République soit ainsi écarté de ce débat
institutionnel qui le concerne plus directement qu'on n'a bien voulu le dire
?
En se dispensant de prendre son avis, le Gouvernement montre sa vraie nature,
et l'on ne pourra pas nous convaincre, dès lors, que ce n'est pas Jacques
Chirac qu'on cherche ainsi à affaiblir !
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Il n'a pas besoin de cela !
M. Gérard Cornu.
C'est ce que vous pensez, monsieur le ministre ! Il reste que vous avez peur
du Président de la République.
(M. le ministre sourit.)
C'est bien
pourquoi vous avez recours à cette manoeuvre !
Cela prouve surtout que le Premier ministre actuel se comporte finalement plus
comme un candidat futur que comme un véritable Premier ministre, ce qui est
particulièrement grave,...
M. Dominique Braye.
C'est gravissime !
M. Gérard Cornu.
... à nos yeux, mes chers collègues, comme aux yeux du peuple français.
Le peuple français souverain saura manifester cette désapprobation un jour ou
l'autre.
M. Louis de Broissia.
Il le fait déjà !
M. Gérard Cornu.
Le moment venu, j'en suis convaincu, les manipulateurs seront sanctionnés.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Roger Karoutchi.
Très bien !
M. Gérard Cornu.
Je n'ai pas encore fini, mes chers collègues !
M. Hilaire Flandre.
Ç'aurait pourtant été une belle chute !
(Rires.)
M. Gérard Cornu.
Il est clair qu'on cherche à affaiblir le Président de la République. Est-ce
là une juste conception de la République et de la démocratie ? Voilà la vraie
question, et elle mériterait bien des développements
(Sourires sur les mêmes
travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Pourquoi pas ?
M. Gérard Cornu.
Mais j'ai pitié de vous, mes chers collègues, car j'ai conscience d'avoir déjà
été un peu long.
(Mais non ! sur les mêmes travées.)
En tout cas, ce n'est pas l'idée que, moi, je me fais de la République et de
la démocratie. Je veux croire que les Français sauront juger un jour ou
l'autre, et le plus tôt sera le mieux. Pour notre part, nous rendrons notre
jugement tout de suite en rejetant la convenance au profit de la sagesse.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, et des Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte
dont nous sommes en train de débattre a pour intitulé : « Proposition de loi
organique modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
» Il aurait aussi bien pu s'intituler : « Proposition de loi organique
inversant les dates des prochaines élections législatives et présidentielle de
2002 ». Cela aurait eu le mérite d'une plus grande clarté, d'autant que le
débat politique et médiatique qui s'est créé autour de cette question porte
bien sur ce qu'il est devenu courant d'appeler l'« inversion du calendrier
électoral ».
Mais, pour une clarté encore plus grande, cet intitulé aurait également pu
être le suivant : « Proposition de loi organique de circonstance visant à
inverser un calendrier électoral potentiellement défavorable au Gouvernement et
à la composante socialiste de sa majorité ».
(Rires et manifestations
d'approbation sur les travées du RPR.)
Au moins nos concitoyens auraient-ils été ainsi objectivement éclairés sur les
véritables motivations de la majorité nationale, ou tout du moins sur celles de
sa composante principale, qui ne cesse de nous rebattre les oreilles avec son
souci de transparence et sa prétendue volonté de répondre aux attentes de nos
concitoyens.
L'intitulé retenu est évidemment beaucoup plus anodin, mais l'opinion publique
n'est pas dupe pour autant et elle sait parfaitement à quoi s'en tenir quant
aux motivations profondes qui sous-tendent ce texte.
Ses promoteurs croient certes avoir trouvé un argument irréfutable pour
établir leur bonne foi, pour démontrer qu'ils ne nourrissent aucune
arrière-pensée politicienne et électoraliste, en affirmant que le seul objectif
de ce texte est de remettre à l'endroit le calendrier électoral - puisque
celui-ci est, paraît-il, sur la tête - dans un souci de conformité avec
l'esprit de la Constitution. Selon eux, la prééminence du rôle du Président de
la République au sein de nos institutions implique que l'élection
présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Les hasards de notre histoire politique contemporaine ayant abouti à ce que
ces deux échéances électorales ne se présentent pas en 2002 dans cet ordre
présenté comme idéal et incontournable, il conviendrait donc que le Parlement
inverse lesdites élections pour que l'on retourne à l'ordre constitutionnel
profond.
Voilà la raison officielle, qui justifie, selon les zélateurs de cette
réforme, l'inversion du calendrier. Et qu'on ne se permette surtout pas de
laisser entendre que pourrait exister à ce soudain désir de réformer une autre
raison qu'une vigilante ardeur à défendre l'esprit de notre Constitution contre
un calendrier susceptible d'en saper les fondements mêmes ! Les Français n'en
étaient pas en effet suffisamment avertis, mais le désordre institutionnel les
guettait et la Ve République était en péril...
