SEANCE DU 12 OCTOBRE 2000
M. le président.
« Art. 20. - L'article 3 de la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 précitée est
ainsi modifié :
« 1° Aux 1° et 2° , les mots : "lorsqu'elles paraissent provenir" sont
remplacés par les mots : "qui pourraient provenir" et les mots : "de l'activité
d'organisations criminelles" sont remplacés par les mots : "d'activités
criminelles organisées" ;
« 2° Il est ajouté trois alinéas ainsi rédigés :
« Les organismes financiers sont également tenus de déclarer à ce service :
« 1° Toute opération dont l'identité du donneur d'ordre ou du bénéficiaire
reste douteuse malgré les diligences effectuées conformément à l'article 12
;
« 2° Les opérations effectuées par les organismes financiers pour compte
propre ou pour compte de tiers avec des personnes physiques ou morales, y
compris leurs filiales ou établissements, agissant sous forme ou pour le compte
de fonds fiduciaires ou de tout autre instrument de gestion d'un patrimoine
d'affectation dont l'identité des constituants ou des bénéficiaires n'est pas
connue. » ;
« 3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret pourra étendre l'obligation de déclaration mentionnée au premier
alinéa aux opérations pour compte propre ou pour compte de tiers effectuées par
les organismes financiers avec des personnes physiques ou morales, y compris
leurs filiales ou établissements, domiciliées, enregistrées ou établies dans
l'ensemble des Etats ou territoires dont la législation ou la réglementation
est reconnue insuffisante ou dont les pratiques sont considérées comme faisant
obstacle à la lutte contre le blanchiment des capitaux par l'instance
internationale de concertation et de coordination en matière de lutte contre le
blanchiment de l'argent. Ce décret fixera le montant minimum des opérations
soumises à déclaration. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 194 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des
finances.
L'amendement n° 28 est déposé par M. Hyest, au nom de la commission des
lois.
Tous deux tendent à remplacer le deuxième alinéa (1°) de cet article par trois
alinéas ainsi rédigés :
« 1°) Les deux derniers alinéas sont ainsi rédigés :
« 1° Les sommes inscrites dans leurs livres lorsqu'il existe des indices que
ces sommes pourraient provenir du trafic de stupéfiants ou d'activités
criminelles organisées ;
« 2° Les opérations qui portent sur des sommes lorsqu'il existe des indices
que ces sommes pourraient provenir du trafic de stupéfiants ou d'activités
criminelles organisées. »
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
S'agissant de problèmes de droit pénal, la
commission des lois peut émettre, doit émettre un avis.
Je le relève d'autant plus volontiers qu'une certaine commission veut
s'occuper de droit civil. Cela peut être légitime sur certains sujets, mais
cela ne peut pas durer éternellement ! Il faut bien que la commission des lois
défende ses compétences.
Mais venons-en à l'amendement.
La loi de 1990 dispose que les banques et certains autres organismes doivent
déclarer les sommes « qui paraissent provenir » d'activités criminelles. Il
faut donc qu'il y ait un soupçon.
Le projet de loi prévoit que les banques devront désormais déclarer les sommes
« qui pourraient provenir » d'activités criminelles. C'est plus qu'une nuance -
les termes « paraissent » et « pourraient » n'ont pas la même signification.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, ce changement doit faciliter le
respect de l'obligation de déclaration et la sanction des manquements à cette
obligation.
Le Gouvernement indique également que cette rédaction est plus en conformité
avec la directive européenne.
Toutefois, le texte proposé paraît beaucoup trop imprécis, d'autant que la
directive européenne parle d'« indices » - je vais y revenir - et ne donne
aucune indication aux banques et autres organismes.
L'amendement vise donc à introduire la notion d'« indices » pour faciliter la
tâche de ceux qui doivent déclarer. Cette notion d'indices figure d'ailleurs
explicitement dans la directive communautaire de 1991.
Comme le Gouvernement est très attaché au respect des directives, même quand
elles ne sont pas encore écrites, je crois que nous l'aidons ainsi à appliquer
ses principes.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Favorable, monsieur le président, puisque nous avons déposé
un amendement identique.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à
l'artisanat et à la consommation.
