SEANCE DU 11 JANVIER 2001


AGENCE FRANÇAISE DE SÉCURITÉ SANITAIRE
ENVIRONNEMENTALE

Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi (n° 140, 2000-2001), adoptée avec modification par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, tendant à la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale. [Rapport n° 169 (2000-2001).]
J'appelle l'attention du Sénat sur le fait qu'en raison de la tenue de la conférence des présidents je serai amené à suspendre la séance au plus tard à douze heures quinze. Si donc nous n'avons pas achevé, à cette heure, l'examen de cette proposition de loi, nous serons amenés à le reprendre après les questions d'actualité au Gouvernement, c'est-à-dire vers seize heures quinze, étant entendu que Mme le ministre et moi-même, qui présiderai la séance cet après-midi, sommes naturellement prêts à faire face à cette échéance.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre, à qui, au nom du Sénat et en mon nom personnel, j'adresse tous mes voeux pour la nouvelle année.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi, tout d'abord, de vous présenter à mon tour mes voeux pour une année 2001 que je souhaite féconde et créative.
Le 25 avril dernier, sur l'initiative des députés verts et d'André Aschieri, l'Assemblée nationale a examiné la proposition de loi portant création de l'Agence de sécurité sanitaire environnementale et l'a adoptée à l'unanimité. Il s'agissait, ce faisant, de compléter l'action en profondeur menée depuis 1997 pour améliorer l'organisation de la sécurité sanitaire dans notre pays, sous l'impulsion, notamment, de votre rapporteur.
Depuis neuf mois, un important travail parlementaire a permis d'améliorer cette proposition de loi que vous avez examinée en première lecture le 4 octobre dernier et que l'Assemblée nationale a de nouveau étudiée le 12 décembre.
Je ne crois pas qu'il soit utile de détailler de nouveau aujourd'hui les raisons qui ont conduit le Gouvernement à se prononcer sans ambiguïté en faveur de cette proposition de loi. L'actualité de ces derniers mois a confirmé l'attente forte de la population en matière de sécurité sanitaire et, plus généralement, en matière de risques diffus liés à l'environnement. Le naufrage du Ievoli Sun, la crise de la vache folle et les problèmes liés au stockage et à l'élimination des farines animales, comme les inquiétudes relatives aux organismes génétiquement modifiés confirment la nécessité d'intervenir le plus en amont possible pour évaluer les risques et ainsi mieux les gérer.
De plus en plus, nos concitoyens non seulement s'émeuvent d'être confrontés à telle ou telle pollution ou nuisance, mais veulent savoir quelles en sont les conséquences possibles pour leur santé. Il importe donc de renforcer notre dispositif de veille environnementale en installant le plus tôt possible l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, l'AFSSE.
C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité, mesdames, messieurs le sénateurs, que le travail parlementaire puisse se poursuivre rapidement.
Le Gouvernement a également souhaité doter l'AFSSE dès cette année de 37 millions de francs et créer une quarantaine d'emplois nouveaux. Ce n'est, bien sûr, qu'un début ; les moyens consacrés à l'agence devront croître rapidement à l'avenir pour lui permettre de recruter des experts de haut niveau, à l'autorité reconnue, capables d'assurer un véritable travail d'évaluation et de synthèse sur les données disponibles et de définir des axes de recherche dans les domaines de compétence de l'agence.
D'ailleurs, la proposition du Gouvernement, approuvée par le Parlement, de mettre en place les crédits permettant de créer l'AFSSE avant même la fin du processus législatif de sa création témoigne de la volonté commune de l'exécutif et des parlementaires de faire les progrès nécessaires dans les années qui viennent.
La création de l'AFSSE répond au besoin de développer et de renforcer les capacités et la cohérence de l'expertise sur l'impact des facteurs environnementaux sur la santé.
Le premier constat qu'il faut dresser, c'est un constat de carence. Nous ne disposons pas, en France, des équipes et des laboratoires nécessaires pour alimenter le travail d'expertise nécessaire.
Le second, c'est celui de la dispersion et du manque de cohérence.
C'est le souci du Gouvernement, suivi par l'Assemblée nationale, de répondre à ce double constat, dans cet ordre, qui a pu créer quelques différences d'approche entre la position constante que j'ai défendue et celle de votre rapporteur.
Ne vous trompez pas de diagnostic : ce que nous devons faire, c'est créer des moyens qui n'existent pas aujourd'hui, mettre en place un cadre qui accueille et développe de nouvelles équipes et s'appuie, en les fédérant, sur les efforts de prise en compte des impacts environnementaux sur la santé dans de multiples organismes de recherche et d'expertise !
Votre travail, monsieur le rapporteur, a bien montré que deux options étaient envisageables : développer l'agence à partir d'un « noyau dur » existant pour lui donner tout de suite une certaine masse critique ou créer d'abord un organisme jouant le rôle de tête de réseau et doté de moyens humains et budgétaires significatifs ainsi que du statut lui permettant d'assurer la cohérence du travail d'évaluation des risques dans ce domaine.
Vous avez fait en première lecture, mesdames, messieurs les sénateurs, le choix de la première option. Je connais l'argument développé par votre rapporteur concernant le poids relatif de l'AFSSE, en termes de budget et de personnels, par rapport aux agences déjà créées ou à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, que prévoit le texte voté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale. Mais je suis convaincue qu'il ne s'agit pas tant de compter les emplois que de voir, au cas par cas, si l'éventuelle fusion d'organismes fait sens. Il me semble - je l'ai dit à maintes reprises - compte tenu de l'ampleur et de la nouveauté des questions qu'aura à traiter la future agence, qu'il n'existe pas actuellement d'organisme pouvant véritablement en constituer le futur noyau dur.
