SEANCE DU 10 JANVIER 2001
Adoption internationale
Adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 287,
1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'adoption
internationale. [Rapport n° 164 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux, à qui je
présente tous les voeux de la Haute Assemblée.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos voeux et vous
présente les miens, ainsi qu'à vos familles et à vos collaborateurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez aujourd'hui à vous prononcer sur
la proposition de loi relative à l'adoption internationale adoptée à
l'unanimité en première lecture par l'Assemblée nationale, le 28 mars 2000.
Ce texte, comme vous le savez, est le fruit d'une initiative de M.
Jean-François Mattei, qui est également à l'origine de la loi du 5 juillet 1996
relative à l'adoption.
Que la question de l'adoption internationale soit d'actualité, personne
aujourd'hui n'en disconvient.
Le 9 mars 1998, en effet, la France ratifiait la convention de la Haye sur la
protection des enfants et la coopération en matière internationale, signée le
29 mai 1993, destinée à régir les relations de coopération en matière
d'adoption entre les pays d'origine et les pays d'accueil.
Le 23 septembre 1998, était instituée en France, en application de ce texte,
une autorité centrale chargée de concourir à la définition de la politique de
coopération internationale dans le domaine de l'adoption et de veiller à la
bonne application des dispositions de la convention.
La jurisprudence en matière de conflits de lois relatives à l'adoption était
amenée, quant à elle, à se prononcer à diverses reprises sur la possibilité
d'adopter en France des enfants dont le statut personnel ignore ou prohibe
cette institution. Elle apportait des réponses variées, de telle sorte que nul
ne peut dire avec certitude quelle solution il convient d'envisager.
Entre l'arrêt Torlet du 7 novembre 1984, l'arrêt Pistre du 31 janvier 1990,
l'arrêt Lorre du 1er juillet 1997 et l'arrêt Lenoir du 16 décembre 1997, les
approches de la Cour de cassation sont en effet différentes.
Le 16 février 1999, une nouvelle version de la circulaire de la Chancellerie
relative à l'adoption internationale, élaborée vingt ans plus tôt, le 6 juillet
1979, était adressée aux parquets, en intégrant non seulement les solutions
jurisprudentielles en ce domaine, mais surtout l'évolution profonde du droit
international privé. Cette circulaire a été récemment validée par le Conseil
d'Etat.
Le 26 janvier 2000, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe adoptait
une recommandation relative au respect des droits de l'enfant dans l'adoption
internationale. Je me dois d'ailleurs de souligner combien votre rapporteur, M.
About, a joué un rôle essentiel dans l'élaboration de cette résolution.
Le 1er février 2000, les gouvernements français et vietnamien concluaient une
convention, entrée en vigueur le 1er novembre dernier, en matière d'adoption
internationale, après que la découverte de situations locales préjudiciables à
l'intérêt des enfants eut conduit, en avril 1999, à la suspension des
procédures d'adoption entre nos deux Etats, dont les échanges en ce domaine
sont particulièrement importants.
A ces rappels historiques doit être ajouté celui de l'importance quantitative
de l'adoption en France d'enfants nés à l'étranger.
Comme le met en lumière l'excellent rapport de M. About, la France est le
deuxième pays d'accueil au monde en matière d'adoption internationale. En 1999,
plus de 3 500 enfants nés à l'étranger étaient concernés, représentant près des
trois quarts des adoptions de mineurs dans notre pays.
Le constat s'impose donc : tout concourt à une intervention législative, seule
à même de conférer à notre droit une totale sécurité juridique dans les
relations d'adoption.
C'est donc dans ce contexte que le Parlement a pris l'initiative d'inscrire
dans le code civil une règle de conflit de lois déterminant quelle norme
appliquer - la loi personnelle de l'enfant ou celle des adoptants - aux
conditions et aux effets de l'adoption.
Pour être complet, l'exercice se devait d'aborder les effets, en France, des
adoptions prononcées à l'étranger.
Le Gouvernement a pleinement approuvé cette initiative non seulement parce
qu'elle s'inscrit dans le plan de réforme de la famille qu'il a engagé, mais
aussi parce qu'elle est propre à apporter à des milliers d'enfants confrontés à
la douleur de ne pouvoir être élevés par ceux qui leur ont donné le jour, comme
à des milliers de couples privés de la joie de pouvoir enfanter, une réponse
claire, sûre, simple et humaine.
Le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, et aujourd'hui
soumis à l'examen du Sénat, est le résultat de la ferme intention d'aboutir
dans les meilleures conditions.
Si des réserves ont été émises sur ce texte, une analyse constructive doit
être faite. Du dialogue mené avec l'ensemble des partenaires doit émerger une
démarche de clarification et de transparence.
Quant à l'objectif commun de donner un nouveau foyer aux enfants qui en sont
dépourvus, sans occulter pour autant un passé familial et culturel, il implique
la recherche de réponses nuancées, prenant en compte la diversité des
situations.
Une mission a été confiée, en juillet dernier, par le Premier ministre à
Gérard Gouzes, député, pour mettre en oeuvre cette volonté de concertation
indispensable à la confiance.
Les magistrats correspondants en matière d'adoption au sein des cours d'appel
procèdent, quant à eux, activement aux missions d'information, d'explication et
de coordination pour lesquelles ils ont été désignés.
Enfin, la situation des adoptions franco-vietnamiennes est en voie d'être
réglée par la reprise toute prochaine des relations d'adoption avec le Viêtnam,
premier pays d'origine des enfants : plus de 700 en 1999, malgré la suspension
des adoptions au mois d'avril.
S'inscrivant dans ce contexte, votre commission des lois a poursuivi, avec non
seulement la très grande compétence qu'on lui connaît mais aussi le souci d'une
totale clarification, propre à apaiser les incertitudes et à renforcert la
sécurité juridique attendue de tous, le travail entrepris par l'Assemblée
nationale.
Comme j'ai pu le constater à la lecture du rapport de M. About elle a examiné,
en intégrant totalement la dimension humaine du débat, les solutions les mieux
à même de permettre le plein épanouissement de l'enfant, dont l'intérêt
supérieur doit, dans ce domaine comme ailleurs, être pleinement recherché.
Les dispositions soumises aujourd'hui à votre examen, telles qu'amendées par
votre commmission des lois, sont de nature à renforcer la sécurité juridique
que requiert ce domaine de l'état des personnes. Le Gouvernement ne peut qu'en
être satisfait.
En effet, votre commission a amélioré le dispositif adopté par l'Assemblée
nationale en accroissant sa cohérence juridique, tout en étant attentive aux
principes du droit international privé.
