Séance du 28 juin 2000
PROTOCOLE DE KYOTO
SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 305 rectifié,
1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du
protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements
climatiques (ensemble deux annexes). [Rapport n° 355 (1999-2000)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord,
veuillez me pardonner d'être en retard, mais je crois qu'on vous l'a expliqué :
la remise des lettres de créance m'obligeait à être aux côtés du Président de
la République.
J'en viens au texte qui vous est soumis.
Le protocole de Kyoto à la convention-cadre sur les changements climatiques,
qui fait l'objet du présent projet de loi aujourd'hui soumis à votre
approbation, constitue l'une des suites concrètes du sommet de Rio, qui a vu
l'adoption de la convention-cadre et que ses Etats parties ont jugé nécessaire
de compléter.
La lutte contre les changements climatiques requiert, en effet, un effort de
long terme que le seul engagement par les pays développés de ramener en 2000
leurs émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990 ne pouvait pas
permettre d'atteindre. Ces obligations, au demeurant, n'ont été respectées que
par un nombre limité de pays.
Le deuxième rapport du groupement intergouvernemental d'experts sur
l'évolution du climat, publié en décembre 1995, a renforcé la volonté des
gouvernements d'agir dans ce domaine. Ce rapport indiquait en effet que le
réchauffement de la planète, qui se traduit par une augmentation de la
température moyenne depuis le début du siècle d'environ 0,6° Celsius, n'était
pas d'origine naturelle.
Il paraît à ce stade encore difficile de déterminer les conséquences précises
de ce réchauffement, mais les gouvernements se doivent d'intégrer l'apport des
scientifiques dans leur politique, en vertu du principe de précaution.
Par ailleurs, l'observatoire national que M. Paul Vergès a proposé de créer
dans la proposition de loi que votre assemblée a approuvée le 6 avril aurait
pour mission l'approfondissement de l'étude des conséquences du réchauffement
climatique en France métropolitaine, mais aussi, bien sûr, dans les
départements et territoires d'outre-mer, en vue notamment d'offrir aux élus
locaux et aux collectivités les moyens d'élaborer une véritable politique de
prévention face à ce risque nouveau.
Ce projet d'observatoire s'inscrit pleinement dans la volonté du Gouvernement
de faire de la lutte contre l'effet de serre une priorité. C'est pourquoi son
inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale doit aussi avoir lieu
dans les meilleurs délais.
Le protocole de Kyoto comporte deux éléments saillants : la définition
d'objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre et la création de
mécanismes de flexibilité.
L'obligation de réduire ou de limiter les émissions de gaz à effet de serre
s'étend à l'ensemble des pays industrialisés et à économie en transition, dits
« pays de l'annexe I ».
L'Union européenne, en acceptant l'objectif le plus élevé, soit une réduction
de 8 % entre 1990 et 2010, a montré qu'elle attachait une importance toute
particulière à la lutte contre les changements climatiques. Elle est par
ailleurs parvenue à convaincre les Etats-Unis, qui représentent un quart des
émissions mondiales, d'accepter un objectif beaucoup plus ambitieux que celui
qu'ils envisageaient initialement, et qui, en tout état de cause, marquera une
inflexion majeure dans l'évolution actuelle de leurs émissions, en progression,
il faut le souligner, de 13 % depuis 1990. En moyenne, les pays de l'annexe I
se sont engagés à réduire leurs émissions de 5 %.
Les Etats membres de l'Union européenne ont choisi de souscrire un engagement
commun, qu'ils se sont répartis au sein de ce qui est convenu d'appeler la «
bulle européenne ».
La France, en raison des économies d'énergie réalisées à partir de 1974 mais
aussi de la faiblesse de ses émissions en 1990, s'est vu attribuer un objectif
de stabilisation. Celui-ci, en raison de la croissance économique, ne sera pas
atteint sans effort. En conséquence, le Gouvernement a adopté, le 19 janvier
dernier, le programme national de lutte contre l'effet de serre.
Cette centaine de mesures, qui couvrent l'ensemble des secteurs de l'économie,
devraient permettre à la France de respecter l'objectif de stabilisation de ses
émissions à l'horizon 2010, tout en s'inscrivant dans une vision à long
terme.
Le protocole crée par ailleurs un certain nombre de mécanismes dits « de
flexibilité ». Le premier est fondé sur des échanges de droits d'émissions.
Les deux autres sont fondés sur le financement de projets favorables à la
lutte contre les changements climatiques.
D'une manière générale, ces mécanismes visent à octroyer aux pays qui
s'engagent à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre une souplesse pour
respecter leurs objectifs de réduction, en leur permettant de se procurer des
droits d'émissions dans d'autres pays. Ces mécanismes ne sauraient se
substituer à tout effort national, le protocole indiquant explicitement qu'ils
ne doivent constituer qu'un « complément » des efforts nationaux.
S'agissant des pays en développement, ceux-ci confirment dans le protocole
leur volonté d'agir contre l'effet de serre, en acceptant de mettre en oeuvre
un certain nombre de politiques et de mesures. En raison des promesses non
tenues lors du sommet de Rio de Janeiro en matière de transferts financiers et
de technologies, mais aussi des efforts somme toute limités des pays
industrialisés, qui avaient pourtant admis dans la convention-cadre qu'il
existait des responsabilités différenciées dans le phénomène d'effet de serre,
il n'était pas raisonnable d'attendre d'eux des engagements aussi contraignants
que ceux des pays de l'annexe I.
Des éléments importants de mise en oeuvre du protocole de Kyoto devront encore
être définis lors de la conférence de La Haye en novembre prochain. La France,
qui sera alors le porte-parole de l'Union européenne, attache une importance
particulière à la réussite de cette négociation.
Il convient dès aujourd'hui de constater que le protocole de Kyoto est un
accord majeur qui, s'il est mis en oeuvre, signifierait un effort sans
précédent de la part des pays industrialisés pour s'inscrire sur la voie du
développement durable. Les ministres de l'environnement des Etats membres, lors
de la cinquième conférence des parties à Bonn, en novembre 1999, se sont
engagés à conjuguer leurs efforts pour favoriser une entrée en vigueur du
protocole en 2002, date de la célébration du dixième anniversaire du sommet de
Rio sur l'environnement et le développement. Cela suppose une ratification
rapide de l'accord par les Etats. Dans cet esprit, la France, en se mettant
dans la possibilité de déposer ses instruments de ratification dès la fin de la
conférence de La Haye, confirmerait cet engagement.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle le protocole
de Kyoto à la convention-cadre sur les changements climatiques, qui fait
l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation, conformément
à l'article 53 de la Constitution.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Pintat,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif du protocole de
Kyoto, que vous avez commenté, monsieur le ministre, et dont on trouvera une
présentation détaillée dans le rapport écrit. Je souhaite plutôt insister ici
sur les raisons qui plaident pour une ratification rapide du protocole de Kyoto
ainsi que sur les interrogations que soulève ce texte, interrogations qui
devront être levées, du moins il faut l'espérer, au cours des prochains mois
dans le cadre des négociations qui réuniront les Etats signataires du
protocole.
D'abord, pourquoi ratifier le protocole de Kyoto ? Trois raisons majeures
peuvent être invoquées.
Première raison : l'aggravation de l'effet de serre, contre laquelle le
protocole entend lutter, semble être à l'origine du réchauffement
climatique.
En effet, même si la preuve n'en a pas encore été définitivement établie, il
existe cependant au sein de la communauté scientifique un très large consensus
pour reconnaître une relation étroite entre l'augmentation des gaz à effet de
serre et l'augmentation des températures observée depuis le début du siècle.
En l'absence de mesures énergiques de maîtrise des émissions de gaz à effet de
serre, la température moyenne pourrait encore s'accroître de 2° Celsius entre
1990 et 2100. Or ce phénomène est lourd de conséquences pour notre planète. Il
pourrait provoquer, notamment du fait de la fonte d'une partie des glaces au
niveau des pôles, une hausse du niveau des océans. Cette évolution menacerait
des espaces côtiers, voire des parties importantes du territoire de pays
particulièrement vulnérables, comme le Bangladesh, qui perdrait 17,5 % de sa
superficie.
Le réchauffement s'accompagnerait également d'une modification de la
variabilité du climat, c'est-à-dire d'une augmentation probable de la fréquence
et de l'intensité des événements extrêmes.
La violence de la tempête qui s'est abattue sur la France en décembre dernier
semble tout à fait compatible avec ces projections. Il apparaît donc
indispensable de prévenir les conséquences néfastes de l'augmentation des
émissions de gaz à effet de serre.
La deuxième raison de ratifier le protocole de Kyoto, c'est que cela revient à
approuver le choix de faire prévaloir l'intérêt général sur les seules
considérations de court terme.
En effet, certains auraient pu arguer de l'insuffisance de preuves
scientifiquement établies pour différer l'adoption de mesures préventives qui
pourraient se révéler coûteuses.
Cette position dilatoire n'a pas été suivie, il faut s'en réjouir. Le
caractère irréversible de certains dommages que pourraient provoquer les
changements climatiques plaide en effet pour l'application du principe de
précaution, unanimement reconnu lors du sommet de la Terre, à Rio.
En outre, l'inertie des phénomènes climatiques impose d'agir dès maintenant
pour que l'effort entrepris ait une chance de modifier, sur le long terme,
certaines évolutions préoccupantes.
Enfin, ne l'oublions pas, nous avons aujourd'hui une obligation morale à
l'égard des générations futures.
Troisième et dernière raison : il faut ratifier le protocole de Kyoto, car ce
texte fixe, pour la première fois, un objectif global de réduction de gaz à
effet de serre et non plus seulement un objectif de stabilisation des émissions
de gaz, comme dans la convention-cadre sur les changements climatiques, adoptée
lors de la conférence de Rio.
Les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites de 5,2 % sur la
période 2008-2012. Cet objectif général se décline en objectifs différenciés
pour chacun des pays industriels ou en transition vers une économie de marché,
les seuls concernés par les obligations de réduction, obligations qui ne
s'appliquent pas en revanche, on le sait, aux pays en développement.
Telles sont, mes chers collègues, les raisons qui ont conduit votre commission
à recommander l'adoption du protocole de Kyoto.
Ce texte soulève cependant plusieurs interrogations.
