SEANCE DU 23 JANVIER 2001
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi
organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Garrec.
M. René Garrec.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'avais
l'intention d'intervenir uniquement sur l'aspect formel du texte qui nous est
soumis. Mais ce matin, sur le chemin du Sénat, je me disais que je devais
manquer de bon sens : en effet, après avoir passé vingt-quatre ans de ma vie au
Conseil d'Etat, je ne comprends toujours pas la question juridique, à tel point
que j'en suis arrivé à me demander si je n'étais pas complètement « nunuche »
!
Par conséquent, avant d'en venir au propos que j'avais préparé, je voudrais
réfléchir tout haut avec vous sur la légitimité juridique et politique de la
réforme qui nous est soumise.
Monsieur le ministre, j'avoue ne pas comprendre la position juridique du
Gouvernement. Ce n'est pas grave ! Retraité du Conseil d'Etat depuis le 25
décembre dernier, je ne suis donc plus un élément perturbateur de ce système,
et, si je dis des bêtises ici, la maison dans laquelle j'ai vécu très heureux
pendant de longues années ne m'en voudra sûrement pas !
(Sourires.)
Réfléchissant au problème qui nous est soumis, je me disais que la politique
ressemblait un peu à un système biologique : cela vit, cela vieillit, cela
meurt. Mais ma définition de la politique serait plutôt la suivante : en
politique, on durcit sur certains points, on pourrit sur d'autres, on ne mûrit
jamais ; mais cela n'engage que moi !
Ayant finalement considéré que les liens avec la biologie n'étaient pas tout à
fait établis, je me suis demandé pourquoi cette partie juridique appelait tant
de réflexions, et même tant d'incompréhensions entre d'éminents professeurs
d'université, dont au moins un - le doyen Gélard - est présent ici.
Il me semblait que le système d'élection du Président de la République, prévu
par la Constitution de 1958, avait connu deux phases : tout d'abord, jusqu'en
1962, l'élection du Président de la République par les parlementaires réunis à
Versailles, qui impliquait que l'Assemblée nationale soit élue d'abord.
Ensuite, à partir de 1962, l'élection du Président de la République au suffrage
universel direct, qui a donné la primauté à ce dernier. Certes, l'Assemblée
nationale est également élue au suffrage universel, mais il y a des
circonscriptions. Par conséquent, il me semblait que la priorité des choses
voulait que l'on s'intéresse d'abord à la Présidence de la République.
Mais quel est l'esprit de la Constitution ? Je voudrais m'arrêter quelques
secondes sur ce point.
En effet, lorsque l'on étudie la légalité d'un décret ou d'une circulaire - et
les choses sont encore plus difficiles si la circulaire est interprétative,
donc nulle de droit - et que l'on recherche un peu de clarté, on se réfère
automatiquement aux travaux préparatoires de la loi.
Mais comment se référer aux travaux préparatoires de la Constitution sinon en
réfléchissant à l'esprit de ceux qui l'ont écrite, qui en ont été à l'origine,
et donc à ce que pensaient le général de Gaulle et l'éminent juriste qu'était
Michel Debré ? Or, je n'ai pas trouvé dans les écrits de ces deux personnalités
éminentes... Je ne suis toujours pas dans mon propos, monsieur le président,
mais je continue un peu, parce que je tiens à m'expliquer sur mon
incompréhension.
M. le président.
Vous disposez d'un temps de parole de quinze minutes.
M. René Garrec.
Pas plus ? Quinze minutes, c'est peu, car cela m'oblige à parler très vite : à
la limite du subliminal !
(Sourires.)
Je dois dire que, après réflexion, je ne comprends pas le problème juridique
; et je pense que, malheureusement, il n'y a aucune légitimité juridique à
cette réforme.
En effet, la Constitution est ainsi faite que le Président de la République
peut mourir, comme c'est déjà arrivé ; on ne peut pas garantir par la
Constitution qu'un président de la République en exercice ne mourra pas !
D'ailleurs, c'est dommage : cela prouve la limite de nos pouvoirs !
(Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo.
Ça, c'est vrai !
M. René Garrec.
On ne peut donc pas garantir à un président de la République qu'il vivra le
temps de son mandat.
Par ailleurs, on ne peut pas obliger le Président de la République à rester
s'il n'est pas content. Il faut le laisser partir ; donc, il peut s'en
aller.
M. Serge Vinçon.
Cela peut arriver !
M. René Garrec.
Cela peut effectivement arriver ! Enfin, le Président de la République peut en
avoir assez de discuter avec une Assemblée nationale qui n'est pas de son avis,
et il peut donc la dissoudre. On ne peut pas l'en empêcher ! Ça, c'est la
Constitution !
Je ne vois donc pas où est la légitimité juridique.
Mais je ne trouve pas plus de légitimité politique à la proposition du Premier
ministre.
Une phrase d'un éminent juriste, M. Dominique Chagnollaud, auditionné
récemment par la commission des lois, me semble résumer, à elle seule, le débat
sur la modification du calendrier qui nous réunit aujourd'hui. « Derrière un
habillage institutionnel, il y a surtout un débat d'opportunité. » Le terme «
opportunité » est-il encore bien approprié aujourd'hui ? Je ne le crois pas,
car l'opportunité me semble avoir laissé la place à une convenance personnelle,
parfaitement légitime d'ailleurs, d'un homme que je ne citerai pas tout de
suite, qui ne s'est pas encore déclaré candidat à la Présidence de la
République, mais qui me paraît carré dans les
starting-blocks
...
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher.
C'est qui ?
M. René Garrec.
La suite de mon propos vous le dira peut-être !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Plusieurs sénateurs du RPR.
Des noms !
M. René Garrec.
Comment pourrait-on analyser autrement le revirement opéré par le Premier
ministre ? Et c'est la réponse à votre question légitime, mes chers collègues
!
(Rires sur les travées du RPR.)
Lors de son intervention télévisée du 19
octobre dernier, il déclarait ceci : « Toute initiative de ma part serait
interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. »
M. Alain Gournac.
Oh !
M. René Garrec.
« Moi, j'en resterai là, et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse
pour que des initiatives puissent être prises. » Je suis totalement d'accord
avec ce propos.
Comme l'a mentionné, à plusieurs reprises, le Président de la République, «
les Français n'aiment pas que l'on modifie les règles du jeu juste avant de
jouer ». Même les enfants n'aiment pas ça !
(Rires sur certaines travées du RPR.)
« Ils soupçonnent immédiatement les
acteurs de vouloir tricher, d'avoir des arrière-pensées politiques
personnelles. »
Aujourd'hui, c'est effectivement ainsi que la proposition d'inversion du
calendrier électoral de 2002 est perçue par nos concitoyens.
En effet, selon un sondage IFOP réalisé à la fin du mois de novembre 2000,
plus de la moitié des Français qualifient de « manoeuvre politique » la
proposition d'inversion du calendrier soutenue par le Premier ministre.
Une telle modification du calendrier à quelques mois des échéances et les
débats politico-politiques qu'elle suscite donnent non seulement le sentiment
aux Français de « calculs électoraux » - les gens méchants auraient parlé de «
magouilles électorales », mais je n'en fais pas partie !
(Rires sur les travées du RPR)
- mais également discréditent la classe
politique dans son ensemble.
M. Alain Gournac.
Ça, oui !
M. René Garrec.
Or, mes chers collègues, je vais vous faire une confidence : elle n'en a
vraiment pas besoin !
M. Christian Bonnet.
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Ça, c'est
bien vrai !
M. René Garrec.
Il faut le dire ! Je profite de l'absence de la gauche pour le dire,...
M. Robert Bret.
D'une partie de la gauche !
M. René Garrec.
Excusez-moi, mon cher collègue ! Merci d'être là !
(Rires sur les travées
du RPR.)
Mais je vous citerai d'ailleurs tout à l'heure.
Mme Nicole Borvo.
Nous sommes effectivement là !
M. René Garrec.
Avec votre présence, madame, la parité est respectée !
(Nouveaux rires sur
les mêmes travées.)
Il faut dire les choses comme elles sont : nos concitoyens ne se sentent pas
concernés. Ils s'intéressent aux retraites, à un tas de choses ; mais là, ils
s'interrogent à juste titre sur les intérêts non avoués des hommes politiques
dans cette opération.
S'agissant de l'« esquisse de consensus pour que des initiatives puissent être
prises », je n'ai pas perçu le début de la moindre ébauche de consensus.
Peut-être est-ce de la maladresse de ma part ! Monsieur le ministre de
l'intérieur, vous avez tenu des propos un peu similaires à l'Assemblée
nationale, le 20 octobre 2000, en soulignant que, « dans l'hypothèse où un très
large accord sur l'inversion des échéances électorales apparaîtrait, le
Gouvernement serait disponible pour en débattre ». Par conséquent, peut-être
pourrez-vous nous éclairer sur le sens des termes « consensus » et « large
accord ».
Essayant de suivre les propos des personnes éminentes qui nous représentent,
j'ai noté que Mme Guigou estimait, le 25 septembre 2000, qu'« il ne fallait pas
changer les règles du jeu juste avant l'élection, car chaque fois que cela se
produit on peut être accusé de vouloir trafiquer » et qu'en conséquence « il ne
serait pas opportun de changer le calendrier ».
J'ajoute que les membres du parti communiste - je tiens à remercier ceux qui
sont aujourd'hui présents dans cette enceinte
(Rires sur les travées du RPR)
-
ainsi que les Verts, que l'on peut toujours, je pense, qualifier
d'acteurs de la gauche plurielle, sont opposés à un changement de calendrier
électoral.
Aussi, il semble que nous n'ayons pas la même notion du consensus, puisque les
avis divergent au sein de la majorité plurielle, comme, malheureusement, un peu
aussi dans l'opposition.
M. Robert Bret.
Un peu beaucoup !
Mme Nicole Borvo.
Voilà ! Chacun ses problèmes !
(Marques d'approbation sur les travées du
RPR.)
M. René Garrec.
Mais je constate que vous avez fait un pas en avant, ma chère collègue, même
si, nous, nous avons fait un pas en arrière !
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Pis encore - et là mon incompréhension grandit ! - c'est le Premier ministre,
M. Jospin, candidat sans doute, qui a changé de position. Ainsi, le 26 novembre
dernier, lors du congrès du parti socialiste, qui est, en gros, à la règle de
droit ce que
Le Monde
est au
Journal officiel
(Nouveaux rires
sur les mêmes travées)
, il a plaidé pour le report des législatives après
la présidentielle. Il a avancé, pour ce faire, les arguments de « clarté » et
de « respect de la portée de chaque élection ».
Ce revirement à cinq semaines d'intervalle - c'est une fois le cycle lunaire -
au mépris de l'opinion de ses partenaires, que je considère avec respect, n'est
autre que la marque semble-t-il - je m'avance peut-être ! - d'un calcul
personnel - les gens méchants pourraient dire « politicien », ce qui, dans le
cas précis, est d'ailleurs une tautologie.
A compter de cette annonce, la course était lancée. Le débat parlementaire a
commencé : à peine un mois entre le dépôt, le 5 décembre, des différentes
propositions de loi, en particulier de celle qui nous intéresse, modifiant la
date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, et l'examen par les
députés en séance publique, les 19 et 20 décembre. Je souligne, par ailleurs,
que le texte est discuté selon la procédure de l'urgence.
Permettez-moi, à cet égard, de citer Lyautey, militaire très compétent qui a
beaucoup fait pour la France au Maroc et qui est considéré, tant dans les
annales militaires que dans celles de la République, comme un homme éminent : «
Il n'y a pas de problème urgent, il n'y a que des gens pressés. »
J'ai volontairement choisi un militaire, qui plus est ayant servi dans
l'infanterie, où, dit-on, la tête n'est pas indispensable ; il faut deux bras
pour porter un fusil, deux jambes pour marcher et deux oreilles pour porter le
képi et recevoir les ordres !
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher.
Il ne faut pas dire du mal des fantassins !
M. René Garrec.
Nous discutons donc de ce texte selon la procédure de l'urgence, alors que -
je le constate - le Gouvernement montre beaucoup moins d'empressement pour des
réformes très attendues, toujours remises à demain ; celle des retraites, qui
me concerne plus particulièrement depuis le 25 décembre dernier ; celle du
droit de la famille, qui me concerne également en tant que père de famille ;
celle du statut de l'élu, qui, aux dires des maires de ma région, n'avance pas
; et bien d'autres réformes encore.
Ainsi, il paraît que les fonctionnaires ne sont pas contents, que des tas de
gens protestent, même s'il est vrai que c'est là la vie de tous les jours, que
cela s'est produit sous tous les gouvernements. Il n'empêche : bien d'autres
réformes étaient urgentes.
Et puis, il y a la considération qui est due au Sénat.
(Ah ! sur les
travées du RPR.)
Il nous faut bien parler du Sénat, car, si nous ne le
faisons, qui le fera ?
(Rires sur les mêmes travées.)
On a dit pis que pendre du Sénat, surtout au travers de propos qui ont été
reproduits récemment dans la presse - il n'y a plus de censure, tout va mal !
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Le Gouvernement a imposé l'inscription du présent texte à notre ordre du jour.
Il a obligé notre excellent rapporteur, M. Christian Bonnet, à présenter le
même jour son rapport en commission et dans l'hémicycle.