Le Gouvernement émet un avis
défavorable, puisqu'il n'a pas proposé ce texte par hasard.
Vous demandez de remplacer les mots « lorsqu'elles pourraient provenir » par
une autre expression, en vous référant à la directive du 10 juin 1991. Or
l'expression qui figure dans cette directive est : « qui visent tout fait qui
pourrait être l'indice d'un blanchiment de capitaux. »
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
L'indice !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
... qui pourrait provenir...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Non ! Qui pourrait être l'indice !
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Je poursuis mon argumentation, monsieur le
rapporteur, si vous le permettez.
En fait, la formulation que vous retenez n'est pas la même que la nôtre et
aboutirait à faire déclarer des indices de ce qui pourrait constituer un
blanchiment, et non de ce qui pourrait être un indice de blanchiment.
Vous avez même interrogé un banquier et un avocat sur ce sujet. Cela a amené
d'autres débats et dans d'autres lieux, mais il nous semble inutile d'alourdir
la rédaction du texte, dans la mesure où l'objectif - vous en êtes parfaitement
d'accord et vous l'avez largement démontré - est que Tracfin puisse faire son
travail.
Ce n'est pas aux banquiers de faire l'enquête ni de relever des indices ;
c'est à eux de dire qu'ils ont non pas une certitude, mais un doute. En fait,
notre rédaction se rapproche davantage de cette idée : dire le doute, mais ne
pas être obligé de chercher les indices.
Voilà pourquoi nous préférons notre texte. Nous ne voulons pas transformer les
autres acteurs en juges, ce qu'ils ne veulent pas être, ni, surtout, en
enquêteurs.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Notre rédaction correspond beaucoup mieux à ce que
dit la directive. Eh oui ! il fallait laisser le texte de 1990 en l'état,
puisque, en fait, il a prouvé son efficacité.
Je crois d'ailleurs que tous les acteurs ont joué le jeu, madame le secrétaire
d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Oui !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Il faut quand même le dire ! Il est vrai que les
banquiers, les notaires et tous ceux qui sont impliqués pour l'instant par la
directive ont parfaitement joué le jeu.
Dans ces conditions, pourquoi changer ce qui fonctionne ? Si l'on modifie le
dispositif et que l'on crée une incertitude telle que ceux qui sont obligés de
déclarer ne savent plus comment faire, je pense que l'on va aboutir à un
encombrement considérable de Tracfin par des déclarations qui, par la suite, se
révéleront sans intérêt, et à une moins grande efficacité du dispositif.
Ou bien, l'on écrit : « pourraient », mais on exige des indices, ou bien on
laisse : « paraissent ». Pour ma part, je veux bien que l'on ne modifie pas le
texte.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 194 et 28, repoussés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 333, M. Badré propose de rédiger ainsi le sixième alinéa
(2°) de l'article 20 :
« 2° Les opérations effectuées par les organismes financiers pour compte
propre ou pour compte de tiers avec des personnes physiques ou morales, y
compris leurs filiales ou établissements, qui se présentent comme agissant sous
forme ou pour le compte de fonds fiduciaires ou de tout autre instrument de
gestion d'un patrimoine d'affectation lorsque l'identité des constituants ou
des bénéficiaires n'a pas pu être vérifiée dans des conditions fixées par
décret ou, après vérification, lorsque l'un au moins des constituants ou
bénéficiaires se révèle être domicilié dans un Etat ou territoire dont la
législation ou la réglementation est reconnue insuffisante ou dont les
pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la lutte contre le
blanchiment des capitaux par l'instance internationale de concertation et de
coordination en matière de lutte contre le blanchiment d'argent ; ».
Par amendement n° 29, M. Hyest, au nom de la commission des lois, propose à la
fin du dernier alinéa du 2° de l'article 20, de remplacer les mots : « dont
l'identité des constituants ou des bénéficiaires n'est pas connue » par les
mots : « lorsque l'identité des constituants ou des bénéficiaires n'a pas pu
être vérifiée dans des conditions fixées par décret ».