Il faut, d'abord, regretter l'insuffisance des conditions de contrôle des
émissions faute, d'une part, d'une évaluation indépendante et, d'autre part, de
méthodes de calcul homogènes d'un pays à l'autre.
Ensuite, l'absence de mécanisme de sanction constitue également un facteur de
fragilité indéniable.
Par ailleurs, les mécanismes de flexibilité appellent plusieurs réserves.
Rappelons-le, en effet, le protocole de Kyoto ouvre aux Etats la faculté de
s'affranchir de leurs obligations chiffrées, en leur permettant, d'une part,
d'échanger des permis d'émissions négociables, d'autre part, d'obtenir des
droits d'émission supplémentaires en finançant des projets destinés à réduire
les émissions de gaz dans les anciennes économies socialistes - c'est ce qu'on
appelle la mise en oeuvre conjointe - ou dans les pays en développement - c'est
ce que l'on désigne comme le mécanisme de développement propre.
S'agissant d'abord de l'échange des droits d'émission, il soulèverait sans
doute moins d'objections, si les allocations initiales des droits d'émission
décidées par le protocole de Kyoto avaient relevé d'une décision rationnelle et
non d'une solution de compromis.
Ainsi le protocole de Kyoto permet à la Russie et à l'Ukraine d'émettre, en
moyenne annuelle, autant de gaz à effet de serre sur la période 2008-2012 qu'en
1990. Or l'année 1990 correspond à une époque où le modèle soviétique, très
gaspilleur d'énergie, était encore à l'oeuvre.
Depuis, ces pays ont entamé un processus de reconversion et subi, en outre,
une forte récession. Ils disposent dès lors de quotas excédentaires qu'ils
pourront revendre pour permettre à d'autres pays de dépasser les objectifs qui
leur ont été fixés. Dans ces conditions, l'acquisition de droits d'émission ne
permettra aucune réduction effective de rejet de gaz à effet de serre.
Quant aux deux autres mécanismes de flexibilité, la mise en oeuvre conjointe
et le mécanisme de développement propre, ils posent le problème de l'estimation
des émissions évitées à la suite des projets financés par les pays
industrialisés.
La mise en oeuvre des mécanismes de flexibilité doit être précisée lors des
prochaines négociations des Etats parties prenantes à la convention-cadre sur
le réchauffement climatique. Comme le rappelle le protocole de Kyoto, leur
place doit être subsidiaire par rapport aux mesures nationales qu'il revient
aux Etats d'adopter.
Le protocole de Kyoto souffre d'une autre faiblesse. En effet, les engagements
chiffrés ne concernent que les pays industralisés. Or, du fait de leur
industrialisation, les principaux gisements futurs d'émission de gaz à effet de
serre se trouvent dans les pays du Sud, qui pourraient ainsi représenter 58 %
des émissions totales en 2050 contre 29 % aujourd'hui.
Enfin, une dernière incertitude est liée à la réticence du Congrès américain à
ratifier le protocole. Or les Etats-Unis sont responsables, selon vous monsieur
le ministre, du quart des émissions. Pour ma part, j'avais estimé leur part à
un tiers. Leur engagement est donc essentiel.
Faute d'une ratification effective de tous les pays industrialisés, la liberté
que s'octroient certains Etats vis-à-vis de leurs engagements souscrits à Kyoto
introduirait des distorsions de concurrence avec les pays qui, eux,
respecteraient scrupuleusement leurs obligations. Dès lors, c'est finalement
tout l'édifice mis en place à Kyoto qui se trouverait ébranlé.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le
protocole de Kyoto a permis de mettre en place un dispositif utile, son
efficacité dépend donc de trois facteurs : d'abord, la définition de règles
encadrant les mécanismes de flexibilité, comme nous venons de le voir ;
ensuite, la mise en place de mécanismes de contrôle et de sanction, enfin, la
ratification, par le plus grand nombre d'Etats, du protocole, condition du
respect des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de
serre.
La conférence de La Haye qui se tiendra à la fin de cette année devrait
permettre d'avancer sur ces trois question. Cela a d'ailleurs été rappelé lors
du Conseil environnement de la semaine dernière.
Je conclurai mon propos sur la position de la France.
Le programme national de lutte contre le changement climatique que vous avez
évoqué, monsieur le ministre, représente un effort positif qui s'inscrit
d'ailleurs dans le prolongement des orientations adoptées, dès 1995, dans le
cadre du premier programme national de prévention du changement de climat. Nous
souscrivons par ailleurs aux principes que vous entendez défendre lors de la
présidence française de l'Union européenne. Il me semble toutefois que la
position du Gouvernement devrait être précisée sur deux points.
En premier lieu, notre pays compte-t-il utiliser certains des mécanismes de
flexibilité, notamment le mécanisme de développement propre ?
En second lieu, les résultats satisfaisants enregistrés par la France en
matière d'émission de gaz à effet de serre sont, pour une large part, liés à la
prédominance du nucléaire dans notre production d'énergie. Ce fait mériterait
peut-être d'être davantage mis en avant, afin d'illustrer la pertinence des
choix énergétiques de notre pays. A l'inverse, la récente décision du
gouvernement allemand de renoncer à moyen terme au nucléaire risque de rendre
plus difficile le respect des engagements souscrits par ce pays pour réduire
les émissions de gaz à effet de serre.
Telles sont les observations qu'inspire le protocole de Kyoto et au bénéfice
desquelles la commission vous invite à adopter le présent projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Lepeltier.
M. Serge Lepeltier.
Monsieur le ministre, je souhaite vous l'indiquer dès le début de mon
intervention, le fait que vous nous présentiez aujourd'hui l'approbation du
protocole de Kyoto est une bonne chose, car il ne fallait pas attendre. Cette
ratification est en effet strictement nécessaire, et c'est ce que j'essaierai
de démontrer dans un premier temps. Elle n'est toutefois pas suffisante, loin
de là, et c'est ce que j'indiquerai ensuite. Il faut aller beaucoup plus loin,
sur les plans tant international que national.
Comme l'a indiqué notre rapporteur, Xavier Pintat, même si le protocole de
Kyoto marque un progrès réel, il reste limité. Comme Marie-Hélène Aubert,
rapporteur à l'Assemblée nationale, l'a noté, il ne doit être qu'une étape de
la lutte contre l'effet de serre.
Pourquoi cette ratification est-elle aujourd'hui nécessaire ?
Le principe de précaution commande d'agir sans attendre contre le
réchauffement climatique. Depuis l'ère préindustrielle, la température moyenne
à la surface de la terre a augmenté d'environ 1 degré. Elle devrait s'accroître
encore de 1 degré à 3,5 degrés d'ici à 2100. Or une telle hausse de deux degrés
celsius au moins en deux siècles correspond à un réchauffement de périodicité
de 200 000 ans, alors que les évolutions de température habituelles varient sur
un rythme périodique de 8 000 ans, et se traduira par une élévation moyenne de
50 centimètres du niveau des mers.
Jamais il n'y a eu un tel réchauffement dans un temps aussi court, ce qui pose
des difficultés majeures d'adaptation à l'écosystème. La décennie que nous
venons de vivre a, d'ailleurs, enregistré continûment des records de chaleur,
1998 ayant probablement été l'année la plus chaude du millénaire.
La concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère, mesurée en « parties par
million en volume » - PPMV - c'est-à-dire en millilitres de gaz pour mille
litres d'air, est passée, quant à elle, de 280 à 360 PPMV en un siècle, alors
qu'elle n'était pas sortie d'une fourchette de 170 à 280 PPMV au cours des 200
derniers millénaires.
Aujourd'hui, pour l'immense majorité des scientifiques, le lien entre
l'émission massive de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique ne
fait donc plus guère de doute. Les travaux du groupe intergouvernemental
d'experts sur le climat, le GIEC, tendent à le mettre en évidence.
Je me suis rendu ce matin même dans la structure d'études et de recherche sur
le climat du CEA. Les chercheurs me disaient qu'en 1990 ils ne savaient rien
sur cette question, qu'en 1995 ils pensaient que l'activité humaine pouvait
avoir une influence sur le réchauffement climatique, mais qu'en 2000 ils en
étaient certains. Cette réflexion figurera dans un rapport officiel qui sera
publié dans les prochains mois.
Face à une telle situation, même si des doutes sont encore permis, tout
immobilisme est coupable.
C'est pourquoi je me félicite de l'affirmation grandissante par la communauté
internationale de la nécessité de lutter contre l'intensification de l'effet de
serre.
Il faut réagir vite, et ce d'autant plus que le réchauffement climatique
renvoie à une gestion du temps très inhabituelle en matière de décisions
politiques.
Quand les émissions de gaz à effet de serre augmentent aujourd'hui, il faut de
cent à cent vingt ans pour stabiliser la concentration de carbone responsable
du réchauffement climatique et environ cinquante ans encore pour stabiliser la
température et, à partir de là, plusieurs siècles pour stabiliser la hausse du
niveau de la mer.
L'évolution du climat que nous connaissons aujourd'hui, avec ses conséquences
en matière de catastrophes naturelles, est vraisemblablement due à
l'industrialisation du xixe siècle. Les décisions que nous prenons aujourd'hui
auront leurs premiers effets positifs au xxiie siècle.
C'est dès lors à l'honneur du politique que de vouloir s'extraire de la
dictature du quotidien pour s'atteler à la sauvegarde de l'environnement des
générations futures.
Au niveau international, le protocole de Kyoto marque un progrès réel.
S'agissant d'une démarche assise sur des objectifs précis et chiffrés de
réduction des émissions de gaz à effet de serre, il représente une avancée
certaine par rapport à la convention-cadre des Nations unies sur le changement
climatique, décidée à la conférence de Rio, qui visait seulement une
stabilisation des émissions en 2000 à leur niveau de 1990.
L'objectif fixé aux pays industrialisés d'une baisse de 5,2 % à l'horizon
2008-2012 est une avancée certaine.
Il était important que la France passe rapidement à la ratification.
Le fait que notre pays soit le premier Etat de l'annexe I à entreprendre sa
procédure d'approbation du protocole de Kyoto apparaît positif. On pouvait se
demander s'il n'aurait pas été plus judicieux, à l'instar de nos partenaires,
d'attendre de connaître les conclusions de la conférence de La Haye. Je ne le
crois pas.