C'est pourquoi le Gouvernement reste favorable à la seconde option. Je suis en effet convaincue que le renforcement de nos capacités d'expertise sera à court terme plus efficacement assuré par une meilleure coordination entre les organismes existants, par leur renforcement et par la création d'une tête de réseau que par la création de la nouvelle agence à partir de l'INERIS, et ce au moins pour trois raisons.
Premièrement, le réseau à constituer est vaste. Il ne se limite pas seulement, loin s'en faut, à l'INERIS.
Deuxièmement, l'activité principale de l'INERIS n'est pas la sécurité sanitaire environnementale. Créer l'agence à partir de cet organisme risquerait de la déséquilibrer, en retardant son investissement sur les sujets devant constituer son coeur d'activité.
Troisièmement, le constat qui a été fait est un constat de carence. Les équipes de recherche, les compétences, les moyens financiers consacrés à l'évaluation des impacts environnementaux sur la santé sont très insuffisants. Les missions qui sont fixées à l'agence ne sont, pour l'essentiel, remplies par personne. Dans ces conditions, soit l'organisme intégré à l'AFSSE se reconvertit à ces activités nouvelles en délaissant ce pourquoi il a été créé, dont la nécessité demeure, soit il continue comme avant, et la création de l'AFSSE n'aura rien réglé.
C'est pourquoi je reste défavorable à l'intégration de l'INERIS dans l'AFSSE.
Je note d'ailleurs, monsieur le rapporteur, que vous reconnaissez, dans votre rapport écrit, que l'essentiel des missions de l'INERIS est en dehors du champ de compétence de l'agence tel qu'il était défini dans le texte que vous avez examiné en première lecture. L'expertise de l'INERIS m'est en effet indispensable lorsqu'il s'agit, par exemple, d'évaluer les risques liés à l'explosion d'un véhicule GPL dans un parking. Elle est également indispensable à Christian Pierret pour préparer en toute sécurité « l'après mines », dans le Nord ou en Lorraine. Mettre en péril la sécurité des personnes peut, bien sûr, avoir des conséquences sur leur santé, mais personne ne peut sérieusement affirmer que ce sont les mêmes experts qui peuvent se prononcer sur les risques d'explosion d'une usine d'explosifs et sur les risques sanitaires chroniques liés à la dispersion de produits chimiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de votre rapporteur d'intégrer en totalité l'INERIS dans la future agence en adaptant le champ de compétence de cette dernière témoigne des difficultés auxquelles il a été lui-même confronté pour mener cette idée à son terme et continue à poser plus de problèmes qu'elle n'en résout. Elle peut certes donner bonne conscience en faisant croire que l'on affecte des moyens importants au problème auquel nous avons à répondre, celui du renforcement de nos capacités d'expertise en matière de sécurité sanitaire environnementale. Mais elle risque surtout de masquer l'insuffisance des moyens affectés à ce sujet et de déstabiliser un organisme que j'ai cherché, depuis bientôt quatre ans, à sortir de l'ornière dans laquelle l'avait mis le précédent gouvernement en lui demandant de vivre uniquement de contrats privés.
Je ne crois pas, en outre, qu'il soit souhaitable ou possible de transformer rapidement le statut de l'INERIS d'établissement public industriel et commercial en établissement public administratif, comme vous le proposez, monsieur le rapporteur. Sans même évoquer les problèmes techniques et budgétaires que cela poserait, une difficulté majeure que vous reconnaissez vous-même est liée au statut des personnels. Je ne suis pas sûre que la formule que vous envisagez d'inscrire permette effectivement de consolider les contrats de travail des personnels en place, alors que les nouvelles embauches obéiraient aux règles imposées aux établissements administratifs. On ne trouve de fait aucun précédent similaire où un EPIC aurait été transformé en établissement administratif.
C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, le Gouvernement n'est pas favorable aux amendements adoptés par la commission sur ce sujet.
S'agissant enfin de la question de la radioprotection et de la sûreté nucléaire, vous aviez, mesdames, messieurs les sénateurs, proposé d'intégrer également l'OPRI - l'Office de protection contre les rayonnments ionisants - à l'AFSSE en première lecture. Comme je vous l'avais indiqué le 4 octobre dernier, cette proposition ne pouvait recueillir l'assentiment du Gouvernement qui avait décidé de fusionner l'OPRI et l'IPSN, l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, dans le cadre d'un établissement public autonome chargé de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Cette solution, suggérée dans le rapport que M. Jean-Yves Le Déaut a remis au Premier ministre le 7 juillet 1998, a été retenue après un long travail de concertation au terme duquel il est apparu qu'une séparation institutionnelle entre sûreté nucléaire et radioprotection en matière d'expertise et d'évaluation n'avait pas de justification.
Vous aviez justifié dans votre rapport à l'automne dernier, monsieur le rapporteur, votre souhait d'intégrer l'OPRI dans la future agence par le fait que l'inscription de cette proposition de loi ouvrait la possibilité, selon vous « très opportune », d'assurer au plan législatif la garantie d'une évaluation plus transparente en matière nucléaire.
Le texte voté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale permet de saisir cette opportunité en créant rapidement l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire à partie de l'IPSN et de l'OPRI. Ce regroupement des compétences d'expertise et de recherche en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection constituera un progrès important dans sa crédibilité et sa capacité d'action.
Je ne vous cache pas mon étonnement de voir que ce que vous considériez et présentiez comme une opportunité en octobre vous apparaît maintenant comme un dévoiement de procédure !
Le Gouvernement a saisi l'opportunité que vous lui offriez. Même si les points que vous considérez comme « imprécis » dans l'article 4 A sont tous de nature réglementaire, le Gouvernement n'a jamais caché ses intentions en la matière. Ne jouez pas à vous faire peur ! La cotutelle de l'industrie est acquise. Il a ainsi été décidé que la tutelle du futur IRSN sera assurée par les ministères chargés de la recherche et de l'industrie et, bien sûr, par ceux de la santé de l'environnement. Ces tutelles seront précisées dans le décret pris en application de l'article 4 A.