Sur un plan formel, d'abord, elle a restructuré le dispositif de l'article 1er
en trois articles qui régissent successivement la loi applicable aux conditions
de l'adoption, la loi applicable à ses effets et l'efficacité en France des
décisions prononcées à l'étranger.
Elle a en outre traité distinctement certains points essentiels comme la
prohibition de l'adoption par la loi personnelle de l'adopté ; je reviendrai
tout à l'heure sur ce sujet.
Il en résulte une meilleure lisibilité du dispositif, dont il faut se
féliciter, car cela est essentiel en ce domaine.
Sur le fond, votre commission a tout d'abord soumis les conditions de
l'adoption à la loi personnelle de l'adoptant. Elle a ainsi consacré, avec
sagesse, une solution classique arrêtée par la jurisprudence depuis de
nombreuses années. En matière de droit international privé, on doit
effectivement se garder de légiférer de façon unilatérale, en décrétant, sans
aucune limite, une compétence de principe de la loi française.
Mais, ensuite, là où la jurisprudence se montrait hésitante - je veux parler
de la question de l'incidence de la loi prohibitive de l'adopté - il convient
de décider clairement. C'est ce qu'a fait votre commission, à la fois avec
détermination et mesure : avec détermination, car elle a reformulé de façon
plus explicite la position prise par l'Assemblée nationale selon laquelle cette
prohibition interdit le prononcé de l'adoption en France ; mais également avec
mesure, car elle a écarté cette solution lorsque le mineur est né en France et
y réside habituellement.
De telles circonstances établissent en effet concrètement le rattachement
étroit de cet enfant avec notre pays. Cela justifie alors que soit éludé
l'effet prohibitif de la loi personnelle et que soit permise la pleine
intégration de l'enfant dans sa famille française, grâce à l'institution de
l'adoption plénière. En outre, sur ce point, il paraît effectivement
raisonnable de ne légiférer que pour l'avenir.
Enfin, votre commission a judicieusement conforté et clarifié le rôle du
consentement à l'adoption, tant dans son principe qu'en fonction de sa
teneur.
En premier lieu, l'exigence de ce consentement est érigée en principe
supérieur transcendant la loi applicable.
En second lieu, seul le consentement, portant précisément sur le caractère
complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation existant, permettra
le prononcé par une juridiction française d'une adoption plénière ou encore la
conversion d'une adoption simple prononcée à l'étranger.
Je voudrais, pour terminer, dire quelques mots sur la seconde partie de la
proposition de loi, touchant la composition des deux instances intervenant en
matière d'adoption internationale : l'autorité centrale et le Conseil supérieur
de l'adoption.
A cet égard, votre commission a considéré que la place des associations des
familles adoptives devait être pleinement affirmée. Elle a d'abord approuvé
l'initiative de l'Assemblée nationale de faire participer, dans la première,
avec voix consultative, les organismes agréés pour l'adoption et les
associations de familles adoptives. Je crois, en effet, que celles-ci pourront,
par leur connaissance incomparable des situations individuelles sur le terrain,
enrichir les réflexions menées par la haute autorité.
Quant au Conseil supérieur de l'adoption, dont le champ de compétences déborde
au demeurant l'adoption internationale, votre commission des lois s'est
félicitée de tout ce qui avait été proposé pour donner les moyens d'assurer
efficacement la mission qui doit être la sienne en ce domaine.
Un fondement législatif, une saisine obligatoire pour les textes les plus
importants, des réunions plus systématiques et une meilleure représentativité
lui ont semblé de nature à pouvoir répondre à cet objectif.
Votre commission a tenu néanmoins à élargir la composition du conseil en
permettant aux associations de personnes adoptées autres que celles regroupant
les pupilles de l'Etat d'être également représentées.
Il s'agit là d'une approche qui participe d'une vue exhaustive que je
comprends tout à fait, l'expérience de chacun étant, en ce domaine,
essentielle.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler devant vous à ce stade
de la discussion. Nous avons tous conscience du débat essentiel que représente
pour tous ces enfants, ainsi que pour nos compatriotes, ce que nous appelons
sommairement, et dans un juridisme commode mais approximatif, l'adoption
internationale. Derrière ces mots, se cachent des souffrances, mais aussi des
espérances. Le droit ne pourra sans doute, à lui seul, ni pleinement apaiser
les premières ni totalement réaliser les secondes. Du moins lui est-il
aujourd'hui donnée la possibilité d'y contribuer grandement. C'est à vous,
mesdames, messieurs les sénateurs, que reviennent cette tâche et cet honneur.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur le banc de la
commission.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes saisis
d'une proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale relative à
l'adoption internationale.
Le principal objet de cette proposition de loi est de poser une règle en
matière de conflit de lois, l'adoption internationale mettant en présence des
adoptants et des adoptés de nationalités différentes, régis par leurs propres
lois, parfois contradictoires.
Il convient de déterminer la loi applicable aux conditions comme aux effets de
l'adoption prononcée en France, mais aussi de définir l'effet en France d'une
décision prononcée à l'étranger.
L'adoption internationale, marginale voilà trente ans, représente aujourd'hui
près des trois quarts des adoptions de mineurs dans notre pays. Ce sont plus de
3 500 visas d'entrée liés à des procédures d'adoption qui ont été délivrés en
1999.
A titre de comparaison, seulement un millier de pupilles de l'Etat français
ont été placés cette année en vue d'adoption.
Les enfants étrangers adoptés viennent de plus de soixante pays : le Vietnam,
la Colombie et la Roumanie arrivent en tête.
La France est, par le nombre, le deuxième pays d'accueil au monde, après les
Etats-Unis, mais les chiffres rapportés à la population ne nous placent qu'au
neuvième rang. Les enfants sont adoptés très jeunes. Les deux tiers des enfants
qui obtiennent un visa ont moins de trois ans et plus du quart ont moins de six
mois.
Enfin, les adoptions par démarche individuelle représentent près des deux
tiers des adoptions internationales depuis la France.
Un cadre international de régulation se met en place progressivement.
Tout d'abord, la convention des Nations unies du 20 novembre 1989, relative
aux droits de l'enfant énonce que tout enfant privé de son milieu familial a
droit à la protection de l'Etat. Elle reconnaît à chaque Etat la possibilité
d'adopter une protection conforme à sa législation nationale. Elle rappelle
qu'il doit être tenu compte de la nécessité d'une certaine continuité dans
l'éducation de l'enfant, ainsi que de la prise en compte de son origine
ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. Dans tous les cas, elle
rappelle qu'il revient aux Etats de s'assurer du respect de l'intérêt supérieur
de l'enfant.
Le deuxième texte est la convention de La Haye du 29 mai 1993.
Pour combattre le trafic d'enfants, cette convention institue un système de
coopération dans les procédures d'adoption ainsi qu'une reconnaissance mutuelle
des décisions prononcées dans chaque Etat.
