SEANCE DU 17 JANVIER 2001


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Remplacement d'un sénateur déchu (p. 1 ).

3. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. - Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence (p. 2 ).
Discussion générale (suite) : MM. Robert Bret, Philippe Adnot, Michel Charasse, Paul Girod, Guy Allouche, Jean-Yves Autexier, Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement.

4. Modification de l'ordre du jour (p. 3 ).

5. Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. - Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence (p. 4 ).
Discussion générale (suite) : MM. Serge Vinçon, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement ; le président, Jean-Claude Carle.
Renvoi de la suite de la discussion.

6. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 5 ).

7. Communication relative à une commission mixte paritaire (p. 6 ).

8. Transmission d'un projet de loi (p. 7 ).

9. Dépôts de rapports (p. 8 ).

10. Ordre du jour (p. 9 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

REMPLACEMENT D'UN SÉNATEUR DÉCHU

M. le président. M. le ministre de l'intérieur a fait connaître à M. le président que, en application de l'article L.O. 320 du code électoral, M. Laurent Béteille est appelé à remplacer, à compter de ce jour, en qualité de sénateur de l'Essonne, M. Xavier Dugoin, déchu de plein droit de sa qualité de membre du Sénat.

3

DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne surprendrai personne en réaffirmant à cette tribune l'opposition des sénateurs communistes à cette proposition de loi visant à inverser le calendrier électoral initialement prévu pour les élections législatives et présidentielles à venir.
Nous regrettons ce débat de convenance qui nous est proposé aujourd'hui.
Je l'affirme d'emblée, reprenant d'ailleurs en cela ce qu'a indiqué avec une grande clarté le professeur René Rémond devant la commission des lois mardi dernier, c'est bien la question d'une présidentialisation ou non du régime qui est aujourd'hui posée.
Nous constatons tous que, au travers d'une mesure de circonstance, c'est bien l'enjeu présidentiel qui positionne les deux principaux protagonistes dans cette affaire, c'est bien le renforcement du pouvoir présidentiel qui est en discussion.
M. Giscard d'Estaing, dans un éternel retour, confirmait cette analyse, le 19 décembre dernier, à l'Assemblée nationale : « Le rôle du Président est prééminent, au sens étymologique du terme. Cela ne signifie pas que son pouvoir est absolu ou illimité ; cela indique simplement qu'il l'exerce au-dessus des autres pouvoirs, à l'exception du pouvoir judiciaire ».
L'ancien président ne s'est pas arrêté en si bonne voie, affirmant qu'après l'élection présidentielle il suffisait « de mettre en oeuvre cette politique », celle qui a été décidée lors du scrutin présidentiel.
Le débat qui s'ouvre aujourd'hui au Sénat confirme nos craintes exprimées en juin dernier dans ce même hémicycle au sujet du quinquennat. Nous dénoncions alors l'engagement, avec le « quinquennat sec », d'un processus vers une présidentialisation du régime.
Nous avions noté, sans trop y croire, les garanties en faveur d'un renforcement des pouvoirs du Parlement apportées par les promoteurs de la réduction du mandat. Trois mois à peine se sont écoulés, et nous passons directement à la seconde étape d'un affaiblissement institutionnel du Parlement ! Tout est ainsi fait pour que l'élection législative devienne subalterne.
La Constitution de 1958 porte en son sein l'affirmation du pouvoir personnel. Les fortes personnalités, en dehors des périodes de cohabitation, ont su utiliser les institutions de la Ve République en ce sens. C'est l'une des raisons de l'opposition permanente et cohérente des communistes à ce régime.
Mais, dans le même temps, nous n'avons jamais oublié que ce régime n'était pas un régime à l'américaine ; de type présidentiel. Le pouvoir parlementaire, certes bridé, demeure réel, au moins sur le papier, et le Gouvernement est responsable devant le Parlement et non pas devant le Président de la République.
Il est à noter que les périodes de cohabitation accentuent le caractère potentiellement parlementariste de la Ve République. Mais il est clair que certains veulent en terminer avec cette situation et assurer à l'avenir le caractère présidentialiste de nos institutions.
On pourrait nous demander pourquoi nous sommes hostiles à ce régime, qui est l'expression même de la démocratie électorale. Un contrat serait, en effet, ainsi passé entre un homme et un peuple par le biais du suffrage universel.
Je réfute cette analyse et confirme l'opposition des sénateurs communistes à ce type de régime pour des raisons que je vais maintenant exposer.
Premièrement, la bipolarisation de la vie politique découle de la personnalisation du pouvoir et du mode de scrutin. Or, c'est le pluralisme, la recherche du débat d'idées qui fait vivre une démocratie. La bipolarisation appauvrit ce débat à l'extrême, simplifie, voire abêtit, l'échange politique.
M. Giscard d'Estaing s'inquiétait, toujours le 19 décembre, de la primauté donnée aux élections législatives : « Que deviendraient alors les grands débats entre les candidats, les tête-à-tête télévisés, qui permettent aux électeurs de se former un jugement sur les projets respectifs des deux candidats ? »
Ce qui fait la différence entre l'idéal démocratique que nous défendons et celui que défendent M. Giscard d'Estaing et ses amis, c'est notre volonté d'élargir le débat, de l'enraciner au plus profond du pays et de notre peuple, et non pas de le limiter à un show télévisé, méthode dont les Etats-Unis nous ont encore démontré récemment, et tristement, les limites.
La quintessence du régime présidentiel, le modèle du genre, c'est le système américain. La culture politique française, mais aussi européenne, ne peut s'accorder avec cette simplification de la vie politique qui n'est pas étonnante dans un pays où, chacun le sait, le véritable pouvoir est non pas politique mais économique.
La présidentialisation d'un régime élargit la césure entre les dirigeants et les citoyens.
Confier le destin de la nation à un seul homme, même en mettant en place tel ou tel contre-pouvoir, diminue l'influence des relais d'opinion et de l'opposition. C'est l'expression suprême de la délégation de pouvoir.
De toute évidence, une évolution vers un régime présidentiel ne réduira pas la profondeur de la crise du politique que notre pays traverse. Car la vie politique française est en crise, chacun le sait ici. Ce sera le deuxième point de mon propos.
Je conteste formellement le point de vue du Président de la République, qui estime cette crise inexistante. Les résultats du référendum sur le quinquennat - sept Français sur dix n'ont pas voté - l'abstention croissante lors de chaque élection, mais aussi l'attitude de nos concitoyens, que chacun d'entre nous peut rencontrer, montrent bien une défiance croissante des Françaises et des Français à l'égard de ce qu'ils désignent comme la classe politique.
Il est terrible, pour les femmes et les hommes qui ont fait de l'action politique leur passion, de constater que la perception essentielle par notre peuple de la vie politique se résume bien souvent, aujourd'hui, aux affaires, et aux seules affaires. Mais comment s'en étonner, puisque, pour le reste, les choix, les éléments de décision leur échappent ?
Nous sommes bien loin des principes fondateurs de la République, et je dirai même du système démocratique, affirmé notamment par les philosophes du siècle des Lumières. Trop souvent, il est oublié que la souveraineté est exercée par le peuple, par l'intermédiaire, mais seulement par l'intermédiaire, de ses représentants.
C'est bien ce rapport des institutions au peuple, cette nouvelle relation entre le représentant et le représenté qu'il faut mettre en chantier aujourd'hui plutôt que de contribuer au rétrécissement de l'exercice du pouvoir, à son éloignement.
Nous le réaffirmons, la proportionnelle constitue indubitablement le moyen d'assurer la meilleure adéquation entre représentation politique et population. Toutes les remarques sur les difficultés à créer et à stabiliser les majorités sont pour nous des arguties. Un principe est, à nos yeux, essentiel : les assemblées doivent coller au plus près de la réalité sociale.
Par ailleurs, seule la proportionnelle permettra le rajeunissement et la féminisation des élus. Nous le constatons bien dans cet hémicycle, c'est la proportionnelle qui a permis d'assurer la présence de sénatrices, malheureusement encore trop peu nombreuses !
A propos de la proportionnelle, je regrette souvent, avec mes amis, que la précipitation ait pu ainsi être de mise pour l'inversion du calendrier électoral, alors que, pour l'injection d'au moins une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin législatif et pour l'accès des étrangers au droit de vote lors des élections municipales, on a argué de la proximité trop grande des scrutins pour repousser les échéances. Il y a là deux poids deux mesures, et cela confirme sans ambiguïté l'aspect circonstanciel du présent débat.
Après avoir fermé cette parenthèse, j'affirme, pour conclure sur ces réflexions relatives à la crise de la vie politique, qu'il est grand temps de faire évoluer le Sénat.
En effet, au-delà d'un mode de scrutin toujours déséquilibré, au-delà d'un mandat d'une durée déraisonnable - neuf ans -, au-delà d'un âge d'éligibilité trop élevé - trente-cinq ans -, c'est l'existence d'une chambre où l'alternance est une donnée inconnue et qui, en conséquence, bloque l'expression de la volonté générale exprimée par le suffrage universel direct qui doit être intégrée dans votre réflexion sur l'état de la démocratie française.
Nous notons qu'un éminent membre de la majorité sénatoriale vient de déposer une proposition de loi visant à appliquer le recensement de 1999 à la répartition des sièges sénatoriaux. Il est grand temps ! Cela fait de nombreuses années que notre groupe, ainsi que le groupe socialiste, réclame la prise en compte des évolutions démographiques. Il n'est pas possible, en effet, que le Sénat d'aujourd'hui représente la France de 1975 !
La décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet, que nous avons vivement désapprouvée quant à la remise en cause de la démocratisation du corps électoral, se prononçait paradoxalement pour la prise en compte des évolutions démographiques.
Je note d'ailleurs que les représentants de la majorité sénatoriale avaient eux-mêmes fondé leur contestation de la réforme du mode de scrutin sur la nécessité d'appliquer au préalable le recensement de 1999. Alors, qu'attendons-nous ? Inscrivons les propositions de loi et débattons-en !
N'est-il pas temps, mes chers collègues, que le Sénat prenne l'initiative d'adapter, enfin, notre Haute Assemblée à la réalité démographique du pays ?
Puisque nous sommes à l'heure de la précipitation, précipitons-nous pour anticiper sur le renouvellement de 2001. Ce serait de bon augure !
Face à cette crise de la vie politique, face à cette inquiétude des Français sur leur capacité à intervenir, les sénateurs communistes proposent quelques axes de réflexion ; ce sera le troisième point de mon intervention.
En premier lieu, nous proposons d'agir avec détermination pour conférer au Parlement de nouveaux pouvoirs.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Robert Bret. Il faut combattre toute une pratique qui inféode le pouvoir législatif au pouvoir exécutif. Prenons l'exemple des journées d'initiative parlementaire, appelées également « niches parlementaires » : soit les propositions de loi ne sont pas inscrites à l'ordre du jour de l'autre assemblée, soit elles sont sous haute surveillance gouvernementale pour obtenir le label majoritaire.
Des dispositions de la Constitution de 1958 doivent par ailleurs être supprimées. C'est le cas du fameux « 49-3 » qui, même lorsque, comme aujourd'hui, le Gouvernement ne l'utilise pas, pèse comme une épée de Damoclès sur le Parlement. Nous proposons également de revoir la sacro-sainte règle de la fixation de l'ordre du jour par le Gouvernement.
M. Paul Girod. Vaste programme !
M. Robert Bret. Des dispositions, comme le vote bloqué de l'article 44 ou comme l'article 40, doivent également être écartées. Sur ce dernier point, celui du pouvoir budgétaire, la restauration du pouvoir parlementaire doit être engagée d'urgence. Nous savons qu'une réflexion est engagée depuis de longs mois à l'Assemblée nationale à ce sujet, mais, là aussi, il conviendrait d'« accélérer » !
Permettez-moi cependant d'émettre un doute sur la portée réelle de toute réforme sur ce point si l'on ne desserre pas l'étau, le carcan des critères de convergences établis par le traité de Maastricht. Ces critères accentuent fortement le caractère de chambre d'enregistrement de nos deux assemblées en période de débat budgétaire. Il ne s'agit pas d'une mince affaire. Il me semble en effet que cette question du pouvoir budgétaire du Parlement est au centre du sentiment d'impuissance, en tout cas d'affaiblissement, qui se dégage trop souvent de notre intervention.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça, c'est vrai !
M. Robert Bret. Combien de mesures s'avèrent d'une portée réduite - je pense en particulier aux propositions d'initiatives parlementaires précédemment évoquées - faute de moyens budgétaires débloqués par Bercy, autrement dit par le tout puissant ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ?
Le contrôle de constitutionnalité représente un élément important du progrès ou du recul du pouvoir législatif. Cette question est sous les feux de l'actualité car, depuis plusieurs mois, le Conseil constitutionnel a rendu décision sur décision qui contrecarre l'action de la majorité de l'Assemblée nationale, issue, je le rappelle, du suffrage universel direct en 1997.
De la censure de dispositions importantes, de la réforme du mode de scutin sénatorial à celle du dégrèvement de la CSG, au profit des neuf millions de salariés les plus défavorisés, en passant par l'écotaxe, le Conseil constitutionnel a clairement pris des décisions de caractère politique. Cela n'est pas surprenant puisque la composition du Conseil est elle-même un enjeu politique : majorité et opposition guettent rituellement l'instant où elles domineront l'instance.
Le seul problème, et il n'est pas le moindre, concerne la légitimité démocratique du Conseil consitutionnel. Au nom de quel principe républicain - je faisais référence au siècle des Lumières, il y a un instant - neuf juges peuvent-ils défaire ce qui est l'expresion de la volonté générale ?
Bien entendu, je comprends parfaitement la nécessité d'assurer un contrôle de constitutionnalité. Mais ne faut-il pas mettre en chantier une réflexion pour substituer à cette instance, qui semble bien avoir fait son temps, une juridiction au fondement démocratique, qui peut être - c'est une proposition - l'émanation du Parlement, respectant un équilibre entre opposition et majorité ?
Le dernier point sur le renforcement des pouvoirs du Parlement concerne l'importante question du contrôle par le Parlement national de la politique européenne.
L'épisode, malheureux, du débat sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur des dizaines de directives européennes a mis en évidence la nécessité de permettre aux assemblées de peser en amont sur la préparation des normes européennes et à les examiner réellement en avril.
Je réitère notre proposition de donner au Parlement le pouvoir de mandater le Gouvernement avant la réunion d'un conseil des ministres européens statuant sur tel ou tel projet de directive. Pour le contrôle en aval, une disposition doit être insérée dans le règlement afin de permettre l'examen systématique de toutes les directives posant un problème important. Nous envisageons le dépôt rapide d'une proposition de loi sur ce point.
Le second grand axe de réflexion pour la restabilisation de la vie politique concerne le rapport entre le pouvoir économique et le pouvoir politique.
Il est clair que la désaffection de nos concitoyens à l'égard des partis et des décideurs politiques provient d'une impuissance croissante constatée à l'égard du pouvoir économique. Je n'entrerai pas aujourd'hui dans le détail de cette question, mais le rôle de la Banque centrale européenne, organe toujours dépourvu de contrôle démocratique, est significatif en ce domaine. La question des privatisations s'avère, dans ce cadre, centrale. Comment restaurer la primauté du pouvoir politique, du pouvoir démocratique si l'on retire à la collectivité publique la plupart de ses moyens d'intervention ?
Il s'agit là d'une question essentielle, en tout cas pour nous. Le libéralisme qui, par essence, privilégie les intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général, porte en lui-même la contestation du système démocratique. Le libéralisme s'accorde parfaitement au système présidentiel. La simplification du débat, la délégation de pouvoir facilite grandement l'action des intérêts privés.
Comme quoi, mes chers collègues, la question des institutions est bien une question globale. Elle recouvre l'ensemble des secteurs de la société et, de toute évidence, cette question des institutions mérite bien mieux qu'un référendum raté ou une « belle manoeuvre » réalisée, comme cela a été souligné, dans la précipitation coutumière de la fin du mois de décembre.
Agir pour une nouvelle démocratie, car c'est bien de cela dont il s'agit, exige une extension sans précédent de la démocratie participative.
C'est une condition du retour de la confiance des Français dans le système politique, c'est également la garantie d'un pouvoir retrouvé du Parlement ; c'est l'interactivité permanente entre le citoyen et l'institution, qu'elle soit locale ou nationale, qui permettra véritablement à la loi d'être l'expression de la volonté générale.
Cela impose évidemment un effort de réflexion et d'imagination pour créer de nouvelles formes de consultation, de débat. Faut-il aller vers une possibilité de contrôle du mandat électif au cours de celui-ci ? La question peut se poser. Nous estimons en tout cas possible de mettre en chantier dès à présent un dispositif tendant au dépôt de propositions de loi d'initiative populaire, permettant à une partie de la population - 2 % des électeurs inscrits par exemple - d'intervenir sur le plan législatif.
Je rappelle que la commission Vedel, mise en place en 1993, avait élaboré une intéressante proposition en ce sens.
Il est temps, mes chers collègues, de bousculer l'ordre établi et de permettre à nos concitoyens d'investir le champ politique. Toute tentative de « rapiéçage » constitutionnel en dehors de cette réflexion serait, à mon sens, de portée excessivement limitée.
L'essor de la décentralisation est inséparable, on le sait, de ce concept de démocratie participative. Ces deux idées doivent se nourrir dialectiquement.
Nous appuyons et nous appelons de nos voeux l'idée d'une nouvelle étape de la décentralisation. Mais, pour nous, il ne s'agit pas d'une décentralisation tournée contre l'Etat et la République, comme certains libéraux l'interprètent.
Nous alertons sur cette tentation de l'Europe des régions, qui créerait une entité territoriale uniforme en Europe, gommant les spécificités nationales.
Nous alertons également sur les tentatives d'utiliser cette juste aspiration à la décentralisation pour porter un coup à l'unicité du territoire et de la loi. Pour ces mêmes raisons, nous nous interrogeons sur la proposition de loi, déposée par le groupe UDF et débattue à l'Assemblée nationale, qui, au nom de l'expérimentation locale des collectivités territoriales, peut justement cacher des tentatives libérales. Nous en débattrons au Sénat le moment venu.
La décentralisation est pour nous, mes chers collègues, le moyen de donner à la population et aux élus locaux les moyens de mettre à profit au mieux les acquis de la République. Cette décentralisation, c'est l'outil de cette nouvelle démocratie que nous appelons de nos voeux, le moyen de mettre en pratique l'interactivité entre le haut et le bas, entre le bas et le haut.
Bien entendu, cette décentralisation doit s'appuyer sur un véritable statut de l'élu, qui permettra aux hommes et aux femmes de ce pays, jusqu'à présent écartés des fonctions électives pour causes d'activités salariées ou de charges familiales, de les assumer. Le statut de l'élu constitue un élément clef de la démocratisation de la vie politique.
C'est avec satisfaction que nous avons appris le vote, le 14 décembre dernier, d'une proposition de loi, présentée par les députés communistes, constituant un premier pas, certes encore trop modeste, vers un statut de l'élu. Nous serons vigilants au Sénat sur l'adoption de ces dispositions et nous aurons l'occasion d'en débattre dès la semaine prochaine.
Avant de conclure, je souhaite réaffirmer que la question de la démocratisation de la vie politique traverse l'ensemble de la société, notamment les entreprises. Comment imaginer construire une véritable intervention citoyenne si les Françaises et les Français ne disposent pas de pouvoirs d'intervention nouveaux dans la gestion des entreprises ?
Comme je l'indiquai précédemment, le pouvoir économique exerce actuellement, nous le savons, une forte pression sur le pouvoir politique. N'est-il pas nécessaire, pour retrouver l'équilibre indispensable, d'injecter une forte dose de démocratie dans l'entreprise française ? Cela irait, me semble-t-il, dans le bons sens.
Je dirai, en conclusion et pour résumer mon propos, que le débat d'aujourd'hui est censé porter sur une modification mineure de calendrier. Il s'agirait simplement de rétablir l'ordre naturel des choses.
De son côté, la commission des lois du Sénat propose deux amendements visant au maitien du calendrier.
N'est-il pas surprenant à cette occasion de découvrir les partisans traditionnels de la Constitution de la Ve République et de son caractère présidentialiste dans le rôle des preux défenseurs du Parlement et de découvrir les habituels détracteurs du coup d'Etat permanent présidentiel dans le rôle des promoteurs de la logique présidentialiste de la Ve République ?
Vous remarquerez, mes chers collègues, que j'ai pris soin de ne citer personne, ni aucune sensibilité politique.
M. Serge Vinçon. Ils se sont reconnus !
M. Robert Bret. Toutefois, nous mettons en garde solennellement ceux qui, à droite comme à gauche, peuvent être tentés de jouer avec le feu, c'est-à-dire avec les règles démocratiques. Sachons plutôt entendre le message que les Françaises et les Français nous ont adressé lors du dernier référendum.
Non, décidément, nous ne participerons pas à ce que je crois percevoir comme étant les derniers avatars d'une Ve République qui marque ses limites et confirme la nécessité d'engager de profondes réformes de nos institutions.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs communistes se prononceront contre l'inversion du calendrier électoral proposé par les auteurs de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer la position de la commission des lois et la brillante présentation qui en a été faite par le rapporteur, notre collègue M. Christian Bonnet.
Si, d'aventure, la proposition que je vais présenter ne recevait pas un soutien massif, il est clair que je me rallierais volontiers à la position exprimée par la commission des lois.
M. Guy Allouche. Ce n'est pas un scoop !
M. Philippe Adnot. La Constitution, en instituant, à l'origine, un mandat parlementaire d'une durée de cinq ans pour les députés et de sept ans pour le Président de la République, avait organiquement prévu que l'élection présidentielle puisse se tenir avant ou après les élections législatives. Il ne peut donc y avoir, aujourd'hui, de rétablissement d'un ordre chronologique qui n'a jamais existé.
Dès lors, nous sommes conduits à constater que les partisans d'une modification du calendrier électoral le sont, d'abord et uniquement, pour des questions d'opportunité. Que leur conviction soit ancienne, pour des motifs d'« espace présidentiel », ou plus récente, pour des préoccupations tactiques, d'ailleurs très aléatoires, la qualité des motivations n'est pas des plus respectable.
Pour autant, il est clair qu'il existe des problèmes qui découlent à l'évidence de la réforme dite du « quinquennat », laquelle, en soumettant les deux élections au même calendrier, contredit le caractère aléatoire de l'ordre des élections, puisque, sauf décès ou empêchement du Président de la République ou encore dissolution de l'Assemblée nationale, ces élections inverviendront toujours dans le même ordre.
Ce faisant, si nous adoptions l'inversion du calendrier, nous entrerions de plain-pied dans un régime présidentiel sans les contre-pouvoirs que celui-ci requiert normalement.
Je suis partisan de la mise en place d'un véritable régime présidentiel, ce qui m'a conduit à ne pas voter la demi-mesure - le quinquennat - qui nous était proposée. Je pense que, de demi-mesure en demi-mesure, nous allons changer la nature de nos institutions, et ce sans vision globale et sans véritable réflexion à long terme.
C'est user d'un euphémisme aujourd'hui que de souligner combien nos concitoyens sont à mille lieues de ces préoccupations politiciennes et, à l'évidence, ce n'est pas ce nouveau « coup » qui va les réconcilier avec la politique.
C'est la raison qui me conduira, mes chers collègues, à vous proposer un amendement tendant à faire coïncider les dates de l'élection présidentielle et des élections législatives.
Cela peut présenter un certain nombre d'avantages : un gain de temps, d'abord, car deux élections le même jour, c'est bon pour tout le monde ; ensuite, à l'évidence, une économie pour les deniers publics ; en outre, l'élimination des arrière-pensées prêtées aux uns ou aux autres, à tort ou à raison - ce serait le meilleur moyen de réconcilier les Français et la politique ; et, enfin, l'augmentation du taux de participation des électeurs aux deux scrutins, la mobilisation étant évidemment plus importante, sans oublier l'élimination de tous les problèmes liés aux délais nécessaires pour réunir les candidatures.
Assurément, les Français ne trouveraient que des avantages à une proposition qui, pour une fois, loin de se soucier du sort de tel ou tel camp, ne prendrait en considération que leur intérêt, et donc celui de la France.
