SEANCE DU 7 NOVEMBRE 2000
M. le président.
La parole est à M. Demuynck, auteur de la question n° 930, adressée à M. le
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a décidément l'esprit des
grandes réformes ! En atteste la suppression, à compter du 1er décembre
prochain, de la fiche d'état civil et de tout justificatif de domicile dans le
cadre de démarches administratives. Voilà qui, prétendez-vous, devrait faire
gagner un temps infini aux personnels des mairies. Outre que cette grandissime
réforme ne peut améliorer de façon décisive le fonctionnement de
l'administration, force est de dénoncer ses graves inconvénients.
D'une part, la simple présentation d'une copie d'un document d'identité,
certifiée conforme par les propres soins de tout un chacun, en lieu et place
des mairies, apparaît pour le moins dangereuse. Comment, de plus, accorder foi
à des pièces illisibles ou à des livrets de famille étrangers, le plus souvent
peu explicites sur la situation familiale réelle ?
D'autre part, je ne peux que condamner avec la plus extrême virulence votre
intention de mettre fin aux justificatifs de domicile pour l'obtention
d'avantages sociaux offerts par certaines communes. En effet, celles-ci devront
ainsi assumer de lourdes charges indues qui viendront grever des finances
gérées sainement mais, il faut bien le reconnaître, non sans mal.
De nombreuses personnes feront peu de cas de leur honneur en déclarant leur
domicile dans des villes à leurs yeux plus intéressantes socialement et
financièrement - pourquoi pas ? - en se domiciliant dans plusieurs communes.
Quels moyens de contrôle aurons-nous ?
Les répercussions sur les établissements scolaires seront, elles aussi,
considérables. Certains parents, soucieux de l'avenir de leurs enfants,
n'hésiteront pas à falsifier les déclarations sur l'honneur à seule fin de voir
leur progéniture dans de meilleurs établissements.
En outre, votre décision va compliquer le travail des inspections académiques
; celles-ci se retrouveront, tôt ou tard, confrontées tantôt à des collèges et
écoles désertées, tantôt à des classes surpeuplées.
Ma question est, par conséquent, double, monsieur le secrétaire d'Etat.
Abandonnerez-vous cette décision ? Dans le cas contraire, quels garde-fous
prévoyez-vous pour endiguer une fraude prévisible ?
M. le président.
La parole est M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, vous avez interrogé
mon collègue ministre de la fonction publique sur la décision du Gouvernement
visant à supprimer, à compter du 1er décembre prochain, la délivrance des
fiches d'état civil et à alléger les justificatifs de domicile.
Vous contestez l'opportunité de ces mesures dont vous dénoncez les
inconvénients, voire les risques de fraude qu'elles pourraient engendrer.
Sachez que le fait de faciliter la vie quotidienne constitue une exigence
permanente de l'action du Gouvernement. C'est ainsi que M. Sapin a proposé des
mesures de simplification destinées à supprimer la délivrance de soixante
millions de formulaires administratifs, alors que sont dénoncés, souvent avec
raison, l'excès des procédures, la compléxité des formulaires, voire une
certaine frénésie normative.
Ces mesures de simplification administrative postulent, bien évidemment, une
relation de confiance entre l'administration et les usagers, rompant ainsi avec
la perception trop fréquente d'une administration complexe et suspicieuse.
En effet, la philosophie des simplifications administratives décidées consiste
à ne pas considérer l'usager comme un fraudeur potentiel et donc, par suite, à
ne pas soumettre l'ensemble des usagers aux contrôles mis en oeuvre pour une
minorité de fraudeurs.
Créées il y a près de cinquante ans, les fiches d'état civil sont délivrées
aujourd'hui sur la présentation de pièces justificatives, sans possibilité
réelle en pratique pour les administrations et les services municipaux, en
particulier, de vérifier leur authenticité. Autrement dit, la délivrance des
fiches d'état civil n'a jamais empêché la fraude, d'autant moins que la fiche
d'état civil pouvait permettre l'authentification d'un faux par la délivrance
d'une pièce officielle !