Il est important que la France donne un signe fort avant d'assurer la
présidence de l'Union européenne pour six mois. Elle sera mieux à même de
participer aux travaux de la préconférence de Lyon et de la conférence de La
Haye, et de faire éventuellement prendre de nouveaux engagements aux autres
pays européens.
Malgré tout cela, le fait de ratifier le protocole de Kyoto n'est pas
suffisant. Ce ne doit être qu'une étape.
Il faut en effet aller plus loin, d'abord sur le plan international.
L'objectif fixé par le protocole de Kyoto reste relativement modeste au regard,
notamment, des propositions de l'Union européenne, qui plaidait pour une baisse
de 15 %, mais surtout au regard de l'effort nécessaire pour stabiliser le
rechauffement climatique, qui imposerait une baisse des émissions de 50 % d'ici
à 2050.
Par ailleurs, le protocole ne concerne qu'un laps de temps somme toute limité,
alors que la mobilisation devra au moins se poursuivre tout au long du xxie
siècle et nécessiter de nouvelles, difficiles et aléatoires négociations
internationales.
En outre, la crédibilité du protocole de Kyoto passe par la mise en oeuvre de
sanctions claires et efficaces ainsi que d'un mécanisme de contrôle
incontestable.
Il faudra aussi résoudre la question de la place des pays en développement
dans la lutte contre le réchauffement climatique, afin qu'ils puissent
poursuivre leurs stratégies de croissance, tout en s'impliquant progressivement
et complètement.
N'oublions pas qu'ils pourraient être, en 2050, à l'origine de près de 60 %
des rejets de gaz à effet de serre.
Il est indispensable d'entraîner avec nous les pays émergents,
particulièrement les premiers d'entre eux que sont l'Inde et la Chine.
C'est dire si la tâche est immense. C'est dire aussi toute l'importance de la
prochaine conférence de La Haye, en novembre de cette année, qui déterminera
l'essentiel des conditions d'application de ce protocole.
Si l'on ajoute à tous ces impératifs les incertitudes qui pèsent sur la mise
en oeuvre même du protocole et des procédures de ratification, en particulier
aux Etats-Unis - cela a été rappelé tout à l'heure - force est vraiment
d'insister sur l'impérieuse vigilance qui doit être celle de tous les
défenseurs de l'environnement.
Il faut aller plus loin aussi, et peut-être surtout, sur le plan national.
Il ne faudrait pas, en effet, que la ratification du protocole de Kyoto
dissimule, sous son apparence vertueuse, de nombreuse faiblesses et que des
questions se posent sans trouver de réponses satisfaisantes.
Avant l'annonce par le Premier ministre, au début de l'année, du programme
national de lutte contre le réchauffement climatique, Mme la ministre de
l'aménagement du territoire et de l'environnement n'a-t-elle pas déclaré que ce
plan, largement insuffisant, serait appelé à évoluer ? Doit-on en déduire
qu'elle le trouvait décevant ou que trop peu d'arbitrages lui semblaient
franchement favorables à la protection de l'environnement ?
On est en droit de s'interroger !
Les arbitrages du Premier ministre, il est vrai, sont rarement en faveur de la
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Naturellement,
certains s'en félicitent. Pour ma part, souvent, je le regrette.
Quand on sait, notamment, que notre pays a connu en 1998 une très forte hausse
- de plus de 5,4 % - de ses émissions de gaz carbonique, quand on sait que le
bilan énergétique pour 1999 fait ressortir, dans des secteurs essentiels, une
augmentation de la consommation énergétique et des rejets de CO2, quand on sait
surtout que cette croissance évolue de façon préoccupante dans le secteur des
transports, principal émetteur de gaz à effet de serre, alors, on peut vraiment
se demander si le programme gouvernemental est à la hauteur des enjeux.
Il va quelquefois jusqu'à la caricature d'un catalogue de mesures annoncées,
répertoriées comme telles mais non réellement décidées.
A la page 11 du rapport sur le secteur des transports, sous le titre : «
Mesures incitatives à l'évolution du parc de véhicules légers », voici ce qu'on
peut lire :
« Il est possible d'envisager des mesures incitant les automobilistes à
renouveler plus vite leur véhicule et à accélérer ainsi le gain en consommation
imputable à l'amélioration des moteurs et au remplacement par un véhicule de
moindre puissance. Ces mesures devraient notamment contribuer à maintenir
l'écart existant entre la consommation moyenne du parc français et celle du
parc européen.
« Ces mesures seront étudiées et des propositions effectuées...
« Des propositions techniques seront étudiées pour permettre la prise en
compte au niveau européen de l'amélioration du confort climatique des véhicules
sans recours à la climatisation...
« Par ailleurs des propositions techniques seront étudiées pour permettre la
mise au point au niveau européen... »
La majorité des mesures nouvelles de ce plan apparaissent sous cette forme.
Ce plan ne correspond pas au véritable choix qui doit être fait à long terme
de sortir des énergies fossiles, bref, de s'engager vers la fin du pétrole.
Personnellement, j'appelle de mes voeux des mesures beaucoup plus ambitieuses,
ainsi que la levée de certaines ambiguïtés.
Maintenant que la Commission européenne vient de présenter un livre vert sur
l'établissement, dans l'Union européenne, d'un système d'échange de droits
d'émission de gaz à effet de serre, j'aimerais connaître précisément la
position actuelle du Gouvernement sur le sujet.
Je voudrais, en outre, insister sur l'importance qu'il y a à promouvoir dans
notre pays un large débat public sur le réchauffement climatique.
C'est l'une des conclusions que je tire du récent forum de discussion sur le
programme national de lutte contre l'effet de serre que j'ai mis en place sur
le site Internet du Sénat, et qui a très clairement confirmé une forte attente
d'information de nos compatriotes.
Il s'agit, à l'évidence, d'un préalable indispensable à la réussite de toute
politique de maîtrise des émissions de gaz à effet de serre, qui concerne, je
le rappelle, des choix privés essentiels en termes de liberté individuelle,
comme ceux qui sont relatifs à l'habitat et au transport.
La lutte contre le réchauffement climatique ne peut uniquement se décréter.
Elle passe par un véritable contrat environnemental avec les Français. Il faut
une adhésion et une prise de conscience collectives. Il nous faut donc faire
oeuvre pédagogique.
De même, je ne saurais trop souligner la place qui doit être réservée au
Parlement dans la conception et le suivi des politiques décidées, tant à
l'échelon national, avec une association à l'élaboration et une information sur
l'application des programmes de lutte contre l'effet de serre, qu'à l'échelon
international, avec une implication légitime du Parlement dans les discussions
fondamentales au sein des conférences internationales. La position de nos
négociateurs en serait d'ailleurs renforcée, dans l'intérêt de la France.
La capacité de recherche de notre pays joue également un rôle déterminant.
Lors de la visite que j'ai effectuée ce matin au CEA, j'ai été fort
impressionné par l'implication de nombreux chercheurs - souvent des jeunes, ce
qui est particulièrement réconfortant - dans la question du climat.
Les moyens nécessaires doivent être accordés pour aboutir dans de nombreux
domaines. Je n'en citerai qu'un : celui du développement rapide d'un véhicule à
énergie propre.
J'aimerais connaître, monsieur le ministre, les initiatives que le
Gouvernement compte prendre pour conforter les efforts de recherche de la
France ainsi que sa participation pleine et entière aux organismes et
programmes internationaux d'analyse et d'évaluation de l'évolution du
climat.
Lors d'un colloque qui s'est récemment déroulé à l'UNESCO, le Premier
ministre, le secrétaire d'Etat à l'industrie, la ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement ont souligné les mérites des énergies
renouvelables et locales. Leur utilisation accrue doit en effet permettre de
réduire dans des proportions non négligeables les émissions polluantes et, par
là même, s'inscrit pleinement dans une politique active de limitation des
émissions de gaz à effet de serre.
Je me félicite de cet engagement « en choeur » du Gouvernement mais je
souhaite, bien sûr, que ces louables intentions soient suivies de résultats
probants.
Aujourd'hui, nous devons très clairement inscrire dans nos actes, plus que
dans nos propos, la notion de développement durable.
Les mois qui viennent seront à cet égard importants, avec la conférence de La
Haye et la présidence française de l'Union européenne.
Le Président de la République a d'ailleurs affirmé à plusieurs reprises sa
détermination à engager notre pays dans la mobilisation internationale contre
le réchauffement climatique.
La consommation d'énergie des vingt premières années du xxie siècle équivaudra
à toute l'énergie consommée jusqu'à aujourd'hui par l'humanité au cours de son
histoire.
Face à un tel défi, la France doit montrer l'exemple, affirmer sa capacité
d'impulsion au niveau européen, mais également donner un signe fort à l'adresse
des pays en développement, qui devront, dans les années à venir, faire des
choix essentiels pour concilier à la fois expansion économique et protection de
l'environnement.
Ratifier le protocole de Kyoto, c'est bien. Nous y sommes favorables. Mais
c'est le hors-d'oeuvre. Nous attendons le plat de résistance !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous
apprêtons aujourd'hui à ratifier le protocole de Kyoto, qui, signé en décembre
1997, constitue un indéniable progrès dans la lutte contre les émissions de gaz
à effet de serre.
La France sera ainsi le premier pays de l'Union européenne à avoir approuvé ce
document. Notre pays aura, par là-même, donné l'exemple et acquis le plus grand
crédit pour faire progresser la lutte contre l'effet de serre lors des
différentes conférences à venir, notamment en juillet à Lyon, puis en novembre
à La Haye, alors même qu'il s'apprête à exercer la présidence de l'Union.
L'effet de serre est d'abord un phénomène naturel. Il n'est pas en soi
nuisible à la vie : il est même nécessaire à son développement, en permettant
le maintien d'une température moyenne de 15 degrés sur notre planète. Sans la
présence de gaz à effet de serre, la température sur la Terre serait de moins
18 degrés !
C'est en fait la concentration des gaz à effet de serre du fait de l'activité
humaine - la consommation d'énergie, notamment fossile, les transports et
l'agriculture intensive - qui pose problème. En effet, ce phénomène fait
craindre une augmentation de la température dans les prochaines décennies et
une modification des climats.