Mes chers collègues, je vous invite à ne pas vous priver d'une solution originale qui pourrait donner satisfaction à tous. (Applaudissements sur certaines travées du RPR, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat n'est-il pas un peu surréaliste, rapporté au contenu même du texte, lorsqu'on voit l'extraordinaire afflux d'orateurs auquel il va donner lieu, et ne sommes-nous pas en train de faire de cette discussion ce qu'elle ne peut pas être ? La question peut se poser, et elle a été d'ailleurs humoristiquement soulevée hier par mon collègue et ami le président Badinter.
Mes chers collègues, il ne s'agit pas, pourtant, d'une vaste réforme électorale ; il s'agit seulement d'une simple prolongation de deux mois et demi de la durée des pouvoirs de l'actuelle Assemblée nationale, et de fixer désormais les élections législatives normales tous les cinq ans, certes, mais en mai-juin plutôt qu'en mars.
Ne nous faisons pas trop d'illusions et soyons modestes - plusieurs orateurs ont déjà fait allusion à ce point - : nous réglerons sans doute le problème pour 2002, mais nous ne réglerons définitivement la question de la date de l'élection des députés qu'en ce qui concerne les scrutins qui ont lieu au terme normal du mandat de l'Assemblée nationale. Car, pour ce qui est des élections qui suivent une dissolution, seul le Président de la République est maître de la date, nous le savons bien.
Et pourtant, rapporté à l'histoire et aux circonstances du moment, le texte qui nous est soumis n'est pas une banale loi électorale relative à l'Assemblée nationale. Il ne ressemble pas à celles que nous avons précédemment connues en 1985 et en 1986, qui avaient donné lieu aux polémiques habituelles sur la sincérité et les arrière-pensées de leurs auteurs, la gauche, d'abord, puis la droite.
En 1985, il s'agissait pour la gauche de mettre en oeuvre la proportionnelle, notamment parce que le temps avait manqué à la majorité depuis 1981 pour adapter le découpage électoral de 1958 aux évolutions démographiques et qu'il fallait éviter, en 1986, un résultat qui aurait pu être peu conforme à la réalité politique et sociologique du pays.
En 1986, il s'agissait de revenir au scrutin majoritaire, mais avec un nouveau découpage, le tout conformément aux conceptions qui ont toujours été celles des fondateurs de la Ve République.
Les responsables de 1985 - j'en faisais un peu partie, pas seul sans doute, dans cette assemblée - ont-ils voulu alors, par la proportionnelle, atténuer la victoire du gagnant prévisible et freiner la chute du perdant ? Ceux de 1986 ont-il voulu, par le scrutin majoritaire, accentuer la victoire qu'ils espéraient en 1988 et donc laminer un peu plus leurs adversaires ? Ce n'est pas totalement impossible, d'où les polémiques de l'époque. Mais ne refaisons pas l'histoire.
Même si l'on refuse de l'avouer, beaucoup d'entre nous sentent bien aujourd'hui que le texte qui nous est soumis, bien qu'il concerne la loi électorale de l'Assemblée nationale, n'appartient pas vraiment à la série de 1985 et 1986. D'abord, parce qu'il ne change rien au régime électoral actuel - le scrutin majoritaire demeure - et qu'il ne concerne que la date du scrutin. Ensuite, et surtout, parce que nous ne sommes pas appelés à régler un problème purement politique, comme en 1985 ou 1986, ni même les problèmes techniques et pratiques bien réels, monsieur le ministre, que pose le calendrier électoral un peu particulier de 2002. Au demeurant, ces problèmes pratiques et techniques peuvent toujours être surmontés, et le passé a montré, en 1974 en particulier, qu'on « savait faire », puisque, je le rappelle, au lendemain de la mort du président Pompidou, les présentations des candidats ont été collectées en moins de dix jours : décret de convocation le 8 avril ; publication de la liste des candidats le 18 avril !
Ce qui est en cause aujourd'hui, mes chers collègues, comme l'a solidement et brillament démontré mon collègue et ami le président Badinter, c'est une question d'ordre constitutionnel qui touche directement au fonctionnement des institutions.
Je ne reviendrai pas sur les inconvénients de la coïncidence des dates que l'Histoire nous a légués avec la mort du président Pompidou en 1974 et la dissolution de 1997, ni sur le fait que la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans rend ces inconvénients permanents, au moins jusqu'à la prochaine dissolution ou à la prochaine vacance de la présidence de la République.
Je m'en tiendrai à la réalité : l'héritage de l'Histoire fait que, si nous ne changeons rien, les Français, dont le libre vote est le fondement même de la République, pourront, certes, choisir, comme toujours, leurs dirigeants comme ils l'entendent, mais risquent d'être privés du droit de décider comment la France doit être gouvernée. Or la question : comment gouverner la France ? me paraît être un préalable à l'autre question importante, elle aussi, mais qui passe après : par qui la France doit-elle être gouvernée ?
Chacun sait que la Constitution de 1958 a institué un régime parlementaire, avec droit de dissolution et faculté pour les députés de renverser le Gouvernement. Mais elle a aussi créé une institution inhabituelle en régime parlementaire : un président de la République qui n'est pas seulement une autorité morale, comme sous les républiques précédentes, mais qui a des pouvoirs propres importants - « domaine réservé », jusqu'en 1981, « domaine partagé » depuis - et qui, surtout, est le seul responsable public français élu par la nation au suffrage universel direct, ce qui veut dire qu'il est le seul élu de France à rassembler sur son nom autant de citoyens.
Cette double caractéristique de nos institutions a rendu plus évidente encore qu'à l'origine la « double lecture » de la Constitution dont parlait souvent Michel Debré : « présidentielle », lorsqu'il y a identité de vues entre l'Elysée et le Palais-Bourbon ; « parlementaire » dans le cas contraire, double lecture, mes chers collègues, dont nous savons désormais, après plusieurs expériences, qu'elle n'est pas inévitable.
On a pu douter longtemps de la thèse sur la « double lecture » : après tout, la lecture « présidentielle » a prévalu pendant vingt-huit ans, jusqu'en 1986, lorsque les majorités, pour la première fois, n'ont plus coïncidé. Et, depuis 1986, les deux lectures n'ont pas cessé d'alterner : parlementaire de 1986 à 1988, présidentielle de 1988 à 1993, parlementaire de 1993 à 1995, présidentielle de 1995 à 1997, parlementaire depuis.
Il était sans doute bon pour la « respiration » de notre démocratie que surviennent ces alternances du régime institutionnel lui-même. Car elles permettent aux Français de choisir selon l'idée qu'ils se font de ce qui peut être la meilleure formule du moment.
Et ce que nous avons vécu trois fois en 1986, 1993 et depuis 1997 nous permet de voir les choses plus clairement : chacune des deux lectures, nous le savons, a évidemment ses avantages et ses inconvénients.
Ainsi, je tire de ces périodes successives depuis 1958 que, de même que le régime d'assemblée finit toujours par tuer le régime parlementaire, la lecture « présidentielle », si elle se prolonge trop, peut avoir tendance à remettre en cause la réalité du régime parlementaire maintenu clairement par les Français en 1958. Mais je tire aussi la conclusion, et je crois que ce que j'ai appris « sur le tas » en 1986 et 1993 m'y autorise, qu'il existe une très grande différence de nature pour ce qui est de la lecture « parlementaire » elle-même - ce qu'on appelle aujourd'hui la « cohabitation » - selon qu'elle dure deux ans ou cinq ans.
Car, mes chers collègues, qu'on le veuille ou non, et quels que soient les efforts - et nous savons qu'ils ont toujours été réels et grands - des deux principaux responsables de l'exécutif pour faire passer l'intérêt de la France avant tout le reste, nous savons bien que le partage des plus grandes responsabilités nationales entre deux autorités qui n'ont pas la même sensibilité politique et qui ne peuvent donc pas avoir une parfaite identité de vues sur tout oblige à des renoncements ou à des compromis qui peuvent parfois finir, à la longue, par porter un certain préjudice à l'idée que nous avons, les uns et les autres, de l'intérêt national.
M. Pierre Fauchon. C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Michel Charasse. Observons les trois périodes de lecture « parlementaire » que le vote des Français a imposées en 1986, 1993 et 1997. L'essentiel, quelles qu'aient pu être les difficultés, notamment du fait de la très vive compétition entre les deux têtes de l'exécutif entre 1986 et 1988, a pu être préservé en 1986 et en 1993, parce que l'élection présidentielle arrivait moins de deux ans plus tard, et ce qu'il faut bien appeler une « parenthèse », au regard de la nature même de la Constitution de 1958, révisée en 1962, était de courte durée.
Aujourd'hui, et sans mettre en cause, au contraire, le sens de l'intérêt national du Président de la République et du Premier ministre, nous sentons bien tous que cinq ans de « cohabitation », c'est long, et même très long ! Certains peuvent donc penser que c'est sans doute le maximum de ce que la France peut supporter sans difficultés. D'autres peuvent s'en accommoder, notamment ceux qui s'inquiètent du poids inévitable de la fonction présidentielle sur la vie publique et sur la vie parlementaire. Comme si un homme élu par la nation pouvait se confiner à l'inauguration des chrysanthèmes ! Mais, mes chers collègues, qui peut trancher ce débat, sinon le suffrage universel ?
Depuis 1981, les Français ont compris et admis que la France et sa démocratie ont besoin d'alternance dans les choix politiques. La majorité de nos compatriotes ne condamnent pas la cohabitation, d'autant qu'elle résulte de leur choix, ni la Constitution de 1958, dont on dit beaucoup qu'elle a fait ses preuves. Mais il en est qui souhaitent une alternance dans la pratique institutionnelle et dans la lecture constitutionnelle.
La question à laquelle beaucoup de Français doivent pouvoir répondre en 2002, c'est certes celle qui concerne le choix des dirigeants du pays, mais c'est aussi celle qui touche à la manière de gouverner.
Ce qui nous préoccupe aujourd'hui, c'est que les Français puissent réfléchir, en 2002, au-delà de la vie politique au quotidien, habituelle et donc un peu banale, c'est-à-dire au-delà du choix d'un président de la République et des députés qui formeront une majorité parlementaire.
Or, réfléchir au-delà, c'est offrir à nos compatriotes les moyens de répondre à la question essentielle qui se posera en 2002 : voulez-vous encore cinq ans de « cohabitation », c'est-à-dire de lecture parlementaire des institutions, ou voulez-vous revenir à la lecture « présidentielle » ?
La Constitution étant ce qu'elle est et ne pouvant pas être changée d'ici à 2002, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct étant irréversible, éviter, sciemment ou non, que notre peuple ait la possibilité de répondre à cette question, c'est en quelque sorte, un peu, manquer à la France.
Mais, mes chers collègues, comment répondre autrement qu'en élisant d'abord le Président de la République, donc en approuvant les grandes orientations qu'il proposera au pays, et en décidant ensuite quelles conséquences il faut tirer de ce premier choix au moment de l'élection des députés ?
Cette modification de l'ordre des scrutins prive-t-elle les Français de dire librement comment ils préfèrent que la France soit gouvernée ? Evidemment non ! Interdit-elle aux Français de choisir une Assemblée nationale opposée au Président ? Evidemment pas davantage ! Cette modification n'interdit pas, ne peut pas interdire une nouvelle cohabitation de cinq ans. Mais elle a l'avantage de permettre aux électeurs de mesurer eux-mêmes les conséquences de leurs choix en temps réel et simultanément, ce que n'ont pas permis les scrutins, que Robert Badinter définissait très justement comme des « scrutins sanctions », de 1986, 1993 et 1997.
C'est justement pour que les choses soient claires et les choix sans ambiguïté que l'Assemblée nationale a été dissoute par le président Mitterrand en 1981 après son élection, puis en 1988 après sa réélection, parce qu'il fallait bien que les électeurs puissent, en toute connaissance de cause, tirer les conséquences de leur choix présidentiel.
Maintenir le calendrier actuel - législatives en mars puis présidentielle en avril-mai - ne peut que conduire à éluder la question fondamentale : que veut-on pour la France, et quelle est la meilleure solution entre le prolongement de la lecture « parlementaire » actuelle et le retour à la lecture « présidentielle » ? Or, si les élections législatives viennent d'abord, avec leur logique propre et la personnalisation naturelle du scrutin d'arrondissement, la question ne sera pas posée parce qu'elle sera impossible à poser.
Car, contrairement à ce que certains feignent de croire ou de craindre, rien ne retient la main de l'électeur et le choix d'une majorité législative ne préjuge en rien celui du Président de la République, ni inversement d'ailleurs, ne serait-ce que parce que les deux modes de scrutin ne sont pas les mêmes.
En revanche, si le Président de la République est choisi avant les députés, il aura la légitimité et l'autorité pour dire aux Français : « Je ne pourrai pas respecter mes engagements, que vous avez approuvés, si je n'ai pas une majorité pour cela à l'Assemblée nationale. » Nos compatriotes auront alors toute liberté pour lier ou non leurs deux décisions. Mais ils le feront en toute conscience. Rien ne sera pour autant automatique, comme on l'a vu dans le passé. En effet, si la majorité présidentielle a été écrasante aux législatives de 1981, puiqu'un seul parti avait à lui seul la majorité, elle fut beaucoup plus juste et plurielle en 1988. Et pourtant, le président François Mitterrand avait été élu en 1988 beaucoup plus brillamment qu'en 1981.
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Michel Charasse. Voilà pourquoi, mes chers collègues, la proposition de loi organique votée par l'Assemblée nationale va bien au-delà des réformes électorales habituelles. Et voilà pourquoi tous ceux qui ont le souci de la manière dont la France sera gouvernée demain - question qui, de mon point de vue, et de celui de notre groupe, me semble-t-il, dépasse de très loin celle du choix des hommes et des équipes - ne peuvent que se rallier à une mesure dont on dit qu'elle est empreinte d'arrière-pensées. Hier, le président de Raincourt s'est livré, à cette tribune, à un véritable florilège de citations.
Plusieurs sénateurs des Républicains et Indépendants. Elles étaient fort bonnes !
M. Michel Charasse. On aurait pu sans doute en trouver dans les deux sens !
M. Henri de Raincourt. C'est vrai !
M. Michel Charasse. A titre personnel, ainsi que mon groupe, nous ne voyons qu'une arrière-pensée : que le pays, au-delà des hommes et des équipes, puisse se prononcer clairement sur la bonne marche de la France, c'est-à-dire sur la stabilité de ses institutions, sur l'efficacité de son action, sur l'autorité de son Etat et sur sa place, son poids et son image en Europe et dans le monde.
Vous comprendrez que pour ces raisons, mes chers collègues, le groupe socialiste est favorable au texte qui nous est transmis par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Pierre Fauchon. Quel bon apôtre !
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai pas le talent oratoire de M. Michel Charasse,...
M. Henri de Raincourt. Mais si !
M. Paul Girod. ... mais je voudrais lui dire que, selon moi, pas un sénateur au sein de cette assemblée ne raisonne, sur le problème qui nous est posé, à partir d'un autre positionnement que celui qu'il a pris en conclusion de son intervention.
Un sénateur socialiste. Alors, il faut voter le texte !
M. Paul Girod. Nous aussi, nous avons le souci d'une bonne gouvernance de la France, d'une traduction authentique de la volonté de son peuple et de la capacité d'expression de ses gouvernants, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, avec l'autorité nécessaire.
Nous sommes réunis pour parler calendrier et nous sommes enfermés dans un calendrier !
Monsieur le ministre, je regrette que M. le Premier ministre ne soit pas à votre place ; mais je comprends bien que, sur un débat auquel apparemment il tient, il préfère déléguer à ceux dont c'est le rôle d'avoir avec le Parlement les relations qui siéent au gouvernement de la Ve République par rapport à l'une des deux assemblées, en l'occurrence le Sénat !
Nous parlons d'un calendrier qu'un homme politique pour qui j'ai beaucoup d'amitié a qualifié un jour - chacun sait de qui il s'agit - de « calendrier dingo ». Il s'agit de celui de l'élection de 2002 à propos duquel - non pas contrairement à ce qui s'est toujours passé sous la Ve République, mais précisément pour cette année-là - une conjonction d'événements remet ouvertement en cause, ou tout au moins trouble quelque peu le raisonnement intellectuel des Français sur la pratique de leur Constitution ; je parle bien de leur raisonnement, car ils croient encore, pour la plupart d'entre eux, être dans la République que nous avons vécue de 1958 à 1986. Or, nous le savons bien les uns et les autres, nous ne sommes plus dans une lecture aussi cohérente de la Constitution depuis 1986.
Si l'on fait l'analyse des scrutins qui se sont succédé, surtout à partir de cette période de 1981, on s'aperçoit que les majorités ont moins été élues que les sortants n'ont été battus, et ce pour des raisons variées. Mais cette réforme portant sur un calendrier qui pose problème se déroule - j'ai eu l'occasion, monsieur le ministre, de vous le dire avec quelque verdeur au sein de la conférence des présidents - selon un calendrier qui, lui, est proprement inacceptable pour un parlementaire conscient de ses responsabilités.
M. Pierre Fauchon. Eh oui !
M. Paul Girod. De quoi s'agit-il ? Le problème qui se pose en 2002 est connu depuis, disons, pour être gentil, octobre 1997. En 1999, j'ai voté ici contre la réforme constitutionnelle et, dans mon département, j'ai fait campagne auprès de mes électeurs.
L'une des raisons qui m'animaient était, s'agissant de la mise en place du quinquennat sec, que personne nous éclairait sur le problème qui allait se poser en 2002, sur le « validement » de la durée du mandat du Président de la République sur celui de l'Assemblée nationale. Peut-être est-ce d'ailleurs aussi l'une des raisons pour lesquelles les Français, sur le référendum qui a suivi, ont été aussi perplexes, pour ne pas dire prudents, et, malheureusement, absents.
Le problème était simple : soit le calendrier de 2002, compte tenu de cette coïncidence des longueurs de mandat, se déroulait comme il le devait selon l'état des choses et, à l'évidence, nous basculions peu ou prou davantage vers une République parlementaire ; soit l'élection présidentielle, pour des raisons quelconques - accident, démission ou Dieu sait quoi... - précédait l'élection parlementaire, et, qu'on le veuille ou non, compte tenu de l'identité de durée des mandats, nous basculions dans ce cas-là vers une République plus présidentielle encore que celle que nous avions connue entre 1958 et 1986. Telle est la question qui aurait dû être posée.
Monsieur le ministre, je regrette de ne pas pouvoir m'adresser à M. le Premier ministre en cet instant, car lorsque le débat sur le quinquennat a été lancé à l'échelon officiel par le Président de la République, ce dernier a fait une déclaration claire qui engageait tout l'exécutif, puisqu'il a dit, sans être démenti à aucun moment et par qui que ce soit : « Je me suis entretenu de la question du quinquennat avec le Premier ministre et nous sommes d'accord, l'un et l'autre, pour que seule cette question soit posée et aucune autre derrière. » Le Premier ministre n'a pas démenti. Il n'a fait aucune observation.
M. Guy Allouche. Vous savez pourquoi ?
M. Paul Girod. A aucun moment, il ne s'est démarqué du cadre que le Président de la République avait fixé en le nommant précisément. Par conséquent, le silence du Premier ministre valait engagement.
Nous avons très vite constaté, au sein même de cette assemblée - je me rappelle mon échange avec M. Estier -, que si certains croyaient pouvoir discuter du quinquennat sec, d'autres avaient l'intention d'exploiter la brèche ainsi créée et, d'une certaine manière, nous sommes parvenus au moment où elle est exploitée. Dans quelles conditions ?
Monsieur le ministre, que vous le vouliez ou non, que le Gouvernement le veuille ou non, que la majorité plurielle le veuille ou non, la conjonction du quinquennat et de la remise en cause du calendrier oblige à une lecture complexe de la Constitution.
Permettez-moi de vous dire que ce n'est pas un sujet pour lequel on obtient du Parlement approbation ou refus dans les délais impartis. D'autant que, depuis 1997, on savait que le problème allait se poser. Depuis le lancement du débat sur le quinquennat, tous ceux qui étaient un peu conscients savaient que cette question se dessinait en filigrane. Pourtant, il a fallu attendre la fin du mois de novembre pour qu'au sein d'un congrès du parti socialiste le Premier ministre lance ce que l'un de nos collègues en commission des lois - je salue M. Guy Allouche - a appelé une « invitation à la réflexion », laquelle a été conduite tellement vite que, quelques semaines plus tard - trois semaines précisément -, on annonçait dans l'exaltation une série de propositions de loi d'antériorité, d'origines diverses, j'en conviens...
M. Claude Estier. Eh oui !
M. Paul Girod. La question a été mise à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, qui a voté à la hussarde un texte dont je dirai tout à l'heure pourquoi il est inacceptable. Aucun temps de réflexion n'a été prévu à la suite d'un débat qui avait été souhaité même par ceux qui, ne partageant pas vos convictions, se posaient néanmoins la question de l'inversion. Le texte a été aussitôt transmis au Sénat, juste avant les vacances.
Inscription - j'allais dire, droit dans ses bottes - par le Gouvernement du débat le 16 janvier, alors qu'on ne pouvait - on le savait ! - nommer le rapporteur que le 10 janvier et que cela imposait donc un débat sur le siège !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous plaisantez ! C'est dantesque !
M. Paul Girod. Monsieur le ministre, certains constitutionnalistes estiment que tout cela est très bien alors que d'autres soutiennent le contraire. Le moins que l'on puisse dire c'est que le débat mérite réflexion et que les travaux de la commission des lois, dont chacun connaît la qualité, menés avec compétence par son rapporteur, sous la direction de M. Fauchon pendant l'absence du président Jacques Larché, de celui-ci ensuite, que ces travaux, dis-je, méritaient d'être connus et digérés par l'ensemble de nos collègues.
Un certain nombre de tentatives ont été faites pour vous expliquer qu'il était impossible que l'examen en commission soit immédiatement suivi, l'après-midi, de la discussion en séance publique. Ces efforts de conviction furent d'ailleurs assortis d'engagements tendant à faire en sorte que si, vraiment, le Gouvernement y tenait, l'examen du texte soit terminé le 9 février prochain ; au moins, nos collègues auraient le temps de réfléchir !
Nous n'avons pas été entendus.
Il y avait peut-être un calendrier « dingo », en tout cas maintenant, nous nous trouvons enfermés dans un calendrier que je qualifierai de « macho » ou de « Rambo » : on nous force à délibérer l'épée dans les reins, à la hussarde sur un sujet qui mérite tout de même quelques réflexions. (Protestations sur les travées socialistes. - Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Claude Estier. A qui voulez-vous faire croire cela ?
M. Paul Girod. Je connais l'argument dévelopé hier par M. le ministre de l'intérieur sur l'extraordinaire respect qu'a le Gouvernement pour l'initiative parlementaire : 30 % des textes votés sont d'origine parlementaire. Peut-être mais, à part le texte « Fauchon », qui, entre parenthèse, a ôté une sacrée épine du pied de tout le monde, les propositions de loi qui sont arrivées à terme ne viennent pratiquement pas du Sénat,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !
M. Paul Girod. ... encore moins de l'opposition ; souvent, d'ailleurs, ce furent des textes alibis pour le Gouvernement, qui lui ont permis de court-circuiter l'étape indispensable du Conseil d'Etat.
En l'occurrence, le recours, aujourd'hui, à une proposition de loi organique est un artifice à deux titres : d'abord, cela évite le passage devant le Conseil d'Etat, mais surtout cela élimine toute possibilité de soumettre la question à référendum. Cela, c'est de l'astuce ou je ne m'y connais pas !
M. Guy Allouche. Mon cher collègue, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Paul Girod. Je vous en prie ! Comme je vous ai cité, c'est la moindre des choses que vous puissiez prendre la parole.
M. le président. La parole est à M. Allouche, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Guy Allouche. Cher Paul Girod, vous dites que les propositions de loi qui ont été adoptées depuis 1997 émanent essentiellement de la majorité. C'est sûrement vrai, encore qu'il faudrait les recenser. Mais pouvez-vous nous dire combien de propositions de lois déposées par la gauche ont été prises en considération entre 1993 et 1997 ?
M. Henri de Raincourt. 1995 !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Paul Girod.
M. Paul Girod. Non, monsieur de Raincourt, entre 1995 et 1997 parce que, avant, les journées réservées n'existaient pas.
M. Henri de Raincourt. C'est ce que je dis !
M. Paul Girod. J'aurais tendance à vous dire, mon cher collègue Allouche, qu'en la matière les comportements ont fâcheusement été identiques, mais en tout cas je n'ai jamais entendu un gouvernement de l'ancienne majorité se vanter, comme cela a été fait hier, de l'aboutissement généralisé des propositions de loi pour montrer à quel point il était respectueux du Parlement. Il y avait au minimum, dans cette démarche, un abus de langage.
Revenons-en à la question qui nous est posée, question apparemment anodine.
Je ne suis pas absolument certain que nos concitoyens perçoivent ce problème comme un des problèmes majeurs auxquels ils sont confrontés.
M. Henri de Raincourt. Sûrement pas !
M. Paul Girod. Je me permets en cet instant de rappeler ce que j'ai dit tout à l'heure : dans les consultations majeures qui ont eu lieu depuis quinze ans, la question que se sont posée les électeurs était plutôt de savoir s'il fallait ou non réélire les sortants que de savoir ce que valait le programme des uns et des autres. Peut-être aurez-vous l'occasion de le constater encore.
M. Henri de Raincourt. C'est très vrai. Cela dure depuis vingt ans !