S'agissant de ce que vous appelez le « découpage » de l'OPRI et de l'IPSN, le Gouvernement a décidé de maintenir en dehors du futur IRSN les activités de contrôle réglementaire qui sont actuellement exercées par l'IPSN et l'OPRI. Il agit là en cohérence avec le principe de ne pas confier au même organisme les fonctions d'exploitation, d'évaluation et de contrôle. Le Gouvernement a également décidé que l'ensemble des activités que mène actuellement l'IPSN dans les domaines relatifs à la défense et au contrôle du désarmement chimique resteront de la compétence du CEA et ne seront donc pas intégrées au futur IRSN. Le décret pris en application de l'article 4 A permettra également de traduire ces décisions du Gouvernement.
Voilà les raisons pour lesquelles je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter ce texte tel qu'il a été voté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale, sans retenir les amendements proposés par votre rapporteur et adoptés par la commission.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture la proposition de loi créant une Agence française de sécurité sanitaire environnementale.
Il n'est pas inutile de rappeler les principaux points modifiés par notre assemblée lors de l'examen de ce texte en première lecture, le 4 octobre dernier.
Tout d'abord, le Sénat a adopté une définition plus précise des missions de la nouvelle agence.
Au cours du débat, nous avions retenu la définition proposée par notre collègue François Autain et les membres du groupe socialiste, selon laquelle l'agence a pour mission de contribuer à assurer la sécurité sanitaire dans le domaine de l'environnement et d'évaluer les risques sanitaires liés à l'environnement naturel, professionnel et domestique, qui résultent notamment de la pollution de l'air, des eaux et des sols par des agents de nature physique, chimique ou biologique.
Notre objectif a été de donner plus de poids à la nouvelle agence en la dotant d'un « noyau dur » constitué à partir de deux établissements publics existants : l'Office de protection contre les rayonnements ionisants, l'OPRI, et l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'INERIS, et le Sénat a adopté un amendement proposé par la commission qui tendait à prévoir que, parmi les ressources de la nouvelle agence, serait opéré un prélèvement égal à 2 % du produit de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP.
Enfin, ont été adoptés divers amendements de coordination de référence législative proposés par la commission afin de tenir compte de la publication par ordonnance d'un nouveau code de la santé publique.
Le 12 décembre dernier, l'Assemblée nationale est très largement revenue à son dispositif de première lecture concernant l'AFSSE et a inséré un « cavalier législatif » visant à créer un Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN. Des propositions du Sénat, elle n'a conservé que les dispositions rédactionnelles ou de coordination.
S'agissant de la définition des missions de l'agence, bien que le Gouvernement eût donné un avis favorable sur l'amendement de notre collègue François Autain, l'Assemblée a adopté un amendement de M. Alain Calmat visant à rétablir la définition vraiment très « minimaliste » retenue en première lecture. Je me demande d'ailleurs si l'on peut parler en l'état de définition !
L'Assemblée nationale n'a pas suivi le Sénat qui souhaitait intégrer à la fois l'INERIS et l'OPRI et est revenue au principe d'une « agence d'objectifs ».
Par ailleurs, elle a modifié les conditions dans lesquelles la nouvelle agence devrait collaborer avec les organismes existants. Dans un délai d'un an à compter de la publication de la loi, les établissements publics de l'Etat définis par décret devront négocier avec l'agence la mise à disposition de certaines de leurs compétences et de leurs moyens d'action dans le cadre de « conventions de concours permanent ».
Concernant le prélèvement sur la taxe générale sur les activités polluantes, l'Assemblée nationale n'a pas retenu la suggestion du Sénat de préaffecter 2 % du produit de cette taxe à la nouvelle agence.
Le Gouvernement a confirmé qu'il entendait financer la nouvelle agence par des crédits budgétaires. Il ressort de la loi de finances pour 2001 que la nouvelle agence disposerait d'une dotation de 31 millions de francs en dépenses ordinaires et en crédits de paiement.
Il reste que l'argumentation n'a pas dû être totalement convaincante puisque, en première délibération, l'Assemblée nationale a refusé la suppression de l'article 2 bis relatif à la TGAP et ce n'est qu'en seconde délibération que le Gouvernement a obtenu le vote d'un amendement supprimant cet article.
Enfin, l'Assemblée nationale a adopté une disposition totalement nouvelle par rapport à l'objet initial du texte. Il s'agit de la fusion de l'OPRI et de l'IPSN sous la forme d'un nouvel établissement public, qui serait dénommé « Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire ».
Cette fusion, proposée initialement par un amendement de M. André Aschieri, adopté par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, a fait l'objet de trois sous-amendements du Gouvernement afin, notamment, de préserver les droits des personnels de l'OPRI au moment du passage du statut d'établissement public admistratif à celui d'établissement public industriel et commercial.
La fusion de l'OPRI et de l'IPSN faisait partie des propositions de réforme effectuées en juillet 1998 par M. Jean-Yves Le Déaut dans le cadre de sa mission de réflexion et de propositions sur le système de contrôle et d'expertise dans les domaines relatifs à la sûreté nucléaire et à la radioprotection.
La création de l'IRSN permet, en séparant administrativement l'IPSN du Commissariat à l'énergie atomique, le CEA, d'assurer une séparation de fait entre exploitant et expert et de rapprocher radioprotection et sûreté nucléaire, à l'instar de ce qui existe déjà dans de nombreux pays.
L'introduction de l'IRSN dans la proposition de loi amène à reconsidérer la position que nous avions adoptée en première lecture.
