SEANCE DU 7 DECEMBRE 2000
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
le ministère de l'agriculture et de la pêche.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joël Bourdin,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, mes chers collègues, cette année encore, malgré les circonstances qui
ont particulièrement ébranlé le secteur agricole - les tempêtes de la fin 1999,
la persistance inquiétante de la crise de la vache folle, les difficultés
économiques quotidiennes dans le secteur des pêches maritimes -, le budget de
l'agriculture et de la pêche n'apparaît pas comme un budget prioritaire au sein
du budget de l'Etat.
En effet, il s'élève, pour 2001, à quelque 30 milliards de francs, soit une
augmentation apparente de 2 % par rapport à l'année 2000, mais, à structure
constante, il n'augmente que de 0,6 %, soit sensiblement moins que la hausse de
1,5 % de l'ensemble du budget de l'Etat et sensiblement moins également que la
hausse des prix.
Alors que l'année 2000 a été une véritable année d'épreuves pour l'ensemble du
secteur agricole, épreuves qui auraient dû susciter un véritable engagement de
la part du Gouvernement et entraîner des décisions suivies d'effets, nous
sommes crédités d'actions improvisées dans l'urgence. Le Gouvernement fait
preuve d'une gestion insuffisante et hasardeuse des crises qui affectent le
secteur agricole, insuffisance qui transparaît d'ailleurs dans le projet de
budget de l'agriculture et de la pêche pour 2001.
La crise de l'encéphalite spongiforme bovine, l'ESB, a marqué l'actualité tout
au long de cette année, notamment en raison de l'augmentation continue du
nombre de cas décelés en France. L'annonce, le 14 novembre dernier, du plan
gouvernemental d'urgence de soutien à la filière bovine n'a pas vraiment permis
ni de convaincre ni de rassurer les éleveurs bovins ou l'ensemble des acteurs
de la filière bovine d'ailleurs.
Derrière l'annonce très médiatisée de ce plan de 3,2 milliards de francs en
faveur de l'élevage bovin, complété cette semaine par une aide de l'Union
européenne pour financer notamment le plan d'élimination des farines animales
et la destruction des bovins de plus de trente mois non testés, subsitent de
nombreuses imprécisions.
Les plus évidentes portent sur la nature et le mode de transmission de l'ESB.
Quand on entend un expert - du moins on l'espère -, M. Franz Fischler,
commissaire européen à l'agriculture, déclarer que « l'hypothèse d'une mutation
spontanée des cellules bovines paraît aujourd'hui très vraisemblable », on se
demande si n'est pas venu le temps d'une réflexion cohérente sur ce sujet. Le
fait que le domaine soit incertain n'exclut pas d'élaborer un véritable
consensus éthique à partir des hypothèses les plus vraisemblables !
Il subsiste aussi une imprécision sur les coûts instantanés et dans le temps
que la filière bovine subit ou subira. Les services du ministère, connus pour
leur sérieux et leurs compétences, ont sans aucun doute mesuré les coûts subis
non seulement par les éleveurs, mais aussi, en amont, par ceux qui leur vendent
des intrants, les producteurs de farines, leurs fournisseurs, et, en aval, par
les abattoirs, les conserveries et les bouchers. Certains avancent un coût
instantané de 30 milliards de francs. Ne disposant pas personnellement d'un
modèle très opérant dans ce domaine, je souhaite, monsieur le ministre, que
vous nous fassiez part des estimations auxquelles sont parvenus vos services et
donc des chiffres en votre possession.
Il subsiste encore une imprécision sur votre plan lui-même et sur le
complément financé par l'Union européenne. Alors que maints éleveurs et maintes
entreprises de la filière sont privés de chiffre d'affaires, de revenus, de
trésorerie et accumulent des charges de gestion, le Gouvernement nous propose
des mesures qui ne seront perceptibles que dans le temps ; ces situations
tragiques nécessiteraient pourtant des mesures d'indemnisation immédiates.
Compte tenu du fait qu'il est urgent de faire quelque chose pour ces milliers
de familles désespérées, monsieur le ministre, comptez-vous prendre les mesures
qui s'imposent au lieu de celles qui ont été annoncées ?
Une imprécision subsiste également sur le retrait, le stockage et la
destruction des farines carnées ainsi que sur le coût de ces opérations.
Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière pour l'année qui
vient ?
Une imprécision subsiste enfin sur le programme d'utilisation ou de relance de
la culture des oléoprotéagineux en France.
Monsieur le ministre, il vous faut répondre à ces questions non seulement avec
clairvoyance et lucidité, mais aussi avec courage - vous en avez. Tout ce que
vous ne nous direz pas, nous le saurons bientôt, et tout ce que vous ne ferez
pas, nous le saurons demain !
(M. Raoult rit.)
Le constat pourrait être le même s'agissant de la gestion de la crise dans le
secteur sylvicole à la suite des tempêtes de la fin 1999, qui ont décimé une
grande partie de nos forêts.
Des intentions louables sont affichées par le Gouvernement puisque les crédits
sont en augmentation de 563 millions de francs dans le budget de l'agriculture
pour 2001, soit une hausse de 31 %. Un plan national d'urgence a également été
décidé pour la forêt en janvier 2000.
Mais, sur le terrain, la réalité déçoit les sylviculteurs et les propriétaires
forestiers. En effet, la plupart des aides directes promises par le
Gouvernement ne sont toujours pas parvenues à leurs destinataires, lesquels
sont pourtant dans des situations désespérées. Les moyens financiers mis à la
disposition des propriétaires forestiers privés ne sont pas à la hauteur de la
gravité de la situation.
En outre, le projet de loi d'orientation sur la forêt, dont la commission des
finances s'est saisie pour avis et qui devrait être discuté au Sénat en janvier
2001, est bien en deçà des espérances en matière fiscale et financière.
Tout me porte à penser, monsieur le ministre, que la priorité annoncée pour la
forêt dans votre budget pour 2001 est très mal gérée par le Gouvernement.
Autre secteur, autre crise, autre déception : les pêches maritimes et
l'aquaculture. Ce secteur a connu en 2000 une année d'épreuves marquée par les
sinistres provoqués par les tempêtes et la marée noire liée au naufrage de
l'
Erika
de la fin de 1999, ainsi que par une hausse continue du prix des
carburants menaçant l'existence même des entreprises de pêche. Les événements
de l'été 2000 ont confirmé la fragilité des entreprises, dont la rentabilité
reste tributaire de phénomènes conjoncturels tels que le niveau des cours, les
coûts de production et l'état de la ressource.
Monsieur le ministre, j'aimerais savoir pourquoi, dans ces conditions, les
dépenses en capital, c'est-à-dire aussi bien les dépenses en faveur de la
modernisation et du développement des entreprises de pêche et d'aquaculture que
celles qui sont destinées à l'industrie et à la commercialisation des produits
de la mer, connaissent une baisse de près de 50 % par rapport à ce qui était
prévu pour l'année 2000.
Enfin, concernant toujours la gestion des crises dans le secteur agricole, je
m'interroge, monsieur le ministre, sur cet outil inique que représente le Fonds
national de garantie contre les calamités agricoles, dont les modalités de
financement font l'objet cette année d'un article rattaché, l'article 49 du
projet de loi de finances pour 2001.
Selon la loi, ce fonds doit être financé à parité par l'Etat et les
agriculteurs. Or la contribution de ces derniers a été deux fois et demie
supérieure à celle de l'Etat entre 1993 et 1997. Depuis 1993, le désengagement
de l'Etat est réel, et, cette année encore, la subvention de l'Etat à ce fonds
ne sera que de 50 millions de francs alors que les agriculteurs y participeront
à hauteur de 400 millions de francs. Il serait temps pour le Gouvernement de
remédier à cette injustice.
Vous arguerez, monsieur le ministre, que le Gouvernement participe par
d'autres biais à l'indemnisation des agriculteurs victimes de calamités
agricoles. Soit, mais ce que je conteste ici, c'est que, une fois de plus, une
loi ait été votée et ne soit pas appliquée. En l'occurrence, je dirai que la
loi est bafouée. Dans sa lettre, elle est pourtant claire, puisqu'elle prévoit
que la subvention de l'Etat doit être « au moins égale au produit des
contributions » des agriculteurs. Cette disposition n'est pas respectée.
Autre sujet d'inquiétude cette année : l'échec de la mise en oeuvre des
contrats territoriaux d'exploitation, les fameux CTE. Il n'est que de regarder
la réalité des données budgétaires pour s'en rendre compte ; en 1999, une ligne
budgétaire spécifique est consacrée aux CTE avec la création d'un fonds de
financement doté de 300 millions de francs ; en 2000, la dotation du fonds de
financement est portée à 950 millions de francs, augmentation due
principalement à des redéploiements de crédits. L'objectif du ministère était
de conclure 50 000 CTE d'ici à la fin 2000, et d'atteindre le chiffre de 100
000 CTE conclus en 2002 puis de 205 000 d'ici à 2006.
Pourtant, à la fin de cette année 2000, la désillusion est totale. A ce jour,
guère plus de 4 000 CTE ont été signés par les agriculteurs. La dotation
allouée au fonds de financement des CTE passe pour 2001 à 400 millions de
francs, ce qui représente une réduction de 550 millions de francs par rapport à
2000. Cette mesure est présentée comme une « adaptation de la dotation au
rythme de montée en puissance du dispositif et de son impact sur le niveau des
dépenses correspondantes ».
Je m'interroge cependant, monsieur le ministre, et peut-être pourrez-vous
m'éclairer, sur la nature de cette adaptation : s'agit-il d'un simple
contretemps dans la montée en puissance du dispositif ou d'une véritable remise
en cause ?
Les raisons qui expliquent cet échec cuisant sont multiples. Je me contenterai
de citer la complexité administrative du dispositif, qui le rend hermétique à
la plupart des agriculteurs, ainsi que son mode de financement qui est
contesté. Je voudrais notamment attirer l'attention sur le principe très
critiqué de la modulation des aides dont le produit doit précisément servir au
financement des CTE.
Les critères retenus pour le calcul du taux de modulation des aides ne
reflètent souvent pas le niveau réel de revenu de l'exploitation : l'emploi,
notamment l'emploi salarié, est insuffisamment pris en compte tandis que le
critère de la marge brute d'exploitation est un outil satistique d'une grande
complexité qui conduit à des charges de gestion administrative très lourdes
pour les agriculteurs. Ce système présente également un caractère inéquitable :
ce sont les zones intermédiaires, où les rendements sont faibles ou moyens, qui
sont les plus touchées ; certaines productions à quotas sont épargnées, alors
que d'autres productions sont plus durement touchées en raison de leur montant
d'aides à l'hectare très élevé.
Au total, ce système de modulation des aides, complexe et inéquitable,
entraîne souvent des situations de trésorerie inextricables pour les
agriculteurs concernés. Ainsi, certains d'entre eux, qui sont dans une
situation de détresse en raison de la crise actuelle, vont être appelés
prochainement à contribuer au paiement de leur modulation ; c'est quand même
extraordinaire !
Je voudrais également évoquer devant vous le recul inquiétant de la politique
de la montagne, notamment le démantèlement inacceptable des indemnités
compensatrices de handicaps naturels - ICHN.
Ce dispositif sera modifié en 2001 et, monsieur le ministre, malgré
l'engagement que vous avez pris d'éviter tout bouleversement, de nombreux
exploitants verront sans doute leurs indemnités diminuer, voire totalement
disparaître d'ici à deux ans. En effet, le nouveau dispositif tend à détourner
les ICHN de leurs fonctions premières : l'indemnisation des agriculteurs
confrontés aux handicaps naturels permanents.
J'estime aujourd'hui indispensable que vous vous engagiez à ce qu'aucun
exploitant percevant actuellement les ICHN ne soit exclu du nouveau dispositif
et qu'aucun ne se retrouve avec des indemnités réduites.
Enfin, dernière critique et non des moindres : elle porte sur les résultats
très insuffisants de la politique d'installation menée par le Gouvernement.
Le constat est le suivant : alors que le nombre d'installations aidées est
aujourd'hui en perte de vitesse, le projet de loi de finances pour 2001 prévoit
un montant de dotation aux jeunes agriculteurs - DJA - identique à celui du
budget pour 2000, soit 490 millions de francs, ce qui correspond à 8 000
installations.
Le projet de budget pour 2001 ne reflète donc pas la priorité à l'installation
fixée par la loi d'orientation agricole de 1999. Une revalorisation de la DJA
aurait pu être envisagée, mais il s'agit surtout aujourd'hui de mettre en
oeuvre des actions de promotion du métier d'agriculteur afin de susciter des
vocations, notamment hors du cadre familial. Des outils existent mais ils sont
encore insuffisamment exploités. Des outils fiscaux, notamment, pourraient être
utilisés à bon escient, comme le suggère le récent rapport Marre-Cahuzac
relatif à la fiscalité agricole.
Des solutions sont donc à votre disposition, monsieur le ministre, et je me
désole de ne pas vous voir les prendre en compte.
C'est en fonction de ces observations, et d'autres que je garde par-devers
moi, que la commission des finances a décidé de demander au Sénat de rejeter
les crédits de l'agriculture et de la pêche.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous rappelle que cinq rapporteurs pour avis doivent
intervenir et que de très nombreux orateurs sont inscrits dans la
discussion.
La conférence des présidents a fixé le temps imparti à chacun, y compris en la
circonstance au ministre, afin que l'ensemble des points figurant à l'ordre du
jour puissent être examinés dans les délais prévus.
Je demande donc à chacun de vous de faire les efforts nécessaires pour
respecter scrupuleusement cette consigne.
La parole est à M. César, rapporteur pour avis.
M. Gérard César,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan pour
l'agriculture.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, l'avis sur le projet de budget de l'agriculture que je présente
aujourd'hui, au nom de la commission des affaires économiques, prend une
tonalité particulière au regard des difficultés rencontrées par ce secteur
pendant l'année qui vient de s'écouler, difficultés qui sont actuellement
aggravées par la nouvelle crise qui secoue la filière bovine.
Fragilisée par la diminution du revenu agricole, diminution de 5,7 % pour
l'année 1999 si l'on retient le résultat global agricole comme indicateur et
qui devrait se poursuivre jusqu'à la fin de l'année 2000, voire en 2001, compte
tenu de l'augmentation des coûts des moyens de production tels que les
carburants et les engrais, mais aussi du fléchissement continu des prix
agricoles, l'agriculture française est frappée de plein fouet par les
conséquences des développements récents du dossier de l'ESB.
Confrontés à une diminution de moitié de la consommation de viande bovine, des
milliers d'éleveurs ne parviennent plus à écouler leurs productions.
Comme l'a indiqué le président des coopératives agricoles d'Auvergne lors des
manifestations d'hier, « les étables sont pleines, les abattoirs sont vides ».
Le chômage partiel fait son apparition dans un certain nombre d'abattoirs.
Au regard de cette détresse, les mesures prises par les pouvoirs publics sont
loin d'être à la hauteur. L'enveloppe de 1,64 milliard de francs allouée aux
éleveurs dans le cadre du plan français de soutien à la filière bovine servira
essentiellement à financer non pas le versement d'aides directes, qui
permettraient de compenser les pertes de revenus subies, mais des allégements
et des reports de charge qui ne règleront rien, pas plus que les emprunts à
taux réduits. Les agriculteurs ne veulent plus d'emprunts !
Seuls des effacements de charges peuvent, en effet, concourir à la survie des
éleveurs. En outre, alors que l'efficacité du stockage privé est, on le sait,
très limitée, la mise en place d'un dispositif ambitieux d'intervention
publique, seul à même de redresser les prix du marché, a jusqu'à présent été
refusé.
Le Conseil « agriculture » exceptionnel, réuni lundi sous votre présidence,
monsieur le ministre, n'a, lui non plus, pas répondu aux attentes des éleveurs,
même s'il convient de saluer les mesures sanitaires exigentes prises à cette
occasion. Je soulignerai, à cet égard, l'incertitude qui demeure au niveau de
l'indemnisation des éleveurs dont les bovins sont détruits.
Soutenant par ailleurs sans réserve les mouvements de protestation des
éleveurs, je souhaite vivement que le Gouvernement mette tout en oeuvre,
notamment à l'occasion du sommet de Nice, qui se tient actuellement, mais
également dans le cadre du comité de gestion qui se réunira le 12 décembre,
pour faire adopter à ses partenaires un plan de soutien aux éleveurs à la
mesure du volet sanitaire approuvé lundi dernier.
Dans ce contexte difficile, il faut le souligner, pour l'agriculture
française, ce projet de budget paraît tout à fait insatisfaisant, en raison
tout d'abord de la non-prise en compte réelle des priorités affichées comme
telles par le Gouvernement.
Il en va ainsi des contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, que M. le
rapporteur spécial, Joël Bourdin, vient d'évoquer, dont les crédits, passant de
950 millions de francs en 2000 à 400 millions de francs pour 2001, diminuent de
plus de la moitié, au motif d'une sous-consommation durant l'année 2000, ce qui
est tout à fait vrai.
M. Charles Revet.
C'est la preuve que le dispositif n'est pas adapté !
M. Gérard César,
rapporteur pour avis.
Quelles que soient les réserves qu'appelle cet
instrument, je m'interroge sur la légitimité d'une telle baisse alors que le
faible succès des CTE est en grande partie imputable aux lenteurs
administratives, au caractère contradictoire, nous le savons bien, monsieur le
ministre, de nombreuses circulaires explicatives et à la complexité de la
démarche de signature de ces contrats.
Cette baisse des crédits confirme le constat d'échec des CTE. En effet, au 1er
décembre 2000, seuls 2 334 contrats étaient signés alors que l'objectif du
Gouvernement pour l'année 2000 était, nous nous en souvenons tous, la signature
de 50 000 CTE.
De même, alors que le Gouvernement prétend vouloir réévaluer le montant des
petites retraites agricoles, il n'a toujours pas proposé la création d'un
régime complémentaire obligatoire par répartition. Or, sans la mise en place
d'un tel régime, l'actuel programme de revalorisation, qui arrivera à son terme
à la fin de 2002, ne suffira pas à hisser ces retraites au niveau de celles des
salariés. J'appelle de mes voeux, avec tous les agriculteurs, l'instauration de
ce régime de retraite complémentaire obligatoire, qui exprimerait la légitime
reconnaissance de la nation envers ses agriculteurs.
Au-delà de l'appréciation portée sur les prétendues priorités de ce projet de
budget, je tiens à exprimer deux autres motifs particuliers
d'insatisfaction.
D'une part, la modestie de la dotation au Fonds national de garantie des
calamités agricoles, qui s'élève à 50 millions de francs pour 2001, ne me
paraît pas du tout en mesure de répondre à l'ambition de la mise en place d'une
assurance-récolte, réforme particulièrement attendue, notamment depuis
l'annonce de la remise au Gouvernement du rapport Babusiaux sur les risques en
agriculture. A ce propos, je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, quand
sera rendu public ce rapport qui intéresse fortement le monde agricole. Nous
l'attendons depuis longtemps ; on nous annonce qu'il est prêt, j'aimerais donc
bien en prendre connaissance. Je pense que, à l'image de son rapporteur, ce
rapport sera de qualité.
D'autre part, j'ai constaté à regret que les dispositions fiscales de
l'article 11 du projet de loi de finances, dites d'adaptation de la fiscalité
agricole, ne sont pas à la hauteur de la réforme fiscale ambitieuse que le
monde agricole escomptait depuis la parution du rapport Marre-Cahuzac.
Si je me félicite de l'adoption par le Sénat, il y a quelques jours, de
mesures positives telles que l'exonération des plus-values sur les cessions
réalisées au profit de jeunes agriculteurs, je regrette que le Gouvernement
n'ait pas proposé des mesures d'envergure, en vue notamment de séparer, pour
les exploitants, les revenus du travail et ceux du capital.
Jugeant ce budget globalement insatisfaisant, en raison tant de son manque
d'ambition que des diminutions sectorielles de crédits qu'il inflige à un
secteur économique fragilisé, la commission des affaires économiques a émis un
avis défavorable sur l'adoption des crédits de l'agriculture.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard, rapporteur pour avis.
M. Alain Gérard,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan pour
la pêche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, après les questions agricoles, nous abordons le budget de la pêche.
Ce budget a été, pour la commission des affaires économiques, parfois un motif
de satisfaction, souvent un motif d'inquiétude. Il est vrai qu'il s'inscrit
dans un contexte difficile.
Comme vous le savez, la pêche et les pêcheurs français ont, cette année, été
victimes du pétrole par deux fois : une première fois, en raison de la marée
noire due au naufrage de l'
Erika,
une seconde fois, à cause de la hausse
du prix du gazole. La pêche française a été d'autant plus touchée que les
marins français pêchent essentiellement en dehors des eaux territoriales
françaises, sur les mers d'Islande ou d'Irlande. Cela explique que le gazole
représente jusqu'à 30 % des coûts d'exploitation de certaines entreprises de
pêche. C'est dire combien le triplement de son prix a pu ruiner la rentabilité
de certaines pêches !
