Séance du 20 juin 2000
M. le président. Par amendement n° 255, MM. Désiré et Larifla proposent d'insérer, après l'article 39, un article additionnel ainsi rédigé :
« Sous réserve des adaptations nécessaires, les dispositions de la loi n° 82-1169 du 31 décembre 1982 relative à l'organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale et particulièrement celles codifiées à l'article L. 2512-1 du code général des collectivités territoriales sont applicables à la Martinique et à la Guadeloupe.
« Les modalités d'application et d'adaptation de ces dispositions sont fixées par un décret pris en Conseil d'Etat. »
La parole est à M. Désiré.
M. Rodolphe Désiré. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de la discussion en première lecture au Sénat du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, nous sommes obligés de constater que le volet institutionnel, qui représentait l'aspect le plus novateur du texte, aboutit à une impasse. J'ai l'impression d'être à la poursuite, en termes de décentralisation, de la ligne d'horizon ou d'un arc-en-ciel qui s'éloigne au fur et à mesure je m'en rapproche.
Et pourtant, l'amélioration des institutions des départements d'outre-mer dans le sens d'une plus grande responsabilité est une nécessité si l'on veut bien reconnaître leurs handicaps structurels compte tenu de leur retard de développement et de leur ultrapériphéricité.
Il semble d'ailleurs que cette nécessité soit reconnue par toutes les tendances de l'éventail politique du Parlement, si l'on en croit les déclarations faites à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Notre amendement tend à proposer une piste originale pour la Martinique et pour la Guadeloupe, piste qui a déjà été appliquée de manière très précise à Paris, qui dispose actuellement d'une « assemblée délibérante de nature particulière » ayant qualité pour représenter la commune et le département.
Au cours de la discussion générale, nous avions ici-même attiré votre attention sur le fait que le système ayant abouti à une région monodépartementale n'avait été souhaité ni par le législateur ni par les populations concernées.
En effet, un double exécutif sur un même territoire, loin de renforcer le pouvoir de l'exécutif local, l'affaiblit au contraire : cela est évident à la Martinique.
Nous avions d'ailleurs attiré l'attention du Sénat, au cours de la discussion générale, sur l'échec tant du schéma de développement et d'aménagement touristique que du schéma d'aménagement des transports.
Peut-on trouver une issue à cette situation ? A mon avis certainement, à condition que la réflexion soit menée sur le plan tant national que local.
Il est d'ailleurs assez étonnant qu'en 1982, après le rejet de l'assemblée unique, on n'ait pas eu, dans un souci de cohérence, la volonté de s'inspirer du statut parisien.
Ainsi, le même territoire de Paris sert de cadre géographique à la commune et au département, mais il s'agit de deux collectivités distinctes dont les affaires sont réglées par une même assemblée dénommée « conseil de Paris », siégeant alternativement tantôt en qualité de conseil général du département de Paris, tantôt en qualité de conseil municipal de la commune, leurs exécutifs étant confiés au président de ce conseil, le maire de Paris.
Par là, le législateur a évité une situation qui aurait pu être horrible : imaginons pour Paris deux exécutifs distincts sur le même territoire, avec - je prends une hypothèse d'école - deux présidents de la même tendance politique : par exemple, d'une part, une commune emmenée par le maire de Paris, M. Tiberi, et, d'autre part, un département dirigé par M. Balladur. Vous voyez la complexité du problème ! (Sourires.) C'est le cas dans les régions d'outre-mer, car les deux présidents sont toujours de tendances opposées, et la situation est ingérable.
J'imagine volontiers les critiques de ceux qui vont arguer du fait qu'à Paris les deux collectivités représentées sont la commune et le département, alors que, dans les départements d'outre-mer, ce sont le conseil général et le conseil régional qui sont en cause.
Pourtant, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il s'agit toujours de deux collectivités locales au titre de l'article 72 de la Constitution.
Cette réforme, si elle était adoptée, présenterait plusieurs intérêts.
Premièrement, elle ne remettrait pas en cause le cadre institutionnel actuel et ces collectivités demeureraient des collectivités de la République.
Deuxièmement, elle préserverait le cadre départemental et serait parfaitement compatible avec l'article 299-2 du traité d'Amsterdam et le maintien dans l'espace communautaire.
Troisièmement, en dotant cette assemblée de nature particulière de compétences spécifiques, elle pourrait prendre en compte les notions d'identité, de spécificité fiscale et de subsidiarité dans le domaine de la coopération régionale.
Quatrièmement, enfin, cette assemblée pourrait constituer une amorce traditionnelle à la création de futures régions autonomes d'outre-mer à la française, comparables aux régions espagnoles et portugaises.
Mes chers collègues, je le répète, cette proposition est une piste de réflexion qui, si elle n'est pas adoptée aujourd'hui, mériterait d'être approfondie par le Parlement et par les forces politiques des régions mono-départementales d'outre-mer.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. José Balarello, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement. Cette réforme paraît difficilement envisageable aujourd'hui, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'article 73 de la Constitution.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. L'amendement de M. Désiré a le mérite de poser la question de la dualité des assemblées dans les départements français d'Amérique et donc de la dualité des exécutifs.
