SEANCE DU 25 OCTOBRE 2000
M. le président.
« Art. 3. - Outre les mesures législatives nécessaires à la transposition des
directives 92/49 et 92/96 mentionnées à l'article 1er, le Gouvernement est
autorisé à procéder, par ordonnances, à la refonte du code de la mutualité et à
la modification du code des assurances, du code de la sécurité sociale, de la
loi n° 78-741 du 13 juillet 1978 relative à l'orientation de l'épargne vers le
financement des entreprises et de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989
renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains
risques, afin :
« 1° D'assurer l'harmonisation des règles applicables aux organismes
mutualistes, institutions de prévoyance et entreprises d'assurance ;
« 2° De garantir les droits et d'assurer la protection des intérêts des
membres des organismes mutualistes ou des institutions de prévoyance et de
leurs bénéficiaires, ainsi que des assurés, souscripteurs, adhérents et
bénéficiaires de contrats d'assurance ;
« 3° Et d'assurer la participation effective des membres des organismes
mutualistes au fonctionnement de leurs instances dirigeantes. »
Sur l'article, la parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues,
l'histoire de la mutualité, comme celle des coopératives, est intimement liée à
celle du socialisme.
Aussi admettrez-vous que nous soyons extrêmement attentifs à l'évolution du
code de la mutualité et que nous comprenions que le Gouvernement ait choisi de
recourir aux ordonnances, compte tenu de l'urgence à doter les mutuelles d'un
cadre législatif adapté, afin qu'elles ne soient plus exposées à des
jurisprudences contradictoires de tribunaux divers décrétant leur propre
transposition des directives européennes.
Cette urgence est d'ailleurs diversement interprétée dans les rangs de la
majorité du Sénat, je tiens à le souligner.
M. Alain Lambert.
Occupez-vous de vos affaires !
M. Claude Domeizel.
Je constate !
Me référant aux avis des commissions, je note que M. Denis Badré, rapporteur
de la commission des finances, écrit : « L'urgence, quelle urgence ?... Votre
commission ne peut que réfuter cet argument ». A l'opposé, le rapporteur de la
commission des affaires sociales, M. André Jourdain, nous dit : « Votre
commission a tenu compte de l'urgence qui s'attache à la transposition des
directives communautaires » ajoutant qu'« en ce qui concerne l'article 3 elle a
considéré que la transposition des directives apparaissait difficilement
dissociable de la refonte du code de mutualité ». Et comme pour en remettre une
« couche », afin que cette question soit rapidement réglée, la commission des
affaires sociales va même jusqu'à souhaiter que soit abrégé « le délai imparti
au Gouvernement pour publier les ordonnances ».
Tout cela fait désordre. Il y a, semble-t-il, au sein de la majorité du Sénat,
un manque de cohérence, en tout cas une divergence certaine, voire un «
déchirement », pour reprendre un terme employé tout à l'heure par M. de
Raincourt.
En fait, la réforme envisagée est bien d'une urgente nécessité. En effet,
outre la menace d'une nouvelle condamnation de la France par la Cour de justice
européenne, le
statu quo
n'est pas favorable au développement de la
mutualité et à la pérennité des offres mutualistes, en particulier à celles qui
émanent des plus petites structures. Il faut en effet savoir que, sur plus de 5
300 groupements, 80 % comptent moins de 3 500 adhérents.
Certaines mutuelles ne sont-elles pas contraintes aujourd'hui, pour s'étendre
ou se diversifier, de sortir du champ traditionnel de l'économie sociale ?
Quant à la réforme engagée, si elle se fonde sur les bases du rapport Rocard,
nous ne pouvons qu'être satisfaits.
Par ailleurs, nous savons que les négociations qui ont eu lieu entre le
Gouvernement et les responsables des mutuelles respectent les dispositions
essentielles qui constituent le fondement du mouvement mutualiste et en font
son originalité.
L'ordonnance doit notamment garantir le principe de solidarité en matière de
complémentaire santé tout en permettant aux mutuelles le maintien de leur
action ou le développement de la diversification de leurs activités, tels les
équipements sanitaires et sociaux. Accepter que le Gouvernement légifère par
ordonnances, c'est, certes, accepter un dessaisissement du Parlement. Mais
c'est également accorder une confiance qui nous est demandée.
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
C'est un blanc-seing !
M. Claude Domeizel.
Cette confiance, le groupe socialiste la donne autant au Gouvernement qu'aux
responsables de la mutualité.
A ce sujet, nous formons le voeu que soit conforté le statut des élus des
mutuelles, pour que le militantisme puisse s'exprimer, car il est indispensable
au bon fonctionnement des mutuelles et à la bonne gestion des fonds destinés à
la solidarité.
Nous nous opposerons donc à l'amendement de suppression de l'article 3 du
projet de loi proposé par la commission des finances, et ce dans l'intérêt des
quinze millions d'adhérents et des trente millions de citoyens couverts par les
mutuelles.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, nous tenons tout d'abord à réaffirmer notre mécontentement
face au recours à la procédure des ordonnances. Comme nous l'avons affirmé dans
notre motion tendant à opposer la question préalable, cette procédure interdit,
de fait, au Parlement d'exercer pleinement son rôle ; mon collègue socialiste
vient d'ailleurs de le répéter.
Cela étant, nous sommes conscients du fait que le dossier de la réforme du
code de la mutualité arrive dans un contexte particulier, où le mouvement
mutualiste s'inquiète, à juste raison, pour son avenir, dans la mesure où son
statut est qualifié de non conforme aux exigences européennes.
Dans cette optique, la fédération des mutuelles françaises a demandé cet été
au Gouvernement de procéder par ordonnances pour réformer le code de la
mutualité. La fédération nationale de la mutualité française, d'abord réticente
sur la procédure des ordonnances, s'est ralliée à cette position.
En effet, ces deux fédérations, conscientes de la nécessité d'agir rapidement
pour se mettre à l'abri des décisions européennes, souhaitent que le code de la
mutualité s'inscrive dans le cadre juridique européen.
