SEANCE DU 12 OCTOBRE 2000
M. le président.
Par amendement n° 467, M. Loridant, Mme Beaudeau, M. Foucaud, Mme Terrade et
les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer,
avant l'article 55 A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Au début du premier alinéa des articles L. 225-27 et L. 225-79 du code de
commerce, les mots : "il peut être stipulé dans les statuts que" sont
supprimés. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cet
amendement nous permet d'aborder une question qui est pour nous au coeur du
débat relatif à la « transparence et à la démocratisation au sein de
l'entreprise ».
Vaste programme, ambitieux programme, dont le contenu se révèle pourtant bien
décevant. On s'attendrait en effet à voir figurer dans ce titre un certain
nombre d'idées nouvelles, à voir enfin émerger les bases d'une conception
renouvelée de l'entreprise, appréhendée cette fois dans ses dimensions sociale
et politique et non plus exclusivement économique.
Promouvoir la démocratie dans l'entreprise, n'est-ce pas d'abord et avant tout
associer ceux qui sont en prise concrètement et quotidiennement ? N'est-ce pas
reconnaître, d'une part, que la valeur créée par l'entreprise résulte à la fois
de la mise en oeuvre d'un capital et du travail des salariés et, d'autre part,
que l'entreprise fonctionnera mieux si les salariés sont associés à sa gestion
?
Pourtant, la question est à peine effleurée. Et quand elle l'est - nous le
verrons avec l'amendement tendant à supprimer l'article 55 A -, elle est
évacuée par une majorité sénatoriale qui a du mal à envisager le salarié
autrement que sous l'angle du salarié-actionnaire.
La représentation des salariés au sein des conseils d'aministration et des
conseils de surveillance constitue selon nous l'une des mesures susceptibles
d'être instaurées immédiatement et qui préfigureraient la mise en oeuvre d'un
véritable processus de démocratisation. Nous souhaitons que cette
représentation soit non plus optionnelle, mais obligatoire.
Cette proposition, nous le savons, se heurte à des objections. On nous a mis
en garde contre le risque de développement des comités occultes - cette fameuse
connaissance de la réalité de l'entreprise qui rendrait inéluctable le
contournement d'une loi qui la méconnaîtrait - contre le règne de la loi de
l'entreprise sur la loi des représentants de la nation.
On a renvoyé l'étude de cette question à d'autres textes, notamment au projet
de loi sur l'épargne salariale - qui reste pourtant désespérément muet sur
cette question. On nous a également opposé l'absence d'accord des partenaires
sociaux sur ce point.
Nous pensons au contraire que l'expérience mérite d'être tentée et qu'il faut,
au sein de l'entreprise, des salariés administrateurs à part entière assumant
les mêmes responsabilités et ayant voix délibérative.
Nous notons avec satisfaction que l'idée commence à faire son chemin. Nous
avons entendu les propos de François Hollande lors de la convention nationale
du secteurs « entreprises » du parti socialiste : il préconise la
représentation obligatoire des salariés dans les grandes entreprises.
Nous rappellerons également que cette expérience n'est pas aussi loufoque que
certains veulent bien le dire, puisqu'elle est pratiquée depuis longtemps avec
succès en Allemagne et en Suède. Ces deux pays admettent en effet la
représentation du personnel dans les organes délibérants des entreprises ayant
atteint une certaine taille.
N'oublions pas non plus que l'Allemagne accorde un véritable pouvoir de
codécision aux institutions représentatives du personnel, sans qu'on pense à le
remettre en cause.
Mes chers collègues, il est temps, nous semble-t-il, que l'entreprise s'adapte
à un changement de société qui, fort heureusement, admet de moins en moins de
laisser à la lisière des salariés de mieux en mieux informés et de plus en plus
à la recherche d'épanouissement dans le travail.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et
citoyen vous demandent d'adopter cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le garde
des sceaux, mes chers collègues, nous commençons avec cet amendement l'examen
de la partie du projet de loi consacrée au droit des sociétés. Comme vous
pourrez le constater, le travail que nous avons réalisé avec la commission des
lois nous a permis d'élaborer des positions communes et de développer des
arguments conjoints mais complémentaires, fondés sur les expertises menées de
part et d'autre.
L'amendement du groupe communiste républicain et citoyen vise à faire
obligation générale aux sociétés anonymes de désigner des salariés pour siéger
au sein du conseil d'aministration ou du conseil de surveillance.
Quel est le droit applicable actuellement ? C'est l'ancien article 97-1 de la
loi sur les sociétés commerciales ; je ne saurais vous en indiquer la
transposition dans le code du commerce, mais il sera facile de la retrouver.
Aux termes de cet article, « il peut être stipulé dans les statuts que le
conseil d'administration comprend [...] des administrateurs élus soit par le
personnel de la société, soit par le personnel de la société et celui de ses
filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire
français ». La possibilité de représenter les salariés existe donc ; sa mise en
oeuvre est réservée aux statuts.
Je précise que le texte que je viens de citer résulte de quatre documents
ayant valeur législative, à savoir l'ordonnance du 21 octobre 1986, la loi du 5
janvier 1988, la loi du 19 juillet 1993 et la loi du 2 juillet 1996. Soit dit
en passant, mes chers collègues, ces quatre textes ont été adoptés par des
majorités auxquelles appartenaient les sénateurs de l'actuelle majorité
sénatoriale.
Ces dispositions nous semblent parfaitement suffisantes. Pourquoi ?
Si l'on impose à telle ou telle entreprise une pratique qui ne correspond pas
à sa culture et dont elle ne veut pas, se produira alors ce que, sans doute,
connaissent déjà certaines entreprises du secteur public dites « démocratisées
» : avant les réunions du conseil d'administration se tiennent d'autres
réunions où ne siègent pas les représentants des salariés et où se traitent les
points importants, où se décident les options essentielles. Le conseil
d'administration n'intervient ensuite que pour entériner les décisions, telle
une caisse de résonance.
On ne doit pas imposer à un corps social une mesure qui ne recueille pas un
accord suffisant.
Certains entreprises sont susceptibles d'admettre en toute sérénité au sein de
leur conseil d'administration, selon des procédures qui leur sont propres, des
représentants des salariés ; c'est assurément une bonne chose. En revanche, la
commission ne pense pas qu'appliquer une règle générale à l'ensemble des
conseils d'administration et des conseils de surveillance soit une bonne
formule.
C'est pourquoi elle a émis un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n'oppose évidemment aucune
objection de principe à l'amélioration de la représentation des salariés ni au
fait que ceux-ci puissent, dans certaines conditions, renforcer leur présence
au sein du conseil d'administration.
Cependant, ces dispositions auront leur place dans le projet de loi relatif à
l'épargne salariale. A ce stade, j'émets donc un avis défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 467, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant l'une de la
commission des finances et l'autre du groupe communiste républicain et
citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 312 |
Nombre de suffrages exprimés | 230 |
Majorité absolue des suffrages | 116 |
Pour l'adoption | 17 |
Contre | 213 |
Article 55 A (priorité)