Une telle augmentation, même limitée à quelques degrés, aurait, selon les
experts, des conséquences désastreuses sur les équilibres écologiques : la
hausse du niveau des océans ferait disparaître certains territoires insulaires,
notamment dans le Pacifique ; les régions côtières - et plus précisément les
deltas et rivages à lagunes, comme le Languedoc - seraient menacées ; de
nombreux écosystèmes ne résisteraient pas à des températures trop élevées ; une
aridification des zones aujourd'hui tempérées serait à craindre ; enfin, les
catastrophes naturelles d'origine climatique, comme les sécheresses, les
inondations et les tempêtes, seraient plus fréquentes et plus intenses.
Le coût écologique humain mais aussi économique serait donc considérable.
Si le lien entre l'augmentation des gaz à effet de serre et le réchauffement
climatique n'est pas encore scientifiquement établi avec certitude,...
M. Pierre Laffitte.
Si !
M. Jean-Pierre Plancade.
... de fortes présomptions existent. Les travaux des experts du groupe
international sur l'évolution du climat, instance intergouvernementale qui
regroupe près de deux mille chercheurs, l'attestent.
Compte tenu de ces présomptions, et aussi des risques encourus, il est évident
que l'application du principe de précaution s'impose.
La prise de conscience politique de la nécessité de lutter contre la
concentration des gaz à effet de serre est relativement récente. Elle s'est
opérée lors du sommet de la Terre à Rio, en 1992, qui réunissait cent soixante
et onze Etats. La France a, alors, joué un rôle actif puisque la
convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a été
négociée sous l'égide de M. Jean Ripert.
Cette convention a, pour la première fois, formalisé et mis en oeuvre le
principe de précaution pour lutter contre le réchauffement de la planète. Elle
a reconnu les responsabilités communes, mais différenciées, des pays du Nord et
du Sud, soulignant la situation spécifique des pays en développement. Pour les
premiers, elle a fixé comme objectif la stabilisation des gaz à effet de serre
d'ici à l'an 2000 au niveau de 1990. Enfin, elle a mis en place un dispositif
institutionnel permettant d'assurer le suivi des politiques menées.
Avec le protocole de Kyoto, la lutte contre le réchauffement de la planète
prend une nouvelle dimension.
Est pour la première fois reconnue la nécessité de diminuer les émissions de
gaz à effet de serre et non plus simplement de les stabiliser.
Pour la première fois également, les pays parties à la convention s'entendent
sur un objectif chiffré de réduction des émissions de ces gaz : 5,2 % en
moyenne de 2008 à 2012.
Cet objectif est modeste. D'ailleurs, l'Union européenne défendait une
réduction de 15 %, niveau pourtant considéré comme insuffisant par les experts,
pour lesquels il faudrait réduire de 50 % d'ici à 2050 ces émissions pour
obtenir un impact significatif. Mais le protocole est le résultat d'une
négociation où se sont exprimés des points de vue parfois totalement opposés,
en tout cas difficilement conciliables. Il fallait donc rester dans des limites
acceptables par tous et réalistes pour tous.
Le protocole acquiert un caractère contraignant et normatif, car les
engagements sont individualisés par pays : une réduction globale de 8 % des
émissions de gaz à effet de serre pour l'Union européenne, de 7 % pour les
Etats-Unis. A l'intérieur de l'Union, ces pourcentages varient : moins 21 %
pour l'Allemagne, moins 12,5 % pour le Royaume-Uni et une simple stabilisation
de ces émissions pour la France ; pour d'autres enfin, un droit à augmenter
leurs émissions : plus 27 % pour le Portugal, plus 4 % pour la Suède.
Enfin, le protocole précise clairement que, pour atteindre ces objectifs, les
mesures nationales constituent l'outil essentiel que les Etats doivent mettre
en oeuvre. Les mécanismes de flexibilité, comme le commerce des droits à
émission, ne peuvent venir qu'en complément. C'est là un point important si
l'on veut faire évoluer les comportements industriels et promouvoir un modèle
de développement durable.
Malgré ces points positifs, des imperfections et des zones d'ombre
demeurent.
Je regrette tout d'abord que le protocole ne prenne pas en compte l'ensemble
des sources d'émission de gaz à effet de serre. Je pense là au transport
aérien, qui est responsable de 12 % des émissions de gaz carbonique du secteur
des transports.
C'est une question dont il faudra se préoccuper, d'autant que le transport
aérien est en pleine croissance : ainsi, en 1999, le trafic mondial a crû de 8
%. Il s'agit, par définition, d'un sujet qui doit être traité à l'échelon
international. Nous avons su apporter des réponses aux nuisances sonores des
abords des aéroports ; je crois que nous pouvons aussi trouver des solutions
pour lutter contre la pollution atmosphérique provoquée par les avions. C'est
un chantier auquel l'Union européenne devrait s'atteler.
Dans un autre domaine, il reste à définir la place et les modalités
d'application des mécanismes de flexibilité. La conférence de La Haye, en
novembre prochain, sera, de ce point de vue, décisive. Il faudra veiller à ce
que ces mécanismes ne prennent pas le pas sur les politiques et les mesures
nationales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et donc que
la lettre du protocole soit respectée. Il faut également que ces mécanismes
soient strictement encadrés et contrôlés. On peut, là, regretter que le
protocole ne prévoie pas de sanctions en cas de non-respect des engagements.
Le processus de ratification du protocole ne progresse pas, et l'esprit de
Kyoto semble d'ailleurs s'essouffler. Les pays les plus pollueurs tardent à le
ratifier. Je pense, en particulier, aux Etats-Unis, responsables de plus du
tiers des émissions de gaz à effet de serre. Or, comme cela a déjà été dit,
l'entrée en vigueur de ce texte est largement conditionnée par la ratification
de celui-ci par les Etats-Unis. Parmi les pays dits de l'annexe I,
grosso
modo
les pays industrialisés, seule la France l'a approuvé. Je crains que,
si on laisse courir le temps, les Etats signataires ne se dédouanent trop
aisément et que, loin de prendre des mesures nationales, ils ne privilégient
les mécanismes de négoce. Il faudrait donc, lors de la convention de La Haye,
qu'une date butoir soit fixée.
Autre sujet de préoccupation : la place des pays en développement dans le
processus de lutte contre le réchauffement climatique.
Les pays industrialisés sont les seuls pays soumis à une obligation chiffrée
de réduction de leurs émissions. Ils ont en effet une responsabilité historique
indéniable dans l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
Les pays en développement sont exonérés, pour l'heure, d'obligations chiffrées
en ce domaine. L'énergie est, en effet, le moteur du développement économique.
On ne peut donc priver ces pays de cet outil. On ne peut pas leur demander les
mêmes efforts que ceux que l'on impose aux pays riches. On ne peut surtout pas
leur imposer des contraintes environnementales que les vieux pays
industrialisés comme le nôtre n'ont pas eu à respecter au même stade de
développement.
Néanmoins, du fait de leur potentiel de développement, les pays du Sud
pourraient représenter 58 % des émissions en 2050, contre 29 % aujourd'hui. Se
pose alors la question des moyens tant techniques que financiers que les Etats
du Nord sont prêts à mobiliser pour aider les pays du Sud à se développer tout
en maîtrisant leur consommation d'énergie. Nous devrons développer des
politiques de coopération plus adaptées.
Je souhaiterais maintenant évoquer la situation de la France au regard des
objectifs de Kyoto.
La France est l'un des pays industrialisés où les émissions de gaz à effet de
serre sont les plus faibles. Par habitant, elles sont inférieures de 25 % à
celles de l'Union européenne et de 70 % à celles des Etats-Unis. Cette
situation résulte sans nul doute de la politique de maîtrise de l'énergie
initiée à la suite des chocs pétroliers des années soixante-dix et relancée
tout récemment par le gouvernement de Lionel Jospin, mais aussi, il faut le
reconnaître, par le recours à la production d'électricité d'origine nucléaire,
qui, elle, ne produit pas de gaz à effet de serre et qui demeure donc, sur ce
point, intéressante.
L'objectif qui nous est fixé est en apparence modeste ; il consiste à
stabiliser nos émissions de gaz à effet de serre au niveau de 1990. Néanmoins,
sans effort de réduction, nos émissions, qui s'élevaient à 144 millions de
tonnes d'équivalent carbone en 1990 - croîtraient de 31 millions de tonnes
entre aujourd'hui et 2010. L'effort que nous devons faire n'est donc pas mince.
Il faut y ajouter les effets de la croissance retrouvée grâce à l'action du
Gouvernement. Cette bonne nouvelle peut avoir son revers, car produire plus,
c'est émettre plus de gaz carbonique, si nous n'y prenons garde.
L'adoption du programme national d'action contre le risque de changement
climatique le 19 janvier dernier sous la présidence du Premier ministre devrait
nous permettre de tenir nos engagements. Sans revenir sur le détail de ce plan
qui comprend une centaine de mesures, je souhaiterais insister sur deux aspects
qui me paraissent importants.
Tout d'abord, le rôle fondamental de la politique énergétique dans la lutte
contre l'effet de serre. Comme je l'ai déjà indiqué, c'est le recours à
l'énergie d'origine nucléaire qui nous permet d'avoir d'assez bons résultats
dans la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre. Même si la question de
l'aval du cycle nucléaire reste entière, c'est un point positif que nous ne
pouvons ignorer.
Soucieux de promouvoir un mode de développement qui préserve tout à la fois
notre compétitivité et les grands équilibres écologiques, nous avons décidé de
rééquilibrer à terme et progressivement notre structure énergétique pour faire
plus de place aux énergies renouvelables - comme la géothermie, les énergies
éoliennes et solaires - elles aussi performantes pour lutter contre le
réchauffement climatique.
Je salue à cet égard la relance par le Gouvernement de la politique en faveur
des énergies renouvelables. En tant que rapporteur pour avis du budget du
logement pour la commission des affaires économiques et, plus généralement, en
tant que parlementaire qui suit de près les dossiers du logement, j'apprécie,
sur le plan fiscal, la réduction à 5,5 % du taux de TVA pour les installations
faisant appel aux énergies renouvelables dans l'habitat. Mais il faut aller
plus loin en ce domaine.
