SEANCE DU 4 DECEMBRE 2000
Sur ce titre, la parole est à Mme Beaudeau.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Ce n'est pas bon signe !
(Sourires.)
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mais si, monsieur le président de la commission des finances, c'est très bon
signe !
Monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur une situation
qui relève de votre responsabilité.
Dans le cadre du contrôle budgétaire de Maison de la France, qui dépend du
secrétariat au tourisme, j'ai pu rencontrer les personnels en poste à Londres.
Leur inquiétude est grande. Depuis la publication du décret du 25 mars 1993,
les personnels du tourisme recrutés localement à l'étranger voient leur salaire
gelé du fait de la suppression de leur indemnité de résidence.
Il semble bien qu'une erreur grave ait été commise et perdure. N'y a-t-il pas
confusion entre les contrats des Français recrutés localement et les contrats
des Français recrutés depuis Paris ?
Les contractuels locaux recevaient une indemnité de résidence, reconnue, en
guise de compensation de salaires bruts trop faibles. Or, cette indemnité était
déjà inférieure de 15 % à ce que percevaient les personnes recrutées depuis la
France, et, bien entendu, les contractuels locaux n'avaient pas droit à la
mobilité.
L'Etat n'était pas perdant. Ne versant des charges sociales que sur le salaire
brut, ne réalisait-il pas une économie de 50 % ? La retraite, en revanche, se
trouvait beaucoup plus faible pour les personnels considérés.
Ces contractuels sont dans une nasse d'où ils ne peuvent pas sortir, car ils
supportent une réglementation ne leur étant pas, en fait, destinée.
Et enfin, dernière anomalie, la révision du décret du 18 juin 1987, portant
fixation du statut des agents contractuels de l'Etat, devait permettre à ces
personnels de pouvoir bénéficier des accords Durafour. Pourquoi leur a-t-on
refusé ce bénéfice ? Je suis obligée de constater qu'il s'agit là d'une
véritable injustice.
Je considère aussi l'intérêt et l'efficacité du travail de ceux et de celles
qui nous représentent à l'étranger pour mieux faire connaître la France. Je
n'ai pas besoin de vous rappeler que notre balance commerciale en matière de
tourisme représente un solde positif de plus de 90 milliards de francs. Ce
résultat n'est-il pas aussi le fruit de leur travail ?
Mme la secrétaire d'Etat au tourisme, que j'ai consultée sur cette affaire
déjà ancienne, partage cet avis. Elle vous a également sollicité, monsieur le
ministre. Votre budget permettra-t-il de retenir la solution attendue ? En
effet, sur le fond, ne convient-il pas d'augmenter le traitement indiciaire des
agents à l'occasion d'un changement de catégorie ? Mais, bien entendu, cela
nécessiterait une révision importante des grilles indiciaires. En effet, de par
leur ancienneté, tous ces personnels sont bloqués au sommet de leur catégorie
depuis de nombreuses années.
Vous le savez, la France a besoin de représentants à l'étranger, reconnus et
placés à un niveau de responsabilité et de salaire digne du rang et de la
fonction occupés.
Je souhaiterais également que vous procédiez à un nouvel examen de la
situation des fonctionnaires d'Afrique du Nord qui se sont engagés lors de la
dernière guerre mondiale. J'ai entendu tout à l'heure l'orateur du groupe
socialiste vous poser la question, mais, sauf distraction de ma part, vous n'y
avez, semble-t-il, pas répondu.
A l'époque, ils ont choisi l'honneur en s'engageant dans la voie de la défense
de leur pays. Ils n'ont fait que leur devoir, me direz-vous. Certes ! Mais ils
l'ont fait - cela doit être retenu - et à une époque où « l'Algérie, c'était la
France ».
La carrière de leurs collègues métropolitains a pu être reconstituée à la
Libération pour ne pas pénaliser ceux et celles qui avaient choisi la voie de
l'honneur. L'ordonnance de 1945 a régularisé la situation des fonctionnaires de
la métropole, oubliant, volontairement ou non, ceux d'Afrique du Nord.