La parole est à M. Badré, pour présenter l'amendement n° 333.
M. Denis Badré.
Si ces deux amendements sont effectivement voisins, le mien me semble, après
avoir bien lu le texte de la commission des lois, un peu plus détaillé.
Dans un monde qui est ouvert, ce qui doit nous rendre très vigilants, dans une
Europe qui est de plus en plus solidaire, ce dont personnellement je me
réjouis, à condition, là encore, que nous soyons vigilants, il existe des
opérations parfaitement régulières qui sont réalisées avec des trusts et des
fonds fiduciaires dans des conditions tout à fait contrôlables.
Avec le texte adopté par l'Assemblée nationale, les banques françaises
pourraient être exclues de la réalisation de telles opérations dès lors
qu'elles devraient systématiquement faire une déclaration de soupçon à Tracfin
pour chacune des opérations les concernant. A l'évidence, cela introduirait une
distorsion de concurrence entre les banques françaises et leurs concurrents
étrangers.
Il faut éviter cet effet pervers, sans relation avec nos préoccupations de
fond. Tel est l'objet de l'amendement n° 333, que j'ai l'honneur de vous
présenter.
Je précise les suites que pourraient avoir cet amendement. On pourrait très
bien imaginer, par décret cette fois, une procédure spécifique consistant en
une demande systématique de délivrance d'une attestation de l'organisme
financier concerné. De la sorte, les contrôles éventuels par les autorités
concernées seraient rendus possibles.
De surcroît, les banques déclareraient à Tracfin toutes les opérations
réalisées avec des personnes se présentant comme des trusts ou comme agissant
pour le compte d'un trust et qui n'auraient pas donné lieu à délivrance de
l'attestation ou qui auraient fait ressortir que l'un au moins des constituants
ou bénéficiaires du fonds fiduciaire est domicilié dans un pays non
coopératif.
Pour clarifier les choses, s'agissant des organismes financiers, je préfère à
l'expression : « agissant sous forme ou pour le compte de fonds fiduciaires »
les mots : « qui se présentent comme agissant sous forme ou pour le compte de
fonds fiduciaires ».
En outre, s'agissant de l'identité des constituants ou des bénéficiaires, à
l'expression « n'est pas connue », je préfère l'expression : « n'a pu être
vérifiée dans des conditions fixées par décret ».
Cette rédaction me semble beaucoup plus précise et elle évite en outre tout
effet pervers à la disposition de fond à laquelle nous souscrivons, et qui est
présentée par le projet.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n°
29.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Nous avons incontestablement le devoir de nous
préoccuper de ce que l'on appelle les trusts, qui sont une nécessité, notamment
pour les financements des grandes entreprises. Mais les risques de blanchiment
ne sont pas négligeables, certaines entités allant chercher, sous divers cieux,
des capitaux dont il convient de connaître l'origine.
Mais la situation est très difficile, car certains trusts provenant, par
exemple, de biens familiaux souhaitent rester confidentiels.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale tend à imposer aux organismes
financiers de déclarer toutes les opérations avec des trusts dès lors que
l'identité des constituants n'est pas connue. Cette formalité paraît trop
imprécise, car on ne connaît jamais
a priori
les constituants d'un
trust.
L'amendement tend donc à prévoir qu'un décret imposera aux banques de faire un
certain nombre de vérifications et que les transactions seront déclarées à
Tracfin si les vérifications échouent. Ce mécanisme est exactement celui qui
est prévu lorsque l'identité d'un donneur d'ordre ou d'un bénéficiaire demeure
douteuse.
A défaut d'une telle procédure, on resterait dans l'imprécision et on
risquerait de voir disparaître des financements apportés par ces trusts, ce qui
serait souvent dommageable pour nos activités économiques.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Philippe Marini,
rapporteur.
La commission des finances est tout à fait favorable à
l'amendement n° 29 et salue par ailleurs l'initiative de Denis Badré, qui est
du même ordre. En effet, sur le fond, les deux amendements se rejoignent.