Oui, mes chers collègues, rendez-vous bien compte de ce drame qui se jouait en
silence : les Français s'apprêtaient à voter en 2002 pour élire d'abord leurs
députés et ensuite leur Président ! Inconscients des conséquences gravissimes
de cet état de fait, ils allaient peut-être même, les malheureux, voter la
conscience tranquille, alors que leur vote, par un hasard maléfique du
calendrier, allait saper nos institutions et ébranler, voire mettre à bas notre
Ve République !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RPR.)
Nous avons heureusement échappé de peu à ce drame effroyable, grâce à la
vigilance de quelques visionnaires qui n'ont, nous le savons tous, d'autre
raison de vivre que la défense de nos institutions, de notre Constitution.
M. Louis de Broissia.
Des noms !
M. Dominique Braye.
Ces nobles chevaliers blancs de la politique, n'écoutant que leur courage et
leur sagacité, se sont donc investis de la haute mission consistant à dénoncer
la bête malfaisante qui rampait dans l'ombre et à terrasser ce redoutable
dragon. Et de pousser ce cri terrible : « Ralliez-vous à notre panache
constitutionnel, et nous allons bouter les législatives loin derrière la
présidentielle ! »
(Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Louis de Broissia.
Quel artiste !
M. Dominique Braye.
De fait, ralliement il y eut... mais aussi défections. Nous y reviendrons.
Tous ces vertueux apôtres de l'inversion du calendrier électoral n'ont jamais
eu d'autre intention que de défendre l'esprit de notre Constitution. Ils en
veulent pour preuve irréfutable qu'il est de toute façon impossible, à plus
d'un an de ces échéances électorales, d'en prévoir le résultat,
a fortiori
en cas d'inversion. Ce serait donc témoigner d'un très vilain état d'esprit
que de les accuser de mesquins calculs électoraux.
(Exclamations amusées sur
les travées du RPR.)
Pourtant, monsieur le ministre, il se trouve sur les travées de cette
assemblée de nombreux esprits chagrins pour oser envisager cette hypothèse,
pour considérer qu'une certaine dose de calcul a pu prévaloir dans l'esprit de
ces preux chevaliers défenseurs de notre Constitution.
Je dis bien : une certaine dose, car les indices qui pourraient le laisser
supposer sont forts ténus. C'est à peine si certains partisans de l'inversion
du calendrier ont évoqué à mots couverts une très légère possibilité pour que
cette inversion soit fondée sur des arrière-pensées électoralistes.
Ainsi, Daniel Cohn-Bendit, avec la discrétion feutrée qui le caractérise
(Sourires sur les travées du RPR)
, a dit : « L'objectif est de
désarçonner l'adversaire. Que voulons-nous, nous, les Verts ? Nous voulons que
Jospin devienne Président de la République et que nous ayons donc plus de
députés dans la prochaine Assemblée. »
Comme vous le constatez, point d'arrière-pensée derrière cette opinion !
Point d'arrière-pensée non plus dans les propos de l'ancien Premier ministre
et actuel ministre de l'économie et des finances, Laurent Fabius, lorsqu'il dit
: « Lionel Jospin aura deux haies à franchir : s'il perd les législatives, la
présidence aussi sera perdue. » Quand on connaît les résultats de certains
sondages sur les élections législatives de 2002, on comprend que M. Jospin ait
décidé de changer l'ordre de ces deux haies !
Point d'arrière-pensée encore chez Henri Emmanuelli lorsqu'il affirmait, le 27
novembre 2000 : « Personne n'est dupe ! Cela fait des mois que tout le monde
sait que le calendrier, tel qu'il existe aujourd'hui, n'est pas vraiment
favorable au candidat de la gauche. »
Enfin, même si de nombreux orateurs les ont déjà cités, je ne peux m'empêcher
de rappeler, je m'en excuse, les propos tenus par le candidat de la gauche,
Lionel Jospin, le 19 octobre dernier à la télévision.
M. Paul Blanc.
Il faut le faire !
M. Jean Chérioux.
Il faut les marteler !
M. Dominique Braye.
Lionel Jospin disait alors : « Toute initiative de ma part serait interprétée
de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là et il
faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent
être prises ».
M. Jean Chérioux.
Où est le consensus ?
M. Dominique Braye.
Comme vous le constatez, mes chers collègues, c'est à peine si une possibilité
d'arrière-pensée a été évoquée parmi les partisans les plus éminents de cette
gauche plurielle.
De qui se moque-t-on lorsqu'on soutient, la main sur le coeur, que c'est le
seul souci de la défense de nos institutions qui est en jeu ? De nous, bien
entendu, mais surtout, et c'est beaucoup plus grave, de tous les Français.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
Que les partisans de l'inversion du calendrier électoral pour des raisons
électorales aient au moins le courage de leurs opinions, comme l'ont eu MM.
Cohn Bendit, Fabius, Emmanuelli et bien d'autres.