La volonté de recourir à la procédure des ordonannces a cependant permis aux
deux fédérations de discuter avec le Gouvernement et de faire évoluer le
dossier de façon extrêmement positive.
Pour le mouvement mutualiste, il s'agit non plus d'une transposition sèche de
la directive européenne, mais d'une modification d'ensemble du code de la
mutualité reconnaissant la spécificité mutualiste et introduisant une
modernisation dans un cadre européen.
Au départ, la difficulté a consisté à faire entrer la notion de mutualité dans
une directive élaborée sous l'angle exclusif des sociétés d'assurances. L'union
de la fédération des mutuelles de France et de la fédération nationale de la
mutualité française a permis d'y arriver.
Par ailleurs, le code de la mutualité avait besoin d'être modernisé. En ce
sens, le cadre strict de la directive a pu être dépassé.
De plus, des revendications anciennes ont été poussées, telles l'élaboration
d'un statut de l'élu mutualiste et l'intégration de la protection sociale dans
un cadre éthique.
Les techniques assurancielles dans le domaine de la protection des personnes
ont été mises en question.
Enfin, le rapprochement de la fédération des mutuelles de France et de la
fédération nationale de la mutualité française devrait aboutir à une
unification du mouvement mutualiste.
Cependant, la prudence s'impose tant que le texte et les décrets ne seront pas
publiés. D'importantes zones d'ombre subsistent en effet.
Et d'abord sur le plan de la fiscalité des mutuelles. Actuellement, les
contrats d'assurance sont taxés à hauteur de 7 %. Les compagnies d'assurance
veulent que les mutuelles soient assujetties à cette taxe.
M. Laurent Fabius a déclaré que le statut fiscal des mutuelles serait remis à
jour dans le projet de loi de finances de 2002 et que les mutuelles seraient
exonérées de la taxe sur les contrats d'assurance dans le cas où elles
pratiqueraient des contrats solidaires.
La tentation pour les sociétés d'assurance sera alors grande de déguiser des
contrats classiques en contrats à « vocation solidaire ».
Par ailleur, les mutuelles ne veulent pas de ce type de taxation, même à un
taux réduit.
Pour l'instant, l'exonération n'est pas un fait acquis sanctionné par un
texte, et nous le regrettons.
En outre, les mutuelles de retraite des anciens combattants s'inquiètent
fortement et refusent que le secteur privé exploite la constitution des rentes
mutualistes d'anciens combattants à des fins lucratives par le biais des
versements constitutifs des anciens combattant et victimes de guerre et des
crédits d'Etat pour leur bonification.
D'autres, comme la Mutuelle générale des employés et cadres, voient dans le
projet un schéma qui transpose le code des assurances dans la mutualité.
Le consensus entre la fédération des mutuelles de France et la fédération
nationale de la mutualité française n'est donc pas unanimement partagé. Les
détracteurs dénoncent en effet la procédure des ordonnances, qui prive le
Parlement de ses prérogatives. Ce point pose un problème de fond : comment
peut-on faire l'économie d'un débat au Parlement sur un sujet aussi important
que la mutualité, qui concerne l'ensemble de la population française ?
Il est clair que nous entendons bien les fédérations mutualistes, fédération
des mutuelles de France et fédération nationale de la mutualité française, qui
souhaitent ardemment que la procédure des ordonnances aboutisse le plus
rapidement possible, afin que la mutualité s'inscrive dans un cadre juridique
européen.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes très
attachés au rôle éminemment positif joué par le mouvement mutualiste. C'est une
part de notre histoire sociale et de nos combats.
Cependant, même s'il y a urgence et si un consensus existe entre le
Gouvernement et la présidence de la République sur ce sujet, nous considérons
que la procédure des ordonnances n'est pas une bonne manière de régler des
dossiers aussi importants, car le Parlement doit demeurer le lieu d'expression
de l'intérêt général.
La mutualité sait qu'elle peut compter sur les élus communistes, très attachés
à ce mouvement. C'est pourquoi nous nous abstiendrons sur cet article.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat à l'économie solidaire.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je vais d'abord vous faire un aveu : il est délicat de se présenter
pour la première fois devant une assemblée parlementaire en qualité de nouveau
membre du Gouvernement pour solliciter de celle-ci l'autorisation de recourir
aux ordonnances en vertu de l'article 38 de la Constitution.
J'aurais sans doute préféré, pour mon premier parcours législatif au Sénat, me
présenter devant vous dans un autre contexte.
Mais ne voyez pas dans cette confidence un recul par rapport à la procédure
retenue par le Gouvernement pour procéder à la refonte du code de la mutualité
; c'est simplement l'expression, par un ancien parlementaire, de son
attachement à la séparation des pouvoirs.
Si le constituant de 1958 a prévu le dispositif de l'article 38 de la
Constitution, c'est effectivement pour permettre au Gouvernement, en accord
avec le Parlement, de faire face à certaines situations particulières.
Or, ainsi que l'a fait remarquer mon collègue Jean-Jack Queyranne, la France
se trouve, en matière de transposition des directives européennes, dans une
situation singulière, et c'est particulièremnet vrai concernant la
transposition des directives « Assurance » de juin et novembre 1992 au secteur
de la mutualité.
Si vous admettez l'existence d'une nécessité d'un recours à l'article 38 de la
Constitution pour opérer cette transposition, celle-ci apparaît discutable à
certains d'entre vous concernant la refonte du code de la mutualité, objet de
l'article 3 du projet de loi dont votre commission des finances propose la
suppression.
Je note cependant que votre commission des lois, saisie au fond, et votre
commission des affaires sociales, saisie pour avis, proposent l'adoption de cet
article. Je tiens à souligner l'appréciation mesurée de cette disposition
effectuée par M. Hoeffel et par M. Jourdain, respectivement rapporteur et
rapporteur pour avis de ces deux commissions.
Je souhaite rappeler à votre assemblée - mais j'aurai l'occasion d'y revenir
sur l'amendement de suppression -, les quatre raisons qui conduisent le
Gouvernement à proposer l'article 3.
