SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2000
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'article unique de la proposition de loi, je donne
la parole à Mme Luc pour explication de vote.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la vie
d'un Parlement, il est des décisions qui s'inscrivent à jamais dans l'histoire
des sociétés.
M. Dominique Braye.
Oui ! Il faut condamner tous les génocides !
Mme Hélène Luc.
Aujourd'hui, le Sénat, deux ans et demi après l'Assemblée nationale,...
M. Dominique Braye.
Vous faites de la morale, mais il y a eu 80 millions de morts en URSS !
M. Hilaire Flandre.
C'est une honte !
M. le président.
Laissez parler Mme Luc !
Mme Hélène Luc.
... le Sénat, disais-je, va donc à son tour consacrer par son vote un acte
majeur de mémoire et de vérité.
M. Dominique Braye.
Allons donc !
Mme Hélène Luc.
Nous avons en effet le pouvoir, au nom des citoyens français que nous
représentons, de faire de notre pays l'un de ceux qui met solennellement et
institutionnellement un terme à plus de 85 années d'occultation...
M. Patrick Lassourd.
Il y a eu 80 millions de morts en URSS !
Mme Hélène Luc.
... et de négation d'un événement parmi les plus tragiques de l'histoire du
xxe siècle.
La nuit du 24 avril 1915 a marqué le début d'une vaste opération
d'extermination du peuple arménien.
M. Dominique Braye.
Et l'extermination rouge ?
Mme Hélène Luc.
Quatre-vingt-cinq ans ont taraudé les générations successives et taraudent
toujours et toujours les membres des familles de la communauté arménienne
meurtrie et entravée dans son travail d'élucidation, de reconnaissance, de
deuil et de justice, meurtrie et entravée dans la nécessaire construction de
son histoire et de son identité personnelle, familiale et nationale.
Nous sommes nombreux, j'en suis convaincue, au-delà des contradictions et des
blocages qui ont jalonné ces deux dernières années d'organisation du débat au
Sénat, à avoir été impressionnés par l'intensité de la souffrance qui perdure
dans l'intimité de la mémoire de chacun des citoyens arméniens vivant sur notre
sol.
Ce sol où, ne l'oublions pas, des Français d'origine arménienne à qui nous
devons tant, célèbres comme Missak Manouchian, l'un des héros de
L'Affiche
rouge
, ou d'autres moins connus que lui, versèrent leur sang pour faire
vivre la France et les valeurs d'universalité, d'humanisme et de liberté, ce
sol où les Arméniens sont nombreux à contribuer aux richesses de la France dans
les domaines artistique, médical, artisanal ou parmi les ouvriers qualifiés.
A travers le mouvement puissant et acharné de leurs associations
représentatives, à travers les témoignages émouvants et empreints d'une grande
dignité qu'ils nous ont adressés, les membres de la communauté arménienne ont
su porter la juste cause et l'indispensable revendication de la reconnaissance
officielle du génocide de 1915.
Ils ont su nous rappeler que le devoir de mémoire et de vérité, pour un grand
pays comme le nôtre, loin d'affaiblir celui-ci, au contraire, le confortera
dans la fidélité à ses valeurs, le renforcera dans son combat permanent pour la
défense des droits de l'homme.
M. Hubert Falco.
Allez ! C'est terminé !
Mme Hélène Luc.
La France, dès lors qu'elle aura honoré l'histoire en initiant cet acte fort,
n'en sera que mieux à même de jouer par la suite un rôle moteur dans la
recherche de relations pacifiées et durables entre les peuples turc et
arméniens.
M. Hubert Falco.
Arrêtez-la !
Mme Hélène Luc.
La communauté internationale saura alors, j'en suis persuadée, nous accorder
toute sa considération pour l'attitude constructive que notre pays aura prise à
l'égard de la tragédie de 1915.
Le débat de ce jour, à travers les interventions prononcées, à l'instar de
celles de mes amis Robert Bret et Guy Fischer, au nom du groupe communiste
républicain et citoyen, a rappelé des faits historiques incontestables et le
bien-fondé de la proposition de loi que nous allons voter.