(Exclamations
indignées sur les travées du RPR.)
Certes, il en était capable !
(Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Gérard Larcher.
La preuve !
M. René Garrec.
Mais, tout de même, au fond, c'est désobligeant !
Dans ce contexte, éclairés que nous sommes par le traumatisme qu'a subi notre
éminent collègue, comment le Premier ministre peut-il, d'un côté, souhaiter «
que le printemps 2002 ne soit pas un printemps de confusion et de choix de
convenance », en appeler à « l'esprit des institutions de la Ve République » -
je l'ai dit, si je comprends que l'on puisse parler d'esprit pour une loi, je
ne comprends pas qu'on puisse le faire pour une constitution - et, de l'autre,
tout mettre en oeuvre pour que le débat parlementaire soit tronqué et
précipité, et donc démontrer que le changement de calendrier électoral est
effectivement une initiative purement politicienne ?
Alors, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
(Rires sur les
travées du RPR.)
Il ne s'agit pas, pour moi, de balayer d'un revers de main
et sans débat la question de l'inversion de l'ordre des élections législatives
et présidentielle en 2002. On peut trouver des éléments discutables, au sens
étymologique du terme, donc amenant à une discussion qui peut même être
approfondie sur le sujet.
D'ailleurs, les avis des constitutionnalistes ont été clairs : il n'y en a pas
un qui ressemble à l'autre. Voilà qui permettait un long et vaste débat qui
aurait fait progresser la science politique et le droit constitutionnel ! Je
regrette que ce débat intéressant pour la République n'ait pas eu lieu.
En l'occurrence, nous assistons, une fois encore, à des manoeuvres
électoralistes - je suis désolé d'avoir à le dire, mais cela y ressemble
tellement ! - menées plus particulièrement par le parti socialiste, qui se
place clairement dans une logique de campagne électorale.
Les trois années du Gouvernement de M. Jospin ont été très chargées en ce
domaine. Il y a eu la limitation du cumul des mandats - ce n'est pas forcément
mauvais, mais encore faut-il l'appliquer ! Il y a eu la parité, il y a eu
l'élection des sénateurs.
Je relève au passage que le président de l'Assemblée nationale a déclaré que
le Sénat ne devait pas se mêler des élections à l'Assemblée nationale, car il
est de tradition que chaque assemblée garde sa liberté en ce domaine. Je
constate tout de même que l'Assemblée nationale s'est bougrement mêlée des
nôtres !
Au travers de ces différents textes, les objectifs sont les mêmes. Ils sont
politiques. Ils ont été poursuivis avec une grande constance. On les retrouve
encore aujourd'hui.
Il s'agit de renforcer l'hégémonie du parti socialiste. Si j'étais socialiste,
je ferais peut-être la même chose : encore faut-il ne pas trop le montrer, ou
bien alors l'admettre. On veut transformer le jeu politique pour se donner de
meilleures chances de conserver le pouvoir après l'avoir conquis
démocratiquement - c'est vrai de tous les partis, mais là, c'est
particulièrement flagrant.
A chaque fois, le discours officiel et les leçons de bonne conduite politique
serinées par le Gouvernement visent à cacher une arrière-pensée électoraliste
que même ici, malgré ce qu'on a dit ailleurs du Sénat, nous avons tous comprise
et que nous avons estimé devoir dénoncer.
Voilà quelques jours, notre éminent collègue Michel Charasse, citant une
anecdote tout à fait passionnante, a dit : « Ce n'est pas une banale loi
électorale, c'est une question d'ordre constitutionnel qui touche au
fonctionnement de nos institutions ; il faut savoir comment on veut gouverner
la France. » Je crois qu'il avait raison.
M. Bret, que je citerai de façon plus synthétique, a dit, pour sa part : «
C'est une réforme constitutionnelle et c'est une belle manoeuvre. »
Ayant ainsi rendu à César ce qui était à César, j'en reviens à mon propos.
Combien de fois n'avons-nous pas entendu le Gouvernement accuser le Sénat de
l'avoir empêché d'aller plus loin dans le projet visant à lutter contre le
cumul des mandats ? Or, aujourd'hui on entend la ministre de l'emploi et de la
solidarité, candidate à la mairie d'Avignon, annoncer sans sourciller qu'en cas
de victoire elle assumera ses fonctions de ministre et de maire. Si ce n'est
pas là du cumul, je ne comprends plus rien !
Alerté par l'utilisation de ces méthodes pour le moins curieuses - j'avais
écrit dans mon discours « sournoises », mais j'ai rayé parce que ce n'était pas
convenable - et à répétition, je m'interroge très sérieusement et objectivement
- j'espère que l'on n'en doute pas ! - sur les motivations du Premier ministre
lorsqu'il demande au Parlement de se prononcer, dans des conditions de
précipitation que j'ai rappelées tout à l'heure, sur la proposition de loi
relative à l'inversion du calendrier électoral.
Je me suis demandé pourquoi un petit nombre de collègues de l'opposition
nationale étaient favorables à l'inversion du calendrier. Je crois qu'ils
devraient réfléchir avant la deuxième lecture à l'Assemblée nationale !
Nous sommes en présence d'une proposition de loi organique, qui peut donc être
adoptée, faute d'accord avec le Sénat, à la majorité de l'Assemblée nationale,
et qui n'est pas passée par le filtre du Conseil d'Etat, ce que je déplore.
Il serait regrettable que ce calendrier, qui a été fortement compacté - c'est
pratiquement une sculpture de César, il n'y a plus de place ! - aboutisse à un
agrégat de voix si curieux et si contraire, me semble-t-il, à l'esprit de nos
institutions. On joue peut-être à l'apprenti sorcier. En tout cas, les
électeurs jugeront.
En ce qui me concerne, convaincu par la qualité du rapport de notre collègue
Christian Bonnet, par l'intelligence de sa proposition, je suivrai l'avis de la
commission des lois.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne
m'attacherai pas, ce matin, à faire l'exégèse de la Constitution pour savoir si
le texte qui nous est présenté en respecte l'esprit et la lettre. Sur le sujet,
le moment venu, le Conseil constitutionnel tranchera.
Je ne m'appesantirai pas non plus sur les arrière-pensées quelque peu
triviales qui semblent avoir guidé, en l'espèce, le Gouvernement. L'opinion est
maintenant bien informée et l'histoire tranchera finalement par le vote des
Français, l'an prochain.
Je ne me permettrai pas, enfin comme certains l'ont fait, d'interpréter la
Constitution, en me référant au prétendu esprit gaullien de celle-ci.
Je me contenterai de citer très largement - il ne m'en voudra pas - un «
gaulliste éclairé », un « gaulliste averti », dirai-je, qui a donné longuement
au Sénat son avis sur le caractère douteux et très probablement politicien de
toute velléité de prolonger un mandat électoral.
Cet « avis gaullien » est d'autant plus intéressant qu'il émane d'une
éminente personnalité du groupe socialiste. Je ne vous dirai son nom que tout à
l'heure, après vous avoir fait part de ses réflexions tout à fait pertinentes
sur le sujet.
Ce « gaulliste averti » que je vais avoir maintenant l'honneur de citer, en
espérant le faire avec le même souffle que lui alors, s'exprimait au printemps
1994, à cette tribune, à propos de la prolongation de la durée des mandats
municipaux.
Sans trahir en rien sa pensée, je me contenterai simplement de citer les
passages les plus clairvoyants et d'adapter les propos tenus dans ces
circonstances à la réforme que nous avons à examiner aujourd'hui : quand vous
entendrez les mots : « Lionel Jospin », c'était Jacques Chirac ; quand vous
entendrez « RPR », c'était « parti socialiste », et inversement.
Je commence la citation : « Dans la catégorie des manoeuvres politiciennes et
partisanes, ce projet de loi » - entendez, aujourd'hui, la proposition de loi
organique - « est un modèle du genre. (...)
« Selon le Gouvernement, ce texte ne se fonde que sur des impératifs
exclusivement juridiques, qui découlent du calendrier de la préparation de
l'élection présidentielle.
« Je m'empresse d'ajouter - ce que vous n'avouerez pas, monsieur le ministre
d'Etat - qu'il est d'abord et avant tout le produit d'arrière-pensées
politiques, et qu'il vous aura fallu des mois de tractations et de marchandages
pour arriver au résultat que vous nous présentez. (...)
« Monsieur le ministre, vous avez la réputation, qui n'est d'ailleurs pas
usurpée - et, dans ma bouche, n'y voyez aucune connotation péjorative - d'être
un habile manoeuvrier. (...)
« Ne vous étonnez pas, dès lors, que notre suspicion soit fondée et légitime.
J'ajoute d'ailleurs que nous ne sommes pas les seuls à penser cela.
« De façon on ne peut plus catégorique et péremptoire, vous déclarez qu'il n'y
a pas d'autre solution possible. (...)
« Pourtant, ces autres hypothèses existent, mais ils feignent de ne pas
s'apercevoir qu'ils maquillent une manoeuvre politique sous un habillage
juridique méticuleux.
« Une fois de plus, le Gouvernement entonne le même refrain, quel que soit le
sujet ou le projet : il n'y pas d'autre politique possible, il n'y a pas
d'autre solution envisageable ! (...)
« Admettre le report ou le non-report, comme vous l'avez fait depuis 1993 » -
entendez depuis 1997 - « c'est déjà reconnaître qu'il existe d'autres
possibilités et que s'est d'abord exprimée une préoccupation politicienne avant
ce qui est devenu pour vous une nécessité juridique.
« Si le Gouvernement était si sûr de son bon droit, celui de l'impératif
juridique, pourquoi a-t-il laissé s'engager des négociations, des tractations
au sein de la majorité ?
« Si telle était la réalité, monsieur le ministre d'Etat, connaissant l'estime
et l'amitié que vous portez à certains responsables de la majorité, on vous
aurait certainement entendu leur dire : "Désolé, chers amis, il n'y a rien à
négocier, c'est la loi !"...
« Monsieur le ministre d'Etat, tout cela démontre l'inanité de vos remarques
sur les motivations exclusivement juridiques de ce projet de loi.
« Il est encore plus grave de constater une fois encore que, lorsque la gauche
est au pouvoir, notamment avec le parti socialiste aux commandes » - vous
faites l'inversion - « elle se sert des institutions bien plus qu'elle ne les
sert ». (...)
« ... que les lois sont faites sur mesure non dans l'intérêt supérieur du
pays, mais pour servir des ambitions personnelles. (...)
« En la circonstance, pour arranger les affaires intérieures de la majorité,
dont l'union n'est qu'un vernis qui se craquelle chaque jour un peu plus,...
vous n'hésitez pas à "triturer" les rendez-vous des Français avec la
démocratie, et ce au nom de la tradition républicaine. Hélas ! pour vous, c'est
justement la tradition républicaine qui impose le respect des échéances
électorales et politiques ! (...)
« En fait, ce projet de loi » - entendez cette proposition de loi organique -
« ne vise qu'à satisfaire l'appétit de pouvoir et les ambitions d'un homme : M.
Jacques Chirac » - entendez M. Lionel Jospin. (...)
« Oui, j'affirme que c'est un projet pour les convenances personnelles de "M.
le Premier ministre", qui, sans jamais rien concéder, ne souhaite pas faire
deux campagnes électorales successives.
« Mais qu'il choisisse ! Qu'il crédibilise davantage sa volonté d'être
candidat à l'Elysée ! C'est légitime, on le comprend. (...)
« Quelqu'un d'autre "à gauche" disputerait-il à "M. Jospin" son siège et son
leadership
dans la "majorité » ? (...)
« En vérité, si "M. Jospin" ne veut pas faire deux campagnes, c'est au moins
pour deux raisons.
« D'abord, il veut négocier au prix le plus élevé le siège de premier
magistrat pour le cas où il entrerait à l'Elysée. D'ici là, gare à celui qui
entravera son chemin. Je ne cite personne, mais vous savez à qui je pense.
(...) »
« Ensuite, parce que son entrée à l'Elysée est loin d'être évidente, "M.
Jospin" ne veut pas tout perdre : conserver sa circonscription de
"Cintegabelle" serait sa consolation » (...)
« Vous auriez déclaré » - je cite encore - « de façon tonitruante, toujours
avec la même assurance et la même certitude, qu'aucun impératif ne nécessitait
le report des élections "législatives", qu'après un examen minutieux les
contraintes techniques, juridiques pouvaient être surmontées et ne
constituaient aucunement un argument déterminant en faveur d'une modification
du calendrier électoral. »
Les propos suivants, au regard du texte de 1994, sont très intéressants : «
Dans une démocratie vivante, la vie politique est rythmée par le calendrier
électoral. Vous affirmez que la concomitance des deux scrutins est de nature à
brouiller le débat essentiel, et j'ajoute, sans être mathématicien, que
l'inversion des facteurs ne change pas l'équation.
« Pourquoi feindre d'oublier que, dans notre système institutionnel, la durée
inégale des mandats électifs amène immanquablement ce type de coïncidence, de
télescopage ? Et si le Conseil constitutionnel, comme l'a rappelé M. le
"ministre" a, à plusieurs reprises, validé les reports et modifications du
calendrier électoral, c'est parce qu'il a toujours tenu compte de ces éléments
incontournables.