Techniquement, nous avons une préférence pour l'amendement n° 29 de la
commission des lois. Par conséquent, si notre collègue le voulait bien, la
bonne solution, dans le respect des objectifs qu'il poursuit, serait qu'il
accepte de se rallier à l'amendement n° 29.
M. le président.
Monsieur Badré, maintenez-vous l'amendement n° 333 ?
M. Denis Badré.
Je réponds bien volontiers à la prière du rapporteur et je m'incline avec
respect devant le travail réalisé par la commission des lois. Je retire
l'amendement n° 333.
M. le président.
L'amendement n° 333 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 29 ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Je comprends le souci qui a conduit au dépôt de ces
deux amendements.
L'amendement n° 29 a pour objet, et c'est là que le Gouvernement ne peut pas
vous suivre, monsieur Hyest, de renvoyer à un décret les modalités par
lesquelles les organismes financiers devront vérifier l'identité des
constituants ou des bénéficiaires des fonds fiduciaires ou de tout autre
instrument de gestion d'un patrimoine d'affectation avec lesquels ils
effectuent des opérations.
La commission des lois du Sénat estime que la rédaction retenue par
l'Assemblée nationale est trop vague dans la mesure où l'identité des
constituants d'un trust n'est jamais connue
a priori
, ce que vous avez
rappelé, monsieur le rapporteur pour avis.
Je considère qu'en réalité la disposition votée par l'Assemblée nationale
n'est pas vague dans la mesure où elle conduit à la déclaration à Tracfin des
transactions avec les fiducies ou les trusts anonymes. Tel est bien le but
recherché. Nous sommes d'accord sur ce point.
Il paraît à notre avis plus simple de ne pas imposer de diligence particulière
aux organismes financiers en ce domaine qui comporte des risques, soit de
contrôles purement formels, soit de lourdeurs. De plus, le Gouvernement pense
qu'il faut faire confiance à l'intelligence professionnelle des banquiers sur
ce sujet, d'autant que, soyons très clairs entre nous, le décret ne pourra
jamais tout prévoir. Il y aura certainement des aspects qui nous auront
échappé.
Je reste intimement convaincue que le professionnalisme, en particulier celui
des banquiers, induit parfois en eux des doutes. S'ils cherchent quelques
indices parce que le décret leur a imposé des choses un peu plus fines et
qu'ils ne les trouvent pas, ils sont pratiquement dans l'obligation de «
ramasser leurs doutes », si vous me permettez cette expression. C'est peut-être
l'inverse de ce qui est recherché. C'est pourquoi nous préférons leur faire
confiance sur ce qui est la volonté commune, la vôtre et la nôtre, à savoir que
les déclarations à Tracfin soient aussi précises et nombreuses que possible.
Je suis donc défavorable à l'amendement n° 29.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 29, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 30, M. Hyest, au nom de la commission des lois, propose :
I. - De compléter le 2° de l'article 20 par un alinéa ainsi rédigé :
« 3° Les opérations pour compte propre ou pour compte de tiers avec des
personnes physiques ou morales, y compris leurs filiales ou établissements
secondaires, domiciliées, enregistrées ou établies dans un Etat ou territoire
dont la législation ou la réglementation paraît insuffisante ou dont les
pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la lutte contre le
blanchiment des capitaux. La liste des Etats ou territoires concernés et le
montant minimal des opérations soumises à la déclaration sont déterminés par
décret. »
II. - En conséquence, de supprimer le 3° de cet article.
Par amendement n° 195, M. Marini, au nom de la commission des finances,
propose :
I. - De compléter le 2° de l'article 20 par un alinéa ainsi rédigé :
« 3° Les opérations pour compte propre ou pour compte de tiers avec des
personnes physiques ou morales, y compris leurs filiales ou établissements
secondaires, domiciliées, enregistrées ou établies dans un Etat ou territoire
dont la législation ou la réglementation paraît insuffisante ou dont les
pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la lutte contre le
blanchiment des capitaux. La liste des Etats ou territoires concernés et le
montant minimal des opérations soumises à la déclaration sont déterminés par
décret ».