Contrairement aux propos que vous m'avez prêtés, madame la ministre, je ne crois pas avoir prononcé ou avoir écrit le mot : « dévoiement ». J'avais considéré que le texte de la proposition de loi constituait une opportunité qui pouvait être utile au Gouvernement puisque cela faisait près de deux ans qu'il hésitait, que ce soit de son fait ou de celui du Conseil d'Etat. J'avais également considéré que la proposition de loi permettait enfin d'apporter une réponse attendue par de nombreux personnels de l'OPRI.
Les dispositions, telles qu'elles ont été adoptées par l'Assemblée nationale, ne constituent pas, à mes yeux, un dévoiement. Ce que je déplore, et j'y reviendrai peut-être dans un instant, ce sont les conditions dans lesquelles le Gouvernement les a introduites en deuxième lecture. Si elles apparaissent comme tout à fait logiques et si elles ont leur place dans un tel texte, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas attendu la deuxième lecture pour saisir cette opportunité ?
Dès lors que le Gouvernement tire enfin explicitement les conséquences du choix proposé par M. Le Déaut de rapprocher radioprotection et sûreté nucléaire au sein d'un même organisme, on ne peut que constater que cette solution a sa propre cohérence et qu'elle permet d'assurer une plus grande indépendance par rapport à l'organisme exploitant, c'est-à-dire le Commissariat à l'énergie atomique.
Même si l'OPRI n'a plus vocation à faire partie de l'agence, nous devons nous prononcer à nouveau en faveur d'une agence qui ne soit pas une « coquille vide », en faveur d'une agence forte, et ce pour quatre saisons.
Tout d'abord, le champ des interactions entre santé et environnement est sans commune mesure avec celui des produits de santé et des produits alimentaires destinés à l'homme.
Ensuite, l'opinion publique attend une information objective en matière de sécurité sanitaire environnementale, comme en témoignent les débats suscités par le naufrage de l' Erika ou du Ievoli Sun auxquels vous avez fait allusion, madame la ministre.
Par ailleurs, certains de nos voisins européens ayant déjà créé des organismes intégrés, puissants et dotés de moyens significatifs, pourquoi l'agence française serait-elle moins ambitieuse que l'Institut national de la santé et de l'environnement hollandais, le RIVM, ou que l'Office fédéral de l'environnement allemand, l'UBA ?
Enfin, il est nécessaire de conserver une cohérence d'ensemble au dispositif de sécurité sanitaire proposé dès 1996 par M. Charles Descours et moi-même, avec l'accord de M. Alain Juppé, alors Premier ministre, qui vise à éviter le retour à certains errements du passé. Dans ce dispositif, la seule « tête de réseau » est l'Institut de veille sanitaire, l'IVS, du fait même de sa vocation, tandis que les deux agences de sécurité sanitaire existantes sont des « agences de moyens » dotées de moyens d'analyses de contrôle et d'avaluation significatifs.
Il n'y a pas de comparaison possible entre le projet d'une AFSSE dotée chichement de 31 millions de francs de crédits et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFSSAPS, créée à partir de l'Agence du médicament et dont le budget atteint 506 millions de francs, ou l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, créée à partir du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, le CNEVA, et dont le budget est de 400 millions de francs.
Que pèserait la nouvelle agence face au futur IRSN doté d'un budget de 1,5 milliard de francs et dont l'effectif atteindra 1 270 personnes ?
Voilà pourquoi la commission des affaires sociales propose de créer la nouvelle agence à partir d'un « noyau dur », c'est-à-dire à partir de l'établissement public qui rassemble aujourd'hui les moyens les plus importants concernant les risques liés à l'environnement.
Je proposerai cependant une rédaction modifiée du dispositif afin de garantir que l'INERIS puisse être intégralement transféré dans le cadre de la nouvelle agence. Certains personnels de l'INERIS se sont, en effet, inquiétés à l'idée que le dispositif proposé par le Sénat puisse conduire à un « démantèlement » de l'établissement public.
Il est exact que les attributions de l'INERIS sont de réaliser des études et des recherches permettant de prévenir les riques que les activités économiques font peser, non seulement sur la santé, mais aussi sur la « sécurité des personnes et des biens » ainsi que sur « l'environnement ».
Selon les responsables de l'INERIS, près de 90 % des activités actuelles se situeraient en dehors du champ de la nouvelle agence. Ce n'est pas moi qui le dis, madame la ministre, ce sont les responsables de cet institut. Ces activités ont, pour la plupart, des liens incontestables avec des risques sanitaires et les réserves que vous avez évoquées me paraissent très artificielles.
Dès lors que la sécurité des personnes est menacée, leur santé l'est aussi : lors de l'explosion d'une usine de produits pyrotechniques, à Enschede, le 13 mai 2000, aucun responsable du RIVM hollandais n'aurait pu imaginer qu'un tel accident n'était pas du ressort de l'institut. Le risque physique au sens où nous l'entendons englobe bien les risques accidentels de toute sorte, pouvant conduire à de graves blessures ou à la mort des victimes.
Il est néanmoins artificiel d'opposer la toxicologie qui relèverait de l'AFSSE et l'écotoxicologie qui n'en relèverait pas : même si l'on étudie les effets d'une substance sur la faune et la flore plutôt que sur l'être humain, c'est bien la santé humaine qui est en jeu, directement ou indirectement.
L'évolution législative récente confirme la convergence des notions de santé et d'environnement. La loi du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie met constamment en résonance les deux concepts. Pour l'objectif de mise en oeuvre du droit à « respirer un air qui ne nuise pas à la santé », l'Etat doit assurer, avec le concours des collectivités locales, la surveillance de la qualité de l'air et de « ses effets sur la santé et l'environnement ».
Environnement et santé étant en constante interaction, ce serait aller à contre-courant que de scinder le risque sanitaire qui relèverait de l'AFSSE et les atteintes à l'environnement qui dépendraient de l'INERIS.