Cette collaboration passe par une autorité centrale dans chaque Etat, laquelle
peut déléguer ses pouvoirs à des organismes agréés. L'Etat d'origine de
l'enfant décide s'il est adoptable, l'Etat d'accueil garantit que les adoptants
ont la capacité nécessaire à adopter. Les décisions et leurs effets sont
reconnus de plein droit dans tous les pays signataires.
Le troisième texte est la convention avec le Vietnam du 1er février 2000, que
nous avons ratifiée.
Le 29 avril 1999, toutes les adoptions avec le Vietnam ont été suspendues à la
suite de la découverte de trafic d'enfants
Le 1er février 2000 a été signée entre la France et le Vietnam une convention
qui s'inspire de la convention de La Haye, à l'exception de la possibilité
donnée aux autorités centrales de déléguer leurs pouvoirs, afin peut-être
d'éviter certaines difficultés ou de contourner la vieille tradition des
comités locaux. Cette convention est entrée en vigueur le 2 janvier dernier.
A ce jour, et en dehors des conventions internationales, les conflits de lois
en matière d'adoption internationale relèvent de la jurisprudence. Vous l'avez
dit, madame le ministre, cette jurisprudence n'est pas unifiée, mais on peut
déduire plusieurs règles de la jurisprudence de la Cour de cassation.
En premier lieu, les conditions et les effets de l'adoption sont soumis à la
loi de l'adoptant, la loi de l'adopté déterminant simplement les conditions du
consentement et les formes dans lesquelles il doit être recueilli.
En deuxième lieu, l'adoption plénière est possible même si la loi de l'adopté
ignore cette forme d'adoption pourvu que le consentement ait été donné en vue
d'une rupture complète et irrévocable des liens avec la famille d'origine.
La troisième règle découlant de la jurisprudence tend à admettre comme
possible l'adoption même si la loi de l'adopté prohibe cette institution -
c'est l'arrêt Fanthou - pourvu que le représentant légal du mineur ait donné
son consentement en pleine connaissance de cause des effets attachés par la loi
française à l'adoption.
Dans l'arrêt Lorre du 1er juillet 1997, la Cour de cassation a cependant
considéré que l'autorité publique étrangère ne pouvait consentir à l'adoption
au mépris de sa propre législation. En revanche, selon la quatrième règle
découlant de la jurisprudence, confirmée à plusieurs reprises, « les personnes
dont le statut personnel prohibe l'adoption ne peuvent pas adopter ».
Cette fragile construction jurisprudentielle s'est trouvée déstabilisée par la
circulaire du 16 février 1999 du garde des sceaux de l'époque, dont l'objectif
était pourtant l'unification.
Cette circulaire semble avoir eu pour objet principal d'empêcher le prononcé
par les tribunaux français de l'adoption d'un mineur dont le statut personnel
le prohibe. Elle pose des règles plus restrictives que celles qui sont mises en
oeuvre dans les juridictions. Elle tente aussi de contrecarrer la jurisprudence
de la Cour de cassation en donnant un certain nombre d'instructions au
Parquet.
Pour limiter le trafic, la circulaire énonce que la validité du consentement
donné à l'étranger impose le respect de l'article 348-5 du code civil, selon
lequel les enfants de moins de deux ans doivent obligatoirement être remis au
service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé pour
l'adoption.
Enfin, la circulaire ne dit rien sur les conditions de transformation en
adoption plénière d'une adoption simple prononcée hors du cadre de la
convention de La Haye.
Très contestée, cette circulaire a fait l'objet d'un recours devant le Conseil
d'Etat, mais ce recours a été jugé irrecevable, la circulaire ne faisant par
grief puisqu'elle ne s'impose pas aux juges du siège.
Que contient la proposition de loi qui nous est soumise ? Son principal apport
est de poser une règle de conflit de lois en matière d'adoption internationale,
mais elle comprend également des dispositions relatives au Conseil supérieur de
l'adoption et à la composition de l'autorité centrale pour l'adoption.
L'article 1er insère dans un nouveau chapitre du code civil un article 370-3
déterminant l'effet en France des jugements étrangers en matière d'adoption
internationale et désignant la loi applicable à l'adoption prononcée en France.
Il reprend, en premier lieu, plusieurs règles admises par la Cour de cassation
et par la convention de La Haye.
L'article 1er prévoit que l'adoption régulièrement prononcée dans le pays
d'origine de l'adopté produit les effets prévus par la loi française lorsque
l'adoptant est de nationalité française ou réside en France.
Il prévoit également qu'une adoption simple dans le pays d'origine, dans la
mesure où elle ne rompt pas le lien préexistant de filiation, peut être
consentie en adoption plénière sous réserve que les consentements requis aient
été expressément donnés en connaissance de cause.
S'agissant du prononcé de l'adoption en France, la proposition de loi
développe la qualité du consentement qui doit être donné par le représentant
légal du mineur en s'inspirant de l'article 4 de la convention de La Haye.
Ce consentement doit être libre, obtenu sans contrepartie, après la naissance
de l'enfant, et éclairé sur les conséquences de l'adoption.
Toujours sur le prononcé de l'adoption en France, ce texte apporte une
innovation par rapport à la jurisprudence de la Cour de cassation.
Comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, un amendement de M.
Gouzes a rendu impossible l'adoption d'enfants dont le statut personnel prohibe
cette institution.
Enfin, le texte de l'article 1er prévoit l'application de la loi française «
aux conditions et aux effets de l'adoption si la législation du pays d'origine
n'y fait pas obstacle. »
Ce texte très restrictif interdit le prononcé aussi bien de l'adoption
plénière que de l'adoption simple. En outre, il applique la loi française de
l'adoption prononcée en France, ce qui est contraire à la jurisprudence
constante, qui se réfère à la loi nationale de l'adoptant.
Un adoptant de nationalité étrangère résidant en France se verrait appliquer
la loi française alors que la jurisprudence actuelle conduirait à l'application
de sa propre loi nationale.
L'article 2 est un texte de coordination oublié lors du vote de la loi du 5
juillet 1996.
L'article 3 donne un fondement législatif au Conseil supérieur de l'adoption
et instaure une meilleure représentation des associations.
L'article 4 porte sur la composition de l'autorité centrale.
J'en viens au travail de la commission.
Soucieuse, dans l'intérêt des enfants, de ne plus voir prononcer d'adoption «
boiteuse », soucieuse de ne pas imposer l'application unilatérale du droit
français et la conception française de l'adoption, la commission des lois vous
propose de retenir un certain nombre de principes.