Nous avons récemment adopté deux lois qui devraient soutenir cette relance des
énergies renouvelables. Je pense à la loi d'orientation pour l'aménagement et
le développement durable du territoire qui prévoit la mise en place d'un schéma
des services collectifs de l'énergie. Je crois qu'il permettra de donner à ces
énergies une impulsion sur le long terme. Je pense aussi à la loi relative à la
modernisation et au développement du service public de l'électricité qui pose
le principe d'achat par EDF de l'électricité produite à partir d'énergies
renouvelables pour les installations allant jusqu'à 12 mégawatts.
Nous devons cependant avoir à l'esprit que, sans l'électricité d'origine
nucléaire, nous ne pourrons tenir les engagements que nous avons souscrits à
Kyoto. En effet, pour l'heure, les énergies renouvelables ne peuvent offrir de
production de masse.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Plancade.
Dans ces conditions, je m'inquiète des conséquences de la décision de
l'Allemagne d'abandonner progressivement l'énergie nucléaire. Le recours au gaz
ou au charbon - énergies fossiles polluantes - comme substituts mettrait
l'Europe en difficulté pour tenir ses engagements. En effet, l'Allemagne doit
réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 21 % d'ici à 2012 !
Les transports constituent le second point que je souhaite aborder. Ces
derniers sont responsables à 45 % des émissions de gaz carbonique. On constate
que 80 % de la croissance actuelle des émissions européennes de CO2 sont dus
aux transports, dont 90 % à la route.
Le Gouvernement a engagé de nombreux chantiers pour freiner cette tendance au
« tout routier ». Il s'agit désormais de développer des systèmes de transports
durables qui concilient à la fois le principe de libre circulation des
personnes et des marchandises et la préservation de la qualité de notre
environnement. La notion de « développement durable » est désormais au coeur de
nos choix d'aménagement du territoire.
Je pense aux schémas de services collectifs des transports en cours
d'élaboration. Les choix en matière d'infrastructures de transports devront
désormais s'appuyer sur des critères environnementaux, sur une vision
prospective des trafics générés. Ils devront mieux utiliser la complémentarité
des différents modes de transport.
Je pense également à la nouvelle génération de contrats de plan Etat-région
qui consacrent 8,7 milliards de francs aux transports ferroviaires, soit dix
fois plus que pour le xie Plan.
Je pense enfin au projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement
urbains. Ce texte met en place de nouveaux outils de planification urbaine, les
plans locaux de l'urbanisme et les schémas de cohérence territoriale, au
service des élus locaux pour leur permettre de mieux traiter les problèmes
d'urbanisme et de déplacements. Il donne toute sa place aux transports
collectifs, notamment à travers une nouvelle génération de plans de
déplacements urbains. Il en fait un vecteur essentiel de la reconquête de la
ville.
Nous ne devons pas relâcher cet effort en faveur des transports les moins
polluants. La tâche est lourde. Nous espérons donc que la prochaine loi de
finances leur fera la part belle. Nous faisons pour cela confiance au
Gouvernement et, bien entendu, monsieur le ministre, mes chers collègues, le
groupe socialiste votera ce projet de loi de ratification du protocole de
Kyoto.
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais
d'abord féliciter M. le rapporteur pour la qualité de son travail d'analyse sur
un sujet aussi complexe que la lutte contre le réchauffement climatique.
J'ai présenté le mois dernier, devant la délégation du Sénat pour l'Union
européenne, un rapport d'information sur la situation et les perspectives de
l'énergie nucléaire en Europe, rapport qui recoupe cette thématique sur de
nombreux points.
Je souhaite ainsi apporter un éclairage européen à notre débat d'aujourd'hui
et souligner la contribution que peut apporter l'énergie nucléaire à la lutte
contre l'effet de serre.
Dans son rapport, notre collègue Xavier Pintat rappelle l'ampleur du défi
auquel nous sommes confrontés. Scientifiquement, la réalité du phénomène du
réchauffement climatique fait de moins en moins de doute. Nous avons
certainement atteint un stade qui impose des choix politiques suivis de
décisions concrètes et ce sans plus attendre.
Le débat interne à l'Union européenne sur les choix énergétiques des Etats
membres doit être élargi au niveau mondial.
Le phénomène le plus lourd de conséquences est certainement l'augmentation
rapide de la consommation d'énergie dans les pays en voie de développement.
Comme le précise notre collègue Xavier Pintat dans son rapport, ces pays
représentent aujourd'hui un tiers seulement des émissions de CO2. Au nom du
droit au développement, ils refusent toutefois de se voir imposer une
obligation de réduire leurs émissions. Si on peut comprendre leur point de vue,
il faut toutefois souligner que leur part dans les émissions de CO2 pourrait
atteindre 60 % du total en 2050.
Ce rapport a aussi le mérite de rappeler que l'objectif actuel d'une réduction
de 5,2 % des émissions de gaz à effet de serre sur la période 2008-2012, même
s'il apparaît déjà très difficile à tenir, reste pourtant tout à fait
insuffisant au regard des nécessités. Il faudrait diviser par deux le niveau
des émissions de CO2 pour simplement stabiliser le phénomène du réchauffement
climatique à l'horizon 2050.
Ces chiffres confortent l'une des conclusions que j'exposais dans mon rapport
d'information, c'est-à-dire qu'il faut sortir d'une logique de compétition
entre les différentes sources d'énergie. Les énergies renouvelables ne doivent
plus être conçues comme une alternative au nucléaire. Face à l'ampleur des
besoins énergétiques et à l'urgence de la lutte contre le réchauffement
climatique, on aura besoin de toutes les formes d'énergie.
Actuellement, les opposants au nucléaire les plus réalistes admettent qu'il
est neutre quant à l'effet de serre. Mais ils craignent que le choix de cette
solution, qu'ils considèrent de facilité, ne gêne le développement des autres
formes d'énergie, c'est une attitude compréhensible. Dans un passé récent,
peut-être la France s'est-elle montrée trop satisfaite des succès de son
programme nucléaire et a-t-elle relâché de manière regrettable son effort de
promotion des énergies renouvelables. Mais nous assistons aujourd'hui à une
prise de conscience générale qui devrait rassurer les opposants au nucléaire :
il faut désormais avancer parallèlement sur tous les fronts énergétiques pour
avoir une chance de tenir les objectifs de Kyoto.
Comment se situe l'Union européenne dans cette problématique ? J'ai intitulé
mon rapport d'information
L'énergie nucléaire en Europe : union ou confusion
?
Je dois dire que, pour l'instant, à mon grand regret, la balance penche
nettement du côté du second terme.
L'important, d'un point de vue juridique et politique, est que les Etats
membres de l'Union européenne forment une « bulle » c'est-à-dire un ensemble
collectivement responsable au regard des engagements de Kyoto. Ils se sont, je
le répète, collectivement engagés à réduire de 8 %, d'ici à 2012, leurs
émissions de gaz à effet de serre, d'où la nécessité d'une réflexion collective
- j'insiste sur cette notion - mais aussi d'un droit de regard mutuel.
Parlons clair. Le Gouvernement allemand vient de confirmer, en signant un
accord avec ses producteurs d'électricité, sa décision de renoncer au nucléaire
d'ici à vingt ans. C'est un choix souverain que nous devons respecter. Mais on
peut être certain que l'Allemagne ne pourra désormais satisfaire ses
engagements de réduction des émissions de CO2. Dès lors, la France et les
autres Etats membres sont en droit de lui demander des comptes. Car si
l'Allemagne dérape, c'est la responsabilité collective de l'Union européenne
qui se trouvera engagée devant la conférence des parties à la convention-cadre
sur les changements climatiques.
Or, rien de sérieux n'est prévu pour l'instant en Allemagne. Les Verts parlent
beaucoup des économies d'énergie et des sources d'énergie renouvelables. Mais
le gouvernement allemand, sans trop s'en vanter auprès de ses partenaires
européens, table, de son côté, sur une relance de la production de lignite. Ce
combustible fossile abondant cumule les inconvénients du soufre et ceux du
CO2.
On retrouve de surcroît ce genre de contradictions ailleurs en Europe. Ainsi,
le Danemark se vante, à juste titre, d'être l'Etat membre le plus avancé pour
le développement de l'énergie éolienne. Mais il oublie de préciser qu'il est
aussi le plus polluant en ce qui concerne la quantité d'émission de CO2 par
habitant qui est dix fois supérieure à celle de la France, en raison de ses
centrales thermiques à charbon.
Dans de tels débats, qui sont totalement brouillés par les positions
idéologiques, il faut toujours partir des chiffres et rappeler combien les
faits sont têtus.
Comme je l'ai souligné dans mon rapport d'information, la situation actuelle
est inique pour la France. Celle-ci est mondialement exemplaire au regard des
émissions de gaz à effet de serre, grâce à son programme électronucléaire.
Mais, du coup, il lui est beaucoup plus difficile de s'améliorer que d'autres
Etats moins vertueux.
Elle ne peut pourtant pas se reposer sur ses lauriers, car la continuation des
tendances actuelles, comme le souligne le rapport de notre collègue, conduirait
à un dépassement de 20 % de ses engagements du protocole de Kyoto.
La France doit donc consentir un effort d'économies énergétiques et de
développement des énergies renouvelables qui est plus compliqué et plus coûteux
que la substitution d'une forme d'énergie non polluante, comme le nucléaire, à
des énergies fossiles.
Non seulement la France n'est pas créditée de sa contribution à la limitation
des émissions de CO2 de l'Union européenne, mais ses exportations d'électricité
d'origine nucléaire sont considérées par les fondamentalistes antinucléaires
comme suspectes. La France pourrait ainsi se retrouver dans la situation
paradoxale de devoir racheter des
quotas
d'émissions de CO2 à des pays
voisins, comme l'Italie, qui amélioreraient leurs performances au regard du
protocole de Kyoto en accroissant leurs importations d'électricité nucléaire
française. Or, si l'électricité est exportée, les déchets nucléaires restent en
France. Je crois que c'est là un débat qui mérite d'être porté devant les
opinions publiques européennes.
Cela m'amène à ma dernière considération. Une solution pour la France pourrait
consister à accroître ses droits d'émission de CO2 en exportant sa technologie
nucléaire, dans le cadre du « mécanisme de développement propre » prévu par le
protocole de Kyoto. Mais ce n'est, hélas, pas si simple.