II. - En conséquence, dans le premier alinéa du même 2°, de remplacer le
chiffre : « trois » par le chiffre « quatre ».
III. - En conséquence, de supprimer le 3° de cet article.
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n°
30.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Madame la secrétaire d'Etat, cet amendement est
presque l'objet d'une question de principe. Effectivement, les experts du GAFI
ont publié des listes de pays non coopératifs et de ceux qui devraient
améliorer leur législation, dont certains sont très proches de la métropole et
font régulièrement l'objet de commentaires importants, voire de missions, de
commissions d'enquête ou de missions parlementaires d'information.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Ce sont les petits rochers !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Ce qui me gêne, madame la secrétaire d'Etat, ce
n'est pas du tout le GAFI. Que le G7 ait créé ce groupe d'action financière
internationale lors d'un sommet, c'est très bien. Ce qui me gêne, c'est qu'on
le cite dans un texte de loi alors que ce groupe d'experts n'a pas la
personnalité morale et n'a aucune existence juridique en France. Si l'on
commence comme cela, où ira-t-on ?
Il est préférable que le Gouvernement prenne un décret reprenant la liste des
pays concernés fournie par le GAFI. C'est la responsabilité du Gouvernement, et
le résultat est le même. Nous sommes attachés à maintenir, dans les domaines
qui nous appartiennent, la souveraineté de l'Etat.
Tel est l'objet de cet amendement.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 195.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Notre amendement étant partiquement identique, monsieur le
président, je souscris à tout ce qui vient d'être dit.
J'ajoute à mon tour que c'est une question de principe que nous soulevons. Le
GAFI étant une instance informelle dont les attributions et la composition
peuvent tout à fait évoluer au fil du temps, il ne paraît pas avisé de se
référer ainsi, dans un texte de loi devant avoir un caractère de permanence, à
ses avis et aux listes qu'il est susceptible d'émettre.
Par ailleurs, madame le secrétaire d'Etat, en pareille matière, il est
nécessaire que le Gouvernement prenne toutes ses responsabilités. Si l'on a le
sentiment que des Etats sont à la limite ou au-dessous de la limite en matière
de régulation, de transparence, de gouvernance, de bon fonctionnemnt de leurs
procédures financières, il faut le constater, établir sous la responsabilité du
Gouvernement la liste ou les listes des Etats ou territoires concernés et ne
pas s'en remettre à un tiers qui - nous l'avons indiqué - n'a aucun statut en
droit international public.
Ce sujet des territoires
offshore
, comme on les appelle, a beaucoup
sensibilisé le Sénat, en particulier le groupe de travail sur la régulation
financière internationale de notre commission des finances, auquel il a déjà
été fait allusion plusieurs fois.
Nous pensons - d'ailleurs, sur ce point, nous n'avons aucune divergence avec
le Gouvernement - qu'il y a, si j'ose dire, des degrés dans l'horreur :
certains Etats sont manifestement complètement à l'écart de tout et font
quasiment profession d'être totalement dérégulés pour attirer des flux de
capitaux d'autres ont une régulation formelle, mais pas réelle, qui existe sur
le papier, mais dans le fonctionnement de laquelle on ne peut pas avoir
confiance ; enfin, des Etats sont quelque part dans l'intervalle entre deux, et
des progrès peuvent y être faits.
Je ne citerai personne, mais nous connaissons des exemples de territoires -
nous les citons, d'ailleurs, dans le rapport que j'évoquais - dont les modes de
gouvernance et de régulation évoluent ou ont évolué au cours de ces dernières
années.
Nous souscrivons au fait que des obligations plus contraignantes pèsent sur
les initiateurs de mouvements financiers avec les territoires
offshore
ou que les participants à ces mouvements doivent déclarer avec une exigence
accrue l'ampleur, la répétition et les montants de tels flux. Mais il ne nous
semble pas de bonne législation pour le Parlement d'habiliter le Gouvernement à
prendre des dispositions à géométrie complètement variable.