Au-delà de ces difficultés, que nous espérons conjoncturelles, notre
inquiétude concerne également le long terme. La flotte de pêche française ne
cesse de décliner. Elle a diminué de moitié depuis 1992. Le nombre d'emplois
décroît également de façon continue depuis dix ans.
Si cette tendance se poursuit, il est à craindre que, dans une décennie ou
deux, la flotte de pêche française ne soit plus composée que de bateaux à
vocation touristique.
Il me semble que les pouvoirs publics, à Paris, mais surtout à Bruxelles,
s'accoutumeraient de cette situation, que, pour notre part, nous refusons
d'envisager. Il n'y a aucune fatalité au déclin de la pêche française et au
développement de la pêche irlandaise, pour ne citer qu'elle.
Je dis cela, parce que l'on a parfois l'impression que la Commission
européenne envisagerait sans réticence une spécialisation géographique de la
pêche européenne dans des pays dont la France ne fait manifestement pas
partie.
La Commission des affaires économiques et du Plan estime que le Gouvernement
doit défendre notre tradition maritime et tout mettre en oeuvre pour développer
et moderniser nos entreprises de pêche.
Dans ce contexte difficile, le plan gouvernemental en faveur de la pêche,
adopté cette année, est un motif à la fois de satisfaction et d'inquiétude.
Force est de constater qu'il a été bien accueilli par les professionnels. Les
indemnisations et les allégements de charges fiscales et sociales prévues
devraient permettre de réduire les difficultés financières de ces entreprises.
On peut toutefois s'interroger, monsieur le ministre, sur les raisons pour
lesquelles le FIPOL, le Fonds international d'indemnisation pour les dommages
dus à la pollution par les hydrocarbures, met tant de temps à instruire les
dossiers d'indemnisation.
La commission des affaires économiques espère que le Gouvernement a pris
toutes les précautions pour que ce plan soit jugé compatible avec le droit
communautaire. Ce ne serait par rendre service aux pêcheurs que de leur offrir
un nouveau plan textile ! Nous aimerions savoir, monsieur le ministre, où en
sont les négociations communautaires sur ce point ? Il serait inadmissible que
les entreprises de pêche aient à rembourser les aides que l'Etat leur aurait
consenties.
D'autres dossiers sont avant tout des motifs d'interrogation.
Il s'agit, notamment, de la réglementation de l'exercice de la pêche côtière.
Des propositions de réforme ont été soumises au ministre. Le rapport Bolopion
prévoit une série de mesures tendant à une exploitation durable des ressources
dans la bande côtière des douze miles. Quelles sont celles que le Gouvernement
entend retenir ?
Vous avez également été saisi de plusieurs propositions de réforme de
l'organisation des activités portuaires. La commission des affaires économiques
estime, sur ce point, que la séparation des activités portuaires et des
activités liées aux criées peut être de nature à clarifier les missions de
chacun.
Le remplacement de la taxe à la criée par une facturation à la prestation me
semble soulever plus de difficultés. Un tel système pourrait, en effet,
favoriser l'éclatement des prestations et réduire le caractère redistributif
des tarifications. Nous aimerions connaître, monsieur le ministre, votre
position sur ce point.
L'avenir dépendra également - c'est un euphémisme - des autorités
communautaires. Nous avons assisté, l'année dernière, à une réforme des actions
structurelles de la Communauté dans le secteur de la pêche et à une réforme de
l'organisation commune des marchés.
La commission des affaires économiques avait exprimé ses plus vives
préoccupations face aux mesures relatives au renouvellement et à la
modernisation de la flotte. De même, l'ouverture excessive aux importations
prévue par le texte relatif à l'organisation commune des marchés n'a pas manqué
d'inquiéter.
La prochaine étape, mes chers collègues, est la réforme de la politique
commune de la pêche d'ici à 2002. Sur ce point, les professionnels se sont déjà
exprimés. Ils souhaiteraient, notamment, que les programmes d'orientation
pluriannuels, les POP, soient très largement réformés. Il conviendra de les
écouter.
De même, la réforme des taux autorisés de capture et des quotas que vous
devriez adopter, monsieur le ministre, au Conseil européen des 14 et 15
décembre prochain, suscite les plus vives inquiétudes des professionnels.
Un mot, enfin, des crédits de la pêche, qui diminuent cette année de 4,8 %.
Certes, les dotations consacrées à l'adaptation de la filière pêche augmentent
de 8 %, mais celles qui sont destinées à la modernisation de la flottille
diminuent de 50 %
Mes chers collègues, l'incertitude qui pèse sur le plan gouvernemental en
faveur de la pêche, comme sur les orientations actuelles de la politique
communautaire de la pêche, et la faiblesse du budget, à un moment où ce secteur
connaît tant de difficultés, ont conduit la commission des affaires économiques
à donner un avis défavorable quant à l'adoption des crédits de la pêche pour
2001.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Revol, rapporteur pour avis.
M. Henri Revol,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan pour
le développement rural.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, avant de vous présenter l'avis de la commision, je voudrais
faire deux remarques.
La première concerne un problème qui a déjà été évoqué par notre éminent
collègue Joël Bourdin, celui des tempêtes qui ont été très durement ressenties
par la population vivant en zone rurale. En effet, en de nombreux endroits, les
habitants ont été coupés du monde pendant plusieurs jours.
Ces tempêtes ont, par ailleurs, causé dans les forêts françaises des dégâts
sans précédent, mettant à terre un volume de bois de près de 140 millions de
mètres cubes.
Si les pouvoirs publics ont pris, à la suite de ces tempêtes, un certain
nombre de mesures en direction des agriculteurs, des populations vivant en zone
rurale et du secteur forestier, on peut néanmoins regretter que les moyens dits
« d'urgence » aient été mis tardivement à la disposition de leurs
destinataires. Par ailleurs, les mesures de soutien prises en faveur des
propriétaires forestiers et des communes forestières n'ont pas été à la hauteur
des attentes.
Ma seconde remarque sera pour souligner les mécontentements suscités par
certains volets du nouveau plan français de développement rural, en particulier
celui qui réforme les indemnités compensatoires de handicaps naturels.
Le nouveau régime proposé tend, en effet, à transformer ces indemnités en
simples mesures agri-environnementales, ne tenant plus compte des difficultés
spécifiques que doivent affronter les agriculteurs en zone de montagne. Il aura
pour conséquence, vu les critères restrictifs retenus par le Gouvernement,
d'exclure du dispositif près de 10 % des bénéficiaires actuels.
Grâce à la mobilisation des organisations professionnelles agricoles et des
élus de la montagne, à laquelle je m'associe totalement, vous vous êtres
engagé, monsieur le ministre, à renégocier ce dossier à Bruxelles. J'aimerais
savoir où en est actuellement cette négociation.
En ce qui concerne, maintenant, les crédits du développement rural, je me
contenterai, compte tenu du temps qui m'est imparti, de souligner deux points
marquants.
La progression des crédits consacrés à la forêt, pour importante et légitime
qu'elle soit, ne compense toutefois pas les dégâts que celle-ci a subis à la
fin du mois de décembre 1999. Il faut donc souhaiter que cette augmentation de
crédits ne soit pas un simple affichage, comme cela semble avoir été le cas
pour une partie des crédits alloués dans le cadre du plan national pour la
forêt.
En outre, j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur la nécessité de
prolonger cet effort financier sur le plan fiscal, en particulier par la mise
en place d'un dispositif fiscal d'incitation à l'investissement forestier. A
cet égard, je souhaiterais connaître les propositions du groupe de travail dont
la mise en place avait été annoncée par le Gouvernement lors de l'examen de la
loi d'orientation pour la forêt à l'Assemblée nationale.
Les dotations affectées à la compensation de handicaps ou de contraintes
spécifiques, notamment à l'agriculture de montagne, doivent faire l'objet d'une
appréciation particulière.
La commission des affaires économiques a particulièrement critiqué la
diminution de 17,7 % des crédits affectés aux indemnités compensatoires de
handicaps naturels.
A la suite des protestations des agriculteurs et des élus de la montagne, vous
avez annoncé, monsieur le ministre, l'octroi de 500 millions de francs
supplémentaires à la politique de la montagne. J'aimerais savoir quand ces
crédits seront effectivement alloués et quelle en sera la répartition. Il
serait souhaitable qu'ils soient utilisés, au moins en partie, pour assouplir
les seuils de chargement retenus pour le versement des indemnités
compensatoires de handicap naturel, les ICHN, et donc pour réintégrer dans le
dispositif les bénéficiaires exclus par la réforme.
Je déplore également la stagnation de la dotation allouée aux bâtiments
d'élevage et à la mécanisation en zone de montagne, qui devrait, compte tenu de
la reconduction de l'enveloppe affectée au programme de maîtrise des pollutions
d'origine agricole, s'établir à 74 millions de francs. Il est urgent de
procéder à une revalorisation substantielle de cette dotation, dès lors que de
nombreux exploitants en zone de montagne n'ont pas encore, faute de crédits,
accès à ces aides.
Enfin, je constate, à l'instar de notre collègue Gérard César, le succès pour
le moins mitigé des contrats territoriaux d'exploitation, qui étaient pourtant
censés devenir la pièce maîtresse de la politique de développement rural. Alors
que le nombre de contrats signés est très loin d'atteindre les objectifs
affichés, il y a lieu de déplorer la diminution de 58 % des crédits affectés
aux CTE et de s'interroger sur la légitimité des prélèvements opérés, pour les
financer, à travers la modulation, sur le revenu d'une partie des
agriculteurs.
En conséquence, la commission des affaires économiques a émis un avis
défavorable quant à l'adoption des crédits de développement rural inscrits dans
le projet de loi de finances pour 2001.
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. André Lejeune.
C'est la majorité de la commission des affaires économiques qui en a décidé
ainsi.
M. le président.
La parole est à M. Dussaut, rapporteur pour avis.
M. Bernard Dussaut,
rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan pour
les industries agricoles et alimentaires.
Monsieur le président, monsieur
le ministre, mes chers collègues, avant de vous présenter l'avis de la
commission des affaires économiques sur les crédits consacrés, dans le projet
de loi de finances pour 2001, aux industries agroalimentaires, je souhaite
formuler quelques remarques relatives à la situation de ce secteur économique
et à l'évolution de son environnement juridique.
Avec une production en augmentation de 1,4 % en volume et un chiffre
d'affaires s'établissant à 709,6 milliards de francs pour l'année 1999, ce
secteur affiche une croissance honorable, quoique encore modeste du fait du
fléchissement des prix à la production, de la faible progression de la
consommation des ménages ainsi que du ralentissement des exportations. En
outre, les industries agroalimentaires constituent un secteur moteur à la fois
pour l'emploi, avec une augmentation de 1,8 % des effectifs, et pour les
échanges extérieurs, la balance commerciale ayant dégagé l'année dernière, sur
ce poste, un excédent de près de 62 milliards de francs.
Cette relative bonne santé n'en est pas moins régulièrement affectée par la
multiplication des crises alimentaires, qui ne laissent pas d'inquiéter les
consommateurs. Je pourrais évoquer les épisodes d'alerte à la listeria, qui
mettent parfois en péril des filières entières, comme celle de la charcuterie
au début de cette année. Mais, compte tenu de la gravité de la situation
actuelle, je m'en tiendrai à l'évocation des effets de ce qu'il est maintenant
convenu d'appeler la nouvelle crise de l'ESB sur la filière de la viande
bovine.
Eleveurs, abattoirs, ateliers de découpe, industries de la transformation sont
confrontés à une diminution sans précédent, de l'ordre de 50 %, de la
consommation de viande bovine par les ménages, de sorte que la pérennité des 50
000 emplois de la filière est aujourd'hui menacée.
En dépit des mesures prises en faveur des industries de la viande dans le
cadre du plan de soutien à la filière, cette crise entraînera vraisemblablement
la restructuration d'un certain nombre d'entreprises agroalimentaires, mais
également, il faut l'espérer, l'affirmation de nouvelles filières, si l'essor
annoncé de la production d'oléo-protéagineux se confirme.
L'ampleur des récentes crises alimentaires et la forte réactivité des
consommateurs à leur égard plaident en faveur d'un renforcement et d'une
harmonisation des règles de sécurité sanitaire en vigueur. De ce point de vue,
les progrès réalisés cette année à l'échelon européen ont été significatifs.
L'adoption par l'Union européenne d'un livre blanc sur la sécurité alimentaire
et le projet, qui en découle, de création d'une autorité alimentaire européenne
indépendante chargée, en collaboration avec les agences nationales, de
l'évaluation des risques vont dans le bon sens.
L'adoption, en janvier 2000, de deux importants règlements sur l'étiquetage
des organismes génétiquement modifiés doit également être signalée.
Plus récemment, la prise de conscience de la dimension européenne de
l'épidémie d'ESB a enfin permis l'adoption de mesures communes à l'ensemble des
Etats membres, telle la suspension de l'utilisation des farines animales.
Dans ce contexte, les crédits alloués aux industries agroalimentaires dans le
projet de loi de finances pour 2001 ont également pris en compte l'objectif de
sécurité et de qualité alimentaires, notamment par la progression des moyens de
l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
En revanche, la diminution de 3,3 millions de francs des crédits consacrés à
la promotion des ventes, en particulier sur les marchés étrangers, de produits
agricoles et alimentaires, et qui sont pour l'essentiel destinés au financement
de la société pour l'expansion des ventes des produits agricoles et
alimentaires français, la SOPEXA, apparaît comme regrettable.
Outre le fait que cette baisse des crédits s'inscrit dans une tendance de
moyen terme que la commission des affaires économiques a déjà critiquée les
années précédentes, elle paraît particulièrement inopportune. En effet, le
soutien des exportations de certains produits, notamment des viandes, est
actuellement plus que nécessaire, compte tenu de l'effondrement de la demande
extérieure de viande bovine française et du renchérissement des coûts de
production des autres filières de viande, lié à l'interdiction des farines
animales.
En ce qui concerne plus particulièrement la SOPEXA, je voudrais connaître,
monsieur le ministre, l'état des travaux de clarification du régime
administratif et financier de cet organisme, que vous aviez évoqués devant la
commission des affaires économiques.
Contrairement aux conclusions de son rapporteur pour avis, la commission des
affaires économiques a émis un avis défavorable quant à l'adoption des crédits
alloués aux industries agroalimentaires dans le projet de loi de finances pour
2001.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Vecten, rapporteur pour avis.
M. Albert Vecten,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour
l'enseignement agricole.
Monsieur le ministre, avant d'analyser le budget,
je voudrais évoquer le climat préoccupant qui règne aujourd'hui dans
l'enseignement agricole, marqué par les tensions qu'ont suscitées les propos
tenus en votre nom lors de la dernière réunion du Conseil national
d'enseignement agricole. Ces propos appellent de ma part des questions
auxquelles je souhaite que vous répondiez clairement. Voulez-vous opposer
public et privé, au mépris de l'esprit des lois de 1984 et des réalités de
terrain ? Est-il question de porter la part de l'enseignement public à plus de
50 % des effectifs ? Souhaitez-vous recentrer les formations agricoles sur la
production et l'agroalimentaire ?
L'inquiétude qu'ont engendrée ces propos confirme les craintes que m'a
inspirées le budget pour 2001. En effet, l'effort engagé en faveur de
l'enseignement agricole se ralentit.
A structure constante, les crédits de l'enseignement agricole progresseront,
en 2001, de 2,46 % contre 3,58 % en 2000. Les moyens supplémentaires seront
essentiellement consacrés au renforcement des moyens en personnels de
l'enseignement public.
Les créations d'emplois, dont le nombre est comparable à celles de cette
année, sont cependant encore loin d'apporter une réponse définitive aux
difficultés des établissements, en particulier pour les personnels non
enseignants.
En revanche, il convient de saluer l'effort significatif de résorption de
l'emploi précaire, dont l'importance excessive résulte de l'insuffisance
chronique des créations d'emplois constatées dans le passé.
Si ces meures vont dans le bon sens, le budget traduit également des
évolutions préoccupantes et, à ce titre, suscite bon nombre d'interrogations
pour l'avenir, que ce soit pour l'enseignement public ou l'enseignement
privé.
Les dépenses pédagogiques des établissements agricoles publics augmenteront en
2001 à un rythme de moitié inférieur à celui qui a été constaté cette année. Ce
ralentissement contraste avec les besoins des établissements, dans
l'enseignement technique, contraint depuis plusieurs années de vivre
d'expédients, comme dans l'enseignement supérieur, dont les moyens sont sans
rapport avec les objectifs qui lui sont assignés.
L'évolution des subventions aux établissements d'enseignement privé soulève
aussi de sérieux motifs d'inquiétude, surtout à la lumière de ce que j'évoquais
tout à l'heure.
S'agissant des établissements du second degré, je souhaiterais savoir,
monsieur le ministre, comment sera financée la réforme du statut des
professeurs de lycées professionnels. L'éducation nationale a prévu, dès le
collectif de printemps, les moyens correspondants pour le public comme pour le
privé. Mais dans le budget de l'enseignement agricole, rien n'est prévu pour
l'enseignement privé. Je souhaite obtenir de votre part, monsieur le ministre,
des éclaircissements sur cette différence de traitement qui constitue une
entorse au principe de parité.
Quant aux établissements d'enseignement supérieur privé, la revalorisation de
leurs subventions est à nouveau ajournée. L'étude réalisée à votre demande par
le Comité national d'évaluation a pourtant mis en lumière qu'ils n'ont pas les
moyens d'assurer leur mission de service public, en particulier dans le domaine
de la recherche.
Tout cela est préoccupant. Mais la commission des affaires culturelles s'est
aussi inquiétée de l'absence de réflexion prospective sur l'enseignement
agricole. Cet enseignement attire désormais moins que par le passé. Pour la
première fois, à la rentrée 2000, ses effectifs ont diminué. Cela tient, bien
sûr, pour partie aux évolutions démographiques et au tassement de la tendance à
l'allongement des études. Mais la « fermeture » des formations agricoles
imposée à partir de 1997 n'est certainement pas non plus étrangère à ce
phénomène. J'avais vigoureusement combattu cette vision malthusienne. Aucune
ambition nouvelle ne l'a encore remplacée. Le succès de l'enseignement agricole
mérite pourtant mieux qu'une gestion au fil de l'eau.
Le constat n'et guère plus encourageant pour l'enseignement supérieur. La
modernisation des structures marque le pas. La loi d'orientation de 1999 n'a
pas permis de développer de nouveaux pôles de compétence. Les relations entre
les établissements d'enseignement supérieur et les organismes de recherche sont
insuffisantes au regard de la demande sociale en matière de sécurité sanitaire
et de protection de l'environnement.
Le projet de budget ne permet donc guère de préparer l'avenir de
l'enseignement agricole et c'est pour cette raison que la commission des
affaires culturelles a donné un avis défavorable quant à l'adoption des crédits
de l'enseignement agricole pour 2001.
M. Hilaire Flandre.
Elle a eu raison !
M. Albert Vecten,
rapporteur pour avis.
J'ajouterai, monsieur le ministre, que toute
perspective de rupture de la paix scolaire serait encore plus dangereuse, pour
cet avenir, qu'un médiocre budget.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 63 minutes ;
Groupe socialiste, 41 minutes ;
Goupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 37 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 17 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des
présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser 10
minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu, au maximum,
pour 50 minutes.
Mes chers collègues, vingt-sept orateurs sont inscrits dans la discussion
générale, Si chacun d'eux dépasse son temps de parole de une ou deux minutes,
je vous laisse le soin de penser à quelle heure la séance se terminera cette
nuit ! Je compte donc sur votre solidarité envers les collègues qui
interviendront cet après-midi et ce soir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les craintes
exprimées par nos compatriotes vis-à-vis de leur alimentation et la crise sans
précédent qui frappe la filière bovine me conduisent à consacrer l'essentiel de
mon intervention à l'encéphalite spongiforme bovine, l'ESB, en ma qualité de
président du groupe de l'élevage.
Je placerai cette intervention sous le double signe de la santé publique et du
souci de sauvegarder une composante essentielle de notre économie agricole et
alimentaire.
L'ESB est une maladie à prion, le prion étant une protéine pathogène qui se
développe dans le système nerveux central des animaux, provoquant des troubles
neurophysiologiques dont les manifestations chez les bovins sont voisines de
celles qui ont été constatées de longue date chez les ovins atteints de la
tremblante du mouton.
Il n'est pas excessif de dire que la « maladie de la vache folle » est une
maladie d'importation. En effet, le laboratoire vétérinaire central britannique
a identifié en novembre 1986 un premier cas d'ESB chez une vache qui présentait
des symptômes neurologiques atypiques. Les recherches effectuées ont montré que
cette maladie provenait sans aucun doute des farines de viande et d'os ingérées
par les bovins. Or, au début des années quatre-vingt, les autorités
britanniques ont diminué les contraintes de fabrication - température et
pression - des farines animales, alors que l'on sait que, pour détruire le
prion, il faut chauffer les denrées animales à une température de 133 degrés
pendant vingt minutes et sous une pression de trois bars.