« Vous-même, dans votre exposé des motifs, que dites-vous, "monsieur le
ministre" ? : "La succession à des dates rapprochées de deux consultations de
nature très différente ne peut qu'être nuisible à la clarté de l'expression du
suffrage universel par les effets d'influences réciproques ainsi induits." Quel
aveu ! (...)
« Vous avouez, parce que vous reconnaissez que c'est bien l'élection
présidentielle qui a des effets d'influence sur les élections "législatives" et
non l'inverse.
« C'est l'un des signes les plus manifestes de la faiblesse de votre
argumentation, c'est là que le bât blesse. Vous voulez doubler la mise
électorale : vous pensez qu'en reportant les élections "législatives" l'onde de
choc de l'élection présidentielle sera telle que "la gauche" touchera le gros
lot à ces élections "législatives" ! » (...)
« Si, avec un tel pari, nous ne connaissons pas encore le vainqueur, nous
savons déjà qui sera la grande perdante » : la démocratie.
M. Daniel Goulet.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
« Vous faites disparaître un grand moment civique, les élections
"législatives", derrière l'autre grand moment civique, l'élection
présidentielle... (...)
« En effet, après le matraquage de la campagne présidentielle, les Français
n'auront ni le temps ni la possibilité, et encore moins l'envie, de
s'intéresser aux élections "législatives", alors que chacun sait qu'ils leur
accordent une place privilégiée... (...)
« Vous auriez pu trouver, monsieur le "ministre", un autre argument que celui
sur lequel vous avez bâti votre démonstration. La faiblesse de votre
argumentation est patente, évidente. Etonnez-vous, après cela, que votre projet
n'emporte pas notre conviction !
« Sans pour autant approuver l'idée de report des élections "législatives",
mais pour vous prouver, si besoin est, que vos motivations sont d'ordre
politique, voire politicien, je vais me placer, un instant, sur votre
terrain.
« Supposons qu'il soit nécessaire de reporter les élections "législatives". Il
existe d'autres solutions, plus conformes aux règles et principes en vigueur !
Vous avez déclaré que le Conseil constitutionnel a validé, à plusieurs
reprises, le report des élections pour des circonstances exceptionnelles. » Il
n'a jamais été saisi sur ce point précis. « Il n'y a donc pas de jurisprudence,
et l'insécurité juridique dont certains ont fait état n'est que pure
spéculation intellectuelle.
« S'il avait voulu respecter le calendrier électoral, le Gouvernement aurait
pu proposer la tenue des élections législatives » à la mi-mars 2001.
Réduire de deux ou trois semaines le mandat législatif aurait été plus
judicieux. « Même le Conseil d'Etat aurait admis que nécessité fait loi et qu'à
titre exceptionnel le Gouvernement était fondé à agir ainsi. (...)
« Ajouterai-je que cette solution, acceptable par tous, n'aurait fait l'objet
d'aucun recours devant le Conseil constitutionnel ? » (...)
« Voilà, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, deux autres solutions
possibles, réalisables, conformes à l'esprit et à la lettre de la Constitution
et préservant l'intérêt général. D'ailleurs, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il
pas voulu les retenir et encore moins les explorer » s'il n'était animé
d'aucune arrière-pensée politique ?
« S'il est un sujet qui se prête à une concertation élargie, c'est bien
celui-là. Or, vous ne l'avez pas voulue, et pour cause ! Vous portez ainsi un
coup préjudiciable au bon déroulement de notre vie démocratique... » (...)
« Vous savez également que votre "proposition" de loi engendrera des
difficultés insurmontables au moment où il faudra faire la part de ce qui
relève de la campagne présidentielle de ce qui a trait aux élections
"législatives". (...) D'ailleurs, nous reviendrons sur ce point lors de
l'examen des amendements », ajoutait l'auteur de ces lignes.
« Au terme de ce propos, mes chers collègues, je veux réaffirmer que ce ne
sont que des préoccupations politiciennes et des considérations purement
tactiques qui motivent le texte qui nous est présenté. (...)
« Il espère tirer profit aux "législatives" de la dynamique de la victoire de
l'un des siens à l'élection présidentielle. (...)
« Oui, vos actes contredisent vos pensées. Votre proposition de loi mériterait
de s'intituler : "Citoyens, prenez garde, une élection peut en cacher une
autre".
« On sait d'expérience que l'année de l'élection présidentielle politise tous
les autres événements. En fixant les "élections législatives" quelques jours
après l'élection présidentielle, votre calcul est purement politicien. C'est
une habileté manoeuvrière.
« On ne peut même pas dire que vous apportez une mauvaise solution à un vrai
problème. La seule contrainte n'était pas insurmontable, loin s'en faut, et
c'est parce que ce dossier est indéfendable, monsieur le "ministre", qu'en la
circonstance, permettez-moi de vous le dire, vous êtes un mauvais avocat. Même
pour des causes perdues d'avance, vous nous avez habitués à plaider avec
davantage de brio. (...)
«Vous ne semblez plus, depuis quelque temps, avoir emprunté le chemin de la
victoire. Si vous étiez si confiants, vous n'auriez pas eu besoin de recourir à
de telles manipulations. Les insuccès et les reculs » - quelle pertinence ! - «
toujours plus évidents du Gouvernement ne vous qualifient pas pour être sûrs et
dominateurs comme vous l'êtes.
« S'il est une manipulation que vous ne pourrez pas accomplir, c'est celle de
contrarier la volonté d'une majorité de Français qui s'opposent et s'opposeront
davantage à votre politique. Plus nombreux sont, chaque jour, celles et ceux
qui mesurent les conséquences et les méfaits de votre gestion. (...)
« Vous voulez, monsieur le "ministre", nous tendre un piège. Pénétrez-vous de
cette idée : plus vous finassez, plus vous nous stimulez.
« Avec d'autres, nous saurons tirer tous les avantages de ces mesures néfastes
que représentent aussi bien cette modification du calendrier électoral que
l'ensemble de votre politique. »
Je termine là cette longue citation, mais je pourrais continuer.
J'ajoute cependant que ce discours, dont on peut lire le texte original dans
le
Journal officiel
du Sénat relatant les débats de la séance du 7 juin
1994, aux pages 2239 à 2243, avait été salué par des bravos et des
applaudissements sur les travées socialistes et communistes. Mais qui a
prononcé, en 1994, cette diatribe si pertinente pour le dossier dont nous
discutons aujourd'hui ?
Eh bien, ce n'est autre que notre collègue Guy Allouche, auquel je me permets
d'adresser mes félicitations pour la magnifique facture prophétique de son
texte d'alors, un texte aujourd'hui quasi septennal qui m'a interdit toute
oeuvre originale.
(Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
J'ai simplement remplacé, notamment, les
mots « municipales » par « législatives », « ministre d'Etat » par « ministre
», « Chirac » par « Jospin », « RPR » par « parti socialiste » et « Paris » par
« Cintegabelle » !
A l'évidence, mes chers collègues, tout cela pourrait nous amener à une autre
théorie sur la relativité.
(Sourires.)
Mais nous ne nous sommes pas
écartés de la réalité du débat qui nous rassemble aujourd'hui : tout cela,
c'est du bricolage pour élection, et c'est inacceptable.
Voilà pourquoi les membres du groupe du Rassemblement pour la République,
s'appuyant sur les réflexions de notre collègue socialiste M. Guy Allouche,
diront : « non » à l'inversion du calendrier électoral.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat
organisé aujourd'hui me paraît empreint d'un opportunisme politique sans
précédent.
En effet, nous sommes réunis pour nous prononcer sur la proposition de loi
organique visant à inverser le calendrier électoral de 2002 en prolongeant les
pouvoirs de l'Assemblée nationale jusqu'au troisième mardi de juin 2002, au
lieu du premier mardi d'avril, afin que la prochaine élection présidentielle
ait lieu avant les élections législatives.
Je me suis interrogé. Dans un Etat de droit, la pratique est-elle de changer
les règles électorales aussi près de l'échéance ? La réponse est non. Pourquoi
vouloir inverser le calendrier électoral ? Existe-t-il une justification
d'ordre constitutionnel qui m'aurait échappé ? La réponse est encore non,
surtout après l'excellent exposé de notre collègue René Garrec.
Afin de tenter de donner quelque noblesse à ce qui n'est rien d'autre qu'une
manoeuvre électorale, les partisans du vote de cette loi organique se réfèrent
à l'esprit des institutions, qui commanderait, dit-on, de commencer par
l'élection présidentielle pour continuer par les élections législatives.
Le vote de cette loi organique ne se justifie nullement. J'irai même plus loin
: cette proposition de loi n'est qu'une pure mesure de convenance politique, et
ce à trois égards : elle ne dispose d'aucun fondement constitutionnel ; elle
remet en cause la nature même de nos institutions ; elle n'a pour unique but
que d'arranger le calendrier électoral en faveur du Premier ministre et du
parti socialiste !
Je tiens, tout d'abord, à rappeler le profond respect que j'attache à la
constitution de la Ve République.
Les valeurs définies par la Constitution se placent à la tête des valeurs
juridiques normatives. Il en résulte que tous les organes législatifs et
exécutifs de notre pays, tous les citoyens, toutes les personnes physiques et
morales qui séjournent sur le territoire de notre pays, toutes les communautés
humaines doivent les respecter.
Je pense qu'il est important de rappeler à certains l'intangibilité de la loi
fondamentale et l'importance qu'il y a à protéger de manière impérative ses
dispositions dans la mesure où la proposition de loi organique qui nous est
aujourd'hui soumise ne dispose d'aucun fondement constitutionnel.
Il n'est écrit nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle
doit avoir lieu avant les élections législatives. Chaque élection doit
intervenir lorsque son échéance naturelle survient. Les élections législatives
doivent avoir lieu aux dates définies à l'article L.O. 121 du code électoral,
c'est-à-dire dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la
cinquième année qui suit l'élection, comme c'est le cas depuis 1958.
A ce propos, je tiens à souligner que les élections législatives ont déjà
précédé l'élection présidentielle à trois reprises, et ce de manière tout à
fait normale : premièrement, les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection
présidentielle le 21 décembre 1958, soit un mois après la naissance de la Ve
République ; deuxièmement, les 23 et 30 juin 1968, pour une élection
présidentielle les 1er et 15 juin 1969 ; troisièmement, les 4 et 11 mars 1973,
pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai 1974.
Que les élections législatives interviennent avant l'élection présidentielle
s'est donc déjà produit durant la Ve République. Cette situation est tout à
fait normale, d'autant qu'aucun événement dans la vie politique de notre pays
n'est intervenu. Il n'y a, en la circonstance, aucun caractère exceptionnel qui
nécessiterait, contrairement à ce que le Premier ministre a affirmé dans son
discours devant l'Assemblée nationale, le 19 décembre dernier, de « rétablir le
calendrier normal quand il est encore temps ».
Je relève, à ce propos, que les expressions employées par le Premier ministre,
parlant de « rétablissement » ou disant encore « si le calendrier électoral est
remis sur pieds », sont révélatrices d'un véritable jugement de valeur qui vise
à nous faire croire qu'il existe un problème dans le calendrier électoral. En
l'espèce, il n'est pas nécessaire de revenir à une situation qui existait
auparavant, il s'agit d'appréhender une situation à venir.
Je le répète, les élections législatives sont déjà intervenues avant
l'élection présidentielle, et ce à trois reprises. C'est une situation normale.
En conséquence, la proposition de loi organique qui nous est soumise
aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la Constitution, qui ne définit, ni
en pratique, ni en théorie, l'ordre des élections.
En outre, cette proposition de loi organique est inutile et touche le coeur
même de nos principes constitutionnels.
Il est, en effet, parfaitement inutile de modifier le calendrier électoral,
puisque celui-ci est, en réalité, commandé par des éléments d'ordre
constitutionnel que la loi organique ne peut en aucun cas modifier : droit de
dissolution, démission ou décès du Président de la République.
Si cette proposition de loi organique est adoptée et que le Président de la
République dissout l'Assemblée nationale, démissionne, ou décède quelque temps
après son élection, que se passera-t-il ? Le calendrier électoral sera de
nouveau modifié.
Le débat nous conduit donc à nous interroger sur le droit de dissolution
auquel le Gouvernement s'en prend, oubliant qu'il est inscrit dans l'article 12
de la Constitution.
Affirmer qu'en cas de dissolution les élections législatives auraient lieu
après l'élection présidentielle reviendrait à faire dire à la Constitution ce
qu'elle ne dit pas.
En effet, la Constitution précise qu'en cas de dissolution les élections
législatives doivent, en vertu de l'article 12, obligatoirement intervenir dans
un délai de vingt jours au moins et quarante jours au plus à compter de la date
de la dissolution. Cet article détermine le moment auquel les nouvelles
élections législatives doivent avoir lieu. En conséquence, la loi organique ne
peut pas changer le moment des élections législatives sans porter gravement
atteinte à la Constitution.
Si le Gouvernement veut, dans le cas où l'élection présidentielle et les
élections législatives auraient lieu la même année, que l'élection
présidentielle précède les élections législatives, cela est possible, mais
seulement à condition d'intégrer ce principe dans notre Constitution. Or, si
nous le faisons, se posera un autre problème, celui de l'incompatibilité de ce
principe avec le droit de dissolution. Les élections législatives doivent, je
le rappelle, en vertu de l'article 12 de la Constitution, intervenir dans un
délai de vingt jours au moins et de quarante jours au plus à compter de la date
de la dissolution. Le droit de dissolution est donc susceptible de changer le
calendrier électoral à tout instant.