On ne peut pas envisager, connaissant la reconnaissance de l'opinion vis-à-vis
des patriotes à la Libération, que cette situation résulte d'un oubli
volontaire ou d'une sous-estimation du rôle patriotique joué. De fait, l'oubli
est venu de la part de l'Etat. Cette situation est injuste, mais aussi
moralement insupportable. Le devoir de patriotisme est un, sa reconnaissance
doit être une.
A l'époque, cette situation n'a pas fait l'objet de luttes très marquées ;
mais, progressivement, cette anomalie, cette différence de traitement est
apparue, et des volontés gouvernementales, malheureusement très incomplètes et
souvent sans efficacité, se sont manifestées.
Ces volontés gouvernementales se sont révélées incomplètes lorsque, le 7
janvier 1959, une ordonnance a étendu l'application de l'ordonnance de 1945 aux
seuls fonctionnaires ayant servi en Tunisie.
Elles se sont avérées inefficaces lorsque le gouvernement de M. Mauroy, en
1982, a rétabli le principe d'égalité en levant la forclusion et en étendant le
bénéfice de l'ordonnance de 1945 à tous les fonctionnaires d'Afrique du Nord,
d'Algérie, de Tunisie et du Maroc ; mais il a fallu une loi de 1987 pour que ce
texte entre en application.
Dans les faits, cette mesure n'a pas été prise en compte par les ministères.
Même le ministère de la défense n'a pas contribué à l'efficacité de
l'application de la décision de reconnaissance, ses fonctionnaires, comme ceux
d'autres ministères, n'ayant pas même été informés de la levée temporaire de la
forclusion.
Aujourd'hui, cinquante-cinq ans après, une seule mesure peut permettre de
faire respecter une décision de justice : la réouverture des délais
s'impose.
S'impose également la constitution de commissions de reclassement où les
bénéficiaires seraient représentés, comme ils l'ont été de 1985 à 1994 par
leurs pairs, c'est-à-dire par des anciens combattants. Le Premier ministre,
alors candidat, s'y était engagé à deux reprises, en 1995 et en 1997.
Cela représente, avec le temps qui passe, peut-être quelques centaines de
dossiers à régulariser ; comme vous le disiez fort justement à l'Assemblée
nationale, monsieur le ministre, « ce n'est pas parce qu'il y en a très peu
qu'il ne faut pas y prêter attention, mais le chiffre a considérablement
diminué par rapport à plusieurs milliers de fonctionnaires envers lesquels nous
avions un devoir moral ».
Seule une décision budgétaire peut accomplir au grand jour ce devoir moral. Et
si vous le décidiez, comme mes amis du groupe communiste républicain et citoyen
et moi-même le souhaitons, vous ne seriez pas en désaccord avec le chef du
Gouvernement, qui écrivait ceci, en 1997 : « De retour aux responsabilités,
nous examinerons les conditions d'une juste représentation des rapatriés au
sein des commissions d'anciens combattants de reconstitution de carrières, mise
à mal par le décret de novembre 1994 », pris, je le rappelle, par M. Balladur,
monsieur le président de la commission des finances !
M. Jean-Jacques Hyest.
Encore une promesse non tenue !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
En trois ans et demi, il aurait sans doute été
possible de faire quelque chose !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, un engagement budgétaire sur la
base suivante : la réouverture de tous les dossiers par simple levée de
forclusion ; l'exonération fiscale des indemnités réparant les préjudices de
carrière ; la modification de la composition des commissions de reclassement
avec la participation des représentants des rapatriés, anciens combattants.