M. Paul Girod. Et cela s'est vérifié à chaque scrutin. En 1986, ce n'est pas tellement la majorité de l'époque qui a été battue ; les Français ont plutôt voulu donner leur confiance, à travers les élections législatives, à un chef de Gouvernement dont tout le monde connaissait d'avance l'identité.
En fait, a été commise une erreur de fond dans la lecture de notre Constitution. Le Gouvernement procède du Président de la République ; cela figure dans le texte. Il peut demander l'approbation de l'Assemblée nationale, mais cela, ce n'est pas une obligation. Je ne suis pas certain que le vrai coup de canif donné dans la Constitution de la Ve République ne le fut pas le jour où, en 1986, un Président de la République dans l'exercice de ses pouvoirs s'est cru obligé de prendre comme Premier ministre le leader de la majorité parlementaire qui venait de sortir des urnes. Cette obligation, je le répète, ne figure pas dans les textes.
M. Michel Charasse. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Paul Girod ?
M. Paul Girod. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Charasse, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Michel Charasse. En 1986, j'ai été associé de très près...
M. Paul Girod. Je l'imagine !
M. Michel Charasse. ... aux conditions dans lesquelles M. Chirac a été désigné Premier ministre.
A l'époque, le président Mitterrand avait retenu trois candidats possibles : MM. Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chaban-Delmas.
Une discussion s'est engagée avec M. Chirac, plusieurs jours avant la décision, sur la question des ordonnances, c'est-à-dire sur la question de savoir, d'une part, si M. Chirac, Premier ministre, aurait l'intention d'agir par ordonnances dans un certain nombre de domaines - à l'époque il s'agissait des dénationalisations et de la loi électorale relative aux élections à l'Assemblée nationale - et, d'autre part si, dans ce cas, il admettrait que le Président de la République, en application de l'article 13 de la Constitution, ne soit pas obligé de signer.
La discussion a duré plusieurs jours. Elle a été conduite par M. Balladur, qui est venu à plusieurs reprises dans le bureau du secrétaire général de l'Elysée, Jean-Louis Bianco, en ma présence en qualité de conseiller juridique et constitutionnel du président Mitterrand, pour discuter de ce sujet.
Je peux vous dire que le président Mitterrand n'aurait pas désigné M. Chirac si un accord n'était pas intervenu, M. Chirac ayant fini par admettre que, dans l'hypothèse où le Président ne voudrait pas signer, il faudrait passer par la voie législative et le président Mitterrand disant : « Je ne ferai pas votre travail à votre place ni à la place de votre majorité ! »
J'ajouterai une anecdote : le jour où M. Chirac est venu à l'Elysée pour la confirmation de son choix, nous avions été chargés, M. Bianco et moi-même, de demander, d'une part, au président Giscard d'Estaing, d'autre part, à M. Chaban-Delmas de se tenir prêts, et un avion du GLAM avait été envoyé à Clermont-Ferrand et à Bordeaux, où ils se trouvaient respectivement, afin qu'ils puissent rentrer à tout moment à Paris au cas où l'accord n'aurait pas eu lieu avec M. Chirac. La désignation de celui-ci n'était donc pas aussi évidente que cela.
Je me rappelle avoir dit à l'époque au Président de la République : Monsieur le Président, tout le monde s'attend, dans la nouvelle majorité, à ce que ce soit M. Chirac qui soit désigné comme Premier ministre - raisonnement du président Girod -, aussi ne craignez-vous pas qu'un gouvernement dirigé par quelqu'un d'autre puisse rencontrer quelques difficultés à l'Assemblée nationale ?
Le président Mitterrand m'avait répondu : vous savez, la nature politique a horreur du vide ; à partir du moment où vous avez sollicité une quarantaine de personnalités pour siéger dans un gouvernement, il est peu probable qu'elles n'acceptent pas d'y entrer, qu'elles n'acceptent pas d'y rester et que l'Assemblée nationale décide de les renverser.
Vous voyez, mon cher collègue, rien n'était décidé à l'avance ; les choses se sont passées ainsi, mais elles auraient pu tourner autrement.
Je pourrais raconter une autre anecdote plus cocasse sur le moment où M. Chirac était dans le bureau du Président et où l'accord était en train de se conclure, mais celle-là je la révélerai personnellement et confidentiellement à M. Girod, car je ne souhaite pas qu'elle figure au Journal officiel. (Sourires.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Paul Girod.
M. Paul Girod. Je vous remercie à l'avance, monsieur Charasse, de me faire bénéficier des éclairages particuliers et confidentiels que vous pouvez avoir sur cette période ; cela me touche beaucoup.
Il n'empêche, mon cher collègue, que vous venez de disserter sur ce qui s'est passé avant ; moi je suis amené à disserter sur ce qui s'est passé au moment même. Rien, dans les textes, n'impose au Président de la République de désigner comme Premier ministre l'un des leaders de la nouvelle majorité. Le rôle du Parlement est de contrôler, de légiférer, éventuellement de censurer, non de générer.
Je pense que la présence du ver dans le fruit date de cette époque. Je pourrais peut-être aussi vous faire part, sur le terrain de la confidence, d'un certain nombre des réflexions que je me suis faites sur la question.
Cela étant dit, dans la lecture qu'ils font de la Constitution, nos concitoyens sont persuadés que c'est encore le Président qui impulse tout, même si, petit à petit, au bout de cinq ans de cohabitation, ils s'aperçoivent que c'est un peu moins vrai - peut-être le déplorent-ils ? - qu'ils ne l'imaginaient.
Or, que nous propose-t-on ?
Si nous arrivait de l'Assemblée nationale un texte précisant que, pour l'élection de 2002, et pour elle seule, le mandat de l'assemblée était prolongé de deux mois, on pourrait se poser la question de son bien-fondé... sous réserve qu'on ait le temps de le faire, monsieur le ministre.
M. Claude Estier. Comment, vous n'avez pas encore eu le temps d'y réfléchir ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quand vous étiez dans la majorité, vous alliez plus vite que cela !
M. Paul Girod. Si, monsieur Estier, j'ai eu le temps d'y réfléchir et cela m'amène exactement à une conclusion inverse de la vôtre.
Si, je le répète, on nous proposait de prolonger de deux mois le mandat de cette assemblée, cela mériterait une large enquête d'opinion, un débat dans le public et non pas un débat restreint au simple Parlement, mais ce serait envisageable. Or ce n'est pas du tout ce que contient le texte qui nous est soumis.
L'Assemblée nationale nous transmet une proposition qui fixe définitivement le terme de l'exercice des mandats de l'Assemblée nationale au mois d'avril.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que, sous couvert d'une simple affaire de date, on introduit en fait dans la pratique - très vraisemblablement - et dans l'esprit du public - sûrement - une lecture spécifique de la Constitution, parce qu'il s'agit d'une mesure définitive.
Or, sur quoi cette mesure est-elle accrochée ? Sur un événement totalement fortuit : le président Badinter l'a remarquablement démontré hier.
On nous dirait que l'on prolonge les pouvoirs de l'actuelle Assemblée nationale de deux mois et que l'on remet les élections « dans l'ordre » pour 2002, cela pourrait se concevoir. Pour autant, je ne suis pas convaincu que ce serait très bien accepté par nos concitoyens ; mais c'est un autre problème.
Mais, sous prétexte que, par un jour du mois d'avril, il est arrivé malheur à un Président de la République, bloquer tous les renouvellements législatifs au mois de juin, pour aboutir à l'évidence à ce que les gouvernements soient systématiquement formés au début du mois de juillet, au moment des départs en vacances, dans la confusion totale des esprits, sans même parler de la confection du budget et des lettres de cadrage,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En 1968, c'était le 30 juin !
M. Paul Girod. ... constitue une erreur de fond.
L'événement de départ est un événement fortuit : faire du législatif et du quasi-constitutionnel définitifs à partir d'un événement fortuit, ce n'est pas un crime contre l'esprit, mais cela commence à s'en rapprocher sérieusement !
En outre, est-il vraiment si nécessaire de vouloir remettre les élections « dans l'ordre » ? Comme si les Français n'avaient pas la faculté de réfléchir « en sens inverse » à quatre semaines d'intervalle ! Ne sont-ils pas capables de savoir ce qu'ils veulent fondamentalement ? En fait, dans cette affaire, on les prend un peu pour des benêts !
Cependant, à la limite, je pourrais comprendre qu'on veuille à tout prix respecter cet ordre. Mais figer définitivement les élections au 15 juin parce qu'il se trouve que le mandat du Président de la République se termine au mois d'avril, c'est introduire subrepticement dans la Constitution une lecture définitivement présidentielle du système. Or cela mérite que l'on y réfléchisse un peu plus longtemps !
Alors, une mesure pour 2002, peut-être ; une mesure répétitive, sûrement pas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On verra !
M. Paul Girod. Eh bien voilà ! Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous prends au mot : on verra ! Pourquoi ne pas prendre, effectivement, le temps de voir ? On modifie la date des prochaines élections législatives, et seulement de celles-ci, et l'on se donne quatre ans pour réfléchir sur la suite !
M. Claude Estier. Vous seriez contre tout de même !
M. Paul Girod. Monsieur Estier, vous ne me ferez tout de même pas croire que ce choix à titre définitif est totalement fortuit ! J'imagine, et les Français imaginent aussi, derrière tout cela, un certain nombre d'arrière-pensées ou de manipulations.
On nous dit, par ailleurs, que le Sénat n'a pas à s'occuper du mode d'élection de l'Assemblée nationale. Je me permettrai de rappeler que, depuis le début de la Ve République, par quatorze fois, l'Assemblée nationale s'est saisie du mode d'élection du Sénat. Il y a eu, si je me rappelle bien, cinq désaccords : l'un s'est résolu en cours de route, quatre ont été des désaccords profonds, et cela sous des majorités différentes ; nous avons, bien entendu, à l'esprit les plus récents, mais il y en a eu d'autres.
En sens inverse, le Sénat a été saisi par deux fois de projets de modification du mode d'élection de l'Assemblée nationale. La première fois, en 1985, par respect pour l'Assemblée nationale - un respect dont nous n'avons pas toujours été payés de retour -, il a adopté une motion de procédure afin de permettre le déroulement du débat sans intervenir dans les affaires concernant l'autre assemblée.
La seconde fois, en 1986, comme tout le monde était d'accord, cela n'a pas posé de problème.
Alors, mes chers collègues, devant la question qui nous est posée, et qui est en réalité sous-tendue par des précautions à mon avis tout à fait superfétatoires - car il s'agit d'un jeu consistant, pour le Président de la République et l'Assemblée nationale, à se demander réciproquement : « qui t'as fait roi ? » - je crois que la précipitation est la pire des choses.
C'est la raison pour laquelle, de toute façon, je ne voterai sûrement pas le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Paul Girod. Je m'interroge encore, malgré l'amitié que j'ai pour notre éminent rapporteur et malgré la qualité de son rapport et de ses propsitions, sur le fait de savoir s'il vaut mieux adopter sa solution ou carrément refuser le texte. En fin de débat, je me déterminerai, mais, dans l'état actuel de choses, je peux seulement dire, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'un débat de cette importance mérite mieux que dispositions prises à la hussarde ou à la sauvette.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Paul Girod. J'ajoute que l'alibi de l'année précédant les élections que l'on nous sort en permanence est, dans tous les cas de figure, un faux alibi.
En effet, même si la mesure ne passe qu'au début du mois d'avril 2001, elle se situe encore à l'intérieur de l'année qui précède les élections législatives. Par conséquent, la précipitation et ces procédés à la hussarde ne se justifient pas ! La manière dont le Premier ministre, après avoir appelé à la réflexion, s'engage, flamberge au vent, en brutalisant l'ordre du jour, n'est donc pas acceptable.
Ainsi, je vous le dis avec gravité, monsieur le ministre, je n'entrerai pas dans le débat sur le « calendrier dingo » parce que je ne peux accepter ni le flou ni le « calendrier Rambo » ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Autexier.
M. Jean-Yves Autexier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, m'exprimant non pas au nom du groupe communiste républicain et citoyens mais en tant que sénateur membre du Mouvement des Citoyens, je rappellerai d'abord qu'à nos yeux le choix du quinquennat « sec » ne correspondait à aucune réalité. Nous nous en étions expliqués, à l'époque, en soulignant que cette réforme devait en appeler d'autres pour sauvegarder la cohérence des institutions.
Le quinquennat « sec » posait en effet autant de questions qu'il en résolvait. A présent, ces questions apparaissent une à une en pleine lumière ; il faut y apporter des réponses.
Tout d'abord ramener à cinq ans le mandat du Président ne peut à aucun titre effacer le rôle majeur qui est le sien.
L'élection directrice est celle du Président de la République au suffrage universel. La réforme de 1962, la pratique, la réalité politique depuis 1965 le montrent abondamment. Peut-on revenir sur cet état de fait ? Je peux comprendre que certains le souhaitent, car la présidentialisation comporte ses inconvénients. Mais on ne les surmontera pas en revenant sur l'élection au suffrage universel du Président. Les Français y voient un élargissement de la citoyenneté et la marque de la responsabilité du Président devant le peuple.
C'est donc par le rééquilibrage des pouvoirs que les écueils de la présidentialisation seront évités.
Le Président de la République, depuis 1965, n'est plus l'arbitre, le deus ex machina qu'avait imaginé le général de Gaulle, créant la fonction à son image. Il est à présent, il faut bien le dire, le chef d'une coalition de droite ou le chef d'une coalition de gauche. Quand il dispose d'une majorité à l'Assemblée nationale, il assure la direction effective de l'exécutif et le Gouvernement est en réalité choisi par lui. Cette responsabilité devant le suffrage universel de celui qui a vocation à tracer les grandes orientations de la politique du pays est un trait marquant qu'on ne peut plus effacer.
L'élection présidentielle structure notre vie politique : les alliances se concluent devant le suffrage universel. Les candidats sont conduits à présenter un programme, ce qui invite d'ailleurs à la responsabilité et à la cohérence.
L'élection présidentielle au suffrage universel est une expression directe de la souveraineté populaire.
La cohabitation, qui aboutit à affaiblir notablement le rôle du Président, n'est ni durable ni souhaitable.
La cohabitation institutionnalise la rivalité entre les deux têtes de l'exécutif. Elle conduit à ce que les affaires de l'Etat ne soient plus traitées qu'à travers le prisme de cette rivalité.
C'est d'ailleurs avec le souci de réduire les risques de la cohabitation qu'a été instauré le quinquennat. Mais cette réforme n'a de sens que si l'élection du Président précède le renouvellement de l'Assemblée. Dans l'hypothèse inverse, comment imagine-t-on un Président en fin de mandat désignant un Premier ministre qui pourrait n'être qu'intérimaire jusqu'à la date de l'élection présidentielle ? La cohabitation reviendrait par la fenêtre après avoir été éconduite par la porte. Et cette cohabitation d'un nouveau genre pourrait naturellement donner envie au nouveau Président de faire usage de son droit de dissolution. Une nouvelle discordance entre le quinquennat et la législature ouvrirait encore une période d'instabilité.
Autant ceux qui n'ont jamais approuvé le principe de l'élection du Président de la République au suffrage universel direct sont fondés à s'opposer au rétablissement du calendrier électoral normal, autant ceux qui sont depuis toujours favorables à cette élection, ceux qui tiennent le Président pour la clé de voûte des institutions, nous surprennent dans leur refus de modifier un calendrier qui ne doit rien à la raison ni à la Constitution, mais qui doit tout aux circonstances. Laisser persister cette inversion, ne pas rétablir le calendrier logique, c'est affaiblir le dispositif central des institutions.
La confusion des pouvoirs, les habiles stratégies d'empêchement auxquelles on est accoutumé lors des périodes de cohabitation ne sont pas faites pour rétablir la confiance des citoyens dans leurs gouvernants.
Il est temps de retrouver quelques règles simples, fondées sur la responsabilité : un Président élu pour cinq ans et qui est, de facto , le chef de l'exécutif ; un Parlement qui légifère et qui contrôle ; une opposition qui s'oppose. Et, après cinq ans de travail, permis par la stabilité, chacun se retrouve au rendez-vous du suffrage universel, le seul souverain, capable alors de se prononcer dans la clarté.
Le rétablissement du calendrier est, à nos yeux, une bonne chose pour la démocratie.
En effet, il établit nettement les responsabilités, préserve mieux la possibilité de gouverner de manière stable durant une période de cinq ans de donne aux citoyens le moyen d'un contrôle plus effectif des gouvernants.
Pierre Mendès France, qui était hostile à l'élection du Président de la République au suffrage universel, souhaitait, pour sa part, un contrat de législature liant l'exécutif au législatif durant cinq ans, et qui ne pouvait être rompu qu'en allant aux urnes pour des élections générales.
Le même esprit doit nous conduire, en tenant compte de ce fait acquis qu'est l'élection présidentielle, à favoriser un contrat de législature liant, cette fois, le Président et l'Assemblée nationale, afin que le citoyen sachent clairement qui gouverne, qui légifère et qui s'oppose. Après cinq ans, le retour devant les électeurs sanctionnerait non plus l'arbitrage des rivalités de la cohabitation, mais l'appréciation d'une politique cohérente conduite pendant cinq ans.
Placer l'élection présidentielle avant le renouvellement de l'Assemblée nationale pourrait-il nuire à l'expression pluraliste des opinions, notamment aux petits partis ? L'expérience nous montre que ce n'est pas l'élection présidentielle qui nuit au pluralisme. Au contraire, les premiers tours sont l'occasion d'une démonstration de vitalité et de pluralisme ; comme le note le doyen Vedel, « ils donnent une chance exceptionnelle aux petits partis d'exister, de percer et de se renforcer ».
Non, ce qui affadit le pluralisme, c'est davantage la nécessaire discipline majoritaire puisque, en elle, réside la clé de la stabilité gouvernementale. Placer dans l'Assemblée nationale la source de légitimité du Gouvernement, c'est évidemment encourager la discipline majoritaire, alors même que le gouvernement procède de facto du Président de la République, hors les périodes de cohabitation. Les deux inconvénients sont alors cumulés : carcan majoritaire pour l'Assemblées nationale et présidentialisation pour l'exécutif. C'est en modifiant ce rapport qu'on équilibrera mieux les institutions. Ce n'est pas en conservant un calendrier qui doit tout au hasard et interdit un bon fonctionnement des institutions.
Un rééquilibrage satisfaisant de nos institutions nous conduira à d'autres réformes.
Ce qu'on nomme le « présidentialisme majoritaire » appelle un renforcement du pouvoir législatif.
Déjà, la réforme en cours de l'ordonnance de 1959 relative aux lois de finances peut améliorer le contrôle parlementaire sur le budget de l'Etat.
D'autres évolutions sont possibles et souhaitables.
La première consisterait à limiter la maîtrise du Gouvernement sur l'ordre du jour des assemblées.
La seconde réformerait l'article 55 de notre Constitution, en limitant la supériorité des traités sur les lois aux seules lois votées avant la ratification desdits traités.
Nous sommes là au coeur de l'abaissement actuel des pouvoirs du Parlement.
Car, je le répète, ce n'est pas l'élection du Président de la République au suffrage universel qui aboutit à réduire les pouvoirs du Parlement. Si l'on observe le fonctionnement des institutions britanniques ou allemandes, on observe que le Premier ministre ou le Chancelier ont autant de pouvoirs que le Président de la République française, quand du moins il peut compter sur une majorité à l'Assemblée nationale.
C'est pourquoi l'évolution vers un régime plus présidentiel renforcerait paradoxalement les pouvoirs du Parlement.
Le quinquennat, avec la logique majoritaire qui prévaut, fera du président le chef réel de l'exécutif ; de lui procédera, dans la réalité politique, le Gouvernement. C'est la situation que nous avons connue chaque fois que les majorités présidentielle et parlementaire coïncidaient.
Si le président n'est plus un arbitre au-dessus de la mêlée mais qu'il est le chef de l'exécutif, il doit cesser d'exercer de surcroît une tutelle abusive sur le Parlement.
La désuétude du droit de dissolution s'impose. Dans un régime plus présidentiel, et sans copier le modèle américain, le président est certes responsable de l'exécutif, le Gouvernement est certes responsable devant lui, mais le Parlement exerce la plénitude de ses pouvoirs pour la loi, le budget et le contrôle de l'exécutif.
Oui, paradoxalement, un régime présidentiel, qui ne serait pas pour autant un régime américain, signifierait pour le Parlement davantage de pouvoirs et l'exercice plein et entier de ses prérogatives, aujourd'hui amputées par l'exécutif, qu'il s'agisse de la dissolution, de l'article 49-3, de la maîtrise de l'ordre du jour, de l'article 40.
On objecte à cette évolution le risque de blocage. Il est un très bon moyen de le surmonter. Reprenant l'idée de contrat de législature, il conviendrait que l'exercice exceptionnel de la dissolution en cas de crise conduisît à la remise en jeu simultanée du mandat des députés, bien sûr, mais aussi du mandat du Président. Pareille dissuasion, qui ferait des citoyens le seul arbitre d'une crise, est de nature à surmonter les tentations de blocage.
Il faut ajouter que, si le Gouvernement est responsable devant le président, la discipline majoritaire à l'Assemblée nationale est moins contraignante. Délivrée de l'obligation de dessiner des majorités nettes, le mode de scrutin peut alors faire place à une part de représentation proportionnelle, pour que tous les courants de notre vie publique soient effectivement représentés.
Ainsi, par une série d'évolutions successives, se trouverait établi un meilleur équilibre entre un exécutif stable, capable de gouverner et de prendre en compte le long terme, et un Parlement qui débat, légifère et contrôle.
Le rétablissement du calendrier électoral est donc, à nos yeux, comme le quinquennat, un pas dans la bonne direction dans la mesure où l'arbitrage du suffrage universel dans sa forme la plus limpide, celle de l'élection présidentielle, revient au coeur de nos institutions, où la pratique délétère de la cohabitation l'avait remplacé par un jeu subtil des habiletés.
Dans la tourmente de la mondialisation, dans un monde où les leviers de commande tendent à passer des instances légitimes issues du suffrage vers les marchés ou les entreprises, la France a besoin d'un Etat. Elle a besoin d'institutions fermes, capables d'être garantes du long terme, capables de faire prévaloir la volonté des citoyens sur les lois du marché.
Il faudra, à l'avenir, reconquérir les souverainetés perdues, regagner ces pouvoirs que les élites délaissent ou délèguent parfois sans se soucier de ce qui ne leur appartiennent pas, mais qui leur sont confiés par la souveraineté populaire.
Quand la politique monétaire se décide à la Banque centrale européenne, la politique de défense à l'OTAN, la politique commerciale à l'OMC, quand le droit dérivé européen proliférant s'impose à la loi, même votée postérieurement, quand les instances administratives dites indépendantes se multiplient, quand le Parlement est mis hors jeu, c'est le citoyen qui est blessé, c'est la souveraineté qui est atteinte, c'est la démocratie elle-même qui est en question.
La crise du politique ne trouve pas sa source ailleurs. Voilà pourquoi nous avons besoin d'institutions capables de remettre la souveraineté populaire au coeur de tout et de rendre au citoyen la capacité d'influer sur le cours des choses. L'élection présidentielle au suffrage universel direct en est aujourd'hui le moyen principal.
Rétablir le calendrier logique, c'est rendre sa force à des institutions solides, outils de la volonté populaire pour se faire entendre contre les vents de la mondialisation, capables d'opposer la voix légitime du peuple, issue du suffrage, face aux exigences du marché privées de la légitimité politique.
Tel est, à nos yeux, comme l'ont dit les précédents orateurs, le sens de la lecture de la Constitution qui s'engage. Voilà pourquoi nous apportons tout notre soutien au rétablissement du calendrier électoral, étape importante pour replacer la souveraineté populaire au coeur de nos institutions démocratiques. (Applaudissements sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. M. Paul Girod, qui n'est pas là pour entendre ma réponse, m'a interpellé tout à l'heure au sujet des propositions de loi qui ont été examinées pendant cette législature.
Je voudrais simplement donner le chiffre : depuis juin 1997, ce sont cinquante-trois propositions de loi qui ont été adoptées par le Parlement, donc beaucoup plus que sous les législatures précédentes, et celle-là n'est pas terminée ! Sur ces cinquante-trois propositions de loi, trente-quatre ont été déposées par la majorité et dix-neuf par l'opposition. M. Allouche, qui s'interrogeait, peut ainsi faire la comparaison avec la législature précédente.
L'initiative parlementaire a donc bien été respectée.
J'ajouterai que la proposition de loi qui est en discussion aujourd'hui est issue de six propositions de loi pluralistes, puisqu'elles émanent à la fois de la majorité et de l'opposition de l'Assemblée nationale.
M. Josselin de Rohan. Quelle blague !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Cela prouve bien qu'en ce domaine l'initiative parlementaire est respectée.
Je tenais à apporter cette précision, car je connais la vigilance du Sénat s'agissant du rôle législatif du Parlement. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Raffarin. L'excès d'argumentation n'emporte pas la conviction !