L'intégration de ce principe dans notre Constitution serait également
incompatible avec le droit qu'a le Président de démissionner et avec
l'éventualité de son décès. Ce serait complètement surréaliste, puisqu'il
faudrait interdire la mort du Président, sa démission et son droit de dissoudre
l'Assemblée nationale !
La proposition de loi organique ne peut en aucun cas constituer une garantie
de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances électorales. Personne ne peut
programmer à sa guise le calendrier électoral, c'est absurde !
Maintenant, admettons la théorie selon laquelle l'élection présidentielle doit
intervenir avant les élections législatives. Pour que cette théorie soit
applicable, deux mesures seraient à mettre en oeuvre.
Il faudrait tout d'abord supprimer l'article 12 de la Constitution, qui
prévoit le droit de dissolution. En effet, le maintien de ce droit permettant
au Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale, les élections
législatives balaieraient alors l'inversion.
Il faudrait ensuite élire, en même temps que le Président de la République, un
vice-président, comme cela se fait dans d'autres pays, de façon à assurer la
présidence jusqu'au terme du mandat électoral du Président en cas de démission
ou de décès de celui-ci. Mais cela ne correspond en aucun cas à la Constitution
de 1958 ; ça, c'est une autre République !
De surcroît, cette proposition de loi organique porte atteinte aux pouvoirs
propres du Président de la République à travers son atteinte au droit de
dissolution. Je tiens à rappeler l'alinéa 1er de l'article 12 de notre
Constitution : « Le Président de la République peut, après consultation du
Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de
l'Assemblée nationale. »
Cet article est très clair. Il fait du droit de dissolution une prérogative
personnelle du Président de la République. Il revient donc à ce dernier de
décider discrétionnairement s'il doit ou non faire usage de ce droit, dont
l'exercice n'est subordonné à aucune condition de fond il est subordonné
seulement à des conditions de forme, mais elles sont pratiquement
négligeables.
Quant à la forme, le Président de la République doit, avant de prononcer la
dissolution, consulter le Premier ministre, le président du Sénat et celui de
l'Assemblée nationale, mais il n'est nullement tenu de suivre leur avis.
S'agissant du pouvoir propre du Président, le décret de dissolution n'a pas à
être contresigné par le Premier ministre. Ce qui caractérise le droit de
dissolution prévu par l'article 12, c'est qu'il constitue pour le Président de
la République un pouvoir propre et effectif, une prérogative personnelle. Or
cette proposition de loi organique occulte totalement cette prérogative
présidentielle.
Le Président de la République dispose du droit de fixer le calendrier
électoral. Ce droit découle purement et simplement de son droit de dissolution.
En conséquence, cette proposition de loi organique remet en cause une
prérogative personnelle du Président de la République, c'est totalement
inconstitutionnel !
Les élections législatives doivent précéder l'élection présidentielle en 2002
en raison de la dissolution survenue en 1997. La proposition de loi organique
visant à inverser cet ordre constitue un report sans précédent dans l'histoire
de la Ve République, qui aura pour conséquence la prolongation du mandat des
députés sortants. Est-il logique que les députés prennent eux-mêmes la décision
de proroger leur propre mandat ? Un événement particulier est-il survenu pour
justifier que soit prise une telle mesure ? N'y a-t-il pas ici une atteinte
flagrante à la démocratie ? N'en déplaise à certains, admettre ce principe
ouvre la porte à de multiples abus.
L'article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique pour fixer « la
durée des pouvoirs de chaque assemblée. » Il n'autorise en aucun cas à faire
varier les différentes législatures en fonction des
desiderata
de ses
membres ! La loi organique fixe une durée invariable du mandat législatif, et
non variable comme le dispose l'objet de la proposition de loi que nous
étudions aujourd'hui.
Par ailleurs, comme l'a brillamment démontré M. Louis Favoreu lors de son
audition devant la commission des lois mardi 9 janvier dernier, la réforme
entreprise va à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si le Conseil constitutionnel a accordé des reports de dates d'élections, par
des décisions intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles et en 1996,
celles-ci concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées
locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les
trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière. En
conséquence, les enseignements que l'on peut tirer de ces décisions
s'appliquent
a fortiori
à la prorogation du mandat de l'Assemblée
nationale.
Or le Conseil constitutionnel a, chaque fois, validé la démarche en la
subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère
exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle
justification. Les motifs retenus par le Conseil constitutionnel ont été, par
exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité
de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec
une réforme du statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux
informés des conséquences de leur choix. Cette jurisprudence étant bien entendu
transposable au cas d'une élection nationale, le Conseil constitutionnel serait
donc amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification
proposée.
En outre, l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel, dans ses
recommandations du 23 juillet 2000, aurait donné par avance une justification à
l'inversion du calendrier est récusée par M. Louis Favoreu, qui estime que la
seule préoccupation du Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date
limite de présentation des candidats, peut être parfaitement satisfaite par une
fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une
clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit,
pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Le vote de cette proposition de loi organique ne dispose d'aucun fondement
constitutionnel, contrairement à ce que ses partisans veulent essayer de nous
faire croire. Elle ne repose que sur des arguments inconstitutionnels :
suppression du droit de dissolution et de démission du Président de la
République, sans oublier l'interdiction de son décès, mais encore atteinte aux
pouvoirs propres du Président de la République et prorogation sans aucune
justification du mandat des députés sortants. D'ailleurs, évoquer l'esprit d'un
texte pour justifier son bien-fondé, c'est avouer que sa lettre est muette sur
le point débattu.
Outre les arguments inconstitutionnels sur lesquels cette proposition de loi
organique est fondée, celle-ci soulève un problème grave, qui touche à la
nature même de notre régime.
Afin de comprendre les raisons pour lesquelles cette proposition de loi
organique porte atteinte à la nature même de notre régime, je tiens à rappeler
sa nature sous la Ve République.
Le régime de la Ve République présente un caractère mixte, à la fois
parlementaire et présidentiel : les emprunts au régime parlementaire sont
d'autant plus nombreux que c'est un tel régime que les constituants ont voulu
établir. Ils ont donc inscrit dans l'article 49 de la Constitution, ainsi alors
qu'ils étaient tenus par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, la règle
fondamentale du régime parlementaire en prévoyant que le Gouvernement était
responsable devant l'Assemblée nationale. Ils ont fait du Gouvernement un
organe collégial et solidaire. Ils ont organisé sa collaboration constante avec
les assemblées sur le plan législatif. Ils ont soumis le Président de la
République à l'obligation du contreseing pour certaines de ses décisions. Ils
lui ont attribué un pouvoir propre, le droit de dissolution, qui est tout à
fait significatif puisqu'on ne le trouve jamais dans un pouvoir présidentiel.
Ainsi, il existe des éléments incontestables de rattachement de la Ve
République au régime parlementaire.
Mais la Ve République a également réalisé des emprunts au régime
présidentiel.
La Constitution a nettement séparé mandat parlementaire et fonctions
ministérielles, et la révision de 1962, en faisant du Président l'élu direct
des électeurs, lui a assuré une autorité peu compatible avec le rôle qui est
celui du chef de l'Etat dans les régimes parlementaires contemporains.
Mais l'essentiel réside dans le fait que le Président de la République s'est
saisi de la plénitude du pouvoir, qu'il fixe les objectifs que le Premier
ministre est chargé de réaliser, qu'il contrôle les moyens que ce dernier
emploi, à cet effet, qu'il s'est attribué le premier rôle et qu'aucun titulaire
de la fonction n'y a renoncé.
Il faut ajouter que le Président de la République, s'il y a convergence
d'orientation politique entre la majorité et lui-même, peut choisir le Premier
ministre librement, qu'il participe au choix des ministres, leur adresse ses
instructions, qu'il convoque le Conseil des ministres, s'adresse à la nation,
prend des décisions et engage l'Etat, au moins dans certains domaines et,
notamment, dans celui de la politique étrangère, indépendamment du
Gouvernement. On est là très loin du régime parlementaire. Alors que celui-ci
associe constamment autorité et responsabilité, sous la Ve République, le
Gouvernement responsable ne dispose pas du pouvoir ultime et le Président qui
en dispose est irresponsable.
La Ve République participe donc à la fois d'un régime parlementaire et d'un
régime présidentiel. Elle possède un caractère mixte.
La question que pose cette proposition de loi organique est donc de savoir si
l'on souhaite mettre fin à la Ve République pour créer une nouvelle République.
Pour ma part, je pense que nous disposons de bonnes institutions qui ont
démontré leur valeur depuis 1958. Or quelles seraient les conséquences de cette
proposition de loi organique si ce n'est une modification de la nature du
régime de la Ve République ?
Dans son audition par la commission des lois, le mardi 9 janvier dernier, M.
Pierre Pactet a montré que cette proposition de loi organique conduirait à la
présidentialisation de notre régime. En effet, se prononçant contre un
changement de régime, il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un
régime présidentiel, puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de
l'inversion du calendrier électoral, rappelant ensuite que le régime
présidentiel ne fonctionnait que dans un seul pays, les Etats-Unis.
De même, pour certains membres de la majorité plurielle, la conséquence serait
une présidentialisation du régime de la Ve République. Les opposants au vote de
cette proposition de loi organique, membres de la majorité plurielle, affirment
que vouloir volontairement modifier le calendrier électoral en faisant passer
l'élection présidentielle avant les élections législatives conduirait à
conférer un caractère mineur aux élections législatives au profit de l'élection
présidentielle, mise sur un piédestal. La démocratie s'en trouverait alors
gravement compromise.
En effet, l'élection présidentielle pousse à la bipolarisation de la vie
politique. Chacun s'organise autour de personnalités dites présidentiables.
Faire passer l'élection présidentielle avant les élections législatives
conduirait à la bipolarisation de l'élection des députés jusqu'alors épargnée
par ce jeu politique. Les députés, choisis en fonction de leur proximité avec
le Président, se verraient relégués à un rôle d'auxiliaire du pouvoir exécutif
disposant de l'essentiel des pouvoirs, ce qu'ils trouvent inquiétant pour la
démocratie.
D'autres membres de la majorité plurielle, favorables à la présidentialisation
du régime, sont partisans du vote de cette proposition de loi dans la mesure où
elle permettait de maintenir le temps fort que constitue l'élection
présidentielle. En maintenant les élections législatives avant l'élection
présidentielle, ils redoutent un second tour qui opposerait deux candidats,
dont l'un serait, s'il était élu, soutenu par une majorité au sein de
l'Assemblée nationale, tandis que l'autre serait
a priori
« empêché »
par une majorité hostile. Cela conduirait à diminuer le prestige de l'élection
présidentielle et à accepter par avance que les députés prennent le pas sur le
Président de la République.
Cette proposition de loi organique touche donc à la nature même de notre
régime, qui a jusqu'à présent bien fonctionné, en permettant la stabilité des
institutions et de l'exercice des pouvoirs. Je ne puis affirmer fermement
qu'elle conduira vers une présidentialisation du régime. Ce que je puis
affirmer, c'est que les institutions de la Ve République seront affectées d'une
manière ou d'une autre. Comme l'a parfaitement souligné M. Louis Favoreu lors
de son audition devant la commission des lois, il est préférable de toucher le
moins possible aux institutions, car les conséquences de telles réformes sont
difficiles à prévoir. Gardons-nous de prendre ce risque. Les institutions de la
Ve République sont bonnes et précieuses.
Maintenant, poussons le raisonnement plus loin. L'unique défaut que je relève
dans le régime de la Ve République est le risque de cohabitation. Les partisans
de la proposition de loi organique que nous étudions aujourd'hui nous affirment
que celle-ci permettra à l'avenir d'éviter la cohabitation. Je n'en crois rien.
Si l'on veut établir une garantie absolue contre la cohabitation, il est
nécessaire de changer de constitution.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois.
Deux options s'ouvrent alors à nous : bâtir une constitution calquée sur le
modèle de la IIIe République, confinant le Président de la République dans un
rôle secondaire, et revenant à un régime purement parlementaire, ou bien bâtir
une constitution sur le modèle américain en instituant un régime présidentiel,
ce qui implique la suppression du poste de Premier ministre, du droit de
dissolution et de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée
nationale.
Nous connaissons tous les dérives qu'a connues le régime parlementaire de la
IIIe République. Quant au régime présidentiel, je m'interroge sur la façon dont
serait résolu un conflit qui pourrait survenir entre le Président de la
République et l'Assemblée nationale.
Il s'agit bien de l'un des enjeux de cette proposition de loi organique : la
modification de la nature même de notre régime politique !
Ne nous y laissons pas prendre : cette proposition de loi organique, outre le
fait qu'elle méprise la Constitution de 1958 et porte atteinte à la nature même
de nos institutions, n'est qu'une pure magouille politique. N'ayons pas peur
des mots ! Derrière un argument institutionnel se cache la véritable raison
d'être de cette proposition de loi organique : une pure mesure de convenance au
service de l'ambition électorale du Premier ministre et du parti socialiste.
