SEANCE DU 10 OCTOBRE 2000
M. le président.
La parole est à M. Delfau, auteur de la question n° 852, adressée à Mme le
ministre de la culture et de la communication.
M. Gérard Delfau.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication
et elle a trait à la disparition rapide des libraires de quartier en milieu
urbain, ainsi que des kiosques et autres dépôts de presse.
Ces entreprises familiales sont victimes du système léonin mis en place par
les NMPP et les MLP, système qui oblige ces petites structures à avancer le
coût d'une partie du stock d'invendus. Vous imaginez le résultat désastreux sur
leur trésorerie de cette pratique. Elles sont, en outre, concurrencées par les
rayons « librairie » ouverts par les grandes surfaces, qui traitent les livres
comme des barils de lessive et se refusent à exposer l'ouvrage qui n'est pas
prévendu.
Nous voyons les conséquences de cette situation aux Etats-Unis : l'édition ne
cesse de s'appauvrir.
Depuis un an, les services du ministère de la culture préparent des mesures, à
partir, notamment, du rapport de Jean-Claude Hassan sur la réforme de la
distribution de la presse écrite, remis en février dernier et dont les
orientations m'inquiètent. C'est toute la politique de la lecture en France,
toute la politique de l'édition, ainsi que celle de l'accès à la pluralité de
l'information, qui sont concernées par cette crise économique et morale de
nombreuses petites entreprises de proximité.
Faut-il attendre que les agences franchisées du plus gros opérateur privé
aient tué la librairie de quartier et le kiosque, imposant une conception
purement mercantile du livre et de l'imprimé ? Je souhaite savoir quand, madame
le ministre, vous annoncerez vos décisions en la matière, car il y a urgence.
Je ne doute pas, vous connaissant, qu'elles seront positives.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur, vous
vous préoccupez à juste raison de la situation des librairies de quartier en
milieu urbain, ainsi que de celle des kiosques et autres dépôts de presse qui
sont des éléments essentiels du commerce de proximité et d'animation de nos
quartiers.
L'évolution du nombre de points de vente de presse depuis trois ans est la
suivante : 545 points de vente ont été créés en 1999 contre 695 en 1998 et 733
en 1997 ; en revanche, 410 points de vente ont été supprimés en 1999, 354 en
1998 et 278 en 1997. Le solde entre les créations et les suppressions demeure
donc largement positif puisqu'il est de 135 en 1999.
Sur le total des points de vente, le commerce traditionnel s'établit à 89 % et
le commerce intégré à 11 %. S'agissant des créations, celles qui ont été
réalisées au profit du commerce traditionnel sont de l'ordre de 75 % contre 25
% pour le commerce intégré.
Par ailleurs, la rémunération des diffuseurs de presse est fixée par le décret
n° 88-136 du 9 février 1998, qui prévoit les commissions maximales dont peuvent
bénéficier les dépositaires.
La rémunération des diffuseurs de presse a été améliorée, grâce au plan de
modernisation engagé par les Nouvelles messageries de la presse parisienne sur
la période 1994-1997 et soutenu par l'Etat par le biais de conventions FNE
dérogatoires au droit commun.
Le plan a permis de redistribuer 147 millions de francs aux 14 400 diffuseurs
qualifiés, soit une revalorisation de plus de 1,5 point de leur commission.
La convention du 2 mai 1994 entre l'Etat et le conseil de gérance des NMPP
visait à assurer, à l'issue du plan quadriennal, une baisse du coût de
distribution moyen de trois points pour les éditeurs et une réévaluation de la
rémunération des diffuseurs d'un point de commission.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que les pouvoirs publics, conscients des
difficultés rencontrées par les diffuseurs de presse, restent très attentifs à
la répartition des économies entre les éditeurs et les diffuseurs, même si elle
relève prioritairement de la compétence des divers acteurs de l'édition et de
la diffusion de la presse.
Monsieur le sénateur, je vous signale que, depuis quelques semaines, a été
mise en place une table ronde des professionnels de la distribution qui devrait
permettre de projeter sur l'avenir l'économie de l'ensemble du secteur.
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Madame la ministre, vous avez rappelé les efforts qui ont été réalisés par les
pouvoirs publics ces dernières années face à une situation qui, même si les
chiffres globaux peuvent la faire apparaître satisfaisante, reste
préoccupante.
Il faudrait notamment, pour affiner notre jugement, connaître la proportion de
diffuseurs indépendants par rapport aux diffuseurs franchisés, toujours plus
nombreux. C'est un élément non négligeable de notre réflexion car la même
politique n'est pas forcément menée dans les deux cas.
Je reviendrai sur un point très précis, qui est au coeur des discussions,
aujourd'hui comme hier : le système de l'envoi d'office.
Récemment encore, la libraire de mon quartier, femme de grande culture qui
fait beaucoup pour la promotion de la lecture, m'expliquait le système. Elle
reçoit d'office un certain nombre de livres qu'elle n'a pas commandés ; elle
doit payer la facture. Il existe, certes, une faculté de retour mais, de fait,
elle avance ainsi la trésorerie - elle qui gère seule une toute petite
structure - à de grands groupes de presse et de distribution qui disposent de
moyens importants.
En outre, le système de facturation ne cesse de se compliquer, de telle sorte
qu'un certain nombre de ces libraires indépendants perdent pied et se trouvent
dans des difficultés dont ils ne peuvent pas se sortir.
Il est nécessaire de rééquilibrer le système. Il n'est pas possible que les «
petits », vais-je dire de façon un peu schématique, financent les « gros », et
cela est d'autant moins acceptable quand il s'agit du livre car, à l'injustice
sociale que cela représente, s'ajoute une sorte de crime contre l'esprit.
Voilà pourquoi je voulais attirer votre attention. Je sais que vous êtes
sensible à cette situation, nous en avons parlé ensemble voilà quelque temps.
Je souhaite beaucoup, par cette intervention qui traduit l'état d'esprit de
l'ensemble du Sénat, je le sais, peser sur la table ronde qui se tient
actuellement ; je demande qu'elle ne s'éternise pas et de vous, madame la
ministre, que vous fassiez comprendre aux différentes parties la nécessité d'un
rééquilibrage. Eventuellement, il vous faudra imposer par un arbitrage de
bonnes solutions à la fois pour la vie de nos quartiers et, bien sûr, pour la
création et la lecture en France.
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