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MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. M. le président a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre par laquelle le Gouvernement retire de l'ordre du jour prioritaire de la séance d'aujourd'hui, mercredi 17 janvier, les textes suivants :
- sept conventions internationales ;
- deuxième lecture du projet de loi portant règlement définitif du bugdet de 1998 ;
- projet de loi portant règlement définitif du budget de 1999.
Acte est donné de cette communication.
L'ordre du jour prioritaire de la séance d'aujourd'hui est modifié en conséquence.

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DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous avons à examiner aujourd'hui la proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence.
La nécessité de cette urgence pose question dans la mesure où je ne vois pas quelle priorité nationale peut s'imposer sur ce texte, alors que nous attendons et appelons de nos voeux bon nombre d'autres réformes autrement plus urgentes pour nos concitoyens. Je pense, par exemple, à la famille, à la crise agricole et alimentaire qui secoue notre pays, à une réforme de la justice, à celle de l'éducation - sur laquelle Claude Allègre est très prolixe - et à toutes les autres que votre gouvernement abandonne dans les tiroirs des différents cabinets ministériels...
Nous avons donc à examiner aujourd'hui la proposition de loi organique adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
La « date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale » est un délicat euphémisme, qui masque à peine la réalité de cette proposition de loi organique.
Il aurait sans doute fallu avoir le courage d'appeler un chat un chat ! Tout d'abord, il s'agit non pas d'une simple modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, mais bel et bien d'une prolongation de la durée d'un mandat, pourtant fixé à cinq ans - et seulement cinq ! - par le peuple souverain. Je ne comprends pas quelle crise politique majeure justifie cete prolongation.
Faut-il rappeler à ce sujet que les seuls cas de prolongation du mandat de député ont toujours été liés à un conflit armé dans lequel la France et son territoire étaient engagés ?
Le doyen Patrice Gélard, sénateur de la Seine-Maritime, me permettra de le citer en ce sens. Les seuls précédents historiques de prolongation de la durée du mandat de député sont au nombre de quatre et ont toujours été liés à la guerre.
Initialement élue pour un an seulement, la Convention s'est prolongée pendant quatre ans en raison de la guerre qui engageait la France face aux monarchies voisines.
L'Assemblée nationale, élue en 1871, pour négocier la paix et élaborer une constitution pour la France, a duré quatre ans.
La Chambre des députés, élue en 1914, s'est, quant à elle, prolongée jusqu'à la fin de la guerre dans les circonstances d'union nationale que nous connaissons durant ce conflit, qui fut le plus meurtrier de notre histoire. Christian Bonnet, notre rapporteur, nous le rappelait hier.
Enfin, la Chambre des députés du Front populaire, élue en 1936, s'est prolongée de deux ans dans le contexte très particulier du début de la Seconde Guerre mondiale et de l'occupation d'une partie du territoire national par les forces ennemies.
Ainsi, les prolongations de la durée du mandat de député ont toujours été liées aux plus tristes circonstances de notre histoire.
Je le répète, je comprends assez mal quelle urgence nationale exigerait aussi promptement une telle réforme dans la mesure où notre pays, vit, fort heureusement, sauf information contraire, dans un climat général de paix.
Pour en revenir au titre de cette proposition de loi organique, en plus de la litote consistant à appeler « une prolongation de mandat » une modification de durée, je m'amuse également qu'il n'y soit pas fait explicitement référence à la portée réelle de ce texte, à savoir l'inversion du calendrier électoral.
Si le principe est d'inverser le calendrier afin que l'élection présidentielle précède les élections législatives, il faut le dire clairement et sans doute, d'une part, renommer la proposition de loi organique et, d'autre part, l'amender sans plus attendre car, mais j'y reviendrai, le texte en l'état ne garantit absolument pas l'antériorité de l'élection présidentielle. Il existe moult raisons pour lesquelles le calendrier pourrait être à nouveau inversé, ou tout du moins « modifié », pour reprendre votre euphémisme.
Il pourrait s'agir d'une dissolution, qui interviendrait en raison d'une crise majeure, par exemple le décès du Président de la République que, bien évidemment, personne ne souhaite, mais dans le domaine des aléas de la vie, il existe des précédents. Par conséquent, rien ne garantit totalement l'antériorité de l'élection présidentielle dans le texte qui nous est proposé aujourd'hui.
Autre hypothèse, ce texte n'a absolument pas d'autre ambition que d'étendre arbitrairement la durée du mandat de député, ce dont je doute, vu le contenu des débats de l'Assemblée nationale en décembre dernier. Et dans cette hypothèse, aucune urgence nationale, encore une fois, ne justifie cette prolongation.
En ayant terminé sur le titre de cette proposition de loi organique, j'aimerais maintenant traiter du contenu de ce texte. Je soulèverai en ce sens un certain nombre d'interrogations et préciserai un certain nombre de points qu'il me semble essentiel de traiter aujourd'hui.
Le premier d'entre eux concerne la méthode employée pour faire passer cette réforme. Elle me semble tout à fait injuste dans la mesure où la formule retenue consiste à passer par le biais d'un texte d'origine parlementaire. Pour un citoyen non averti, cela semble probablement sans incidence.
Pourtant, je dois rappeler que ce choix n'est absolument pas innocent.
En effet, en procédant de la sorte, le Premier ministre peut se dispenser d'un certain nombre de contrôles.
Ainsi, le Conseil d'Etat n'a pas eu à donner d'avis sur un projet de loi organique, comme il aurait été obligé de le faire. On sait pertinemment que le Gouvernement n'aime pas les éléments perturbateurs de ses stratégies, qu'il s'agisse du Sénat, du Conseil constitutionnel - l'actualité offre quelquefois des déclarations surprenantes ! - ou, maintenant, du Conseil d'Etat.
En ne procédant pas au dépôt d'un projet de loi organique, le Gouvernement peut se dispenser de l'avis du Conseil d'Etat, qui, sans doute, n'aurait pas été des plus favorables à la manoeuvre.
Par ailleurs - et c'est aussi grave - le Gouvernement a ainsi pu se dispenser de l'avis et du contreseing du Président de la République.
Nous le savons tous, cette réforme touche, sans le dire, à l'élection présidentielle, puisqu'il s'agit bel et bien d'inverser le calendrier électoral. La moindre des politesses aurait bien évidemment été de passer par la voie d'un projet de loi organique qui aurait permis son examen en conseil des ministres, lequel est, en vertu de l'article 9 de la Constitution, présidé par le Président de la République.
Ainsi, le Président de la République aurait pu formuler - ce qui semblait la moindre des choses - des observations, voire des réserves quant à l'inversion du calendrier électoral.
Cela n'aurait pas relevé simplement de la plus évidente des courtoisies, mais également de l'esprit même de nos institutions, que certains croient défendre aujourd'hui en soutenant cette inversion du calendrier. Si personne ne peut se prévaloir d'être garant de l'esprit de nos institutions - et surtout pas ceux qui, héritiers spirituels de l'auteur du « Coup d'Etat permanent », l'ont combattu jusqu'à une période très récente - il n'en demeure pas moins que la seule certitude est que les réformes institutionnelles relèvent de la compétence du Président de la République.
Effectivement, personne n'est habilité à dire si l'inversion ou le maintien du calendrier est le plus conforme à l'esprit de nos institutions. En ce sens, les remarquables auditions auxquelles le Sénat a procédé nous révèlent l'opposition d'éminents constitutionnalistes sur la question. Qui peut dire qui a raison ou qui a tort quand tous sont d'éminents et incontournables spécialistes de ces questions institutionnelles ?
En revanche, nul ne peut nier que la réforme, si elle devait avoir lieu, devrait être du ressort du Président de la République.
Permettez-moi de citer encore une fois notre Constitution qu'il est salutaire de ne pas oublier en la circonstance. L'article 5 est, encore une fois, on ne peut plus explicite. Son alinéa premier dit : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. »
Il me semble qu'il est difficile d'être plus clair. De quel droit le Président de la République a-t-il été écarté, d'une part, d'un débat institutionnel, d'autre part, de l'élaboration d'un texte de loi le concernant au premier chef ?
M. Josselin de Rohan. Très bien!
M. Serge Vinçon. Cette question mérite, me semble-t-il, une réponse claire, monsieur le ministre, et ce d'autant que le Premier ministre semblait pourtant, lui aussi, extrêmement clair sur la question, avant...
A ce titre, je ne peux faire l'économie de rappeler à mon tour les propos de Lionel Jospin, Premier ministre, interrogé, le 20 octobre dernier, c'est-à-dire deux mois jour pour jour avant l'adoption de cette proposition de loi organique par l'Assemblée nationale. Il affirmait à cette époque s'en remettre à Jacques Chirac, à qui il revenait, en tant que « gardien des institutions », de prendre ce type de décision.
J'aimerais savoir, monsieur le ministre, ce qui a conduit le chef du Gouvernement à un si subit revirement de position dans la mesure où il récusait, d'une part, toute volonté de procéder à une inversion en octobre pour la proposer en novembre, d'autre part, toute initiative prise par quelqu'un d'autre que le Président de la République en la matière pour finalement accepter une réforme, sans qu'à aucun moment le Président de la République soit amené à formuler le moindre avis sur la question, en conseil des ministres, notamment.
De l'initiative de la réforme à l'absence de consultation, il y a un fossé que j'aimerais, encore une fois, voir aujourd'hui éclairci, monsieur le ministre.
Après avoir abordé cette question de procédure, dont nous contestons encore une fois la méthode, j'aimerais maintenant aborder la question de l'absence de vue d'ensemble sur ce sujet.
Certes, à l'Assemblée nationale, un débat sur l'avenir des institutions a précédé l'examen de ce texte. Néanmoins, vous me permettrez d'être dubitatif quant à son apport réel.
J'ai le sentiment - et je suis loin d'être le seul - que nous prenons le problème à l'envers. Nous souffrons en France de deux maux chroniques qui relèvent d'une pathologie nationale qui, fort heureusement, ne traverse pas les frontières et dont nos voisins sont préservés.
En effet, d'une part, nous passons notre vie à modifier notre Constitution et nos règles électorales au gré des événements et, parfois, des convenances des uns et des autres. D'autre part, nous manquons cruellement, à chaque fois, de distance et de vue d'ensemble des réformes proposées. A force de modifier au coup par coup nos règles institutionnelles, nous finirons par sortir définitivement et du champ et de l'esprit de notre Constitution.
Une fois encore, quelle est l'ambition de cette réforme ? Nous avons écarté, du moins je l'espère, l'idée d'une modification de l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale qui serait une simple convenance des députés souhaitant conserver leur mandat deux mois de plus.
Si l'ambition de cette réforme est bel et bien ce qui est affiché, à savoir l'inversion du calendrier électoral du printemps 2002 afin de consacrer l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport aux élections législatives, la méthode adoptée est, là encore, sans souffle ni envergure.
Sans me prononcer encore sur l'opportunité ou non de cette inversion, ce que je ferai dans un instant, permettez-moi de souligner que le manque de vue d'ensemble vous empêche d'arriver à vos fins.
Ne vous en déplaise, notre Constitution n'indique nulle part qu'une élection doit ou non précéder l'autre, bien au contraire. Mais, si vous jugez que, dorénavant, l'élection présidentielle devra systématiquement précéder les élections législatives - je dis bien : « systématiquement », et pas seulement pour une seule fois en fonction de ces convenances du moment, parce que quelques études vous ont effrayés et donné le sentiment que sans cette inversion vous n'aviez pas la moindre chance d'emporter les prochaines échéances - il aurait fallu proposer une réforme ayant un peu plus de souffle et d'envergure. Il aurait fallu indiquer, par exemple, que toute nouvelle élection présidentielle doit conduire à une expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Il aurait fallu inscrire dans notre Constitution que dorénavant l'Assemblée nationale doit systématiquement être renouvelée après chaque nouvelle élection d'un nouveau Président de la République ou après chacune de ses réélections.
Cette réforme constitutionnelle aurait donné lieu à un large débat sur la nature même de notre régime. De plus, nos concitoyens auraient été amenés à se prononcer par la voie du référendum sur cette question, comme à chaque fois que notre Constitution a été modifiée en profondeur.
Au lieu de cela, par le biais d'une douteuse prolongation des pouvoirs de l'Assemblée nationale, vous vous contentez d'intervertir pour cette fois, et cette fois seulement, les deux élections. Je ne comprends pas votre démarche. Soit l'on est respectueux de notre actuelle Constitution, et on s'en tient au calendrier tel qu'il existe. Soit l'on souhaite une présidentialisation du régime, mais on en tire alors les conséquences qui s'imposent en proposant une vraie réforme définitive et globale, au lieu d'une simple proposition de loi organique discutée à la va-vite fin décembre à l'Assemblée nationale, sur laquelle, de surcroît, a été déclarée l'urgence. Je rappelle que, hier, M. de Rohan s'interrogeait en ces termes : « Quelle est la vision institutionnelle du Premier ministre ? Nous n'en savons rien ! »
En effet, la proposition de loi organique, si elle était adoptée et validée par le Conseil constitutionnel, ne réglerait absolument pas le problème du calendrier et, puisqu'elle ne le résout pas, son adoption n'est pas justifiée.
Je ne prendrai que deux exemples. Tout d'abord, imaginons que le Président démissionne, ce que nous ne souhaitons évidemment pas : le calendrier, après ce renouvellement de 2002, sera à nouveau modifié. Le problème ne sera alors absolument pas résolu. Faut-il inscrire en ce cas dans la Constitution, comme l'a souligné, non sans humour, notre collègue Lucien Lanier, que le Président de la République n'a pas le droit de mourir durant l'exercice de son mandat, par référence à ce qui s'est passé un certain nombre de fois au cours du xxe siècle ?
Le second exemple a trait au droit de dissolution. En adoptant cette proposition de loi organique, nous ferions fi de la règle constitutionnelle du droit de dissolution fixée à l'article 12 de la Constitution.
Le premier alinéa de l'article 12 est à ce sujet très explicite : « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. » Le second alinéa de cet article dispose : « Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution. »
La hiérarchie des normes selon laquelle la règle constitutionnelle prime sur la loi organique serait, de fait, bafouée puisque, après cette inversion du calendrier, une éventuelle dissolution serait considérée comme un contournement, alors que le Président de la République a, c'est clair, le droit de la prononcer.
Je rappelle qu'aujourd'hui le Président de la République peut, de droit, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale puisque plus d'un an est passé depuis l'élection de la nouvelle assemblée en 1997.
Imaginons donc que pour une raison ou pour une autre - crise politique majeure, ou simple explosion du bloc de plus en plus composite de la majorité plurielle, qui est d'ailleurs absente de l'hémicycle en ce moment -...
M. Josselin de Rohan. Totalement !
M. Serge Vinçon. ... le Président soit amené à prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. Le calendrier s'en trouverait, de ce fait, une nouvelle fois modifié, et l'antériorité des élections législatives par rapport à l'élection présidentielle redeviendrait la norme.
Rien n'est donc réglé et cette réforme n'est qu'un coup d'épée dans l'eau.
Je vais maintenant aborder ce qui me semble être l'esprit de nos institutions, puisque j'entends depuis des semaines bien des personnes discourir dans tous les sens sur ledit esprit.
Les uns sont favorables à un régime purement parlementaire, les autres à un régime purement présidentiel. C'est leur droit. Pour ma part, je suis favorable au régime de la Ve République, qui a fait ses preuves et qui est le garant d'une certaine continuité de l'Etat, quelles que soient les situations, les cohabitations et les alternances qui l'ont traversé.
Là encore, sur la question de la nature de notre régime, les uns et les autres s'affrontent. Tous s'entendent néanmoins à peu près sur le fait qu'il s'agit d'un régime mixte : semi-présidentiel, semi-parlementaire.
Certains affinent cette analyse en prétendant qu'il s'agit soit d'un régime présidentiel, soit d'un régime parlementaire suivant les périodes qu'il traverse. Notre collègue Michel Charasse en faisait la démonstration tout à l'heure.
Ainsi, lorsque nous serions dans le cadre de la coïncidence de la majorité présidentielle et de la majorité parlementaire, le régime tendrait naturellement vers le présidentiel. La nature même de l'élection du Président de la République au suffrage universel sur une circonscription unique nationale lui donnerait effectivement une légitimité politique et démocratique très forte et son pouvoir de nomination du Premier ministre lui permettrait en fin de compte de contrôler l'action gouvernementale.
A contrario, en temps de cohabitation, le régime deviendrait tout aussi naturellement parlementaire parce que « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » et qu'il est responsable politiquement devant le Parlement, ainsi que l'indique clairement l'article 20 de notre loi fondamentale.
Tantôt présidentiel, tantôt parlementaire, notre régime serait donc mixte.
D'autres y ont ajouté une nouvelle dichotomie : le temps démocratique. Le problème de nos institutions serait non pas le changement de mode du régime au gré du présidentialisme majoritaire ou de la cohabitation, mais l'impossibilité de prévoir le temps d'action. Alors que, dans les autres régimes européens, le calendrier est immuable et permet de maîtriser le temps de l'action politique, dans notre système le temps de gouvernement serait trop variable.
Le problème est non pas la cohabitation ou l'absence de cohabitation, mais bel et bien la durée variable des légitimités politiques, chaque nouvelle élection législative ou présidentielle annulant et remplaçant la légitimité de la précédente, quelle que soit la durée de l'exercice des mandats.
En effet, partons du principe que cette réforme soit adoptée par le Parlement et qu'elle soit, nouvelle hypothèse, validée par le Conseil constitutionnel, et que, d'ici là, rien ne modifie ce calendrier. Le Président de la République serait élu sur un programme et obtiendrait une légitimité. Rien n'indique que la nouvelle assemblée nationale, élue quelques semaines après, soit de la même couleur politique. De ce fait, la nouvelle légitimité serait parlementaire et une nouvelle cohabitation deviendrait la règle.
Où serait alors le primat de l'élection présidentielle ? Le nouveau Président de la République serait plus affaibli que jamais et les élections législatives prendraient tout naturellement un ascendant sans précédent sur l'élection présidentielle.
De ce fait, l'élection reine serait non plus la présidentielle, mais bel et bien la législative. Et puisqu'elle deviendrait reine, rien ne justifierait qu'elle soit postérieure, et ce définitivement, à l'élection présidentielle. Vous voyez par cet exemple pour le moins explicite que, en ce sens encore, la réforme proposée ne se justifie pas.
Permettez-moi de revenir au débat sur la nature de notre régime, qui, me semble-t-il, relève plutôt d'une querelle byzantine. Ainsi, notre régime serait tantôt présidentiel, tantôt parlementaire, et ce au gré des élections, chaque nouvelle élection assurant une légitimité sur l'élection antérieure.
Là encore, permettez-moi de m'inscrire en faux contre une telle assertion. Notre régime n'est pas semi-présidentiel ou semi-parlementaire, notre régime est, contrairement aux lieux communs, purement parlementaire.
Nous sommes tellement habitués à entendre cette version du « semi-semi » que l'idée même que notre régime est purement parlementaire ne nous effleure pas. C'est pourtant le cas. Qui dispose en France de la responsabilité politique ? Le Gouvernement face à l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, c'est le Gouvernement, encore lui, qui conduit la politique de la nation, même s'il met en place un programme politique consacré par une élection présidentielle. Pour toutes ces raisons, le débat sur un renforcement de la présidentialisation du régime est un faux débat, car, cohabitation ou non, le régime est, par essence, approuvé par le Parlement.
A l'heure où l'on entend tout et son contraire, cette digression s'imposait.
Pour en finir sur la question de l'esprit de nos institutions, je ne peux pas ne pas aborder la notion d'aspiration à revenir aux sources gaulliennes de notre Constitution.
Je trouve tout bonnement faramineux que ceux qui n'ont eu de cesse de combattre le général de Gaulle et les institutions de la Ve République s'en réclament actuellement à tout bout de champ.
Si, depuis plus de quarante ans, nous avons, en France, un régime stable et viable, nous le devons sans doute plus à ceux qui ont voté la Constitution de 1958 qu'à ceux qui n'ont eu de cesse de la combattre.
Si nous avons aujourd'hui un régime stable et viable, nous le devons certainement moins à ceux qui se sont opposés à l'élection du Président de la République au suffrage universel qu'à ceux qui l'ont acceptée.
Je m'étonne donc que l'on porte maintenant aux nues un soi-disant esprit gaullien de la Constitution, par simple convenance momentanée, alors même que Charles de Gaulle ne s'est jamais prononcé sur la question et que Michel Debré a bien marqué, comme nous le rappelait hier Christian Bonnet, les deux lectures possibles de la Constitution.
Faut-il rappeler que Charles de Gaulle a été élu Président de la République à la fin de décembre 1958, et ce après l'Assemblée nationale ? En 1965, il a été réélu président de la République trois ans après les élections législatives.
Faut-il rappeler que Georges Pompidou a été élu Président de la République en 1969, un an seulement après les élections législatives ?
Faut-il rappeler que Valéry Giscard d'Estaing, lui-même, a été élu Président de la République seulement un an après les élections législatives de 1973 ?
Faut-il rappeler que François Mitterrand a été élu trois ans après les élections législatives de 1978 ?
Faut-il rappeler, enfin, que Jacques Chirac a été élu deux ans après les élections législatives de 1993 ?
Ainsi, et quoi que l'on veuille nous faire croire, l'antériorité de l'élection présidentielle par rapport aux élections législatives n'a jamais été la règle de la Constitution, l'usage démontre exactement le contraire. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Louis Mercier applaudit également.) Seules les dissolutions de 1981 et 1988 ont par deux fois changé cette donne. Il était indispensable de le rappeler.
On dit aussi que, dans l'esprit gaullien de nos institutions, c'est à un président fort que revient la direction de l'action politique.
Le général de Gaulle ne s'est jamais fait élire Président de la République avec un programme d'action gouvernementale. C'est un lieu commun qu'il convient aussi de dénoncer. La fonction présidentielle à laquelle il aspirait n'impliquait pas que le Président de la République doive se substituer au Premier ministre.
Jacques Chirac, alors candidat victorieux de l'élection présidentielle de 1995, rappelait à juste titre à cette époque qu'aucun Président de la République n'avait aussi peu fait d'ingérence dans l'action du Gouvernement que le général de Gaulle.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est vrai !
M. Serge Vinçon. La dérive présidentialiste est venue avec les années et les présidents successifs. Pour Jacques Chirac, il est essentiel d'en revenir à l'esprit des institutions, à savoir « un président qui préside, un premier ministre qui gouverne ». Cette règle qu'il s'est fixée a marqué un retour à l'esprit de notre Constitution. Il l'a aussi bien respectée avec Alain Juppé qu'avec Lionel Jospin, aujourd'hui, certes, dans des circonstances différentes.
Pour moi, c'est cela l'esprit de nos institutions. En effet, celles-ci sont par essence parlementaires et, encore une fois, jamais le général de Gaulle n'aurait trouvé illégitime que les élections législatives précèdent l'élection présidentielle. Bien au contraire, l'histoire des années soixante a démontré l'inverse.
Après avoir évoqué l'esprit de nos institutions et la conformité ou non de la réforme proposée à son égard, j'en viens plus précisément au texte lui-même et à son opportunité.
S'agissant de cette question, je traiterai de l'absence de consensus sur cette réforme, tant au niveau de la représentation nationale qu'à l'intérieur de la majorité gouvernementale.
Pour le bon équilibre de nos institutions, un consensus national sur les réformes de fond, constitutionnelles et électorales est nécessaire, consensus sans lequel les majorités successives pourraient faire et défaire les réformes les unes après les autres. Chez aucun de nos partenaires européens, il n'y a de réforme électorale sans consensus national. Je regrette qu'en France les réformes se fassent par un camp exclusivement, au détriment de l'autre.
Dans de nombreux pays, le code électoral est annexé à la Constitution. Il me semble qu'il faudra un jour s'interroger sur l'opportunité de recourir à ce procédé pour éviter les réformes de convenance. Si le code électoral était annexé à la Constitution, ce type de réforme ne pourrait voir le jour sans la majorité des deux tiers au Congrès ou sans l'accord explicite du peuple par la voie du référendum.
Je considère que, au vu des successives et importantes réformes du code électoral proposées par le gouvernement de Lionel Jospin, comme le cumul des mandats, la parité, l'élection des sénateurs et, maintenant, l'inversion du calendrier, ainsi que toutes les autres qui sont en attente d'examen, par exemple le vote des étrangers, il faudrait définitivement recourir à l'annexion du code électoral à la Constitution afin de limiter les réformes d'opportunité.
Cette réforme est encore moins consensuelle que les réformes précédentes car seulement trois des cinq partis de la majorité y étaient favorables et que sans eux, a priori, elle n'aurait jamais pu être adoptée à l'Assemblée nationale. Il ne s'agit pas, à mon sens, de la meilleure approche pour faire passer des changements institutionnels si conséquents.
Ainsi, dès l'annonce de la réforme, les communistes ont fait savoir qu'ils estimaient « le projet d'inverser le calendrier électoral dangereux pour la démocratie ». Cette accusation n'est pas mince. Surtout lorsqu'elle vient du partenaire privilégié des socialistes au Gouvernement. Sans doute auraient-ils dû les écouter avec plus d'attention.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, le 19 décembre dernier, l'orateur communiste, Robert Hue lui-même, c'est-à-dire le secrétaire général du parti communiste français, déclarait que « le parti communiste avait affirmé d'emblée son opposition à l'inversion du calendrier ». Belle preuve de recherche de consensus du Premier ministre, qui fait fi des observations de ses partenaires !
Et le secrétaire général du parti communiste de continuer : « Je récuse l'idée que l'inversion du calendrier électoral serait commandée par des raisons de cohérence, ou, plus exactement, je récuse cette prétendue cohérence elle-même. Car de quoi s'agit-il ? De faire de l'élection du Président de la République un scrutin hégémonique, tandis que, par le même mouvement, l'élection des députés deviendrait une formalité subalterne. » Voilà ce que déclarait M. Hue à l'Assemblée nationale.
Quant aux Verts, l'autre formation de la majorité plurielle, ils semblaient eux aussi en délicatesse avec la proposition de loi organique.
Effectivement, les Verts, fidèles à leur tactique du « donnant-donnant », se sont divisés. Ils ont estimé qu'une « inversion du calendrier ne pourrait se faire que dans le cadre d'un paquet ». La couleur est annoncée, et les écologistes accepteront la réforme contre l'instillation d'une dose de représentation proportionnelle pour les prochaines élections législatives. Le Premier ministre tardant à la promettre, les Verts se sont divisés entre les partisans du chèque en blanc et ceux qui souhaitaient obtenir la représentation proportionnelle avant de voter l'inversion.
Dominique Voynet n'a-t-elle pas rappelé elle-même ceci : « On m'explique aujourd'hui qu'on ne change pas la règle du jeu à un an des élections, pour expliquer le refus d'introduire une dose de proportionnelle. Pourquoi la changer pour ce qui est du calendrier électoral ? » Je rappelle que c'est un ministre du Gouvernement qui s'exprime.
Voilà pour le manque de consensus au sein de la majorité plurielle sur cette grave question, qui vient s'ajouter à celui de l'ensemble des courants politiques français.
