SEANCE DU 11 DECEMBRE 2000
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues,
concernant les conditions de détention dans les prisons françaises et les
conditions de travail des personnels pénitentiaires, qui sont indissociables
les unes des autres, je souhaiterais, ayant eu l'occasion le 21 novembre
dernier, lors du débat portant sur les suites à donner aux conclusions de la
commission d'enquête sénatoriale, d'exposer notre conception d'une politique
pénitentiaire moderne et démocratique, m'arrêter plus particulièrement
aujourd'hui sur la situation des travailleurs sociaux pénitentiaires, qui
jouent un rôle non négligeable en matière d'insertion.
Le malaise est grandissant chez ces personnels, qui se sentent démunis,
désorientés et démotivés face à la pauvreté des moyens matériels et humains qui
leur sont consentis pour accomplir leur mission.
Notre commission d'enquête a dénoncé à juste titre l'insuffisance des moyens
alloués aux services pénitentiaires d'insertion et de probation, les SIPI. Il
est en effet évident que, sur les deux missions incombant à l'administration
pénitentiaire, la dimension sécuritaire est largement dominante par rapport à
la mission de réinsertion sociale, pourtant primordiale.
Ainsi comptons-nous en France 1 800 travailleurs sociaux pour prendre en
charge 135 000 personnes en milieu ouvert et 50 000 détenus !
Et ce n'est pas la réforme à laquelle il est actuellement procédé par décret
ou circulaire, concernant les services d'insertion et de probation, qui va, me
semble-t-il, améliorer la situation.
Au moment où l'on parle de développer les modes alternatifs à l'incarcération
pour incarcérer à la fois moins et mieux, au moment où l'on déplore que les
solutions existantes soient insuffisamment utilisées, faute de moyens, la
réforme en cours vise, en mutualisant les personnels et en incitant ceux du
milieu ouvert à aider leurs collègues des prisons, à gérer la crise et à
fragiliser ainsi la mise en oeuvre des peines alternatives, plutôt qu'à
accorder des moyens nouveaux.
Le rappel à la loi, le sursis, le contrôle judiciaire, la mise à l'épreuve, la
liberté conditionnelle, les travaux d'intérêt général, le bracelet électronique
sont des outils précieux qui exigent une implication totale de la part des
travailleurs sociaux chargés d'en assurer la bonne application.
Or, pour pallier la pénurie, les pratiques professionnelles sont modifiées. Il
est demandé à ces professionnels de s'en tenir à une gestion administrative des
dossiers et d'appréhender de façon très technicienne les situations
sociales.
Ils craignent, en conséquence, que leur mission, qui est d'abord fondée sur le
temps, la relation, l'écoute et l'aide, ne les éloigne, du fait de l'abondance
des tâches administratives, de leur public et ne se transforme peu à peu en
mission de contrôle pénal pur, ce qu'ils ne souhaitent pas.
Ils sont aussi inquiets dans la mesure où ils sont invités, du fait de la
réforme, à quitter les tribunaux où ils étaient pris en charge jusqu'à présent,
qu'il s'agisse des loyers, des charges, du coût des télécommunications ou du
secrétariat, ce qui leur pose évidemment des problèmes de financement et,
surtout, d'implantation des locaux qui leur sont nécessaires.
A Marseille, par exemple, cela signifierait qu'en quittant le tribunal de
grande instance, les quarante personnes formant l'antenne SPIP quitteraient
également le centre-ville, parce que les loyers y sont plus chers, pour trouver
des locaux moins coûteux mais éloignés, y compris des populations dont ils
assurent le suivi.
A cette situation pour le moins préoccupante s'ajoute, pour 2001, un
saupoudrage budgétaire en matière de création d'emplois qui ne paraît pas de
nature à répondre aux exigences du moment, aux réformes et aux enjeux exposés
avec force depuis le début de cette année.
Aussi, je souhaite, madame le garde des sceaux, que vous m'apportiez des
précisions quant à cette réforme afin de rassurer la profession qui se dit
inquiète pour la pérennité de sa mission de service public.