Il y a lieu, en outre, de se demander s'il est acceptable, même dans le cadre d'un établissement public, industriel et commercial que l'INERIS développe ses activités d'expertise au profit du Gouvernement en matière d'évaluation des risques et offre des prestations de conseil aux entreprises.
Dans un rapport particulier, la Cour des comptes émet, sur un plan strictement financier, des réserves sur les activités commerciales de l'INERIS, en observant que l'organisme avait donné en tout état de cause une priorité à ses tâches publiques et que la tarification aux entreprises privées « générait une opacité nuisible à la bonne marche de l'institut ».
En conséquence, ces prestations de service pourraient être réorganisées autour du conseil aux entreprises ou de la mise en place de normalisation en matière d'expertise. Le cas échéant, la création d'une société anonyme permettrait d'exercer les activités de nature purement commerciale. Les salariés concernés devraient alors bénéficier d'un « droit d'option » leur permettant de rejoindre ou non cette structure. M. Philippe Marini, rapporteur général, m'a d'ailleurs indiqué qu'il partageait cette façon de voir.
Par rapport à la première lecture, plusieurs précisions devraient être apportées :
L'intitulé de l'agence indiquera clairement qu'elle traitera à la fois de la sécurité sanitaire de l'environnement et de la prévention des risques industriels et chimiques.
Le transfert de l'INERIS sera intégral et des garanties nouvelles seront apportées en matière de préservation des rémunérations, des retraites et des garanties statutaires du personnel.
La définition des missions de l'agence fera apparaître que celle-ci doit évaluer les risques sanitaires environnementaux pouvant « directement ou indirectement » porter atteinte à la santé humaine.
Quant à la création de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, son introduction dans la présente proposition de loi appelle des objections en ce qui concerne tant la méthode retenue par le Gouvernement que l'imprécision des modalités de la fusion proposée par l'article 4 A.
Lors de l'examen des crédits relatifs à l'industrie, le 8 décembre dernier, M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, a mentionné le prochain dépôt d'un projet de loi relatif à l'information en matière nucléaire, à la sûreté et à la protection contre les rayonnements ionisants.
Dès lors qu'une disposition législative est nécessaire pour mettre en oeuvre la fusion de l'OPRI et de l'IRSN, elle aurait dû être logiquement intégrée dans ce projet de loi. Cette disposition est effectivement requise pour que les agents contractuels employés par l'OPRI puissent bénéficier du maintien de leur contrat de droit public.
Le Gouvernement a voulu anticiper en définissant les modalités de la fusion entre l'OPRI et l'IPSN. Il commence par le détail sans avoir défini l'ensemble !
Je rappelle par ailleurs que l'article 26 du collectif budgétaire pour 2000 visait, à travers une disposition incidente, à faire ratifier par le Parlement les transferts rendus nécessaires par la création de l'IRSN qui n'a pas encore eu lieu.
Le Sénat, sur proposition de la commission des finances, avait rejeté cette disposition le 18 décembre dernier en soulignant le caractère imprécis et flou du dispositif proposé. Il en est de même pour l'article 4 A.
Cette méthode, le Gouvernement n'hésite pas à l'utiliser de plus en plus couramment. Il n'a pas hésité, à l'occasion de plusieurs textes en instance dans le domaine social, à « découper » des projets de loi afin d'accélérer l'adoption de certaines dispositions, en anticipant sur l'ensemble du texte !
La méthode choisie par le Gouvernement présente, en outre, un grave inconvénient : les commissions du Parlement, qui sont compétentes pour examiner des textes relatifs à l'industrie, en particulier à l'industrie nucléaire, sont de fait écartées de la procédure parlementaire, dès lors que les amendements sont déposés en deuxième lecture.
L'article 4 A est un cavalier législatif par rapport au dispositif de l'Agence de sécurité sanitaire environnementale, comme l'a d'ailleurs déploré Mme Odette Grzegrzulka à l'Assemblée nationale.
Il faut souligner avec force que l'agence que l'on nous propose de créer disposerait d'un budget d'à peine 31 millions de francs aux termes des engagements actuels du Gouvernement, tandis que l'IRSN devrait être doté d'un budget d'au moins 1,5 milliard de francs pour un effectif d'un millier de personnes.
Le caractère inattendu de l'amendement relatif à l'IRSN a suscité des débats souvent très vifs à l'Assemblée nationale, y compris au sein de la majorité plurielle. Le Gouvernement, qui avait émis des avis défavorables sur des amendements tendant à préciser les conditions dans lesquelles était opérée la fusion entre l'OPRI et l'IPSN, n'a pas été suivi à de nombreuses reprises.
En définitive, le Gouvernement a dû se résoudre, en seconde délibération, à demander la suppression d'une disposition qui précisait les tutelles s'exerçant sur le nouvel établissement public et à déposer un amendement relatif aux activités de recherche en sûreté nucléaire, qui relèvent actuellement de la compétence de l'IPSN.
Le texte qui nous est proposé ne mentionne pas la nature des tutelles qui s'exerceraient sur le nouvel établissement, leur définition étant renvoyée au décret d'application. Je vous donne acte à cet égard, madame la ministre, de la déclaration que vous venez de faire à l'instant : elle clarifie enfin une question qui était restée en suspens à l'issue du débat à l'Assemblée nationale, à la grande inquiétude de l'ensemble des députés.
On peut regretter que le Gouvernement, au moment où il demande au Parlement de ratifier une opération complexe de réorganisation de deux établissements, n'ait pas eu, jusqu'à ce matin, de vue claire sur les ministères compétents en la matière. J'espère que nous pourrons en savoir plus sur les résultats des récentes réunions interministérielles.
Un autre problème délicat est posé par le fait que l'IPSN exerce actuellement des attributions ayant trait à la recherche en sûreté et portant sur les réacteurs nucléaires. En vertu du principe de séparation entre exploitant et expert, on est conduit à se demander si ces réacteurs d'études doivent ou non être maintenus au sein du CEA.