Actuellement, le devoir de mémoire s'affirme. Il doit aussi s'affirmer non pas
seulement sur ceux qui auraient pu déshonorer la France, mais aussi sur ceux
qui ont défendu la France.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur le ministre, je
voudrais que vous sentiez à quel point nous nous intéressons à la mission qui
vous a été confiée par le chef du Gouvernement : en effet, je me réjouis de
voir siéger dans cette enceinte, ce soir, de nombreux sénateurs, notamment de
nombreux membres de la commission des finances, dont le rapporteur général et
le rapporteur spécial.
Monsieur le ministre, j'étais venu pour vous adresser un reproche, mais je
m'en abstiendrai : à lire la presse, j'avais cru que vous réduisiez le
Parlement à l'Assemblée nationale ; mais, du haut de cette tribune, vous avez
affirmé votre conviction que le Parlement était bien constitué de l'Assemblée
nationale et du Sénat et que la réforme de l'ordonnance de 1959 devrait donc
être adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées pour offrir à la
France la nouvelle constitution financière dont elle a besoin.
Monsieur le ministre, je tiens à vous dire très sincèrement que j'éprouve un
grand respect pour votre personne. Vous avez été ministre des finances à un
moment très difficile. Du reste, de nombreux livres ont été écrits, et personne
ne vous enviait à l'époque. Vous savez quant à vous mieux que quiconque,
beaucoup mieux que nombre de vos collègues du Gouvernement, ce que signifie un
retournement de conjoncture. Je vous poserai donc la question suivante : est-il
prudent, quand on a connu ce que vous avez connu, de continuer contre toute
logique, parce que la facilité et le vent de croissance vous poussent, à créer
de nouveaux postes,...
M. Jacques Mahéas.
C'est demandé par les Français, par vos électeurs !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
... alors que notre pays dispose
déjà d'effectifs suffisants pour assurer aux Français les services dont ils ont
besoin, et sachant qu'un certain nombre de redéploiements, dont vous êtes
d'ailleurs chargé, peuvent être opérés dans cette masse ? Monsieur le
ministre,...
M. Jacques Mahéas.
Dites-nous lesquels !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur Mahéas, peut-être
pourrions-nous parler les uns après les autres ? Je vous ai écouté, et j'ai
trouvé que vous étiez éloquent. Je constate que je le suis moins que vous,
puisque vous m'interrompez !
(Sourires.)
En tout cas, monsieur le ministre, la vie vous aura finalement gâté ; elle
vous aura sans doute infligé des épreuves ; mais aujourd'hui, bien que les
crédits dont vous assumez la gestion soient réduits à un seul agrégat - pour un
ancien ministre de l'économie et des finances, ce n'est guère convenable ! -,
vous avez en charge les ressources humaines de la France : c'est au fond de
vous que dépend le fait que tous les Français consacrant leur vie au service
des autres soient à la hauteur de l'attente de leurs concitoyens et atteignent
le meilleur rapport coût/efficacité.
Monsieur le ministre, vous qui avez connu la souffrance du retournement
conjoncturel, êtes-vous fier de ce que vous faites en ce moment en matière de
créations d'emplois ? Par ailleurs, êtes-vous sûr d'arriver au niveau de
performances dû aux Français, compte tenu du niveau des prélèvements
obligatoires appliqués à ces derniers ? Et, franchement, pensez-vous que la
France doive entamer une réforme ?
Je terminerai d'une façon positive, car un pays progresse non par une
opposition systématique, mais plutôt par une rencontre de volontés en vue
d'avancer. Mais, monsieur le ministre, avez-vous cette volonté ?
Vous avez une majorité qui ne vous facilite pas la tâche.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Celle du
Sénat, c'est une évidence !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Il suffit que je me tourne
légèrement sur ma gauche pour me demander si, en effet, vous avez le soutien
qu'il vous faut pour engager une réforme et faire en sorte que les Français
aient à leur service la fonction publique dont ils ont besoin au meilleur
rapport coût/efficacité. C'est en effet l'avenir de la France qui est en cause.