La condition préalable est d'abord l'inclusion du nucléaire dans le champ du «
mécanisme de développement propre ». Cela serait logique car les arguments
scientifiques plaident en faveur de cette solution. Les Etats membres de
l'Union européenne sont très divisés à ce sujet. La France et le Royaume-Uni
sont pour, tandis que l'Allemagne, l'Autriche, la Suède et le Danemark sont
contre. Quant au Parlement européen, il a adopté, au mois de décembre dernier,
une résolution qui préconise d'exclure le nucléaire du « mécanisme de
développement propre », au motif qu'il ne s'agirait pas d'une source d'énergie
durable.
C'est là une position que j'ai qualifiée de dogmatique et d'erronée car, quels
que soient par ailleurs les défauts de l'énergie nucléaire, il est indéniable
qu'elle contribue à limiter les volumes des émissions de CO2 et que la matière
première est quasi illimitée.
Un autre obstacle présenté contre les exportations est le risque de
prolifération nucléaire. Certes, on ne saurait jamais être trop prudent dans ce
domaine, mais il faut le considérer avec pragmatisme. En effet, la question ne
se pose plus à l'égard de la Chine et de l'Inde, qui se sont déjà dotées par
leurs propres moyens de l'arme atomique. Il s'agit là de deux Etats-continents
aux besoins énergétiques considérables et en croissance rapide. Ils sont
soumis, de plus, à la tentation de recourir massivement à leurs ressources en
charbon, tout en disposant des capacités scientifiques et techniques
nécessaires pour maîtriser la technologie électronucléaire.
Des possibilités intéressantes de coopération existent également avec certains
Etats semi-industrialisés et devenus démocratiques, comme la Corée du Sud ou
certains pays d'Amérique latine.
Enfin, le dernier obstacle à lever dépend de la France elle-même, qui doit se
mettre en situation d'exporter sa technologie nucléaire. L'une des intérêts de
notre débat d'aujourd'hui est de rappeler que cet objectif d'exportation n'est
pas seulement un souci légitime du constructeur public de réacteurs nucléaires,
Framatome ; il correspond aussi à l'intérêt national. Nous pourrons ainsi avoir
à notre disposition - et ce serait un dû - les droits d'émission de CO2
supplémentaires qui nous seront vraisemblablement nécessaires.
C'est pourquoi je suis convaincu qu'il faut lancer, sans plus tarder, le
premier exemplaire de l'EPR pour développer la prochaine génération de
réacteurs nucléaires. En effet, des pays en voie de développement intéressés
sont demandeurs de technologies nucléaires fiables et éprouvées. Ainsi, la
Chine préfère nous acheter des tranches EDF classiques, plutôt que les versions
évoluées plus récentes. Si l'on souhaite exporter l'EPR, qui aura un meilleur
rendement et sera encore plus sûr que les réacteurs actuels, il est impératif
de disposer d'un recul d'expérience suffisant en lançant un premier exemplaire
dès maintenant.
Certes, le parc électronucléaire d'EDF est peut-être déjà surdimensionné par
rapport aux besoins nationaux, mais la libéralisation du marché européen nous
permet d'exporter de l'électricité. De plus, sans attendre les nécessités de
son renouvellement, il serait concevable de construire, si besoin est, le
premier exemplaire de l'EPR dans un pays étranger ; la Russie pourrait être
intéressée.
Notre rapporteur a raison d'estimer que la France, en assurant la présidence
de l'Union européenne au cours du second trimestre de l'année 2000, se trouve
investie d'une responsabilité particulière dans la lutte contre l'effet de
verre. Il a énuméré les trois priorités que le Gouvernement français s'est
fixées dans la perspective de la prochaine conférence ministérielle de La Haye
: mise en place d'un système d'observance ; rappel du caractère subsidiaire des
mécanismes de flexibilité ; enfin, mise en oeuvre d'un plan de coopération sur
le climat.
Je crois que notre pays devrait se fixer comme quatrième priorité de poser
officiellement, au niveau européen, la question du rôle du nucléaire dans la
lutte contre l'effet de serre. Il faut sortir d'une attitude purement
défensive.
Le risque d'accident nucléaire est aujourd'hui très raisonnablement maîtrisé
en Europe occidentale. Certes, le problème des déchets radioactifs constitue le
véritable talon d'Achille de la filière nucléaire. Mais les solutions
d'enfouissement en site géologique profond sont scientifiquement crédibles. Ce
sont les décisions politiques de mise en oeuvre qui font encore défaut dans
tous les Etats membres concernés. Il faut agir vite, en toute transparence,
tout en veillant à bien informer les populations, car une occultation du
nucléaire serait un frein à son développement.
Loin de moi l'idée de prétendre que le nucléaire est à 100 % dépourvu de tout
risque. Mais c'est le cas de toute production d'énergie ! Au-delà du symbole
originel de la bombe d'Hiroshima ou du traumatisme de Tchernobyl, il faut se
livrer à une appréciation politique. Si l'on considère la situation à laquelle
nous sommes actuellement confrontés, que constatons-nous ? D'un côté, nous
avons un risque très minime d'accident nucléaire et, selon les scientifiques,
pas de risque de fuite, même à très long terme, des dépôts géologiques
souterrains de déchets radioactifs. De l'autre côté, nous avons les effets
catastrophiques à moyen terme du changement climatique, qui apparaît de moins
en moins comme un risque et de plus en plus comme une certitude. Doit-on
troquer un risque d'accident contre une catastrophe annoncée ?
Nous rejoignons ici la thématique à la mode du « principe de précaution ». La
prudence est bien sûr une vertu. Mais elle ne doit pas devenir de la
pusillanimité et rendre impossibles des choix politiques vraiment responsables,
c'est-à-dire qui permettent de se projeter dans l'avenir.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que le même scepticisme peut
toujours justifier de ne rien faire dans tous les cas : les adversaires d'une
intervention publique contre le réchauffement climatique font valoir que ce
phénomène n'est pas scientifiquement prouvé ; les adversaires de l'énergie
nucléaire font valoir que son innocuité n'est pas garantie à 100 %.
Mais c'est précisément toute la difficulté et peut-être la noblesse du
politique que de savoir conserver une capacité de décider et d'agir en toute
situation, même s'il subsiste un résidu d'incertitude.
Nous devons ratifier le protocole de Kyoto quelles que soient ses
insuffisances. Mais la France se doit d'être pragmatique et, au-delà de tout
dogmatisme, d'affirmer en toute sérénité qu'elle est un pays exemplaire pour ce
qui est des émissions de gaz carbonique en raison de ses choix énergétiques.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'étais hier
à Berlin avec le Président de la République, mais aussi avec une délégation qui
comportait, outre le président du MEDEF, le président de Renault, celui
d'Aventis, celui de Suez-Lyonnaise des eaux et celui d'EDF. Le
Bund der
Deutschen Industrie,
l'équivalent allemand du MEDEF, a écouté avec beaucoup
d'attention le Président de la République et nous avons pu ensuite engager le
dialogue avec les quelques milliers de patrons allemands que rassemble cette
réunion annuelle. Je pense que ces derniers auraient été intéressés par notre
débat d'aujourd'hui, parce que tous sont consternés par la décision, critiquée
ici sur l'ensemble des travées, de sortir du nucléaire. Personne ne comprend en
effet comment on pourra suivre la voie tracée à Kyoto.
Le Gouvernement français s'honore d'être le premier à ratifier ce protocole.
Pour ma part, je suis heureux que la France le ratifie, tout en considérant, à
l'instar de tous les orateurs, qu'il comporte des lacunes. Celles-ci ont été
brillamment exposées par le rapporteur de la commission des affaires
étrangères, qui a regretté, à juste titre, le flou de certaines décisions, le
manque de sanctions et de contrôles et, d'une certaine façon, le droit de
polluer qui serait ainsi inscrit dans ce protocole de Kyoto, qui est une forme
de Constitution mondiale.
Il faudra aller beaucoup plus loin ! Pour ma part, je souhaite que la France
et l'Europe, pilotée par cette dernière, puissent manifester sur ce point la
grande crainte que l'humanité se doit d'avoir en raison, actuellement, d'une
légèreté de comportements dont l'opinion publique n'est pas, me semble-t-il,
tout à fait consciente.
Certes, des conférences internationales ont eu lieu. Mais, au fond de nos
provinces, qui connaît le « Sommet de la Terre » de Rio, la réunion de Berlin
de 1995, la Déclaration de Genève de 1996, la Conférence de Kyoto de 1997 et,
prochainement, celle de La Haye ? la plupart des gens ne les connaissent pas !
Ils sont totalement inconscients de ce que représente l'effet de serre !
En écoutant mes collègues, je me réjouissais du fait qu'ils étaient tous
inquiets, mais j'ai trouvé qu'ils ne l'étaient pas suffisamment.
En 1984 - voilà seize ans ! - j'avais réuni une conférence internationale de
scientifiques et de décideurs dans le secteur énergétique à Sophia-Antipolis
sur le thème : « le CO2 et le changement de climat ». La communauté
scientifique était déjà majoritairement convaincue de l'origine industrielle,
donc humaine, de l'augmentation des gaz à effet de serre. Effectivement, au vu
des chiffres relatifs au nombre de PPM - parties par millions - de PPB -
parties par billions - de CO2 dans l'atmosphère, qui ont été relevés, par
exemple, par les observatoires d'Hawaï au centre du Pacifique, on a constaté
une légère inflexion en 1984 à la suite de la crise pétrolière, ce qui montre
bien que le pétrole, le gaz, et plus généralement l'action humaine sont tout à
fait essentiels.
Maintenant, plus personne n'en doute ! A ceux qui disent que ce n'est pas
scientifiquement prouvé, je répondrai que rien n'est prouvé à 100 % en matière
scientifique. Je rappelle qu'en dépit des démonstrations de Lavoisier ses
successeurs ont considéré, pendant plus de trente ans, que sa théorie était
tout à fait marginale, alors qu'elle est aujourd'hui reconnue comme une
évidence. Eh bien ! actuellement, on connaît, de façon sûre, par exemple, les
raisons de la multiplication de certains cyclones tropicaux. En effet, l'effet
de serre peut non seulement avoir des conséquences sur les températures, mais
également et surtout provoquer un changement de climat. Et ce seul changement
de régime, aussi bien dans l'atmosphère que dans l'océan, entraîne des
phénomènes qui peuvent être extraordinairement rapides.