La première est liée à l'impossibilité de transposer les directives «
Assurance » dans l'actuel code de la mutualité, dont la structure ne se prête
pas à l'exercice. La transposition impose donc la modification de
l'organisation même de ce code.
La deuxième raison tient au fait que, initialement, pour réformer ce code, la
voie parlementaire ordinaire avait été choisie et que, ainsi, dans le projet de
nouveau code, des dispositions liées à la transposition et celles qui sont
liées à la modernisation s'entremêlent de sorte qu'aujourd'hui séparer ce qui
tient de l'une et de l'autre apparaît comme une gageure dans le délai de
l'habilitation sollicitée.
La troisième raison est relative à la nécessaire cohérence entre les
dispositions résultant de la transposition des directives et les autres
dispositions régissant les mutuelles. Maintenir des dispositions de l'ancien
code dans un code remanié par nécessité à l'occasion de la transposition n'est
pas possible de ce point de vue.
Enfin, le recours à la procédure de l'ordonnance s'accompagne d'un engagement
du Gouvernement à déposer et à inscrire à l'ordre du jour des assemblées un
projet de loi de ratification donnant ainsi au Parlement la possibilité
d'exercer son droit d'initiative pour réformer le code.
M. Badré, rapporteur pour avis de la commission des finances, ayant assisté à
mon audition par la commission des lois, aurait pu dès lors convenir, comme M.
Jourdain, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, qu'en
l'espèce « l'impératif de rapidité l'emporte malgré tout ».
Il convient en effet de sécuriser, comme l'a dit à l'instant un intervenant,
le cadre juridique sur lequel les mutuelles s'appuient.
Le texte préparé par le Gouvernement, avant la décision de solliciter
l'autorisation de recourir à l'ordonnance, permet de satisfaire à nos
obligations européennes, notamment par la mise en oeuvre du principe de
spécialité et des règles prudentielles, tout en reconnaissant la spécificité
des mutuelles, particulièrement au travers de l'affirmation des principes
mutualistes.
Oui, monsieur Jourdain, le projet de code est certainement perfectible ! C'est
pour cela que j'ai prévu de rencontrer prochainement les fédérations de
mutuelles pour entendre leurs observations. Le Gouvernement toutefois n'entend
pas, à cette occasion, réécrire un nouveau projet. A l'issue de cette
concertation avec le milieu mutualiste, un projet d'ordonnance sera soumis aux
diverses instances concernées, notamment au Conseil supérieur de la mutualité
et au Conseil national des assurances.
Nous ne considérons pas que ces consultations, quand bien même
déboucheraient-elles sur des avis consensuels, constituent le substitut à un
quelconque débat parlementaire ; mais elles participent à la transparence
souhaitée par le Gouvernement, notamment en permettant l'information du
Parlement au travers de ses représentants dans ces instances.
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
Nous souhaitons un peu plus que d'être informés
!
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
L'ordonnance qui sera prise dans un délai que je
souhaite bref - nous en reparlerons à l'occasion du débat - ne devrait donc pas
connaître de modifications substantielles.
En conclusion, je tiens à vous rappeler la place occupée par les mutuelles
dans notre dispositif de santé. Cela a été dit et rappelé : quinze millions
d'affiliés, tente-deux millions de Français concernés ; des mutuelles
participent à la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale ; la
mutualité assure plus de 60 % de la couverture complémentaire maladie et
participe ainsi à la protection de plus de la moitié de nos concitoyens ; elles
participent en outre activement à la couverture maladie universelle.
On ne peut pas laisser les mutuelles dans l'incertitude juridique. C'est
pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à voter l'article 3
de ce projet de loi.
M. le président.
Sur l'article 3, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet
d'une discussion commune.
Par amendement n° 18, M. Badré, au nom de la commission des finances, propose
de supprimer cet article.
Par amendement n° 3, M. Hoeffel, au nom de la commission des lois, propose,
dans le premier alinéa de cet article, après les mots : « par ordonnances, »
d'insérer les mots : « dans les conditions prévues à l'artice 38 de la
Constitution, ».
La parole est à M. Badré, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n°
18.
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
La commission des finances a accepté la
transcription par ordonnance dans le code de la mutualité des deux directives
de 1992 sur l'assurance-vie et sur l'assurance non-vie.
Il ne vous a certainement pas échappé, mes chers collègues, que nous n'avons
donc pas demandé la suppression des onzième et quinzième alinéas du I de
l'article 1er du présent projet de loi.
La commission des finances s'est prononcée par ailleurs pour la suppression de
l'article 3 - vous l'avez même indiqué avant moi, monsieur le secrétaire
d'Etat, voilà quelques instants - qui réunit des mesures nationales dites
d'accompagnement de ces deux directives.
Cette position de la commission des finances dans ses deux éléments -
acceptation de l'article 1er, rejet de l'article 3 - a été prise, je le
rappelle, à l'unanimité, les membres du groupe socialiste s'étant abstenus.
C'est donc une position qui a été mûrement réfléchie.
A partir du moment où l'article 1er est accepté, la transcription des
directives peut être très rapide. Nous sommes ainsi en règle vis-à-vis de
Bruxelles. L'urgence et les menaces d'astreintes communautaires tombent. Le
ciel s'éclaircit de ce côté-là. Il reste à savoir ce que nous faisons pour
accompagner cette transcription et comment nous le faisons.
Il faut des mesures d'accompagnement, dites-vous, monsieur le secrétaire
d'Etat. Sans doute ! Si tel n'était pas le cas, les directives auraient été
approuvées, je pense, depuis longtemps. Mais cette obligation souligne
l'existence d'un vrai problème. Elle exprime aussi une sensibilité particulière
à l'égard de ces textes.
Dès lors, puisque le sujet est sensible, puisque le problème est réel, un
débat politique s'impose. Il s'impose d'autant plus que, en fait de mesures
d'accompagnement, le projet de loi nous présente une refonte complète du code
de la mutualité, vous le disiez vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous
sortons ainsi clairement du champ du texte tel qu'il est défini dans l'exposé
des motifs, champ qui est, je le rappelle, « limité strictement aux adaptations
liées à la transposition des directives lorsqu'elles sont à la fois urgentes et
purement techniques ».