Cette proposition de loi organique n'est que le fruit d'un pur calcul
politicien. Le Premier ministre déclarait le 19 octobre dernier : « Toute
initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire
politicienne. Moi, j'en resterai là. », c'est-à-dire au calendrier prévu. Cette
déclaration m'interpelle. Pourquoi, tout d'abord, le Premier ministre et son
gouvernement tiennent-ils tellement à cette réforme, alors qu'ils s'étaient
prononcés contre quelques mois auparavant ? Pourquoi ce revirement ? Et
maintenant, pourquoi le Premier ministre intervient-il, en soutenant, comme il
l'a fait dans son discours du 19 décembre dernier, cette proposition de loi
organique ?
Lors de sa déclaration, le Premier ministre affirmait : « Il a donc été
proposé de rétablir le calendrier normal quand il était encore temps. Je
partage cette conviction. » Pourquoi le Premier ministre a-t-il changé d'avis ?
Qu'a-t-il bien pu se passer dans son esprit ? Je m'interroge. Est-ce pour un
motif d'intérêt général que le Premier ministre a soudainement trouvé mieux de
faire passer les élections législatives avant l'élection présidentielle ? Je ne
crois pas. Serait-ce pour un motif d'ordre institutionnel ? Non, je vous l'ai
démontré tout à l'heure. Un événement important dans notre vie politique,
susceptible d'amener à changer le calendrier électoral, est-il survenu ? La
réponse est encore non. Cette initiative peut-elle être interprétée de façon
politique, voire politicienne - je reprends l'expression même du Premier
ministre ? Oui, simplement parce qu'elle constitue bel et bien une basse
manoeuvre de politique politicienne.
A ce propos, je ne comprends pas comment M. Jospin, qui rappelait récemment
qu'il n'avait pas approuvé la Constitution soumise à référendum en 1958, ose
maintenant s'ériger en prétendu défenseur de celle-ci. C'est quand même
paradoxal !
M. Patrick Lassourd.
Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois.
Si la réforme vise réellement un but légitime d'ordre institutionnel, pourquoi
n'a-t-elle pas été proposée plus tôt ?
Cela fait presque quatre ans que le Gouvernement socialiste est en place. Il
savait, depuis 1997, que les prochaines élections législatives se tiendraient
avant l'élection présidentielle. Il a eu largement le temps de réfléchir à la
nécessité d'organiser un débat sur l'avenir de nos institutions, loin des
contingences électorales. C'est avec intérêt que nous aurions participé au
débat, afin de déterminer si nos institutions devaient évoluer et, si oui, dans
quel sens.
Comme par hasard, le Gouvernement n'avait jamais évoqué le sujet. Et puis,
voilà quelques semaines, le Premier ministre a soudain été pris d'une
illumination. Il annonce « comme un cheveu sur la soupe », qu'il serait bon que
l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Comme l'affirmait, mardi 9 janvier dernier, M. Louis Favoreu, dont je partage
la conviction, le droit doit encadrer la vie politique et la réforme des
institutions ne doit pas être utilisée pour réaliser des « coups politiques
».
Nous ne sommes pas dupes de ce type de manoeuvres électorales. Les Français
sont intelligents et voient clairement le subterfuge. Le résultat de l'adoption
de cette loi organique, si elle est votée, sera d'assurer tranquillement au
Premier ministre qu'il sera le candidat du parti socialiste au premier tour de
l'élection présidentielle.
Il est, certes, bien plus facile d'adapter les règles du jeu à sa façon pour
s'assurer les plus grandes chances de succès aux élections.
Je tiens par ailleurs à saluer le grand courage politique dont a fait preuve
le Gouvernement en la matière ! Je remarque qu'il n'a pas pris la
responsabilité de déposer un projet de loi, évitant ainsi un examen du texte
par le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres, sous la
présidence du Président de la République.
De plus, un projet de loi aurait comporté un exposé des motifs clair
permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est
absolument pas le cas de la proposition de loi organique qui nous est soumise,
dont les motifs avancés demeurent diffus, qu'il s'agisse du respect d'une
logique institutionnelle de la Ve République ou de la mise en cohérence avec la
réforme du quinquennat. A ce propos, M. Louis Favoreu a estimé que le Conseil
constitutionnel pourrait être conduit à émettre de sérieuses réserves sur le
texte après avoir exercé un contrôle des motifs, considérant qu'on ne pouvait
pas modifier une loi organique sans justification précise.
Le 19 décembre dernier, le Premier ministre déclarait à propos d'une réflexion
plus large sur l'avenir de nos institutions : « Ce débat, nous ne pourrons pas,
aujourd'hui, le mener à terme. Il devra être repris et approfondi, justement en
2002, afin que puisse être conduite une réforme positive de nos institutions.
»
Cette déclaration m'inspire deux remarques.
La première est que le Premier ministre avoue lui-même qu'un vrai débat sur
l'avenir de nos institutions ne peut être mené correctement aujourd'hui, car
nous ne disposons pas du temps nécessaire.
En tout état de cause, si la question de la réforme de la Constitution doit se
poser, elle doit être étudiée dans le calme et la sérénité. Il est nécessaire
d'entamer un grand débat national au cours duquel nous prendrons le temps
d'analyser en profondeur les différentes questions étudiées afin d'apporter les
réponses les plus cohérentes dans l'intérêt du fonctionnement de nos
institutions.
La seconde réflexion que m'inspire cette déclaration repose sur le cynisme qui
consiste à proposer l'ouverture d'un débat en 2002, c'est-à-dire après les
élections. Comme par hasard, me direz-vous !
C'est tout de même paradoxal ! Soit il fallait ouvrir le débat voilà quatre
ans, soit il fallait attendre la fin des échéances électorales de 2002, mais en
tout cas, ne pas poser la question aujourd'hui, en nous soumettant cette
proposition de loi organique.
Et quand le Premier ministre ajoute : « Mais il n'est pas interdit d'amorcer
dès maintenant cette réflexion », je réponds que l'avenir de nos institutions,
compte tenu de l'importance du thème, mérite bien mieux qu'une amorce de
réflexion, et qu'un véritable débat doit être organisé en profondeur et dans la
sérénité.
En conclusion, je dirai qu'il ne faut pas s'y laisser prendre. Cette
proposition de loi organique n'est qu'une pure réforme de convenance. Derrière
son habillage institutionnel, elle n'a d'autres inspirations que des
arrière-pensées politiciennes.
Non seulement elle n'est pas conforme à nos institutions, contrairement à ce
que ses partisans prétendent, mais en outre cette proposition de loi organique
remet en cause la nature même de notre régime politique.
Ainsi, à titre personnel, et pour permettre aux députés nouvellement élus de
pouvoir parrainer en toute connaissance de cause et dans un délai satisfaisant
la candidature de leur choix à l'élection présidentielle, je voterai les
amendements proposés par notre excellent rapporteur, dont l'exposé magistral
m'a convaincu.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici
donc engagés une fois de plus dans un de ces débats truqués et tronqués dont
notre vie politique est, hélas ! trop friande et auxquels nous, hommes
politiques, sommes trop prompts peut-être à nous y soumettre, donnant
l'impression que nous nous en satisfaisons, sous l'oeil mi-éberlué,
mi-goguenard de nos concitoyens, qui, eux, voient parfaitement combien ces
débats sont éloignés de leurs préoccupations quotidiennes.
Nous étions, voilà peu, un certain nombre à mettre en garde contre les risques
que courraient notre vie politique, notre démocratie et la Ve République, pour
avoir voulu ouvrir, en quelque sorte, la boîte de Pandore de la réforme des
institutions, au prétexte fallacieux de vouloir paraître moderne !
Voter le quinquennat, même si on pouvait y trouver quelques bonnes raisons,
c'était le premier temps de la valse. Nous voici invités à traiter du deuxième
temps, qui viserait, nous dit-on, à rétablir une logique, en fait une
pseudo-logique dans la séquence des élections. Quel sera le troisième temps et
les éventuels suivants ?
Personne ne semble pouvoir sérieusement le dire, puisque, à l'évidence, toutes
ces réformes ne sont initiées qu'au petit bonheur la chance, au gré des
circonstances, des rumeurs, des suppositions sur les avantages électoraux que
tel ou tel croit pouvoir en espérer ! Décidément, plus ça change et plus c'est
la même chose !
Il me revient en effet ce propos d'André Malraux dans le discours qu'il avait
prononcé au palais des Sports le 15 décembre 1965 : « Je n'ai rien contre les
politiciens. Ils ne sont pas particuliers à la Ve République, ils ont peu
changé depuis la Grèce. En gros, ils forment, depuis des siècles, un club des
négociateurs. Aux objectifs historiques - donc à long terme - ils substituent
toujours l'objectif immédiat, c'est-à-dire, dans les temps modernes, électoral.
»
Et c'est bien de cela, mes chers collègues, qu'il s'agit, comme l'a d'ailleurs
remarqué Jean-Patrick Courtois à l'instant !
En effet, jusqu'à son intervention du 19 décembre dernier à l'Assemblée
nationale, M. le Premier ministre, sans doute trop affairé par les lourdes
obligations de sa charge, ne s'était pas aperçu du caractère, qu'il a qualifié
de fortuit, du calendrier électoral qui veut que, en effet, nous devrions
d'abord élire les députés, puis le Président de la République. Ce calendrier,
qu'il considère comme aberrant, résulte, avoue-t-il, de deux aléas dont on a du
mal à comprendre qu'il ne se soit pas aperçu plus tôt : M. Jospin se souvient,
en effet, soudain que le président Pompidou est mort en 1974 et que la dernière
dissolution est intervenue il y a trois ans et demi !
Pourquoi ne nous en a-t-il rien dit lors du débat du printemps dernier sur le
quinquennat ? Ou bien il ne s'en était pas aperçu et ce serait bien léger, je
ne lui ferai pas l'offense de l'imaginer ; ou bien il ne pensait pas, à
l'époque, avoir besoin d'un stratagème visant à changer la règle du jeu ; ou
bien, pire encore, il y avait déjà pensé, mais il le cachait, se réservant
d'attendre un moment plus propice pour mieux masquer la turpitude et la rendre
plus digeste à une opinion publique qui risquait d'être sceptique.
Dans l'une ou l'autre hypothèse, c'est bien d'une réforme de circonstance
qu'il s'agit et, comme toujours, c'est la vie démocratique qui en souffre !
Je ne suis pas le seul à penser de la sorte. Nos collègues communistes et
socialistes, en commission des lois, la semaine dernière, n'ont pas souhaité
débattre d'un texte qui nous était soumis au motif que, selon eux, il
s'agissait d'un texte de circonstances, ce qui était toujours mauvais. Sur le
principe, commme ils ont raison ! Cela devrait donc les inciter à nous
rejoindre pour rejeter ce projet - je crois que certains d'entre eux y sont
déjà prêts - exclusivement motivé par des considérations électorales, donc de
circonstances !
Tout, en effet, conduit à penser que ce débat est inspiré par une monumentale
hypocrisie.
Le débat est improvisé puisqu'il a été ajouté bien tardivement à l'ordre du
jour. Il est évidemment bâclé puisque - il semble d'ailleurs que cela devienne
une habitude sur les sujets importants - le Gouvernement a, une fois de plus,
décrété l'urgence.
Le débat sur les institutions a eu lieu à l'Assemblée nationale dans un
pseudo-préalable à la discussion du calendrier électoral, lui-même fictif. Mon
collègue et ami Patrick Devedjian avait d'ailleurs relevé que, dans
L'Hebdo
des socialistes
, on pouvait lire, le 8 décembre dernier, l'analyse suivante
: « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il serait difficile d'engager un
débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à quinze mois des
échéances nationales. » Tiens, tiens ! Ledit débat institutionnel du matin
n'était en fait qu'une tentative grossière et du reste avortée pour mieux faire
passer la petite manoeuvre électorale de l'après-midi.
Nous avons donc entendu des déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la
logique de la Constitution et le respect des principes établis par le général
de Gaulle.
Il est dommage qu'à l'affirmation de ces principes correspondent étroitement
les intérêts électoraux de ceux qui prétendent s'en inspirer.
Le Premier ministre comme le ministre de l'intérieur ont affirmé que nul ne
pouvait prévoir à seize mois de distance le résultat des élections, certes !
Mais les socialistes, eux, font quand même des prévisions.
La Revue
socialiste
de novembre dernier écrit : « Une lecture attentive des trois
précédents scrutins depuis 1997 met en évidence un rétrécissement de la base
électorale de la gauche plurielle et un recul sensible de ses résultats
électoraux ».
Il paraît qu'un proverbe chinois dit qu'il est toujours difficile de prévoir,
surtout l'avenir !
(Sourires.)
Au Gouvernement, notons que vous avez eu
le courage de vous attaquer à cette difficulté mais que vous avez eu aussi la
duplicité de tenter de mettre des garanties de vote vôté d'autant que, lors des
prochaines législatives, vous pourrez difficilement compter, cette fois-ci, sur
le maintien de l'extrême droite au second tour, cependant que la coalition
hétéroclite de la gauche plurielle se fragilise au point de devoir chercher,
ailleurs, des renforts inattendus.
Votre inquiétude est d'autant plus grande d'ailleurs que, depuis 1978, aucune
assemblée sortante n'a été reconduite ; la gauche craint, bien sûr, que ce ne
soit son tour d'être battue.