Ce relâchement des précautions dans la fabrication des farines animales en
Grande-Bretagne est de toute évidence à l'origine de la prolifération de l'ESB
qui a touché au Royaume-Uni 180 000 bovins, qu'il a fallu abattre.
En juillet 1988, le ministre de l'agriculture britannique a interdit
l'utilisation des farines d'origine animale dans l'alimentation des bovins tout
en maintenant l'autorisation d'exporter ces farines, ainsi que les abats à
risque, jusqu'à leur interdiction, en France, en 1990.
En 1996, les recherches effectuées en Grande-Bretagne ont mis en évidence le
franchissement de la barrière des espèces, la « maladie de la vache folle »
pouvant être transmissible à l'homme sous la forme de la variante de la maladie
de Creutzfeldt-Jakob. Cette découverte a provoqué la première grande crise qui
a affecté la filière bovine.
Le 22 mars 1996, la France, suivie de plusieurs autres pays de la Commission
européenne, a décidé l'embargo sur les importations de viande bovine. Dès 1990,
notre pays avait déjà proscrit l'utilisation des farines de viande dans
l'alimentation des bovins. Il faudra attendre le 14 novembre 2000 pour que le
Gouvernement français, après la mise en garde du Président de la République,
étende cette interdiction aux porcs, aux volailles et aux poissons.
La crise actuelle, qui est à l'origine d'une chute de 50 % de la consommation
de viande bovine, a été provoquée par l'introduction dans l'abattoir d'un
animal malade, étant toutefois précisé que les procédures de sécurité et de
traçabilité ont parfaitement fonctionné : pas le moindre gramme de cette vache
n'est sorti de l'abattoir pour être livré aux consommateurs.
Il est paradoxal que notre pays, qui est relativement peu touché par l'ESB,
fasse l'objet d'un embargo par certains des pays membres de l'Union européenne
qui n'ont pas pris les mêmes précautions que la France, tant en matière de
détection de l'ESB que du point de vue sanitaire. Ces mêmes pays, en vertu du
principe de la libre circulation des produits, peuvent exporter des viandes et
des animaux qui ont été alimentés avec des farines carnées.
Il me semble utile, monsieur le ministre, mes chers collègues, de rappeler les
mesures engagées par les gouvernements successifs, en liaison avec la
profession, pour assurer la sécurité alimentaire de nos compatriotes : mise en
oeuvre de la traçabilité de la filière bovine de l'élevage au consommateur ;
interdiction de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des
ruminants depuis 1990 ; promotion de labels et de certifications sur l'origine
française de la viande bovine - label viande bovine française - et renforcement
du caractère informatif de l'étiquetage - il faut bien convenir que cette
mesure ne parvient plus à rassurer les consommateurs ; abattage de tous les
animaux d'un troupeau dans lequel un cas d'ESB est décelé ; développement des
contrôles préventifs systématiques dans les régions particulièrement exposées ;
interdiction de la commercialisation des parties du corps des bovins
susceptibles de présenter des risques - cervelle, moelle épinière, intestins,
thymus, qui sont détruits par incinération ; enfin, mise en place de l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA.
Or, malgré ces dispositifs, la confiance des Français dans leur alimentation
diminue d'une manière alarmante. Une récente étude du centre de recherche pour
l'étude et l'observation des conditions de vie, le CREDOC, montre que 63 % des
consommateurs estiment que les produits alimentaires présentent des risques
pour la santé. Parmi les produits alimentaires, les viandes sont suspectées à
hauteur de 21 %, alors que - et cela n'est pas la moindre surprise - l'alcool
n'est considéré comme un produit à risque qu'à hauteur de 6 % de l'ensemble des
produits alimentaires.
Paradoxalement, au fur et à mesure que les mesures dictées par le principe de
précaution sont engagées, la confiance des consommateurs se dégrade, comme si
ces dispositions de sécurité sanitaire confirmaient la réalité d'un risque
alimentaire.
J'ajouterai que le rôle de certains médias a contribué à susciter ou à
aggraver la psychose qui a gagné les consommateurs. Il importe, dès lors, comme
l'a décidé le ministre de la recherche, de développer les recherches relatives
aux maladies à prion et de tenter de mettre au point un test de dépistage du
nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob : 25 millions de francs
supplémentaires sont prévus à cet effet.
Face à la véritable psychose qui s'est emparée des Français depuis quelques
semaines, et qui s'est traduite par une diminution de 40 à 50 % de la
consommation de viande bovine, il convient de rassurer nos compatriotes. Il y a
lieu, tout d'abord, de confirmer que le prion n'est pas présent dans le muscle
des bovins et que toutes les parties à risques du corps des animaux sont
éliminées de la chaîne alimentaire.
S'agissant des risques de transmission de l'ESB à l'homme, il convient de se
garder de tenir des propos excessivement alarmistes, comme l'a fait récemment
la secrétaire d'Etat à la santé.
Avant d'examiner les décisions arrêtées à Bruxelles le 5 décembre dernier, je
souhaite aborder les mesures nationales que vous avez engagées, monsieur le
ministre, en faveur des éleveurs et des autres agents de la filière affectés
par la crise de l'ESB.
S'agissant des exploitants directement touchés par la crise, puisqu'il
n'existe pratiquement plus de marché et que les prix se sont effondrés, je
crains, monsieur le ministre, qu'on ne puisse se limiter à consentir de
différer le versement des cotisations sociales. Le plan que vous avez présenté
le 21 novembre dernier prévoit 1,64 milliard de francs d'aides, dont 400
millions de francs émanent du fonds d'allégement des charges. C'est dérisoire !
Les éleveurs viennent tout juste de rembourser le différé de 1996 à la
Mutualité sociale agricole, la MSA.
Il aurait fallu, me semble-t-il, s'orienter vers des aides directes aux
éleveurs de bovins qui ne peuvent commercialiser leurs animaux et engager le
stockage public et privé. Les prêts bonifiés accordés à hauteur de 500 millions
de francs, à 1,5 % de taux d'intérêt, ne permettront pas aux éleveurs de
reconstituer, de manière significative, leur trésorerie gravement affectée par
la crise. N'aurait-il pas fallu instituer des primes à l'abattage ?
J'ai bien noté la mise en place d'une aide à la promotion à l'exportation des
jeunes bovins. Nous ne saurions méconnaître que c'est l'ensemble de la filière
qui est touchée : les producteurs, les négociants, les abattoirs, les tripiers,
les ateliers de découpe. Les entreprises de la filière qui emploient
cinquante-mille salariés sont d'ores et déjà contraintes de recourir au chômage
technique, les salariés n'étant indemnisés qu'à hauteur de 29 francs de
l'heure.
Un décret du 1er décembre dernier a fixé les conditions d'indemnisation des
entreprises productrices de farines et de graisses animales. Mais je le répète,
monsieur le ministre, face au désarroi des producteurs et des entreprises, il
faut mettre en place d'urgence des mesures directes pour intervenir
efficacement sur la trésorerie des éleveurs et des entreprises. L'Union
européenne, depuis l'origine de la crise, a peiné à définir une politique
cohérente face à la « maladie de la vache folle » et aux dispositions de nature
à l'éradiquer.
Au cours de la période récente, je relève que le Conseil agricole européen du
20 novembre a été une véritable cacophonie, nos partenaires s'opposant à la
proposition française d'interdire le recours aux farines carnées pour tous les
animaux d'élevage.
La détection de cas d'ESB en Allemagne et en Espagne ayant démontré que
l'épizootie ne s'arrêtait pas aux frontières, les Quinze ont décidé, le 5
décembre, de « suspendre » - sans doute définitivement - l'utilisation des
farines de viandes et d'os dans l'alimentation des animaux. Je vous donne acte,
monsieur le ministre, que cette décision a été obtenue sur la proposition de la
présidence française. Voudriez-vous indiquer au Sénat quel sera le coût, pour
l'Europe et pour notre pays, de l'interdiction des farines animales ?
Je ne méconnais pas les difficultés que rencontrera notre pays pour stocker ou
incinérer des centaines de milliers de tonnes de farines et de corps gras.
Il est essentiel, pour remplacer les farines de viande et d'os, de développer
notre production de protéines végétales et, par conséquent, de renégocier, dans
le cadre de l'OMC, les accords de Blair House de 1992, qui limitent la
production européenne d'oléagineux. Il est urgent, en outre, d'accroître la
production de protéagineux. Rappelons que, lors des négociations, notre pays
avait été contraint de geler une superficie de 1,5 million d'hectares
susceptibles d'être affectés à la culture d'oléoprotéagineux.
Vous avez prévu des crédits pour organiser le testage des bovins. Aujourd'hui,
je pense qu'ils sont peut-être insuffisants en termes de personnels qualifiés.
Mais, à la lecture des deux amendements que vous avez déposés et que je viens
de découvrir, monsieur le ministre, je vous annonce que moi-même je voterai,
avec beaucoup de mes collègues, ces crédits de l'article 31 qui me paraissent
essentiels.
Le retrait des animaux non testés, dont on ignore le coût, sera cofinancé par
l'Union à hauteur de 70 %, le reste incombant aux Etats membres. Votre budget,
monsieur le ministre, pourra-t-il supporter cette charge nouvelle ? Nous
attendons vos précisions.
Certaines régions, Pays de la Loire, par exemple, se sont déclarées prêtes à
participer à l'effort de traçabilité et de promotion des viandes bovines de
qualité. Ma région envisage ainsi de consacrer à ces mesures 125 millions de
francs en deux ans, en partenariat avec l'Europe et l'Etat.
Le laboratoire départemental de la Sarthe a proposé sa candidature à votre
ministère pour la réalisation des tests de dépistage de l'ESB dans le cadre de
l'enquête épidémiologique, au printemps dernier. Il n'a pas été retenu. Je vous
propose de nouveau sa candidature pour participer à la réalisation des analyses
sur la chaîne d'abattage des animaux de plus de trente mois.
Vous êtes, monsieur le ministre, confronté à un double défi. Vous devez, ainsi
que l'ensemble de vos collègues concernés par ce dossier, d'un côté, rassurer
nos compatriotes de sorte qu'ils retrouvent la confiance dans les viandes de
qualité que produisent nos éleveurs, en particulier les producteurs du troupeau
allaitant, et ce en leur rappelant une chose toute simple : nos animaux mangent
de l'herbe, du foin et de l'ensilage de maïs, complémenté parfois par du grain
produit sur l'exploitation. Vous devez, d'un autre côté, tenter de restaurer
l'équilibre économique de l'ensemble de la filière bovine qui, gravement
menacée par la crise actuelle, ne survivrait pas à une poursuite dans la durée
de la chute de la consommation de viande bovine.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur
le projet de budget de l'agriculture pour 2001 prend une tonalité particulière
compte tenu de l'actualité qui secoue la communauté agricole, et plus
particulièrement la filière bovine, ces dernières semaines. J'y suis d'autant
plus sensible que la Haute-Saône a connu son quatrième cas d'ESB ces jours-ci,
et que j'ai rencontré moi-même, comme beaucoup d'entre vous, je pense, les
éleveurs sur le terrain. Ils sont inquiets, subissent la situation plus qu'ils
ne voient venir ce qui pourrait leur redonner confiance.
Le Gouvernement a adopté un plan en sept volets pour répondre aux impératifs
de santé. Parmi les mesures prises, on note un moratoire sur les farines
animales, qui a été suivi par le conseil agricole européen de lundi dernier. Le
groupe du RDSE ne peut que se féliciter de cette décision. Elle répond tout à
fait aux conclusions que nous avions déjà tirées à l'occasion de notre colloque
de juin dernier qui avait réuni, sur le thème de la « vache folle », d'éminents
spécialistes scientifiques, des responsables politiques et des représentants de
la filière à la fois britanniques et français. Il est dommage que ni votre
cabinet ni vos services n'aient souhaité répondre à notre invitation, monsieur
le ministre.
Lors de cette journée, des interrogations s'étaient également élevées sur la
nécessité réelle d'abattre tout un troupeau pour un cas d'ESB. Perdre son
troupeau pour un éleveur passionné, comme le sont souvent les éleveurs, est
toujours vécu comme un drame. Et toutes les mesures qui pourront être mises en
place ne pourront effacer cette cicatrice dans la vie de l'éleveur et de
l'homme.
Vous avez répondu à la psychose de l'opinion, monsieur le ministre, et je vous
sais gré de votre pugnacité auprès de vos collègues européens. Mais il serait
également souhaitable aujourd'hui que vous répondiez à la détresse de tous les
acteurs de la filière bovine.
Certes, vous avez annoncé un plan national d'urgence de 3,2 milliards de
francs auxquels a été ajoutée une enveloppe de 500 millions de francs en prêts
bonifiés. Mais il semble que ce plan n'ait pas convaincu. Il recèle beaucoup
d'imprécisions que nous souhaiterions vous voir lever. Il semble que certains
crédits étaient déjà alloués, que d'autres soient de simples reports de
cotisations.
Beaucoup de questions demeurent, notamment après les décisions du Conseil
européen. Comment vont s'articuler les deux plans, national et européen ?
Quelle sera l'exacte indemnisation des éleveurs, en contrepartie de la mesure
de destruction-achat des bovins âgés de plus de trente mois ? Quelles seront
les orientations du plan « protéines » ? Quand aurons-nous les premiers
enseignements du programme de dépistage - 48 000 tests - lancé en juin ?
Je ne vais pas énumérer toutes les questions que se posent légitimement les
éleveurs. Je sais que votre tâche est lourde, monsieur le ministre, mais la
suspicion est jetée sur une filière et il faut l'aider à retrouver la
confiance, la confiance en elle-même et la confiance des consommateurs.
Pour revenir à votre projet de budget pour 2001, il reflète à la fois la
poursuite d'actions traditionnelles engagées depuis plusieurs années et des
priorités nouvelles résultant des crises de confiance et des événements
climatiques.
Je me réjouis, à cet égard, de l'augmentation des crédits alloués à
l'enseignement agricole ou encore à la forêt, qui a particulièrement souffert,
l'an dernier, avec la tempête de décembre. Force est de constater néanmoins que
ce budget ne semble pas porteur d'ambitions pour la politique agricole. Outre
l'échec incontestable des CTE, ni les moyens en diminution de l'agriculture
productive, ni les dotations insuffisantes en faveur des aides à l'installation
ne permettent d'engager l'agriculture française dans des choix stratégiques
pour l'avenir.
Enfin, bien des secteurs comme l'environnement, les retraites, la fiscalité,
mériteraient une attention accrue.
Avec la création des CTE par la loi d'orientation agricole votée en 1999, le
Gouvernement a entendu initier une véritable rupture idéologique dans la
politique agricole française. Or, le moins que l'on puisse dire est que cette
révolution culturelle n'a pas véritablement trouvé d'écho dans les campagnes,
comme l'ont souligné les rapporteurs.
M. Roland Courteau.
C'est faux !
M. Bernard Joly.
Vous avez récemment déclaré que ce nouvel outil faisait appel avant tout à
l'intelligence des agriculteurs. Avec 1 700 CTE souscrits et environ 2 000 en
cours, comment interpréter ces propos ? Il faut sans doute y voir une
maladresse et la marque d'un embarras de votre part, car il est vrai que l'on
est loin des objectifs affichés par votre ministère.
Les raisons de cet échec manifeste sont nombreuses. Ainsi, la complexité et
l'illisibilité de la réglementation ont rendu l'outil hermétique pour les
agriculteurs ; l'administration locale est trop pointilleuse ; les dispositifs
sont jugés trop contraignants ou trop exigeants ; l'intérêt financier est
limité et ne permet pas de couvrir le surcoût engendré par la réalisation des
investissements rendus nécessaires, et, par-dessus tout, les modalités de
financement des CTE par la modulation sont sérieusement contestées.
Alors que le budget pour 2000 avait dégagé 950 millions de francs pour les
CTE, le projet pour 2001 s'établit à 400 millions de francs. Même compensé par
le report des crédits non consommés en 2000, on ne peut que regretter ce
désengagement de l'Etat d'un outil qu'il qualifie lui-même de « pilier de
l'agriculture multifonctionnelle ».
Manque également sérieusement d'ambition la politique d'aide à l'installation.
Cette année, la dotation aux jeunes agriculteurs s'élève à 490 millions de
francs, soit un niveau identique à celui de 2000. Les actions de formation à la
préparation à l'installation sont, elles aussi, simplement reconduites. Quand
on sait que l'installation des jeunes est en chute libre, il y a de quoi
s'étonner !
L'émergence des préoccupations environnementales ces vingt dernières années a
conduit à la mise en cause des pratiques agricoles. L'évolution vers une
agriculture intensive a indéniablement eu des répercussions parfois lourdes sur
l'environnement ; je pense notamment à la pollution des nappes phréatiques dans
certaines régions.
Conscients de ces risques et de l'attente croissante des consommateurs, les
agriculteurs se sont, depuis quelque temps, engagés d'eux-mêmes dans la voie de
pratiques culturales plus respectueuses de l'environnement. Il est
particulièrement regrettable que ce projet de budget ne vienne pas soutenir les
efforts entrepris. Les moyens consacrés aux mesures agri-environnementales sont
en diminution. Même si elle est en augmentation sensible, la dotation au
programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, le PMPOA, reste
modeste eu égard aux objectifs de ce programme.
Toujours au chapitre agriculture et environnement, j'en viens au problème de
l'épandage des boues des stations d'épuration, sujet à propos duquel j'ai déjà
interrogé Mme Voynet, mardi dernier, lors de la discussion de son projet de
budget.
D'ores et déjà, 60 % des 7 000 tonnes de boues produites chaque année font
l'objet d'un épandage, mais cette pratique a soulevé des questions dans un
contexte de sensibilité accrue de l'opinion publique au regard des risques
sanitaires. Les intérêts divergents entre élus et agriculteurs ont favorisé la
concentration des rejets sur certains sites, ce qui n'est en aucun cas
satisfaisant. Aujourd'hui encore, la Haute-Saône accueille des boues de
départements voisins.
Un projet d'accord national a été proposé aux différents acteurs concernés par
cette pratique. Il semble qu'un consensus semble s'être dégagé en faveur de
l'épandage. Monsieur le ministre, la grande distribution a-t-elle fait savoir
son adhésion explicite à ce projet ? Est-il proposé une gestion des boues par
département ?
Enfin - ce sera mon dernier point - je traiterai des retraites agricoles. La
revalorisation se poursuit, mais deux réformes essentielles pour les
agriculteurs demeurent en souffrance. Il s'agit de la mise en place d'un régime
de retraite complémentaire et de la mensualisation des retraites agricoles.
Au-delà du strict cadre de votre budget, les inquiétudes se portent sur le
niveau des revenus des agriculteurs. A l'inverse des autres secteurs
économiques, qui ont tous bénéficié de la croissance, le secteur agricole a
accusé une baisse de revenu de 10 % l'an dernier. Certes, cette baisse est due
à la conjonction de plusieurs facteurs : la baisse continue des prix mondiaux,
les aléas climatiques et l'augmentation des coûts de production liée à la
hausse du prix des carburants.
Mais il faut dire aussi que certaines des mesures prises par le Gouvernement
amputent un peu plus encore les résultats des exploitations. Je pense là à la
TGAP sur les produits phytosanitaires et aux taxes qui se profilent à l'horizon
avec la réforme de la politique de l'eau.
Tout cet argent prélevé sur les revenus des agriculteurs semble échapper à un
secteur qui est le grand oublié de la reprise économique.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Bernard Joly.
Pour toutes ces raisons, la majorité du groupe du RDSE votera contre ce
budget.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup
d'événements douloureux sont venus perturber voire remettre en cause les
activités du secteur agricole et de la pêche.
Tandis que la forêt subit encore les conséquences désastreuses des tempêtes de
fin décembre 1999, que la pêche et la conchyliculture souffrent, qui des
pollutions maritimes, qui du renchérissement du dollar et du prix du gazole, la
filière agroalimentaire en général, et la filière bovine en particulier,
connaît une récession sans précédent, consécutive aux suspicions nées de la
crise dite de la « vache folle ».
Soulignons d'ores et déjà qu'aux aides et plans de sauvetage destinés aux
secteurs les plus touchés, inclus dans le collectif pour 1999, s'ajoutent, dans
le projet de budget pour 2001, les 3 milliards de francs supplémentaires pour
l'ensemble de la filière bovine.
Le budget de l'agriculture et de la pêche avec 29,617 milliards de francs
s'inscrit à structures constantes en hausse de 0,6 %, soit deux fois la norme
choisie pour l'ensemble des crédits budgétaires.
Si l'on ajoute les engagements du budget annexe des prestations sociales
agricoles et divers autres financements d'environ 74 milliards de francs, dont
68 milliards de francs d'origine communautaire, l'augmentation en volume
atteint 3,65 %. Ces chiffres témoignent d'un important effort quantitatif.
D'un point de vue qualitatif, l'effort n'est pas non plus négligeable.
La priorité donnée aux dépenses en capital - 35 % en autorisations de
programme et 13,8 % en crédits de paiement - participe d'un souci qui vise à
inscrire l'agriculture dans une dynamique de long terme.