Encore une fois, les réformes, au pire de convenance, au mieux passant de justesse, ne sont jamais les bienvenues, car elles ne durent jamais longtemps, sont défaites par les majorités suivantes et divisent le peuple au lieu de le réunir. Pourtant, notre Constitution et nos règles électorales sont des contrats dont l'objet est de réunir les citoyens sur un projet de vie commun et en aucun cas ne doivent être le lieu d'affrontements.
Je réitère donc à présent l'idée que j'ai précédemment formulée. Il me semble qu'il serait salutaire, pour notre équilibre démocratique, que les majorités successives cessent de faire passer en force des réformes électorales leur étant systématiquement favorables. De ce point de vue-là, vous ne pourrez m'empêcher de constater, sans provocation, qu'il s'agit tout de même, depuis vingt ans, d'une spécialité socialiste. Contre une réforme de droite, qui répondait à une autre de gauche, on ne compte plus, en effet, les successives modifications du code électoral par les différents gouvernements socialistes. Cela a été rappelé en début d'après-midi.
Les règles du jeu ne doivent pas trop changer et, si elles doivent changer, cela doit être fait dans le consensus de toutes les parties en présence. Dans l'ensemble des démocraties voisines, aucune règle électorale ne change sans qu'un réel consensus ne se soit dégagé autour de ladite réforme.
Dans bon nombre de ces pays, le code électoral est annexé à la Constitution, et c'est sans doute le plus sûr moyen d'en éviter des changements trop brutaux.
Si le code électoral était inscrit dans la Constitution, il faudrait, dans notre pays, réunir une majorité des deux tiers au Congrès pour qu'une modification soit adoptée. Ainsi, nous pourrions garantir qu'une modification des règles du jeu n'interviendrait qu'avec l'accord explicite des deux camps, c'est-à-dire de la droite et de la gauche.
Par là même, nous aurions la garantie que toute réforme électorale relèverait non pas d'une tactique politicienne mais bien d'une réelle ambition de moderniser la vie politique. Lorsque les deux camps sont d'accord, l'équilibre est maintenu. Il ne peut donc pas être reproché à une majorité de vouloir tricher en jonglant avec les règles à quelques mois des élections ou d'avoir quelque arrière-pensée.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, il me semble que le temps d'un débat sur la place du code électoral dans nos institutions est venu. Sans doute faudra-t-il lui réserver une place dans notre Constitution ou, du moins, empêcher qu'il puisse, au gré des majorités, être modifié comme une simple loi ordinaire.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Voeu pieux, hélas !
M. Serge Vinçon. Sincèrement, je pense aujourd'hui que nous ne pourrons faire l'économie d'un débat sur cette question fondamentale.
J'aimerais maintenant en venir à la motivation réelle de cette proposition de loi organique. Comme beaucoup de mes collègues, je m'étonne du revirement soudain du Premier ministre sur cette question. Comme beaucoup de mes collègues, je suis étonné que, tout à coup, un texte qui ne semblait pas être une priorité pour le Gouvernement devienne de première importance, au point même de déclarer l'urgence sur cette proposition de loi organique alors même que d'autres priorités, autrement plus urgentes, existent.
En effet, permettez-moi de rappeler les propos prononcés par le Premier ministre, il n'y a pas si longtemps, sur cette question.
Lionel Jospin, qui s'était d'ailleurs toujours déclaré défavorable à une telle modification, témoignait dans les termes suivants au journal de vingt heures, à la télévision française, le 19 octobre dernier : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là, et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises. »
Je trouve cette phrase extrêmement intéressante et riche de sens. En effet, Lionel Jospin peut sans outrance être suspecté de faire en ce jour une réforme de convenance. Et lui-même nous invite à le penser puisqu'il reconnaît que « toute initiative de sa part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne ».
Il a bien raison : les Français ne sont pas dupes et y voient bien une manoeuvre électorale.
Le Premier ministre aurait dû rester fidèle à sa parole lorsqu'il promettait qu'il « en resterait là ». Personne ne peut comprendre un si subit changement de cap.
Ce qui m'attriste, c'est que cette réforme soit imposée en connaissance de cause, bien évidemment. Si le Premier ministre, par naïveté, n'avait pas perçu à quel point cette réforme était privée de consensus, nous aurions pu faire l'économie d'un procès d'intention.
Mais compte tenu des propos exprimés - « il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises » - on comprend dès lors que c'est en connaissance de cause qu'il a fait le choix de faire passer la réforme en force, alors même que sa propre majorité opportuniste s'émoussait sur ce texte.
Le Premier ministre s'est justifié en déclarant, à l'Assemblée nationale, que nous étions trop loin des prochaines échéances pour savoir si cette inversion du calendrier jouerait en faveur de tel ou tel candidat ou en faveur de tel ou tel camp.
Permettez-moi d'être dès lors étonné d'entendre Henri Emmanuelli déclarer, en marge du congrès des socialistes à Grenoble, que ce débat sur le calendrier était « disproportionné », que « personne n'était dupe » et que « cela fait des mois que tout le monde sait que ce calendrier n'est pas favorable au candidat de gauche ».
Je comprend mal que Lionel Jospin fasse passer en force et en vitesse une proposition de loi organique censée n'être favorable à personne alors que ses partenaires se frottent simultanément les mains en rappelant que tout le monde sait depuis longtemps que le calendrier actuel ne leur est pas favorable.
Le procès d'intention que vous estimez injuste n'est pas totalement dénué de fondement, et c'est un euphémisme.
Cette réforme est effectivement une réforme de convenance et, encore une fois, il n'est pas sain dans une démocratie moderne de procéder à de tels changements à des fins purement électoralistes. Les électeurs en jugeront par eux-mêmes.
Il me reste encore un point à aborder avant d'en conclure : il s'agit de la constitutionnalité de la réforme proposée.
Fort heureusement, si le recours à la proposition de loi a dispensé le Conseil d'Etat d'une analyse et le Président de la République d'un avis, le fait que cette loi soit nécessairement organique ne vous dispensera en revanche pas d'un contrôle de constitutionnalité.
Nous savons qu'il convient maintenant de dénoncer tous ceux qui s'opposent à l'action politique du Gouvernement.
Nous savons que le Sénat est une « anomalie » lorsqu'il se fait un devoir de remplir son rôle constitutionnel.
Nous savons que le Conseil constitutionnel outrepasse ses droits lorsqu'il soulève l'inconstitutionnalité de certains textes.
Nous savons que l'opposition - cela nous a été dit jeudi dernier dans cet hémicycle - ne devrait jamais saisir le Conseil constitutionnel sur un texte de la majorité.
Nous savons que le Président de la République n'est pas dans son rôle lorsqu'il émet des réserves sur l'action gouvernementale. A ce sujet, certains pensent que l'inversion du calendrier serait destinée à punir Jacques Chirac, taxé d'être intervenu trop vivement sur la crise de l'ESB. J'ose espérer que ce n'est pas la motivation première de la réforme, tant cette manière de faire de la politique serait consternante.
En tout état de cause ce texte, parce qu'il s'agit d'une proposition de loi organique, devra être soumis au contrôle de constitutionnalité de droit et, sans anticiper la décision du Conseil constitutionnel, j'émets les plus grandes réserves quant à la constitutionnalité de la future loi organique.
M. Robert Badinter. Ha ! Ha !
M. Serge Vinçon. Louis Favoreu, constitutionnaliste émérite que la commission des lois a auditionné la semaine dernière, a émis un certain nombre de réserves que j'aimerais ici rappeler. Il a souligné que cette entreprise allait à l'encontre de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.
M. Robert Badinter. Oh !
M. Serge Vinçon. Evoquant les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates d'élections, intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en 1996, il a souligné qu'elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière, mais que les enseignements que l'on pouvait en tirer s'appliquaient a fortiori à la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
Il a observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle justification.
Il a noté que les motifs retenus par le Conseil constitutionnel avaient été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, enfin de permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix.
En observant que cette juridisprudence était évidemment transposable au cas d'une élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée...
M. Robert Badinter. Ce serait un comble !
M. Serge Vinçon. ... alors qu'en doctrine il avait été relevé que le début d'un tel contrôle avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et 1994.
Enfin, Louis Favoreu a récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel aurait donné par avance une justification à l'inversion du calendrier dans ses recommandations du 23 juillet 2000. Il a estimé que la seule préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date limite de présentation des candidats, pouvait être parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai. Il faut à ce sujet souligner que M. le ministre de l'intérieur lui-même l'avait explicitement reconnu à l'Assemblée nationale le 19 décembre dernier.
Pour toutes ces raisons, sans anticiper bien sûr la décision du Conseil constitutionnel, nous ne pouvons qu'émettre les plus grandes réserves sur la constitutionnalité de cette proposition de loi organique. Rien, par rapport aux anciennes décisions, ne justifie en effet cette réforme.
En conclusion, pour toutes ces raisons, qu'il s'agisse de la méthode consistant à passer par une proposition de loi organique, et non par un projet de loi, qu'il s'agisse de la volonté délibérée d'écarter le Président de la République du débat, ce qui est irrespectueux pour la fonction, qu'il s'agisse des conséquences insoupçonnées de cette réforme sur nos institutions, de l'absence de consensus sur cette réforme, des présomptions fortes de manoeuvres politiciennes ou de l'inconstitutionnalité du présent texte, je ne pourrai pas, à l'instar du groupe du Rassemblement pour la République, voter la proposition de loi organique qui est soumise à notre examen. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Louis Mercier applaudit également.)
M. Jean-Patrick Courtois. Remarquable !
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'avais prévu d'être particulièrement rapide pour éviter les interruptions de nos collègues socialistes. (Rires.) Mais, puisqu'ils ne sont pas là, je vais pouvoir développer mes arguments, et donc essayer de mobiliser toute la pédagogie nécessaire dans ce débat très important.
Je reconnais, monsieur le ministre, qu'à ce stade de la discussion, pour être franc, beaucoup de choses ont été dites,...
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Ah !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... notamment par notre rapporteur, M. Christian Bonnet - je reviendrai tout à l'heure sur la qualité du rapport et du rapporteur.
Je souhaite, pour me débarrasser tout de suite de cette critique, insister d'abord, évidemment, sur la manoeuvre.
Je tiens à ce qu'il soit clair aux yeux de tous, dans ce pays, qu'alors que nous sommes dans un début de siècle, un début de millénaire, que notre société a beaucoup de difficultés à affronter, le Parlement est mobilisé pour discuter du calendrier électoral !
La manoeuvre est assez évidente. D'abord, monsieur le ministre, pourquoi l'urgence ? Quand, élu régional de Poitou-Charentes, je pensais qu'un jour je pourrais peut-être espérer retrouver la Haute Assemblée, siéger parmi les sages, je me disais : « Là-bas, on va au fond des choses ; là-bas, il y a de multiples compétences qui s'expriment, se confrontent, et, finalement, la synthèse est riche et fertile ».
Or, depuis que je suis là, je ne participe qu'à des courses de vitesse, (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR) qu'à des débats en urgence, notamment sur les dossiers qui concernent principalement les collectivités territoriales !
Au cours des derniers mois, rendez-vous compte, monsieur le ministre, la France, à laquelle nous sommes très attachés, a été secouée, a été bousculée : une loi sur l'intercommunalité pour M. Jean-Pierre Chevènement et le MDC votée en urgence ; une loi sur l'aménagement du territoire pour Mme Voynet votée en urgence. Verts et MDC servis, il fallait une loi pour le parti communiste et M. Gayssot : il y a eu la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains, SRU, votée en urgence. Autant de textes importants qui concernent les territoires !
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Si c'est pour gagner du temps, bien volontiers, monsieur le ministre ! (Rires.)
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur Raffarin, que la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains n'a pas été votée selon la procédure de l'urgence.
Quant à l'intercommunalité, je ne doute pas que le président de la région Poitou-Charentes que vous êtes se réjouit de son succès, puisque 90 communautés d'agglomération ont été créées.
Vous le voyez, le législateur fait donc un excellent travail et il le fait dans la réflexion, sans course de vitesse, à moins que vous ne nous engagiez aujourd'hui, ce dont je ne doute pas, dans une course de lenteur, ce qui est une autre forme de course ! (Sourires.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je m'engage, monsieur le ministre, dans une course de profondeur ! (Rires.) « Quand l'immédiat dévore, l'esprit dérive » dit Edgar Morin. Je crois beaucoup à cette formule.
Et puisque, parlant de l'intercommunalité, vous avez cité la grande et belle région Poitou-Charentes, voyez ce que l'on aurait pu éviter : Niort, l'agglomération, et le marais Poitevin, le pays, tous deux en compétition et le territoire stérilisé parce que les uns appliquent la loi Voynet et les autres croient à la loi Chevènement ! Si l'on avait pu aller plus au fond des choses, on aurait évité cette compétition entre l'intercommunalité et le pays.
Par ailleurs, il va falloir nous prononcer, au sein des délégations, sur les schémas de service, question ô combien importante ! Et quand va-t-on demander à toutes les collectivités territoriales de France de donner leur avis ? Dans le courant du mois de février ou du mois de mars, période pendant laquelle il ne vous a pas échappé, monsieur le ministre, qu'il y avait la campagne des élections cantonales, des élections municipales et les élections elles-mêmes. On va donc engager une discussion sur des schémas de service qui devraient précéder les contrats de plan, mais, qui, là, sont postérieurs aux contrats, et tout cela dans une période électorale ! Si l'on avait pris le temps de la discussion, on ne serait pas allé si loin dans l'erreur !
Et lorsqu'il s'est agi de la régionalisation du ferroviaire, visée dans la loi sur la SRU, a-t-on profité de l'occasion pour ouvrir un débat de fond sur l'aménagement du territoire, comme nous le souhaitions ? Non ! Et à quoi assistons-nous aujourd'hui ? A la fracture rurale. On voit bien que, partout, le ferroviaire va se développer là où la population est dense, comme le disait encore récemment le président du Limousin. Là où il n'y a pas assez de population susceptible de prendre le train, il n'y aura pas de train ; il y aura toufefois des dépenses pour les collectivités territoriales les plus fragiles, car, naturellement, on demande à ceux qui ont le moins de financement de payer pour rattraper leur retard. Mais s'ils sont en retard, c'est précisément parce qu'ils ont moins de financement ! (Applaudissements sur les travées du RPR.) Voilà des questions fondamentales !
M. le président. Permettez-moi de vous interrompre un instant, monsieur Raffarin, pour préciser à M. le ministre que, sur le projet de loi, sur SRU, il y avait bien déclaration d'urgence.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Mais le Sénat a pris son temps !
M. le président. Le Sénat a pris le temps qui était nécessaire pour examiner un texte complexe, mais il y avait bien déclaration d'urgence.
Veuillez poursuivre, monsieur Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je vous remercie, monsieur le président. Voyez mon sens républicain : un ministre m'ayant contredit, je n'avais pas osé imposer ma conviction ; il m'avait fait hésiter ! (Sourires.)
M. Jean Chérioux. La parole d'un ministre n'est pas parole d'Evangile !
M. le président. Ne soyez pas timide, monsieur Raffarin !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je l'ai dit, il y a trop de débats en urgence.
La manoeuvre nous montre aussi combien ce Gouvernement aime toucher aux élections. Vous avez beaucoup de goût pour la chose électorale, monsieur le ministre, mais sous l'angle de l'organisation tacticienne.
Vous avez changé les règles concernant les élections régionales, là aussi, me semble-t-il, dans l'urgence. Il fallait aller très vite. Résultat : les listes régionales comporteront plus de cent quatre-vingts noms en Rhône-Alpes, plus de deux cents en Ile-de-France. Je rappelle pour mémoire que les listes nationales pour les élections européennes, avec quatre-vingt-six noms, sont déjà considérées par beaucoup comme bien trop longues !
Quelle lisibilité, quelle belle pratique démocratique ! Et tout cela parce qu'on a voulu modifier rapidement la loi électorale régionale.
Vous avez également touché à la loi concernant les élections sénatoriales, mais le Conseil constitutionnel vous a remis dans le bon chemin. Vous avez tout de même essayé.
Vous voulez modifier le système électoral des agglomérations et vous rêvez - on le voit dans toutes les déclarations - de changer la loi électorale départementale, de supprimer le canton, d'instaurer la proportionnelle.
Pourquoi tant de goût pour les questions électorales ? Pourquoi vouloir, en permanence, changer les règles ou les dates des élections ? Pourquoi cette obsession préoccupante qui sent autant la manoeuvre ? N'y a-t-il pas plus important à faire, aujourd'hui, dans notre pays ?
En l'espèce, y avait-il, pour ces deux élections, législatives et présidentielle, une volonté profonde des Français ? Y avait-il là une pression majeure ? Nos présidents de groupe et, tout à l'heure, M. Vinçon, ont répondu avec talent à ces questions.
Y avait-une exigence particulière Sur six élections présidentielles depuis 1962, deux seulement ont immédiatement précédé les élections législatives. Seulement deux sur six !
Pour en revenir à la pression de l'opinion, il suffit de regarder les résultats des sondages sur le sujet pour se convaincre qu'une majorité se dégage en faveur du maintien du calendrier. Je note d'ailleurs qu'elle est très forte chez les communistes : 44 % contre 29 %. Chez les Verts, elle est de 47 % contre 41 %. Chez les membres du parti socialiste, c'est « kif-kif » : 43 % contre 44 %. A l'UDF et au RPR, les majorités sont fortes en faveur du maintien du calendrier.
On ne peut donc pas dire que la pression soit très forte pour le changement, et la manoeuvre apparaît ainsi pour ce qu'elle est.
Et pourquoi ce changement de pied ? Pourquoi ce changement de position par rapport aux déclarations des membres du Gouvernement et du Premier ministre lui-même ?
Vous avez peut-être lu, mes chers collègues, cette dépêche qui est tombée à seize heures quarante : « Lionel Jospin a réaffirmé aux chefs de file de la majorité plurielle, à l'Assemblée nationale, qu'il n'entendait pas prendre d'initiative, à l'heure actuelle, pour modifier le calendrier des élections législatives et présidentielle de 2002. Le Premier ministre a tenu à dire que, sur ce plan-là, il constatait qu'il n'y avait pas de consensus et que cela faisait l'objet, au sein de la gauche, de divergences. Donc, il n'y a pas d'initiative en matière de calendrier qui puisse être prise dans l'immédiat. »
Cette dépêche, je l'ai dit, est tombée à seize heures quarante, mais c'était le 15 novembre 2000. Il n'y a pas si longtemps, tout de même !
Pourquoi ce changement si rapide et pourquoi, surtout, cette réforme sans consensus ? On voit, en effet, les divisions partout.
Pourquoi vouloir systématiquement gouverner ce pays en accentuant les divisions ? Au fond, le gouvernement moderne, n'est-ce pas précisément chercher à rapprocher, plutôt qu'en permanence aggraver les oppositions, favoriser les affrontements, créer des divisions ? N'est-ce- pas, aujord'hui, essayer de surmonter les clivages pour dégager des volontés communes, faire partager les réformes, plutôt qu'imposer à la minorité des prises de position qui heurtent et qui blessent ? N'est-ce pas rechercher de larges majorités, sachant qu'à l'Assemblée nationale la proposition n'a été adoptée qu'avec onze voix d'avance ? Onze voix d'avance pour quelques mois de plus ! On ne peut vraiment pas parler de succès !
Si le Congrès, Assemblée nationale plus Sénat, était réuni pour trancher la question, il n'y aurait même pas la majorité pour voter le texte.
La loi électorale, c'est notre règle commune de jeu, c'est le code de conduite de la démocratie. Pour qu'elle soit légitime, elle doit être largement acceptée. Si une loi prête à discussion, si elle oppose les uns aux autres, elle ne donne pas à la démocratie la sérénité dont elle a besoin.
Cette manoeuvre est profondément regrettable. Bien cernée, elle commence à être parfaitement perçue par les Français.
C'est une erreur du Gouvernement de vouloir s'éloigner des préoccupations principales de nos concitoyens et de faire de la chose électorale la chose essentielle.
Mais on voit bien pourquoi ! Cela a été dit par de très nombreux responsables socialistes : avec cette inversion du calendrier électoral, M. Jospin espère gagner l'élection présidentielle. C'est dit avec plus ou moins de clarté, avec une langue plus ou moins verte, en utilisant parfois la langue de bois, parfois l'expression de vérité.
Sur ce terrain, on peut rendre hommage à Daniel Cohn-Bendit, qui a dit, en toute clarté, qu'il était pour l'inversion du calendrier parce qu'il voulait que Jospin gagne l'élection présidentielle.
M. Louis Althapé. Au moins, c'est clair !
M. Jean-Pierre Raffarin. Daniel Cohn-Bendit n'a pas que des qualités, mais au moins son expression est-elle vivifiante. Et, en l'occurrence, il dit ce qu'il pense, ce qui est tout à son honneur.
Nous regrettons profondément que cette manoeuvre soit ainsi développée par l'ensemble des responsables du parti socialiste.
Et pourquoi, dans cette manoeuvre, le Gouvernement méprise-t-il ainsi le Sénat, monsieur le ministre ? Le rapport de M. Bonnet, qui est historique, documenté, juridique, qui reflète un réel travail en profondeur, me semble de nature - je le dis sans esprit partisan - à faire réfléchir nombre de parlementaires dans cette assemblée, mais aussi dans l'autre. Il est la preuve que cela vaut la peine de faire confiance au Sénat, à son travail, même si nous avons été bousculés par le calendrier.
En fait, la distance avec l'actualité, la distance avec l'esprit partisan, la distance avec les modes, c'est l'une des forces du Sénat. A vouloir imposer systématiquement un rythme comme celui que vous avez choisi, on fait que personne n'est gagnant dans la bousculade.
La qualité de la démonstration de M. Bonnet sera utile à tous ceux qui, sur ce sujet, cherchent encore à forger leurs convictions, et c'est un honneur pour notre Haute Assemblée que d'avoir produit un tel travail. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Pourquoi ce manque de considération à l'égard du Sénat et, d'une manière générale, pourquoi porter sur les institutions de la Constitution ces discrédits, ces attaques publiques ?
Le Sénat est concerné mais le Conseil constitutionnel l'est aussi. Ainsi, M. Vaillant, dans la discussion générale, cite le Conseil constitutionnel, pour lui rendre hommage quand il conforte sa thèse. Mais quand le Conseil constitutionnel conteste les propositions du Gouvernement, s'agissant notamment de dispositions relatives aux bas salaires, aussitôt fusent des rangs du parti socialiste des attaques inacceptables contre cette institution.
Dans une démocratie, à partir du moment où l'on accepte une institution, on doit également accepter ses décisions, sans faire un tri entre celles que l'on considère aller dans le sens qui nous convient et celles qui vont dans le sens inverse. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
C'est le respect de l'Etat de droit. Respectons le Sénat, respectons le Conseil constitutionnel, faisons vivre nos institutions et respectons leur personnalité ! C'est, je crois, très important pour l'avenir de notre démocratie.
J'en viens, au-delà de la manoeuvre, à l'esprit des institutions.
J'ai entendu nombre de réflexions pertinentes sur ce sujet et je n'ai pas qualité à faire une interprétation gaullienne. Mais comme l'a dit notre collègue Serge Vinçon tout à l'heure, je vois beaucoup de gens encore moins qualifiés que moi en histoire gaullienne s'autoriser aujourd'hui à faire des commentaires.
C'est pourquoi, pour ma part, je vous ferai simplement part de ma conviction sur ce sujet : je ne vois pas en quoi l'inversion du calendrier remettrait en cause les conceptions gaulliennes que nous pouvons avoir les uns ou les autres.
Tout d'abord, j'ai retenu un point important de l'esprit de la Constitution de la Ve République : le Président de la République est en charge de l'essentiel, et il doit donc pouvoir disposer de la plus grande des libertés ; il est responsable devant le peuple, et devant le peuple seulement. C'est lui, dans son contact avec le peuple, qui conduit la République.
Pourquoi donc vouloir l'enfermer dans des calendriers, dont on sait bien au fond qu'on ne peut pas les maîtriser ? Ce qui fut fortuit dans le passé peut l'être également dans l'avenir. Quelle prétention que de vouloir maîtriser les calendriers de la politique quand on sait que la politique, c'est la vie ! Quelle prétention que de vouloir tout réglementer, sans laisser à la démocratie cette « respiration » historique dont, par essence, elle a besoin !
Le Président de la République ne doit donc pas se trouver enfermé dans des calendriers qui limiteraient son influence, encore moins dans un jeu institutionnel. Cela a déjà été dit, mais, je le répète, il est profondément choquant de toucher aux modes d'élection sans que le Président de la République lui-même puisse participer au débat. C'est vraiment tourner le dos à l'esprit gaullien de la République. L'homme chargé de l'essentiel ne peut pas être considéré comme subalterne dans un processus électoral. Or, c'est ce qui est fait avec la procédure qui nous est aujourd'hui proposée. (Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Evidemment, on nous dit que le calendrier est fortuit et qu'on pourrait organiser les choses de manière plus rationnelle. Moi, je voudrais quand même que l'on réfléchisse bien à ce que doit être la priorité. Sur ce sujet, les choses ne sont pas si simples qu'on le déclare en général.
La première échéance est-elle toujours la plus importante ? Le premier plat est-il toujours le plat consistant ?
M. Jean Chérioux. Rarement !
M. Jean-Pierre Raffarin. Aux termes de mon éducation républicaine, acquise sur le terrain, dans ma propre région, j'ai appris que M. le préfet était, en l'absence de M. le ministre, la personnalité la plus importante, et, à ce titre, devait intervenir en dernier dans les débats. Dans notre histoire, dans la création littéraire ou dans bien des domaines scientifiques, les exemples sont nombreux qui démontrent que la première échéance n'est pas forcément la plus importante. Il faut réfléchir à cette question, notamment pour voir comment nous pourrions organiser les différentes influences résultant des différentes élections.
Au fond, l'on voit bien que, dans notre démocratie, aujourd'hui, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ont besoin, dans l'exercice de leurs responsabilités, d'un partenaire qui n'est pas de même nature mais qui est vivant : le partenaire territorial.
Je souhaite d'ailleurs que, dans l'avenir, dans le droit-fil du discours de M. le Président de la République à Rennes, la décentralisation favorise une meilleure reconnaissance du pouvoir territorial. Je pense à un serment républicain qui permettrait à des élus, dans une région ou dans un département, d'être les représentants de l'Etat, par délégation, à l'instar du maire qui est officier de police judiciaire et officier d'état civil, par exemple.
Le pouvoir territorial est aujourd'hui un élément fondamental de notre organisation démocratique. Pourquoi donc privilégier systématiquement l'influence nationale par rapport à l'influence locale au détriment de l'expression populaire ?
Certes, l'élection législative est l'expression d'une influence nationale, mais également d'une influence locale. Quelle doit être la prédominance, nationale ou locale ? Comment arbitrer ce débat ?
Le débat est ouvert. Pour moi, il n'y a pas de hiérarchie d'évidence. Quand je vois la société hiérarchique du passé bousculée dans bien des domaines par la société ascendante, quand je vois les réseaux venir remplacer les structures verticales, je me demande pourquoi, de temps en temps, on ne placerait pas l'expression locale avant l'expression nationale en donnant la priorité au territoire, plus proche des citoyens, sans pour autant lui accorder une plus grande importance, mais en le laissant s'exprimer en premier.
Cela n'est pas inconcevable dans une saine pratique de la démocratie. Que l'élection la plus localisée ait lieu en premier n'a rien de choquant. En tout cas, je crois qu'il y a là matière à réflexion, et pourquoi ne réfléchirait-on pas à un système qui valorise cette République d'en bas à laquelle nous sommes tous attachés.