M. Jean-Patrick Courtois.
Elle le sera !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ainsi, M. Jospin aurait les plus grandes difficultés, après avoir perdu les
élections législatives, à se poser dès le lendemain en candidat susceptible de
l'emporter à l'élection présidentielle qui suivrait.
On pourrait dire bien sûr - et je suis certain que l'on ne manquera pas de le
relever - qu'à droite notre candidat pourrait courir les mêmes risques. Eh
bien, non ! et, à gauche, vous avez bien compris que ce n'est pas la même
chose, puisque ce ne serait pas le bilan de notre candidat qui aurait été ainsi
condamné. Il n'a malheureusement pas conduit la politique au quotidien depuis
1997.
M. Emmanuelli a d'ailleurs déclaré avec une grande franchise, le 27 novembre :
« Tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas
vraiment favorable au candidat de la gauche » et M. Cambadélis venant à sa
rescousse d'ajouter : « On lève aussi l'hypothèque du centre. C'est un élément
secondaire, peut-être un peu politicien, mais qu'il faut avoir toujours en tête
: soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains que cela n'induise
une crise assez forte au sein de la droite au vu de la réaction du RPR, soit
elle ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du centre aux élections
présidentielles se réduit à néant. »
Je n'invente rien ! On trouvera ces fortes paroles écrites dans le marbre de
L'Hebdo des socialistes
du 8 décembre.
Il est ainsi évident que les socialistes ne font pas de politique
politicienne, n'est-ce pas ?
Le 19 octobre, il y a donc trois mois seulement, le Premier ministre en
personne condamnait fermement l'inversion du calendrier électoral ; « Toute
initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire
politicienne. Moi, j'en resterai là. » Eh bien, il n'en est pas resté là !
Dès lors, pourquoi reprocher à l'opposition d'analyser les choses comme le
Premier ministre l'a fait lui-même, il y a fort peu de temps ? S'il a compris
que son attitude ne pouvait qu'être comprise que comme politicienne, nous le
comprenons aussi bien que lui !
La vraie question est de savoir pourquoi ce Premier ministre qui affirme
toujours qu'il « fait ce qu'il dit » rompt aujourd'hui avec cette règle et fait
le contraire de ce qu'il avait dit !
La gauche, en effet, s'est toujours plainte d'une prise de décision sans
débat. Craignant l'excès de pouvoir présidentiel, elle pense que des élections
législatives préalables renforcent les pouvoirs du Parlement, que le
quinquennat réduit encore. La gauche a toujours tenu ce discours. Ainsi, M.
Jospin rappelait : « Je n'ai pas voté les institutions de la Ve République, ni
en 1958 ni en 1962. Je ne suis pas présidentialiste aujourd'hui. » Or il n'en
considère pas moins désormais que l'élection présidentielle doit structurer la
vie politique française. Quelle conversion ! Il nous offre le joli paradoxe de
vouloir renforcer le pouvoir du Président de la République contre son avis !
L'inversion du calendrier présenterait un second paradoxe. Alors que la
gauche, qui aura gouverné pendant cinq ans, s'affirme fière de son bilan,
l'examen de celui-ci serait occulté par le débat présidentiel. Car, s'il
succède aux élections présidentielles, le débat sur le bilan de cinq ans de
socialisme n'aura plus guère de sens. Voilà qui est singulier...
Ainsi, les socialistes, mais d'autres aussi, qui ont toujours combattu
l'esprit de la Ve République, prétendent lui rendre hommage en « rétablissant
la clarté institutionnelle et démocratique » parce que l'élection
présidentielle serait « l'élection directrice ». Cette affirmation doit être
pour le moins nuancée, surtout en période de cohabitation. Or celle-ci n'est
pas un accident : elle aura occupé neuf années sur vingt et une, et aura eu
lieu trois fois en trois mandats présidentiels !
Si les élections législatives se déroulent avant la présidentielle, les
candidats demanderont son soutien, dans chaque camp, au candidat présidentiel
le plus crédible. Le candidat à la présidentielle continuera donc de diriger
son camp.
Il est faux de prétendre que l'ordre des deux élections obéirait à une
tradition constitutionnelle. Les législatives ont précédé les présidentielles à
trois reprises : les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle
qui s'est déroulée le 21 décembre 1958, soit moins d'un mois plus tard, et cela
à la naissance de la Ve République ; les 23 et 30 juin 1968, avant l'élection
présidentielle des 1er et 15 juin 1969, soit un écart de moins d'un an ; en
1974, l'élection présidentielle, qui est intervenue quatorze mois après des
élections législatives, n'était évidemment par prévue mais on observera que le
président Giscard d'Estaing n'avait pas cru devoir dissoudre l'Assemblée pour
assurer la prééminence de son programme sur celui des partis qui composaient sa
majorité préalablement élue.
On objectera que, parmi ces trois précédents, la première élection
présidentielle n'a pas eu lieu au suffrage universel. Cet argument est sans
valeur car, en 1958, l'influence des partis était encore beaucoup plus forte
qu'aujourd'hui. S'agissant du second cas, pourrait-on valablement soutenir que
onze mois de délai sont convenables, mais que six semaines ne le sont pas ? Il
faudrait alors définir le délai admissible !
Le Président tient sa prééminence de la Constitution. Or cette dernière ne
fixe aucun ordre dans les élections. Les socialistes veulent, en réalité,
ajouter à la Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont
jamais fait débat depuis 1958.
Chacune des élections prochaines vient à son échéance naturelle. Il n'y a rien
à rétablir. Les législatives viennent à l'échéance fixée par l'article LO 121
du code électoral, soit dans les deux mois qui précèdent le premier mardi
d'avril de la cinquième année qui suit l'élection. Il en est ainsi depuis 1958,
et il n'y a donc rien à rétablir.
La date de l'élection présidentielle est fixée depuis la mort du président
Pompidou, soit depuis vingt-six ans. Les deux élections viennent donc à un
moment parfaitement habituel et prévu depuis toujours. Il se trouve qu'elles
ont lieu la même année, mais il n'y a aucun hasard à cela, contrairement à ce
qu'affirme le Gouvernement. S'il pense ainsi, c'est la date de l'élection
présidentielle qu'il lui faut modifier. Et, s'il ne le fait pas, c'est parce
qu'il n'a pas de majorité constitutionnelle pour cela. Vous pouviez le faire à
l'occasion de la réforme du quinquennat : vous ne l'avez pas demandé !
En définitive, le Gouvernement ne s'en prend à la date légitime et
traditionnelle des élections législatives que parce qu'il n'a pas de majorité
pour modifier la date de la présidentielle, date qu'il prétend illégitime. Il
s'agit donc bien d'une loi de convenance.
Le Gouvernement conteste en fait que les deux élections aient lieu la même
année ; or cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui impliquait
un renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002. Votre proposition revient
en réalité à contester le droit de dissolution. Implicitement, le Gouvernement
et sa majorité contestent les conséquences de la dissolution de 1997, comme si
le terme normal de la législature n'avait pas été envisagé à ce moment-là.
Or l'effet le plus évident de cette dissolution est bien le renouvellement de
l'Assemblée nationale en 2002 !
Le droit de dissolution, inscrit à l'article 12 de la Constitution, est absolu
et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant
les législatives. Rien dans la Constitution ne limite le droit de dissoudre. Il
n'y a donc aucun hasard à corriger dans l'ordre du calendrier électoral, qui
dépend de trois facteurs constitutionnels, hors d'atteinte d'une loi organique
: la dissolution, la démission du Président ou sa mort.
Si le Président démissionne ou meurt dans les six mois suivant l'élection
législative, le calendrier est à nouveau renversé. Vouloir que, en cas de
dissolution, les élections législatives soient renvoyées après la
présidentielle conduit à modifier la Constitution, ce qu'une loi organique ne
peut pas faire. Malgré le vote de votre loi, les élections législatives
pourraient avoir lieu avant la présidentielle. Il suffirait, par exemple, que
votre majorité n'en soit plus une et que le Président soit conduit à dissoudre
à nouveau. C'est donc la dissolution qui est la matrice du calendrier.
Faute de pouvoir vous en prendre directement au droit de dissolution, vous
entendez en corriger les effets accidentels quand ils vous dérangent. Mais
d'autres dissolutions ne manqueront pas de survenir. Le président Mitterrand,
notamment, en a usé à deux reprises. L'article 12 dispose que, en cas de
dissolution, les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante
jours au plus tard après la dissolution. La Constitution est claire : on ne
peut pas changer la date de ces élections par une simple loi organique.
Le Gouvernement soutient que, quand les deux élections ont lieu la même année,
la présidentielle doit précéder les législatives. Le seul moyen de pérenniser
ce principe serait de l'intégrer à la Constitution : il deviendrait alors
incompatible avec le droit de dissolution. Il faudrait donc supprimer ce
dernier, interdire la démission du Président de la République - voire sa mort !
- quand elle suit des élections législatives. Ou alors il faudrait instituer un
vice-président ; ce serait quand même changer fondamentalement la Constitution
!
L'inversion du calendrier électoral ne peut donc que conduire à un
bouleversement profond de la Constitution. C'est donc bien, encore une fois,
compte tenu du contexte dans lequel elle nous est présentée, une loi de
circonstance qu'on nous demande de voter.
Ce report des élections législatives est sans précédent sous la Ve République.
Il a pour effet de proroger au-delà de cinq ans le mandat des députés sortants.
Le Conseil constitutionnel l'a, certes, déjà accepté, mais uniquement pour des
élus locaux, la décision étant prise par le Parlement. Tel n'est pas le cas en
l'occurrence, puisque des élus prorogeraient leur propre mandat, ce qui
constituerait tout de même un précédent important pour une démocratie !
Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer
« la durée des pouvoirs de chaque assemblée ». Mais il ne permet pas de faire
varier la durée de chaque législature au gré de ceux qui la composent.
Ce qui est moralement le plus choquant, c'est bien cette prorogation par les
députés eux-mêmes de leur propre mandat, d'autant plus discutable qu'aucun
événement imprévu n'est survenu : on savait très bien en 1997 que les
législatives auraient lieu en 2002.
MM. Alain Gournac et Louis de Broissia.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Encadrée par la Constitution, la loi organique a l'obligation d'assurer une
durée juridiquement stable à la législature.
Le Conseil constitutionnel a également estimé, dans sa décision du 6 juillet
1994, que la mesure de prorogation devait demeurer exceptionnelle. Or le
rapprochement des élections présidentielle et législatives n'a, en principe,
rien d'exceptionnel.
C'est donc bien, je le répète, d'une loi de circonstance qu'il s'agit mais,
lorsqu'on évoque les problèmes constitutionnels, il n'est jamais inutile de les
restituer dans un cadre historique.
Nous savons tous que la IVe République avait mis en évidence l'inefficacité
spectaculaire du régime parlementaire, ce qui avait permis de montrer que seule
la haute administration avait pu maintenir le pays quand la durée de vie
moyenne des gouvernements n'était que de sept ou huit mois. Il fallait donc à
la France un régime qui puisse, à travers la personnalisation du Président de
la République, imposer une politique propre à redresser le pays.
A Bayeux, le général de Gaulle avait bien montré le chemin. Il fallait pour
cela, certes, écarter encore les réticences des professeurs de droit auteurs de
la Constitution de la IVe République.
Notons bien que la Constitution dont nous parlons aujourd'hui n'est pas celle
qui a été écrite en 1958, et ce n'est pas non plus l'esprit de la Constitution
dont on nous parle aujourd'hui. René Garrec, notamment, a démontré que personne
ne pouvait vraiment savoir de quoi l'on parlait. Cette Constitution n'est pas
celle qui a été pratiquée. En réalité, elle n'a duré que de 1962 à 1986.
Une nouvelle lecture en a été révélée en 1986, lorsque François Mitterrand,
bloqué par la première cohabitation, s'est demandé quels étaient ses pouvoirs :
gardien de la Constitution, maintien de la République, surtout en période de
troubles, nomination des hauts fonctionnaires et des ambassadeurs - et donc
chef de la politique étrangère - et chef des armées.
Le président Mitterrand a appliqué
stricto sensu
la lettre de la
Constitution. L'affaire des ordonnances pouvait juridiquement donner lieu à
deux interprétations différentes.
Pascal Clément, à la tribune de l'Assemblée nationale, l'a justement rappelé,
« la pratique gaullienne était bien différente. Même si elle ne suivait pas la
lettre, tout le monde en France était soulagé de voir un grand homme prendre la
situation en main, sortir de la guerre d'Algérie et imposer le suffrage
universel à une classe politique qui n'en voulait pas, menant la France vers la
stabilité. »
Ce n'est qu'au discours de Verdun-sur-le-Doubs, qui eut lieu juste avant les
élections législatives de 1978, que s'ouvrit une alternative. Le président
Giscard d'Estaing déclara alors que, si sa majorité perdait, il resterait à
l'Elysée. Tout était dit ! Une autre pratique de la Ve République était alors
envisagée. Les élections furent gagnées, mais il fut facile par la suite à
François Mitterrand de s'appuyer sur cette déclaration.
Compte tenu de la réforme de 1962, la cohabitation dénaturait la
République.