Il s'agit, tout d'abord, de souscrire au respect de la loi nationale des
adoptants. Cela revient à ne pas prévoir l'application de la loi française à
tous les cas d'adoption prononcée en France et donc à prévoir, comme le fait la
jurisprudence constante, l'application de la loi personnelle des adoptants aux
conditions de l'adoption.
Le corollaire de ce principe est la prohibition de l'adoption si la loi
personnelle des adoptants l'interdit, pour éviter une adoption « boiteuse » en
cas de retour des parents dans leur pays d'origine.
Notre deuxième souhait vise à mettre des limites à la prohibition de
l'adoption posée par la loi personnelle des adoptés.
Nous vous proposons d'accepter la prohibition pour mettre fin à des filières
illégales. Mais nous souhaitons apporter des limites à cette prohibition dans
deux cas : pour les enfants nés en France et y résidant ; pour les enfants dont
la procédure d'adoption est engagée.
Enfin, votre commission souhaite préciser le contenu du consentement et les
caractéristiques de l'adoption plénière.
D'une part, le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause du
caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation
préexistant.
D'autre part, il convient de faire ressortir le caractère complet et
irrévocable de l'adoption plénière.
En pratique, cela signifie que, dans le pays d'origine, c'est la rupture des
liens de filiation qui doit être comprise comme complète et irrévocable et
qu'en France le caractère irrévocable de l'adoption plénière découle de
l'article 359 du code civil et protège l'enfant contre un vide de filiation.
Sur la forme, votre commission des lois vous propose de scinder l'article
370-3 du code civil adopté par l'Assemblée nationale en trois articles pour
améliorer la lisibilité du code : le premier porte sur les conditions du
prononcé de l'adoption en France, le deuxième, sur les effets du prononcé de
l'adoption en France et, le troisième, sur les effets, en France, de l'adoption
prononcée à l'étranger.
Enfin, la commission vous propose de modifier l'article 3 relatif au Conseil
supérieur de l'adoption pour inclure dans sa composition des associations
regroupant des personnes adoptées et de faire référence au ministre chargé de
la famille plutôt qu'au ministre des affaires sociales.
Mes chers collègues, en adoptant la proposition de loi ainsi modifiée, le
Sénat contribuera à régler et à prévenir beaucoup de contentieux douloureux en
replaçant l'enfant au coeur de l'adoption internationale.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Mes premières paroles s'adresseront à vous, monsieur le rapporteur, même si ce
n'est peut-être pas la coutume. Je tiens en effet à vous dire combien j'ai
apprécié, d'une part, que vous ayez pris l'initiative de prendre le relais de
notre collègue M. Dejoie, d'autre part et surtout, combien votre sensibilité
très aiguisée vous a permis d'apporter plus qu'une touche humaine à ce dossier.
C'est la compréhension dont vous avez su faire preuve qui a permis à la
commission, d'abord, et qui permettra au Sénat, ensuite, de traiter cette
question délicate, difficile avec l'humanité requise.
Voilà pourquoi je me devais de commencer par saluer votre travail et la
qualité de votre rapport. Même si, sur tel ou tel point, je relève quelques
différences d'appréciation, sur le fond, nous nous rejoignons et je vous
remercie.
Mes chers collègues, dans l'exercice de nos fonctions, il nous est arrivé de
rencontrer des familles adoptives. Ces familles sont très nombreuses en France,
dans tous les départements.
Par ailleurs, l'adoption internationale, qui ne cesse de se développer depuis
vingt ans, fait aujourd'hui de la France le deuxième pays d'accueil après les
Etats-Unis, avec 3 592 visas délivrés en 1999 en vue d'adoption d'enfants, en
provenance de près de soixante-dix pays, un quart seulement venant de pays
signataires de la convention de La Haye.
Or, depuis un certain temps, les familles adoptives sont inquiètes, et il leur
arrive de s'insurger contre ce qu'elles interprètent non seulement comme une
incompréhension de la part des pouvoirs publics, mais encore comme une
suspicion inacceptable tendant à amalgamer systématiquement les démarches
d'adoption à l'étranger avec des pratiques illicites, voire des trafics, que la
quasi-totalité d'entre elles réprouvent et dénoncent de façon catégorique.
Des textes récents, émanant notamment de la Chancellerie, ont avivé cette
méfiance à l'égard des familles qui vont chercher leurs enfants parfois à
l'autre bout de la Terre, alors que les dérives sont toujours, fort
heureusement, très minoritaires.
Les tribunaux alertés ont traité nombre de ces familles adoptantes comme des
coupables en puissance. Ils ont même parfois mené des interrogatoires, refusé
des adoptions plénières et des adoptions simples, renvoyé les familles devant
les cours d'appel.
De leur côté, certains médias ajoutaient à ce climat délétère par des
reportages ou des articles à sensation sur les couples « en mal d'enfants »,
prêts à toutes les compromissions et à toutes les bassesses pour réaliser leur
projet !
Il me semble qu'il faut aujourd'hui sortir les familles adoptives du prétoire
où la suspicion les a jetées, et les rétablir dans leur droit et leur dignité.
L'adoption doit rester une procédure gracieuse ; c'est la confiance qui doit
d'abord se manifester à l'égard du plus grand nombre, car elles savent
généralement ce qu'elles font et ce qu'il ne faut pas faire, de manière à
pouvoir raconter un jour l'histoire de son adoption, sans avoir à en rougir, à
l'enfant qui va devenir le leur pour toute la vie.
En effet, l'adoption est d'abord un projet parental. Ceux qui décident
d'entamer ces longues démarches savent bien que, après la contrainte des
procédures administratives préalables à l'agrément délivré par les services de
l'aide sociale à l'enfance, ils ne sont pas au bout de leurs efforts. Peu de
candidats se tournent spontanément vers l'étranger ; mais, le nombre d'enfants
adoptables en France ayant considérablement diminué - ce dont, personnellement,
je me réjouis - et les délais d'attente étant interminables, ils se lancent
dans la grande aventure de l'adoption internationale, soit avec l'appui d'un
organisme autorisé pour l'adoption, soit par une démarche individuelle, souvent
très bien accompagnée, elle aussi, par les associations de familles
adoptives.
Ainsi, l'adoption internationale permet d'apporter, dans des délais plus
raisonnables, des solutions à la situation d'enfants qui n'ont pas trouvé dans
leur propre pays de famille pour les accueillir. Ce principe de subsidiarité,
dûment affirmé par la convention de La Haye, confère à la démarche d'adoption à
l'étranger toute sa légitimité et respecte le droit des enfants privés de
famille à être aimés et protégés.