La théorie mathématique des catastrophes s'applique, c'est-à-dire que, du jour
au lendemain, peut intervenir un changement de direction d'un grand système de
mobilisation touchant des millions de mètres cubes d'océan. Par exemple, on
sait que
El Niño
peut, tout à coup, se déplacer 500 kilomètres plus au
nord, puis, l'année suivante, 500 kilomètres plus au sud. Cela peut aussi
arriver au
Gulf Stream,
dans cent ans comme dans dix ans.
Quantité d'autres phénomènes aussi dramatiquement préoccupants se produisent.
Je veux parler ici, en particulier, non seulement de la fusion lente des glaces
de l'inlandsis, notamment antarctiques, mais aussi d'un bloc de glace de la
taille de la France et de plusieurs kilomètres d'épaisseur, situé au-dessus de
la mer de Ross, maintenu par un piton, qui peut être affouillé à sa base et qui
pourrait donc tomber. Les calculs ont montré que cela entraînerait une hausse
du niveau général des mers de cinq mètres cinquante. Quand cela se
produira-t-il ? Dans vingt ans ? Dans cinquante ans ? Dans cent ans ? Dans deux
cents ans ? On l'ignore, mais, en tout cas, c'est autre chose que cinquante
centimètres, même cinquante centimètres en un siècle ! Cela signifie que tous
les ports du monde seraient mis hors service et qu'une grande partie des
aéroports seraient submergés. En même temps, des dizaines de millions d'êtres
humains pourraient être emportés par une montée des eaux, qui, dans certains
cas, pourrait être relativement lente, mais, dans d'autres cas, pourrait être
plus rapide.
Les cyclones tropicaux et les inondations liées à l'effet de serre ont déjà
causé des morts, non par milliers, mais par centaine de milliers, voire par
millions.
Par conséquent, les associations qui, par exemple, considèrent qu'il faut
essayer de savoir ce qui se passe du côté de La Hague, notamment Greenpeace,
feraient mieux de s'occuper de l'effet de serre, parce que ses conséquences
sont d'une ampleur tout autre que celles de tous les phénomènes qui ont pu se
produire auparavant, même à Tchernobyl. Ce qui est arrivé à Tchernobyl est très
regrettable ; c'est une véritable catastrophe, mais elle n'a pas fait des
millions de morts. Même Hiroshima n'a pas fait des millions de morts. Il y a
une disproportion.
Certes, nos gouvernements doivent agir pour aller plus avant dans le sens de
Kyoto, mais il faudrait aussi que nous manifestions une volonté forte afin que
l'opinion publique comprenne de quoi il s'agit.
Pour ma part, j'ai l'intention, à Sophia-Antipolis, de faire une
démonstration, en m'appuyant sur les meilleurs experts du CNRS, sur les
meilleurs experts américains, de façon que le public sache ce que représente
l'effet de serre. En effet, pour le grand public, deux degrés de plus, après
tout, ce n'est pas plus mal : il fera moins froid en hiver ! Nos compatriotes
se rendent-ils vraiment compte des aspects indirects d'un changement de climat
? Cela signifie des migrations forcées de populations, de plusieurs centaines
de millions d'habitants qui vivent actuellement autour de la Méditerranée. Que
ferons-nous quand des millions de personnes qui crèveront « de soif » parce
qu'il n'y a plus d'eau ou qui mourront de faim se mettront en marche ? Les
accueillerons-nous ? Sommes-nous prêts à cela. Se prépare-t-on à les recevoir ?
Ou bien va-t-on leur dire : crevez chez vous !
Pour ma part, je considère que les personnes qui se préoccupent de manière
intéressante de développement durable devraient s'en préoccuper, non seulement
pour les pays les plus tempérés, qui sont les moins menacés, mais aussi pour
les pays en voie de développement. Cela me gênerait beaucoup que 50 millions
d'habitants du Bangladesh meurent à la suite d'une inondation un peu plus
survenue à l'occasion d'une mousson un peu plus importante et plus longue. Les
scientifiques savent qu'un tel phénomène aura lieu, même s'ils ne peuvent dire
quand il se produira. L'année prochaine ? Dans dix ans ? Dans cinquante ans ?
Il s'agit tout de même d'une menace réelle. Il y a là un problème majeur.
L'opinion publique manifeste, selon moi, une crainte injustifiée vis-à-vis des
déchets nucléaires, même s'ils posent en effet un réel problème. Pouvons-nous
attendre quelques années ou quelques centaines d'années en stockant les déchets
nucléaires en profondeur ou en surface ? La réponse est oui.
D'ici à cent ans, on saura les envoyer sur le soleil, avec un risque
extraordinairement minime qu'ils retombent sur notre planète. Pour s'en
convaincre, il suffit de voir les progrès fantastiques en matière de
propulsion. Dans quelque temps, on saura se débarrasser de ces déchets en un
lieu de l'univers où, d'ores et déjà, ont lieu de nombreuses réactions
atomiques. C'est d'ailleurs grâce à elles que la vie est possible. En effet,
sans le soleil, nous n'existerions pas. Il y a une démesure dans l'opinion
publique.
L'essentiel du message que je veux faire passer dans cette enceinte est le
suivant : il est fondamental de favoriser une prise de conscience au sein de la
population du fait que nous sommes en train de détruire l'avenir de
l'humanité.
Nous sommes probablement le pays le plus avancé, la France en a d'ailleurs
l'habitude. Nous l'avons été en 1789 ; nous pouvons l'être maintenant.
Par ailleurs, nous pouvons en même temps, chez nous, prendre des mesures
complémentaires. Nous sommes la lanterne rouge de l'Europe en matière de
télétravail. Pourtant, le télétravail permet de diminuer le transport. Faisons
des efforts pour que les populations comprennent l'importance du
télétravail.
On prévoit que, dans quelques années, il y aura 30 % de télétravailleurs dans
la plupart des pays. On en dénombre 18 % en Finlande, 15 % aux Pays-Bas, et 5 %
en Allemagne. On en compte seulement 2 % en France. Ce n'est pas normal. En
effet, voilà quelques années, l'Allemagne se situait au même niveau que la
France. Il faut donc que nous fassions un effort en matière de télétravail.
C'est l'une des pistes, mais il en existe beaucoup d'autres.
(M. Hilaire Flandre applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le protocole
de Kyoto, signé le 12 décembre 1997 par cent cinquante-neuf pays, engage -
théoriquement - les pays développés à réduire de 5 % en moyenne leurs émissions
de gaz carbonique et d'autres gaz jugés responsables du réchauffement de la
planète. A ce jour, seuls quinze pays, pour la plupart des petits pays
insulaires particulièrement concernés par le réchauffement climatique lié à
l'effet de serre, l'ont ratifié.
Si ce protocole, adopté dans le cadre de la convention de Rio de 1992 sur les
changements climatiques, est considéré comme le traité le plus ambitieux jamais
mis au point en matière d'environnement et représente une avancée
incontestable, force est de constater que les modalités d'application sont loin
d'être fixées de façon satisfaisante.
L'objectif affiché de maîtriser les émissions de gaz à effet de serre et les
conséquences du réchauffement climatique est une urgence aujourd'hui, et fait
d'ailleurs l'objet d'un consensus international.
Comme le rappelait récemment mon collègue et camarade Paul Vergès en
présentant son rapport sur la proposition de loi tendant à créer un
observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, les
changements climatiques seront sans doute l'un des problèmes structurels
auxquels le monde sera confronté dans les décennies à venir. L'intensification
des émissions de gaz à effet de serre, produits par le développement de
l'industrialisation et des activités humaines, conduit à ce réchauffement dont
les conséquences devraient, à terme, être considérables.
On le voit d'ailleurs déjà aujourd'hui avec la multiplication des aléas
climatiques aux effets parfois catastrophiques. Même si, pour le moment, les
scientifiques n'ont pas pu encore établir formellement le lien entre
l'augmentation de l'effet de serre et le réchauffement climatique, le principe
de précaution impose que nous prenions dès aujourd'hui des mesures pour les
réduire.
La mobilisation de la communauté internationale pour engager une politique de
maîtrise des émissions de gaz à effet de serre est très importante
aujourd'hui.
La France a joué un rôle pionnier en la matière en étant parmi les premiers
pays qui se sont mobilisés et qui ont affirmé la nécessité d'une politique
volontariste. Notre pays, qui présente la spécificité de recourir de manière
importante à l'énergie nucléaire, ce qui permet à sa production d'électricité
d'émettre peu de gaz à effet de serre, a réduit ses émissions depuis quelques
années au-delà des engagements pris.
Les efforts doivent être poursuivis et étendus à l'ensemble des politiques
sectorielles. Surtout, ils devront être coordonnés, tant sur le plan européen,
par la mise en place d'une véritable stratégie communautaire, qu'à l'échelon
international.
Le protocole de Kyoto, en fixant pour la première fois des objectifs
contraignants et chiffrés de réduction des émissions dans les pays
industrialisés, s'inscrit dans cet objectif. Mais qu'en est-il des modalités
d'application de ce texte ?
La conférence de La Haye doit précisément fixer, en novembre prochain, ces
modalités. Toutefois, dès aujourd'hui, on ne peut que s'inquiéter de certains
aspects qui, selon nous, détournent le texte de son objet premier, qui est la
protection de l'environnement.
En effet, l'institution d'un marché de droits d'émission a été entérinée lors
des négociations, sous la pression de certains pays, en particulier des
Etats-Unis. Cela signifie que les engagements pris peuvent être contournés,
puisque pays pollueurs - pays développés, essentiellement - et pays moins
pollueurs pourraient s'échanger les excédents et déficits d'émission sur ce
marché. Ce seraient évidemment les pays en voie de développement, dont les
quotas sont surévalués, qui vendraient leurs excédents, introduisant un système
fondé sur une logique de rapports de force aux effets pervers.
Cette conception commerciale, qui permettrait aux pays riches d'acheter des «
permis à polluer » pour continuer à émettre autant de gaz à effet de serre et
ne rien changer à leur mode de développement, nous semble particulièrement
inacceptable.