Nous sommes donc bien loin de la pratique de la Ve République première
manière, et reconnaissons qu'il est vraiment singulier que les socialistes
feignent aujourd'hui de paraître nostalgiques de cette première pratique.
J'ai indiqué au début de mon propos que nous en étions en quelque sorte au
deuxième étage de la fusée « Réforme des institutions », sans savoir d'ailleurs
s'il y en aurait d'autres.
Il s'agit bien de savoir, après l'instauration du quinquennat, quel est
l'avenir de la Ve République, surtout après plusieurs cohabitations.
Les socialistes et leurs alliés de circonstance nous proposent aujourd'hui
d'inverser, disent-ils, le calendrier électoral en prétendant, avec une
duplicité certaine, que c'est le rétablir ! Mais, si c'est le rétablir, alors
c'est que vous souhaitez bien revenir à la pratique de la Ve République,
première version. Dites-le clairement !
En réalité, l'« obscure clarté qui tombe des étoiles » signifie que c'est pour
vous une affaire d'intérêts purement conjoncturels. C'est un coup politique, et
là, en effet, vous vous situez bien dans l'héritage dont M. le Premier ministre
avait pourtant prétendu vouloir faire l'inventaire.
Je le redis parce que c'est totalement évident : on a institué le quinquennat
sans véritablement s'interroger sur ses conséquences. C'était logique ! Cette
réforme n'a pas été pensée par les socialistes, elle a été improvisée !
M. Jospin n'en avait pas dit un mot dans son discours de politique générale,
en indigne héritier de François Mitterrand, lui qui semblait faire la fine
bouche sur le passif successoral. Il en a toutefois décidé uniquement pour des
raisons politiciennes, et c'est le même processus qui nous est aujourd'hui
proposé pour le calendrier électoral.
Quelle sera, mes chers collègues, l'astuce suivante ? Réfléchissons-y : cela
nous permettra peut-être d'avoir, le moment venu, une analyse plus élaborée
encore. Et la réflexion n'est-elle pas une qualité que l'on reconnaît en
général au Sénat ? C'est bien pourquoi, d'ailleurs, il convenait de
s'interroger sur la « doctrine ».
La commission des lois a donc consulté, conformément à son devoir, et aussi
selon son « appétence », un certain nombre d'éminents professeurs de droit
constitutionnel.
Leurs opinions sur le sujet sont, comme il est habituel, diverses mais, comme
il est plus surprenant, quelque peu nuancées, et cela amène - pour sa plus
grande confusion - l'ancien étudiant en droit que je suis à formuler
l'irrévérencieuse contestation de certaines affirmations qui, me semble-t-il -
mais je peux me tromper ! -, est écrite en filigrane dans leur analyse.
M. René Rémond, membre de l'Académie française, président de la Fondation
nationale des sciences politiques, après s'être félicité de l'étendue de la
consultation organisée par le Sénat, a d'abord rappelé - pour, comme nous, le
regretter - le manque de débat qui a précédé le texte limitant la durée du
mandat présidentiel. Il a expliqué ensuite qu'il souhaitait inscrire sa
réflexion dans le long terme, indiquant par là même que l'opportunité d'une
réforme du calendrier à un peu plus d'un an des échéances électorales pouvait
susciter des soupçons de manipulation. Ah, ah ? Me voilà donc validé dans mes
réserves !
M. Rémond a rappelé que le postulat d'intangibilité des règles électorales peu
avant une échéance électorale était récent et que des précédents contraires,
s'agissant de délais beaucoup plus courts, existaient. Il a cité - tenez-vous
bien ! - les réformes des modes de scrutin intervenues en 1927, ainsi que -
tenez-vous encore mieux ! - l'adoption de la loi sur les apparentements, en
1951.
Quand j'ai lu cela, m'est revenue - pardon d'être un peu pédant - cette
formule latine :
horresco referens
. Reconnaissons qu'il s'agit d'une
référence peu honorable ! Je me demande même s'il ne s'agit pas d'une façon
très pudique, convenable, de laisser entendre qu'en effet il n'est pas
illégitime d'avoir des soupçons. C'est ce que j'appelle la « lecture en
filigrane ».
M. Rémond a en outre estimé opportun le choix du mois de juin comme date des
élections législatives, précisant que les facteurs habituels d'abstention tels
que ponts et départs en vacances lui paraissaient moins fréquents à cette
période qu'à d'autres...
Mes chers collègues, comme un certain nombre d'entre vous, je suis maire et
j'ai donc la charge d'organiser les élections : il ne m'est jamais apparu que
le mois de juin était la meilleure période pour obtenir une participation
massive des électeurs ! C'est le mois, par exemple, des voyages organisés par
les clubs du troisième âge...
M. Gérard Cornu.
Et les pêcheurs à la ligne !
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Je parlais de filigrane et, en effet, M. René Rémond a relevé que qualifier la
modification du calendrier électoral d' « inversion » ou de « rétablissement »
était révélateur d'un certain jugement de valeur. Eh oui, les mots ont un sens
!
M. Rémond a aussi noté l'impossibilité d'un quelconque pronostic concernant
les effets d'une telle réforme sur le résultat du scrutin. Il a dès lors
souhaité que les « supputations » diverses n'occultent pas l'objet de la
proposition de loi.
Il a ensuite abordé ce qui lui semblait l'essentiel, à savoir les conséquences
d'une telle réforme sur l'évolution des rapports entre fonctions
présidentielles et législatives. J'oserai ici être irrévérencieux, car, j'ai
beau chercher, je ne vois pas ce qui peut susciter son optimisme !
M. Rémond me surprend également quand il parle de dissolution de convenance
s'agissant de celle de 1997. Toute dissolution, hors celle qui interviendrait
au cours d'une crise majeure - événement heureusement rare - n'est-elle pas,
d'une manière ou d'une autre, de convenance ? En faire le reproche, c'est
remettre en cause le principe même de la dissolution. Pourquoi alors ne pas le
dire clairement ?
M. Rémond a encore précisé que le calendrier actuel accentuait
l'affaiblissement de la fonction présidentielle et qu'il importait, pour la
renforcer, d'élire le Président de la République avant l'Assemblée nationale,
ainsi qu'il en avait été décidé en 1958, ceci ayant été largement avalisé par
la suite par les citoyens.
J'observerai qu'on ne voit pas vraiment en quoi on renforcerait ainsi la
fonction présidentielle car les citoyens peuvent parfaitement élire par la
suite une assemblée non conforme aux voeux du Président nouvellement élu afin,
en quelque sorte, de ne pas mettre, comme le dit la sagesse populaire, « tous
leurs oeufs dans le même panier ».
M. Rémond, paradoxalement, a d'ailleurs reconnu que l'adoption du quinquennat
lui semblait avoir eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation.
C'est M. Guy Carcassonne, professeur à l'université Paris-X et chroniqueur
bien connu, qui a ensuite tenté de nous éclairer.
Il a indiqué tout d'abord qu'il était convaincu depuis 1997 de l'utilité de
l'inversion du calendrier électoral de 2002 qu'à l'inverse du Premier ministre
il avait donc prévue.
Il a affirmé que, de son point de vue, le rétablissement du calendrier était à
la fois constitutionnellement possible et institutionnellement
indispensable.
Il a indiqué qu'à plusieurs reprises des mandats électifs avaient pu être
prorogés avec l'assentiment du Conseil constitutionnel, celui-ci exerçant un
contrôle sur les objectifs justifiant une telle opération. Il a toutefois
observé que le mandat des députés n'avait jamais été modifié sous la Ve
République et que la présente proposition de loi organique n'était pas
contraire à la Constitution.
Il a néanmoins reconnu que le rétablissement envisagé du calendrier électoral
pour 2002 ne pouvait constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur
des échéances électorales ; il a estimé cette opération indispensable, le
calendrier actuel constituant, selon lui, une incongruité politique au regard
du fonctionnement institutionnel de la Ve République caractérisé par le fait
majoritaire.
Il a observé que l'élection présidentielle intervenue en 1958 après les
législatives ne pouvait être citée comme contre-exemple dans la mesure où il ne
s'agissait pas d'une élection au suffrage universel et où l'autorité du
président élu, le général de Gaulle, était incontestée. On peut s'interroger
sur la valeur d'un élément
intuitu personae
dans le débat
constitutionnel !
Il a évoqué les périodes de 1974 à 1995 au cours desquelles le Président de la
République n'a pas sollicité le renouvellement de l'Assemblée nationale par le
biais d'une dissolution. C'est ainsi que les gouvernements de MM. Raymond Barre
et Alain Juppé s'étaient, selon lui, heurtés à une sorte de dislocation de leur
majorité.
M. Carcassonne a estimé que le seul moyen d'assurer la solidité du pacte
majoritaire était de faire suivre l'élection présidentielle par les élections
législatives.
Certes, mais à condition que le résultat des élections législatives soit
conforme aux voeux du Président nouvellement élu : s'il ne l'est pas, tout ce
beau raisonnement tombe à l'eau !
M. Carcassonne a d'ailleurs conclu son propos en estimant que le calendrier
électoral n'était pas de nature à infléchir la nature du régime vers un modèle
de type plutôt présidentiel ou plutôt parlementaire et qu'il était également
sans effet sur l'importance du rôle joué par le Parlement dans le schéma
institutionnel. Il a observé que les périodes ayant suivi les élections
législatives de 1973 et de 1993, lesquelles avaient précédé l'élection
présidentielle, ne s'étaient pas caractérisées par une revalorisation du rôle
du Parlement.
Dans ces conditions, à quoi sert-il d'inverser le calendrier électoral ?
En réponse à une question de notre collègue Henri de Richemont, qui lui
demandait si l'inversion du calendrier électoral n'avait pas pour seul objet
d'éviter les dissensions au sein de la majorité gouvernementale, le professeur
Carcassonne a estimé que pareils objectifs suffisaient à justifier la
mesure.
Mais alors, mes chers collègues, ne se trouve-t-on pas dans ces conditions
devant la dissolution de convenance que critiquait le professeur Rémond ?
M. Patrick Lassourd.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
M. Didier Maus, professeur à l'université Paris-I et codirecteur de la
Revue française de droit constitutionnel
, a indiqué pour sa part « que
si on veut que l'élection présidentielle demeure l'acte essentiel de la vie
politique, il faut qu'elle ait lieu en premier ».
Il a cependant regretté que les problèmes liés au calendrier électoral n'aient
pu être réglés deux ans avant les élections de 2002 - encore quelqu'un qui,
contrairement au Gouvernement, s'était aperçu de ces problèmes -, le
télescopage des calendriers n'ayant pas été évoqué plus en amont, notamment au
moment des débats parlementaires relatifs au quinquennat, bien qu'il ait
indiqué qu'une modification du calendrier électoral s'avérait de toute façon
indispensable, indépendamment des débats sur la durée du mandat
présidentiel.
Bien qu'il ait signalé qu'aucun précédent significatif depuis quarante ans ne
pouvait servir d'exemple, qu'il s'agisse des élections de 1969, de 1974, de
1981 ou de 1988, il a estimé que, contrairement au cas présent où le
télescopage des calendriers était annoncé depuis la dissolution de 1997, aucun
des enchaînements précédents n'avait été prévu ou annoncé par avance.
On peut de même s'interroger sur la pertinence absolue de l'argument qui
consiste à indiquer - ce qui est évidemment juste - que le Président de la
République est l'élément pilote de la vie politique et qu'il faut assurer sa
prééminence. Il convient donc d'éviter ce que M. Maus appelle une incohérence
constitutionnelle, et donc permettre que la majorité parlementaire soit un
fidèle soutien du Président de la République. Toutefois, M. Maus, pas plus que
les autres tenants de cette théorie, ne fournit le moyen d'être assuré que le
peuple en décidera bien ainsi !
Je parlais tout à l'heure de ce qui me semblait être écrit en filigrane. M.
Maus en a fourni une illustration lorsqu'il a pointé la difficulté de
dénomination de cette opération. Il a relevé plusieurs expressions employées
pour qualifier cette modification de la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale, évoquant tour à tour l'inversion, le rétablissement, la
modification, la remise en cause et l'aménagement. Il a constaté - comme il a
raison ! - que chaque mot était une arme, que l'inversion révélait une
connotation péjorative tandis que le rétablissement relevait d'un vocabulaire
erroné puisqu'il s'agissait non pas de revenir à une situation antérieure mais
d'appréhender une situation à venir. Il a marqué sa préférence pour le terme «
aménagement », estimant qu'il reflétait une plus grande neutralité dans le
choix du vocabulaire.
On me pardonnera, mais j'y vois pour ma part la reconnaissance implicite de la
combinaison - la
combinazione
, comme disent si bien les Florentins.
M. Maus a fait valoir que le calendrier pour 2002 issu du texte adopté par
l'Assemblée nationale n'était pas rationnel. Il a observé que le premier tour
de l'élection présidentielle aurait lieu le 21 avril et le deuxième tour le 5
mai, le mandat du Président de la République Jacques Chirac expirant le
vendredi 17 mai.