Je ne veux retenir ce soir que les propos forts que nous avons entendus et qui
ont pour moi, pour tous les sénateurs du groupe communiste républicain et
citoyen, une résonance particulière, comme c'est le cas, je n'en doute pas,
pour ceux qui, sur plusieurs travées de cette assemblée, n'ont ménagé ni leurs
efforts ni leur volonté d'aboutir pour convaincre, rassembler et rechercher un
assentiment majoritaire.
M. le président.
Madame la présidente, veuillez conclure. Vous avez déjà dépassé votre temps de
parole.
Mme Hélène Luc.
Relayant le travail inlassable de Guy Ducoloné, député des Hauts-de-Seine, qui
a déposé une proposition de loi en 1965, je me suis, en tant que présidente du
groupe communiste républicain et citoyen et avec tous les sénateurs qui le
composent, engagée aux côtés des Arméniens, avec notamment le comité du 24
avril et son président, M. Govcyan, et avec toutes les associations qui ont
conduit une action persévérante et remarquable.
M. Hubert Falco.
Monsieur le président, arrêtez-la !
M. le président.
Madame Luc, je vous prie de conclure !
Mme Hélène Luc.
J'ai en particulier en mémoire les puissantes manifestations du 11 mars, la
marche du 24 avril à Alfortville, ainsi que la marche de Matignon au Sénat, le
18 juin dernier, où nous étions présents.
L'engagement pris d'aller jusqu'au bout pour obtenir cette reconnaissance a
été tenu, malgré les pressions, malgré les manoeuvres de dernière minute.
(Protestations sur certaines travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Hubert Falco.
Même vos collègues n'en peuvent plus, arrêtez-vous !
Mme Hélène Luc.
Je me suis employée, à l'occasion de onze conférences des présidents...
M. le président.
Madame Luc, c'est terminé !
Mme Hélène Luc.
... à faire inscrire ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée.
M. Hubert Falco.
Monsieur le président, coupez-lui la parole ! C'est insupportable !
Mme Hélène Luc.
Quelques minutes encore !
M. Hubert Falco.
Non !
Mme Hélène Luc.
Concluons dans la dignité !
M. le président.
C'est à vous de conclure, madame !
M. Hubert Falco.
Vous êtes ridicule, avec vos papiers à la main !
Mme Hélène Luc.
Je souhaite qu'un jour la Turquie reconnaisse aussi ce génocide, et je
voudrais saluer les Arméniens et leurs représentants qui sont présents dans nos
tribunes.
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et
du RPR.)
M. le président.
Madame Luc, je vous remercie. C'est terminé !
M. Hubert Falco.
On ne vous écoute plus !
Mme Hélène Luc.
Une dernière chose : je veux appeler solennellement aujourd'hui les sénatrices
et les sénateurs à voter cette proposition de loi, cosignée par cinq groupes
politiques.
M. Hubert Falco.
Vous allez nous faire regretter de l'avoir votée. Arrêtez-vous !
Mme Hélène Luc.
Cette prise de position honorera le Sénat et démontrera le respect que nous
avons de la souffrance des Arméniens.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Huriet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Je tiens à exprimer les raisons pour lesquelles, avec regret, je voterai
contre cette proposition de loi.
Au-delà de la déception que peut éprouver tout auteur d'un amendement qui n'a
pas été adopté, les conditions dans lesquelles ce vote est intervenu montrent à
l'évidence que la recherche de consensus n'était pas, mes chers collègues,
votre préoccupation essentielle...
M. Hubert Falco.
Très bien !
M. Claude Huriet.
... et qu'en refusant de reconnaître les autres génocides vous avez introduit
une sorte de sélection qui vous amène à constater qu'il y a des génocides qui
sont acceptables pour la conscience universelle et d'autres qui ne le sont
pas.
C'est contre cette analyse tout à fait sommaire et politicienne que je veux
émettre un vote négatif.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu).
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 208 |
Nombre de suffrages exprimés | 204 |
Majorité absolue des suffrages | 103 |
Pour l'adoption | 164 |
Contre | 40 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur certaines travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
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