Un effort particulier à travers l'ouverture d'un crédit de bonification de 300
millions de francs est opéré en faveur de la forêt.
C'est donc un budget globalement encourageant.
On peut distinguer quatre priorités dans l'action gouvernementale : le
renforcement des contrôles sanitaires et de la prévention des risques
alimentaires ; le développement d'une agriculture multifonctionnelle dans le
cadre du programme de développement rural national ; l'intensification des
actions en faveur de la formation, tout particulièrement au profit de
l'enseignement supérieur agricole ; la relance de l'ensemble du secteur
forestier, dans la perspective de la mise en oeuvre de la loi d'orientation sur
la forêt, dont la discussion est prévue pour janvier 2001 dans cet
hémicycle.
S'agissant des enjeux de la sécurité alimentaire, ma collègue Odette Terrade
reviendra plus largement sur la question dans la suite de la discussion.
Je centrerai donc mon intervention sur les autres aspects et sur les priorités
retenues, au travers de l'analyse des données économiques du secteur.
L'examen de la situation due à la dérive productiviste n'a fait qu'accentuer
la tendance à la baisse des prix et donc la dégradation du revenu agricole.
La chute des cours de la plupart des productions agricoles a conduit à une
diminution de 4 % du revenu agricole moyen par actif en 1999.
En 2000, le prix des gros bovins, qui s'était maintenu, s'effondre, pour des
raisons que nous connaissons. L'ensemble des productions animales se porte
plutôt mieux. On doit noter le redressement du prix du porc, qui permet aux
producteurs de commencer à combler les lourds déficits accumulés les deux
années précédentes, et la nécessité de poursuivre la relance de la production
ovine.
Les grandes cultures souffrent des contraintes du GATT, qui limite le volume
des exportations subventionnées. Quant aux fruits et légumes, le bilan reste
mitigé.
Sur la longue période, en francs constants, les prix alimentaires à la
consommation sont demeurés quasiment stables, alors que les prix à la
production ont été divisés par deux.
Où est passée la différence, est-on tenté de dire ?
Tandis que la production agricole ne cessait d'augmenter en volume, sa valeur
ne cessait de décroître.
La réduction de la population active agricole et l'incorporation du progrès
technique ne suffisent pas à expliquer ce paradoxe, et il faut se livrer à une
analyse serrée des bouleversements d'ordre socio-économique de ce secteur
d'activité.
La course effrénée à l'accroissement des rendements, la pression permanente
sur les cours - tandis qu'une bonne partie de la valeur ajoutée est accaparée à
l'aval de la filière agroalimentaire, que ce soit par les industries de
transformation ou par le secteur de la grande distribution - ont conduit à
cette dérive.
La pression tendancielle à la baisse des cours, et donc des coûts, ne cesse de
s'imposer.
Inverser cette logique permettrait pourtant d'assurer un revenu décent aux
agriculteurs.
Cette pression se traduit aussi dans d'autres secteurs - céréaliers,
oléagineux... - par une concurrence accrue au niveau international visant la
conquête des parts de marché et la spécialisation sur les créneaux les plus
juteux et les plus directement spéculatifs.
Dans ce jeu concurrentiel, il y beaucoup de perdants et peu de gagnants.
Pour autant, les contradictions ne font que s'accumuler.
La substitution des oléagineux et protéagineux aux farines animales frappées
d'interdiction risque d'accroître les importations en provenance des Etats-Unis
et de nous contraindre à accepter le pire de l'OMC, sauce Blair House ou White
House.
Pourriez-vous nous préciser, monsieur le ministre, le poids réel de ces
accords sur la production nationale et européenne ainsi que notre liberté de
manoeuvre au sein de l'Europe concernant ces productions et les aides pouvant
leur être attribuées ? Il serait en effet important que, dès février 2001, les
premières cultures de pois et féveroles puissent être ensemencées afin de
réduire progressivement notre déficit en protéines végétales.
Essentiellement d'origine transgénique, ces importations peuvent causer des
risques qu'en l'état actuel de nos connaissances nous sommes bien incapables de
mesurer. Il ne faudrait pas, monsieur le ministre, tomber de Charybde en Scylla
!
La France utilise environ 32 millions de tonnes de protéines végétales, dont
environ 70 % sont importés. Réduire la dépendance de l'agriculture française et
européenne en utilisant les surfaces qui sont en jachère, voire celles qui sont
utilisées à des fins exportatrices, est une nécessité. Les biocarburants qui
libèrent des tourteaux et la réorientation de certaines cultures peuvent
également y contribuer. Je pense notamment au maïs.
Pour les besoins restants, l'approvisionnement pourrait provisoirement
s'effectuer auprès des pays, tel le Brésil, qui ont exclu les OGM de leur
production.
La multifonctionnalité de l'agriculture vise à inscrire celle-ci au coeur d'un
processus de développement durable et à promouvoir une agriculture de qualité,
participant de l'aménagement du territoire.
Au coeur du dispositif, on trouve les contrats territoriaux d'exploitation.
Le contrat territorial d'exploitation, en misant sur les multiples
potentialités offertes par l'agriculture, incite les exploitants agricoles à
développer un projet économique global.
La souplesse des formules CTE-exploitation, CTE-transmission, CTE-installation
permet une adaptation aux besoins et suscite un intérêt important chez les
jeunes.
Des financements importants ont été débloqués, un cofinancement communautaire
à hauteur de 50 % obtenu. Ayant reçu un écho favorable au niveau européen, ce
type de dispositif pourrait inspirer d'autres pays.
Certes, le démarrage de cette nouvelle formule est lent. Pour l'instant,
moins de 3 000 CTE ont été signés, mais plusieurs milliers d'autres sont en
cours de conclusion.
La crise actuelle de l'ESB suffit à elle seule à justifier les CTE. L'enjeu
est bien de produire propre, de produire durable, de produire solidaire, pour
s'assurer la confiance du marché des consommateurs.
La situation actuelle illustre bien cette situation avec la mévente, les
importations accrues, la santé publique mise en danger. Voilà à quoi mène le
libéralisme, qu'il soit de nature agricole, agroalimentaire ou industrielle
!
Les temps changent, monsieur le ministre !
L'Union européenne vient de suivre la France en décidant l'interdiction des
farines animales et la systématisation du dépistage de l'ESB pour les animaux
de plus de trente mois.
Un modèle de développement de l'agriculture semble avoir échoué.
Notre agriculture, en s'appuyant sur ces acquis, en développant, comme l'y
invite ce projet de budget, la formation des jeunes exploitants, notamment dans
le domaine de l'enseignement supérieur, peut jouer demain, de nouveau, un grand
rôle dans l'économie du pays.
Le projet de budget de la pêche pour 2001 connaît une progression de 7,9 %,
tout en restant modeste. A l'issue d'une année noire marquée par les dégâts des
tempêtes et par le naufrage de l'
Erika
et de l'
Ievoli Sun
, le
monde de la pêche révèle encore davantage ses faiblesses : déficit du commerce
extérieur, à hauteur de 13 milliards de francs ; entreprises fragilisées par la
dégradation des ressources naturelles ; multiplication des réglementations ;
augmentation du cours des carburants, réticence, compréhensible à investir.
Je salue la volonté de porter un effort particulier en direction de la
modernisation des navires et de l'aquaculture, le succès de ce dernier secteur
étant étroitement lié aux nouvelles pratiques agricoles contenues dans les CTE,
mais aussi à la sécurité maritime.
L'an passé, j'avais évoqué, monsieur le ministre, les dégâts provoqués par la
pratique de la pêche minotière, qui porte atteinte aux ressources. Quel sera
l'impact de ces pratiques eu égard au déficit en protéines de la France et de
l'Europe, monsieur le ministre ?
La procédure d'urgence d'allégement des charges qui a suivi l'augmentation du
prix des carburants va-t-elle être remplacée par une politique de
défiscalisation adaptée des carburants ?
Un système de taxation des produits dangereux pour l'environnement circulant
dans le rail d'Ouessant ne pourrait-il pas être négocié à l'organisation
maritime internationale, l'OMI et venir en aide à ceux qui en sont les victimes
chroniques, ce système ne les exonérant pas, évidemment, de l'indemnisation des
catastrophes ?
Au regard de ces remarques et de ces questions, monsieur le ministre, nous
sommes conscients de votre volonté de faire progresser harmonieusement le monde
de la pêche et celui de l'agriculture. Aussi, nous voterons ce budget.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de
l'agriculture que nous examinons cette année s'inscrit dans un contexte
particulier. En effet, la crise qui nous frappe depuis plusieurs mois,
accentuée depuis quelques semaines de manière irraisonnée, fait que nous vivons
dans une suspicion permanente.
De plus, la situation est paradoxale. Alors que les Français, d'une manière
générale, apprécient l'image d'une France rurale qui cultive et préserve ses
terroirs, ils se méfient de plus en plus de ses productions, persuadés qu'elle
est capable du meilleur comme du pire.
Pourtant, il s'agit bien, aujourd'hui, d'identifier le vrai coupable dans de
telles pratiques, et c'est peut-être aussi pour nous le moment de nous arrêter
un instant sur nos systèmes de production, qui privilégient des méthodes
intensives pour toujours plus de profit.
Monsieur le ministre, votre administration et les responsables professionnels
doivent se mobiliser pour conforter la mise en oeuvre de la loi d'orientation
de juillet 1999.
Les deux points forts de votre section sont, tout d'abord, la loi
d'orientation et les CTE, qui ont déjà donné le ton face à la nécessaire
réconciliation, qui était devenue urgente, entre l'agriculture et la société -
mon collègue André Lejeune y reviendra - et, ensuite, les décisions courageuse
prises depuis 1997 par le Gouvernement de M. Lionel Jospin : aucun autre
gouvernement européen n'a accordé autant d'importance aux graves problèmes que
connaît l'agriculture et n'a joué autant la carte de la transparence. Ainsi,
au-delà de l'application du principe de précaution, nous pouvons - je veux le
dire avec force ici - nous enorgueillir d'avoir, dans notre pays, une vraie
politique de prévention et de maîtrise des risques.
Permettez-moi de revenir un instant sur les discussions qui ont alimenté le
conseil agricole européen des 20 et 21 novembre, ainsi que la toute dernière
rencontre européenne.
Grâce à votre opiniâtreté, monsieur le ministre, vous êtes parvenu sinon à
obtenir un accord, du moins à fixer une ligne de conduite européenne.
Je tiens à rappeler que l'Espagne et l'Italie se détournent des produits de
l'élevage français pour préférer les produits allemands, nettement moins
contrôlés que les nôtres, et que la Finlande et la Suède n'ont pris aucune
mesure de dépistage.
Toutes ces actions marquent la volonté du gouvernement français de respecter
le consommateur, tout en protégeant le producteur.
C'est votre politique qui, dans ce domaine, va tirer les autres pays vers le
haut, notre collègue Yolande Boyer reviendra sur cette question.
Dans ces conditions, chacun comprendra l'ambition principale du projet de
budget qui nous est soumis : il s'agit de conforter par tous les moyens
l'esprit de la loi d'orientation, afin de faire vivre une agriculture
raisonnée, respectueuse des hommes qui en sont les acteurs.
Ce budget traduit donc la poursuite d'une politique en faveur d'une nouvelle
agriculture, tout en confortant les moyens plus traditionnels qui sont mis à sa
disposition et qui s'élèvent à 29,617 milliards de francs.
Toutefois, pour quantifier l'effort global réalisé en faveur de l'agriculture,
il ne faut pas oublier l'ensemble des autres concours financiers qui y sont
consacrés.
Ainsi, le budget annexe des prestations sociales agricoles - notre collègue
Bernard Piras aura l'occasion de revenir sur ce sujet - s'élève à 73,874
milliards de francs pour financer l'action sociale, et les autres financements,
notamment ceux qui sont en provenance de l'Europe, représentent 68 milliards de
francs de retours européens. L'ensemble de ces concours dégagent donc plus de
177 milliards de francs en direction de notre agriculture.
Le Gouvernement nous soumet un budget doté de moyens à la hauteur de ses
choix, et je tenais, monsieur le ministre, à l'exprimer clairement.
Ces choix, quels sont-ils ?
En 1999, nous avons voté la loi d'orientation agricole, qui dessine et affirme
les grandes tendances que nous souhaitons donner à notre politique agricole.
Ces tendances doivent être, au fil des années, au fil des budgets, traduites
par des dispositions plus concrètes et dotées de moyens financiers. La première
volonté du budget pour 2001 est donc, comme cela a déjà été le cas l'an
dernier, de mettre en oeuvre cette loi, de la faire vivre.
Votre deuxième choix n'est pas des moindres dans la période troublée que nous
vivons, et nous l'en approuvons d'autant plus : il s'agit de la sécurité
alimentaire.
Enfin, la dernière volonté traduite par ce budget est de soutenir notre
patrimoine forestier, fortement dévasté par les intempéries de la fin de
l'année 1999.
Vos choix affichés, il faut les doter de moyens.
J'aborderai tout d'abord les mesures traditionnelles en faveur de notre
agriculture : en effet, afin de développer une agriculture multifonctionnelle
pour l'avenir, il s'agit d'abord de consolider des secteurs prioritaires comme
l'installation des jeunes agriculteurs, le soutien aux filières et les
productions de qualité.
Alors que les aides au départ connaissent une baisse de 16 %, liée tout
simplement à la structure des classes d'âge, la dotation aux jeunes
agriculteurs s'établit à 490 millions de francs, ce qui permettra de financer
près de 8 000 installations.
Les soutiens nationaux sont une nouvelle fois confirmés : c'est le cas pour
les indemnités compensatoires de handicap naturel, ou ICHN, qui sont dotées de
1 284 millions de francs, mais aussi pour les zones défavorisées, en
augmentation de 32 %, ou pour la PMTVA, la prime au maintien du troupeau de
vaches allaitantes, dont le budget pour 2001 permettra le financement de la
deuxième tranche d'un programme qui prévoit, en trois ans, de relever le niveau
de la prime nationale de 30 euros à 50 euros.
Le PMPOA, le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole,
enregistre, pour sa part, une augmentation de 19 %.
Le soutien aux filières est maintenu avec la reconduction des crédits octroyés
aux offices agricoles, pour près de 3 milliards de francs.
Enfin, permettez-moi d'aborder la question des retraites agricoles, qui,
conformément aux engagements pris en 1997, connaissent une nouvelle hausse, ce
qui leur permet d'approcher sensiblement l'objectif fixé pour 2002.
Je salue, certes, cette avancée significative sur un dossier qu'aucun autre
gouvernement n'avait pris à bras-le-corps ; pour autant, les niveaux atteints
restent encore faibles et une question essentielle reste encore à régler,
monsieur le ministre : je veux parler de la mensualisation des retraites
agricoles.
A cet égard, je tiens à souligner que notre groupe a déposé un amendement
relatif aux retraites des personnels de l'enseignement privé.
Ce budget consolide donc les acquis, mais il mobilise également les moyens
nécessaires pour un développement harmonieux et durable de notre
agriculture.
Nous avons besoin, pour cela, d'un enseignement agricole de qualité, pour que
les jeunes soient bien formés. Ce budget nous en donne les moyens - nous en
sommes très heureux ! - et il traduit un effort tout particulier en direction
de l'emploi, aussi bien en termes de créations de postes que de résorption
significative de l'emploi précaire dans le domaine de l'enseignement.
En conclusion, permettez-moi, monsieur le ministre, en préambule, en quelque
sorte, à l'intervention que feront dans un instant certains de mes collègues -
de vous rappeler quelques-unes des revendications que nous souhaiterions vous
voir prendre en compte, car vos réponses sont très attendues par le monde
agricole.
Tout d'abord, la profession espère une augmentation significative des
envelopppes financières afin de soutenir le monde de l'élevage à la suite de la
crise de l'ESB. Mais j'ai cru comprendre qu'une partie des amendements que vous
aviez déposés sur les titres III et IV pourraient apporter une réponse à cette
question.
Toujours en ce qui concerne l'ESB, il faut éviter que les indemnités versées
aux agriculteurs ne subissent des pénalisations fiscales.
Dans ce même domaine fiscal, je veux revenir sur un souhait que j'ai déjà
exprimé à cette tribune : les aides contractuelles du type CTE ne doivent plus
être considérées comme une créance dès la signature du contrat.
Enfin, dans le domaine des plus-values sur la transmission des biens, le
rapport Marre-Cahuzac fait apparaître le souhait qu'une véritable distinction
soit recherchée entre les biens maintenus dans l'activité agricole et ceux qui
sont cédés à d'autres fins.
Après ces quelques remarques d'ordre général d'autres collègues du groupe
évoqueront plus en détail des questions plus précises liées aux productions,
aux filières, aux CTE, au BAPSA, etc.
En tout cas, je signale d'ores et déjà que le groupe socialiste s'associera au
vote de l'Assemblée nationale en faveur d'une agriculture courageuse et
responsable.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits
demandés au titre de l'agriculture et de la pêche pour 2001 s'élèvent à 29,617
milliards de francs, soit une progression de 2 %. C'est donc une augmentation,
certes, mais une augmentation, qui n'est qu'apparente et se limite, en réalité,
à 0,6 % à structure constante.
J'aurais souhaité, compte tenu des enjeux actuels, un engagement plus marqué
de la part du Gouvernement, estimant que nombre de préoccupations des
exploitants agricoles sont insuffisamment prises en considération.
Dans un contexte de crise de confiance exprimée par les consommateurs mais
également par les producteurs, qui manifestent leur inquiétude face à des
difficultés répétées qui, chaque fois, déstabilisent et fragilisent un peu plus
notre agriculture, il eût été pertinent, me semble-t-il, de la part du
Gouvernement, de montrer clairement sa solidarité et son soutien face à ces
importantes remises en question.
Or, je constate qu'il n'en est rien, car bien des aspects essentiels pour
garantir l'avenir et rassurer les exploitants sont tout simplement passés sous
silence. Je me permettrai, monsieur le ministre, d'en souligner les principaux
dans la suite de mon propos.
Je débuterai par un constat bien regrettable, auquel il faut pourtant se
résoudre, car il est bien réel : l'agriculture n'attire plus. En effet, il est
aisé de constater, en considérant la diminution constante du nombre
d'installations de jeunes, que cette profession a fortement perdu de son
attrait. Cette évolution est très préjudiciable au dynamisme des zones rurales,
les chiffres du dernier recensement ne faisant que confirmer la tendance au
vieillissement de la population et à la désertification de nos campagnes.
Il est important de mettre en exergue certaines difficultés qui sont à
l'origine de cette désaffection.
D'abord, l'internationalisation des échanges induit une tension perpétuelle
sur les prix, dont le mode de fixation traduit une concurrence de plus en plus
vive qui, finalement, entraîne une diminution constante des prix des produits
agricoles.
Cette situation a naturellement une incidence très négative sur le revenu des
agriculteurs et n'encourage pas les jeunes à s'engager dans ce métier.
Je regrette en effet que les ressources des agriculteurs soient
continuellement en diminution en francs constants et que, de ce fait, cette
catégorie soit de plus en plus exclue du bénéfice de la croissance.
Je considère donc qu'il est indispensable de repenser la valorisation des
produits agricoles dans le contexte actuel, où les préoccupations de sécurité
alimentaire prennent toute leur importance.
En effet, les différentes mesures mises en place en matière de traçabilité,
d'identification et de certification ont forcément un coût, et il serait
rationnel que les consommateurs en prennent pleinement conscience.
Les produits agricoles de base, qui sont ensuite transformés, ont un coût. Ce
coût ne peut être inférieur au prix de revient de nos agriculteurs, la notion
de référence à un prix mondial ayant quelque chose de virtuel lorsque l'on sait
que les Etats-Unis ont subventionné leur agriculture, l'an dernier, à hauteur
de 21 milliards de dollars !
La même réflexion vaut concernant les rapports de l'agriculture et de la
grande distribution. Cette dernière ne peut se permettre, à court terme, de
continuer à capter la majeure partie de la valeur ajoutée des produits
agro-alimentaires.
La contractualisation entre agriculture et distribution est appelée à se
développer sur la base de cahiers des charges devant impérativement rester la
propriété des éleveurs. Si tel n'est pas le cas, le Gouvernement prendra une
lourde responsabilité au regard de l'équilibre et de l'harmonisation de la
société et des territoires.
Ce premier point que je viens d'évoquer est primordial et recouvre, en fait,
une question que chacun se pose, mais à laquelle personne n'a, à ce jour,
apporté de vraie réponse : quel avenir pour notre agriculture, quelle place
pour elle dans la société ?
Face à la crispation passéiste des uns, à l'engagement productiviste des
autres, il convient d'apporter une autre réponse pour l'agriculture du
caractère xxie siècle.
Les contrats territoriaux d'exploitation étaient censés apporter cette réponse
permettant une réconciliation entre l'agriculture et l'ensemble de la société.
Cette fausse bonne réponse n'a pas été acceptée par les agriculteurs, si j'en
crois les premiers résultats de sa mise en oeuvre.