On relèvera enfin les incertitudes qui pèsent sur le découpage des différents organismes. Le dispositif adopté indique en effet que l'IRSN exercera seulement « certaines des missions » aujourd'hui assurées par les deux organismes réunis. Il semble que l'OPRI devrait être scindé, les activités de radioprotection rejoignant l'IPSN et les activités de contrôle intégrant la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, la DGSNR, dont la création est, nous dit-on, envisagée. On ne peut que s'interroger sur les critères qui seront appliqués pour procéder à une telle réorganisation et sur la structure qui aura en charge la sécurité sanitaire en matière de rayonnement et d'ondes électro-magnétiques.
Comme on le voit, le dispositif de l'article 4 A comporte de nombreuses et graves incertitudes que nos débats devront lever. Telles sont les observations générales que je devrais vous exposer, mes chers collègues, avant que nous passions à l'examen des articles de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Madame la ministre, je voudrais d'abord vous présenter, en mon nom personnel et au nom du groupe socialiste, mes meilleurs voeux pour cette première année du siècle.
J'espère que ce sera l'année de la création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale et, surtout, une année utile au cours de laquelle nous continuerons de légiférer sans désemparer, même si c'est par petits bouts, comme le déplorait tout à l'heure M. le rapporteur.
Il vaut mieux légiférer un peu...
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. ... et à bon escient !
M. François Autain. ... que ne pas légiférer du tout !
M. Claude Huriet, rapporteur. Tout à fait !
M. François Autain. Nous examinons aujourd'hui un texte que l'Assemblée nationale a sensiblement amélioré en seconde lecture, et je m'en réjouis.
A la lecture du Journal officiel , j'ai eu l'impression que cette seconde lecture a été moins consensuelle que la première. Elle a au moins eu le mérite d'avoir suscité un débat tonique et intéressant sur notre système de radioprotection et de sécurité nucléaire.
Ce débat nous l'avions amorcé ici même, sur l'initiative de M. le rapporteur, en première lecture. Vous l'avez d'ailleurs vous-même reconnu lors de la discussion à l'Assemblée nationale, madame la ministre. Vous avez en effet confessé que c'est grâce au Sénat, qui a avancé l'idée d'intégrer l'OPRI à l'AFSSE, que vous avez décidé de reprendre votre réflexion et de créer un Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire.
C'est en effet ce à quoi tend le nouvel article 4 A. A titre personnel et au nom du groupe socialiste, je ne peux que me féliciter de cette heureuse initiative.
Ce dispositif est loin de constituer un cavalier législatif, comme certains l'ont dit ici...
M. Claude Huriet, rapporteur. Et ailleurs !
M. François Autain. Vous persistez d'ailleurs, monsieur le rapporteur, puisque vous proposez la suppression de cet article.
L'article 4A, loin d'être un cavalier, disais-je, vient opportunément réparer une anomalie grave que je n'étais pas le seul à avoir relevée.
En effet, comment pouvions-nous atteindre l'objectif de transparence qui est le nôtre et être crédibles devant l'opinion - très sensible, vous le savez, à tous ces problèmes d'environnement - en proposant la création d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale sans qu'à aucun moment ne soit seulement évoqué le risque nucléaire dans le texte initial, comme s'il s'agissait d'un sujet tabou ou trop sérieux pour que le législateur s'en mêle ?
Ne boudons donc pas notre plaisir - je parle bien entendu au nom du groupe socialiste parce que ce plaisir n'est peut-être pas partagé par l'ensemble de mes collègues ici présents -, même si ce sujet très important, qui avait fait l'objet d'un rapport remarquable de notre collègue Jean-Yves Le Déaut, a été abordé - comment ne pas le regretter ? - de façon subsidiaire en quelque sorte, et même si toutes les questions ne sont pas encore définitivement réglées. Elles ne l'étaient pas avant que vous interveniez, madame la ministre, mais vous avez, dans votre intervention liminaire, levé beaucoup d'incertitudes ; les éclaircissements que j'attendais, et que vous m'avez apportés, m'ont pleinement rassuré, ce dont je vous remercie.
Je n'insisterai pas sur la nécessité de mettre en place cette agence ; nous en avons beaucoup parlé en première lecture et chaque jour qui passe montre qu'il est urgent de le faire.
J'insisterai en revanche sur le champ d'intervention de cette agence qui, parce qu'il est vaste et hétérogène, a besoin d'être plus clairement défini. Je ne comprends pas que, sur ce point, l'Assemblée nationale soit revenue en arrière. C'est pourquoi, bien entendu, je soutiendrai l'amendement qui consiste à rétablir la définition à laquelle M. le rapporteur a eu la gentillesse de rappeler que je n'étais pas étranger.
Il nous est proposé, comme nous l'avons vu, d'exclure la sécurité nucléaire du périmètre de cette agence. J'approuve, sans réserve - dois-je le répéter ? - cette proposition, à condition toutefois que des passerelles existent entre agence et le futur IRSN.
On voudrait exclure du domaine d'intervention de l'agence les risques industriels et chimiques - c'est un argument souvent employé par la direction et les personnels de l'INERIS, et vous-même, monsieur le rapporteur, semblez avoir été influencé par cette thèse -, au motif notamment que ces risques ne seraient pas toujours liés au risque sanitaire. J'avoue être plus que réservé sur cette thèse. Je ne connais pas, en effet, d'accidents ou de dysfonctionnements industriels - tous liés à des activités humaines - qui n'aient pas directement ou indirectement une incidence sur la santé des hommes et des femmes.
Ainsi, madame la ministre, vous avez pris l'exemple d'un véhicule GPL explosant dans un parking. Il est évident que les répercussions ne sont pas les mêmes en cas de risque humain, c'est-à-dire si des personnes sont à proximité du véhicule !