M. Jospin, visiblement du même avis, répugnait, il y a encore peu de temps, à
cette inversion, car il savait bien qu'elle serait « étroitement politique,
voire politicienne » selon ses propres termes. Il faut croire qu'il préfère
finalement être étroitement politicien et que le bénéfice qu'il espère retirer
de cette étroitesse lui paraît plus important que le reniement de sa parole.
M. Jean Chérioux.
Bravo !
M. Dominique Braye.
Beau gouvernement pluriel et belle majorité plurielle dont la singularité est
de permettre tout et son contraire, simultanément ou successivement ! On peut
ainsi y être contre l'inversion ou pour l'inversion. On peut aussi y être pour
en affichant les couleurs de sa position, c'est-à-dire en disant clairement que
c'est pour gagner les futures élections, mais on peut aussi y être pour en se
parant des habits de défenseur de l'esprit de la Constitution. On peut aussi
diriger l'ensemble de la gauche plurielle en disant blanc pour ne pas dire
noir, puis en faisant noir tout en tentant d'apparaître blanc.
M. Paul Blanc.
Compliqué !
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
Vous avez raison, monsieur Blanc !
M. Jean Chérioux.
Répétez !
M. Bernard Plasait.
On n'a pas très bien compris !
M. Dominique Braye.
J'en suis désolé, mes chers collègues, car c'est un passage important de mon
intervention. Je vais donc le répéter.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est bien !
M. Dominique Braye.
Au sein de cette belle majorité plurielle, on peut donc aussi être pour
l'inversion en affichant les couleurs de sa position, c'est-à-dire en disant
clairement que c'est pour gagner les futures élections, mais on peut aussi y
être pour en se parant des habits de défenseur de l'esprit de la Constitution.
On peut aussi diriger l'ensemble de la gauche plurielle en disant blanc pour ne
pas dire noir, puis en faisant noir tout en tentant d'apparaître blanc.
(Ah
! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Bernard Plasait.
C'est beaucoup mieux dit que la première fois !
(Rires sur les mêmes
travées.)
M. Dominique Braye.
Et vous voudriez, monsieur le ministre, que l'on accorde du crédit aux
arguments que vous avancez ? Vous n'en êtes d'ailleurs pas le seul défenseur.
Vous et les zélateurs de la présente proposition de loi organique, vous tentez
de vous poser en gardiens de la morale politique, républicaine et
constitutionnelle. La tâche est d'envergure, monsieur le ministre, et il vous
faudrait faire table rase du passé pour avoir ne serait-ce qu'une toute petite
chance d'y parvenir !
Lorsque vous prétendez justifier l'inversion du calendrier électoral par des
arguments de droit et de pratiques constitutionnelles, faut-il vous répondre,
comme l'ont fait avant moi nombre de mes collègues de la Haute Assemblée, à
commencer par notre éminent rapporteur Christian Bonnet ?
(Bravo ! sur les
travées du RPR.)
Leurs démonstrations ont été à mes yeux suffisamment fondées, étayées,
brillantes et convaincantes, pour que rien de ce qui relève de l'argumentation
juridique n'ait été passé sous silence, et mes chers collègues, je crois très
sincèrement qu'il convient de ne pas allonger inutilement le débat, même s'il
est très intéressant. C'est une vertu du Sénat - et son honneur - que de
compter parmi ses membres des législateurs aussi éminents et pertinents que
ceux qui se sont exprimés dans ce débat.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques-Richard Delong.
Très bien !
M. Dominique Braye.
Je reconnais bien volontiers que, parmi les partisans de l'inversion du
calendrier électoral, certains n'ont pas manqué de talent pour défendre leur
point de vue. Mais je crois qu'ils ne vous ont pas plus que moi convaincus, car
leurs argumentations ne sont que l'enrobage parfois difficile et techniquement
méritoire de positions dictées par des raisons purement électorales et non par
des raisons juridiques.
Puis, cet amour sans borne, cette volonté affichée de défendre l'esprit de la
Constitution de la part de ceux qui furent autrefois ses plus féroces
adversaires, ou de la part des héritiers de ceux-là, voilà qui semble suspect !
C'est plutôt un exemple de cynisme politique en pleine action.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques-Richard Delong.
Très bien !
M. Dominique Braye.
Quant à l'esprit de notre Constitution, il a été dit et répété à cette tribune
que son principal inspirateur et rédacteur, Michel Debré, a été le premier à
reconnaître que deux lectures différentes étaient possibles. Il est donc
quelque peu audacieux de se réclamer d'une interprétation univoque du texte
fondateur de la Ve République. Que d'éminents constitutionnalistes aient choisi
d'en faire néanmoins une lecture propre à soutenir l'inversion du calendrier
électoral de 2002 ne confère pas à leur opinion valeur de parole d'évangile.
Que ces éminents constitutionnalistes soient en désaccord avec d'autres
constitutionnalistes tout aussi éminents relativise d'ailleurs largement leur
position.
M. Jacques-Richard Delong.
C'est bien vrai !