J'en profite pour souligner que 350 millions de francs ont été perdus par la
France, à cette occasion, à partir du milliard de francs prélevé au titre de la
modulation, pour cause, précisément, de non-évolution de cette mesure.
Je souhaite malgré tout que nous revenions sur ce sujet, au cours des mois à
venir, car si, malheureusement, la profession agricole n'a pas répondu à la
mise en place des CTE, c'est, me semble-t-il, parce que ce n'était pas la bonne
réponse ; mais, il faudra bien en proposer une autre !
Dans le même état d'esprit, je soulignerai l'intérêt de la constitution à
court terme d'un système de retraite complémentaire obligatoire et par
répartition. En effet, la grande majorité des agriculteurs est désormais
convaincue de la nécessité de créer un tel système pour améliorer les
perspectives de retraite des exploitants en activité et pour servir
immédiatement un complément de retraite aux actuels retraités. J'insiste,
toutefois, sur la nécessité d'obtenir un engagement financier du Gouvernement
pour soutenir ce régime, en raison de l'important déséquilibre démographique
auquel il devrait faire face.
Il me semble également important de souligner le poids de la fiscalité qui
pèse sur le revenu des agriculteurs. Je regrette la création de la TGAP, qui
est appréhendée essentiellement comme une taxation supplémentaire.
Il serait pertinent, là aussi, de revoir radicalement cette approche. Les
agriculteurs sont parfaitement conscients de l'importance de l'environnement et
ils sont acquis à sa protection. Mais, il faut en convenir, l'approche du
Gouvernement est fondée plus sur la fiscalisation que sur l'orientation et
l'éducation, puisqu'il s'agit de financer la réduction du temps de travail en
imposant une profession qui dépasse largement les trente-cinq heures
hebdomadaires !
Je ne puis m'empêcher de souligner également l'incohérence à laquelle nous
conduit l'application de la TGAP. Le coût de la luzerne déshydratée, par
exemple, devrait augmenter, cette année, de plus de 17 %, précisément à cause
de la TGAP énergie, au moment même où la suppression des protéines animales
dans l'alimentation animale nous oblige à importer des protéines végétales.
Taxer notre propre production de protéines végétales, qui est largement
insuffisante, serait inconcevable !
En ce qui concerne l'ESB, je prends acte, pour m'en réjouir, de la décision
d'interdire les farines animales sur l'ensemble du territoire de l'Union
européenne. Je m'étais permis, dès le 27 octobre dernier, de souligner que
cette décision était urgente et ne pouvait qu'être communautaire.
Je regrette toutefois que l'Union européenne ne se soit pas engagée avec plus
de précision sur des aides directes aux éleveurs. Il convient en effet de noter
l'urgence d'une redéfinition des critères de chargement des bovins sur les
exploitations déterminant les primes aux bovins mâles et aux vaches
allaitantes, d'une politique de stockage tant privé que public et d'une
attribution d'aides directes au travers de la prime à l'abattage prévue dans
les accords de Berlin.
La crise de l'ESB va globalement coûter, de l'amont à l'aval, 25 milliards de
francs, monsieur le ministre. Vous n'avez, à ce jour, proposé que 3,240
milliards de francs.
Compte tenu de l'enjeu pour l'ensemble de la filière, la France, avec près de
21 millions de bovins, ne peut se soustraire à une politique nationale
d'accompagnement forte. L'approvisionnement en protéines végétales au lieu et
place des protéines animales sous-entend, là aussi, une volonté forte et de la
France et de l'Europe.
Chaque année, j'ai dénoncé cette dépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Chaque
année, ma question n'a reçu qu'une réponse certes polie mais évasive. Cette
année, je souligne qu'il appartient à l'Europe et à la France, dans les toutes
prochaines semaines, de réorienter la production vers les protéagineux, car les
semis devront être réalisés avant février ou mars. Une telle mesure aurait un
coût estimé à 100 millions d'euros.
Dans un deuxième temps, il appartiendra de repenser les accords de Blair
House, car les oléagineux en France ne peuvent rester au niveau actuel
d'emblavement.
Un autre problème me paraît essentiel, dont il n'est pourtant pas fait mention
dans ce projet de loi de finances pour 2001, celui du traitement fiscal des
indemnités perçues par les exploitants au titre des dommages causés par l'ESB.
En effet, la crise de la « vache folle » a créé des situations critiques chez
les agriculteurs, en particulier chez ceux qui ont dû se résoudre à l'abattage
de l'ensemble de leur troupeau.
Mon propos est non pas de me prononcer sur le bien-fondé de cette mesure,
qu'au demeurant j'approuve totalement, mais de m'interroger sur la nature de la
réparation qui est versée à l'exploitant dans ce cas. Jusqu'à présent, les
fonds reçus sont considérés comme un revenu, soumis, à ce titre, à l'impôt.
Cette situation ne me semble pas supportable, car elle tend à pénaliser les
éleveurs à deux reprises, l'Etat reprenant d'une main ce qu'il a donné de
l'autre, cette réparation ne pouvant en aucun cas être assimilée à un revenu,
ni à une cession d'actifs.
J'aurais donc souhaité un texte plus ambitieux et surtout plus en adéquation
avec les préoccupations des agriculteurs, qui attendent, dans un contexte
tourmenté, un geste fort du Gouvernement à leur égard.
Je crains sincèrement que ce budget ne réponde pas au projet des agriculteurs
de ce pays, un projet qu'il nous appartiendra d'écrire ensemble, la profession
agricole, certes, mais aussi l'ensemble de la société.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Jarlier.
M. Pierre Jarlier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, peut-on
parler de ce budget sans évoquer la crise sans précédent que connaît
aujourd'hui la filière bovine ? La réponse me semble avoir été donnée par les
différents intervenants qui m'ont précédé à cette tribune.
Sénateur du Cantal, je représente ici un département de montagne et d'élevage
dans lequel 20 % des actifs vivent de l'agriculture.
La situation est grave, très grave, car toute notre filière bovine est en
situation de cessation de paiement, et les agriculteurs ont le sentiment que
les décideurs français et européens sont sourds à leurs messages de
désespoir.
J'en donnerai un exemple concret : actuellement, dans le Cantal, 60 000
broutards prêts à la vente sont bloqués sur les exploitations faute d'acheteurs
et restent donc sur les bras de nos éleveurs. Non seulement aucune recette ne
rentre, mais, en plus, il faut nourrir ces bêtes avec les réserves de l'hiver.
En outre, le dépassement des taux de chargement des exploitations risque de
pénaliser les exploitants.
Pour ce qui est des transactions, outre le fait que les exportations sont
purement et simplement stoppées, les prix observés sur les quelques rares
ventes ont baissé de quatre à cinq francs au kilo, soit environ de 35 % en
moins d'un mois.
Mardi dernier, vous le savez, monsieur le ministre, les éleveurs du Massif
central ont manifesté massivement dans les rues de Clermont-Ferrand, car ils
sont désespérés. Leur colère est légitime, car ils n'ont aucune perspective
face à cette situation désastreuse.
Mais ce qui provoque encore plus leur colère, c'est de constater que leurs
animaux, produits avec des labels de qualité certifiés, sont logés à la même
enseigne que ceux des filières à risque. De ce fait, plusieurs années d'efforts
consentis pour améliorer la qualité de la viande et sa traçabilité semblent
aujourd'hui anéanties. Permettez-moi de le dire, tout cela est injuste.
En effet, plus de la moitié des éleveurs cantaliens, soit plus de 3 000
d'entre eux, ont signé depuis déjà quatre ans une charte de qualité de
l'élevage bovin en partenariat avec l'Etat, le conseil général et les
organisations agricoles, charte dans laquelle les signataires se sont engagés à
supprimer les farines et les graisses animales de l'alimentation des bovins.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, c'est toute l'économie des départements de
montagne qui est en jeu face à cette situation dramatique. On peut craindre de
voir s'accentuer aussi, à court terme, la désertification de nos zones
rurales.
Déjà, en cinq ans, il faut le rappeler, 800 exploitations agricoles ont
disparu dans le Cantal. Combien disparaîtront encore à très court terme si
d'autres mesures concrètes ne sont pas prises d'urgence ?
Car, il faut bien le dire, les dispositions que vous avez annoncées, monsieur
le ministre, dans le cadre du plan de lutte contre l'ESB, ne répondent
malheureusement que très partiellement à la détresse des éleveurs, en l'absence
d'un soutien fort et rapide au dégagement du marché, notamment celui du
broutard.
Les aides à la trésorerie, même complétées par la nouvelle enveloppe de 500
millions de francs de prêts bonifiés que vous avez annoncée, ne suffiront pas à
faire face à l'ampleur des difficultés rencontrées par les éleveurs sur le
terrain.
Pour sortir de cette crise sans précédent, à court terme et de façon durable,
au moins trois actions sont à engager au plus vite.
Dans le prolongement des décisions prises lundi dernier lors de la réunion des
ministres de l'agriculture de l'Union européenne, une aide aux dégagements des
broutards, assortie de la fixation d'un prix plancher, serait, je l'ai dit, de
nature à permettre la reprise de la commercialisation des animaux, notamment
desdits broutards.
La réouverture du dossier de soutien de l'Union européenne à la production à
l'herbe s'avère tout aussi urgente, d'une part, pour répondre à la demande
légitime du consommateur en attente d'une production de qualité, d'autre part,
pour rééquilibrer les aides européennes dans ce sens.
Il faut rappeler qu'actuellement les aides sont de 2 500 francs par hectare
pour la production de maïs et de 300 francs par hectare pour la production
d'herbe. Or, on le sait, l'herbe de montagne est un aliment naturel ; il est le
plus riche et le plus équilibré.
Enfin, si la décision de la pratique du test systématique sur tous les animaux
est de nature à rassurer le consommateur, il faut aussi accélérer l'agrément
des laboratoires départementaux qui en ont fait la demande. Tel est le cas du
laboratoire du Cantal, M. Roger Besse, président du conseil général, ayant fait
la demande d'agrément voilà plus d'un an, demande qui a été réitérée par
l'ensemble des parlementaires du Cantal voilà quelques jours. Il faut aussi
dégager très vite les moyens suffisants pour réaliser ces tests.
C'est donc solennellement, et avec la plus grande insistance, que je vous
demande, monsieur le ministre, comme vous le demandent aussi les agriculteurs
et les élus de montagne, de bien vouloir prendre d'urgence, en liaison avec
l'Union européenne, ces mesures vitales pour l'avenir de l'élevage de nos
régions de montagne et de l'ensemble de la filière bovine.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Mathieu.
M. Serge Mathieu.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ma
qualité de président du groupe d'études de la viticulture de notre Haute
Assemblée, je consacrerai l'essentiel de mon propos à la situation du secteur
vitivinicole et à la politique mise en oeuvre par les pouvoirs publics européen
et français dans ce domaine.
Je donnerai tout d'abord quelques indications sur la récolte 2000. Cette
année, la vendange s'élève à 57,68 millions d'hectolitres contre 62,9 millions
en 1999. Comparée aux cinq dernières années, il s'agit d'une récolte moyenne.
Certaines zones de production - l'Hérault, le Gard, les Charentes et la
Bourgogne - enregistrent une baisse significative. Malgré un printemps et un
début d'été pluvieux, les conditions climatiques favorables d'août et septembre
ont permis des vendanges précoces, un bon état sanitaire, une bonne maturité,
une richesse en sucre et des conditions de récolte favorables qui permettent de
présager un bon millésime 2000.
(Exclamations sur de nombreuses travées.)
M. Aymeri de Montesquiou.
Enfin une bonne nouvelle !
M. Serge Mathieu.
Ces résultats qualitatifs encourageants sont dus à l'effort soutenu des
producteurs, en matière tant d'investissements consacrés à la vinification, que
de rénovation des vignobles, de détermination des meilleures périodes de
récolte et, plus généralement, grâce à une action continue en faveur de la
qualité de la production.
Le poids des stocks, estimé à 32 millions d'hectolitres à la fin du mois
d'août, soit 18 % de plus qu'en 1999 à la même époque, a pesé sur les prix,
d'autant que la distillation ouverte début septembre dans le cadre des mesures
prévues par la nouvelle organisation commune des marchés, l'OCM, n'a pas attiré
d'inscription en France en raison du faible prix payé aux producteurs : 16,30
francs le degré/hecto.
Ce volume élevé des stocks s'explique en particulier par la crise qui a
affecté les vins de table et les vins de pays, fortement concurrencés par les
vins des différents pays de la Communauté économique européenne dont les
professionnels de la filière dénoncent la traçabilité douteuse et souhaitent
que les vins entrant dans leur composition soit mentionnés sur l'étiquette.
Un crédit de 75 millions de francs a été alloué par le Gouvernement à la fin
du mois d'août, pour renforcer les actions de promotion des vins français afin
de développer les ventes à l'exportation et, par conséquent, de contribuer à
une remontée des cours.
Pour nos exportations de vins et spiritueux, l'année 1999 a constitué un
excellent millésime, avec un chiffre d'affaires à l'exportation de 49 milliards
de francs, soit une progression de 8 %. Cette progression importante est liée
surtout au champagne, qui a enregistré une hausse des ventes à l'exportation de
25,9 % en volume et de 35,5 % en valeur, soit 12 milliards de francs, sans
doute en raison du passage à l'an 2000. Les mousseux AOC hors champagne en ont
bénéficié : ils gagnent 63,2 % en valeur et 59,5 % en volume. Les vins
tranquilles AOC connaissent un léger repli en valeur de 2,6 % - 18,6 milliards
de francs - mais consolident la progression réalisée depuis deux ans, 132 % par
rapport à 1997. Les spiritueux réalisent une bonne performance en 1999, avec un
chiffre d'affaires de 11,4 milliards de francs, en progression de 5,1 %, en
raison de la remarquable progression des liqueurs - 25 % - et du redressement
du cognac - 2 %.
M. Aymeri de Montesquiou.
Et l'armagnac ?
M. Serge Mathieu.
Les Etats-Unis restent le premier marché d'exportation des vins et spiritueux,
avec 9,3 milliards de francs, en hausse de 19,2 %, devant le Royaume-Uni,
l'Allemagne, la Belgique et le Luxembourg ainsi que le Japon. Singapour et
Taïwan montrent des signes encourageants de reprise après une année 1998
difficile. Il est à souligner que la part des vins et spiritueux dans nos
exportations agroalimentaires est passée, de 1974 à 1999, de 13 % à 20 % en
valeur. Il convient toutefois d'observer que notre viticulture de qualité est
de plus en plus concurrencée par de nouveaux pays producteurs comme
l'Australie, l'Amérique du Sud ou la Californie, qui misent sur des vins de
cépage.
La structure de notre commerce extérieur de vins et spiritueux aussi bien que
l'évolution à long terme de la consommation intérieure attestent que la
promotion de la qualité doit être poursuivie par les producteurs et encouragée
par les pouvoirs publics.
A cet égard, je me plais à signaler le classement de nouveaux crus en AOC,
parmi lesquels les vins des coteaux du Vendômois, le Touraine Noble Joué, le
montravel en Dordogne.
A l'échelon des régions de production, l'organisation interprofessionnelle
progresse ; j'en veux pour preuve la mise en place d'une interprofession unique
pour les vins d'AOC du Roussillon et la naissance de l'interprofession des vins
de Loire, troisième région viticole de France.
Le comité des vins et eaux-de-vie de l'Institut national des appellations
d'origine, l'INAO, a été saisi de projets de textes réglementaires tendant à
une réforme des procédures d'agrément fondée sur quatre objectifs : faire du
respect des conditions de production un préalable à l'agrément, s'assurer que
la dégustation vise bien à reconnaître la typicité et la qualité, obtenir
l'homogénéité et la rigueur de la procédure d'agrément applicable à toute
appellation, responsabiliser les organismes agréés dans la limite du respect du
cadre général défini en autorisant, notamment, l'agrément à durée limitée.
Cette même instance a confirmé que la mention des cépages est contraire au
principe de l'AOC et ne doit donc pas figurer sur l'étiquette des vins
d'appellations d'origine contrôlées.
Le secteur de la viticulture de qualité a entrepris de se couvrir contre les
fluctuations de prix, parfois spectaculaires, d'une année sur l'autre. A cet
effet, au printemps prochain, un contrat à terme sur les grands vins de
Bordeaux sera négocié à la Bourse de Paris ; si cette initiative est couronnée
de succès, elle sera étendue à d'autres grands crus, de Bourgogne,
notamment.
L'ensemble des professionnels de la filière vitivinicole a été consterné par
les dispositions de l'article 11 du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2001, qui prévoient l'affectation au fonds de financement de la
réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, le FOREC, nécessitée
par le passage aux 35 heures, du produit des droits de circulation sur les
alcools.
Il est, en effet, légitime que ces sommes soient affectées au financement de
la traçabilité et de la qualité des vins. Tel était du reste le cas jusqu'au
milieu des années quatre-vingt, lorsque le produit des droits de circulation
était en partie affecté au financement de l'INAO.
Aussi convient-il de saluer la cohérence de la position adoptée par le Sénat,
lors de sa séance du 15 novembre dernier, qui a décidé la suppression de
l'article 11 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour
2001.
L'un des thèmes qui a mobilisé les organisations professionnelles et les élus
représentant les régions de production a été, au cours des mois récents, celui
des liens entre vin et santé. En effet, le rapport présenté par le professeur
Roques a, de manière excessive, assimilé la consommation de boissons
alcoolisées à celle de stupéfiants.
(Exclamations sur de nombreuses
travées.)
M. Joël Bourdin,
rapporteur spécial.
Quelle honte !
M. Serge Mathieu.
Or, il est bien certain qu'une consommation modérée de vin de qualité ne
saurait nuire à la santé de nos compatriotes
(Nouvelles
exclamations),...
M. Jean Chérioux.
Bien au contraire !
M. Serge Mathieu.
... comme l'atteste du reste la notion de
french paradox
mise en
évidence par des chercheurs américains.
La formation des futurs exploitants agricoles est décisive pour assurer le
développement d'une économie agroalimentaire performante et pour favoriser le
renouvellement démographique de la profession grâce à l'installation de jeunes
exploitants capables de maîtriser aussi bien les techniques de production que
la gestion de leurs entreprises.
C'est pourquoi, chaque année, j'examine avec une particulière attention
l'évolution des crédits inscrits dans le projet de loi de finances bénéficiant
à l'enseignement agricole, crédits que retrace dans son rapport notre collègue
M. Albert Vecten, au nom de la commission des affaires culturelles. En 2001,
les crédits de fonctionnement alloués à l'enseignement public agricole
progressent de 3 %, permettant la création de 180 emplois, dont 120
d'enseignant.
Les dotations affectées à l'enseignement agricole privé s'élèvent à 2,95
milliards de francs, soit une augmentation de 2,1 %. Les subventions aux
établissements du « rythme approprié », c'est-à-dire ceux qui mettent en oeuvre
des formations en alternance, s'élèvent à 990,6 millions de francs, soit une
hausse de 1 %, les effectifs de ces établissements demeurant stables.
Je tiens, à cet égard, à souligner le rôle déterminant des Maisons familiales
rurales, qui proposent une formation répartie entre l'enseignement en
établissement et les stages en exploitation.
En conclusion de ce rapide exposé, je voudrais, monsieur le ministre, mes
chers collègues, faire justice d'une affirmation que l'on entend parfois
proférer concernant le secteur vitivinicole qui serait en quelque sorte
priviligié au sein de l'économie agricole et alimentaire. Certes, en 1999,
alors que le revenu moyen de l'ensemble des exploitants agricoles a diminué
d'environ 7 %, celui des viticulteurs a progressé. Il convient, tout d'abord,
d'observer que la viticulture ne perçoit aucune subvention nationale ou
communautaire. En outre, les viticulteurs sont des producteurs agricoles à part
entière. Aussi, alors que certains secteurs de notre agriculture sont
confrontés à de graves difficultés, je pense tout particulièrement à la filière
bovine, je voudrais exprimer la profonde solidarité des viticulteurs avec
l'ensemble des exploitants agricoles de notre pays.
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de
l'agriculture est examiné cette année dans un contexte de double crise : crise
de l'ESB et crise structurelle profonde de l'agriculture française frappée en
1999 par une baisse de 10 % du revenu des agriculteurs.
Je voudrais, à ce propos, rappeler que le Gouvernement s'est interrogé sur
l'affectation du surplus fiscal et que les agriculteurs sont le seul groupe
social dont le revenu ait baissé. Pourquoi n'a-t-il pas bénéficié d'une
attribution qui aurait pu prendre la forme d'un abattement fiscal ? Les
agriculteurs ont ressenti cette absence de considération comme une grande
injustice.
Votre budget apporte-t-il des réponses adaptées à ces deux crises ?
Une crise, par étymologie, c'est le moment où tout est encore possible, où
l'on peut réussir à passer d'un côté ou de l'autre de la difficulté. Avez-vous
fait les bons choix ? Je ne le pense pas.
Ainsi, les dépenses d'administration, qui représentent 40 % des presque 30
milliards de francs de votre budget, sont beaucoup trop lourdes. Ainsi encore,
340 postes de fonctionnaire supplémentaires sont prévus cette année. Etait-ce
indispensable ?