Ce système ne va pas dans le sens d'un règlement global à long terme du
problème. Il permet aux pays industrialisés, au premier rang desquels figurent
les Etats-Unis, de se soustraire à leurs responsabilités, en ne mettant pas en
place des mesures de réduction à l'échelon national. Rappelons, d'ailleurs, que
les Etats-Unis, comme le Japon ou le Canada, ont vu leurs émissions progresser
de façon importante depuis 1997, malgré leurs engagements pris à Kyoto.
Ces mécanismes de flexibilité sont en contradiction totale avec les principes
de coopération, de transferts de technologies « propres » qu'il faudrait, au
contraire, promouvoir de façon urgente si nous voulons parvenir à un
développement durable pour l'ensemble de la planète, même si vous avez déclaré,
monsieur le ministre, que ces mécanismes ne devraient être que des compléments
à l'effort national.
Mme la ministre de l'environnement a rappelé à plusieurs reprises sa volonté
de voir les objectifs de réduction des émissions prévus par le protocole de
Kyoto être atteints principalement par des mesures mises en oeuvre à l'échelon
national, et donc le recours à ces « permis d'émission » limité. Comment croire
que, sans aucune garantie ni contrainte, tel sera le cas à l'échelon mondial
?
De plus, l'Union européenne, par la volonté de certains de ses Etats membres,
semble s'orienter, elle-même, vers cette logique, à laquelle elle propose
simplement de fixer des limites.
Si nous partageons pleinement la volonté de réduire les émissions de gaz à
effet de serre, le protocole de Kyoto, tel qu'il nous est présenté aujourd'hui,
ne nous semble pas répondre à cet objectif et à l'affirmation d'une politique
volontariste et solidaire de développement durable pour la planète.
Il défend, au contraire, une certaine logique de domination et permet de ne
pas remettre en cause les modes de développement des économies les plus
pollueuses, ce qui est en contradiction avec le principe même de développement
durable.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, dans un souci de responsabilité, face
aux enjeux dont il est question ici, le groupe communiste républicain et
citoyen ne pourra pas voter ce projet de loi et s'abstiendra.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Permettez-moi, tout d'abord, d'exprimer les regrets de
Mme Voynet qui n'a pu participer à ce débat dont elle mesure toute
l'importance, car elle est retenue à l'Assemblée nationale pour débattre d'une
question qui ne laisse pas indifférents les sénateurs puisqu'il s'agit de la
chasse.
Certes, j'ai dû introduire des modifications dans mon agenda, mais je suis
tout à fait intéressé par le sujet que nous examinons aujourd'hui. C'est
probablement l'une des questions dont la relation au temps et à l'espace est
aussi essentielle. Pour traiter ce problème, il faut avoir une approche
citoyenne, et à son meilleur degré d'exigence puisque, dans un tel débat, il
s'agit de la citoyenneté du monde.
J'ai eu l'occasion d'aborder personnellement ce sujet. Etant en charge de la
coopération et du développement, je sais que la question des pays en
développement est l'une des préoccupations centrales du débat. Par ailleurs, en
participant, à deux reprises, au forum du Pacifique, aux îles Cook en 1997 et à
Palau l'an dernier, j'ai pu mesurer l'inquiétude très vive des populations, à
travers les élus qui s'exprimaient, de ces îles du Pacifique qui seront rayées
de la carte si les perspectives qui ont été évoquées tout à l'heure deviennent
réalité.
Je regrette d'autant plus l'absence de Mme Voynet qu'elle aurait bien mieux
que moi été en mesure de répondre à des questions centrales qui ont été
soulevées, je pense notamment au débat relatif au nucléaire. Elle aurait su
mieux que moi répondre au jugement porté par l'un d'entre vous et aux termes
duquel les arbitrages du Premier ministre seraient rarement rendus en sa
faveur. Je suis sûr qu'elle aurait pu avancer nombre d'arguments pour apporter
la preuve du contraire. Mais elle aura sans doute l'occasion de s'exprimer en
d'autres circonstances, et peut-être même ici, sur cette question, car il n'est
pas impossible que vous l'interpelliez à nouveau sur ce thème.
M. Pierre Laffitte.
Volontiers !
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Ces questions renvoient à la responsabilité des Etats,
mais aussi au comportement des entreprises et des individus. Cela suppose, en
effet, des prises de conscience qu'il faut favoriser, des mobilisations dont
nous mesurons bien qu'elles ne sont pas satisfaisantes aujourd'hui. Il faudrait
sans doute qu'un débat comme celui-ci soit popularisé pour mieux faire prendre
la mesure des difficultés.
Les pays en développement ne sont pas partie prenante à cet accord, alors
qu'ils sont appelés à émettre, si l'on prolonge les courbes, une part
significative des gaz à effet de serre.
Il est vrai qu'ils ont d'autres priorités, notamment la survie presque
immédiate, quasi quotidienne, de leurs populations. On peut donc comprendre
qu'ils n'attachent pas à cette question l'importance qu'il faudrait néanmoins
qu'ils y attachent.
Par ailleurs, nous n'avons pas, nous, pays industrialisés, commencé à faire
l'effort que nous devrions faire, et ils sont, dès lors, tentés de nous engager
à commencer cet effort avant de voir ce qu'ils pourront faire ensuite. Au
demeurant, c'est tout de même bien parce que nous n'avons pas eu cette
préoccupation que nous avons réussi notre développement industriel ! Si nous
avions eu les mêmes contraintes que celles que nous voudrions leur imposer
aujourd'hui, nous n'aurions pas réussi de la même manière.
Cette interpellation forte, qui n'est pas une réponse à la question posée, est
en tout cas une explication qu'il nous faut entendre. Elle renvoie à la
responsabilité et à la solidarité du Nord vis-à-vis du Sud.
Pour répondre au souci de ceux qui ne sont pas parties prenantes pour
l'instant à cette convention, nous pouvons penser que, lorsque nous aurons
ouvert la voie, nous aurons plus de facilités à les convaincre de nous suivre,
à condition que nous sachions leur apporter les expertises, les appuis, et
probablement les financements nécessaires, ce qui est un point tout à fait
important.
Bref, il faut qu'ils s'y préparent, et nous devons les aider à assumer eux
aussi leurs propres responsabilités.
Sans entrer dans le fond du débat nucléaire, même si j'ai entendu les
arguments développés par les uns et les autres à cet égard et les questions que
la décision allemande peut justement susciter en elle-même - et auxquelles il
faut que nous essayions de répondre -, je tiens à souligner que, si les
émissions de gaz à effet de serre augmentent actuellement, c'est surtout le
secteur des transports qui en est la cause, notamment en France. Cela montre
l'importance qu'il nous faut attacher à la réduction de la consommation des
carburants dans les transports aériens et terrestres.
Mais il est vrai que les progrès techniques et technologiques réalisés dans ce
domaine vont dans la bonne direction.
M. Lepeltier regrettait tout à l'heure que nous n'en soyons qu'aux études.
Parions cependant qu'au terme de ces études des propositions plus concrètes et
des réalisations pourront être engagées.
En tout cas, pour ce qui concerne la France, nous nous sommes fixés pour
objectif de stabiliser les émissions dans le secteur des transports, surtout
compte tenu du développement attendu de ce secteur. Les mesures techniques
envisagées ne concernent d'ailleurs pas que les seuls véhicules, même s'il y a
eu un accord volontaire de la part des constructeurs automobiles pour réduire
les émissions de gaz des véhicules neufs, avec le programme « Predit », qui est
actuellement à l'étude.
Au-delà, nous connaissons aujourd'hui une inflexion forte dans le choix des
infrastructures, le rail étant privilégié par rapport à la route - c'est un
sujet auquel le ministre des transports est très attentif, vous vous en doutez
-, et cette orientation est au coeur aussi bien de la négociation des contrats
de plan Etat-région que des schémas de services collectifs.
M. Pintat a soulevé la question de la négociation.
Il est vrai que notre objectif était d'arriver à La Haye avec un accord
supposant la ratification du protocole par un nombre suffisant de pays pour
permettre son entrée en vigueur, et surtout sa ratification par les Etats-Unis.
Il s'agit du partage du fardeau, en quelque sorte. Etant donné qu'il s'agit
d'un bien commun à l'humanité, on ne comprendrait pas que le pays le plus riche
de la planète, qui produit une part significative des émissions de gaz
incriminées, ne participe pas à cet effort !
Je ne peux pas aujourd'hui vous dire que les Etats-Unis nous ont d'ores et
déjà entendus. J'observe simplement que les sénateurs américains ne sont plus
unanimement contre ce protocole. Il en ira peut-être comme de la peine de mort
: les choses bougent et on peut penser que, sous l'effet de l'opinion et de la
société civile américaine, le Sénat modifiera son point de vue. Les élections
américaines interviendront d'ailleurs quelques jours avant la conférence de La
Haye. Souhaitons que, très vite, les Américains prendront la mesure de leurs
responsabilités en la matière !
Les objectifs du protocole ne seraient pas, selon certaines, suffisants. Je
rappelle qu'une diminution de 5 % en 2010, telle qu'elle est prévue dans le
protocole de Kyoto, représente tout de même une réduction de 25 % par rapport
aux évolutions tendancielles des pays industrialisés ! Certes, on peut toujours
discuter la précision de ces courbes pour l'avenir, mais c'est important, et
cela reste cohérent, nous disent les spécialistes, avec un objectif de
stabilisation à long terme des concentrations atmosphériques de CO2 à un niveau
sans doute double du niveau préindustriel, mais permettant tout de même
d'éviter les évolutions catastrophiques qui ont été dénoncées à l'instant.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
remarques que je souhaitais vous livrer à l'issue d'un débat que j'ai trouvé de
très grande qualité.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
C'est vrai !
M. Charles Josselin,
ministre délégué.
Je regrette à nouveau - et elle avec moi - que Mme
Voynet n'ait pu elle-même y participer. Elle aurait certainement permis
d'élever encore le niveau de ce débat.
Je regrette, enfin, que certains n'aient pas cru devoir s'associer à ce
protocole, mais j'espère que, dans ce domaine aussi, le temps fera son
oeuvre.
Je suis heureux, en tout cas, que la France puisse arriver à la conférence de
La Haye avec l'argument de la ratification, car je crois qu'il est important.
(Applaudissements.)
M. le président.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation du protocole de Kyoto à
la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (ensemble
deux annexes), fait à Kyoto le 11 décembre 1997 et signé par la France le 29
avril 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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