SEANCE DU 13 DECEMBRE 2000
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
Plancade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Plancade.
La commission mixte paritaire n'ayant pu aboutir à un accord sur le projet de
loi relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air
France et aux relations de cette société avec l'Etat, ce texte revient donc une
dernière fois devant le Sénat.
La position du groupe socialiste, que j'ai eu l'occasion d'exprimer à maintes
reprises, n'a pas changé, malgré l'éloquence de Jean-François Le Grand et ses
convictions, exprimées parfois avec beaucoup de force. Celles-ci ne nous ont
pas complètement convaincus.
Tout à l'heure, à la tribune, monsieur le rapporteur, vous avez soutenu que
faire passer de vingt et un à vingt-trois le nombre d'administrateurs d'Air
France n'était pas très important et que nous pourrions faire un effort. Mais
on peut faire le raisonnement inverse : de vingt-trois à vingt et un, la
différence n'est pas grande !
On a beaucoup réfléchi sur ce point et, finalement, l'Assemblée nationale et
le Sénat sont tombés d'accord sur l'essentiel : donner davantage d'autonomie à
la compagnie Air France pour la rendre encore plus commerciale. Nous nous
sommes alors demandé pourquoi nous ne parviendrions pas également à un accord
sur le chiffre de vingt-trois, tel que le propose la majorité sénatoriale. En
effet, on peut toujours penser qu'il est bon que les petits actionnaires soient
représentés. Mais Jean-Claude Gayssot a rappelé tout à l'heure l'affaire du
tunnel sous la Manche.
A y regarder de plus près, cette proposition, bien qu'intéressante, présente
quelques avantages mais, surtout, beaucoup d'inconvénients.
L'avantage, c'est la possibilité de la représentation des petits actionnaires.
Mais ils n'auraient droit qu'à un seul siège, ce qui aurait une incidence
minime et ne modifierait pas sensiblement leur représentation et leur pouvoir
de décision au conseil d'administration.
En revanche, mes chers collègues, les inconvénients seraient beaucoup plus
importants.
Tout d'abord - cela a été dit par M. le ministre - sur le marché de
l'actionnariat, Air France, avec son conseil d'administration à vingt-trois
membres, serait certainement la société cotée en bourse qui aurait le plus
grand nombre d'administrateurs, ce qui n'est pas très bien vu par la communauté
financière, laquelle préfère les conseils d'administration légers et aptes.
En voulant établir un lien entre l'actionnariat et la composition du conseil
d'administration - et c'est ce qui déterminera notre position - on aboutirait,
en fait, à la dilution de la représentation des salariés au sein du conseil
d'administration. Cela pourrait modifier l'équilibre social de cette entreprise
et risquerait d'aboutir à une nouvelle crise sociale, donc économique.
Or je rappelle que cette société, après une grave crise, a redressé sa
situation économique en menant une politique volontariste. Celle-ci s'est
traduite par un accord en 1998 entre le personnel et la direction : une partie
du personnel a accepté de voir son salaire réduit en échange d'actions.
Depuis, Air France se porte beaucoup mieux, car elle a su mobiliser l'ensemble
de son personnel autour de son projet d'entreprise. Son bénéfice a augmenté de
près de 40 % - vous l'avez indiqué, monsieur le ministre - ce qui représente
plus de 2 milliards de francs pour 1999.
Par conséquent, nous ne prendrons pas la responsabilité de modifier cet
équilibre social. C'est ce que je voulais dire à M. Le Grand et à mes collègues
de la majorité sénatoriale. Aujourd'hui, la sagesse consiste, précisément, à ne
pas prendre ce risque, donc à ne pas porter le nombre des administrateurs à
vingt-trois.
Nous regrettons que l'on ait fait une telle obstruction à ce texte, car, au
fond, nous sommes d'accord sur l'essentiel, à savoir l'allègement de la tutelle
étatique sur Air France. Cela nous semble le point le plus important de ce
projet de loi.
C'est pourquoi nous ne voterons pas le texte que nous propose la majorité
sénatoriale et nous le regrettons beaucoup.
M. Pierre Lefebvre.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le ministre, sur ces travées, nous soutenons sans réserve votre
déclaration liminaire.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Très bien !
M. Pierre Lefebvre.
Nous vous remercions, d'ailleurs, d'avoir rappelé avec force qu'Air France est
et restera une entreprise publique.
M. Guy Vissac.
Ça, c'est moins sûr !
M. Jean-François Le Grand,
rapporteur.
Jusqu'en 2003 !
(M. le ministre s'offusque.)
M. Jean-Pierre Plancade.
On a compris !
M. Pierre Lefebvre.
Tout le débat d'aujourd'hui tourne autour de la question de savoir s'il faut,
ou non, deux administrateurs supplémentaires. Faudrait-il au Parlement trois
lectures pour la trancher et permettre l'adoption d'un projet de loi qui
comporte, par ailleurs, des aspects très positifs ? Non, la question est
ailleurs, et elle a son importance.
En effet, notre rapporteur et ses amis ont bien démontré qu'ils avaient pour
volonté, à terme, de privatiser Air France. Ils l'appellent de leurs voeux, ils
ne s'en cachent pas. Voilà le vrai débat, voilà les deux conceptions qui
s'affrontent.
D'ailleurs, je ne suis pas persuadé que nos collègues de la majorité
sénatoriale aient pour souci les petits porteurs d'Air France.
M. René Garrec.
Mais si, nous pensons aux minoritaires !
M. Jean-Pierre Plancade.
Cela vous ennuie qu'il y ait trop de salariés au conseil d'administration !
M. Pierre Lefebvre.
C'est, pour vous, une façon feutrée de nous engager sur le chemin de la
privatisation d'Air France.
M. François Gerbaud.
Mais non !
M. Jean-Pierre Plancade.
Et tout cela pour empêcher les salariés d'assister au conseil d'administration
!
M. Pierre Lefebvre.
Mais regardez donc la situation d'Air France aujourd'hui ; regardez donc ses
résultats. Ils prouvent, monsieur le ministre l'a rappelé, M. le rapporteur
aussi, qu'il n'est pas une tare pour une entreprise d'être dans le secteur
public, car c'est aussi le public qui permettra de donner les moyens à Air
France d'un plus grand développement encore.
Vous savez bien quelle est notre conception : nous souhaitons qu'Air France
puisse continuer à se développer dans le secteur public. C'est la raison pour
laquelle nous allons nous opposer au texte tel qu'il est issu des travaux du
Sénat.
M. Jean-Pierre Plancade.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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