M. André Lejeune.
Oui !
M. Aymeri de Montesquiou.
A quelles tâches vont-ils être employés ? Il en découle que les
investissements sont trop faibles et, plus grave, on ne voit toujours pas
s'amorcer la réforme fiscale absolument indispensable pour que les productions
françaises puissent se confronter avec succès aux concurrences européenne et
internationale. On ne peut participer à une compétition mondiale à chance égale
avec autant de handicaps administratifs et fiscaux.
Mes collègues ont excellemment abordé le très grave problème de la crise de
l'ESB. Je rappelle que le colloque international sur l'ESB, organisé par mon
groupe du RDSE, en juin dernier, avait conclu déjà à la nécessité d'interdire
immédiatement les farines animales.
M. Alain Gournac.
Immédiatement !
M. Aymeri de Montesquiou.
Je me félicite que le Président de la République ait le premier demandé la
suppression de ces farines et que le Gouvernement se soit rassemblé derrière
lui.
(M. le ministre sourit.)
Je sais qu'assumer une présidence de
l'Union n'est pas le meilleur moyen d'imposer ses vues, surtout lorsque le pays
concerné est le premier bénéficiaire de la PAC.
Aujourd'hui, la polémique sur les délais de décision et l'interdiction des
farines animales est close. Néanmoins, je veux rappeler que la confiance que
nous devons accorder aux éleveurs doit être proportionnelle à l'exigence dont
il est fait preuve à leur égard. La filière bovine ne saurait être mise en
accusation si la traçabilité est d'une fiabilité absolue.
C'est une bonne chose que les moyens relatifs à la sécurité sanitaire, au
contrôle de la santé des animaux, à leur identification, à la sélection
animale, et à l'Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire aient été
renforcés. Votre budget initial prévoyait la création de 20 postes de
vétérinaire sanitaire. Les députés ont voté un amendement permettant la
création de 30 postes supplémentaires. Cela dit, les vétérinaires libéraux
avaient la compétence et la fiabilité nécessaires pour tenir ce rôle. De plus,
de nombreux vacataires sont disponibles.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous parallèlement faciliter les
adaptations des filières qui vont remplacer les farines carnées ? Qui paiera le
surcoût économique de l'interdiction des farines animales ? Les éleveurs ? Les
consommateurs ? Les collectivités locales ?
Pour ce qui est de la crise plus générale à laquelle est confrontée
l'agriculture française, j'insisterai sur les réformes fiscales tant attendues,
notamment pour l'installation. Compte tenu de la compétition mondiale dans
laquelle s'affrontent l'Union européenne, les Etats-Unis et le groupe de
Cairns, les Etats-Unis ne jouent pas le jeu de la concurrence. En juin dernier,
ils ont décidé d'accroître les subventions de plus de 110 milliards de francs
et ils ont multiplié par huit leurs soutiens depuis 1996. Bien sûr, ils
prétendent le contraire. Pour que la comparaison soit incontestable, peut-être
faudrait-il que l'Union européenne adopte un système identique. Pourquoi
serait-il trop tard ? De toute façon, dans les futures négociations de l'OMC,
il sera indispensable que les systèmes de subventions se rapprochent.
Mais, de façon catégorique, le seul moyen sérieux et pragmatique pour rester
compétitif est de mettre en oeuvre une politique fiscale offensive auprès de
laquelle vos contrats territoriaux d'exploitation apparaissent comme des
gadgets. La meilleure preuve est qu'ils ne trouvent pas preneurs. En effet,
alors que vous en aviez prévu 50 000 pour l'année 2 000, 1 417 étaient signés
au 1er octobre, environ 2000 ayant reçu un avis favorable des commissions
départementales d'orientation de l'agriculture.
Les 950 millions de francs crédités pour les CTE sur le budget 2000 n'ont donc
pas été dépensés. Cette dotation devait être utilisée pour financer des mesures
fiscales, par exemple au moment de l'installation et de la transmission de
l'exploitation.
Vous aviez affiché comme l'une des priorités de la loi d'orientation agricole
l'installation des jeunes. Or, depuis trois ans, les installations ont
enregistré une chute de 35 %. Aujourd'hui, ces jeunes s'estiment à juste titre
trompés. Je rappelle qu'entre 1995 et 1997 la courbe des installations s'était
inversée favorablement. Les engagements n'ont-ils pas été respectés ?
Aujourd'hui, de nombreux jeunes sont découragés, voire désespérés.
Dans la compétition internationale, la formation professionnelle des
agriculteurs français, des jeunes en particulier, est indispensable ; elle doit
être assurée dans les meilleures conditions. Or le budget de l'enseignement
privé agricole est aujourd'hui en baisse. A titre d'exemple, dans ce budget,
les maisons familiales rurales voient leurs possibilités d'évolution limitées,
alors qu'elles sont la seule composante de l'enseignement agricole dont les
effectifs soient en croissance.
Pourquoi la dotation aux jeunes agriculteurs est-elle stabilisée à 490
millions de francs, alors qu'elle avait été amputée d'un quart de ses crédits ?
Il aurait dû y avoir un rattrapage ! L'an dernier, je m'étais élevé, comme le
Centre national des jeunes agriculteurs, contre l'assèchement du Fonds pour
l'installation en agriculture.
Les premières années sont les plus délicates pour un agriculteur qui
s'installe. Les jeunes agriculteurs installés depuis moins de dix ans devraient
être exonérés des charges sociales. Ils devraient bénéficier de prêts bonifiés
à très faible taux et obtenir un abattement sur le revenu imposable durant les
cinq première années.
Pour inciter les exploitants à céder leur exploitation à un plus jeune, une
exonération des plus-values est nécessaire.
Plus généralement, une réflexion doit être conduite pour arriver, à terme, à
une assiette de cotisation qui serait assise non plus sur les revenus du
travail et du capital, mais seulement sur le revenu du travail. D'une part,
c'est une question d'équité, d'autre part, cela permettrait de s'aligner sur
une fiscalité moderne.
Le Gouvernement a étendu la suppression de la vignette automobile aux
véhicules de moins de deux tonnes pour les artisans, les associations et les
syndicats. Pourquoi pas aux agriculteurs ? Pourquoi deux poids, deux mesures
?
Le monde agricole est très attentif à des réponses précises à ces
questions.
Les agriculteurs oscillent, à juste titre, hélas ! « entre déprime et révolte
». Rendus très soucieux par la réforme de la PAC, inquiets des conséquences de
l'entrée prochaine de grands pays à tradition agricole dans l'Union, ils
s'interrogent sur leur avenir. Ils attendent d'abord les réformes profondes en
matière fiscale. Ils attendent que les promesses sur les retraites soient
tenues. Le minimum vieillesse est indigne pour ceux qui se sont usés à la tâche
durant toute une vie. Quand l'objectif de 75 % du SMIC, martelé chaque année,
arrivera-t-il à s'imposer ?
Monsieur le ministre, je crains que l'on ne prépare la désertification des
campagnes où l'agriculture est la plus difficile. Membre du Rassemblement
démocratique et social européen, je ne peux accepter de voter le projet de
budget que vous nous proposez. Je suivrai donc l'avis de la commission des
finances.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
suspicion, non dénuée de fondement à l'égard de l'utilisation des farines
animales infectées - et cela malgré l'embargo de 1990 - a provoqué une
réduction de la consommation de viande de 20 %, tandis que, dans certains
abattoirs, la production chutait de 40 %.
Une psychose alimentée par des pratiques politiciennes douteuses s'est emparée
de la France. Dans ce contexte, nous avons pris acte avec satisfaction des
mesures mises en place par le Gouvernement. Toutefois, ce que l'on doit
redouter le plus, c'est qu'à ces peurs irrationnelles ne succède une vague
généralisée et durable de méfiance à l'égard de nos produits alimentaires.
A la lumière des multiples crises qui ont ponctué ici et là le « paysage »
alimentaire - ESB, listériose, dioxine, légionellose, - et autres -, qui
pourrait reprocher au consommateur d'être devenu plus attentif à la qualité non
seulement sanitaire, mais aussi gustative de son alimentation ?
Le développement des élevages et productions hors-sol ainsi que la réduction
des cycles de production afin de répondre à la pression permanente de réduction
des coûts ne contribuent-ils pas à un accroissement des risques alimentaires et
à une dégradation de la qualité alimentaire ?
Que dire, par exemple, d'un poulet élevé et abattu à quarante et un jours ?
Etait-il vraiment sans risque d'inciter à la production de plus de 12 000
kilogrammes de lait par an et par vache laitière ?
La vérité est qu'une certaine conception de l'alimentation et de la
consommation a conduit à créer des filières dédiées à une production de masse,
de qualité faible, sinon médiocre, et destinée à la clientèle la plus appauvrie
de notre pays.
A une agriculture de rendement intensif correspond en effet une stratification
du commerce et de la distribution qui fait de la recherche du profit immédiat,
au détriment de la qualité et parfois de la santé publique, l'alpha et l'oméga
de sa démarche.
La pression sur les cours pousse à la faute, puis à la fraude, en acculant
certains producteurs à vendre toujours plus tout en récoltant toujours moins le
résultat de leurs efforts.
A ce propos, formulons deux observations essentielles.
D'une part, la crise sensible de la filière bovine et de la sécurité
alimentaire en général conduit déjà, dans de nombreuses entreprises, à
l'annonce, dans un premier temps, de période de chômage technique puis de plans
de suppressions d'emplois.
Je ne parle pas des problèmes rencontrés par le secteur des abattoirs pour
lequel l'engagement des collectivités locales, en termes de garantie, est
souvent important.
Elue du Val-de-Marne, j'ai déjà été alertée par les salariés du marché
d'intérêt national de Rungis de la mise en oeuvre de dispositifs de
suppressions d'emplois, qui reportent le coût de la dégradation de l'ensemble
de la filière sur la solidarité et la collectivité nationales.
Cela n'empêchera cependant pas les professionnels de la transformation et de
la découpe, notamment les entreprises qui proposent ce que l'on appelle les
produits de « quatrième gamme », de continuer de réaliser un certain volume
d'affaires et de profits.
De manière assez paradoxale, par ailleurs, notons que le plan de stockage et
d'élimination des farines animales infectées ou douteuses semble devoir générer
quelques menus profits pour les bailleurs de locaux d'entreposage, compte tenu
de la forte pression existante.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur ce point ainsi que sur
les mesures prévues pour les communes contraintes d'accepter et de gérer ce
stockage sur leur territoire ?
D'autre part, se pose de manière particulièrement forte le problème de la
légitime rémunération des producteurs, problème que nous avions notamment
évoqué, à l'occasion du débat sur les nouvelles régulations économiques et qui
passe, compte tenu des limites de la négociation interprofessionnelle, par
l'adoption de mesures directes émanant de la puissance publique.
Il y va, de notre de point vue, du maintien de l'activité de nombreux
producteurs, activité indispensable pour pouvoir continuer de proposer aux
consommateurs la qualité de production qu'ils sont en droit d'attendre.
On comprend le dégoût des consommateurs face à une production alimentaire
déréglée par tout un système de production et de distribution.
La sécurité alimentaire se définit comme une réponse à un problème important
de santé publique, dont nous sommes d'ailleurs aujourd'hui dans l'incapacité
d'évaluer totalement les conséquences et les implications.
Elle se définit aussi au regard de l'approche critique d'un mode de production
agricole et d'un mode de consommation dont mon collègue Gérard Le Cam a
largement parlé dans son intervention. On peut même considérer que le rôle
imputé tant aux autorités indépendantes qui interviennent en matière de
sécurité alimentaire et sanitaire qu'aux directions des services vétérinaires
conduira fatalement à la mise en question de ce mode de production.
La juste rémunération du travail des producteurs et la garantie de la sécurité
alimentaire pour le consommateur sont deux des objectifs que nous devons
poursuivre.
Les moyens budgétaires consacrés à ces missions sont d'ailleurs en hausse non
négligeable : 9 millions de francs au chapitre de l'appui scientifique et
technique de l'AFSSA ; 1,6 million de francs pour l'évaluation des risques ;
110 millions de francs au chapitre 44-70 consacré à la promotion et au contrôle
de la qualité. On constate aussi une augmentation des crédits d'équipement de
l'agence.
L'ensemble de ces dépenses témoigne manifestement d'un effort significatif en
termes budgétaires et traduit clairement les orientations et les choix
politiques de ce gouvernement qui, nous le constatons, s'est placé résolument
du côté de la qualité et de la sécurité, rompant avec une tradition ancienne de
clientélisme dont certains témoignent ici.
Que la ténacité et la pugnacité du Gouvernement aient été enfin reconnues, au
niveau communautaire, avec la création de l'Agence européenne de sécurité
alimentaire confirme cette analyse.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce sont là, les quelques
observations que le groupe communiste, républicain et citoyen voulait faire sur
cette question fondamentale de la sécurité alimentaire.
(Applaudissements
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Courteau.
M. Roland Courteau.
Monsieur le ministre, un cri d'alarme vient d'être lancé par le monde de la
viticulture contre la menace d'une mondialisation et d'une logique industrielle
appliquées au vin. S'ajoute à cela le problème plus récent de l'arrivée sur le
marché de produits issus du mélange de vins de différents pays de la Communauté
européenne et appelés VDPCE. Certaines personnes n'hésitent pas à s'interroger
sur la malbouffe. Allons-nous y ajouter le malboire ?
Le problème est bien réel. Ces produits, dont la traçabilité est douteuse et
qui transiteraient chaque semaine par le port de Sète à raison de 5 000
hectolitres et à un prix allant de 1 à 2 francs le litre, concurrencent de
manière déloyale nos vins de qualité.
Il importe que les consommateurs soient pleinement informés sur le fait que
ces vins sont sans origine ni loyauté marchande et qu'ils sont composés de
mélanges, informations importantes dans une démarche de traçabilité et de
sécurité alimentaire.
Il faut que l'on réagisse face à la traçabilité douteuse de tels produits et
que de telles pratiques disparaissent d'autant plus vite que notre viticulture,
vous le savez mieux que d'autres, monsieur le ministre, a construit son image
sur la garantie de l'origine et de la qualité de ses produits. Il serait par
conséquent injuste que nos viticulteurs, qui ont réalisé ces dernières
décennies de coûteux efforts de qualité, subissent cette concurrence
déloyale.
J'en viens à la seconde partie de mon intervention, qui concerne la
déréglementation du marché à laquelle on assiste.
Nous vivons une situation préoccupante due à la conjonction de plusieurs
facteurs : importations de vins à bas prix qui pèsent sur la demande et la
déséquilibre et une récolte 2000 dont le volume est important. Le marché est
engorgé et donc quasiment atone. Si nous ne réagissons pas, cette situation
affectera gravement le revenu des viticulteurs.
Monsieur le ministre, où en sont les négociations engagées à Bruxelles tant
sur la question des VDPCE que sur le dispositif de modulation de la
distillation ? Il est urgent, si l'on veut sauver cette campagne, de mettre en
place les moyens nécessaires à l'ouverture de la distillation préventive de un
million d'hectolitres à 25 francs le degré-hecto. En effet, la mesure prévue
dans le cadre de la nouvelle organisation commune des marchés ne répond pas, en
France en tout cas, à l'objectif recherché en raison d'un prix trop bas, de
l'ordre de 16,30 francs. La profession attend donc une rallonge pour la
distillation communautaire, permettant d'assurer un prix plancher efficace et
donc de désengorger le marché et de reconstruire sur de meilleures bases.
Monsieur le ministre, si j'insiste aujourd'hui sur ces différents problèmes,
c'est parce qu'il est encore temps d'aider notre viticulture à franchir un cap
difficile et que, par expérience, nous savons pouvoir compter sur vous.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Besse.
M. Roger Besse.
Monsieur le ministre, je souhaiterais, au cours de cette brève intervention,
évoquer deux problèmes qui relèvent de votre compétence et qui sont de nature
très différente.
Le premier concerne l'incident qui a affecté la réunion du Conseil national de
l'enseignement agricole du jeudi 30 novembre 2000.
Ce jour-là, des représentants du Conseil national de l'enseignement agricole
privé et de la Fédération familiale nationale pour l'enseignement agricole
privé, la FFN, au titre des parents d'élèves, ont été conduits, et ce pour la
première fois, à quitter la séance et, ainsi, à rompre les discussions engagées
concernant les adaptations de l'enseignement agricole.
En effet, lors de cette réunion, le directeur général de l'enseignement et de
la recherche a fait état des axes d'une politique nouvelle initiée par
l'enseignement agricole et qui viserait explicitement à réduire, de façon
drastique, le développement de l'enseignement privé et à rendre majoritaire les
effectifs de l'enseignement public.
Outre le fait que ces orientations ne sont pas conformes au troisième schéma
des formations ni aux orientations de la loi adoptée par le Parlement, je tiens
à rappeler que ces nouveaux axes de travail ont été révélés « aux représentants
du Conseil national de l'enseignement agricole privé et aux représentants des
maisons familiales et rurales sans aucune concertation préalable ». Il s'agit
là, à mon sens, d'un incident grave qui constitue un changement majeur dans les
orientations de l'enseignement agricole, dont il n'a été débattu dans aucune
instance prévue par la loi.
Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que les représentants de
l'enseignement public se soient déclarés très satisfaits de ces nouvelles
orientations, estimant qu'il s'agissait d'un tournant qu'ils ont qualifié d'«
historique ».
Monsieur le ministre, l'enseignement agricole ne peut se réduire à cette
opposition destructrice et archaïque entre public et privé.
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Nous sommes d'accord.
M. Roger Besse.
Il faut tenir compte de l'originalité de ses quatre composantes -
l'enseignement public, l'enseignement privé confessionnnel, l'enseignement
associatif par alternance et l'enseignement professionnel - qui ont chacune
leurs caractéristiques et qui concourent à sa réussite et à sa richesse dans la
diversité.
L'enseignement agricole est, depuis des décennies, marqué par des innovations
pédagogiques, par la variété de ses méthodes et de ses filières, par sa
capacité de réponse rapide aux besoins des territoires, par ses établissements
à taille humaine, enfin, par ses liens étroits avec la profession.
Ses missions de formation, d'animation, de développement et de coopération,
ainsi que sa diversité ont toujours été reconnues sans ambiguïté et avec force.
Elles ont, de plus, été confirmées par la loi d'orientation agricole de
1999.
Aujourd'hui, il semblerait que, par la déclaration abrupte et provocatrice du
directeur général de l'enseignement et de la recherche, tous ces acquis soient
publiquement remis en cause.
Par respect pour les 105 000 élèves, les 10 000 formateurs et leurs familles
que représente l'enseignement privé en France, je vous demande, monsieur le
ministre, de bien vouloir informer la Haute Assemblée, en précisant dans votre
réponse si la voix de M. le directeur général de l'enseignement et de la
recherche est également la vôtre.
Si tel était le cas, la paix scolaire, la capacité de dialogue, d'écoute et de
coopération deviendraient alors difficiles, pour ne pas dire impossibles, avec
les représentants élus de l'enseignement privé.
Je souhaite, pour ma part, que vous acceptiez, monsieur le ministre, de tout
mettre en oeuvre pour nous épargner une nouvelle guerre scolaire, estimant que
le choix de l'école est aussi l'exercice d'une liberté qui a valeur
constitutionnelle et à laquelle nous sommes particulièrement attachés.
Avant de conclure sur ce point, je souhaiterais, monsieur le ministre, vous
rappeler que, dès le 19 mai dernier, pressentant des difficultés dans mon
département, j'avais attiré votre attention sur l'inquiétude des présidents des
maisons familiales et rurales par le truchement d'une question écrite à
laquelle à ce jour, hélas ! il n'a toujours pas été répondu.
La deuxième partie de mon intervention portera sur les conséquences de la
crise de l'ESB sur la filière bovine. Vous en connaissez mieux que d'autres,
monsieur le ministre, tous les aspects, ce qui m'évitera de faire l'historique
de cette crise, si ce n'est pour vous dire que j'apprécie à leur juste valeur
les efforts déployés par le Gouvernement et les mesures concrètes qui ont été
prises depuis quelques semaines tant à Paris qu'à Bruxelles, sans omettre de
saluer votre pugnacité, qui s'impose dans des négociations internationales que
nous imaginons, tous, comme difficiles et ardues.
Qu'il me soit permis, monsieur le ministre, d'évoquer à cet instant de mon
propos deux points spécifiques qui me paraissent essentiels pour les éleveurs
du Massif central.
Le Massif central est durement touché par les effets de cette crise, l'élevage
bovin jouant un rôle majeur dans l'activité économique et humaine de ce
territoire, qu'il est convenu d'appeler la plus grande prairie naturelle
d'Europe.