La question que nous avons aujourd'hui à traiter est donc d'une extrême
délicatesse, car elle oppose les intérêts interétatiques à ceux des enfants
délaissés qui attendent des réponses à leur situation. Elle oppose également
ces intérêts à la réalité des sentiments d'amour et d'affection qui structurent
la vie des familles. Les parents ne font jamais de différence selon l'origine
de l'enfant. Ils considèrent que son éducation relève de leur responsabilité,
et que leur enfant, comme tous les autres, est avant tout, pour reprendre le
mot de Khalil Gibran, « l'enfant de la vie elle-même ».
Veillons donc à ne pas créer de nouvelles difficultés, alors que nous avons le
pouvoir et, oserai-je dire, le devoir d'en résoudre un certain nombre. Et
n'oublions pas que le chemin sur lequel nous nous engageons est étroit.
La proposition de loi de M. Jean-François Mattei, adoptée le 28 mars dernier
par l'Assemblée nationale, répondait à la nécessité urgente d'élaborer une
norme au regard des conflits de lois en matière d'adoption internationale, tout
en gardant le souci permanent de servir l'intérêt supérieur des enfants les
plus concernés par ces conflits, à savoir les enfants venant de pays non
signataires de la convention de La Haye, à l'exception des pays de droit
coranique - essentiellement le Maroc et l'Algérie -, une fois de plus exclus,
hélas ! de ces avancées et renvoyés parfois à leur isolement.
En mettant un terme aux turbulences suscitées par les textes récents relatifs
à l'adoption internationale, cette proposition de loi apportait les garde-fous
nécessaires au respect de la législation française et des législations des pays
d'origine des enfants. Elle redonnait du même coup espoir à des dizaines de
familles, engluées depuis des mois dans des procédures judiciaires
inextricables, qui ont abouti à marginaliser des enfants légalement entrés sur
le sol français avec un visa d'adoption, faisant d'eux des « sans-papiers »,
des « sans-statut », pour qui le voyage si bien commencé a progressivement
tourné au cauchemar...
C'est dire si le vote de cette proposition de loi par le Sénat est aujourd'hui
attendu et observé, tant par les tribunaux français qui ont à statuer sur les
décisions étrangères des pays « hors convention de La Haye », que par les
familles ayant accueilli ces enfants, ainsi que par les autorités des pays
d'origine qui les leur ont confiés en vue d'adoption.
L'espoir d'une réponse urgente à ces situations intolérables, où des enfants
régulièrement confiés à des familles depuis des mois et des mois n'ont toujours
pas trouvé leur place dans notre société et vivent dans une quasi-clandestinité
et une insécurité juridique invraisemblable, cet espoir s'est éloigné à nouveau
pour ces familles, et cela constitue pour elles et leurs enfants une nouvelle
déception.
Madame la ministre, mes chers collègues, c'est un texte remanié qui vient
devant nous, un texte dans lequel « le respect des relations interétatiques »
l'emporte sur l'intérêt des enfants, intérêt qui exige, ici ou ailleurs, que
nous inventions des solutions humaines face à l'inhumanité du délaissement
moral, affectif et social dont ils sont victimes.
L'adoption internationale n'est pas un « échange international ». Elle est,
pour l'enfant délaissé qui n'a pas trouvé dans son propre pays de solution
familiale, une réponse donnée hors de ses frontières par une famille prête à
lui apporter l'amour et tout ce dont il a besoin pour s'épanouir et atteindre
l'âge adulte. C'est ainsi qu'il nous faut regarder l'adoption, car c'est là, et
nulle part ailleurs, que réside l'intérêt de l'enfant privé de famille.
Cela implique bien évidemment une coopération aussi harmonieuse que possible
entre les Etats, personne ne dira le contraire. Mais ne perdons pas de vue que
ces enfants venus d'ailleurs vont, comme il est dit si justement dans le
rapport de notre excellent collègue Nicolas About, « être logiquement conduits
à vivre avec leurs parents adoptifs selon les lois qui les régissent ». Cela ne
devrait-il pas nous amener à réfléchir plus avant aux dispositions que l'on
nous soumet ?
Deux points méritent à tout le moins une clarification. Une chose est, en
effet, de proposer un bel ordonnancement, de nous inviter à régler « par le
haut » les conflits de lois. Encore faut-il savoir si le texte proposé répond à
toutes les situations et s'il règle bien tous les problèmes auxquels nous
pourrions être confrontés.
A ce stade, il me semble important d'attirer l'attention du Gouvernement sur
les conséquences des mesures envisagées vis-à-vis de certains pays non encore
signataires de la convention de La Haye.
Ne faut-il pas en effet reconsidérer cette « interdiction » ou « prohibition
de l'adoption » - dont il nous est précisé « qu'elle ne concerne que les
mineurs » ! -, principe qui revient à de nombreuses reprises comme un couperet
dans le rapport de notre collègue Nicolas About, s'agissant des enfants de pays
de droit coranique, ici gravement discriminés ?
Le silence de nos textes n'était pas sans avantage : la souplesse de la
jurisprudence de la Cour de cassation avait, jusqu'ici, permis de résoudre
certaines situations dans l'intérêt des enfants concernés, essentiellement
originaires du Maroc ou d'Algérie : je pense à l'arrêt Lenoir...
Verrouiller désormais toute possibilité d'être adoptés pour des enfants dits «
de statut personnel prohibitif » - puisque c'est ainsi que le rapport les
désigne, comme s'ils étaient, et j'emploie la formule au risque qu'elle vous
paraisse excessive, condamnés à l'indifférence et à l'oubli - apparaîtra comme
admettre un abandon plus grave encore que celui de leurs « progéniteurs ». Il
sera, en effet, vécu comme l'abandon par une communauté, la nôtre, qui,
connaissant cette réalité, n'aura rien fait pour rechercher toutes les
solutions, au seul motif que « cette prohibition n'était pas contraire à
l'ordre public français » !
Mes chers collègues, peut-on rester insensible à la tonalité trop évidente de
tels arguments ? Un jour ou l'autre, n'en doutons pas, c'est à ces enfants
oubliés que nous aurons à rendre des comptes, car, tout en sachant qu'ils
attendaient une famille, qu'il existait pour eux des solutions, qu'il y avait
en France des parents pour les accueillir, nous leur aurons fermé notre
porte... Ce jour-là, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !
Combien de temps encore un Etat laïc comme le nôtre pourra-t-il continuer de
mettre en avant le droit coranique, au détriment des droits des enfants
maghrébins abandonnés, susceptibles de trouver une famille dans notre pays ?
Nous ne pouvons ni ne devons ignorer que ces enfants, bien souvent nés de
relations adultérines ou de maternités adolescentes dans des pays qui ne
reconnaissent aucun droit aux femmes, sont considérés - pardonnez le terme,
mais c'est le plus juste - comme des « bâtards » par ces mêmes Etats qui les
laissent croupir dans des mouroirs, sans aucun espoir d'un quelconque avenir.