M. Dominique Braye.
En outre, ils ne sont pas les seuls à respecter l'esprit de notre
Constitution. Les législateurs que nous sommes, tout comme les citoyens que
nous représentons, ont également le droit, si ce n'est le devoir, d'avoir une
opinion différente de la leur sur le fonctionnement de nos institutions
républicaines.
Alors, oui, notre Constitution n'est pas la perfection absolue - nous l'avons
assez constaté au cours des neuf années de cohabitation que nous avons connues
en quinze ans - mais elle a néanmoins le mérite de nous assurer depuis plus de
quarante ans un régime d'une stabilité et d'une solidité telles que la France
n'en avait pas connu depuis fort longtemps.
C'est la raison majeure pour laquelle je pense qu'en l'absence d'un véritable
consensus national - et je n'aurai pas la cruauté de rappeler ici les propos de
M. Jospin - toute initiative propre à perturber le déroulement normal de la vie
de nos institutions ne peut qu'être malvenue. Toutes les justifications
juridico-constitutionnelles n'y changeront rien.
Comme le soulignait justement Henri Emmanuelli, personne n'est dupe des
motivations réelles des défenseurs de l'inversion du calendrier. Abordons donc
le débat honnêtement et reconnaissons que le fond de l'affaire est de créer des
conditions plus favorables aux succès électoraux de la gauche. Laissons aux
constitutionnalistes le soin de débattre de l'esprit de notre Constitution et
revenons sur un terrain beaucoup moins spirituel mais tout aussi intéressant :
le terrain concret du combat politique.
La préoccupation de la plupart de nos collègues de la majorité sénatoriale
rejoint celle des grands électeurs qui nous ont accordé leur confiance,
elle-même issue de celle de nos concitoyens. Nous n'avons pas été élus pour
favoriser les destinées électorales de la gauche plurielle et de M. Jospin.
Puisque certaines grandes voix de la gauche plurielle ont eu la franchise de
reconnaîre que leur arrière-pensée était électorale, nous ne devons pas avoir
de complexes à leur répondre que nos pensées sont très claires : nous voulons
remporter les prochaines échéancees électorales et nous combattrons logiquement
tout ce qui nous éloigne de cette perspective ou risque de la contrarier.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
Mais doit-on pour autant, comme le font les socialistes, utiliser toutes les
armes sans s'inquiéter des atteintes qui peuvent être portées à nos
institutions et à notre pays ? Non seulement je ne le crois pas, mais je suis
persuadé du contraire.
De plus, peut-on voter l'inversion du calendrier sur la base de convictions
personnelles tout en étant un parlementaire responsable de l'opposition, en
risquant par cette manoeuvre électorale, comme le soulignent les socialistes,
de favoriser l'élection de M. Jospin à la présidence de la République en 2002 ?
(Non ! sur les travées du RPR.)
Pour ma part, je ne le crois pas et les Français que je rencontre sur le
terrain sont persuadés du contraire. Vous le savez, mes chers collègues, ils
n'ont déjà pas en ce moment une très haute idée des hommes politiques et la
tactique de l'inversion du calendrier leur apparaît pour ce qu'elle est
réellement, à savoir une manoeuvre politicienne de plus.
M. Gérard Cornu.
De bas étage !
M. Dominique Braye.
Que des électeurs de gauche approuvent cette manoeuvre qui n'est après tout
que l'illustration de l'adage selon lequel la fin justifie les moyens, je
l'admets, mais que des électeurs de l'actuelle opposition l'applaudissent, j'en
doute fortement ! Croire qu'ils applaudissent leurs élus nationaux qui se
prêtent à cette manoeuvre relève selon moi de l'aveuglement complet.
Naturellement, chacun se déterminera en fonction de sa conscience, et c'est
très bien ainsi. Il ne faut cependant pas s'étonner lorsque les électeurs se
détournent de ceux qui jouent contre leur camp. Les intérêts à courte vue, les
calculs revanchards, les querelles de clan doivent s'effacer devant l'intérêt
général et devant la volonté d'être enfin cohérents et unis afin de faire
triompher nos valeurs et nos idées.
En effet, nous ne parlons pas ici de reconquête du pouvoir, comme les
socialistes, obnubilés depuis toujours par l'échéance présidentielle. Nous
parlons de son préalable, à savoir la reconquête de notre électorat et,
d'ailleurs, de l'électorat en général, qui a trop souvent été désappointé par
le spectacle que lui donnent les dirigeants politiques.
Comment ne pas nous rendre compte que ce qui nous rassemble est plus fort que
ce qui nous divise ?
M. Jean Chérioux.
C'est évident !
M. Dominique Braye.
Comment ne pas nous rappeler que ce qui nous divise est aussi ce qui peut nous
faire perdre et faire triompher nos adversaires ?
M. Jean Chérioux.
Hélas !
M. Dominique Braye.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, à moins d'entraver
délibérément le cours du jeu et de vouloir marquer des buts contre notre propre
camp, nous devons nous rassembler contre cette proposition de loi.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
Et pourtant, de-ci, de-là, en cours de partie, certains en arrivent à oublier
qu'une équipe ne gagne qu'en faisant jouer ses membres et en adoptant une
stratégie collective intelligente.