M. le président.
Avant de mettre aux voix les crédits figurant au titre III, je donne la parole
à M. Marini pour explication de vote.
M. Philippe Marini.
Nos rapporteurs ont raison de préconiser le rejet de votre budget, madame la
garde des sceaux, et cela pour toute une série de motifs qui ont été très
clairement exposés tout à l'heure.
Deux de ces motifs me paraissent fondamentaux.
M. le rapporteur spécial a montré qu'en raisonnant par grandes masses au sein
du budget de l'Etat on constate que celui-ci consacre 85 milliards de francs à
la justice, à la police et à la gendarmerie, donc à l'ensemble des moyens
publics mis en oeuvre pour l'application des lois, des règlements et
l'administration de la justice. Or c'est exactement la même somme qui sera
affectée en 2001 au fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales de sécurité sociale, le FOREC, autrement dit pour les 35 heures. Et
ce montant sera encore dépassé par la suite !
Où sont donc les priorités de l'Etat ? S'agit-il d'assurer la sécurité et
d'administrer la justice ou bien de mettre en place un dispositif comme les 35
heures, certes approuvé par une majorité politique mais qui, sur le plan de
l'emploi, de l'activité et de l'équillibre social, peut susciter, vous en
conviendrez, des doutes quant à son efficacité réelle ?
Par ailleurs, les rapporteurs, mais plus particulièrement M. Haenel, ont
justement mis l'accent sur l'écart existant entre la loi et la pratique. Nous
le constatons tous aujourd'hui au vu des conditions d'application de la loi du
15 juin 2000.
Votre prédécesseur, madame le ministre, disait en substance qu'elle ne
proposerait pas de réforme qui ne puisse être financée. Mais c'est également
votre prédécesseur, dont vous êtes nécessairement solidaire, qui a demandé que
la date de mise en oeuvre de cette loi soit fixée au 1er janvier 2001. Il lui
appartenait, il vous appartenait, dès lors que vous avez pris sa succession,
d'obtenir les arbitrages nécessaires, dans une période de croissance, pour
disposer des moyens indispensables à la mise en oeuvre de la loi votée par le
Parlement et, il faut le souligner, singulièrement améliorée par le Sénat,
s'agissant notamment des dispositions assurant une meilleure administration des
nouvelles procédures.
Madame le ministre, la justice vit une crise. C'est, dans une large mesure, la
crise de la loi. La question est bien de savoir quelle est aujourd'hui la place
de la loi. Si le Parlement vote de nouvelles normes et si celles-ci ne sont pas
applicables ou si leur application suscite des difficultés considérables, c'est
la démocratie elle-même, ce sont nos institutions qui se trouvent battues en
brèche.
Je voudrais vous en donner un dernier exemple. Vous avez vous-même évoqué tout
à l'heure ce sujet très délicat, très douloureux, de la mise en oeuvre, pour
lutter contre une forme de criminalité particulièrement odieuse, du fichier
national des empreintes génétiques. Vous avez indiqué, dans votre réponse aux
orateurs, qu'une circulaire avait été diffusée au mois d'octobre dernier. Je
rappelle que la loi dont il s'agit a été promulguée le 18 juin 1998. Cela fait
donc deux ans et demi ! Elle prévoyait plusieurs décrets d'application, qui, si
je ne m'abuse, ne sont pas tous publiés à cette heure.
Chacun sait que la mise en place technique de ce fichier est essentielle pour
donner des moyens nouveaux aux enquêteurs et aux juges dans le cadre d'un
certain nombres de procédures en cours. Vous savez, madame le ministre, quelle
est l'attente des familles des victimes. Bien entendu, je pense
particulièrement à une association que vous connaissez et qui, autour de la
maman d'une Compiégnoise de dix-neuf ans assassinée en 1996, s'efforce de faire
en sorte que le sort de cette malheureuse Angélique ne soit pas oublié et que
les moyens mis à la disposition des enquêtes judiciaires progressent avec
l'accès au fichier national.