Par conséquent, monsieur le ministre, dites ce soir au Sénat si, franchement,
c'est à ce niveau-là que vous avez perçu la mission qui vous a été confiée.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Madame
Beaudeau, vous m'avez posé deux types de questions.
Vous m'avez interrogé sur les fonctionnaires d'Afrique du Nord. Je ne vous
renverrai pas à la réponse que j'avais faite à l'Assemblée nationale sur ce
point, car ce ne serait pas convenable de ma part. Le problème a été posé. Il a
permis, en 1982, puis en 1987, par l'ouverture puis la réouverture des délais
nécessaires, de traiter la très grande majorité des dossiers. D'autres, qui ont
été présentés dans les délais, sont en cours de traitement. Des difficultés
administratives se posent actuellement, parce que la commission est
composée...
M. Jacques Mahéas.
Les commissions ne se réunissent plus !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... de
représentants de l'administration et des organisations syndicales, lesquelles
rencontrent des problèmes pour désigner leurs délégués.
En fin de compte, le nombre de dossiers forclos parce qu'ils n'ont pas été
déposés à temps est relativement réduit. Comme je l'ai indiqué, ce n'est pas
une raison pour ne pas les étudier avec attention, mais la réouverture des
délais est-elle le meilleur moyen de traiter les quelques dossiers qui restent
pendants ? Telle est la question que se pose le Gouvernement, tout en cherchant
la solution la plus juste pour des personnes qui ont donné beaucoup
d'elles-mêmes en Afrique du Nord, que ce soit en Tunisie, au Maroc ou en
Algérie.
S'agissant de la question relative aux personnels locaux recrutés sur place ou
depuis Paris et aux disparités qui existeraient entre les statuts des uns et
des autres, permettez-moi, madame Beaudeau, de vous répondre plus précisément
ultérieurement, car je ne voudrais pas risquer de vous apporter une réponse
immédiate mais approximative.
Monsieur le président de la commission des finances, je n'ai pas considéré ma
nomination en tant que ministre de la fonction publique et de la réforme de
l'Etat comme une régression par rapport à l'époque où j'exerçais les fonctions
de ministre des finances, sous l'autorité de Pierre Bérégovoy.
En ce temps-là, j'ai eu la responsabilité non pas du budget de l'Etat - cette
responsabilité appartenait à un membre actuel de cette assemblée - mais des
finances de la France, dans une période qui connaissait non seulement un
retournement de conjoncture, mais aussi la création d'une monnaie, que tous
n'approuvaient pas alors mais que certains, y compris dans l'opposition,
soutenaient avec courage. On voit aujourd'hui combien cette monnaie nous est
utile pour faire face aux soubresauts que l'on constate en Extrême-Orient ou au
Moyen-Orient...
M. Alain Lambert,
président de la commission.
Certes !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... ou qui
sont dus à telle ou telle hausse ! Si la variation de l'euro par rapport au
dollar peut parfois nous préoccuper, que serait notre économie si nous n'avions
pas eu le courage de tenir le cap, en dépit des difficultés du moment, pour
construire ce qui nous paraissait constituer non pas l'intérêt immédiat des
partis que nous représentions mais l'intérêt fondamental de la France et des
Européens ?
C'est dans cet esprit que j'ai agi à l'époque, c'est dans cet esprit que
j'agis aujourd'hui à propos d'un autre type de dossier, mais qui me paraît tout
aussi fondamental pour l'avenir de la France. En effet, avons-nous la capacité,
en prenant nos décisions aujourd'hui, de faire en sorte que, dans dix ans ou
dans quinze ans, on trouve, que ce soit à l'échelon de l'Etat, à celui des
collectivités locales ou dans les hôpitaux, les bons fonctionnaires placés aux
bons endroits et effectuant les bonnes missions ?