J'indique simplement à cet égard que la refonte proposée par l'avant-projet
d'ordonnance dont nous avons eu connaissance vise notamment trois points, à
savoir : supprimer dans le cadre de l'assurance complémentaire la période de
stage de deux ans pendant lequel l'assureur peut modifier le contrat ;
renforcer les pouvoirs de contrôle de la commission de contrôle des mutuelles
et des institutions de prévoyance et, enfin, créer un fonds paritaire de
garantie des institutions de prévoyance. Voilà qui est loin d'être purement
technique et qui ne peut être considéré comme strictement « lié » à la
transposition des directives.
S'il reste une urgence, nous venons de le voir, cette urgence n'est plus
imposée par Bruxelles, mais elle est devenue franco-française. Vous avez,
monsieur le secrétaire d'Etat, les moyens de la prendre en compte.
Vous disposez en effet, vous l'avez dit vous-même, d'un projet de loi déjà
soumis au Conseil d'Etat. Le prochain conseil des ministres, dès mercredi
prochain, peut l'adopter. Nous avons nous-mêmes déjà beaucoup travaillé sur le
sujet, je le rappelais dans mon intervention générale tout à l'heure. Le groupe
de travail mis en place par notre commission des finances il y a trois ans et
que présidait Alain Lambert a réuni des suggestions nombreuses et réfléchies
émanant de tous les groupes de notre assemblée. Ce rapport avait d'ailleurs
retenu, très favorablement semble-t-il, l'attention du Gouvernement.
Le débat peut donc être engagé et aboutir rapidement !
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous avez dit, lors de votre audition que
vous avez évoquée à l'instant, que nous ne serions pas tenus à l'écart car vous
étiez prêt à un débat dès l'adoption de l'ordonnance. Voilà une réponse bien
faible en face de notre volonté de débattre sérieusement, immédiatement, d'un
vrai sujet sur lequel nous voulons déboucher sur un projet de loi !
Nous préférons un débat qui débouche sur le vote d'une loi à un débat
a
posteriori
et sans enjeu ! C'est d'ailleurs bien le rôle du Parlement.
Pourquoi remettre à demain un débat que nous pouvons tenir dès maintenant, qui
sera alors utile et qui ne peut qu'enrichir le texte que nous préparons ?
Vous nous dites par ailleurs que votre projet d'ordonnance a été élaboré en
étroite coopération avec le milieu mutualiste. Cela me paraît la moindre des
choses, mais cela ne suffit pas. Dès lors que le milieu mutualiste approuve, le
Parlement n'aurait plus de raison d'être ? La loi doit bien être celle de tous
les Français. Elle devra être respectée par tous les Français au-delà du milieu
mutualiste et de ses trente millions d'adhérents.
Permettez-moi enfin de développer quelques arguments plus politiques.
Bien sûr, je ne veux en aucun cas intervenir ici en épousant la thèse de l'un
ou l'autre des participants à une querelle que nous connaissons tous bien et
qui n'a que trop duré. Je ne veux pas non plus regretter le fait que certaines
des parties prenantes auraient été moins écoutées par vous. Je veux me placer
du seul point de vue de l'intérêt de la mutualité française, institution
spécifique à notre pays, dont nous sommes fiers et qui se situe au coeur de
toute notre protection sociale.
Je retiens alors trois objectifs pour défendre cette mutualité française.
N'allons pas tuer à Bruxelles un concept français intéressant ; faisons mesurer
par tous les Français l'originalité et la valeur de ce concept. Prenons enfin
en compte cette spécificité en traitant une fois pour toutes et au fond les
difficultés qui peuvent encore apparaître au niveau des conditions de
concurrence dans le domaine de l'assurance.
Si nous refondons le code de la mutualité en catimini, nous nous priverons
d'une occasion de faire comprendre aux Français ce que représente leur
mutualité et de les amener à se l'approprier vraiment. Pour cela, il faut une
loi qui soit la leur et qui résulte d'un vrai débat politique au Parlement. En
le refusant, nous accréditerions au contraire une thèse selon laquelle ce qui
concerne la mutualité ne peut être traité qu'à part. Je préfère une mutualité
comprise et acceptée par tous.
Et puis, il y a à Bruxelles, qui, vous le savez, est très vigilant sur tout ce
qui touche aux conditions de concurrence dans ce secteur de l'assurance. Quelle
que soit la solution retenue, elle sera décortiquée et critiquée.
Pour avoir une chance de « passer » à Bruxelles, il vaut beaucoup mieux que
notre texte résulte d'un débat au Parlement. Il aura plus de force, et il sera
reçu vraiment comme l'expression d'une volonté politique du pays.
Un texte résultant d'une négociation moins éclatante serait beaucoup plus
fragile à Bruxelles. Permettez-moi de vous dire ici ma conviction de vieux
praticien des organes communautaires : un tel texte ne tiendrait pas longtemps
et tout serait à refaire. Je ne veux pas jouer les Cassandre, mais si nous
passons par la voie de l'ordonnance, je crains d'avoir raison avant un an :
notre texte sera rejeté à Bruxelles.
Mes chers collègues, il nous faut aujourd'hui préférer le courage à la
facilité. Le débat est enlisé depuis des années et le restera tant que nous
n'accepterons pas de choisir un chemin, peut-être plus escarpé mais qui nous
conduira finalement plus sûrement et plus rapidement au but.
Au lieu de nous contenter de passer encore difficilement et de manière presque
honteuse un nouveau cap, au lieu de louvoyer pour gagner du temps ou pour être
provisoirement « soulagés », choisissons d'aller au bout de notre démarche, qui
elle, n'a absolument rien de honteux.