Il a estimé que les élections législatives ne pourraient avoir lieu que les 2
et 9 juin. Il a souligné que l'ouverture du dépôt de candidatures serait en
conséquence fixée le 6 mai, le lendemain de l'élection présidentielle, et que
la campagne législative débuterait le 13 mai avant la prise de fonctions du
nouveau Président. Il en a déduit que ce délai serait beaucoup trop court pour
que le Président de la République puisse façonner une majorité et faire en
sorte que les différents camps se positionnent face à lui. Il a rappelé que
cette logique avait prévalu en 1981 et en 1988, le Président prenant
l'initiative de dissoudre l'Assemblée nationale. Tout ceci est donc de surcroît
incohérent !
Il a également évoqué la possibilité de modifier en profondeur le code
électoral et de faire en sorte que les élections législatives se déroulent les
9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une réduction de la durée de la
campagne électorale de trois semaines à quinze jours. Il a estimé que cette
solution permettrait de faire débuter la campagne après l'installation du
Président de la République.
Evoquer tous ces calculs, c'est véritablement montrer à quel point le
fonctionnement normal des institutions est secondaire par rapport aux
convenances personnelles !
En conclusion, M. Maus a affirmé que la modification du calendrier électoral
était souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique mais
techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le
Président occupe ses fonctions pour entamer les opérations d'organisation des
élections législatives. On le voit, nous sommes dans l'impréparation et dans
l'improvisation : en fait, c'est n'importe quoi !
M. Pierre Pactet, professeur émérite de l'université de Paris XI, a estimé,
pour sa part, que la réforme du calendrier électoral, sans bouleverser le
régime de la Ve République, appelait néanmoins de sérieuses réserves tenant à
la cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas
fait l'objet d'un débat approfondi portant notamment sur ses incidences sur le
régime, il a affirmé que celle-ci constituait l'une des plus grandes révisions
de la Ve République, comparable à celle de 1962 relative à l'élection au
suffrage universel direct du Président de la République et à celle de 1974
ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Il a rappelé - ce que nous étions d'ailleurs un certain nombre ici à penser -
que la révision constitutionnelle relative au quinquennat, décidée afin de
rendre la cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet effet, dans la
mesure où le droit de dissolution était maintenu et où le décès du Président de
la République - ou sa démission, ce qui serait une circonstance tout de même
plus heureuse - provoquait une nouvelle élection présidentielle du fait de
l'absence de vice-président de la République.
Ajoutant que les électeurs, dans un souci d'éviter une trop grande
concentration des pouvoirs, pouvaient très bien émettre des votes différents
lors des élections législatives et de l'élection présidentielle, il s'est
demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans une conception
nostalgique des périodes de convergence observées au début de la Ve
République.
Concernant la logique des institutions de la Ve République, il a noté que le
régime, à l'origine conçu en réaction contre le régime des partis, avait
beaucoup évolué et était redevenu un régime de partis, semblable en cela aux
autres démocraties occidentales. Il a ajouté que le Président de la République
ne demeurait la clé de voûte du régime que dans l'hypothèse où il était soutenu
par la majorité parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du
régime depuis la cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel,
puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du
calendrier électoral.
Il a de plus regretté le « pointillisme constitutionnel » consistant à réviser
la Constitution par réformes successives, au détriment d'une vision d'ensemble
des institutions, aboutissant à insérer des dispositions contradictoires dans
le texte constitutionnel.
En conclusion, il a noté qu'il n'était pas cohérent de modifier le calendrier
électoral sans agir sur le droit de dissolution ni, bien sûr, tenir compte du
décès éventuel du Président de la République. Il s'est ensuite prononcé contre
l'inversion du calendrier électoral, jugeant choquant de chercher à influencer
le résultat des urnes en agissant sur la date des élections. C'est précisément,
chacun l'aura compris, le sentiment que je m'étais forgé.
Enfin, la commission a entendu M. Louis Favoreu, professeur à l'université
Aix-Marseille-III et autre co-directeur de la
Revue française de droit
constitutionnel.
Il a regretté le penchant français pour les réformes institutionnelles. Il a,
en effet, jugé préférable de toucher le moins possible aux institutions,
estimant que les conséquences de telles réformes étaient difficiles à
prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer
la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée
pour réaliser des « coups politiques ».
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la
présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations
effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des
institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute
hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
M. Favoreu a souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par une
dissolution - cela ne lui a pas échappé non plus, bien sûr -, la Constitution,
rappelons-le, prévoyant en pareil cas la tenue d'élections entre vingt et
quarante jours après celle-ci. Il a donc observé que le Gouvernement n'avait
pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, préférant soutenir une
proposition de loi, ce qui lui permettait ainsi d'éviter l'examen du texte par
le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres sous la présidence
du Président de la République.
Il s'est ensuite attaché à montrer que la réforme entreprise allait à
l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Je vous prie de me pardonner de m'y attacher un peu longuement, mais nous
sommes là au coeur de l'aspect juridique et constitutionnel de cette
question.
M. Philippe Marini.
Ce n'est pas long, c'est très intéressant !
M. Alain Gournac.
C'est effectivement très intéressant !
M. Louis de Broissia.
C'est très fin !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Mes chers collègues, je suis très sensible à l'intérêt que vous portez à mes
propos. Je n'ai donc rien à me faire pardonner !
(Sourires.)
Nous sommes au coeur de l'aspect juridique et institutionnel de cette
question, disais-je, et il serait donc paradoxal que nous considérions cet
aspect des choses comme subalterne.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates
d'élections sont intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en
1996. Elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées
locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les
trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière,
mais les enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent
a fortiori
à
la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Favoreu a ainsi observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois
validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à
savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et
l'existence d'une réelle justification. Il a noté que les motifs retenus par le
Conseil avaient été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs,
d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la
concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, de
permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur
choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une
élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc
amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée
alors que, en doctrine, il avait été relevé que le début d'un tel contrôle
avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et
1994.
M. Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel
aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du calendrier dans
ses recommandations du 23 juillet 2000 et il a estimé que la seule
préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le respect de
la date limite de présentation des candidats, pouvait être parfaitement
satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10
mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2
avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée nationale, le ministre de
l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en
conséquence, pas de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la
seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était de surcroît plutôt
floue, le contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les
interlocuteurs. Il en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement
de pouvoir ».
Il a rappelé que certains avaient estimé que la proposition pouvait apparaître
soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du Président de la
République lors de la crise de la « vache folle », soit comme un instrument
ayant pour objet réel de favoriser l'élection de certains. Il a toutefois, lui
aussi, souligné que les résultats de l'inversion du calendrier étaient
difficilement prévisibles selon les spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, à l'instar des quatre projets de loi
précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil
constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est pas le cas de la
proposition de loi organique, dont les motifs avancés restent diffus, qu'il
s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la
mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
En conclusion, le professeur Favoreu a considéré - ce qui est important - que,
dans un Etat de droit, les choix politiques devaient reposer sur des bases
juridiques claires, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, finalement, le Premier ministre, une
fois encore, se montre préoccupé de lui-même et de son avenir, plus que de
celui des Français et des institutions. Le marchandage auquel il se livre, par
exemple, avec les communistes pour obtenir d'inverser à tout prix le calendrier
électoral est significatif. Il n'a pas, ce faisant, un comportement en harmonie
avec les hautes fonctions auxquelles, semble-t-il, il aspire.
Les institutions ne sont pas à remettre sans cesse en cause. Elles sont un des
moyens de l'action politique.
Les socialistes, et tout d'abord le célèbre auteur du
Coup d'Etat
permanent,
François Mitterrand, se rallient à la Ve République « toute
honte bue », à condition, évidemment, qu'ils en prennent la tête et qu'elle les
serve.
M. Patrick Lassourd.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Le débat qui a été lancé sur l'inversion du calendrier électoral a conduit les
partisans de l'inversion à jouer à contre-emploi.
Alors que leur famille politique a, depuis des décennies, cherché à réduire le
pouvoir exécutif et celui du Parlement, voilà « nos bons apôtres » promus
défenseurs de l'institution présidentielle !
Les auteurs du
Programme commun de gouvernement,
en 1972, déploraient :
« Dans le régime actuel, le chef de l'Etat détient, dans la conduite de la
politique intérieure et extérieure, des pouvoirs exorbitants qu'il exerce sans
contrôle. »
Et voilà que soudain, en 2001, et en toute contradiction, un zélateur de
circonstance, M. Jospin, avec cette belle audace que l'on connaît aux
néophytes, se veut le défenseur de l'institution présidentielle, contre toute
la tradition de son parti.
Comment peut-il alors nous faire croire à sa bonne foi ? Ce n'est réellement
ni sérieux ni crédible.
Aujourd'hui, c'est le Premier ministre qui veut inverser le calendrier
électoral, contre l'avis du Président de la République. Ce dernier, comme le
général de Gaulle lui-même, n'a jamais perturbé le calendrier électoral
autrement qu'en faisant jouer le droit de dissolution que lui reconnaît la
Constitution, dans son article 12.
Or le Premier ministre s'arroge aujourd'hui le droit d'en disposer
autrement.
Le 9 février 1967, le général de Gaulle déclarait : « Il s'agit que
l'Assemblée future soit capable de soutenir une politique. » Jacques Chirac ne
se fait que le digne continuateur du général de Gaulle, car la politique qu'il
s'agit de soutenir, c'est bien sûr la sienne, celle du Président en place, et
non celle d'un hypothétique autre vainqueur d'une élection présidentielle à
venir.
M. Jospin veut, à n'en pas douter, remettre les compteurs à zéro ; il veut
sans doute se débarrasser, avant qu'elle ait été élue, d'une Assemblée
nationale renouvelée et gênante.
Mais si, d'aventure, ce nouveau grand défenseur de la Ve République venait à
être élu Président de la République, il pourrait toujours, une fois élu,
recourir au droit de dissolution, prérogative que nul d'ailleurs ne peut ni ne
veut supprimer au Président. Pourquoi redoute-t-il de prendre ses
responsabilités ? Parce qu'il sait parfaitement que le vote des Français aux
élections législatives en faveur de l'actuelle opposition sonnerait le glas de
ses espérances présidentielles.
Faut-il encore citer, par exemple, les
Mémoires d'Espoir
? Charles de
Gaulle, en effet, y écrivait : « Dès lors que je demandais au pays d'arracher
l'Etat à la discrétion des partis en décidant que le Président, et non plus le
Parlement, serait la source du pouvoir et de la politique, mieux valait prendre
quelque délai avant d'achever cette immense mutation. »
C'est aujourd'hui « la discrétion des partis », mais pas dans la bonne
acception du terme, qui veut l'inversion du calendrier électoral, et ce, hélas
! jusque dans les rangs de l'actuelle opposition.
C'est aujourd'hui le Parlement qui se veut la source du pouvoir et de la
politique en votant l'inversion du calendrier électoral à la demande d'un
Premier ministre en guerre ouverte contre le Président élu.
Mais quelle est donc la légitimité d'un Premier ministre non désigné
directement par le suffrage universel, socle de la démocratie, en face de celle
du Président de la République ?
Le Premier ministre ne sort-il pas de son rôle lorsque, par exemple, il joue
au Président
bis
à l'étranger ? La cohabitation n'est-elle pas ce « coup
d'Etat permanent » que le Premier ministre tente contre le Président ?
Matignon ne serait-il plus, en quelque sorte, qu'un « Charlety » qui aurait
réussi, sans traverser la Seine pour aller, jusqu'à l'Elysée, déloger le
Président ?
M. Jospin ne serait-il qu'un nouvel avatar du boulangisme qui s'arrêterait aux
portes de l'Elysée
(Exclamations sur plusieurs travées du RPR)
en attendant que le suffrage
universel, « reconditionné » par ses soins, lui ouvre les portes du palais
présidentiel, sans coup férir ?
Le peuple français n'est pas dupe du jeu des partis qui tentent maintenant de
biaiser les conditions de l'élection du Président au suffrage universel faute
d'avoir pu l'empêcher ni en 1962, ni ensuite.
Le peuple français reconnaît les manipulateurs qui se déguisent en défenseurs
de la Ve République, pour mieux l'abattre.
L'actuelle majorité et, à sa tête, le Premier ministre, n'ont pas de racines
politiques dans l'histoire de la Ve République. Ils tentent donc seulement,
comme le coucou, de s'installer par effraction idéologique dans le nid du
gaullisme, comme ils tentent aussi de le faire par leurs menus projets
d'épargne salariale, pour ne citer que celui-là, face à la grande bataille de
la participation dans l'entreprise.
Ces usurpateurs volatiles devraient regagner le vieux pigeonnier vermoulu des
ennemis de la Ve République !
(Applaudissements sur les travées du RPR. - M. Marcel Lesbros applaudit
également.)
Non, décidément, nous, membres du groupe du RPR, du Sénat, nous ne pouvons
accepter une telle proposition, et vous conviendrez que, pour toutes ces
raisons, nous vous dirons non. Non, nous ne pouvons pas nous engager dans cette
voie. Nous la refusons.
En conclusion, je vous suggère de méditer la phrase célèbre de l'auteur des
Chênes qu'on abat
: « Vous qui briguez la fonction suprême, levez les
yeux sur ces crieurs du non qui se relaient au-dessus de la flotte nocturne des
vivants. » Comme pour Malraux en effet, pour nous, sénateurs du RPR : c'est
non, trois fois non ! Non à la tromperie ! Non aux faux-semblants ! Non à
l'aventure institutionnelle !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants. - M. Marcel Lesbros applaudit également.)
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