Nous ne pouvons ni ne devons ignorer que celles qui les ont mis au monde n'ont
pas eu d'autre choix que celui de les abandonner, menacées qu'elles étaient
d'être répudiées, maltraitées, frappées d'infamie, mises au ban de la famille
et de la société...
Nous nous trouvons donc aujourd'hui devant une responsabilité particulièrement
grave : ou bien nous continuons de faire primer, en matière d'adoption, une loi
religieuse - je pense à la sourate 33 du Coran, intitulée « Les Coalisés » -
qui devrait continuer de s'appliquer au-delà des frontières, refusant du même
coup à des enfants les droits les plus essentiels de la personne humaine, ainsi
que la sécurité juridique dont jouissent les autres enfants adoptés sur le sol
français ; ou bien nous inventons pour ces enfants-là, comme nous l'avons fait
en d'autres temps pour des populations gravement menacées, ce que j'appellerai,
à mon tour, le devoir d'ingérence qui nous amènerait à faire prévaloir enfin
leur droit à grandir au sein d'une famille prête à les aimer.
Une autre modification me préoccupe, également apportée au texte de la
proposition de loi initiale : il s'agit, dans le droit-fil de ce qui vient
d'être évoqué, de « l'interdiction d'adopter pour les personnes dont la loi
nationale prohibe cette institution ». Je n'ignore pas la position du
Gouvernement, notamment dans le cadre des relations diplomatiques avec des pays
amis, très proches de nous par l'histoire comme par la géographie. Mais il est
à craindre que ce qui est proposé ne permette pas à ces personnes résidant
régulièrement en France de pouvoir adopter un enfant.
Tant qu'il y aura, de par le monde, des enfants délaissés et des parents
potentiels pour les accueillir, il faudra élargir le cadre de l'adoption et
non, comme cela semble être la tendance depuis quelque temps, et jusque dans le
rapport présenté ici, chercher à le restreindre ou à l'entraver. Gardons-nous
des arrière-pensées xénophobes qui pourraient bien inspirer une politique de
l'adoption résolument élitiste, voire discriminatoire. On rangerait alors, d'un
côté, les bons pays, les pays conventionnés, proposant une adoption aseptisée,
garantie à tous égards et, d'un autre, les mauvais, les pays hors conventions,
ceux auprès desquels on ne tenterait plus rien, abandonnant à leur sort des
centaines, voire des milliers d'enfants, condamnés à ne pas être aimés, à
souffrir en silence et peut-être à mourir, puisque ni leurs pays ni le nôtre
n'auraient cherché pour eux les solutions qui s'imposaient, et cela au nom du
respect des règles internationales !
Si l'enfant n'était pas au coeur de nos préoccupations, madame la ministre,
mes chers collègues, à quoi bon légiférer ? Le respect des Etats en matière de
coopération internationale ne doit pas nous faire perdre de vue que l'adoption
d'enfants, d'ici ou d'ailleurs, comme tout ce qui touche à la solidarité
humaine, est un principe universel que notre société ne saurait remettre en
question. J'ai bien peur qu'à trop vouloir la contrôler, la limiter et la
soumettre à de nombreuses conditions, une condamnation pure et simple de
l'adoption internationale ne se profile partout où cela est encore possible.
Alors, mes chers collègues, avant de nous prononcer, d'inscrire nos noms au
bas de certains interdits, je vous propose de ramener l'enfant au coeur de ce
débat, car c'est d'abord de lui qu'il s'agit.
Mes chers collègues, il faut nous rendre à l'évidence : l'enfant qui n'a plus
personne pour l'aimer, pour le regarder vivre, pour s'inquiéter de lui et de
son avenir a-t-il encore une place dans notre monde ? N'avoir sa place dans
aucun coeur, dans aucune mémoire, voilà bien ce qui fonde le déracinement.
Au contraire, l'adoption est un terreau, dans lequel les racines de l'enfant,
coupées par l'abandon, se reconstituent, se remettent à pousser, grâce à cette
place retrouvée dans le monde qui l'entoure : celle d'un être
inconditionnellement aimé par des parents, une famille élargie, une communauté
de proches et d'amis, qui l'ont attendu longtemps sans rien savoir de lui et
pour qui, désormais, il va compter.
Dans la France des droits de l'homme, signataire de la convention des droits
de l'enfant, il m'apparaît bien clairement que c'est l'intérêt de l'enfant qui
doit primer sur tout le reste, avant le confort des Etats. C'est le droit qui
doit être au service de l'homme et non l'inverse. Puissions-nous nous en
souvenir lorsque nous aurons à nous prononcer définitivement sur ce texte, tant
au Sénat qu'à l'Assemblée nationale !
Madame la ministre, pour conclure mon propos, permettez-moi, au nom de
l'estime et de l'amitié qui nous lient, de vous dire ceci : rien de ce qui est
humain ne vous est étranger. Nous le savons, vous le démontrez chaque jour.
L'occasion nous est offerte à nous, législateur, et à vous, membre du
Gouvernement, de faire un pas supplémentaire pour accueillir le plus grand
nombre possible d'enfants. Ils nous regardent, sans s'exprimer. Seulement, à
travers le regard, ils nous disent qu'ils attendent beaucoup de nous, beaucoup
de la France. Alors, tout ce qui pourra être fait dans ce sens, faisons-le !
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vient de
le dire mon ami Guy Allouche, c'est un sujet bien complexe que celui dont nous
débattons aujourd'hui : l'adoption internationale constitue en effet un de ces
problèmes qu'il convient d'aborder avec prudence tant il est incompatible avec
les solutions toutes faites.
L'adoption internationale se trouve en effet à l'intersection de multiples
champs : confrontation de l'affectif aux rigueurs du droit, enchevêtrement des
relations privées et du droit, diversité des règles applicables - qu'elles
soient morales, religieuses ou juridiques - qui rendent difficiles les prises
de position et l'établissement de règles acceptables par tous et pour tous.
Le législateur de 1996, chacun s'en souvient, avait fini par renoncer à
prendre position en renvoyant aux tribunaux le soin de régler la question. On
espérait alors que la convention de La Haye de 1993 apporterait une réponse
suffisante.
A peine cinq ans plus tard, force est de constater que la situation ne s'est
guère éclaircie, bien au contraire : comme l'a dit le rapporteur, le
développement de l'adoption d'enfants à l'étranger - plus de 3 000 par an -, la
persistance des adoptions hors cadre conventionnel rendent aujourd'hui
indispensable la mise en place de règles claires en la matière.