Mardi 5 décembre, près de 15 000 éleveurs de dix-sept départements ont exprimé
leur désarroi lors d'une grande manifestation à Clermont-Ferrand. Il s'agissait
d'un geste fort, à la veille du sommet des chefs d'Etat européens à Nice. Le
message de ces éleveurs est clair : ils considèrent que les mesures arrêtées le
4 décembre vont dans le bon sens et constituent réellement une avancée
significative, mais ils demandent que soient pris en compte par le Gouvernement
les problèmes liés à la commercialisation des broutards, production spécifique
de leur élevage. Ces broutards, veaux âgés de huit à dix mois, destinés à
l'engraissement, élevés à l'herbe, exportés à plus de 90 %, représentent 1
million de têtes.
A ce jour, plus de 60 % de ces animaux, dont 80 % proviennent du Cantal,
restent invendus. A l'évidence, les éleveurs, plus particulièrement ceux des
zones de montagne, sont dans l'incapacité d'hiverner ces animaux par manque de
bâtiments adaptés et, plus encore, de les nourrir par manque de trésorerie.
En leur nom, je vous demande, monsieur le ministre, à la suite de mon collègue
Pierre Jarlier, d'organiser dans l'urgence un système d'intervention efficace,
tant pour les broutards que pour les vaches de réforme, dont les cours se sont
effondrés, ce qui implique, semble-t-il, une modification des règlements
européens.
Parallèlement aux mesures d'intervention qui s'imposent, l'indemnisation des
pertes subies par les éleveurs, consécutives à la dégradation importante et
brutale du prix de vente de leurs animaux, s'avère indispensable.
Je sais que les préfets des départements de la région Auvergne vous ont fait
parvenir des rapports exprimant leur vive inquiétude à l'égard d'une situation
extrêmement tendue, voire explosive, qui, pour certains éleveurs, peut confiner
au désespoir. L'hiver est à notre porte : il convient, monsieur le ministre, de
faire vite ; par avance, je vous en remercie.
Le dernier point de mon propos fait référence à un courrier que je vous ai
adressé le 2 février dernier pour vous confirmer la candidature du laboratoire
départemental d'analyses et de recherches vétérinaires du Cantal pour le
dépistage de l'ESB en région Auvergne. Récemment, vous avez agréé quatorze
laboratoires, dont un dans l'Allier ; nous nous en réjouissons.
Compte tenu de l'évolution rapide de la situation, de la volonté clairement
exprimée de dépistage systématique, je me permets, monsieur le ministre, de
réitérer avec une particulière insistance ma demande d'agrément du laboratoire
d'Aurillac. Cet agrément se justifie à mes yeux, d'une part, par la qualité et
la performance scientifique de ce laboratoire, qui ne date que de quatre ans,
et, d'autre part, par la présence de 450 000 bovins dans mon département.
Persuadé que de la rapidité d'exécution des tests et de leur fiabilité dépend,
pour une large part, la reconquête de la confiance des consomateurs, je vous
serais reconnaissant, monsieur le ministre, dans un moment crucial pour la
filière bovine, de ne pas repousser l'offre de collaboration qui vous est
faite.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a déjà
été dit mais il faut le répéter : le séisme qui s'est abattu ces dernières
semaines sur l'élevage bovin et sur l'ensemble de la filière bovine est un
drame sans précédent pour toutes les corporations qui la composent, soit 500
000 éleveurs, 2 500 entreprises employant plus de 150 000 salariés, toutes plus
ou moins en difficulté, 30 000 points de vente en boucherie et en grandes et
moyennes surfaces, qui emploient 80 000 personnes.
En 1996, l'annonce de la transmission à l'homme de la maladie de la « vache
folle » avait créé un choc considérable auprès des consommateurs de viande,
mais, Dieu merci ! insensiblement, chacun avait repris ses vieilles habitudes
et la consommation était redevenue presque normale.
Aujourd'hui, nous sommes dans une situation complètement paradoxale, dans la
mesure où cette tornade économique a été déclenchée par un événement qui, au
contraire, aurait plutôt dû être considéré comme rassurant. C'est en retirant
de ses étalages un lot de viande suspect qu'une grande surface, qui croyait
augmenter ainsi la confiance de ses clients, donc des consommateurs, en leur
prouvant la parfaite surveillance de ses produits, s'est vu au contraire
critiquée... Et on connaît le reste de l'histoire !
Nos médias se sont emparés de cette information et, en répétant sans cesse les
noms de M. Creutzfeldt et de M. Jakob, du matin jusqu'au soir, méthode Coué
oblige, et ce pendant plusieurs semaines, ils ont réussi à créer un climat de
suspicion, de crainte et, maintenant, d'affolement.
Quand bien même chacun de nous, à une génération près, est originaire du monde
agricole, il est depuis un certain temps de bon ton, dans certains milieux dits
« intellectuels », de « bavasser » sur tout ce qui est d'origine rurale en
reniant sans vergogne ses origines : au point que d'aucuns n'hésitent pas à
rendre l'agriculture et l'élevage responsables de tous nos maux.
Nous avons tous entendu l'exposition de ces états d'âme presque métaphysiques
de personnes complètement bouleversées parce que les vaches avaient consommé de
la farine de viande. Permettez-moi, monsieur le ministre, de ramener cette
affirmation à sa juste valeur.
Une vache consomme journellement, en moyenne, vingt-cinq à trente kilos de
fourrage divers - paille, foin ou ensilage - et trois ou quatre kilos de
granulés d'aliments du bétail...
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Ce n'est plus vrai depuis dix
ans.
M. Bernard Barraux.
Dans la composition de cet aliment, figure la farine de viande, certes, mais
elle y est incorporée au maximum à 3 %, ce qui, ramené à la ration journalière,
représente 0,3 %, soit 3 0/00 de tous les aliments consommés par les vaches.
Avec la suppression des farines de viande, nos chiens et nos chats souffriront
bien plus d'être transformés en végétariens que nos vaches ont souffert d'être
transformées en carnivores.
Alors que les scientifiques les plus éminents sont à la recherche de la vérité
sur ce problème grave et complexe, nos saltimbanques de l'analyse et de la
vulgarisation ont commenté, jugé et condamné tous les maillons de la chaîne de
production de viande bovine. Chaque corporation devint à son tour un bouc
émissaire, personne ne fut épargné.
La grande majorité d'entre nous n'ayant aucune compétence pour juger du
bien-fondé de ces morbides refrains de condamnation, il était bien naturel que,
pour un temps tout au moins, bon nombre de consommateurs s'interrogent et
s'éloignent progressivement du rayon boucherie en se repliant sur les rayons
volaille et poisson. Mais les conséquences économiques de cette suspicion n'ont
pas été mesurées, et c'est aujourd'hui l'irrationnel qui l'emporte sur le bon
sens, quoique tout le monde sache qu'il est 10 000 fois plus risqué de
s'installer au volant de sa voiture que de s'asseoir devant une assiette de
bifteck frites.
Nous avons perdu toute notion de la hiérarchisation des risques. La preuve :
le professeur Maurice Tubiana, cancérologue à l'hôpital de Villejuif, écrivait,
il y a peu, dans un journal, « qu'il suffirait que l'on consomme un peu plus de
fruits, un peu plus de légumes, un peu moins de graisse d'origine animale pour
que des dizaines de milliers de cancers et de maladies cardio-vasculaires
soient évités. »
M. Jean Glavany,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Ce sont les frites qui sont
dangereuses !
(Sourires.)
M. Bernard Barraux.
Les conséquences sont lourdes et cruelles pour la filière bovine et pour
l'Etat. En effet, si les 535 000 tonnes de farines de viande que nous
consommions devront être détruites, elles devront, en outre, être remplacées,
en tenant compte qu'un kilo de farine de viande correspond en protéines à 1,25
kilo de soja, 1,35 kilo de tournesol, 2,2 kilos de colza et 2,75 kilos de pois
protéagineux, auxquels il faut ajouter 40 000 tonnes de phosphates
naturellement présentes dans la farine de viande.
Déjà, en 1973, le président Nixon nous avait infligé un embargo total sur le
soja pendant plusieurs mois, ce qui avait conduit le président Pompidou à
décider d'orienter notre pays vers une plus grande indépendance protéique.
C'est d'ailleurs à cette époque que l'on a vu les champs de céréales se
transformer en champ de colza, de tournesol et de pois protéagineux. Mais
l'ensemble des accords internationaux de Blair House a bloqué l'extension de
ces cultures.
Avant de relancer ces productions, il nous faudra obtenir de nos amis
américains la rupture de certains petits contrats, nous rappelant au passage
que, depuis quelques années seulement - on sait bien que l'agriculture en
général est aidée, mais que le soja ne l'était pas - les fermiers américains
ont une garantie de revenus sur la production de soja. Devinez pourquoi ils ont
doublé leur emblavement !
La France consomme aujourd'hui 4 270 000 tonnes de soja. La moitié nous vient
du Brésil, sous forme de tourteaux, prétendument sans OGM. Mais les autorités
brésiliennes viennent de décider que les producteurs seront libres d'utiliser
ou non les OGM. L'autre moitié nous vient des Etats-Unis, avec OGM et sans OGM.
De toute façon, tout est mélangé au cours du stockage et du transport. A bon
entendeur, salut !
La crise de 1973 avait vu les cours du soja passer en un mois de 800 à 3 000
francs la tonne. Depuis le début de la crise, le prix du soja est passé de 1
150 à 2 000 francs la tonne, et il continue de monter... Croyez-vous qu'il
existe encore des gens qui se demandent à qui peut bien profiter la situation
actuelle ?
Je suis élu d'une région où la pierre angulaire de l'économie est la vache à
viande, la charolaise. Les veaux sont nourris, comme chacun sait, avec de
l'herbe, de façon naturelle, et, les premiers jours de leur vie, ils ne
consomment que le lait maternel. L'extensification de ce type d'élevage est
pratiquée non par vertu, mais pour de simples raisons physiologiques
incontournables. Et pourtant, nous sommes largement autant pénalisés que les
autres éleveurs, à cette différence près que, nous, nous n'avons pas de lait à
vendre !
Le nombre de cas d'ESB dans le troupeau allaitant est infinitésimal par
rapport au nombre de cas détectés en France, mais nous souffrons des nouvelles
directives européennes, qui ont supprimé le code de la race. Notre charolais
souffre d'une trop grande discrétion, et nous souhaitons vivement que le code
de la race - 38 pour le charolais - soit rétabli.
Nous étions plus de 10 000, mardi dernier, à Clermont-Ferrand, à clamer
désespoir, détresse et désarroi.
A l'approche de l'hiver, les éleveurs ont besoin de vendre pour faire de la
place dans les étables et, surtout, pour avoir de la trésorerie afin de faire
face aux échéances. Ceux qui sont obligés de vendre parce qu'ils ne peuvent pas
attendre perdent entre 2 000 et 3 000 francs par broutard ; les autres gardent
leurs broutards, mais, obligés de les nourrir, ils épuisent prématurément leurs
stocks.
Monsieur le ministre, nos éleveurs ont absolument besoin d'argent frais pour
compenser ces pertes et ces invendus ; il leur faut 2 000 à 3 000 francs par
animal, un plafond d'une dizaine d'animaux par exploitation pouvant être alors
envisagé.
Nous devons trouver le moyen de rétablir la confiance. Même si d'aucuns
s'acharnent à faire des prévisions apocalyptiques quant à l'incertaine période
d'incubation et au nombre des animaux qui risqueraient d'être atteints,
souvenons-nous tout de même que, depuis 1991, 178 cas ont été détectés en
France, à comparer aux 8 553 000 vaches de notre troupeau national ! Cela
représente un taux de contamination de 2 pour 1 000.
Mais, comme disait Einstein, « il est bien plus facile de désintégrer une
molécule que de désintégrer un préjugé » !
(Applaudissements sur les travées
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
discutons aujourd'hui le projet de budget relatif à l'agriculture et à la pêche
dans un contexte particulièrement grave, celui d'une nouvelle crise de la «
vache folle », qui inquiète fortement nos concitoyens et qui connaît un
retentissement tant national qu'européen.
Ce budget s'établit à 29,6 milliards ; à structure constante, c'est un budget
quasiment stable puisqu'il n'augmente que de 0,6 % par rapport à l'année
dernière. Et si nous tenons compte des prévisions d'inflation du Gouvernement,
soit 1,2 %, ce budget est, en fait, en baisse de 0,6 %. Comme l'an dernier,
nous pouvons donc conclure que l'agriculture n'est pas une priorité pour le
Gouvernement, ce que nous regrettons vivement.
En outre, comme je le soulignais déjà l'an passé, la politique
macro-économique du Gouvernement handicape le secteur agricole : je pense, par
exemple, aux 35 heures ou à la TGAP.
Dans ce cadre général de faiblesse budgétaire, il est consolant de constater
que priorité est donnée à la sécurité alimentaire. Il s'agit là d'un impératif
au regard de la protection de la santé publique dans notre pays. Comment,
d'ailleurs, pourrait-il en être autrement compte tenu d'une actualité si
intense sur le sujet ?
A propos de l'ESB, le 21 novembre dernier, le Sénat a décidé de mettre en
place une commission d'enquête sur l'utilisation des farines animales. Au cours
de nos débats, nous avons évoqué l'ampleur de cette crise et la nécessité de
mesures fortes pour rassurer les consommateurs.
Aujourd'hui, je souhaite revenir sur la situation critique dans laquelle se
trouvent de nombreux éleveurs face à la chute vertigineuse - et,
malheureusement, peut-être durable - de la consommation de viande bovine. Ils
rencontrent d'énormes problèmes financiers en pleine période de paiement des
fermages et des annuités d'emprunt. C'est pourquoi, lors de l'examen de la
première partie du projet de loi de finances, nous avons adopté un amendement
visant à exclure de la définition des bénéfices de l'exploitation les sommes
perçues au titre des indemnisations des pertes de cheptel bovin touché par
l'ESB.
Toute la filière, qu'il s'agisse des négociants en bestiaux, des groupements
de producteurs, des associations d'éleveurs ou des abattoirs, connaît les mêmes
problèmes, ce qui justifie des aides appropriées pour chacun.
Dans ces circonstances particulières, monsieur le ministre, trois actions me
semblent indispensables.
Il faut d'abord que les contrôles dans les exploitations concernant le
chargement/hectare et la prime à l'herbe cessent pendant la période de crise,
sachant que chaque éleveur a environ 20 % de cheptel en plus.
M. Serge Mathieu.
Très bien !
M. Charles Revet.
Très bonne idée !
M. Jean-Paul Emorine.
Ensuite, il ne faut retarder aucune mesure de communication permettant de
rassurer nos concitoyens, et il est urgent, parallèlement, de mettre en oeuvre
concrètement des indications géographiques protégées.
Enfin, il convient de rééquilibrer le marché de la viande bovine, en France
comme en Europe. Dans un rapport sur la PAC que j'avais eu l'occasion de
présenter avec mon collègue Marcel Deneux, nous avions déjà proposé une
maîtrise de la production bovine au niveau communautaire.
Sur ce dossier de la « vache folle », nous constatons avec satisfaction que
nos partenaires européens se rallient finalement à vos propositions. La
Commission européenne a fini par recommander la suspension des farines carnées,
qui vient d'être décidée au conseil des ministres de l'agriculture de lundi
dernier.
Que cela ne soit pas une raison de baisser la garde ! La crise de l'ESB devra
trouver une solution à l'échelon européen, ce qui implique, d'une part, que les
embargos partiels décrétés par certains pays à l'encontre des viandes
françaises ne sont pas justifiés, d'autre part, que la généralisation des tests
en abattoirs, la mise au point d'un test et le développement de la recherche
scientifique sur la maladie elle-même doivent être des objectifs prioritaires
pour l'Union européenne, enfin, qu'une politique européenne de production de
protéines végétales, utilisant les terres gelées, doit être décidée.
Il vous faut, monsieur le ministre, saisir l'opportunité de la présidence
française de l'Union européenne et du sommet de Nice pour que soient prises en
compte ces propositions.
Au-delà de la sécurité alimentaire, votre budget laisse le monde agricole
inquiet quant à son avenir.
Premièrement, je note simplement que nos craintes sur le CTE se révèlent de
plus en plus justifiées, comme l'a montré notre collègue M. Joël Bourdin dans
son rapport.
MM. Jean-Claude Carle et Charles Revet.
Très juste !
M. Jean-Paul Emorine.
Deuxièmement, la politique d'installation des jeunes est menacée : la dotation
aux jeunes agriculteurs est seulement stabilisée par rapport à 2000, année où
elle a subi une réduction de près de 25 %. Nous avions déjà dénoncé cette
aberration l'an passé.
M. Serge Mathieu.
Absolument !
M. Jean-Paul Emorine.
Votre argument consistait alors à dire que ces crédits demeuraient dans la
mesure où ils étaient affectés aux CTE. En réalité, cela signifie que, pour
s'installer et être aidé, tout jeune doit souscrire un CTE. Ainsi, l'échec
aujourd'hui évident des CTE participe à l'insuffisance du nombre
d'installations. Il s'agit là d'un cercle vicieux qu'il nous faut
impérativement enrayer !
En effet, les mauvais résultats de l'installation des jeunes - on enregistre
une diminution de 35 % en trois ans - ont de graves conséquences en matière
d'emplois et d'aménagement du territoire. De nouvelles mesures pour relancer
l'installation sont donc pleinement justifiées.
Je vous ai proposé à plusieurs reprises, monsieur le ministre, un dispositif
qui mérite qu'on y réfléchisse. Il s'agit de remplacer un cédant par un jeune
exploitant, le rapport est alors bien de un pour un, alors que, dans le cadre
actuel, il y a souvent deux cédants pour une seule installation. Cette
proposition pourrait, en outre, avoir un aspect social dans la mesure où
l'agriculteur de cinquante-cinq ans travaille souvent depuis quarante ans. Vous
invoquez notamment le coût financier qu'aurait une telle disposition, mais je
vous rappelle que l'Union européenne peut apporter 50 % du financement.
Troisièmement, la réforme de l'assurance récolte n'est toujours pas
opérationnelle. M. Babusiaux a rendu son rapport au début du mois de novembre.
Nous aimerions connaître vos intentions à ce sujet, monsieur le ministre.
Quatrièmement, en ce qui concerne les retraites agricoles, vous poursuivez le
plan de revalorisation mis en place antérieurement. Cependant, je regrette que
vous n'ayez pas choisi d'accélérer ce plan, ce que permettent le retour de la
croissance et les rentrées fiscales. Parallèlement, il faut aller vers la
mensualisation du paiement des retraites agricoles.
Enfin, je souhaiterais savoir dans quelles conditions sera prorogé le PMPOA,
le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole.
La loi de finances pour 1997 prévoyait la présentation au Parlement d'un
rapport, mais celle-ci n'a jamais eu lieu.
Le Gouvernement a récemment transmis de nouveaux textes réglementaires à
Bruxelles ; nous voudrions savoir quelles sont les nouvelles priorités du
programme, dans quelles conditions les petites exploitations y seront
intégrées, quelle sera l'année d'intégration et comment seront traités tous les
dossiers, notamment ceux des listes d'attente qui se sont constituées sur la
base des anciennes modalités, c'est-à-dire entre 1996 et 2000 ?
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer et pour celles que nos
rapporteurs ont développées avec plus de précision, monsieur le ministre, le
budget de l'agriculture et de la pêche ne nous paraît pas satisfaisant : le
groupe des Républicains et Indépendants ne le votera pas.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la viticulture
du Languedoc-Roussillon est à un tournant.
Elle a effectué à marche forcée une transformation du vignoble, passant de la
production de masse à la mise sur pied de produits de qualité. Encépagement,
méthodes de vinification, connaissance des sols et de la maturité du raisin :
toutes les techniques scientifiques ont été mises en oeuvre pour atteindre ce
résultat impressionnant que le monde entier nous envie.
Le vignoble du Languedoc-Roussillon est à la mode chez les grands experts
internationaux, chez les prescripteurs du goût, notamment américains et
australiens.
Les grands opérateurs étrangers négocient à haut prix l'achat d'un foncier
qui, peu à peu, échappe à nos jeunes viticulteurs. Tout près de ma commune,
Mondavi, une
winery
de la Napa Valley, cherche à s'installer sur des
terres de garrigue, provoquant d'ailleurs une certaine inquiétude chez les
agriculteurs.
le prix de la bouteille de vin de cépage ou d'un AOC atteint des niveaux
records à l'exportation : de 80 francs à 400 francs, pour un vignoble de
renommée internationale, situé dans la vallée de l'Hérault, lui aussi.
Or, paradoxe, dans le même temps, se profile à nouveau la mévente du vin,
phénomène que l'on croyait révolu et qui plonge les producteurs de nos villages
dans le désarroi. Les vins de table ne trouvent pas preneur. Le prix de vente
des vins de pays est au plus bas. Le spectre d'une crise grave, qui anéantirait
l'effort admirable de toute une génération, est à nouveau présent, ravivant les
pires souvenirs dans la mémoire collective.
C'est la raison pour laquelle, après un temps de mobilisation, 5 000 vignerons
ont défilé lundi à Montpellier, accompagnés de nombreux élus. J'ai pu
constater, à cette occasion, la froide détermination qui les animait, et aussi
leur sens de la responsabilité.