Comment faire comprendre à ces personnes qui ont été atteintes au plus profond
de leurs affections que les administrations, que les coordinations
interministérielles, que toutes les strates de la bureaucratie et des
technostructures ont besoin de deux ans et demi, voire plus, pour appliquer
simplement ce qui a été voté, probablement à l'unanimité, par le Parlement ?
Comment faire comprendre cela à des victimes, à des familles de victimes, à des
associations de soutien, alors que, vous l'avez dit vous-même, madame le
ministre, la lutte contre les crimes et les délits sexuels, tares de notre
société, doit être une lutte sans pitié disposant des moyens techniques et
d'investigation les plus modernes ?
Madame le ministre, sur ce sujet - et c'est une raison de plus de mon vote
négatif - je vous ai interrogée par écrit le 22 juin dernier. A ce jour, je
n'ai pas reçu de réponse à cette question écrite, qui faisait suite d'ailleurs
à de très nombreuses démarches.
J'ai cité une association, mais il en existe bien d'autres sur le territoire
national. Dans ce domaine précis, j'ai eu le sentiment, d'après les éléments
d'information qui m'ont été communiqués, que la coordination européenne des
Etats allait plus loin, plus vite, que les approches du seul ministère français
de la justice, ce qui est pour le moins paradoxal. On a le sentiment de
recueillir une écoute plus favorable lorsqu'on représente des familles de
victimes auprès de la présidente du Parlement européen qu'auprès du garde des
sceaux de notre République.
Madame le ministre, il s'agit d'un sujet grave, émouvant, et je suis certain
qu'ayant en main depuis peu les destinées de la Place Vendôme vous aurez à
coeur de faire en sorte que des dispositions techniques opérationnelles,
notamment la mise en oeuvre du fichier national des empreintes génétiques,
permettent aux enquêtes de reprendre et de progresser.
Vous ne m'en voudrez pas, je l'espère, d'avoir utilisé mon temps de parole
dans cette explication de vote pour mettre l'accent sur un drame qui me paraît
nécessiter de la part de l'Etat, de la part de notre République, une écoute
attentive, une démarche secourable et, surtout, la volonté d'aboutir.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je profite de cette explication de vote pour donner quelques précisions à Mme
le garde des sceaux s'agissant des propos qu'elle a tenus tout à l'heure sur
les gels de crédits pour la protection judiciaire de la jeunesse. En 1997, il y
a eu 451 000 francs de gel de crédits. En 1998, il n'y en a pas eu, c'est
exact. En revanche, en octobre 1999, il y a eu 10 millions de francs de gel de
crédits et, au mois de juillet 2000, il y a eu 1 700 000 francs de gel de
crédits. Je n'invente pas ces chiffres ; ils m'ont été transmis par vos
services, madame le ministre !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
M. Bret a fait allusion à la réforme des SPIP.
Cette réforme a été engagée en 1998 pour éviter la rupture entre l'action des
travailleurs sociaux dans les prisons et en milieu ouvert et l'ensemble des
personnels. Ceux que j'ai rencontrés en sont satisfaits.
S'agissant des conditions d'hébergement des travailleurs sociaux, dans les
juridictions où il y a de la place, ceux-ci sont logés à l'intérieur des
tribunaux. Quand tel n'est pas le cas, on leur demande de trouver leur propre
logement. Je regarderai de plus près, mais, à part un ou deux cas peut-être -
celui de Marseille ou celui de Morlaix - je n'ai pas rencontré de problème plus
important.
Monsieur Marini, dans la première partie de votre intervention, vous comparez
les budgets à l'engagement pris sur les 35 heures. Ce n'est pas
comparable,...
M. Philippe Marini.
Les chiffres sont comparables !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
... notamment en matière d'éthique budgétaire.
M. Philippe Marini.
Un franc est un franc !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Vous ne m'écoutez pas quand je réponds ! Vous êtes
désespérant, monsieur Marini !