Quand je soutenais que la question du nombre des fonctionnaires me paraissait
obsolète, ce n'était pas parce qu'il ne serait pas intéressant de savoir
combien notre pays compte de fonctionnaires ; d'ailleurs, de ce point de vue,
monsieur le président de la commission des finances, vous devriez être le mieux
placé pour savoir que les emplois budgétaires ne sont pas le reflet de la
réalité...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Absolument !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... et que
lorsque, en 1994, 2 000 créations d'emploi ont été annoncées, ce furent en fait
9 000 emplois qui furent créés à la fin de l'exercice.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Les chiffres que vous nous
annoncez ne sont donc pas vrais ? Merci de l'avouer !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Non ! Ce que
nous vous annonçons aujourd'hui se fond aussi dans un esprit de transparence
qui, grâce d'ailleurs à la réforme de l'ordonnance de 1959, l'emportera sur
tout le reste. Vous aurez enfin la possibilité de voter en fonction des
véritables chiffres, des véritables masses, et non pas en fonction de ce que
vous savez être depuis longtemps une véritable « grossièreté démocratique »,
comme je l'ai qualifiée l'autre jour à l'Assemblée nationale, à savoir la
présentation des emplois budgétaires, d'un côté, et la réalité des emplois en
fin d'année, de l'autre.
Essayons donc de nous intéresser au vrai et non pas au faux,...
M. Jean-Léonce Dupont.
Tout à fait !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... et déjà
les choses seront plus claires entre nous, y compris en matière de comparaison
des évolutions d'effectifs de gouvernement à gouvernement et année après
année.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Seul ce qui est vrai nous
intéresse !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Monsieur le
président de la commission des finances, au-delà de cette réponse - dont je
suis prêt à admettre qu'elle avait un petit caractère polémique, mais qui
faisait contrepoint à la polémique que certains des membres de cette assemblée
ont engagée - je suis persuadé que, compte tenu des départs massifs à la
retraite de fonctionnaires qui interviendront dans les prochaines années, et
dont on me conseille parfois de profiter pour réduire le nombre de
fonctionnaires en ne les compensant pas - c'est là une conception à très courte
vue que certains qualifieraient de purement comptable, voire, peut-être, de
notariale - ...
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
J'ai compris, c'est un
compliment ! Les compliments sont permis à cette heure !
(Rires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Le notariat s'est beaucoup modernisé !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... la
question fondamentale est la suivante : dans les dix ans ou les quinze ans qui
viennent, trouvera-t-on des jeunes gens et des jeunes filles qui auront envie
d'entrer dans la fonction publique, quelle qu'elle soit, quel qu'en soit le
niveau, alors que nous vivons - et il faut espérer que cette tendance va encore
s'accentuer - dans une société qui évolue vers le plein emploi, qui est déjà
une société de plein emploi pour les cadres,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Avec 9 % de chômeurs, on peut faire encore des
progrès !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
... alors
que nous vivons dans une société où, à juste titre, les jeunes vont de plus en
plus établir des comparaisons entre le secteur privé et le secteur public et où
l'avantage comparatif de la sécurité de l'emploi dans les fonctions publiques
va s'affaiblir ?
M. Jean-Léonce Dupont.
Le temps de travail, l'accès à la retraite, les fonds de pension... Vous ne
pouvez pas dire cela !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Les jeunes,
à bon droit, se demandent quelles pourraient être leurs fonctions dans une
entreprise ou dans la fonction publique s'ils se présentent à un concours, quel
sera le contenu de leur travail, quelles seront leur part de responsabilité et
leurs perspectives de carrière au bon sens du terme ils voudront aussi savoir
si la mobilité sera possible - certains intervenants y ont fait allusion à
juste titre -, s'ils resteront dans un ministère toute leur vie ou s'ils
pourront passer d'un ministère à un autre, d'un ministère à une collectivité
locale, d'une collectivité locale à un hôpital, etc. ; ils s'interrogeront,
enfin, sur le niveau de leur rémunération, ce qui me paraît la moindre des
choses lorsque l'on veut s'engager dans une carrière, qu'elle soit privée ou
publique.