Bien sûr, pour continuer cette métaphore sportive, on peut être excellent dans
un sport individuel où l'on n'a rien d'autre à défendre que son intérêt
personnel : l'individualisme est alors fortement conseillé, mais ce n'est pas
du tout l'esprit qui est requis pour le succès dans un sport collectif.
Il en va de même en politique où les succès personnels ne garantissent pas les
succès collectifs. Lorsque, faute d'engagement et de dévouement suffisants au
service d'une équipe, les ambitions ou les succès personnels en viennent à
contrarier, voire à compromettre les succès collectifs, il faut bien un jour
aller s'en expliquer devant les électeurs. Les succès individuels sont alors
gravement compromis. Quelque chose me dit que, par les temps qui courent, ces
électeurs sont devenus beaucoup moins tolérants et compréhensifs à l'égard de
ceux qu'ils ont envoyés remplir certaines missions en les élisant et qui les
trompent le moment venu...
Un sénateur du RPR.
Ils sont déçus !
M. Dominique Braye.
Réfléchissons bien, mes chers collègues, aux conséquences des décisions qui
peuvent nous amener à jouer contre nos propres intérêts et, surtout, à décevoir
ceux qui nous ont confié nos mandats pour leur permettre de continuer à
espérer.
Je ne prétends évidemment pas parler au nom de tous les Français qui se
réclament de l'opposition nationale, mais je rencontre comme vous tous,
quotidiennement, certains de nos concitoyens qui sont quelque peu déroutés et
désabusés devant le spectacle que donne le monde politique, puisque c'est de
cela qu'il est question. Leurs sympathies et leurs convictions les poussent à
défendre nos valeurs. Que disent-ils ? Ils veulent que ceux qui défendent les
mêmes idées - nous tous sur ces bancs - soient davantage unis, moins enclins à
se déchirer pour des futilités et des querelles de voisinages.
Surtout, nos concitoyens attendent de leurs élus qu'ils soient exemplaires
dans leur morale, leur conduite et leur action. Ils sont prêts, vous le savez,
à nous donner ou à nous redonner leur confiance pour peu que nous soyons
capables de les écouter et de tout mettre en oeuvre pour faire gagner leurs
idées. Ils ont des convictions et ils veulent que nous soyons le relais de
celles-ci pour qu'elles soient à nouveau respectées et, surtout, pour qu'elles
se transforment en actes.
Pour conclure...
(Oh ! sur les travées du RPR.)
M. Jacques-Richard Delong.
C'est trop tôt !
M. Dominique Braye.
Pour conclure non pas mon intervention mais cette modeste exhortation à
respecter nos électeurs, je tiens à dire très sincèrement qu'en dehors des
parlementaires je n'ai pas rencontré une seule personne dont les sympathies
vont vers le camp de ceux qui souhaitent l'inversion du calendrier
électoral.
M. Gérard Cornu.
Ce n'est pas leur préoccupation !
M. Dominique Braye.
Je me garderai bien de dire à aucun de mes collègues de notre Haute Assemblée
les leçons qu'il doit tirer de mon expérience personnelle. Je dirai simplement
que nous devons tous rester à l'écoute de nos électeurs car nous n'aurons
jamais raison contre eux. Lorsque nos concitoyens et nos électeurs ne nous
fustigent pas - car il leur arrive aussi d'être très aimables envers nous
puisque nous le méritons probablement souvent - que nous disent-ils ? Ils nous
font souvent part de leur incompréhension et de leur mécontentement en ce qui
concerne les grandes orientations de l'actuelle politique gouvernementale.
Qu'entendons-nous quotidiennement, mes chers collègues ? Que le chômage a
certes diminué en France - il a beaucoup moins baissé que dans les autres pays
européens -...
M. Emmanuel Hamel.
C'est vrai !
M. Dominique Braye.
... mais que, hélas ! chez M. Martin, le fils cadet n'a toujours pas trouvé de
travail, que telle entreprise écrasée par les taxes et les charges sociales est
en difficulté - ce qui pourrait mettre en péril l'emploi de plusieurs personnes
et occasionner des pertes de recettes fiscales pour la commune où elle est
installée -, que M. Dupont est très inquiet pour l'avenir de sa retraite,...
M. Jean Chérioux.
Il y a de quoi !
M. Louis de Broissia.
Et M. Dupont n'est pas le seul à être très inquiet à cet égard !
M. Dominique Braye.
... que Mme Durand a du mal à payer son impôt sur le revenu et qu'elle estime
injuste qu'un Français sur deux n'en paie pas, que M. et Mme Dupuis envisagent
d'inscrire leur enfant dans une école privée car ils trouvent que la qualité de
l'enseignement dispensé à l'école publique voisine est en baisse constante et
que, de surcroît, les violences y deviennent de plus en plus fréquentes.
Mme Nelly Olin.