Il me semble que c'est au demeurant bien le rôle, la vocation et l'honneur du
Sénat, du Parlement, de légiférer aussi et surtout lorsque c'est difficile. Et
il vaut mieux un peu plus de courage aujourd'hui et beaucoup moins d'ennuis
pour la France et pour la mutualité demain.
La proposition de la commission des finances est donc simple : oui à la
transcription des directives par ordonnance tout de suite ; non à la refonte du
code de la mutualité par ordonnance mais oui à un débat immédiat sur ce sujet.
Ce débat est possible pour autant que le Gouvernement en fasse le choix, en ait
la volonté, et il peut être riche. Il nous semble qu'il représente une chance,
et sans doute la seule durable, pour une mutualité en laquelle nous croyons. Il
peut être mené à terme au moins aussi vite que la publication de vos
ordonnances. C'est uniquement une question de volonté politique.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 3 et pour
donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 18.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
L'amendement n° 3 est un simple amendement de précision, qui
ne se situe pas au centre de gravité de ce débat.
J'en viens à l'amendement n° 18.
La refonte du code de la mutualité ne saurait être simplement considérée comme
une mesure technique. Nous abordons-là des questions de fond.
Nous venons d'entendre le point de vue de la commission des finances, qui fait
valoir que l'article 3 de ce projet de loi va beaucoup plus loin que la
transposition des directives communautaires et qui estime donc nécessaire que
le texte soit normalement examiné par le Parlement.
L'autre commission saisie pour avis, la commission des affaires sociales,
considère, pour sa part, que la question de la transposition des directives sur
les assurances aux mutuelles est évoquée depuis trop longtemps et que le
problème doit être réglé rapidement ; elle ne s'oppose donc pas au recours aux
ordonnances.
Les arguments des deux commissions sont fondés et me paraissent parfaitement
respectables...
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Tout est
respectable !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois, saisie
au fond, s'en remet à la sagesse du Sénat.
Mais que les choses soient claires : quelle que soit la position que nous
prendrons les uns et les autres, elle ne sera pas pour ou contre la mutualité,
à laquelle nous portons tous un profond attachement, tant pour sa philosophie
que pour ce qu'elle a apporté et apporte encore à notre pays. Il s'agit
simplement de deux approches différentes de la procédure à mettre en oeuvre
pour la refonte du code de la mutualité.
Mes propos se veulent de nature à dédramatiser un débat qui peut être
facilement passionné.
M. Roland Muzeau.
C'est la droite plurielle !
M. Alain Lambert.
Occupez-vous de vos affaires !
M. Robert Bret.
Eh oui, chacun sa croix !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 18 et 3 ?
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 3, qui
est un amendement de précision.
S'agissant de l'amendement n° 18, qui ne se situe pas au centre de gravité de
ce texte
(Sourires.),
il convient de rappeler quelques éléments.
Voilà huit ans que les mutuelles ont souhaité elles-mêmes être raccrochées à
une directive qui les avait tenues à l'écart, car elles voyaient venir la
menace d'un espace européen qui s'organiserait sans elles.
Quand vous parlez de la célérité, voire de l'impatience qui peuvent être
manifestées aujourd'hui, je vous rappelle que ce débat a été long à conduire
puisqu'il aura fallu plusieurs allers et retours, plusieurs alternances et
quatre gouvernements !
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
Il est temps de conclure !
M. Guy Hascoët,
secrétaire d'Etat.
Quant aux promesses relatives à l'inscription
certaine, dans le calendrier, d'un débat autour d'un projet de loi de
ratification, je reprendrai un argument qui a été développé précédemment : il
est un aspect qui n'est pas traité dans l'ordonnance : c'est le calage fiscal.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie s'est engagé, à
régler le problème dans la loi de finances pour 2002. Cela vous donne donc une
idée approximative des échéances.
Dans mon intervention liminaire, je vous ai exposé les raisons qui fondent
l'inscription de cet article 3 dans ce projet de loi.
L'actuel code de la mutualité, issu de la loi du 25 juillet 1985, a été adopté
sept ans avant les directives « Assurance ». Son contenu et sa structure sont
globalement incompatibles avec la logique des directives.
Seule la modernisation du code permet de concilier en droit interne la logique
prudentielle des directives « Assurance » visant à protéger les intérêts des
assurés et les spécificités mutualistes.
Cette logique prudentielle structurée autour du principe de spécialisation
vient heurter de front l'organisation et le contenu du code actuel fondés sur
la reconnaissance de la « pluri-activité » des mutuelles.
Par ailleurs, l'absence de distinction entre les règles de fonctionnement de
la mutuelle fixées par ses statuts et celles qui sont relatives aux relations
qu'elle noue avec ses adhérents à l'occasion d'une opération d'assurance est
contraire aux dispositions des directives.
En effet, si les directives ne s'opposent pas à un contrôle
a priori
des statuts des mutuelles, elles prohibent en revanche le contrôle
a
priori
des éléments constitutifs de l'opération d'assurance, tels que le
risque couvert, le tarif...
La volonté de préserver, à l'occasion de la transposition des directives, les
spécificités des mutuelles conduit à définir pour les mutuelles pratiquant des
opérations d'assurance et pour celles qui sont dédiées à des réalisations
sociales deux cadres juridiques distincts impliquant un bouleversement des
livres III et IV de l'actuel code.
Comme M. le rapporteur l'a rappelé, on peut effectivement raisonner de manière
intellectuelle, sérieuse, en se fondant sur des arguments empruntés dans les
deux rubriques. Au bout du compte, si après huit ans d'inquiétude, huit ans
d'incertitude, l'ensemble du monde mutualiste, qui souhaite être inscrit
clairement pour l'avenir dans l'espace européen, manifeste une telle volonté,
c'est en raison de l'incertitude et de la crainte d'un flottement juridique
ressenti par l'ensemble des opérateurs comme un risque dont ils doivent être
mis à l'abri.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 18.
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Badré, rapporteur pour avis.
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
Mes chers collègues, je suis attentivement notre
débat depuis le début de l'après-midi. Qu'avez-vous dit, les uns et les autres
? Qu'avez-vous proposé, avec une large unité de ton ?