M. Alain Joyandet.
Soixante-dix pour cent des familles veulent voir leurs enfants entrer dans la
fonction publique !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
C'est selon
ces critères que les jeunes établiront des comparaisons dans l'avenir, et je
peux vous dire, monsieur Joyandet, que demain, si nous n'y prenons pas garde,
vous me demanderez non pas pourquoi nous augmentons le nombre des
fonctionnaires, mais pourquoi autant de postes restent vacants ! Or je refuse
d'en arriver là !
(Applaudissemnets sur les travées socialistes.).
M. Hilaire Flandre.
Plus personne ne veut prendre de risques !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le ministre, je ne peux pas voter les
crédits figurant au titre III, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord - ce sera ma première raison -, leur examen montre que l'avenir
est sacrifié, ou du moins négligé, au profit de satisfactions immédiates.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Vous parlez
de mon 1,424 milliard de francs ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il s'agit de l'ensemble de la dépense dévolue à la
fonction publique, monsieur le ministre !
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Vous allez
voter sur 1,424 milliard de francs !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Vous savez très bien de quoi nous débattons :
vous-même avez répondu sur les thèmes généraux de la gestion de la fonction
publique et de la réforme de l'Etat.
Parmi vos affirmations, monsieur le ministre, il en est une à laquelle je
souscris presque, selon laquelle il faut s'attacher davantage à l'évolution des
crédits qu'au tableau des effectifs. C'est vrai ! Les effectifs budgétaires
répartis chaque année par ministère représentent un instrument de gestion qui
est utile dans l'optique de nos nomenclatures actuelles, mais qui reflète mal
la réalité. Sur le plan de la gestion, lorsque l'on veut examiner la réalité
des choses, il ne s'agit pas, loin de là, du meilleur guide ! En revanche,
lorsque l'on étudie l'évolution des dépenses de fonction publique,
qu'observe-t-on ? De 1997 à 2001, les dépenses prévues à ce titre, nous a dit
tout à l'heure M. le rapporteur spécial, ont augmenté de 11,5 % ; par ailleurs,
a-t-il ajouté, plus de 70 % de la progression des dépenses d'une année à
l'autre, c'est-à-dire 73 milliards de francs sur 103 milliards de francs, sont
consacrés à la fonction publique, essentiellement à des dépenses de
rémunérations.
Or c'est bien cela qui nous alerte et nous conduit à dire que l'avenir est
sacrifié ! En effet, il existe aujourd'hui une manne fiscale, on constate une
augmentation des recettes, qui, pour plus de 70 %, vient alimenter la politique
des rémunérations de l'Etat. Voilà la réalité, et c'est ce qui nous semble le
plus préoccupant. Certes, les augmentations d'effectifs constituent un signal
inquiétant, car elles signifient que l'on ouvre, pour trente ans ou quarante
ans, des droits au bénéfice de ces 17 000 ou 20 000 nouveaux fonctionnaires, et
donc que l'on impose une contrainte supplémentaire aux budgets futurs.
Cependant, l'essentiel tient à l'évolution des masses. Or celles-ci ne sont
pas contrôlées, la dépense publique n'est pas maîtrisée et, de ce fait, il est
inéluctable que les prélèvements obligatoires s'alourdissent davantage que le
Gouvernement ne veut bien le dire.
Même si la croissance conservait à peu près son rythme actuel, nous
aboutirions à une situation d'incompatibilité arithmétique entre, d'un côté,
les charges rigides de l'Etat et, de l'autre, la politique que l'on prétend
suivre en matière fiscale et en termes de prélèvements obligatoires.
Bien entendu, si, comme le craint M. le président de la commission des
finances, devait survenir un jour un nouveau retournement de conjoncture,
l'effet de ciseau serait absolument dramatique, bien plus grave que celui que
vous avez dû affronter lorsque vous étiez à Bercy.