Ils ont raison !
M. Dominique Braye.
Et je pourrais continuer encore longtemps sur ce registre !
M. Louis de Broissia.
Continuez !
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
Bref, nous sommes quotidiennement confrontés, notamment ceux d'entre nous qui
sont en contact direct avec nos concitoyens, à leurs inquiétudes et à leur
crainte de l'avenir.
Certes, globalement, la reprise aidant, nous entendons aussi des propos plus
optimistes, et il n'est pas question pour moi de brosser l'image d'un pays
pessimiste, frileux et désabusé. Mais il n'en reste pas moins vrai, justement
parce que nous traversons une phase de reprise - nous savons bien qu'elle ne
sera pas éternelle -, que nos concitoyens, souvent, ne comprennent pas - et à
juste titre ! - pourquoi nos gouvernants ne tirent pas suffisamment parti de
cette période faste pour prémunir notre pays contre les conséquences
prévisibles d'un prochain retournement de conjoncture.
M. Jean Chérioux.
Cela peut arriver, hélas !
M. Dominique Braye.
Plus cigale que fourmi, le Gouvernement dispense en effet des largesses qui
grèvent lourdement le budget de l'Etat et son déficit. Le passage aux
trente-cinq heures de travail hebdomadaire...
Mme Nelly Olin.
C'est un désastre !
M. Dominique Braye.
... et les emplois-jeunes sont les meilleurs exemples de mesures en apparence
populaires mais dont le coût commence à peser lourdement sur les entreprises et
les contribuables.
Mme Nelly Olin.
C'est vrai ! Très bien !
M. Dominique Braye.
Et que dire d'ailleurs de cette fiscalité pesante, qui deviendra vite
asphyxiante dès que la reprise commencera à s'essouffler ?
Les baisses d'impôts annoncées à grand renfort de clairons médiatiques, pour
certaines qu'elles soient, restent néanmoins très en deçà de ce dont a besoin
notre économie pour maintenir sa compétitivité dans un contexte de concurrence
mondiale chaque jour plus difficile.
Il ne s'agit pas de nier les succès de nos entreprises les plus dynamiques, il
s'agit plutôt de rappeler que celles-ci seraient encore plus performantes si
les différentes taxes et charges qui pèsent sur elles étaient ramenées à un
niveau similaire à celui que connaissent les pays qui sont nos principaux
partenaires mais aussi nos principaux concurrents économiques.
Quant aux entreprises en difficulté, notamment parmi les PME et les PMI, il
est évident que le maintien d'une fiscalité trop élevée ne peut qu'aggraver
leurs problèmes et compromettre leur avenir.
Ce niveau d'imposition et de charges pesant sur les entreprises ne se contente
pas de pénaliser nos entreprises nationales, il décourage aussi l'implantation
d'entreprises étrangères dans notre pays, ce qui nous fait perdre des
ressources fiscales et des créations d'emploi.
Quant aux contribuables qui ont la chance de disposer de revenus importants
grâce à leur sens de l'initiative et à leur ardeur créative, ils en arrivent à
être découragés par les ponctions fiscales records qu'ils subissent. La fuite à
l'étranger, vers des cieux fiscaux plus cléments, de certains de nos jeunes
entrepreneurs et de nos informaticiens ou chercheurs hautement qualifiés est,
hélas ! une illustration des effets pervers de la gloutonnerie de notre système
fiscal.
M. Jacques-Richard Delong.
Très bien !
M. Dominique Braye.
Les ménages français, quant à eux, consomment certes plus actuellement du fait
de l'embellie économique, mais ils pourraient le faire encore davantage si le
niveau des prélèvements obligatoires leur était plus favorable. Cela serait
d'ailleurs une façon efficace de conforter et de pérenniser la reprise, nos
entreprises étant évidemment les premières bénéficiaires d'un regain de
consommation.
Nos concitoyens et nos entrepreneurs attendent des signaux forts quant à de
réelles baisses de tous les prélèvements obligatoires. Je crois, sans risque de
me tromper, que cette attente est beaucoup plus forte que celle du résultat de
notre vote sur l'opportunité d'une inversion du calendrier électoral.
M. Jean Chérioux.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
La montée du sentiment d'insécurité chez nos concitoyens, leur inquiétude
devant la dégradation de notre système scolaire, leur angoisse face à
l'incertitude qui pèse sur l'avenir de leur retraite et plus encore sur celle
de leurs enfants, voilà des sujets de fond qui les préoccupent à juste titre !
(Applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
Mme Nelly Olin.
Voilà !
M. Gérard Cornu.
C'est vrai !
M. Jacques-Richard Delong.
Remarquable !
M. Dominique Braye.
Vous en conviendrez, cette liste des problèmes urgents à résoudre n'est, hélas
! pas limitative.