Les citoyens, aujourd'hui, ont le sentiment qu'on ne s'occupe pas de leurs problèmes ; ils ont le sentiment que la politique s'occupe des problèmes des politiciens.
M. Hilaire Flandre. Et c'est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin. D'ailleurs, quand on change des lois électorales et qu'on ouvre des débats en début de siècle, en début de millénaire sur ces questions-là, on va bien dans cette direction. Nous devrions donc envoyer des messages à nos concitoyens pour témoigner que nous sommes attentifs à l'expression de la République d'en bas.
Nous appartenons à la même République mais nous voyons bien, aujourd'hui, que le clivage entre ceux qui représentent les hiérarchies de la société et ceux qui représentent le terrain est quelquefois plus important quand il divise les classes et les couches politiques. Il y a là, je crois, un message à faire passer : ce qui nous vient du terrain, ce qui nous vient du local, ce qui est l'expression populaire enracinée doit avoir une importance.
N'établissons pas d'évidence une hiérarchie en s'appuyant sur le fait que le national voudrait systématiquement dominer parce qu'il n'écouterait pas le local. Le national est beaucoup plus fort quand il est attentif, quand il écoute et quand il sait tenir compte de ce que dit le territoire. C'est pour cela que cette influence locale doit être prise en compte dans l'influence nationale qui s'exprime à l'occasion des élections.
Dans tout cela, au fond, un grand débat est révélé par cette question de l'inversion du calendrier, notamment sur la cohabitation. Sans développer ce sujet, déjà très largement abordé, je ferai quelques remarques sur la fonction même de Matignon.
Quel est cet espace ? Quel est son sens ? On voit bien sa légitimité, on voit bien son champ d'action. Mais pour le citoyen, au fond, Matignon est-il le lieu de la prise en compte quotidienne des problèmes des Français, de la recherche des solutions immédiates aux problèmes qui sont posés au Gouvernement de la France, dans le siècle, dans le temps, ici et maintenant ? Ou Matignon est-il le lieu de l'investissement où l'on retarde, où l'on prépare la prochaine échéance électorale, où l'on fait en sorte que, finalement, l'on investit sur l'histoire politique à venir au lieu de traiter les problèmes du présent. Cette question est grave, car aujourd'hui Matignon semble devenir une sorte d'espace stratégique, une sorte de salle d'attente où l'on préparerait les étapes à venir.
Une réflexion s'impose : un gouvernement a pour mission de gouverner et non pas de reporter les réformes pour préparer les élections. Il doit répondre aux problèmes des Français.
Or, aujourd'hui, on a le sentiment qu'un certain nombre de réformes importantes - c'est le cas de la réforme des retraites, sujet fondamental pour l'avenir de notre société - ne sont pas prises à bras-le-corps.
Il en est de même de réformes aussi importantes que celle de l'éducation nationale qui nous a été proposée par M. Allègre. Il a d'ailleurs été licencié pour cause de « réformite » aiguë ; il a été obligé de se retirer et avec lui ses dossiers de réforme. On l'a remplacé par un ministre qui paralyse, qui « glacifie » un peu le dispositif : pas de vagues jusqu'aux élections !
Les retraites : pas de vagues jusqu'aux élections ! La réforme de l'administration fiscale : pas de vagues jusqu'aux élections ! Tout ce qui peut être difficile : pas de vagues jusqu'aux élections ! Simplement, une petite ristourne fiscale au mois de septembre prochain pour que tout le monde soit content et que l'on oublie qu'il n'y a pas eu de réforme mais pour que l'on puisse quand même empocher un petit bonheur ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.) D'ailleurs, pourquoi pas ? Je reconnais naturellement au Gouvernement le droit d'être habile. Mais cela ne l'autorise pas à manquer de courage : l'habileté n'est pas un défaut, sauf quand elle est la seule qualité.
On ne s'attaque pas vraiment aux réformes dont notre pays a besoin. On constate que la tendance à Matignon aujourd'hui est de se tapir au fond d'une tonne un peu comme dans les Landes ou en Charentes-Maritimes : on le fait pour guetter l'arrivée de la palombe, mais là on le fait pour faire tourner les circonstances à son avantage. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Ce n'est pas la Constitution telle qu'elle a prévu la répartition des pouvoirs qui recommande d'emprunter cette piste.
Je ne fais pas de politique depuis très longtemps, mais je m'intéresse quand même à la question. (Rires sur les mêmes travées.)
M. Robert Del Picchia. Et avec quelle efficacité !
M. Jean-Pierre Raffarin. Or, depuis que je suis entré en politique, je me suis aperçu qu'il fallait être prudent dans ce genre de calculs et se défier de la logique qui consiste à ne pas vouloir s'attaquer aux dossiers pour s'occuper des règles électorales : la cuisine électorale est bien réglée, cela passera et on aura toujours le temps d'étudier les dossiers ensuite ! Mais le problème c'est qu'en politique les choses ne se passent pas toujours comme on les a prévues.
M. Hilaire Flandre. Heureusement !
M. Jean-Pierre Raffarin. Je peux vous le dire parce qu'en 1974, à mes débuts politiques, on m'avait annoncé la victoire de Chaban-Delmas et ce fut celle de Giscard-d'Estaing.
En 1978, les choses allaient mal, le peuple était dans la rue, c'était difficile, la CFDT tenait son congrès du recentrage et on disait que la droite allait être balayée, que la gauche allait gagner ; or et c'est le contraire qui s'est produit, grâce à l'action de Jacques Chirac. En 1981, Giscard : Deux Français sur trois, un Président de la République réformateur, visionnaire et c'est Mitterrand qui gagne (Rires) !
En 1988, Chirac : il va chercher les otages, il est présent sur tous les fronts, il a un gouvernement réformateur, donc, ça va passer ; et boum ! c'est Mitterrand qui gagne.
En 1995, c'est écrit, Balladur est là, et tout le monde est derrière lui, tout est prêt, le pronostic est sûr : c'est Balladur ; patatras, c'est Chirac ! (Nouveaux rires.)
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. En somme, vous vous trompez tout le temps ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Raffarin. En 1997, on va dissoudre pour gagner et, boum ! c'est la gauche qui arrive au pouvoir ! (Rires.)
Alors, monsieur le ministre, un conseil : ne jouez pas à tous ces pronostics-là ; ne changez pas une règle parce que vous pensez tirer profit de la manoeuvre. Agissez en fonction de l'intérêt général : c'est la seule façon de gagner.
Je suis très inquiet quand je vois aujourd'hui tous les calculs qui sont faits. Qui peut dire à qui profitera cette manoeuvre ? On en connaît l'origine ; on ne sait pas à qui elle profitera. D'ailleurs, sur ce sujet-là, je ne désespère pas, mais je garde mes pronostics pour moi, et vous comprendrez pourquoi ! (Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
J'insiste, monsieur le ministre : on ne peut aujourd'hui espérer que ce pays se mobilise, face aux défis qu'il a à relever, avec, pour tout projet politique, le changement des règles électorales !
Il y a là quelque chose de profondément décevant au regard des deux grandes critiques que l'on fait aujourd'hui à la politique et qui imposent une autre attitude et une autre réflexion que celles que propose le Gouvernement.
On le sait, on reproche à la politique son impuissance grandissante, son incapacité à répondre aux préoccupations profondes des Français ; bref, on lui impute la malgouvernance.
On voit bien, d'ailleurs, qu'il ne suffisait pas de distribuer de l'argent : aujourd'hui, des salariés et des travailleurs indépendants appartenant à diverses couches de la société française, et dont la situation s'est parfois améliorée, n'en ont pas moins le « blues » au fond du coeur, quand ils ne sont pas au bord de la révolte.
Regardez cette société : n'a-t-elle pas l'air heureux ? Mais ces images de croissance, de frénésie de soldes que nous montre la télévision ne suffisent pas à cacher le fait que les avocats sont mécontents, les médecins inquiets, les convoyeurs révoltés, comme les agriculteurs et les éleveurs...
M. Christian Bonnet, rapporteur. Et les caisses d'épargne, dont les personnels étaient hier dans la rue !
M. Jean-Pierre Raffarin. En effet, et je suis sûr que chaque sénateur ici pourrait attester le malaise que nous constatons tous.
Le mécontentement est dont patent.
Pourquoi ? Parce que la responsabilité publique n'apporte pas les solutions concrètes que les gens attendent, et nous, nous leur parlons de calendrier électoral !
Je voudrais vraiment que tous ensemble, droite et gauche, nous, les hommes politiques, nous nous attaquions à la fois à la capacité de résultat, mais aussi à la recherche de vérité en politique.
Aujourd'hui, un mensonge très important fragilise notre pays. Pour ma part, je considère, en effet, que l'on ment sur la place du national. Celui-ci est en train d'être fragilisé, et l'on fait croire qu'il règle tous les problèmes. On voit aujourd'hui le national attaqué par les pouvoirs d'en haut, par les marchés, par les directives européennes, par tout ce qui est au-delà du national ; et l'on voit aussi le national de plus en plus déstabilisé. Il le comprend de moins en moins ; il ne sait pas s'adapter à l'émergence des pouvoirs locaux.
Le national est fragile, et il continue de faire croire que tout va bien. Commençons par les élections nationales, tout ira bien ! Le national réglera tous les problèmes !
Non ! si l'on ne défend pas le national, si l'on ne s'attache pas à faire en sorte que notre cohérence républicaine soit affirmée, le pays sera fragilisé.
Il nous faut manifester cette vérité-là si l'on veut aujourd'hui défendre un projet politique qui ne soit pas une simple tactique électorale. Il faut affirmer la vérité !
Tout à l'heure, on a parlé de décentralisation. Nous voyons bien que l'on a besoin du national. Le national, c'est la cohérence républicaine ! Nous voyons bien que l'on a besoin des départements et des régions ; c'est la décentralisation, c'est la proximité ! Ainsi, certains sujets sont mieux traités par la proximité et d'autres mieux traités par la cohérence : pour l'énergie nucléaire, il vaut mieux prendre la cohérence nationale, mais, pour le développement local ou le tourisme patrimonial, on peut préférer la proximité.
Certes, dans la République, les différents pouvoirs peuvent s'organiser, mais il faut traiter ces questions-là au fond et ne pas passer sur des débats qui font les vraies inquiétudes des Français et qui montrent combien on peut aujourd'hui s'intéresser à la vérité en politique.
Ne faites pas semblant, monsieur le ministre, et ne niez pas le fait que nous avons des problèmes importants à traiter pour que la politique renoue des relations de confiance avec les Français !
Or, avec ce texte-là, nous tournons le dos à cette démarche de confiance, en choisissant des débats qui semblent ne concerner que nous-mêmes. Bref, c'est là, je crois, la façon la plus sûre de tourner le dos à l'opinion.
Travaillons aussi sur l'efficacité de la politique. Regardons ces « mammouths » administratifs que l'on voit se développer aujourd'hui. Il y a maintenant cinq ministres aux affaires sociales et, s'il faut faire une place à M. Kouchner, pourquoi pas six, finalement ? Il y en a bien cinq à Bercy et quatre à l'éducation nationale ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
On peut, certes, développer les structures - plus ça va, plus on les développe - mais ce sont autant de « mammouths ». Et, quand il y a des tempêtes, on voit l'impuissance dans laquelle nous nous trouvons les uns et les autres pour faire face aux difficultés, aux blessures, à l'angoisse de nos concitoyens.
Je vous assure, monsieur le ministre, que je n'aurais pas le courage aujourd'hui, un an après la tempête, d'aller dire à mes électeurs, dans le sud de la Charente-Maritime ou le sud de la Charente...
M. François Trucy. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... que, cette semaine, j'ai discuté avec M. Queyranne de l'inversion du calendrier électoral. (Sourires.)
Si je dis cela à mes sylviculteurs, à mes éleveurs, compte tenu de la situation aujourd'hui dans cette région, je vous assure qu'ils n'auront pas une énorme considération pour la vie politique...
M. Hilaire Flandre. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... et cela, je ne le souhaite pas. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
Il faut donc rechercher une gouvernance différente qui traite des problèmes des Français, qui recherche la vérité et l'efficacité. Il nous faut faire en sorte, ensemble, de bien montrer que les problèmes que nous traitons ne sont pas ceux de la classe politique, mais qu'ils sont les problèmes de tous les Français. C'est sur cette première exigence que se jouera l'élection présidentielle, c'est sur cette exigence-là, sur ces réponses-là, et non pas sur le fait de savoir qui est le premier sur la ligne de départ !
Mais il nous faut aussi aller au-delà de cette vérité et de cette efficacité : il faut tracer une perspective. Au fond, nous devons réfléchir ensemble à ce que doit être cette perspective à proposer aux Français en ce début de millénaire.
On voit bien, aujourd'hui, l'inquiétude croissante que suscite la mondialisation ; on voit bien, d'un côté, cette formidable ouverture, et, de l'autre, cette terrible inquiétude ; on voit bien les Bové se replier sur eux-mêmes ; on voit bien, d'un autre côté, les Zidane qui n'hésitent pas à aller gagner à l'étranger.
M. Henri de Raincourt. Sur le plan fiscal !
M. Jean-Pierre Raffarin. On voit bien cette dialectique, mais ils sont tous Français, et il nous faut concilier les tendances des uns et des autres. Dans cette logique, que pouvons-nous leur proposer ?
Je crois qu'il faut aller au fond des débats, et ce siècle qui s'amorce peut être une renaissance, tout comme, à la fin du Moyen Age, on a remis en cause un certain nombre d'idées toutes faites pour faire place à des idées nouvelles. Cette mutation appelle aujourd'hui une renaissance de l'humanisme, c'est-à-dire une redéfinition de la place que l'on doit accorder à l'homme au coeur de nos processus. En réalité, on fait tout actuellement, dans l'action publique nationale, pour donner le sentiment que l'homme est à la périphérie des décisions, à la périphérie des administrations, à la périphérie des processus, alors que les citoyens nous demandent de replacer l'homme au coeur de toutes nos préoccupations. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Où est l'homme aujourd'hui dans un débat électoral, de tactique, de calendrier ? Où est la place que nous devons donner à cet humanisme libéral et créateur qui est au coeur de nos convictions ?
Comment faire en sorte d'humaniser toute la politique, d'humaniser l'Etat et les structures ? Comment faire en sorte que l'individu n'ait pas le sentiment d'être face à des machines, à des mouvements qu'il ne maîtrise pas, face à une puissance incontrôlée qui progressivement le broie ? Ce sont les réponses à ces questions-là que les citoyens attendent de nous ! Si nous sommes élus au Parlement, c'est pour que, dans tous les textes et toutes les décisions, quelqu'un s'interroge : « Mais l'homme, dans tout cela, y pensez-vous ? » Tel est le combat que nous devons mener.
Alors, franchement, on ne peut pas considérer avec beaucoup de joie et de satisfaction ce débat qui nous est aujourd'hui proposé et qui ne répond pas à l'attente des Français. Je suis vraiment convaincu que les projets qui sont importants pour notre pays - projet européen, projet démocratique, projet économique, projet social, projet environnemental - font partie des réflexions que les Français exigeront des candidats à la présidence de la République. Car telles sont aujourd'hui les grandes questions qui sont posées.
Que s'élèvent dans ce pays des voix pour que l'on dépasse l'univers de la tactique, l'univers de la manoeuvre. Que s'élèvent des voix pour proposer aux Français les messages d'avenir qu'ils attendent du pays mais aussi de chacune et de chacun d'entre nous ! Faisons en sorte que ces projets qui concernent vraiment l'ensemble du pays soient suffisamment mobilisateurs et dépassent des clivages si bloquants !
Au fond, que nous demande le peuple aujourd'hui, sinon de « métisser » nos coeurs et de nous rapprocher les uns des autres ? Il ne réclame pas la renaissance perpétuelle de nouveaux clivages, avec les bonnes familles et les mauvaises familles ; les bonnes PME et les mauvaises PME ; les bons agriculteurs et les mauvais agriculteurs ; ceux qui respectent l'environnement et ceux qui ne le respectent pas. Car tous ces clivages sont autant d'accusations et ces accusations génèrent une société brutale dont nos concitoyens ne veulent pas.
Or le texte qui nous est proposé aujourd'hui nous paraît non seulement subalterne par rapport aux préoccupations des Français, mais aussi brutal. Il divise votre majorité, et divise aussi notre opposition, ce qui n'est bon pour personne. Nous n'avons pas intérêt à favoriser ce type de clivage ; nous n'avons pas intérêt à ce que les questions d'organisation politicienne deviennent des enjeux. C'est à de telles attitudes que nous devons, parfois, le rejet que la politique inspire à l'opinion.
Monsieur le ministre, pour nous, les élections législatives sont évidemment très importantes. En effet, elles sont l'occasion de juger le bilan d'un gouvernement. Au reste, un gouvernement qui a fait voter des textes par le Parlement et qui aura géré cinq ans durant la République se doit, fièrement, de présenter son bilan et, sur ce bilan, de demander quitus à l'opinion publique. Il est assez étonnant, à cet égard, que le chef du Gouvernement, qui tire sa légitimité de l'élection législative, ne veuille pas commencer par présenter son bilan à l'occasion d'une élection législative. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Auguste Cazalet. Très bien !
M. Philippe Marini. Bravo !
M. Jean-Pierre Raffarin. Aurait-il peur de cette évaluation ? Craint-il l'inspection du peuple français ?
M. Philippe Marini. Eh oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. Craint-il, finalement, ce débat, cette fois un débat national, non pas résumé à quelques joutes télévisées, mais mené sur le terrain, en profondeur, circonscription par circonscription - circonscription rurale, circonscription équilibrée, circonscription urbaine - département par département - petits départements, grands départements ? En somme, un vrai débat !
M. Serge Vinçon. C'est exact !
M. Jean-Pierre Raffarin. Et, ce vrai débat, on cherche ici à l'escamoter.
MM. Philippe Marini et Serge Vinçon. Oui !
MM. Jean-Pierre Raffarin. A cet égard, la seule satisfaction qui est aujourd'hui la nôtre, c'est de constater que le pays le comprend et qu'il a bien ressenti qu'il y avait là comme un refus d'obstacle, comme une haie qu'on essaierait de franchir en la contournant.
M. Serge Vinçon. En biaisant !
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est, je crois, fort dommage, et le Gouvernement lui-même n'en conçoit sans doute aucune fierté.
Quel que soit le calendrier électoral qui sera retenu, quel que soit l'ordre des élections, quelles que soient, au fond, les circonstances, quand on se bat pour des convictions profondes et non par opportunisme, pour de grands projets politiques ne reflétant pas l'étroitesse de certaines formes d'esprit que les circonstances inquiètent, quand on se bat ainsi, on peut faire passer un véritable message, celui de la France qui fait son entrée dans le nouveau millénaire,...
M. Philippe Marini. Oui !
M. Jean-Pierre Raffarin. ... un message susceptible de mobiliser les Français et qui nous permettra, au sein de l'Europe, de faire entendre notre voix. Monsieur le ministre, soyez assuré que la majorité sénatoriale a confiance dans l'avenir ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Carle. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai beaucoup de scrupules à prendre la parole après la brillante intervention de notre collègue Jean-Pierre Raffarin...
M. Henri de Raincourt. Ce sera différent, mais tout aussi sympathique !
M. Jean-Claude Carle. ... sur un débat qui, de toute évidence, préoccupe les Français, mieux même, les passionne !
Ce week-end encore, dans mon département, mais je pense qu'il en est de même chez vous, les gens n'ont parlé que de cela, inquiets de savoir si la loi serait adoptée avant les prochaines élections municipales, impatients de connaître le nom de ceux qui voteront courageusement pour cette réforme courageuse ! (Sourires.)
Que l'Etat soit dans l'incapacité de mettre en oeuvre la présomption d'innocence, que des voitures brûlent dans les quartiers, que les convoyeurs soient contraints de faire leur métier la peur au ventre, que la femme et le fils d'un ex-président de la République insultent les magistrats et traitent la justice de preneuse d'otage, au fond tout cela vous importe peu, pourvu que l'on inverse le calendrier électoral ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Soit, monsieur le ministre, débattons, débattons, quitte à froisser le président de l'Assemblée nationale, M. Forni. Dans une interview à la veille du nouvel an - Christian Bonnet l'a dit -, il estimait que le Sénat « aurait quelque audace à retenir un texte qui ne le concerne pas directement puisqu'il s'agit des élections à l'Assemblée nationale ».
M. Josselin de Rohan. Il n'était pas le seul !
M. Jean-Claude Carle. Il voulait probablement faire allusion à la tradition républicaine qui veut qu'une assemblée n'interfère pas dans le débat lorsque celui-ci porte sur le mode d'élection de l'autre chambre.
M. Josselin de Rohan. Quelqu'un d'autre l'a dit !
M. Jean-Claude Carle. Il aurait pu se rappeler qu'en son temps lui-même et les députés de la gauche n'ont vu aucun inconvénient à modifier le mode d'élection des sénateurs sans s'embarrasser du moindre scrupule.
De nos jours, le ridicule ne tue plus. Heureusement pour tous ceux qui ne seraient plus de ce monde aujourd'hui ! (Rires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Monsieur le ministre j'ai écouté votre collègue ministre de l'intérieur défendre avec ardeur la proposition de modification du calendrier électoral. A Coeur Vaillant, il est vrai, rien d'impossible ! (Rires sur les mêmes travées.)
Pourtant, je dois le dire, malgré ses efforts, il n'a pas été convaincant, sans doute parce qu'il n'était pas lui-même convaincu.
Il n'a pas répondu, en particulier, aux trois questions qui motivent notre discussion : pourquoi l'inversion de l'élection présidentielle et des élections législatives ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi comme ça ?
Si je pose d'emblée ces questions, c'est parce que, reconnaissons-le, rien ne laissait présager votre aversion du calendrier électoral.
Lorsqu'en avril 1997 l'Assemblée nationale est dissoute, il n'a échappé à personne que la nouvelle législature prendrait fin en 2002, du moins à ceux qui connaissent la Constitution.
Comme je le disais, personne ne s'en est alors ému, pas même M. Jospin. Reportez-vous à ses déclarations et à ses écrits. Jamais il n'a été question d'inverser le calendrier électoral, ni dans son programme de campagne ni, ensuite, dans sa déclaration de politique générale, cette fameuse déclaration que vous ne manquez jamais de brandir, tels les dix commandements.
Depuis trois ans, nous aurions eu l'occasion de débattre à deux reprises au moins du calendrier ; tout d'abord, lors de la discussion sur la réduction de la durée du mandat présidentiel, puis lors de l'examen du projet de loi concernant la modification de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel. A chaque fois, le Gouvernement en a exclu l'éventualité.
Lors du débat sur le quinquennat au Sénat, le 29 juin dernier, j'entends encore M. Robert Badinter réclamer une modification du calendrier électoral et Mme Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, lui répondre dans un clair-obscur : « M. Badinter a évoqué la question du calendrier des élections législatives et présidentielle. Il a évidemment tout à fait raison de rappeler que la date de l'élection présidentielle, depuis 1974, résulte de la date du décès en avril du président Georges Pompidou. Pour autant, je voudrais souligner ici, au nom du Gouvernement, que, s'agissant de la chronologie des élections de l'année 2002, cette réforme constitutionnelle n'a vocation à s'appliquer qu'au mandat du prochain Président de la République et ne doit en rien affecter la durée du présent mandat. Ici et maintenant, nous n'avons à débattre que de la réforme constitutionnelle sur la durée du mandat du Président de la République. D'ailleurs, comme M. Badinter l'a rappelé, la question du calendrier des élections législatives relève de la loi organique. »
C'est une déclaration pleine d'ambiguïté, je vous l'accorde. Mais cette ambiguïté a été vite dissipée lorsque, le 24 septembre, Mme Guigou expliquait sur France Inter qu'« il ne serait pas opportun de changer le calendrier [...] juste avant l'élection car, chaque fois cela se produit, on peut être accusé de vouloir trafiquer ».
M. Josselin de Rohan. C'est le cas !
M. Jean-Claude Carle. Et de concéder qu'il faudrait « de toute façon, après 2002, revenir à un calendrier plus normal ». Comme vous, j'ai bien entendu : « après 2002. » Même débat et même tonalité de la part du ministre de l'intérieur, M. Daniel Vaillant, à l'Assemblée nationale, le 10 octobre dernier, dans le débat sur les modalités d'organisation de l'élection présidentielle.
Répondant à un amendement du député Georges Sarre qui proposait l'inversion du calendrier au profit de l'élection présidentielle, il avait clairement écarté l'hypothèse en répondant : « Le Gouvernement, vous le savez, respecte les échéances fixées par les lois de la République. Il n'a pas pris d'initiative pour modifier le calendrier électoral de 2002, ce qui nécessiterait en effet de proroger le mandat de cette assemblée. Dans l'hypothèse où l'évolution du débat politique ferait apparaître un très large accord pour inverser l'ordre des échéances électorales, le Gouvernement serait alors disponible pour en débattre, naturellement, mais c'est loin d'être le cas aujourd'hui. Il est donc défavorable à cet amendement et ne peut que souhaiter son retrait. »
M. Josselin de Rohan. Sa main droite ignore ce que fait sa main gauche !
M. Jean-Claude Carle. De guerre lasse, M. Sarre avait alors retiré son amendement, faute d'une majorité pour le voter. Nous étions le l0 octobre 2000.
Au nom du droit d'inventaire, je poursuis ce rappel chronologique, déjà fait par Christian Bonnet.
Vous allez voir, c'est très instructif !
Invité du journal télévisé sur TF1, le 19 octobre, le Premier ministre en personne expliquait que « toute initiative serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne [...] Moi, - avait-il ajouté - j'en resterai là et il faudrait vraiment, comme l'a dit François Hollande, qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises. »
Le 19 novembre, le trésorier du parti socialiste, le député Alain Claeys, déclarait sur le site Internet du PS : « Nous maintenons notre position : il n'est pas question pour nous de demander une modification qui pourrait se justifier juridiquement, mais serait mal perçue politiquement. Nos concitoyens pourraient y voir une modification de circonstance ou de convenance. »
C'est sans doute pour cela que, une semaine plus tard, M. Jospin se prononçait, contre toute attente, en faveur de l'inversion du calendrier devant le congrès du PS, soucieux sans doute de ne pas importuner le Parlement avec des effets d'annonce.
M. Jospin se veut un homme d'Etat. Les Français attendent d'abord d'être gouvernés par des hommes d'éthique. (Sourires.)
« Je fais ce que je dis, je dis ce que je fais » : c'est la phrase qui revenait tel un leitmotiv dans le discours du Premier ministre. Seulement voilà, depuis les choses ont changé. Désormais, M. Jospin fait le contraire de ce qu'il dit et dit le contraire de ce qu'il fait. (Très bien ! Et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Résultat, même le parti socialiste s'est trouvé pris de cours. Plusieurs jours après son congrès, son site Internet a continué d'afficher la position officielle de ses dirigeants contre l'inversion du calendrier électoral.
Même le ministre de l'intérieur n'a pas échappé à l'ironie de l'histoire. En consultant le Journal officiel, je me suis pris à sourire en lisant sa réponse à une question écrite sur les dates des élections. Cette réponse était publiée au Journal officiel du 27 novembre, c'est-à-dire le lendemain du congrès de Grenoble, au cours duquel M. Jospin avait annoncé son intention de modifier le calendrier.
Que lisait-on ? « Les élections présidentielle et législatives doivent être organisées selon un calendrier très précis, en vertu respectivement des articles 7 de la Constitution et L.O. 121 du code électoral ».
Et d'ajouter : « Fixer un an avant les dates exactes de ces différents scrutins ne présente donc que peu d'intérêt et ne permettrait pas de prendre en compte certaines contraintes de calendrier difficilement prévisibles à plus d'un an de l'échéance électorale ». M. Vaillant ne croyait pas si bien dire ! (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Quant à vos alliés, je n'aurai pas la cruauté de m'étendre sur les réactions provoquées par le revirement du Gouvernement !
Le 17 décembre dernier, M. Jean-Claude Gayssot témoignait sa solidarité gouvernementale de manière toute personnelle, en indiquant publiquement qu'il était contre l'inversion du calendrier électoral, craignant que « ce soit vécu comme une manoeuvre et que cela contribue à dissocier le peuple des responsables politiques ».
Si même les communistes se mettent à penser comme nous, alors tout est possible ! (Rires sur les mêmes travées.)
M. Guy Fischer. On est loin de penser comme vous ! En Rhône-Alpes, on vous connaît !