Vous avez régulièrement fait remarquer, comme je viens de le faire moi-même,
que l'habilitation donnée au Gouvernement à transposer par ordonnances des
directives communautaires n'est pas acceptable lorsqu'il s'agit de sujets
importants sur lesquels la représentation nationale doit s'exprimer. C'est en
raison de cet argument principal que vous avez exclu du champ des ordonnances «
Natura 2000 » ou de la directive sur les services postaux, par exemple.
Alors, je me tourne vers vous, mes chers collègues, et je vous pose la
question : la refonte du code de la mutualité est-elle un sujet tellement plus
banal et plus technique qu'il pourrait, contrairement aux autres, être traité
par voie d'ordonnance ? Ce sujet ne mériterait-il pas un débat national ? Vous
savez pourtant très bien que l'objet de l'habilitation dépasse de très loin la
transposition des directives, M. le secrétaire d'Etat lui-même le reconnaissait
à l'instant.
Une nouvelle fois, je refuse deux arguments : celui selon lequel le
Gouvernement aurait consulté les mutuelles et que, dès lors, il n'y aurait plus
de problème, et celui selon lequel il vous aurait promis un débat sans enjeu
lors de la discussion du projet de loi de ratification. Préparons-nous la loi
des mutuelles ou bien la loi de la France pour les mutuelles ?
Le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales a fait
remarquer que le code de la mutualité réformé figurait déjà sur le site
Internet d'une importante fédération de mutuelles. Est-ce vraiment le signe
d'une démocratie qui fonctionne bien ? On retrouve le syndrome dénoncé tout à
l'heure par notre collègue Pierre Hérisson à propos de « Natura 2000 ».
Le Parlement doit conserver son rôle ! Nous voulons qu'il ait son mot à dire,
qu'il garde ses prérogatives et qu'il assume ses responsabilités !
Quant au débat programmé à l'occasion du projet de loi de ratification,
pourquoi ne pas l'avoir maintenant, d'une manière qui sera plus complète et
surtout utile ?
J'insiste enfin sur la nécessité de faire accepter notre texte, donc de faire
consacrer notre concept français de mutualité à Bruxelles. Cela sera moins
difficile si notre texte résulte d'un débat parlementaire et reflète, de ce
fait, la volonté politique des Français. S'il ne fallait retenir qu'un argument
parmi ceux que je vous ai présentés, ce serait celui-là.
C'est afin de faire définitivement accepter nos thèses à Bruxelles, donc de
mettre un terme à un mauvais conflit, que la commission des finances a retenu
d'accepter la transcription par ordonnances des deux directives et de demander
très vite un débat au Parlement qui puisse déboucher sur une position forte de
la France à Bruxelles sur ce point.
Je conclurai en faisant remarquer que, très souvent, nous nous plaignons de
voir le rôle du Parlement amoindri. Aujourd'hui, nous avons l'occasion de
rappeler les prérogatives constitutionnelles dont il dispose. Accepter
l'article 3, c'est renoncer à nos pouvoirs : nous n'aurons plus le droit,
ensuite, de nous plaindre de la diminution de l'influence du Parlement !
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
J'ai été très sensible à la passion que M. le rapporteur pour avis de la
commission des finances a mise dans son exposé, et que l'on peut comprendre,
même si, malgré le charme du verbe, on ne se laisse pas endormir par les
sirènes de son propos !
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
Je ne cherche pas à endormir !
M. Patrice Gélard.
Nous avons affaire à deux positions, celles de deux commissions qui présentent
deux avis différents.
En fait, l'avis de la commission des finances pourrait s'appliquer
pratiquement à chacune des directives soumises à ordonnance. On pourrait en
effet nous reprocher à chaque fois de paralyser l'action du Parlement et de
mettre en cause ses prérogatives.
En réalité, nous nous heurtons à un problème plus spécifique, celui de
l'urgence, qui a été souligné tout à l'heure aussi bien par un certain nombre
d'orateurs que par M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires
sociales ou encore pour le Gouvernement.
L'urgence dans cette affaire est importante et il y avait peut-être moyen
d'aller plus vite, monsieur le secrétaire d'Etat. Le Gouvernement aurait pu
déposer, au mois de juin, un projet de loi réelle, que nous aurions examiné
avec plaisir, en urgence pas comme le projet de loi relatif aux nouvelles
régulations économiques dont l'examen aura pris un an aux deux assemblées
malgré la déclaration de l'urgence du texte !
En conclusion, dans sa grande majorité, le groupe du RPR optera pour la
position de la commission des affaires sociales - j'en suis désolé, monsieur
Badré - et non pour celle de la commission des finances, à l'exception des
commissaires, de la commission des finances RPR qui suivront naturellement leur
rapporteur pour avis. C'est pourquoi, monsieur le président, notre groupe
demande au Sénat de se prononcer par scrutin public sur l'amendement n° 18.
M. Roland Muzeau.
C'est un schisme !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
L'urgence commande-t-elle au
Parlement de se taire ? L'urgence impose-t-elle aux Français de renoncer à
demander à ceux qui les représentent d'exercer la responsabilité et la mission
qui leur ont été confiées ? Combien de temps nous répandrons-nous en
lamentations sur le fait que la démocratie est menacée
(Murmures sur les
travées socialistes)
si les principes mêmes de la démocratie sont en
permanence bafoués au motif, par exemple, ce soir, de l'urgence ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, je trouve que vous avez bien débuté au Sénat,
parce que votre propos était délicat, et, dans cette maison, la délicatesse est
toujours saluée. De plus, je connais votre parcours : vous êtes arrivé à la
politique en luttant et, au fond, ce dont la politique a besoin aujourd'hui,
c'est de femmes et d'hommes ayant des convictions et se battant pour les faire
valoir.
Mais, alors que le Gouvernement avait soumis un texte sur la refonte du code
de la mutualité au Conseil d'Etat, on vous a demandé de le remettre dans votre
cartable et, aujourd'hui, au banc du Gouvernement, de renoncer à le présenter !