Que peuvent penser nos concitoyens lorsqu'ils voient la représentation
nationale davantage accaparée par des débats « étroitement politiciens », selon
la formulation de M. Jospin, que par le désir de résoudre les problèmes qui
hypothèquent leur avenir ? Ils sont certainement peu enclins à partager, et
encore moins à applaudir, les états d'âme du microcosme politique si celui-ci
pratique plus le nombrilisme et le calcul électoral que la défense de l'intérêt
général et de l'intérêt national.
(Très bien ! sur plusieurs travées du
RPR.)
Franchement, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français
attendent-ils de nous que nous nous occupions prioritairement, toutes affaires
cessantes, de l'inversion du calendrier électoral, alors que tant de questions
vitales pour leur avenir restent en suspens ? Nous pourrons toujours commenter
tel ou tel sondage nous communiquant les résultats de leur opinion sur la
nécessité d'inverser ou non les échéances électorales. Mais ce faisant, nous
passerons toujours à côté de l'essentiel, à savoir qu'ils n'en ont cure. Si les
Français sont interrogés par voie de sondage sur un sujet dont la réponse se
limite à être pour ou contre, cela ne nous renseignera pas pour autant sur leur
avis quant à l'opportunité du débat.
Le seul sondage intéressant consisterait à poser à nos concitoyens la question
suivante : estimez-vous urgent de débattre du calendrier des élections de 2002
ou pensez-vous qu'il existe des débats plus importants à traiter par la
représentation nationale ?
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du
RPR.)
Mme Nelly Olin.
La sécurité !
M. Gérard Cornu.
C'est une très bonne question qu'il faudrait développer !
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
La réponse que les Français apporteraient à cette question serait certainement
très édifiante pour ceux qui pensent que l'inversion du calendrier électoral
passionne nos concitoyens, ou tout au moins qu'il s'agit là d'un débat à
trancher dans l'urgence, comme a décidé de le faire le Gouvernement.
D'ailleurs, ce sont probablement les zélateurs de cette réforme qui
déploreront, lors des prochaines consultations électorales, la désaffection
confirmée, je n'ose dire croissante, des Français pour les élections.
Il faut être cohérent et savoir ce que l'on veut. Si l'on s'inquiète
réellement de la montée de l'abstentionnisme électoral et du désintérêt
croissant de nombre de nos concitoyens pour les questions politiques, il faut
cesser de donner à ceux-ci matière à renforcer leur défiance envers certaines
pratiques de la classe politique, comme vous le faites aujourd'hui, monsieur le
ministre.
Les Français attendent de leurs gouvernants et de leurs élus nationaux la même
écoute de leurs préoccupations que celle qu'ils trouvent plus aisément auprès
de leurs élus locaux.
S'il est évident, par exemple, que le lien de proximité et de confiance est
plus facile à établir entre les électeurs et les élus municipaux, ce ne peut
être une raison suffisante pour les autres élus, notamment pour les élus
nationaux, de s'abstenir de rechercher, eux aussi, à rétablir ce lien de
confiance entre les électeurs et eux-mêmes, lien qu'ils ne pourront recréer que
s'ils s'attaquent véritablement aux problèmes essentiels de leurs électeurs.
Il en va de même pour le Gouvernement, qui affiche un souci permanent du sort
de nos concitoyens tout en s'évertuant à faire l'impasse sur leurs réelles
inquiétudes, en leur jetant de la poudre aux yeux et en pratiquant la politique
du trompe-l'oeil. Cette proposition de loi organique visant à inverser le
calendrier électoral constitue d'ailleurs bien un trompe-l'oeil, puisque l'on
tente, sans grand succès il est vrai, de nous cacher les véritables motivations
qui ont présidé à son élaboration et puisque l'on essaie, dans le même temps,
de détourner l'attention de l'opinion publique des débats de fond que
mériterait notre société. Mais, comme pour tout trompe-l'oeil, l'illusion ne
peut guère durer et les Français sont rarement longtemps dupes de ce type de
manoeuvre.
Ce que M. Jospin craignait de ne voir apparaître comme une initiative «
étroitement politique, voire politicienne » apparaît en effet réellement comme
telle.
Il s'agit bien, aux yeux de nos concitoyens, de faire adopter une loi de
circonstance par une majorité de circonstance, comme cela a déjà été
excellement dit ici même, à plusieurs reprises.
Il fallait d'ailleurs bien trouver, à l'Assemblée nationale, une majorité de
circonstance pour contrebalancer la défection des deux députés Verts et des
députés communistes, lesquels sont d'ailleurs en l'occurence parfaitement en
conformité avec leur hostilité traditionnelle à toute évolution du régime de la
Ve République vers une présidentialisation.
M. Robert Bret.
Ça c'est vrai !
M. Dominique Braye.
On conçoit aisément que certains des alliés du parti socialiste aient eu des
états d'âme à emboîter le pas à ce qui leur est apparu comme une pure manoeuvre
de tactique électorale...
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
... au profit du Premier ministre et du parti socialiste, et dont eux-mêmes
seront d'ailleurs demain les grands perdants.
(Applaudissements sur les
travées du RPR.)
Je parle bien sûr des autres composantes de la majorité
plurielle, lesquelles commencent à le comprendre.