A cet égard, nous devons être très clairs et affirmer qu'en aucun cas on ne peut dissocier le risque sanitaire du risque industriel, risques qui, me semble-t-il, sont intimement liés.
M. Claude Huriet, rapporteur. Tout à fait !
M. François Autain. Par conséquent, l'argument utilisé pour s'opposer à l'intégration de l'INERIS à l'agence tombe.
Ce terme d'« intégration » n'est peut-être pas celui qui convient, car on peut difficilement intégrer un organisme comptant plus de 400 salariés et ayant un budget de 260 millions de francs à une agence encore virtuelle ! Ne vaudrait-il pas mieux dire - c'est plus valorisant dans l'hypothèse dans laquelle je me place, mais qui n'est pas nécessairement celle qui aura ma préférence - que l'on érige l'INERIS en agence de sécurité sanitaire environnementale ?
Quant à l'objection relative au statut, avancée notamment par le directeur de l'INERIS, elle ne me semble pas insurmontable. En effet, dès lors que l'on peut intégrer l'OPRI, établissement public, dans un établissement public industriel et commercial, comme vous le proposez, madame la ministre, il doit être possible de réaliser l'inverse sans nuire au fonctionnement et aux intérêts des salariés de l'INERIS. M. le rapporteur a déposé un amendement dans ce sens.
On pourrait penser que je vais voter pour cet amendement. (M. le rapporteur fait un signe d'assentiment.) Malheureusement, ce ne sera pas le cas, car une objection beaucoup plus pertinente a finalement emporté ma conviction, objection qui touche à l'étendue du champ d'intervention de la future agence.
Madame la ministre, votre objectif, que je partage, est de doter immédiatement cette agence d'une capacité d'inspection significative. Vous avez en effet l'intention - vous l'avez indiqué à l'Assemblée nationale et peut-être nous le répéterez-vous tout à l'heure - de recruter vingt-cinq experts de haut niveau qui sont actuellement salariés de l'INERIS.
M. Claude Huriet, rapporteur. C'est nouveau !
M. François Autain. Il ne s'agit pas d'un démantèlement de l'agence, mais il me semble que, sans le vouloir, vous adoptez la logique de notre rapporteur, sans toutefois aller jusqu'au bout, ce qui ne m'étonne pas puisque vous êtes beaucoup plus modérée que lui. Sur ce plan, moi qui suis aussi plus modéré que lui, j'aurais tendance à vous suivre.
Cette parenthèse faite sur la démarche de notre rapporteur, j'en reviens à l'objection qui a finalement emporté ma conviction.
Le champ d'intervention de l'agence est considérablement étendu et plus varié, et le nombre d'organismes qui interviennent dans ce domaine est très élevé. Je ne citerai pour mémoire que les principaux, que j'ai d'ailleurs, pour un certain nombre d'entre eux, eu l'occasion d'auditionner : l'INERIS, l'INRS, le CSTB, l'IFREMER - comme je m'adresse à des spécialistes, je me contente des sigles - le BRGM, le CNRS, l'INSERM et l'OPRI, dont on sait d'ailleurs qu'il est appelé à disparaître.
En vous citant ces organismes, je suis conscient de ne viser qu'une partie du domaine qui est celui de la future agence. Ils couvrent les risques chimiques et industriels, ceux qui sont liés à l'environnement du travail, à l'habitat, aux milieux marins, aux sols et à la recherche médicale.
Cette complexité contraste singulièrement avec la relative simplicité à laquelle nous étions confrontés avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. En effet, le CNEVA et une partie de la DGCCRF suffisaient à couvrir le champ de compétences de l'AFSSA, d'où l'idée féconde, dont tous se félicitent aujourd'hui et à laquelle je m'étais associé, de notre rapporteur, qui était déjà à l'époque mon collègue Claude Huriet, de transformer en quelque sorte le CNEVA en une agence.
Aujourd'hui, si tout le monde se félicite de cette initiative, on voit bien qu'il n'est pas possible, pour l'agence française de sécurité sanitaire environnementale, en tout cas pas immédiatement, d'obtenir le même résultat avec une opération analogue, à savoir l'intégration du seul INERIS à l'AFSSE. Il faudrait, pour être cohérent, intégrer aussi, à tout le moins, une partie de l'INRS - ce n'est présentement pas possible pour des raisons que tout le monde connaît - et une partie du CSTB, de l'IFREMER, mais encore l'IFEN, que j'avais oublié et qui joue un rôle important dans ce domaine.
Arrêtons-nous là ! Nous voyons bien que nous ne sommes pas dans le même cas de figure que pour l'AFSSA. Je comprends néanmoins la logique de notre rapporteur, Claude Huriet, qui abandonne l'OPRI à son sort - je n'a pas dit à son triste sort ! - mais conserve l'INERIS, et va jusqu'à modifier le nom de l'agence - sans doute pour répondre à une objection qui, on l'a vu, n'en est pas une - en proposant une appellation qui est une tautologie, car une « agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et de prévention des risques industriels et chimiques » a forcément pour mission, entre autres, de prévenir les risques industriels et chimiques, qui constituent toujours une menace pour la santé de l'homme.
Je comprends le souci de notre rapporteur d'aller vite. La peur du vide - il l'a dit - le conduit à donner, au moins sur le papier, un contenu à cette agence. Mais sommes-nous assurés, compte tenu des réserves que je viens de formuler, que cette méthode sera plus efficace que celle que vous proposez, madame la ministre ? La vôtre consiste à reconnaître dans l'INERIS un élément important qui doit jouer, dans son domaine, le rôle qui lui revient, quitte à amputer cet organisme d'un certain nombre de ses experts au profit de la nouvelle agence, comme vous l'avez indiqué en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, et à créer, dans le même temps, des liens solides entre toutes ces structures qui, pour le moment, travaillent chacune dans leur coin. Il est vrai que certaines ont naturellement ressenti ce besoin de coordination et ont commencé à le traduire dans les faits.