M. Ivan Renar. On a déjà donné en ce qui concerne tout ce qui est monocolore !
M. Jean-Claude Carle. D'autant que, deux jours plus tard, c'était au tour du secrétaire national du parti communiste, M. Robert Hue, de dire tout le bien qu'il pensait de votre réforme, soulignant qu'il n'était « pas bon de vouloir faire jouer à l'Assemblée nationale un médiocre rôle au service de ce qui apparaît avec raison comme une mesure de circonstance ».
M. Guy Fischer. S'il sert de référence !
M. Jean-Claude Carle. Quant à vos alliés écologistes, on ne s'étonnera pas de leur position : en Vert et contre tout, telle a toujours été leur devise !
De là sans doute la motion de procédure déposée contre votre texte par M. Mamère, s'étonnant à juste titre de « cette précipitation à vouloir régler cette question de calendrier » alors « qu'on repousse des réformes nécessaires pour cause d'encombrement d'ordre du jour ».
Voir vos alliés se désolidariser du Gouvernement dans un aussi bel ensemble devrait vous conduire à vous interroger sur le bien-fondé de cette réforme : de la gauche plurielle, ne serait-on pas en train de passer à la gauche plus rien ? (Rires sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Ivan Renar. Quel pessimisme !
M. Jean-Claude Carle. Lors du vote à l'Assemblée nationale, certains se sont extasiés sur les 300 voix pour. Ils oublient tout simplement - et Jean-Pierre Raffarin vient de le rappeler - que la majorité absolue est de 289 voix. Cela veut dire concrètement que l'inversion du calendrier n'est passée qu'avec 11 voix !
Si le Gouvernement a pu compter à cette occasion sur une majorité de circonstance, n'espérez pas que le Sénat apporte sa rançon - pardon ! - je voulais dire sa caution à une manoeuvre aussi grossière. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. (Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Pour justifier cette proposition de loi, le Premier ministre et vous-même avez plaidé la cohérence. A jouer les fossoyeurs de la Ve République il n'est pas étonnant que votre discours soit fait de faux-fuyants et de vrais mensonges.
M. Jospin a commencé par expliquer que si ce calendrier était maintenu, pour la première fois, on verrait un président élu juste après les députés. Il a également suggéré qu'un tel calendrier ferait peu de cas de la logique de nos institutions et constituerait une anomalie. La même sans doute que le Sénat. C'est décidément une obsession chez lui.
M. Serge Vinçon. Il doit en rêver la nuit !
M. Jean-Claude Carle. On savait le Premier ministre fâché avec l'histoire mais pas au point de voir le droit d'inventaire se muer en droit d'inventeur.
En effet, revenez quelques années en arrière. Vous verrez que, à trois reprises au moins, les élections législatives ont précédé l'élection présidentielle : les 23 et 30 novembre 1958, avant la présidentielle du 21 décembre 1958 ; les 23 et 30 juin 1968, avant la présidentielle du 15 juin 1969 ; les 4 et 11 mars 1973, avant la présidentielle du 19 mai 1974.
Vous allez me rétorquer que l'élection de 1958 n'avait pas lieu au suffrage universel direct. Mais soyez cohérents ! Vous prétendez inverser le calendrier poursoustraire l'élection du Président de la République à l'influence des partis. Or, en 1958, avec l'élection par le collège des grands électeurs, l'influence des partis était bien plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Quant à l'élection législative de 1968, qui donc niera que s'y inscrivaient en filigrane la succession du général de Gaulle et l'affirmation de Georges Pompidou comme son successeur ?
On peut toujours réécrire l'histoire ; vous autres socialistes en savez quelque chose. En revanche, il est des réalités que l'on ne peut contester.
M. Jospin nous dit qu'il faut revenir à un calendrier normal, qu'il faut rétablir un ordre normal. Une fois encore, vérifiez : jamais, dans les travaux des constituants, il n'a été question d'un ordre réétabli ou d'une logique immuable.
M. Philippe Marini. C'est la normalisation !
M. Jean-Claude Carle. La logique, s'il en faut une, c'est celle du calendrier de la Ve République tel qu'il aurait dû se dérouler si aucun décès ou aucune démission n'était venu contrarier le mandat présidentiel.
Que constate-t-on ?
Si le second mandat du général de Gaulle était allé à son terme, l'élection présidentielle aurait eu lieu un an avant les élections législatives de 1973. En revanche, les élections législatives suivantes auraient eu lieu en 1978, soit un an avant l'élection présidentielle de 1979.
Mieux encore : en respectant les délais fixés par la Constitution, présidentielle et législatives auraient dû avoir lieu la même année, en 1993.
C'est la preuve que ce que vous avancez est faux. Je ne vous en fais cependant pas le reproche : vous ne pouvez que mal apprécier des institutions que vous avez toujours rejetées.
Je poursuis en répondant point par point aux autres arguments du Gouvernement, car c'est cela aussi le débat.
Toujours au nom de la cohérence, M. Jospin assène qu'il faut rétablir l'ordre du calendrier républicain puisque, selon lui, la dissolution de 1997 aurait « inversé l'ordre normal des rendez-vous démocratiques ».
Sur ce point précis, je crois qu'il faut nous attarder quelques instants.
D'abord, je veux souligner que François Mitterrand ne s'est pas privé de dissoudre - il l'a fait à deux reprises - l'Assemblée nationale bien avant le terme de la législature. S'il ne l'avait pas fait, le problème du calendrier ne se poserait pas dans les mêmes termes aujourd'hui.
Ensuite, je veux rappeler que la gauche n'a pas eu à se plaindre de la dissolution de 1997 et qu'elle est mal venue d'en critiquer le principe aujourd'hui.
Enfin, je veux m'inquiéter du propos du Premier ministre lorsqu'il conteste le droit de dissolution dévolu au Président de la République en vertu de l'article 12 de la Constitution, car c'est une des pierres angulaires de nos institutions.
L'article 12 prévoit en effet que : « Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Contester la modification du calendrier découlant de la dissolution, c'est donc contester le droit de dissolution lui-même.
Imposer un ordre de priorité entre l'élection présidentielle et les élections législatives, c'est ignorer le moment fixé pour les élections législatives en cas de dissolution par la Constitution.
Vous ne pouvez changer quoi que ce soit à celle-ci par une loi organique : ce que la Constitution a fait, seule une loi constitutionnelle peut le défaire, mais vous n'avez pas la majorité pour cela, et vous le savez !
Enfin, je doute - et j'en aurai terminé avec l'argument de la cohérence - qu'il y ait une « élection directrice », ainsi que le Gouvernement voudrait nous le faire croire. Je conçois d'autant moins cet argument que nous avons connu - je devrais plutôt dire « subi » - la cohabitation pendant neuf ans sur les vingt dernières années ; Christian Bonnet l'a très justement rappelé.
En 1986, M. Mitterrand perd aux législatives, mais gagne deux ans plus tard à la présidentielle et n'obtient qu'une très courte majorité aux législatives qui suivent la dissolution de 1988. En 1995, M. Jospin perd l'élection présidentielle, mais gagne les législatives en 1997.
La réalité, c'est que notre régime est semi-présidentiel, semi-parlementaire. Selon leur résultat, les deux élections nous offrent une lecture différente de la Constitution : tantôt présidentielle, tantôt parlementaire lorsqu'il y a cohabitation.
Qu'on le veuille ou non, les élections présidentielle et législatives s'identifient étroitement : que peut, en effet, un président élu s'il ne peut s'appuyer sur une majorité au Parlement pour mettre en oeuvre sa politique ?
En définitive, M. Jospin peut bien se retrancher derrière la caution des constitutionnalistes pour justifier l'inversion du calendrier électoral, cela ne changera rien à notre point de vue. M. de Raincourt a démontré hier, avec talent, que la question est loin de faire l'unanimité entre eux. Quand bien même cette unanimité existerait, c'est une décision politique que nous devons prendre, je vous le rappelle. Quel que soit le respect que nous devons à ces éminents juristes, le droit n'est pas une fin, c'est un moyen pour répondre à cette question : qu'est-ce qui est le mieux pour les institutions, donc pour le pays et pour les Français ?
A cette question, disais-je, tous les juristes n'ont pas apporté la même réponse. Je me rappelle surtout que ceux d'entre eux qui se portent aujourd'hui garants de l'orthodoxie de la fonction présidentielle n'ont pas eu de mots assez durs en 1962 pour pourfendre la réforme du mode de scrutin présidentiel et l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel.
Vos arguments, vous l'avez compris, monsieur le ministre, ne nous convainquent pas. Nous ne vous croyons pas quand vous tentez de justifier le surprenant revirement du Gouvernement. Nous ne vous croyons pas non plus quand vous vous posez en défenseur de l'esprit de la Ve République ; une Ve République contre laquelle votre famille a voté en 1958 et en 1962 ; une Ve République contre laquelle la gauche n'a pas eu de mots assez durs.
En vérité, magouillage et tripatouillage sont les deux mamelles du mitterrandisme finissant, dont vous êtes les héritiers. François Mitterrand dénonçait le « coup d'Etat permanent ». En permanence, vous faites des tas de coups ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Avec l'inversion du calendrier électoral, le Gouvernement veut manipuler nos institutions à son profit. Il est vrai qu'à ce petit jeu la gauche s'est toujours montrée très adroite. (Sourires.)
En 1985, déjà, ce ne sont pas les scrupules qui ont étouffé le gouvernement socialiste et sa majorité lorsqu'il s'est agi de modifier le mode de scrutin législatif pour substituer le scrutin proportionnel au scrutin majoritaire. Ce fut l'objet de la loi du 10 juillet 1985, votée et promulguée moins d'un an avant les élections législatives du 16 mars 1986, loi qui a alors privé la droite d'une majorité plus nette.
En 1990, vous ne vous êtes pas davantage gênés pour rallonger d'un an le mandat des conseillers généraux et tenter de regrouper les élections cantonales dans l'espoir d'une majorité introuvable. Ce fut l'objet de la loi du 11 décembre 1990.
Depuis 1997, les initiatives du Gouvernement n'ont pas manqué pour faire main basse sur le pouvoir local et obtenir sur le tapis vert la légitimité que vous n'avez pu obtenir par les urnes. A la modification du scrutin régional, qui laissera les régions un peu plus exsangues, a succédé la réforme du mode d'élection des sénateurs, avec l'acharnement que l'on sait.
L'inversion du calendrier est la dernière illustration de ce que j'avance : les députés de la gauche plurielle, qui veulent raccourcir le mandat sénatorial, n'ont vu aucun inconvénient à se voter une rallonge ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini. Ils seraient même volontiers allés au-delà !
M. Jean-Claude Carle. A ce stade de notre discussion, nous ne savons toujours pas ce qui vous a poussés subitement à changer d'avis. Ne serait-ce pas tout simplement parce que vous y avez intérêt ? Quand M. Jospin évoque la nécessité de garantir l'égalité entre candidats, est-ce bien le Premier ministre qui parle, ou le candidat à la présidentielle ?
Ne vous offusquez pas que l'on puisse mettre en doute la sincérité et le désintéressement de vos motivations, ne vous offusquez pas quand on vous dit que vous faites de la politique, mais ne nous reprochez pas non plus d'en faire et excusez-nous d'exister.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Pour ma part, je constate seulement les faits : la gauche a peur des prochaines législatives. La meilleure preuve en est que le texte que vous nous soumettez ne concerne que l'élection de 2002.
Depuis 1981, jamais un gouvernement et une majorité de gauche ne l'ont emporté lorsque la législature est allée normalement à son terme. En 1986, la droite l'a emporté, et il n'a tenu qu'au mode de scrutin proportionnel imposé par le gouvernement Fabius moins d'un an avant les élections qu'elle n'obtienne une majorité plus forte. En 1993, la droite, alors dans l'opposition, l'avait également emporté avec une majorité écrasante.
En 1997, la gauche est sortie vainqueur des élections législatives. Rappelons tout de même que, sur 75 triangulaires, le Front national, votre meilleur allié, avait fait battre quarante candidats de droite lors du second tour.
Depuis, il n'est pas faux de dire que la bonne tenue de la gauche dans les sondages ne se convertit pas en dynamique électorale. En réalité, le seul vrai sondage, c'est celui des urnes. Que dit-il ? Il révèle une stabilité dans le rapport de force entre la droite et la gauche.
Que dire par exemple du résultat médiocre de la liste socialiste-radicale, principal soutien de M. Jospin, lors des élections européennes en 1999 ? Cette liste a réalisé un score inférieur de quatre points à celui des listes Rocard et Tapie en 1994. De fait, elle représentait moins de 10 % des électeurs inscrits ; il n'y avait vraiment pas de quoi pavoiser !
En 2000, droite et gauche ont eu l'occasion de s'affronter dans quarante scrutins partiels : sept législatives et trente-trois cantonales. Résultat : chaque camp a conservé ses positions, l'opposition gagnant même trois cantons.
Tout cela pour dire que l'opposition est bien là et qu'elle sera présente au rendez-vous du suffrage universel. Elle est d'autant mieux présente que vous ne pourrez plus compter autant que par le passé sur l'extrême droite, qui vous servait jusqu'à présent de fonds de commerce électoral.
Quant aux sondages, nous savons ce qu'il faut en penser. Pour ma part, je préfère écouter les Français plutôt que de parler à leur place.
Rappelez-vous la dernière rentrée de septembre quand les Français ont réagi à la manière calamiteuse dont le Gouvernement avait géré la flambée du prix du carburant et la crise des transports : le Premier ministre a perdu 17 points d'un seul coup. Ce qui s'est passé peut se reproduire, preuve qu'un sondage ne fait pas le printemps.
Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi vous avez fait machine arrière pour proposer d'inverser le calendrier.
Le paradoxe, avec cette inversion, c'est que le bilan de la gauche, ce bilan dont vous vous prétendez si fiers, serait totalement occulté par le débat présidentiel.
Sur ce point, vous ne vous êtes pas expliqué.
Peut-être parce que vous savez qu'on gagne une élection non pas sur un bilan, mais sur un programme et, mieux encore, sur un projet. Seul ce que l'on pourra faire pour eux demain intéresse nos concitoyens.
Peut-être aussi parce que vous savez que votre bilan n'est pas aussi bon que vous feignez de le croire. Dans un contexte où la croissance est un peu l'arbre qui cache la forêt, elles sont nombreuses les réformes essentielles que vous n'avez pas eu la volonté de mener.
Un autre paradoxe trahit votre embarras : vous saluez une proposition de loi que votre gouvernement n'a pas eu le courage d'endosser lui-même. Je note en effet que, comme pour le quinquennat, c'est une proposition de loi, relevant donc de l'initiative parlementaire, et non un projet de loi, qui sert de support à notre débat.
Pour donner le change, le Premier ministre a voulu voir là une marque du respect que le Gouvernement porterait, selon lui, au Parlement. Avouez, monsieur le ministre, que le Parlement a bon dos !
Un débat de cette importance justifiait davantage de temps. Vous nous l'avez refusé. Qu'importe, nous le prenons, sinon pour arrêter une grande réforme de nos institutions, du moins pour en esquisser les contours.
Il faut dire la vérité aux Français. Et ne comptez pas sur nous pour nous comporter comme des « parlementeurs » : nous serons des parlementaires responsables et déterminés.
Car, il faut le faire savoir, l'inversion du calendrier électoral ne servira à rien ; ou plutôt, elle ne servira que vos calculs électoraux. Je ne sais pas si c'est une réforme de convenance. Ce que je sais, en revanche, c'est qu'il s'agit d'une manoeuvre qui n'est pas convenable.
Comme je l'ai dit voilà quelques instants, il est tout de même étonnant que le texte voté par l'Assemblée nationale ne concerne que l'élection de 2002. Pourquoi pas les suivantes ?
D'un point de vue pratique, il est clair que l'inversion du calendrier n'empêcherait pas le chef de l'Etat de dissoudre l'Assemblée nationale, de démissionner ou, pis, de décéder. Si pareille hypothèse venait à se réaliser d'ici à 2002, le problème de l'ordre des élections se reposerait de la même manière.
En fait, si le Gouvernement avait réellement voulu agir, il aurait proposé de changer la date de l'élection présidentielle dans la Constitution et d'aligner le calendrier des élections législatives sur cette nouvelle date. Vous ne l'avez pas fait parce que, encore une fois, vous n'avez pas la majorité pour le faire.
Monsieur le ministre, on ne réforme pas les institutions tous les six mois. Ainsi, avec le quinquennat, nous allons élire le Président de la République et les députés pour la même durée. Manifestement, vous n'en avez pas tiré les conséquences.
Poussant le raisonnement du Gouvernement jusqu'au bout, je pose la question : pourquoi ne pas avoir proposé de faire voter les Français le même jour ? Il faudrait être stupide ou de mauvaise foi pour croire que nos concitoyens aiment se déplacer pour voter quatre fois en l'espace de cinq semaines.
L'hypothèse d'une même date pour les deux élections présente un autre intérêt. Dans un régime comme le nôtre, le Président de la République est d'autant plus susceptible d'asseoir son pouvoir qu'il dispose d'une majorité au Parlement. Voter le même jour, ce serait se prononcer pour un homme ainsi que pour un projet que le Parlement aurait pour mission de mettre en oeuvre.
La vérité, c'est que ce débat est un faux débat. En effet, tous les problèmes qui justifient une modernisation en profondeur de nos institutions restent posés.
Lorsqu'on voit à quel degré de confusion en sont arrivés les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, on peut se demander si la Constitution est encore respectée et bien adaptée.
Quelle est cette République où les « copains », comme on l'a vu ces derniers jours, peuvent en toute impunité insulter les magistrats et la justice sans que le Gouvernement, complaisant, réagisse ?
Quelle est cette République où les lois ne sont plus faites pour les hommes, mais où quelques hommes font la loi ?
La première des urgences devrait être de restaurer la séparation des pouvoirs et de multiplier les contre-pouvoirs, à commencer par le Parlement, dont le Gouvernement - Premier ministre en tête - se flatte d'avoir approuvé et accompagné les initiatives.
Nous avons appris à connaître sa méthode. Si vous pensiez à la proposition de loi sur l'inversion du calendrier pour répondre à cette exigence, alors, je suis navré de vous couper votre effet !
Plutôt que devoir enregistrer un effet d'annonce devant le congrès du PS, nous aurions apprécié que le chef du Gouvernement réservât cette information au Parlement.
Plutôt que de devoir examiner une réforme à la va-vite, affublée d'un consensus de façade, nous aurions cent fois préféré que le Parlement fût consulté par le Gouvernement avant l'engagement de la France au Kosovo, cent fois préféré que le Gouvernement s'expliquât à propos du budget et des comptes de l'Etat, cent fois préféré que le Gouvernement dît la vérité au sujet de l'autorité de l'Etat bafouée en Corse, cent fois préféré l'inscription à l'ordre du jour du Parlement d'un texte de loi portant réforme de l'ordonnance de 1959 sur le contrôle du budget de la nation.
Séparation des pouvoirs, donc, mais aussi distribution, diffusion et décentralisation des pouvoirs : c'est la seconde priorité pour le pays, et vous n'avez rien fait à cet égard. Vous êtes même allés en sens inverse, Jean-Pierre Raffarin l'a très bien rappelé.
Le débat qui a lieu en ce moment même à l'Assemblée nationale sur la décentralisation n'est qu'un cache-misère. C'est une illusion de croire que nous vivons dans un pays décentralisé !
En 1982, les Français ne connaissaient que trois personnes : le maire, le préfet et le Président de la République. Vingt ans plus tard, rien n'a changé, ou si peu ! Et ce n'est pas la politique de reprise en main des circuits de décision et de financement que votre gouvernement a entreprise depuis 1997 qui va y remédier.
En définitive, vous êtes les David Copperfield ou les « Merlin désenchanteurs » de la politique. Face aux réalités, vous sortez la boîte à illusions, ou plutôt à désillusions ! (Sourires sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
L'éducation, priorité des priorités, exige une réforme en profondeur et la consultation de tous les Français. Vous faites disparaître, comme par « désenchantement », le seul ministre qui avait eu le mérite de poser les vraies questions, et vous sortez de votre chapeau des milliards qui ne feront qu'illusion.
Les nouvelles technologies de communication, la globalisation et l'instantanéité de l'information ont sonné le glas de l'architecture pyramidale de la société et réclament une démocratie décentralisée.
A ces enjeux d'avenir, vous répondez dans le court terme par le tripatouillage du calendrier, comme pour mieux éviter d'affronter les défis du futur.
Notre démocratie souffre d'un manque de représentativité. A l'urgente nécessité de permettre l'égal accès des femmes et des hommes à la vie publique, quelles que soient leurs origines sociales ou professionnelles, vous répondez par la parité, qui n'est qu'un écran de fumée.
Que des maires renoncent à poursuivre leur tâche devant les obstacles qui se multiplient est un signal. Que salariés et patronat prennent eux-mêmes en main la refondation sociale est un signal. Que la société bouge sans nous attendre est un signal. Le signal que l'Etat vieillissant, l'Etat sclérosé ne peut plus prétendre régir notre existence. Le signal qu'il faut lui redonner dynamisme, force et vigueur en le déchargeant de tout ce qu'il ne peut plus faire, de tout ce qu'il ne sait plus faire, de tout ce qu'il ne doit plus faire. Le signal qu'il faut laisser les entreprises, les associations, les familles et les communes agir par leurs propres moyens quand elles sont mieux placées que l'Etat pour le faire.
C'est de cette démocratie de confiance, de partenariat, de proximité que nous aurions voulu parler, bien loin des petits calculs auxquels vous et votre majorité nous demandez de nous prêter.
En période des soldes, il est normal que vous vendiez vos réformettes au rabais. (M. Vinçon s'esclaffe.) A ce petit jeu, malheureusement, ce sont les institutions que vous allez liquider !
M. Jospin a changé d'avis sur le calendrier, MM. Barre et Giscard d'Estaing ont fait le reste. En somme, c'est un coup de main pour un coup de tête. Ce n'est pas une loi de circonstance ; ce n'est même plus une loi de convenance ; c'est une loi de complaisance !
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous ne votions pas ce texte. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La conférence des présidents en ayant ainsi décide, après vous avoir présenté diverses communications, mes chers collègues, je vais lever la séance.
En conséquence, la suite de la discussion de cette proposition de loi est renvoyée à la séance du mardi 23 janvier 2001.