Cette manoeuvre électoraliste est d'ailleurs énorme, non seulement sur le fond
mais aussi sur la forme. Le revirement spectaculaire de la position de M.
Jospin est tellement difficile a expliquer à l'opinion publique que le seul
moyen d'en atténuer les effets médiatiques négatifs a été d'avoir recours à
l'initiative parlementaire. Cela permet maintenant au Gouvernement de nous
exposer benoîtement que lui-même ne fait que se conformer au « consensus » qui
se serait spontanément créé sur l'urgence de cette réforme, alors que tous nos
concitoyens ont assisté en direct aux agissements politiciens des auteurs de
cette manoeuvre. Même les quotidiens locaux - et pas seulement ceux du
Puy-de-Dôme ! - s'en sont fait l'écho.
Singulier consensus que celui qui regroupe une majorité de 300 députés en
faveur de l'inversion du calendrier, mais en y intégrant 25 députés de
l'opposition nationale qui compensent opportunément le désaccord de 36 députés
de la majorité plurielle.
Ce consensus relatif est étrangement fondé sur des motivations à la fois
convergentes et divergentes de la part de ceux qui l'ont soutenu et de la part
de ceux qui s'y sont ralliés.
M. Jacques-Richard Delong.
Centrifuge ?
(Sourires.)
M. Dominique Braye.
Convergentes et divergentes, mon cher collègue, je préfère ces termes.
(Nouveaux sourires.)
Convergentes car, pour certains, tout faire pour compromettre la réélection du
Président de la République semble être un sujet d'accord, mais aussi
divergentes car s'il est légitime de vouloir faire gagner son camp, il est en
revanche plus étrange de vouloir faire perdre le sien, et pas seulement, soit
dit en passant, pour l'élection présidentielle.
Les petits calculs d'aujourd'hui ne peuvent pas déboucher sur les grandes
victoires de demain.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
Comprenne qui pourra
(Sourires sur plusieurs travées du RPR),
mais
cela me semble surtout beaucoup plus affligeant qu'incompréhensible.
Puisque ce relatif consensus de circonstance semblait s'esquisser dans les
coulisses et puisqu'il ne fallait pas faire apparaître le revirement du Premier
ministre comme un reniement, le procédé de l'initiative parlementaire
permettait aux socialistes de sauver un tantinet la face avec la complicité
d'alliés bien peu regardants sur la méthode.
MM. Paul Blanc et Gérard Cornu.
Eh oui !
M. Dominique Braye.
Ce procédé présentait aussi l'avantage d'éviter le passage du texte devant le
Conseil d'Etat et le conseil des ministres, permettant aussi d'empêcher le
Président de la République de se prononcer sur son opportunité,...
M. Patrick Lassourd.
Tout à fait !
M. Dominique Braye.
... ce qui n'empêchait pas en revanche le Premier ministre, qui n'en est
décidément pas à une contradiction près, ou plutôt à un reniement près,
d'affirmer que cette initiative ne pouvait être prise sans l'accord du
Président de la République, comme il l'a dit à plusieurs reprises.
Mes chers collègues, comment voulez-vous dans ces conditions que les Français
retrouvent une bonne opinion de leur classe politique devant le spectacle de
pareils tours de passe-passe à l'arrière-goût de combines policitiennes,
certains de mes collègues ayant même parlé de « magouilles politiciennes » ?
Ceux qui les prennent pour des avaleurs de couleuvres incapables de déceler un
bidouillage électoral, pour reprendre les termes que j'ai entendus et qui,
manifestement, sont fort exacts,...
M. Gérard Cornu.
Absolument !
M. Dominique Braye.
... l'année précédant des échéances électorales capitales prennent le risque
de s'exposer à de sévères déconvenues.
Les Français n'aiment pas que l'on change les règles du jeu au profit d'un des
joueurs, quel qu'il soit, juste avant le début de la partie, et ils ont bien
raison.
M. Gérard Cornu.
Même les enfants n'aiment pas cela !
M. Dominique Braye.
C'est non seulement faire peu de cas de l'équité des chances des adversaires,
mais aussi faire insulte à l'intelligence des arbitres du jeu démocatique que
sont tous nos concitoyens, que sont les Français.
M. Gérard Cornu.
Oui !
M. Dominique Braye.
Mes chers collègues, je crois que nous honorerons le Sénat, notre fonction et
le mandat que nous ont confié nos électeurs en nous conformant conclusions de
notre excellent rapporteur Christian Bonnet...
M. Jacques Valade.
Oui !
M. Dominique Braye.
... et en refusant de voter une loi de circonstance, une loi de
complaisance...
Mme Nelly Olin.
Oui !
M. Dominique Braye.
... qui se pare du masque de la vertu constitutionnelle alors qu'elle n'a
d'autre visage que celui d'une grossière manoeuvre préélectorale.
(Très bien
! et vifs applaudissements sur les travées du RPR. - M. Hérisson applaudit
également.)
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