Cette coordination, grâce à l'agence, s'institutionnalisera et devra déboucher, comme le prévoit le texte dans son article 3 - qui a été voté conforme et sur lequel nous ne reviendrons donc pas - sur des restructurations, voire des fusions, à tout le moins une rationalisation de l'ensemble de ces structures nécessaire au bon fonctionnement de l'agence.
Nous sommes tous d'accord sur le fond ainsi, me semble-t-il, que sur les objectifs à atteindre. Nos seules divergences portent sur les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir.
Le débat est bien lancé. Nous avons beaucoup progressé par rapport à la première lecture et je ne doute pas que nous puissions encore avancer - j'en veux pour preuve les éléments nouveaux que vous nous avez apportés dans votre intervention, madame la ministre, afin que la commission mixte paritaire parvienne à un accord. Soyez assurée que le groupe socialiste vous soutiendra dans la démarche que vous menez pour faire aboutir ce projet, car cette démarche est aussi la nôtre. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mise en place d'une Agence française de sécurité sanitaire environnementale a été suivie, lors de l'examen de ce texte en première lecture par notre Haute Assemblée, avec une attention soutenue par notre groupe.
En effet, la multiplication, ces dernières années, des accidents environnementaux et une meilleure connaissance de l'interaction entre santé humaine et environnement imposent que notre pays se dote d'un instrument adapté en matière de sécurité environnementale.
Nous disposons d'ores et déjà d'un grand nombre d'organismes publics, de laboratoires de recherche, dont les missions sont précisément d'oeuvrer dans le champ de la sécurité sanitaire environnementale.
Pour autant, et tel semblait être le souci des initiateurs de la proposition de loi que nous examinons, la mise en place d'une tête de réseau, en charge de fédérer le travail des différents laboratoires, pour ce qui relève exclusivement de leurs investigations en matière de sécurité sanitaire environnementale apparaît aujourd'hui indispensable.
En son état initial donc, la proposition de loi visait, d'une part, la création de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale et, d'autre part, la mise en place, voire le rattachement de certains laboratoires existants à l'Agence, à l'issue d'une période transitoire.
La majorité sénatoriale a amendé ce texte en première lecture et a prévu le transfert à la future agence des moyens de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques et de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants.
Un tel transfert, pour aussi légitime qu'il puisse paraître, nous semblait précipité et, de loin préférions-nous la création d'une agence d'objectif, comme vous nous le suggériez alors, madame la ministre.
Aujourd'hui, après son examen par l'Assemblée nationale, le texte se trouve, de fait, bien bouleversé.
En effet, l'INERIS et l'OPRI ne figurent plus au rang des organismes susceptibles d'entrer dans la future composition de l'Agence de sécurité sanitaire, mais un nouvel instrument est créé par la fusion de l'OPRI et de l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, conformément, d'ailleurs, aux réflexions issues des travaux de notre collègue Jean-Yves Le Déaut.
Nous sommes, pour notre part, attachés, en matière de nucléaire notamment, à la plus grande transparence et nous partageons l'idée qu'il est nécessaire de distinguer, pas seulement pour le nucléaire, les fonctions de contrôle, d'expertise et d'exploitation.
Néanmoins, la méthode choisie, qui fait l'économie d'un réel débat sur ces questions, ne nous convient pas, comme ne nous convenait pas la proposition - hâtive selon nous - de notre rapporteur, d'intégrer l'OPRI et l'INERIS à la future agence.
De nombreux amendements de même nature ont vu le jour à l'Assemblée nationale pour ne pas amputer le CEA d'une part importante de ses recherches en sûreté nucléaire. Ces recherches sont menées par l'IPSN, lui-même rattaché au CEA ; aucun amendement n'a été adopté.
C'est pourquoi notre groupe proposera la suppression de l'article 4 A nouveau qui est à l'origine de ces dispositions ; au moins en discuterons-nous.
Nous regrettons une nouvelle fois que le débat sur l'énergie nucléaire dans notre pays ne puisse avoir lieu et il ne nous paraît pas acceptable que de telles questions soient renvoyées au décret en Conseil d'Etat, au détriment, une fois encore, des attributions du Parlement.
S'agissant des amendements déposés par M. le rapporteur, nous préférons en l'état la mise en place d'une agence d'objectif et apprécier, à l'issue d'une période transitoire de collaborations et de conventions avec les différents organismes de recherche, quel pourrait être le nouveau périmètre de cette future agence.
Nous connaissons, en effet, la fragilité et les spécificités des différents laboratoires. Il va sans dire que des rapprochements trop hâtifs pourraient mettre en péril un certain nombre d'activités de recherche menées jusqu'ici, d'autant que la diversité des recherches conduites dépasse la seule question de la prévention du risque sanitaire environnemental.
Au-delà de la prévention des risques eux-mêmes, nous souhaiterions que le Gouvernement reste vigilant, comme il l'est sur la question de l'encéphalite spongiforme bovine, sur les dossiers extrêmement préoccupants que sont l'amiante, par exemple, ou encore le saturnisme. Mais aussi bien peut-on évoquer les affections respiratoires liées à la pollution atmosphérique, ou encore les risques environnementaux au travail.
Le risque sanitaire environnemental est une notion nouvelle et le développement technologique et scientifique de nos sociétés appelle, à n'en pas douter, un renforcement des moyens existants dans notre pays mais également sur le plan européen. C'est pourquoi nous souhaiterions, pour notre part, qu'un accord se dégage très vite, afin de permettre à l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale d'exercer les missions qui lui seront confiées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
J'informe le Sénat que la commission des affaires sociales m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.

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