M. Philippe Marini.
Si, je vous écoute avec intérêt !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Si la vie sociale, si la vie culturelle, si la vie
sportive, si la vie de famille, si tout cela est facilité, je suis intimement
convaincue, comme vous, qu'il y aura moins de délinquance. Vous savez très bien
que les actions que l'on mène pour l'organisation du temps libre sont
extrêmement importantes, en particulier pour les quartiers les plus difficiles.
L'emploi, donc la baisse du chômage, c'est aussi moins de délinquance. Une vie
sociale et familiale plus équilibrée, c'est aussi moins de délinquance. Il
faudrait que vous chiffriez la part de crédits qu'il conviendrait de remettre
dans mon budget. Mais, au-delà, la baisse de la durée du travail me paraît
tellement plus importante !
Par ailleurs, citant Elisabeth Guigou, vous avez dit qu'il n'y avait pas de
réforme sans moyens. C'est exact ! En fait, toutes les mesures qui étaient
proposées dans le projet de loi était financées par anticipation. Des moyens
importants ont été ajoutés par la suite et je continue de le faire. Autant les
amendements parlementaires permettent d'apporter des améliorations, c'est
exact, autant il est difficile de les anticiper, il faut que vous en conveniez
!
M. Pierrre Fauchon.
C'est vrai !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Pour ce qui est du fichier national des empreintes
génétiques, il s'agit d'un dossier technique. Une première réponse de bon sens
a été apportée : toutes les empreintes génétiques, qui sont relevées
systématiquement depuis l'entrée en vigueur de la loi, sont stockées au niveau
de chaque juridiction. Un problème s'est posé : la transmission et le
recoupement des données. En effet, à partir du moment où le relevé des
empreintes génétiques était autorisé, celles-ci pouvaient être utilisées par un
juge d'instruction à une autre fin que pour élucider un crime sexuel.
Il fallait absolument trouver la bonne solution. On a donc effectivement
procédé à la centralisation de ce fichier et une circulaire a été publiée. Pour
ma part, je ne regrette pas le temps qui s'est écoulé entre le vote de la loi
et la mise en place du fichier dans la mesure où aucune empreinte n'a été
perdue ; elles sont toutes à la disposition des juges d'instruction.
Une seule difficulté subsiste aujourd'hui : un juge qui instruit une affaire
dans le nord de la France doit, si nécessaire, aller chercher les empreintes
dans le sud, à l'est ou à l'ouest.
M. Philippe Marini.
Deux ans et demi pour appliquer une loi ! Vous ne me ferez pas croire que
c'est normal, madame le ministre !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Monsieur Marini, si vous étiez capable de trouver le
logiciel qui convenait à la Commission nationale informatique et liberté, il
fallait le dire tout de suite ! Nous aurions gagné du temps, et j'aurais salué
votre grande compétence technique !
(Sourires.)
M. Philippe Marini.
Ce n'est pas une réponse !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Par ailleurs, faisant allusion à l'association «
Angélique » - que nous avons reçue, bien sûr - vous avez dit que vous trouviez
une écoute plus favorable auprès du Parlement européen. C'est tout de même la
France qui a proposé d'étendre toutes les dispositions qui ont été prises pour
la lutte contre la grande criminalité à la lutte contre la criminalité sexuelle
et la pédophilie ! J'ai été très fière, la semaine dernière, de faire cette
proposition et d'obtenir l'accord de la plupart de mes collègues - même si le
Parlement européen, Mme de Palacio le rappelait, a pris un peu plus de temps,
non pas que nécessaire, car ce sont des sujets difficiles, mais que prévu -
pour que Eurojuste se mette en place en mars 2001 et dispose, parmi ses
attributions, de la possibilité d'étendre les enquêtes partagées à ces
domaines.
Il s'agit d'un grand progrès, et c'est à la présidence française qu'on le doit
: il faut rendre à César ce qui appartient à César, et, là, vous n'avez pas été
juste !
M. Philippe Marini.
C'est la France qui est en retard !
Il ne fallait pas voter cette loi si elle est inapplicable !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des
finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 312 |
Nombre de suffrages exprimés | 311 |
Majorité absolue des suffrages | 156 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 212 |
« Titre IV : 65 747 000 francs. »