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DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre un rapport sur les retraites agricoles, établi en application de l'article 3 de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999, d'orientation agricole.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.

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COMMUNICATION RELATIVE
À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

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TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, sur l'épargne salariale.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 193, distribué et renvoyé à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

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DÉPO^T DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Philippe François un rapport, fait au nom de la commission des affaires économique et du Plan, sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt (n° 408, 1999-2000).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 191 et distribué.
J'ai reçu de M. Nicolas About un rapport, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire (n° 431, 1999-2000).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 192 et distribué.
J'ai reçu de M. Claude Huriet, rapporteur pour le Sénat, un rapport, fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 194 et distribué.

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ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 18 janvier 2001, à neuf heures trente et à quinze heures :
Discussion des conclusions du rapport (n° 177, 2000-2001) de M. Jean-Paul Delevoye, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur :
- la proposition de loi de MM. Alain Vasselle, Philippe Adnot, Louis Althapé, Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Georges Berchet, Jean Bernard, Roger Besse, Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Gérard Braun, Dominique Braye, Louis de Broissia, Michel Caldaguès, Robert Calméjane, Gérard César, Jean Chérioux, Gérard Cornu, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Xavier Darcos, Philippe Darniche, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Jacques-Richard Delong, Fernand Demilly, Charles Descours, Michel Doublet, Paul Dubrule, Daniel Eckenspieller, Michel Esneu, Hilaire Flandre, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Yann Gaillard, Jean-Claude Gaudin, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Francis Giraud, Daniel Goulet, Alain Gournac, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel, Pierre Hérisson, Daniel Hoeffel, Bernard Joly, André Jourdain, Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Pierre Laffitte, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, René-Georges Laurin, Dominique Leclerc, Jacques Legendre, Guy Lemaire, Serge Lepeltier, Jacques Machet, Max Marest, Philippe Marini, Pierre Martin, Paul Masson, Michel Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Luc Miraux, Aymeri de Montesquiou, Georges Mouly, Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Jacques Oudin, Jacques Pelletier, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Michel Rufin, Jean-Pierre Schosteck, Michel Souplet, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, René Trégouët, Maurice Ulrich, André Vallet, Jean-Pierre Vial, Serge Vinçon, Guy Vissac et Gérard Larcher relative au statut de l'élu (n° 59 rectifié, 2000-2001) ;
- la proposition de loi de MM. Jacques Legendre, Jean-Pierre Schosteck, Louis Althapé, Pierre André, Jean Bernard, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calméjane, Auguste Cazalet, Charles Ceccaldi-Raynaud, Gérard César, Gérard Cornu, Jean-Patrick Courtois, Xavier Darcos, Désiré Debavelaere, Jacques-Richard Delong, Christian Demuynck, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Daniel Eckenspieller, Michel Esneu, Gaston Flosse, Bernard Fournier, Yann Gaillard, Patrice Gélard, Francis Giraud, Daniel Goulet, Emmanuel Hamel, Alain Hethener, Jean-Paul Hugot, Roger Karoutchi, Edmond Lauret, Dominique Leclerc, Jean-François Le Grand, Serge Lepeltier, Max Marest, Philippe Marini, Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Victor Reux et Louis Souvet tendant à assurer le maintien de la proportionnalité des indemnités de tous les élus municipaux (n° 398, 1999-2000) ;
- la proposition de loi de MM. Jean-Claude Carle, Henri de Raincourt, Nicolas About, Mme Janine Bardou, MM. Christian Bonnet, Jean Clouet, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Jean Delaneau, René Garrec, Louis Grillot, Mme Anne Heinis, MM. Jean-François Humbert, Jean-Philippe Lachenaud, Serge Mathieu, Philippe Nachbar, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, François Trucy, Philippe Adnot, Louis Althapé, Jean-Paul Amoudry, José Balarello, Jacques Baudot, Georges Berchet, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Roger Besse, Jacques Bimbenet, Jean Bizet, Paul Blanc, James Bordas, Jean Boyer, Gérard Braun, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calméjane, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel-Pierre Cléach, Gérard Cornu, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Marcel Deneux, André Diligent, Michel Doublet, Ambroise Dupont, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, Alfred Foy, Jean François-Poncet, Jean-Claude Gaudin, François Gerbaud, Charles Ginésy, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Hubert Haenel, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Alain Hethener, Charles Jolibois, Bernard Joly, André Jourdain, Gérard Larcher, Robert Laufoaulu, Marcel Lesbros, André Maman, Louis Mercier, Jean-Luc Miraux, Georges Mouly, Paul Natali, Lucien Neuwirth, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Jacques Pelletier, Jean Pépin, Jacques Peyrat, Bernard Plasait, Ladislas Poniatowski, Charles Revet, Henri de Richemont, Bernard Seillier, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, André Vallet et Alain Vasselle tendant à revaloriser les indemnités des adjoints au maire, des conseillers municipaux, des présidents et vice-présidents d'un établissement public de coopération intercommunale (n° 454, 1999-2000) ;
- la proposition de loi de M. Serge Mathieu tendant à la prise en compte, pour l'honorariat des maires, maires délégués et maires adjoints, des mandats accomplis dans différentes communes (n° 443, 1999-2000) ;
- la proposition de loi de M. Jean Arthuis et des membres du groupe de l'Union centriste visant à créer une indemnité de retour à l'emploi pour les élus locaux (n° 98, 2000-2001).
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt (n° 408, 1999-2000) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 22 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 22 janvier 2001, à douze heures.
Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi organique modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (AN, n° 2685) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à renforcer la prévention et la répression à l'encontre des groupements à caractère sectaire (n° 431, 1999-2000) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 24 janvier 2001, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
N° 2001-13 D DU 16 JANVIER 2001

DÉCHÉANCE DE PLEIN DROIT DE M. XAVIER DUGOIN
DE SA QUALITÉ DE MEMBRE DU SÉNAT

Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 9 janvier 2001 d'une requête de la garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à la constatation de la déchéance de plein droit de M. Xavier Dugoin ;
Vu les articles LO 130, LO 136 et LO 296 du code électoral ;
Vu le code pénal, notamment ses articles 131-26 et 432-17 ;
Vu l'arrêt de la cour d'appel de Paris, siégeant en matière correctionnelle, en date du 5 novembre 1999 ;
Vu l'arrêt de la Cour de cassation en date du 18 octobre 2000 ;
Vu les pièces desquelles il résulte que communication de la saisine du garde des sceaux, ministre de la justice, a été faite à M. Dugoin, lequel n'a pas produit d'observations ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article LO 136 du code électoral : « Sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l'Assemblée nationale celui... qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera dans l'un des cas d'inéligibilité prévus par le présent code. La déchéance est constatée par le Conseil constitutionnel, à la requête du bureau de l'Assemblée nationale ou du garde des sceaux, ministre de la justice, ou, en outre, en cas de condamnation postérieure à l'élection, du ministère public près la juridiction qui a prononcé la condamnation » ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article LO 296 du code électoral : « Nul ne peut être élu au Sénat s'il n'est âgé de trente-cinq ans révolus. Les autres conditions d'éligibilité et les inéligibilités sont les mêmes que pour l'élection à l'Assemblée nationale... » ;
Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article LO 130 du même code : « ... Sont en outre inéligibles : 1° Les individus privés par décision judiciaire de leur droit d'éligibilité, en application des lois qui autorisent cette privation... » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Dugoin a été condamné par la cour d'appel de Paris le 5 novembre 1999 à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, à une amende de 100 000 F et à la peine complémentaire de privation du droit d'éligibilité pour une durée de deux ans ; que cette décision est devenue définitive à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 18 octobre 2000 rejetant le pourvoi qu'il avait formé contre l'arrêt susmentionné de la cour d'appel de Paris ;
Considérant qu'il appartient, dès lors, au Conseil constitutionnel de constater, en application de l'article LO 136 du code électoral, la déchéance de plein droit de son mandat de sénateur encourue par M. Dugoin du fait de l'inéligibilité résultant de la condamnation prononcée à son encontre,
Déclare :
Est constatée la déchéance de plein droit de M. Xavier Dugoin de sa qualité de membre du Sénat.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 janvier 2001, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Georges Abadie, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Alain Lancelot, Mme Noëlle Lenoir, M. Pierre Mazeaud et Mmes Monique Pelletier et Simone Veil.

Le président,
Yves Guéna

REMPLACEMENT D'UN SÉNATEUR

M. le ministre de l'intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat qu'en application de l'article LO 320 du code électoral M. Laurent Béteille est appelé à remplacer, à compter du mercredi 17 janvier 2001, en qualité de sénateur de l'Essonne, M. Xavier Dugoin, déchu de plein droit de sa qualité de membre du Sénat.

MODIFICATIONS AUX LISTES
DES MEMBRES DES GROUPES
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE
(84 membres au lieu de 85)

Supprimer le nom de M. Xavier Dugoin.

SÉNATEURS NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE
(8 membres au lieu de 7)

Ajouter le nom de M. Laurent Béteille.