Séance du 11 mai 2000
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. Mais, puisque M. le ministre de l'intérieur a récupéré la décentralisation, j'imagine qu'il est plus qualifié que jamais pour me répondre.
Ma question se veut surtout l'expression du désarroi des responsables des collectivités locales, dont nous sommes, ici, les représentants constitutionnels.
Le Gouvernement, comme M. le Premier ministre, a une haute idée du fait de gouverner.
Il se sent en charge de la cohésion sociale de la nation, de l'efficacité de son économie, de l'aménagement et de l'équipement de son territoire, sans parler, bien entendu, des pouvoirs régaliens de l'Etat que sont la diplomatie, la défense, la protection des citoyens et la justice, qu'il gère selon ses conceptions.
Pour assurer la gestion des premiers domaines dont j'ai parlé, les collectivités locales, responsables et, par définition, au contact du terrain, ont leur rôle à jouer, parfois prééminent, ne serait-ce qu'en termes d'investissement public.
Mais comment se fait-il qu'elles se voient aujourd'hui, et en même temps, confier de plus en plus de missions nouvelles - elles ne demandent d'ailleurs bien souvent qu'à les assumer - et encadrées de plus en plus près - c'est là où le bât commence à blesser - jusqu'à la substitution des représentants de l'Etat à leur pouvoir propre, aussi bien dans leurs missions anciennes que dans les nouvelles ?
Comment se fait-il aussi qu'elles se voient imposer une triple évolution constante de leurs finances.
La première est une diminution de leur autonomie fiscale, toujours compensée, ou presque, la première année, mais avec une évolution de la compensation qui les décroche chaque jour un peu plus du bénéfice de la croissance ? Que dire, d'ailleurs, de celles qui, de plus, nouvelles dans leur existence en tant que collectivités territoriales, ou au moins en tant qu'établissement public de coopération intercommunale, n'auront jamais de référence sur la part salaire de la taxe professionnelle ? Vous savez à peu près de quoi je veux parler !
La deuxième évolution, c'est l'introduction, au sein de la DGF, qui devrait être neutre, de plus en plus de considérants d'affectation, qui canalisent leur action, nolens volens, vers des objectifs que prédécide l'Etat.
Enfin, troisième évolution, les collectivités locales se voient appliquer, pour le calcul des dotations de compensation des charges de leurs nouvelles missions, un système au moins aussi mauvais que celui dont je parlais à propos de la suppression de certains impôts locaux.
Nous nous félicitons tous de l'existence de la commission présidée par un de nos anciens premiers ministres, notre éminent collègue Pierre Mauroy. Mais n'est-il pas contradictoire de la pousser à proposer plus de décentralisation, tout en resserrant les marges de manoeuvre des collectivités locales et, en tout premier lieu, leur marge financière, ce qui revient à recentraliser ?
Quelle est, monsieur le ministre de l'intérieur, la véritable voie qu'entend suivre le Gouvernement ? (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, effectivement, je m'exprime en tant que ministre chargé de la décentralisation, vous l'avez noté, et je le fais avec d'autant de coeur que je suis absolument convaincu qu'en l'espace de trois ans nous avons approfondi celle-ci ; la loi que vous avez fini par voter sur l'intercommunalité, que le Sénat, dans son immense majorité, a votée est un grand pas dans cette direction ; cette réforme de l'intercommunalité fait bouger toute notre carte territoriale, et vous le savez bien.
C'est tout de même en rupture avec les orientations précédentes, monsieur Girod, que le Gouvernement a conclu en 1997 avec les collectivités locales un contrat de croissance et de solidarité qui, pour la première fois, les faisait bénéficier d'une indexation sur la croissance, indexation qui est allée elle-même en croissant : 25 %, 30 % et 33 %.
C'est ainsi que les collectivités locales ont pu être associées à de nouvelles politiques publiques : les emplois-jeunes financés à 80 % par l'Etat, les contrats locaux de sécurité, domaine où, généralement, on ne leur demandait pas leur avis. Sur les polices municipales, après accord de la commission mixte paritaire, nous avons adopté une loi qui a finalement réuni toutes les femmes et tous les hommes de bon sens, et ils sont nombreux, sur tous les bancs.
J'ajoute que la réforme de l'intercommunalité que je mentionnais tout à l'heure a été financée non pas, comme précédemment, sur la dotation globale de fonctionnement, mais à partir d'une dotation spéciale de 500 millions de francs, qui s'est révélée insuffisante compte tenu du succès remarquable de cette loi - ce dont on ne peut quand même pas se plaindre ! Je vous fais observer que nous avons abondé cette dotation de 500 millions de francs d'un crédit de 250 millions de francs dans le collectif budgétaire actuellement en discussion.
Enfin, dois-je vous rappeler que les contrats de plan Etat-région ont été dotés de 120 milliards de francs, sans parler de tous les projets hors contrats de plan, pour 20 ou 30 milliards de francs - je ne me souviens plus très bien - c'est-à-dire des chiffres tout à fait importants et qui élargissent la marge des collectivités locales ?
Je mentionne au passage la suppression des financements croisés de l'aide sociale, la baisse de la taxe d'habitation...
M. le président. Monsieur le ministre, je vous prie de conclure.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je conclurai sur ce point.
Quand on regarde les choses sur les cinq dernières années, 1994-1999, on constate que les bases de la taxe d'habitation pour les régions n'ont pas augmenté plus vite que la DGF indexée sur la moitié du PIB : 11,35 % par rapport à 11,50 %. Vous le savez très bien, l'indexation sur le PIB va faire que la dotation globale de fonctionnement augmentera l'an prochain de 3 %.
Il n'est donc pas exact de dire que les collectivités locales sont sanctionnées.
J'aurai l'occasion de revenir sur tous ces sujets puisqu'une seconde question pointe à l'horizon.
Je me réjouis quand même, monsieur Girod, de constater que vous-même et un certain nombre de vos collègues, qui n'avez pas voté les lois de décentralisation présentées par Gaston Defferre, non plus que la loi sur l'administration locale de la République, vous êtes aujourd'hui convertis au principe d'une décentralisation plus poussée, dont vous trouverez toujours en moi l'avocat, dans le respect, bien sûr, des exigences de la cohésion nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
TAUX DE CHANGE DE L'EURO