Hier soir, à une heure tardive, monsieur le ministre, vous avez reçu leur
délégation, conduite par Denis Verdier et Jean Huillet. Après une longue
négociation, vous avez fait droit à leur principale demande : une distillation
substantielle à un prix rémunérateur, soit 24 francs le degré/hecto. Ils m'ont
chargé, monsieur le ministre, de vous dire leur satisfaction devant ce geste
des pouvoirs publics qui, en permettant de retirer les produits les moins
nobles, doit relancer le marché et enrayer la mévente.
Ils savent toutefois qu'il ne serait pas raisonnable de se reposer sur la
seule bonne volonté de la collectivité nationale. Nous, gens du
Languedoc-Roussillon, nous devons admettre lucidement qu'un signal d'alerte
s'est déclenché. Oui, il y a risque à nouveau pour notre viticulture si une
nouvelle étape n'est pas franchie par nos producteurs.
Nous sommes ici, au Sénat, dans un débat budgétaire Nous, parlementaires,
sommes chargés de servir d'interface entre vous, monsieur le ministre, et la
profession ; nous devons participer à la recherche de solutions d'avenir.
L'ensemble de la filière - coopératives, caves particulières, groupements de
producteurs, négoce - a compris que les efforts considérables effectués sur
l'amont de la production ne suffisaient plus. Il faut, à présent, accélérer la
marche à l'excellence en matière de comercialisation, de
marketing,
de
promotion et de conquête de marchés internationaux. Il faut vendre, non pas du
vin, mais l'image de « notre » vin, telle que deux millénaires d'histoire l'ont
façonnée.
Cette réorientation, vous en avez pour partie la responsabilité, monsieur le
ministre. C'est un deuxième tournant historique, pour lequel nous vous
demandons de nous accompagner. Les vignerons sont prêts à ce nouvel effort. Les
élus sont mobilisés. Nous attendons de vous un engagement et une promesse :
celle du soutien de la nation.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Parce que nous savons que nous pouvons compter sur vous et sur le
Gouvernement pour nous aider à franchir cette étape
(Exclammations sur les
travées des Républicains et Indépendants),
avec d'ailleurs moins d'argent
public que pour beaucoup d'autres régions, je le dis au passage, et parce que,
plus largement, nous apprécions votre politique sur tous les fronts - et ce
n'est pas facile ! - sachez que nous, sénateurs radicaux, voterons avec plaisir
votre budget.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Boyer.
Mme Yolande Boyer.
Le monde de la pêche est rude. Vous en savez quelque chose, monsieur le
ministre, puisque, récemment, vous avez partagé une nuit de pêche en mer sur un
chalutier finistérien.
L'année qui s'achève a été particulièrement dure pour les pêcheurs : naufrage
de l'
Erika
avec son flot de conséquences, et augmentation du prix du
gasoil. Les organisations professionnelles ont d'ailleurs salué l'efficacité de
votre action en cette occasion ; c'est une belle reconnaissance du souci que
vous avez pour les entreprises de pêche.
Mais, au-delà des problèmes conjoncturels, plus inquiétants sont les problèmes
structurels. La discussion budgétaire est l'occasion d'en débattre : quelle
pêche aurons-nous demain et pour quels pêcheurs ?
M. Henri de Raincourt.
Une pêche d'enfer !
(Sourires.)
Mme Yolande Boyer.
Le souci numéro un, c'est, bien sûr, la protection de la ressource, qui passe
entre autres par les totaux admissibles de capture. Des professionnels ont
réagi vivement à la récente décision d'extension des quotas à de nouvelles
espèces. Malheureusement, la pénurie est bien là et il faut imaginer des
solutions. La réduction de la capacité des flotilles en est une, mais elle a
montré ses limites.
En concertation avec les organisations professionnelles et les scientifiques,
d'autres moyens sont à explorer, comme les licences d'exploitation ou
l'amélioration des engins de pêche. Sur le plan européen, nous devons également
obtenir les moyens de moderniser notre flotte. A ce propos, monsieur le
ministre, pouvez-vous évoquer la préparation de la politique commune des pêches
pour 2002 ?
Les deux rapports qui vous ont été remis sur la pêche dans la bande côtière et
sur les activités portuaires contiennent des propositions constructives.
Certaines peuvent être mises en oeuvre rapidement : la réforme de la taxe
portuaire, l'organisation des criées ou encore la redevance équipement.
Dans la deuxième partie de mon intervention, je veux insister plus
particulièrement sur certains aspects.
Le budget de l'OFIMER, de 95,8 millions de francs, est en faible augmentation
: 0,2 %. Est-il vraiment suffisant pour que s'affirme son rôle en matière de
politique de filière et de recherche de la qualité pour la valorisation des
produits ? En effet, l'avenir de la pêche française sera d'autant mieux assuré
qu'elle parviendra à opérer sa « révolution qualitative ». Compte tenu du
caractère limité des ressources, c'est non pas la course à la production, mais
la recherche de qualité, la garantie de traçabilité et la création de valeur
ajoutée qui assureront la rentabilité pour les pêcheurs.
En ce qui concerne la fiscalité, des propositions faites à l'Assemblée
nationale par mon collègue finistérien Gilbert Le Bris, destinées à mieux
soutenir les revenus des marins, me semblent dignes d'intérêt. Elles consistent
à prévoir des exonérations fiscales spécifiques, comme cela se pratique dans
d'autres pays européens ou pour la marine marchande.
En effet, le système de rémunération à la part ne favorise pas l'intérêt des
jeunes pour ce métier difficile, dont l'image doit être améliorée. Cela passe
aussi par la formation. Les professionnels se prononcent pour le baccalauréat
professionnel « secteur pêche » et pour la sensibilisation des jeunes aux
problèmes des ressources biologiques et de la qualité des produits.
J'évoquerai en troisième lieu, ce qui ne surprendra personne, la place des
femmes.
Le statut de conjoint collaborateur, établi par la loi d'orientation sur la
pêche maritime et les cultures marines de 1997, représente une avancée
considérable, mais il faut aller plus loin. La parité avance dans le domaine
politique. Je connais l'attention que vous portez à ce sujet puisque, pas plus
tard que mardi dernier, vous avez réuni au ministère des femmes représentantes
des milieux de la pêche et de l'agriculture. Les associations de femmes
réclament une juste représentation dans les instances professionnelles telles
que les comités locaux des pêches ou le comité national. Comment pensez-vous
favoriser cette évolution ?
Le dernier point que je traiterai concerne la politique sociale. Pouvez-vous
nous faire part, monsieur le ministre, de l'évolution de la négociation sur le
repos hebdomadaire ?
Je veux également remercier le Sénat qui, voilà quelques jours, lors de la
discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, a voté, à
l'unanimité, un amendement que j'avais cosigné avec Marie-Madeleine
Dieulangard, permettant une revalorisation des indemnités maladie des marins.
Ce pas est important pour la profession.
En conclusion, l'augmentation de 8 % des crédits d'intervention va dans le bon
sens. L'effort est particulièrement significatif en ce qui concerne les
entreprises de pêche et l'aquaculture, qui bénéficient d'une augmentation de
21,5 %, soit près de 12 millions de francs supplémentaires. Nous savons votre
volonté et connaissons votre action pour que la France, dans la Communauté
européenne, conserve une activité de pêche vivante et dynamique. C'est pourquoi
le groupe socialiste votera votre budget.
Toutefois, en tant qu'élue bretonne, je ne peux quitter cette tribune sans
vous faire part, monsieur le ministre, de la profonde détresse des agriculteurs
face au drame que représente la crise actuelle de la filière bovine ; cela a
été largement évoqué ce matin.
Les aides aux producteurs sont indispensables, mais restaurer la confiance des
consommateurs, notamment par des tests systématiques, est également essentiel
pour résoudre cette crise. J'aurai l'occasion de vous interroger plus
spécifiquement cet après-midi sur ce sujet.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Rispat.
M. Yves Rispat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus
de trente ans que je partage sur le plan professionnel, consulaire, et
aujourd'hui en tant qu'élu, le combat du monde agricole et rural, notamment
dans mon département, le Gers.
Depuis 1977, je n'ai jamais connu de situation aussi dramatique ni une telle
chute de revenus pour des agriculteurs, tout particulièrement les éleveurs, qui
sont désignés aujourd'hui comme les boucs émissaires d'une situation dont ils
ne sont pas responsables. Comment ne pas se sentir concerné par les difficultés
qu'ils rencontrent en ce moment ? Comment ne pas les assurer de tout notre
soutien dans cette période de marasme ? L'agriculture française a connu de
nombreuses mutations en trente ans, notamment après les lois d'orientation
agricole de 1960 et de 1962, qui, en affirmant la maîtrise du sol par les
agriculteurs, ont entraîné une formidable relance de ses capacités de
production. Cela a permis à la France d'être la deuxième puissance exportatrice
mondiale. L'agriculture française est reconnue comme l'une des meilleures du
monde.
Aujourd'hui, après la limitation des productions imposée par la politique
agricole commune, l'introduction des jachères, la crise de la « vache folle »
vient d'entrer avec fracas. Elle divise l'Europe, les Etats, et angoisse, à
juste titre, tous nos compatriotes.
Au-delà des sondages - cela a été dit à plusieurs reprises - la constatation
est évidente : la consommation de viande de boeuf a baissé de 40 %.
La confusion est grande. On désigne trop facilement les éleveurs, et même
l'ensemble des agriculteurs, comme des coupables. Ne sont-ils pas d'abord des
victimes ? Les intermédiaires, les industriels de la viande, les bouchers
artisanaux ne sont-ils pas eux aussi, à leur manière, des victimes non
responsables ?
Faute d'images claires de l'origine de la transmission de la maladie, des
conséquences qui en résulteront, de réalités scientifiques incontestables, nous
risquons de rester longtemps dans la crise, dans l'irrationnel et dans cette
psychose qui conduit non pas aux bonnes décisions, mais à une sorte de panique
très dommageable pour une politique publique rationnelle dans ce domaine.
En matière de sécurité alimentaire, personne ne méconnaît la nécessité de
l'urgence d'agir, ce que viennent de faire les ministres de l'agriculture des
Quinze - à notre demande, monsieur le ministre - qui ont décidé, le 4 décembre
dernier, d'interdire enfin les farines animales dans l'alimentation des animaux
de ferme, comme le demandait la France.
En quelques jours, la crise a pris la dimension d'une psychose nationale.
C'est donc bien d'une affaire d'Etat qu'il s'agit, posant une nouvelle fois un
problème de santé publique. C'est une crise de confiance alimentaire, mais
aussi une crise de confiance dans notre agriculture.
Il faut que les citoyens-consommateurs, les scientifiques et nous, acteurs
politiques, débattions plus que jamais pour réfléchir à notre modèle de
consommation et au type de production qui pourrait lui correspondre. C'est
l'enjeu du siècle à venir.
Une fois mis en pratique le fameux principe de précaution, auquel tous les
consommateurs sont très justement attachés, il ne faut pas que ce principe de
précaution devienne systématiquement un principe d'interdiction généralisée.
Les agriculteurs ont en effet besoin de ce que j'appellerai aujourd'hui le «
principe d'espérance ».
Dans notre département, comme chaque fois que les intérêts de nos producteurs
sont en jeu et que la qualité de nos produits doit être affirmée, nous savons
unir nos efforts pour retrouver l'heureux temps du « Bonheur dans le pré » et
dans l'assiette, du « Suivez le boeuf », et pourquoi pas, de « La vache qui rit
».
Quand on sait ce que l'agriculture et le monde rural français ont apporté à la
France en termes de sacrifices humains, quand on pense aux révolutions
culturales qui ont permis de faire de la France la deuxième puissance agricole
mondiale, quand on pense au formidable bond en avant de l'agriculture gersoise
pendant les trente dernières années, à son taux encore exceptionnel de
population agricole - plus de 25 %, c'est-à-dire le plus important de France -
on ne peut pas décemment accepter que les agriculteurs, les éleveurs, les
paysans soient ainsi montrés du doigt et désignés à la vindicte publique comme
pour mieux les faire disparaître.
En ce qui concerne le département dont j'ai l'honneur d'être l'élu, l'un des
tous premiers en matière d'oléagineux, je souhaite que soit relancée la filière
oléo-protéagineuse, la protéine végétale devant nous permettre, à terme,
d'assurer une autosuffisance en dehors du marché américain.
Je déplore à nouveau les lourdes conséquences des concessions excessives
faites aux Etats-Unis lors des accords de
Blair House
, qui ont entraîné
une limitation des surfaces d'oléagineux et de protéagineux, nous rendant ainsi
de plus en plus dépendants du continent américain. Je souhaite donc que soient
mises en place des aides importantes pour relancer ces cultures et les rendre
plus attractives aux producteurs.
De même, des aides importantes doivent être consenties aux éleveurs dans le
cadre de la crise de la « vache folle » : elles pourraient se situer à 1 000
francs par tête pour frais de garde et pour compenser la chute des cours.
Je me réjouis de l'adoption par le Sénat d'un amendement que j'ai cosigné,
prévoyant l'exonération de l'impôt sur le revenu des sommes perçues au titre
des indemnisations des pertes de cheptels bovins résultant de l'ESB.
Il est également indispensable de prévoir à l'égard des viticulteurs des
mesures exceptionnelles de soutien, face à leur confrontation de plus en plus
vive à la concurrence de productions, européennes et latino-américaines, alors
que l'effort de qualité a été, dans ce domaine aussi, indéniable.
J'ajouterai aussi qu'il est urgent, mais vous ne l'ignorez pas, de revaloriser
les retraites agricoles. Le combat est engagé depuis 1996. Il faudra encore
attendre l'année 2002 pour que les plus petites retraites atteignent le minimum
vieillesse.
Comment assurer le financement de toutes ces actions ? Par l'Etat, bien sûr,
et plus sérieusement que ce que vous avez prévu ; par l'Europe aussi ; mais
également - je veux vous faire part d'une proposition - par l'un des
partenaires essentiels des agriculteurs et du monde agricole, qui a largement
profité de leur confiance et de leur fidélité : le Crédit agricole.
Permettez-moi de rappeler l'importance de cet établissement bancaire, qui
représente aujourd'hui un capital de plus de 500 milliards de francs : première
banque française, deuxième banque européenne, quatrième banque mondiale.
Cette banque, gérée remarquablement par une technostructure très compétente,
multiplie ses participations dans tous les domaines. Elle affiche un résultat
net pour 1999 de 15,6 milliards de francs, soit une hausse de 26,3 % par
rapport à l'année précédente.
Cette banque ne peut oublier ses fondateurs. Dans sa structure juridique, elle
reste toujours mutualiste, ce qui la protège de toute OPA et de tout rachat.
Mais à qui appartient donc le capital du Crédit agricole ? En effet, y
cohabitent aujourd'hui des actionnaires - l'ensemble du personnel et les
représentants des cinquante-trois caisses régionales - et des sociétaires. Les
5,61 millions de sociétaires restent détenteurs des seules parts sociales,
toujours évaluées à leur valeur nominale d'émission, et subissent, de ce fait,
un incontestable préjudice.
Il paraît urgent de modifier le code rural, particulièrement l'article 618
concernant cette banque coopérative. Il convient, en effet, d'attribuer à ces
parts sociales leur valeur réelle, peut-être en les transformant en actions.
On pourrait s'inspirer, pour cette adaptation, du modèle anglais de
privatisation des mutuelles. Que l'on m'entende bien : il ne s'agit pas de
remettre ici en cause le système coopératif qui, fondé sur la solidarité
mutualiste, a fait ses preuves et a largement participé au développement de
notre agriculture.
Dans une coopérative de production, de collecte ou d'approvisionnement, on
n'impose pas à chaque opération de vente ou d'achat un prélèvement de parts
sociales. L'apport se fait au moment de l'adhésion du coopérateur, ou lorsque
la coopérative décide une augmentation du capital. Au Crédit agricole, c'est
sur chaque opération nouvelle de prêt que l'on prélève un pourcentage de parts
sociales, des parts qui ne sont presque jamais rémunérées ou, si elles le sont,
c'est à des taux généralement très faibles, voire sous la forme d'une
attribution de nouvelles parts sociales.
C'est pourquoi, dans cette assemblée qui est aussi la « Chambre d'écho »
(Sourires)
du monde rural, je tenais à vous faire part, monsieur le
ministre, de cette préoccupation.
Devant la crise que va traverser le monde agricole, il importe de mettre
chacun face à ses responsabilités, sans exonérer les pouvoirs publics des
leurs.
C'est, en effet, en mobilisant tous les moyens disponibles que l'on pourra
redonner espoir au monde agricole.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vivant au
milieu des éleveurs, je veux vous faire part de leur état d'esprit et de la
détresse qui les accable.
La façon dont la crise de l'ESB a été traitée par les médias, les informations
flamboyantes et affolantes qui ont été répandues ont causé la situation que
nous vivons aujourd'hui : mévente, plongée des cours et chute verticale de la
consommation !
La filière s'est ainsi paralysée et, aucune amélioration n'étant perceptible,
un climat de désespoir s'est installé, sans doute pour durer. C'est que les
trésoreries sont épuisées, les échéances de fin d'année tombent, l'ambiance est
à l'accablement, d'autant que l'opinion publique ne manque pas d'en rajouter et
de culpabiliser les éleveurs.
Ces derniers perdent confiance. Ils ne croient plus dans le pouvoir, pas plus
que dans les élus, qui, à leurs yeux, dispensent des promesses avec abondance
mais les concrétisent avec parcimonie.
En même temps que des aides financières, il attendent surtout du Gouvernement
qu'il use de son influence et de son poids, qui est grand, pour inverser la
tempête médiatique qui a tout démoli.
A entendre certains médias, nous serions revenus à l'époque de la Peste noire,
quand les charretiers du roi passaient chaque matin enlever les cadavres sortis
des habitations. Heureusement, il n'en est rien. Certes, nous avons à regretter
deux ou trois victimes, mais, grâce aux précautions que vous avez prises,
monsieur le ministre - nous vous en remercions et nous vous en félicitons -
bien que le risque zéro n'existe pas, on peut maintenant consommer en France de
la viande sans craindre quoi que ce soit.
Disons-le et redisons-le encore, il faut désintoxiquer cette opinion publique
malade. Il faut employer les mêmes moyens que ceux qui ont si largement
contribué à compromettre la situation.
Les éleveurs sont en mauvaise position et d'autres producteurs, notamment de
fruits et légumes, ont à faire face également à des problèmes. C'est pourquoi,
d'une façon générale, les paysans se sentent isolés et abandonnés.
Dans un pays qui bénéficie de la reprise économique et dans lequel les
entreprises vont bien, les agriculteurs se sentent écrasés par un système où
ils sont les seuls à être tout à la fois responsables et victimes. Ils sont
entourés par un environnement qui les broient et qui, lui, vit dans la sérénité
et la sécurité.
Les agriculteurs, et j'ai peine à le dire, n'ont pas vraiment confiance dans
leur syndicalisme : il y a de moins en moins d'adhérents et le pluralisme
syndical, avec la guerre des chefs qui en découle, les agace profondément.
Ils avaient mis en place voilà quelques décennies un système mutualiste de
crédits, de coopératives et d'organisations diverses qui, jusqu'à ces dernières
années, donnait satisfaction et avait la confiance des adhérents. Hélas ! les
circonstances ont conduit tout ce système para-agricole à évoluer vers le
gigantisme : l'homme ne s'y retrouve plus. On m'interroge constamment sur cette
situation dans laquelle l'exploitant est livré à lui-même et à la loi du
marché, et ce sans protection face aux aléas du commerce mondial.
A titre d'exemple, les jeunes éleveurs de mon pays ont trouvé dans un
restaurant d'une chaîne nationale de la viande d'Argentine ! Le mystère demeure
sur le circuit qu'elle a emprunté pour parvenir dans la vallée de la Loire
mais, si son origine est indiscutable, il est bien entendu qu'aucune marque
d'identification ou de traçabilité n'existe.
Monsieur le ministre, une situation aussi trouble provoque le désespoir, qui
lui-même annonce parfois la violence. Il faut éviter d'en arriver là ! Le
conseil régional des Pays de la Loire, sur l'initiative de son président et
avec la participation des cinq départements qui composent la région, a dégagé
des crédits importants. Les élus régionaux et départementaux attendent une
participation équivalente de l'Etat afin de mener des opérations de dépistage
et d'aide.
Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas rester insensible à cet appel et à
cette action !
J'évoquerai un dernier point, monsieur le ministre, après M. Vecten,
rapporteur pour avis, qui vous a alerté sur les bruits pessimistes provoqués
par les propos de votre directeur général de l'enseignement agricole. Au moment
où la situation sur le terrain est celle que nous vivons, la résurrection d'une
guerre scolaire semble totalement irréaliste et choquante. L'agriculture et le
milieu rural ont besoin de toutes les synergies pour sortir des difficultés. Le
système scolaire pluriel installé par la loi de 1984 doit être maintenu, et
nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour couper court à des bruits et
à des intentions qui ne peuvent que mener à un grave malaise dont ni votre
ministère et ni les agriculteurs n'ont besoin.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures,
sous la présidence de M. Jacques Valade.)