Il s'agit d'une question d'organisation de notre droit parce que l'article 20,
tel qu'il est rédigé, équivaut en réalité à une loi d'habilitation. Il consiste
à demander au Gouvernement de faire le nécessaire dans le cadre de la
concertation internationale. Nous voudrions être plus précis et mieux situer
les responsabilités. Au lieu de se référer à la liste du GAFI, avec toutes les
critiques que comporte une telle méthode, il serait préférable de se référer à
un décret qui préciserait, le moment venu, la liste en question et le
classement des territoires intéressés en fonction des qualités de leur système
financier et du degré de la coopération possible avec eux.
Je souscris pleinement aux propos tenus par M. le rapporteur pour avis de la
commission des lois et j'insiste, madame le secrétaire d'Etat, sur les raisons
de principe qui nous ont amenés à présenter les amendements identiques n°s 30
et 195.
M. le président.
Mon cher collègue, les amendements n°s 30 et 195 sont presque identiques. La
seule différence est que l'amendement n° 195 contient un alinéa
supplémentaire.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
En effet, l'amendement de la commission des
finances apporte une précision supplémentaire. C'est pourquoi la commission des
lois retire son amendement au profit de celui-ci.
M. le président.
L'amendement n° 30 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 195 ?
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement a bien entendu les arguments qui ont
été développés, mais il reste sur sa position et émet donc un avis
défavorable.
J'ajouterai simplement à l'intention de M. le rapporteur qu'il existe un
précédent. En effet, des textes financiers et législatifs mentionnent le Club
de Paris pour la gestion de la dette des pays en voie de développement et ce
club est aussi informel que le GAFI. Or, vous avez laissé passer cela...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur pour avis.
Je n'étais pas parlementaire à l'époque !
(Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu,
secrétaire d'Etat.
Mais revenons à l'amendement lui-même.
La commission des lois et la commission des finances ont souhaité supprimer
dans l'article 3 de la loi du 12 juillet 1990 toute référence à l'instance
internationale de concertation et de coordination en matière de blanchiment
d'argent, c'est-à-dire au GAFI, au motif que cette instance n'a pas de
personnalité juridique et afin de laisser au Gouvernement toute lattitude dans
l'établissement par voie réglementaire de la liste des Etats non coopératifs en
matière de lutte contre le blanchiment.
Sur le premier point, il n'y a pas d'obstacle juridique à ce que la loi fasse
référence à une instance non dotée de la personnalité morale dans la mesure où
celle-ci est clairement identifiée. Je pense que vous souscrivez au moins à
cette notion d'identifié.
Même dénué de la personnalité morale, le GAFI existe. Ce qui est important,
c'est qu'il regroupe vingt-six pays, et non des moindres, de l'OCDE. Ses
travaux font l'objet de la plus grande diffusion internationale. Il s'agit donc
d'une institution de référence au plan international, que nous respectons comme
telle.
Par ailleurs, le souhait du Gouvernement n'est pas d'éluder ses
responsabilités en se référant à une liste établie par une instance
internationale. Il souhaite mettre en oeuvre de manière coordonnée avec ses
partenaires du GAFI ces mesures de surveillance des paradis financiers. J'ai
retenu de vos exposés liminaires à quel point vous teniez à cette notion
internationale ; nous sommes effectivement dans ce champ.
En conséquence, laisser le soin à chaque Etat membre du GAFI de dresser une
liste différente de celle qui est établie en commun ruinerait l'autorité de
cette instance et l'efficacité de ses travaux. C'est sans doute le point le
plus important. Nous pensons que les travaux de cette instance doivent être
fortement reconnus. Si chacun a sa liste, vous comprenez que le GAFI perd de
cette autorité morale, à laquelle vous faisiez allusion tout à l'heure.
Il ne serait pas bon, en outre, que la France, qui joue un rôle moteur et qui
veut continuer à le jouer au sein du GAFI, donne l'impression à ses partenaires
de vouloir garder un droit de regard sur la mise en oeuvre concrète des mesures
prises.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 195, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 20, modifié.
(L'article 20 est adopté.)
Article 20 bis (priorité)