Pour autant, rassurez-vous, un certain nombre de dispositions garantissent la
sécurité du nouveau dispositif, qui, je le précise, ne modifie pas le droit
relatif à l'état des personnes et à la nationalité.
Le décret portant simplifications administratives précisera que, en cas de
doute sur la validité des documents produits destinés à justifier de son
identité, de sa nationalité ou de sa situation familiale, les administrations
pourront demander par écrit, de manière motivée, la présentation de
l'original.
Par ailleurs, il faut rappeler que les déclarations relatives à l'état civil,
à la nationalité, ou au domicile relèvent de la responsabilité individuelle et
que toute fausse déclaration ou falsification de document est passible de
sanctions pénales. Ces sanctions peuvent aller de six mois à un an
d'emprisonnement et de 50 000 francs à 100 000 francs d'amende. Elles peuvent
être complétées par la privation des droits civiques, civils et familiaux. En
cas d'escroquerie, la peine encourue est de cinq ans d'emprisonnement et de 2
500 000 francs d'amende.
Enfin, les décisions obtenues par fraude ne sont évidemment pas créatrices de
droits, toute fausse déclaration entraînera de surcroît la suspension pendant
un an des procédures engagées par l'usager.
Je vous précise que le projet de simplification du Gouvernement ne concerne
pas les procédures relatives à l'inscription sur les listes électorales, à la
délivrance de pièces d'identité et de séjour telles que la carte d'identité, le
passeport, le titre de séjour, le livret de famille, les actes d'état civil ni
à l'immatriculation consulaire des Français à l'étranger. S'agissant plus
particulièrement de la déclaration de domicile, le projet du Gouvernement ne
porte nullement atteinte aux éléments de preuve du domicile, qui, selon les
dispositions du code civil, « est au lieu du principal établissement » déclaré
par l'individu.
En cas de doute ou de litige, il appartiendra au juge, sur demande de
l'administration, de déterminer la réalité du domicile à partir d'un faisceau
d'indices : la déclaration de l'intéressé, certes, mais aussi le lieu de
paiement des impôts ou encore l'inscription sur les listes électorales.
Voilà, me semble-t-il, monsieur le sénateur, des mesures qui ne peuvent pas
susciter les craintes que vous avez exprimées. Pour le Gouvernement, elles
s'inscrivent dans le cadre d'une politique visant à placer l'usager au coeur de
l'action de l'Etat.
M. Christian Demuynck.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck.
En fait, monsieur le secrétaire d'Etat, votre confiance en nos concitoyens est
à plusieurs niveaux : pour s'inscrire sur les listes électorales, il faudra
présenter certains éléments de preuve, mais, pour bénéficier des avantages
sociaux consentis par les collectivités, ce ne sera pas nécessaire !
Aussi, vous ne m'avez pas du tout rassuré ! Pour ne prendre qu'un exemple -
mais on pourrait ouvrir un vaste débat sur le sujet - je suis très inquiet pour
la prochaine rentrée scolaire.
Comment allez-vous gérer le problème des inscriptions dans les lycées et les
collèges ? Pour un lycée de 1 000 places, vous aurez 1 200 ou 1 300 inscrits !
Selon quels critères allez-vous sélectionner les jeunes ?
Vous allez créer une énorme inégalité dans la mesure où des jeunes qui
auraient dû entrer dans tel lycée ne le pourront pas parce que des gens auront
fraudé. Nous, maires, nous vivons ce phénomène à toutes les rentrées scolaires
: les parents essaient, et c'est tout à fait compréhensible, de faire en sorte
que leurs enfants aillent dans les meilleures écoles pour qu'ils puissent
ensuite suivre des études leur permettant d'avoir une carrière professionnelle
intéressante. Je ne vois donc pas comment vous allez régler ce problème ; les
inspections d'académie sont d'ailleurs, comme moi, très inquiètes à ce
sujet.
SUPPRESSION DE L'ÉMISSION TÉLÉVISÉE « MONTAGNE »