La fluctuation de la jurisprudence relative aux adoptions internationales et
la brutalité des règles posées par la circulaire de 1999 n'offrent pas de
solution satisfaisante et aboutissent à des inégalités de traitement des
situations individuelles : le silence du code civil prend ainsi des allures de
« trou noir » du droit face à la cacophonie de la jurisprudence.
On ne peut donc qu'approuver l'initiative prise par Jean-François Mattei de
déposer une proposition de loi qui tend à poser des règles de conflit de lois
en matière d'adoption internationale. Elle devrait permettre de mettre fin à
une insécurité juridique lourde de conséquences, en particulier pour les
enfants eux-mêmes, alors que l'adoption n'a pas tant pour objet de « donner un
enfant à des parents que de donner des parents à un enfant ».
On peut ainsi espérer que l'adoption d'une loi redonne cohérence et clarté à
un système peu compréhensible par le justiciable : la création d'un chapitre
spécifique dans le code civil, consacré au « conflit des lois relatives à la
filiation adoptive » et, si le texte proposé par notre rapporteur est adopté, à
« l'effet en France des adoptions prononcées à l'étranger » montre la volonté
du législateur de ne plus tergiverser en la matière et de poser des règles
claires destinées avant tout à sauvegarder l'intérêt de l'enfant.
On comprend dès lors la satisfaction - pour ne pas dire le soulagement - des
familles adoptives de voir le débat se poursuivre aujourd'hui.
Cette satisfaction, je la partage d'autant plus que les débats à l'Assemblée
nationale et ceux qui se déroulent montrent la volonté de tous d'aboutir au
système le plus satisfaisant possible. Ainsi, les divergences d'appréciation me
semblent moindres en regard des points d'accord qui se sont dégagés. A cet
égard, je voudrais, moi aussi, saluer la qualité et la sensibilité du travail
de notre rapporteur, Nicolas About.
Je suis en effet d'accord, comme mon groupe, pour rejeter toute lecture «
impérialiste » du droit français - j'aurais même tendance à parler de lecture
parfois « colonialiste » - qui postulerait la supériorité du droit français sur
les autres systèmes juridiques, jugés par nature moins favorables à
l'enfant.
Ce rejet conduit logiquement à poser le principe de non-adoptabilité de
l'enfant dont la loi personnelle prohibe l'adoption ; il s'illustre également
dans la volonté de ne pas imposer systématiquement une adoption plénière, en
renforçant la qualité du consentement requis pour qu'une telle adoption, qui
conduit à une rupture totale avec la filiation d'origine, puisse être prononcée
en France.
Sur ce point, les précisions apportées par la commission des lois, qui font
porter expressément le consentement du représentant légal de l'adopté sur le
caractère irrévocable de la rupture du lien de filiation, nous paraissent
bienvenues.
Nous sommes également d'accord pour faire de l'intérêt supérieur de l'enfant
le principe conducteur de la législation. Nous sommes aiguillés en cela par les
conventions internationales ratifiées par la France.
C'est au regard de ce principe que nous partageons la position de la
commission des lois qui limite le principe de l'application de la loi
personnelle de l'enfant lorsque celui-ci a vocation à devenir Français : tel
est le cas des enfants nés et résidant en France.
Les sénateurs de mon groupe souhaitent cependant pousser plus loin la logique,
en s'attachant plus précisément au cas des enfants abandonnés en France. Nous
proposons, par un amendement, d'accorder automatiquement la nationalité
française aux mineurs étrangers qui ont le statut de pupille de l'Etat.
A tout le moins, il semble indispensable de le rendre immédiatement adoptable,
dès lors qu'il a, comme l'enfant né en France, vocation à devenir Français.
Nous donnons notre accord, enfin, pour que la moralisation de l'adoption
internationale reste un de nos principaux soucis.
La convention des droits de l'enfant et surtout la convention de La Haye de
1993, en instituant une autorité centrale garante de la régularité de la
procédure et en proscrivant les démarches individuelles, ont mis en place un
système destiné à lutter contre les trafics d'enfants.
Dire que ce trafic - le mot nous fait sans doute horreur, mais il décrit la
réalité - existe, ce n'est pas mettre en cause la responsabilité et encore
moins la sincérité des familles adoptives. C'est ne pas se voiler la face et
insister sur l'importance de la lutte internationale en ce domaine. La
discussion du projet de loi portant ratification de la convention de l'OIT
relative aux pires formes de travail des enfants est venue opportunément nous
le rappeler. Dans le même sens, la recommandation du Conseil de l'Europe du 26
janvier 2000 attirait à nouveau notre attention sur les dérives mercantiles de
l'adoption internationale.
La volonté d'agir fermement en vue d'une moralisation et de la lutte contre le
trafic d'enfants était un des objets de la circulaire de Mme Guigou, dont nul
ne contestait d'ailleurs la légitimité. Ce qui a été contesté, en effet, c'est
plutôt la manière dont elle entendait mener cette lutte, en faisant peser, de
façon injuste, sur les parents adoptants la suspicion et la sanction par le
refus d'adoption ; les parents ne peuvent évidemment être suspectés dans cette
situation.
J'en viens maintenant à ce qui continue, pour nous, de poser un problème : la
question de la loi applicable aux conditions d'adoption. La majorité de la
commission des lois nous propose un système qui consiste à dissocier conditions
et effets de l'adoption : alors que les effets de l'adoption relèveraient du
droit français, la détermination des conditions applicables à l'adoption se
ferait par application de la loi nationale de l'adoptant, et non plus selon la
loi française, comme l'avait décidé l'Assemblée nationale.
Ce faisant, la commission des lois nous propose de légaliser la jurisprudence
Torlet posée par la Cour de cassation en 1984, et d'ailleurs reprise par la
circulaire de 1999. Elle y apporte cependant une précision utile consistant à
poser la règle selon laquelle, lorsque les deux époux sont de nationalité
différente, la loi applicable aux conditions d'adoption est celle qui régit
leur mariage, sauf si la loi personnelle des deux époux prohibe l'adoption.
Cette précision permet de résoudre une incohérence dans le droit actuel qui
fait qu'un couple de Marocains ne peut adopter, alors qu'un couple
algéro-marocain, malgré des lois personnelles défavorables, le peut par
application de la loi commune des époux.
Le système préconisé par la commission des lois a ainsi une certaine logique.
Néanmoins, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous
proposent un texte transactionnel qui appliquerait, pour les conditions
requises à l'adoption, la loi de l'Etat dans lequel le ou les adoptants ont
leur résidence habituelle.
Un tel système présenterait, selon nous, un double avantage de simplification
et d'intégration. Simplification, parce qu'est posée ici une règle de conflit
unique qui permet de résoudre la question de la nationalité différente du
couple d'adoption, sans cumuler les exceptions. Elle constitue également un
véritable facteur d'intégration de la famille sur le territoire, ce qui est
loin d'être négligeable. Elle circonscrit, en outre, l'applicabilité du droit
français au territoire de la République.