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne vous envie pas.
Cher collègue Gélard, l'urgence dans ces conditions, je n'en serai pas, parce
que c'est une manière de gérer la fin du Parlement, et à cela, je ne souscrirai
pas !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
C'est le 49-3
qui marque la fin du Parlement !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Monsieur Gayssot, vous
regarderez comment le groupe qui a votre préférence votera tout à l'heure !
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je regarderai
!
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Et, après tout, je finirai par
lui faire confiance plus qu'à vous-même, si vous continuez à m'interrompre !
(Sourires.)
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Je vous écoute
!
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
En tout cas, mes chers
collègues, si le Gouvernement le souhaite, le Sénat est en mesure de débattre
sur l'instant du texte que le Gouvernement avait envisagé de déposer et qui a
connu toutes les étapes préparatoires de l'élaboration d'un projet de loi.
Mais, avec cet article, mes chers collègues, nous ouvrons les portes de notre
droit à des dispositions que l'on veut nous cacher, du moins c'est ce que j'en
tire comme conclusion, puisqu'elles existent et qu'on ne nous les présente pas
!
La commission des finances vous l'a dit : oui à la transposition, à condition
de connaître ce qui est au-delà et qui figure dans un texte qui est prêt mais
qui, après avoir été inscrit à l'ordre du jour du Gouvernement, n'a pas été
discuté et est devenu une sorte de conversation !
Je vous en supplie, mes chers collègues, défendez ce soir la voix des
Français, parce que c'est au nom du peuple français que vous siégez au Sénat
tout comme nos collègues députés siègent à l'Assemblée nationale ! Ne renonçons
pas à nos prérogatives, et c'est pourquoi je vous demande de voter l'amendement
de suppression n° 18 de M. Denis Badré.
Mme Nicole Borvo.
Seulement pour l'article 3 ?
Mme Hélène Luc.
Il y a bien longtemps qu'on aurait dû vous entendre parler ainsi !
M. André Jourdain,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Jourdain, rapporteur pour avis.
M. André Jourdain,
rapporteur pour avis.
Je ne pensais pas intervenir, pour la bonne raison
que la commission des affaires sociales, saisie pour avis, n'avait pas à se
prononcer sur les amendements présentés par des sénateurs ou par d'autres
commissions. Je me sens cependant obligé de prendre la parole pour vous dire,
monsieur Badré, que la commission des affaires sociales n'a pas cédé à la
facilité, comme vous sembliez le suggérer.
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
Ce n'est pas de vous que je parlais.
M. André Jourdain,
rapporteur pour avis.
Elle a plutôt fait preuve de courage.
Monsieur Lambert, nous avons, nous aussi, le souci de chacun des Français qui
nous ont amenés à siéger dans cette Haute Assemblée.
Il se trouve - c'est peut-être malencontreux - que les positions de la
commission des affaires sociales et de la commission des finances sont, sur ce
sujet, divergentes. Il ne s'agit pas vraiment d'une contradiction de fond. Sur
certains points, je partage les arguments développés par M. Badré, rapporteur
pour avis de la commission des finances.
Mais permettez-moi d'évoquer un fait qui - coïncidence ! - était relaté hier
dans mon journal local.
Une mutuelle de mon département a ouvert un centre optique, autorisé par le
préfet en fonction de notre code de la mutualité. Or un recours a été formé
devant le tribunal administratif, lequel a mis en avant les directives. C'est
bien la preuve que les mutuelles sont dans l'incertitude et dans l'insécurité
juridique les plus complètes.
Dans ces conditions, peut-on attendre ? Je réponds non. Le délai de
ratification doit même être raccourci, monsieur le secrétaire d'Etat, et ce
sera l'objet d'un amendement que je proposerai à l'article 5.
M. Paul Girod.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Girod.
M. Paul Girod.
Je n'étonnerai personne ici en disant que notre groupe va se diviser au moment
du vote. C'est une habitude ancienne, mais, dans cette affaire, au-delà des
positions que l'on peut prendre, guidé par telle ou telle appartenance,
lesquelles chez nous sont multiples - je ne dis pas plurielles, monsieur le
secrétaire d'Etat
(Sourires.)
- il y a un débat de fond qui est celui de
savoir de quelle manière le Parlement travaille.
J'ai vu arriver ici un certain nombre de textes déclarés d'urgence qui
concernaient des problèmes de société. On nous expliquait qu'il était
impensable d'en différer l'examen, examen qu'on menait tambour battants, alors
que ces textes ne concernaient pas la moitié des Français, à beaucoup près.
Pourtant, l'adoption de ces textes semblait d'une urgence telle qu'on ne
pouvait la différer en aucune manière.
Parlant à titre personnel - mais je ne suis pas le seul de mon groupe à penser
ainsi, le scrutin le montrera -, j'estime qu'un sujet pareil, qui concerne la
moitié des Français, ne peut être traité dans un placard.
Je comprends bien les arguments qui viennent d'être développés, encore que je
ne sois pas sûr que la création d'un centre d'optique par une mutuelle relève
totalement de sa mission d'assurance. De ce point de vue, une adaptation des
directives n'ira probablement pas dans le sens qu'aurait souhaité
éventuellement cet organisme, étant entendu qu'il lui appartenait peut-être, à
lui, de réfléchir avant de se mettre dans une position qui, de toute façon et
même actuellement, me semble appeler un minimum de réflexion.
Bref, voici mon sentiment : il y a peut-être urgence ; nous devons débattre
entre nous, rapidement si le Gouvernement le veut, comme ce fut le cas pour
d'autres textes. En tout cas, pour la plupart d'entre nous, nous adopterons
l'amendement de la commission des finances.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je ne vais pas engager
une discussion avec mon collègue président de la commission des finances, pour
savoir laquelle, de la commission des affaires sociales ou de la commission des
finances, est la plus apte à donner un avis sur le problème des mutuelles. Cela
peut se discuter, mais je tiens à souligner que la commission des affaires
sociales a aussi étudié cette affaire au fond, même très au fond, comme l'a dit
M. le rapporteur pour avis, et ce n'est pas par refus d'une discussion plus
approfondie qu'elle a choisi d'adopter l'article 3, dont elle a pesé les
conséquences.