M. Désiré propose de transposer à la Martinique et à la Guadeloupe l'organisation administrative de la ville de Paris, à la fois commune et département, mais avec une assemblée unique, et donc un seul exécutif, alors que les départements français d'Amérique - Guyane, Martinique et Guadeloupe - comptent deux assemblées.
En outre, il ne me semble pas possible de procéder à cette réorganisation administrative par la voie du décret, s'agissant d'une disposition qui relève du domaine législatif.
En conséquence, tout en comprenant l'intérêt de la proposition de M. Désiré, mais compte tenu du fait que sa rédaction laisse planer de nombreuses incertitudes juridiques, le Gouvernement, tout en étant prêt à étudier la faisabilité institutionnelle de cette disposition après consultation des populations concernées, n'est pas favorable à l'amendement n° 255.
M. le président. Monsieur Désiré, votre amendement est-il maintenu ?
M. Rodolphe Désiré. Il l'est monsieur le président. Compte tenu de la composition de la Haute Assemblée, il me semble intéressant qu'elle se prononce sur ce texte...
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 255, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 256, M. Larifla et les membres du groupe socialiste proposent, après l'article 39, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 46-1 du code électoral, dans les régions monodépartementales, nul ne peut cumuler les mandats de conseiller général et de conseiller régional.
« Quiconque se trouve dans ce cas doit faire cesser l'incompatibilité en démissionnant du mandat qu'il détenait antérieurement. Il dispose à cet effet d'un délai de trente jours à compter de la date de l'élection qui l'a mis en situation d'incompatibilité, ou, en cas de contestation, de la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif. A défaut d'option ou en cas de démission du dernier mandat acquis dans le délai imparti, le mandat acquis ou renouvelé à la date la plus ancienne prend fin de plein droit. »
La parole est à M. Larifla.
M. Dominique Larifla. Les régions d'outre-mer ont la particularité d'être des régions monodépartementales. En effet, les départements d'outre-mer, par les lois du 31 décembre 1982 et du 2 août 1984, bénéficient de la décentralisation, au même titre que les autres régions françaises avec, cependant, des mesures d'adaptation rendues nécessaires par leur situation particulière, en vertu de l'article 73 de la constitution de 1958. Cet article dispose : « Le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière. » Ces mesures peuvent porter sur l'ensemble des règles de droit.
Après dix-sept années de pratique, on ne peut que constater que le statut de région monodépartementale actuel, issu des lois de décentralisation, n'a pas été adapté aux particularités locales. La superposition de deux assemblées et de deux exécutifs sur le même territoire engendre, du point de vue de l'enchevêtrement des compétences, de nombreux dysfonctionnements.
La création des régions d'outre-mer sur la base du modèle métropolitain a engendré un transfert important de compétences du département vers la région. Or, compte tenu de leur engagement antérieur, les départements ont parfois été tentés ou contraints de maintenir leur action dans un domaine normalement transféré.
En outre, l'environnement socioculturel des départements d'outre-mer a contribué à ce que les collectivités investissent des champs de compétence qui ne leur appartenaient pas. La forte demande sociale d'intervention publique, alimentée par les difficultés économiques, mais également par l'insularité - la Guadeloupe est un archipel -, placent les collectivités publiques au coeur de tous les débats et incitent les différentes collectivités à intervenir, parfois malgré leur absence de compétence clairement définie.
Dans ces conditions, pour limiter de tels dysfonctionnements et assurer une meilleure représentativité, il convient de rendre les mandats électifs de conseiller général et de conseiller régional incompatibles dans les régions monodépartementales.
M. le président. Quel est l'avis de commission ?
M. José Balarello, rapporteur. Cet amendement tend à interdire le cumul des mandats de conseiller général et de conseiller régional dans les régions monodépartementales, c'est-à-dire dans les départements d'outre-mer où il est actuellement autorisé, comme en métropole.
Il n'apparaît pas justifié, de l'avis de la commission, de faire un sort particulier aux départements d'outre-mer en matière de cumul des mandats. En tout état de cause, cet amendement ne permettrait pas de résoudre les difficultés liées à la coexistence de deux assemblées sur un petit territoire.
La commission a donc donné un avis défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Cet amendement, compte tenu du fait qu'il y a deux assemblées pour un seul territoire, tend à prévoir un régime de cumul des mandats spécifiques aux départements d'outre-mer, ainsi que vient de le dire M. le rapporteur.
Peut-on créer ce régime particulier ? Le Conseil constitutionnel, appelé à se prononcer sur la Corse, a déclaré contraire aux principes constitutionnels d'égalité une disposition de la loi portant statut de la Corse et visant à interdire aux conseillers à l'assemblée de Corse de cumuler ce mandat avec celui de conseiller général.
Il est vrai que la Corse compte deux départements, sa situation est donc différente de celle des départements d'outre-mer.
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement, sur cette proposition importante, qui évite certes la confusion des pouvoirs, s'en remet à la sagesse du Sénat, en soulignant les problèmes juridiques et constitutionnels qui peuvent se poser.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 256, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement n'est pas adopté).
TITRE VIII
DISPOSITIONS RELATIVES
À SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON
Article 40