Je veux, enfin, insister sur le fait que nous ne parviendrons jamais à un
système idéal qui prenne en compte l'intérêt de tous les acteurs ou qui dégage
une solution entièrement satisfaisante pour les ordres juridiques que
l'adoption internationale met en rapport, voire en conflit.
Cette difficulté intrinsèque doit nous encourager à oeuvrer dans le sens de la
signature de conventions bilatérales. Cette démarche paraît d'autant plus
souhaitable que, si la convention de La Haye devait devenir un système unique
de référence, cet objectif idéal n'est pas envisageable, à court terme du
moins.
L'exemple de l'adoption d'enfants en provenance du Viêtnam nous montre, comme
certains orateurs l'ont souligné, que la résolution des conflits passe
nécessairement par la coopération entre les Etats, indispensable au regard tant
de l'ojectif de moralisation que de la défense des droits de l'enfant. L'entrée
en vigueur de la convention du 1er février 2000 constitue, selon nous, un signe
très positif, et il faut persister dans cette voie.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui nous montre les limites
de l'exercice : si importante et urgente soit-elle, l'institution d'une règle
de conflit de lois en matière d'adoption internationale aurait mérité d'être
appréhendée dans le cadre d'une réflexion globale sur la réforme du droit de la
famille. Et je n'édicte pas de priorité en la matière.
En effet, il me semble que les difficultés de l'adoption internationale
proviennent, au moins en partie, des caractéristiques de notre système
d'adoption, qui fait l'objet de critiques persistantes. Et il n'est pas
étonnant que le problème soit évoqué
via
l'adoption internationale, qui
représente aujourd'hui les deux tiers de l'adoption en France.
Ainsi, les problèmes rencontrés dans le cadre de l'adoption internationale ne
seraient-ils pas moins importants si l'adoption plénière laissait partiellement
ouvert le droit aux origines en n'occultant pas complètement, par exemple,
l'état civil d'origine ou si l'adoption simple permettait la transmission de la
nationalité ?
Cette question ne peut pas ne pas nous conduire à une réflexion d'ensemble sur
les logiques de la filiation et le droit aux origines, réflexion qui dépasse le
seul cas de l'adoption internationale : l'adoption plénière « nationale »,
l'accouchement sous X posent le même type d'interrogations, et il est fort
dommageable qu'on les aborde de façon morcelée.
C'est sur cette nuance que je terminerai ici mon intervention en souhaitant,
madame la ministre, que vous renouveliez ici l'attachement du Gouvernement à
voir se poursuivre une réforme effective et approfondie du droit de la
famille.
En attendant, nous prendrons cette proposition de loi pour ce qu'elle est :
une étape dans la nécessaire réflexion et une disposition importante pour les
familles adoptives, auxquelles elles procurera la sécurité juridique qu'elles
sont en droit d'attendre.
C'est la raison pour laquelle nous voterons la proposition de loi, en espérant
que les modifications proposées par le groupe communiste républicain et citoyen
recevront ici un accueil positif.
(Applaudissements sur les travées
socialistes. - M. Fauchon, vice-président de la commission des lois, applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à Mme Brisepierre.
Mme Paulette Brisepierre.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers
collègues, depuis maintenant quelques décennies, l'adoption internationale
connaît une constante augmentation. En effet, on estime à environ 3 000 les
enfants nés à l'étranger adoptés chaque année par des Français.
Pour encadrer ces procédures d'adoption, lutter efficacement contre le trafic
d'enfants et garantir un véritable respect des droits de l'enfant, la
communauté internationale a posé un certain nombre de principes, élaboré et mis
en oeuvre des procédures et énoncé des recommandations.
Ainsi, la convention de La Haye du 29 mars 1993, ratifiée par la France en
1998, institue entre les pays signataires un système de coopération ainsi
qu'une reconnaissance mutuelle des décisions prononcées dans chacun de ces
Etats.
Par conséquent, pour tous les Etats signataires, les procédures se sont
trouvées clarifiées et les droits de l'enfant garantis.
Cependant, il convient de souligner l'importance du nombre d'adoptions
réalisées hors du cadre établi par les conventions internationales, qui
représentent aujourd'hui plus des trois quarts des adoptions.
Dans ces cas, quelle loi doit-on appliquer ? Celle du pays de l'adoptant ou
celle du pays de l'adopté ? Dans quelle mesure une adoption simple prononcée
dans le pays d'origine peut-elle être convertie en adoption plénière ? Enfin,
l'adoption d'un enfant dont le statut personnel prohibe cette institution,
comme c'est le cas dans les pays de droit coranique, est-elle possible ?
Ces conflits de lois, en l'absence de législation nationale, sont tranchés par
une jurisprudence erratique, qu'est venue encore compliquer une circulaire
ministérielle du 16 février 1999. Il était donc devenu primordial de procurer
un cadre et une stabilité juridiques aux parents et à leurs enfants adoptés :
c'est le coeur de cette proposition de loi.
En effet, le texte que nous examinons aujourd'hui vise à régler les conflits
de lois inhérents à l'adoption internationale.
Dans un premier temps, il permet que les décisions d'adoption obtenues à
l'étranger soient valables de plein droit en France et que les familles
puissent recourir à la conversion d'une adoption simple en adoption plénière,
ce qui répond au souhait de l'ensemble des familles.
Dans un second temps, il rend impossible l'adoption d'enfants dont le statut
personnel prohibe cette institution, comme c'est le cas dans les pays de droit
coranique. De plus, il applique la loi française aux conditions et aux effets
de l'adoption prononcée en France. Sur ce point, quelques modifications seront
proposées par M. le rapporteur, qui permettront de compléter ce dispositif et
de réduire le risque d'adoptions « bancales ».
Ce texte, complété donc par les propositions de M. le rapporteur, dont je
salue ici l'excellent travail, apporte de véritables réponses à des situations
souvent inextricables et dramatiques et garantit pleinement les droits de
l'enfant ; c'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour la République le
votera.
Pour conclure, je souhaiterais simplement saluer l'initiative de l'opposition
nationale et de Jean-François Mattei, qui a, par sa proposition de loi, réussi
à réunir un large consensus, dépassant les clivages politiques, et mis l'accent
sur la nécessité d'une réforme d'ensemble du droit de la famille. Cette
réforme, affichée comme une priorité par votre prédécesseur, madame la garde
des sceaux, fut promise et reportée à de multiples reprises. Par conséquent, je
vous pose tout naturellement la question : quand comptez-vous l'inscrire à
l'ordre du jour ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel.
Très bonne question !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er A