Nous avons organisé - et vous nous avez fait l'amabilité, monsieur le
rapporteur pour avis de la commission des finances et monsieur le rapporteur de
la commission saisie au fond, de répondre à notre invitation - une audition des
représentants des mutualités - il y a plusieurs organismes fédérateurs - et des
assurances. Leur avis n'a pas été unanime, mais pratiquement tous ont mis en
avant la nécessité d'agir rapidement compte tenu de l'insécurité juridique dans
laquelle ils se trouvaient.
Là, je pense que la commission des affaires sociales n'a pas forcément de
leçons à recevoir de la commission des finances.
Or, des termes blessants ont été émis à l'adresse de ceux qui n'étaient pas
d'accord.
M. Denis Badré,
rapporteur pour avis.
Ce n'était pas pour vous !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Lors de l'audition,
vous nous avez dit que ce n'était pas sérieux, que c'était manquer de courage,
de façon honteuse - cela a été répété deux fois - de ne pas suivre la position
de la commission des finances, que c'était contraire à l'honneur, que c'était
un manque de volonté politique. Là, je crois que vous êtes allé trop loin !
Nous qui avons réfléchi à ce problème au sein de la commission des affaires
sociales, nous sommes peut-être des gens simples, peut-être un peu moins
savants, mais, comme le disait Montesquieu : « J'aime les paysans : ils ne sont
pas assez savants pour penser de travers. »
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Très bien !
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales.
Je crois que nous ne
pensons pas de travers. Simplement, nous avons voulu appliquer un principe de
réalisme face à une situation qui perdure depuis près de dix ans et qui risque
encore de traîner si ces ordonnances ne sont pas prises, ordonnances que nous
n'acceptons pas sur le fond, mais auxquelles nous nous sommes résolus, car il
n'y a pas d'autre solution réaliste dans l'immédiat.
(Applaudissements sur
les travées socialistes.)
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Ce qui m'étonne, dans ce débat, c'est que, maintenant, nous sommes en train de
faire le procès, non pas du texte déposé par le Gouvernement, mais des
ordonnances en général, et ce procès me déplaît.
Notre Constitution de 1958 a prévu les ordonnances justement pour mettre fin
aux abus antérieurs de la IIIe et de la IVe République. Autoriser le
Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, ce n'est pas abandonner ses
pouvoirs, pour le Parlement. Notre débat actuel en est la preuve : nous sommes
en train de démontrer que nous assumons totalement notre rôle de parlementaires
en examinant le bien-fondé de la demande gouvernementale. Cela fait partie de
notre travail.
Ce qui pourrait nous être reproché à nous, parlementaires, ce serait de
refuser le débat sur la ratification des ordonnances ou, éventuellement, de
mettre en pièces les ordonnances déposées par le Gouvernement. Mais nous
n'agissons pas ainsi.
En fait, dans notre démocratie, nous ne pouvons pas nous passer des
ordonnances. D'ailleurs, dans tous les régimes démocratiques, à l'exception du
régime présidentiel, cette délégation au Gouvernement existe, parce qu'à
certains moments on ne peut pas s'en passer. En l'occurrence, nous nous
trouvons dans ce cas.
Quoi qu'il en soit, il ne me semble pas opportun, aujourd'hui, de faire le
procès des ordonnances. Ce n'est pas le véritable problème qui est posé
présentement.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Si certains de nos collègues de
la commission des affaires sociales, notamment M. Delaneau, ont été blessés, au
nom de la commission des finances, je leur présente des excuses.
Nous sommes tous au service de la loi, au service des Français, et nous devons
travailler dans la sérénité et la tranquillité. Un débat, si vif soit-il, ne
doit pas affecter la confiance que nous nous accordons les uns aux autres. Nous
avons des convictions et nous les exprimons peut-être avec trop de véhémence,
mais cela ne doit avoir aucun effet quant à l'estime qui nous unit.
Je tiens à vous dire, en outre, mes chers collègues de la commission des
affaires sociales, que la commission des finances n'a aucune prérogative
prioritaire par rapport à vous. Je pense d'ailleurs que c'est à la commission
des affaires sociales que reviendrait l'examen au fond d'un texte tel que celui
qui nous occupe en l'instant. Je tenais à ce que les choses soient bien
claires.
J'ai simplement voulu dire qu'un travail approfondi avait été réalisé par la
commission des finances, un travail respectable. Il existait un texte du
Gouvernement, qui pouvait être discuté si celui-ci en avait la volonté ; il
n'en a pas la volonté et il est très mal placé pour invoquer l'urgence. C'était
ce que je voulais signaler.
Nous en sommes arrivés au moment où chacun doit voter selon sa conscience. Je
pense que les membres de tous les groupes ont reçu les informations
susceptibles de leur permettre de voter en connaissance de cause, la majorité
sénatoriale conservant la sérénité qui est la sienne et qui constitue un bon
exemple pour le Gouvernement et la majorité qui le soutient.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe
socialiste, l'autre du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 320 |
Nombre de suffrages exprimés | 296 |
Majorité absolue des suffrages | 149 |
Pour l'adoption | 85 |
Contre | 211 |
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article 3.
M. Jean Delaneau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau. Je souhaite répondre d'un mot à notre collègue M. Domeizel, qui a fait tout à l'heure l'assimilation, à mes yeux abusive, entre mutualité et socialisme.
Je suis maire d'une commune d'Indre-et-Loire, où la mutualité a vu le jour en 1824, pour concrétiser la solidarité entre les membres d'une profession extrêmement pénible, celle des ouvriers tanneurs. Et elle est née avec le soutien du patronat de l'époque, un patronat sans doute paternaliste... Je ne suis pas certain que, en 1824, cette première mutualité dans le département d'Indre-et-Loire ait été inspirée par les théories socialistes !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4