Monsieur le ministre, ma deuxième raison de ne pas voter vos crédits réside
dans la distance qui sépare le verbe de la réalité.
Ainsi, vous nous avez parlé de réforme de l'Etat ; or ce gouvernement a
reculé, au début de cette année, devant les syndicats du ministère des
finances. On ne nous fera pas croire que c'est par ce genre de comportement que
l'on fera progresser la réforme de l'Etat et sa crédibilité !
Certes, il est un texte qui nous intéresse, celui qui portera réforme de
l'ordonnance de 1959. Nous sommes tout à fait prêts à engager une discussion
ouverte et constructive sur ce thème, et nous espérons bien aboutir. Toutefois,
en ce qui concerne la décentralisation de la gestion des corps de
l'administration et la gestion des ressources humaines de l'Etat - expression à
laquelle nous tenons beaucoup au sein de la commission des finances - a-t-on
vraiment progressé ?
Enfin, ma troisième raison de ne pas voter vos crédits tient précisément à un
exemple de décalage entre le verbe et la réalité : je veux parler des 35
heures.
Plusieurs d'entre nous vous ont posé des questions précises sur les 35 heures,
notamment pour savoir si leur application au secteur public aurait un coût et
nécessiterait des créations d'emplois non annoncées actuellement dans vos
prévisions. Or vous ne nous avez pas répondu,...
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Si !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... ou alors par de bonnes paroles, selon lesquelles
travailler moins permettrait que le service public soit mieux conçu et mieux
rendu ! Croyez-nous, ce n'est pas possible ! Cela heurte le bon sens ! Vos
interlocuteurs syndicaux ne peuvent pas y croire, et les négociations dans
lesquelles vous vous engagez ne peuvent aboutir, monsieur le ministre, qu'à un
blocage. Vous ne pouvez ainsi imposer de telles illusions à des gens qui
connaissent la réalité de la gestion.
Monsieur le ministre, je me permets de vous dire, de façon tout à fait
dépassionnée en cette fin de soirée, que ce n'est pas responsable. C'est un
comportement qui ne peut pas être accepté. Nous savons bien quelles sont les
conséquences du passage aux 35 heures dans les entreprises privées, dans les
différents secteurs de l'économie ! N'allez pas prétendre que cette réforme se
mettra en place sans rien coûter et sans entraîner aucune création d'emploi
!
Encore une fois, il s'agit d'une affirmation qui n'est absolument pas
crédible, et je crains beaucoup que, à cause de ce type d'annonce, un climat
social de plus en plus détestable ne s'instaure dans la fonction publique et ne
débouche sur des tensions graves qui se répercuteront sur les conditions de
votre négociation salariale. Celle-ci, en effet, ne s'ouvre pas sous de bons
auspices, et ce sont alors - vous le savez, vous êtes un ancien ministre de
l'économie et des finances - les tensions inflationnistes qui se feront jour
dans l'économie et qui diffuseront du secteur public vers le secteur privé.
C'est tout un ensemble de facteurs qui va contrarier ce climat de croissance
auquel nous tenons beaucoup, parce qu'il permet de faire énormément de choses
sur le plan économique, s'agissant en particulier des services publics.
En travaillant comme vous le faites, en parlant comme vous le faites, en
diffusant des illusions comme vous le faites, vous allez contribuer à faire
renaître dans notre pays des comportements générateurs d'inflation qui seront
pour la croissance une réelle menace alors que vous avez tous les atouts en
main.
Vous avez toutes les possibilités de vous comporter de manière beaucoup plus
responsable sur ces sujets !
En conclusion, monsieur le ministre, pour l'ensemble de ces raisons et aux
termes des excellentes analyses que nous a présentées M. le rapporteur spécial,
je voterai contre vos crédits, aussi bien de la petite enveloppe que de la
grande enveloppe.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les crédits figurant au titre III.
(Ces crédits ne sont pas adoptés.)
M. le président.
« Titre IV : 2 011 200 000 francs. »