SEANCE DU 5 OCTOBRE 2000
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie.
Actuellement, en Europe, les brevets doivent être obligatoirement déposés au
moins en français, en anglais et en allemand. Or, les 16 et 17 octobre
prochains, à Londres - dans quelques jours, donc - une conférence
intergouvernementale proposera la suppression de cette obligation.
Inutile de dire que cette suppression est attendue avec impatience par nos
amis et néanmoins concurrents Américains ! Il faut savoir, en effet, que, dans
leur très grande majorité - 80 %, je crois - les brevets déposés en Europe le
sont en anglais.
M. Jacques Legendre.
Hélas !
M. Denis Badré.
Cette question a été au coeur d'un colloque passionnant, organisé ici même au
Sénat, le 14 septembre dernier, par notre excellent collègue Francis
Grignon.
La suppression de l'obligation de traduction pourrait intéresser les plus
grandes de nos entreprises en leur ouvrant un réservoir technologique plus
vaste. Au demeurant, elle les gênerait assez peu. En revanche, elle
représenterait un handicap certain pour nos PME, lesquelles, il faut le
rappeler, réalisent tout de même plus de 60 % de notre produit intérieur
brut.
Cette mesure serait donc économiquement et socialement très discutable, et
elle serait désastreuse pour la cause de la francophonie.
Monsieur le ministre, allez-vous signer cet accord, qui donnerait de manière
tout à fait innovante force juridique en France à des textes rédigés uniquement
dans la langue de Shakespeare - et, au passage, également dans celle de
Faulkner ?
Allez-vous signer un accord qui ne me paraît bon ni pour l'Europe, ni pour la
francophonie, ni pour nos PME ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
sénateur, comme vous l'avez souligné vous-même, cette question n'est pas aussi
simple qu'elle peut le paraître au premier abord.
Bien évidemment, nous serons tous d'accord pour souligner que le brevet est un
élément très important de promotion de l'innovation et que, comme vous l'avez
également vous-même souligné, il y a un aspect de coût dans tout cela : la
nécessité de breveter largement les inventions implique en effet que le coût
d'entrée dans le brevet européen ne soit pas dissuasif.
Voilà déjà de nombreuses années, la France a cherché, dans un cadre
intergouvernemental - et, depuis qu'elle assure la présidence de l'Union
européenne, d'une façon plus active - à obtenir la réduction de ce coût.
L'un des postes du coût, vous y avez fait allusion, c'est la traduction. A cet
égard, un certain nombre de pays de l'Organisation européenne des brevets -
dont le français est l'une des langues prééminentes, avec l'anglais et
l'allemand - cherchent à s'engager dans un accord international dont l'objet
serait un engagement à ne plus exiger des déposants la traduction dans leur
langue nationale de l'intégralité du fascicule du brevet. Seule demeurerait
nécessaire, sous la responsabilité de l'Institut national de la propriété
industrielle, la mise à la disposition du public, en français, des éléments
principaux du brevet sur Internet.
Pour les déposants français, surtout pour les PME et les chercheurs, cette
disposition pourrait limiter considérablement le prix et faciliter l'accès à un
outil indispensable. Mais, comme vous l'avez souligné vous-même, il faut
trouver un équilibre. Par conséquent, je suis obligé de vous rendre sensible à
toutes les facettes du problème.
Un tel accord ne pourrait être signé que si sa compatibilité avec la
Constitution est claire. Le Conseil d'Etat, saisi pour avis par le Premier
ministre, a estimé que le projet d'accord n'y était pas contraire.
S'agissant de la place faite à la langue française au sein de l'Organisation
européenne des brevets, le Gouvernement la défendra. Une prochaine conférence à
Londres constituera une étape qui ouvrira sans doute le projet d'accord à la
signature des Etats. La France aura alors à déterminer son adhésion, en
fonction de l'intérêt pour les déposants, en tenant compte, je puis vous en
donner l'assurance en présence de M. le Premier ministre, de la préservation de
la langue française.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
PRIX DU PÉTROLE ET POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE