Séance du 23 mars 2000
CONSULTATION
DE LA POPULATION DE MAYOTTE
Suite de la discussion
et adoption d'un projet de loi
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi organisant une consultation de
la population de Mayotte.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Henry.
M. Marcel Henry.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
depuis longtemps, vous m'avez entendu demander régulièrement à cette tribune et
à l'adresse des gouvernements successifs que soit organisée la consultation de
la population sur son avenir statutaire telle qu'elle est prévue par les lois
du 24 décembre 1976 et du 22 décembre 1979.
Aujourd'hui, avec le projet de loi qui nous est soumis, le Gouvernement
propose d'organiser une consultation de la population mahoraise et vous me
voyez tout à fait défavorable à cette proposition. Je vous dois donc quelques
explications.
Avant d'en venir à mes motivations relatives au projet de loi, je veux
rappeler quelques réalités historiques que, dans sa majorité, le Sénat n'ignore
pas.
Mayotte est française depuis 1841. Depuis cette date et grâce à l'abolition de
l'esclavage en 1846, à la mise en place progressive d'une administration
compétente et honnête, à la mise en valeur agricole de son territoire, notre
île a été soustraite aux convoitises politiques de ses voisins, protégée des
razzias malgaches qui la dévastaient régulièrement, abritée des revendications
territoriales venues de ces Comores que les historiens ont appelées «
l'archipel des sultans batailleurs ».
C'est dire que, pour les Mahorais et depuis près de cent soixante années, la
souveraineté française est la garantie absolue des libertés publiques et de
l'épanouissement des libertés individuelles.
Peu de temps après l'établissement du protectorat français sur les trois
sultanats des Comores, Mayotte, qui était le chef-lieu du nouvel ensemble, a
été rattachée à Madagascar. Mayotte et les Comores ont obtenu en 1946 une
relative autonomie administrative renforcée en 1956-1957 par la loi-cadre dite
« Defferre » et par ses textes d'application.
En 1958, avec l'adoption de la Constitution de la Ve République, il est apparu
clairement que les DOM avaient vocation à l'intégration dans l'ensemble
français, tandis que les TOM étaient promis à l'indépendance, au moins à une
très large autonomie.
Dès ce moment - et plus précisément dès le 2 novembre 1958 - les Mahorais
n'ont cessé de réclamer la départementalisation de l'île, alors que les
Comoriens ne cessaient d'avancer vers l'indépendance et de tenter, avec le
soutien des gouvernements français, d'y entraîner Mayotte contre la volonté de
ses habitants.
En 1974-1975, Mayotte n'a dû qu'au Parlement, et spécialement au Sénat, de
n'être pas précipitée malgré elle dans une indépendance dont chacun peut
aujourd'hui apprécier les résultats après vingt-cinq années de coups d'Etat, de
dictature, de corruption et de sous-développement causés par ceux-là même qui
ont la responsabilité du développement.
C'est dire que les Mahorais ont pris l'habitude de faire confiance au
Parlement français, au Sénat en particulier, et de croire à la force de la loi
plus qu'aux discours politiques des gouvernements successifs.
Dans son remarquable rapport, notre collègue José Balarello a bien rappelé
qu'après la confirmation en février 1976, à une écrasante majorité de la
volonté des Mahorais de rester Français, ils avaient été à nouveau consultés en
avril 1976 sur leur statut.
M. Stirn, alors ministre, avait promis que Mayotte pourrait choisir le statut
de département.
Il n'en fut rien et les Mahorais durent imprimer un bulletin sauvage pour
pouvoir revendiquer, là encore avec une immense majorité, l'adoption du statut
de DOM et l'abandon du statut de TOM.
Finalement, impressionné par cette détermination, le Gouvernement avait déposé
un projet de loi sur la départementalisation de Mayotte.
Un mois plus tard, devant l'Assemblée nationale consternée, le Gouvernement
retirait son projet de loi de l'ordre du jour, tout en indiquant que la
départementalisation demeurait son objectif.
En décembre 1976, un nouveau projet de loi était adopté, faisant de Mayotte
une collectivité territoriale spécifique mais promettant à la population
qu'elle pourrait choisir d'adopter le statut départemental après un délai de
trois ans.
Trois ans plus tard, le Gouvernement proposait de proroger de cinq ans le
délai d'organisation de la consultation, mais maintenait la possibilité d'opter
pour le statut départemental.
Cinq ans plus tard, le Gouvernement de M. Fabius tentait, par un nouveau
projet de loi, d'abroger les lois de 1976 et 1979 en ce qu'elles prévoyaient la
consultation de la population et une possible départementalisation ; mais il
renonçait finalement à faire discuter son projet.
Depuis cette date, les Mahorais et leurs élus n'ont pas cessé de réclamer
l'application des lois de 1976 et 1979. En 1995, les deux candidats au deuxième
tour de l'élection présidentielle se sont engagés à appliquer ces lois et M. le
Président de la République a souligné que Mayotte avait vocation à devenir un
département d'outre-mer.
Aujourd'hui, on vous propose de renier ces engagements et d'abroger
implicitement les lois qui permettaient aux Mahorais de choisir leur statut.
Pour ma part, je ne peux y consentir.
C'est en effet au respect de la loi et de la parole donnée que je veux appeler
ici.
Depuis plus de quarante ans, une population isolée, sans grands moyens de
pression sur les gouvernements, sans autre arme que son attachement à la France
et son respect des lois de la République, sans autre force que ses convictions
sincères, sans autre argument que la démonstration quotidienne par les troubles
politiques affectant sa région, du bien-fondé de ses choix, cette population
mahoraise, donc, demande le statut qui lui paraît garantir ses libertés.
Depuis quarante ans, on lui promet de lui donner satisfaction et, depuis
quarante ans, on la trompe en reportant sans cesse la départementalisation et
en trouvant toujours de nouvelles raisons pour le faire.
Depuis vingt-quatre ans, le législateur a promis, avec la force qui s'attache
à la loi, que Mayotte pouvait, si elle le choisit librement, adopter le statut
de département. Et, depuis vingt-quatre ans, les gouvernements successifs
reportent la consultation de la population ou négligent de l'organiser, malgré
tous les engagements pris devant les Mahorais.
Aujourd'hui, tirant argument de cette négligence elle-même, le Gouvernement
vient nous dire qu'il n'est plus possible d'appliquer la loi. Si, d'aventure,
on ne l'applique pas, que peut valoir, aux yeux de tous, toute prochaine loi
statutaire sur Mayotte ? Je vous le demande publiquement, monsieur le
secrétaire d'Etat, qu'est-ce qui vous empêche d'appliquer la loi et de donner
aux Mahorais le choix statutaire que le Parlement leur a promis ?
A vous, mes chers collègues, je veux dire que les motivations gouvernementales
sont idéologiques et diplomatiques.
Mayotte, voyez-vous, ne va pas dans le bon sens ! Lorsqu'un territoire
français - ou une minorité active de sa population - veut aller vers
l'indépendance, on est prêt à le consulter, à définir des statuts successifs
facilitant cette démarche, à modifier la Constitution comme on nous l'a proposé
récemment, à bousculer toutes les règles de notre droit public sur le suffrage
universel, sur l'accès aux emplois publics, sur les compétences de l'Etat, que
sais-je encore ?
Mais lorsqu'on veut simplement rester Français avec un statut garantissant cet
avenir français et les libertés, on ne va pas dans le sens de l'histoire et on
n'est pas respectable. Voilà pour l'idéologie !
Quant à la diplomatie, elle est omniprésente dans ce dossier, mais en
coulisses. Depuis vingt-cinq ans, les Comores, l'Assemblée générale de
l'Organisation des Nations Unies, l'Organisation de l'unité africaine et la
Conférence islamique exigent que Mayotte soit rattachée à la République
islamique comorienne contre la volonté de ses habitants.
Depuis un quart de siècle, la diplomatie française s'emploie à démontrer que
la France laisse cette possibilité ouverte, que rien n'est irréversible et que,
surtout, on n'accordera pas aux Mahorais une départementalisation qui ruinerait
les chances de l'intégration forcée dans l'ensemble comorien.
Telles sont, mes chers collègues, les véritables motivations du Gouvernement
et je veux vous en donner une preuve très parlante. Chaque fois qu'il a été
question devant le Parlement français de Mayotte et de son avenir, vous avez
toujours entendu, comme un concert, les récriminations des organisations
internationales que je viens de citer. Cette fois, rien ! Tout se passe comme
si la diplomatie française avait signifié à ses interlocuteurs : « Laissez-nous
faire ! Soyez patients, nous allons régler le problème, car nous avons trouvé
le moyen de diviser les Mahorais ».
Je reviendrai sur cette désunion artificiellement provoquée, mais je veux
insister sur cette obsession de notre diplomatie : se débarrasser de Mayotte.
Voilà pourquoi le document élaboré par le Gouvernement insiste sur le caractère
prioritaire de l'insertion de Mayotte dans son environnement régional.
L'objectif visé est bien, à terme, l'intégration forcée de Mayotte dans
l'ensemble comorien.
Vos arguments n'y changeront rien, monsieur le secrétaire d'Etat. Chaque fois
qu'on a présenté aux Mahorais un autre statut que celui de département comme
garantie de leur avenir français et de leur développement, on l'a présenté en
même temps aux adversaires de Mayotte comme une promesse de règlement
diplomatique de l'affaire mahoraise. Et c'est ce que vous avez fait, cette fois
encore.
Pour « faire passer la pilule », si j'ose dire, vous avez tenté de convaincre
la représentation nationale, les élus de Mayotte et les Mahorais eux-mêmes, de
l'impossibilité d'appliquer à Mayotte le statut départemental. Je veux examiner
vos principaux arguments.
Une bonne partie de votre argumentation - qui a eu des échos jusque chez
certains membres de la commission des lois - est concentrée sur l'existence à
Mayotte d'un statut civil particulier, largement inspiré du droit musulman, et
de juridictions spécifiques chargées de l'appliquer.
Je veux vous rappeler que ce statut civil personnel est prévu par l'article 75
de la Constitution et qu'il est sans rapport avec le statut administratif du
territoire dans lequel il s'exerce. Ainsi un Mahorais vivant dans un
département métropolitain conserve-t-il son statut personnel, même s'il est
musulman et polygame. C'est l'avis exprimé devant le groupe de réflexion sur
l'avenir de l'île par les plus grands juristes, parmi lesquels le président de
la section de l'intérieur du Conseil d'Etat, ou l'actuel directeur de cabinet
de M. le Premier ministre, ou encore le professeur Luchaire, auxquels on ne
peut pas reprocher d'être éloignés du Gouvernement...
C'est d'ailleurs aussi votre avis, puisque vous avez déclaré que votre projet
n'excluait pas la départementalisation dans dix ans. Or, vous n'espérez
sûrement pas que, dans dix ans, les Mahorais auront changé de religion et de
statut personnel ! Vous reconnaissez donc vous-même qu'il n'y a aucune relation
entre ces questions et celle de la départementalisation.
Qu'il faille moderniser ce statut et réformer les tribunaux qui l'appliquent,
cela est évidemment bien nécessaire. La loi vous le permet, et vos
prédécesseurs ont eu vingt-cinq ans pour le faire. Faites-le donc, et nous vous
en saurons gré. Mais si le fond de votre pensée, c'est qu'on ne peut être
Mahorais, musulman, pauvre, éloigné, et être citoyen français à part entière,
dites-le nous franchement !
J'insiste sur ce point, car votre autre série d'arguments nous amène à douter
sérieusement de la sincérité de vos motivations. Vous dites - et vous faites
dire - que le sous-développement actuel de Mayotte, les déséquilibres de son
économie, la faiblesse de son système social, le particularisme de sa
démographie, les spécificités de sa culture seraient autant d'obstacles à la
départementalisation.
Notez tout d'abord que l'article 73 de la Constitution vous permet tout à
fait, dans le cadre du statut départemental, d'adapter la loi aux
particularismes mahorais.
Constatez ensuite avec nous que ce sont ces mêmes retards et handicaps de
développement qui motivent aujourd'hui le projet de création d'un deuxième
département à l'île de la Réunion.
Demandez-vous surtout s'il est bien digne de la part d'un gouvernement
français de reprocher à une population française le sous-développement dans
lequel on l'a abandonnée.
Vous dites, par exemple - et vous en avez persuadé les différentes missions
parlementaires - que 75 % des Mahorais ne parlent pas le français.
Ces chiffres sont faux, puisque depuis 1980 l'enseignement est généralisé et
obligatoire, et que 65 % des Mahorais ont moins de vingt ans.
Mais s'ils étaient exacts, seraient-ils à l'honneur de la France et
seraient-ils opposables aux Mahorais ? Ceux-ci sont attachés à leur langue, il
est vrai, mais à l'heure où, dans les départements français, les
particularismes linguistiques sont exaltés jusque contre les lois de la
République, peut-on reprocher aux Mahorais de parler mahorais ? Peut-on leur
reprocher d'avoir des dépenses de santé publique par habitant dix fois
inférieures à celles que l'on constate en métropole ? Peut-on leur reprocher
une immigration clandestine - venue des Comores -, que le Gouvernement devrait
contrôler ? Peut-on leur reprocher de connaître une croissance démographique
que seul le développement et l'instruction peuvent freiner ? Peut-on leur
reprocher de n'avoir aucune des garanties sociales que la solidarité offre à
tous les autres Français ? Peut-on leur reprocher d'être privés, dans tous les
domaines économiques et sociaux, des outils de développement que la
collectivité nationale leur doit et que la départementalisation leur
apporterait ?
Non, monsieur le secrétaire d'Etat, ces arguments ne sont pas bons et vous
devriez, au contraire, être touché par la constance et la sincérité de
l'attachement à la France que manifeste une population pour laquelle on a si
peu fait. A vous, mes chers collègues, je demanderai si, au lieu d'inventorier
les retards de développement de Mayotte, le moment ne serait pas venu d'y
mettre fin comme on a voulu le faire pour les départements d'outre-mer par la
loi de 1946 et par les vigoureuses politiques de développement,
d'investissement public et d'égalité sociale qui y ont été conduites.
Au lieu de cela, le Gouvernement nous propose, sur la base d'un vague document
d'intention dépourvu de tout chiffrage et de tout calendrier, de créer une
nouvelle catégorie juridique pour l'outre-mer : la collectivité
départementale.
Dans le premier document qu'il avait élaboré à la fin de 1998, le Gouvernement
présentait explicitement cette solution comme une étape, une sorte de sas vers
la départementalisation. Il avait également accepté le principe d'une nouvelle
consultation de la population incluant, après dix ans, la possibilité de
choisir le statut de département.
Sur cette base nous étions d'accord pour regarder la collectivité
départementale comme une transition et j'avais proposé, avec le député de
Mayotte et un certain nombre d'élus mahorais, une série de mesures propres à
donner un véritable contenu économique et social à cette transition.
Le Gouvernement a observé un silence total pendant six mois et il a soudain
produit, probablement en raison des pressions diplomatiques que j'évoquais tout
à l'heure, un nouveau document revenant sur les engagements qu'il avait pris :
il n'est plus question de département ni de nouvelle consultation dans dix ans.
Voilà pourquoi nous refusons le projet gouvernemental.
Nous pensons d'abord que, ainsi proposée comme un statut définitif, la
collectivité départementale est d'une grande faiblesse juridique, ce qu'il
appartiendra au Conseil constitutionnel de juger.
Mais notre refus est surtout politique, monsieur le secrétaire d'Etat.
A l'origine, vous nous avez dit être à la recherche du plus large consensus
local à l'appui de votre solution. Je viens de vous rappeler les deux
principales conditions que nous avions mises à notre accord. Il ne tenait qu'à
vous d'intégrer ces deux points dans votre projet et de trouver ainsi, à
Mayotte, un large assentiment populaire pour une transition vers la
départementalisation. Et vous pouvez encore les intégrer. Ce serait la seule
amélioration possible de ce texte qui est mauvais. Certes, je salue les efforts
de la commission des lois du Sénat pour amender votre projet de loi, mais pas
plus que je n'ai présenté d'amendements sur l'essentiel, je ne voterai ses
propositions. Pour moi, il faut une solution claire : à vous de renoncer à
votre manoeuvre ou de persister.
En réalité, vous ne voulez pas de consensus. Vous avez recherché l'épreuve de
force politique. Et vous vous êtes laissé persuader par des votes téléguidés
des conseils municipaux et du conseil général que votre projet recueillerait
une très forte majorité et vous permettrait de marginaliser des parlementaires
qui n'ont pas l'heur de vous plaire.
Je n'insisterai pas sur les pressions individuelles que l'administration a
exercées sur un certain nombre d'élus locaux. Je n'insisterai pas davantage sur
le renforcement des pouvoirs personnels promis à ces élus locaux par votre
document, qui prévoit un schéma de décentralisation proche de l'autonomie
interne, lequel, vous le savez vous-même, est totalement inadapté à Mayotte. Je
n'insisterai guère plus sur l'incroyable partialité de l'administration d'Etat
à Mayotte et de la radiotélévision publique qui mènent depuis des mois une
campagne vigoureuse contre la départementalisation et pour votre document,
comme si la consultation que vous annoncez ne concernait pas d'abord les
Mahorais. Je ne reviendrai pas sur votre récente tournée électorale mahoraise,
au cours de laquelle vous avez présenté les financements qui nous étaient dus
comme les premiers effets de votre futur statut et vous avez fait la promotion
systématique de vos amis politiques. Tout cela n'a guère d'importance.
Pour aujourd'hui, je veux seulement vous inviter à ne pas vendre la peau de
l'ours que vous n'avez pas tué. Vous dites que deux tiers des élus municipaux
ont voté pour votre document. Lorsqu'il s'agit des Antilles-Guyane, vous
soulignez que les élus réclamant une réforme institutionnelle s'arrogent des
pouvoirs que les électeurs ne leur ont pas donnés.
M. Georges Othily.
Ah bon ? Vous avez dit ça, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Marcel Henry.
C'est exactement ce que vous encouragez à Mayotte : les conseils municipaux et
le conseil général ont à gérer leurs affaires locales, et c'est à la population
de décider de son futur statut dans les limites que la loi lui a fixées. C'est
d'ailleurs pourquoi je n'ai pas voulu recourir aux multiples procédures -
motion de renvoi à la commission, motion tendant à opposer la question
préalable ou autre - qui auraient permis de faire obstacle à votre projet. En
effet, les parlementaires mahorais et leurs amis départementalistes ne
redoutent pas la manifestation de l'opinion de la population. Au contraire, ils
la souhaitent.
Demain, si le Parlement vous autorise à organiser la consultation sur les
bases faussées que vous avez choisies, la population vous dira clairement son
refus. Que ferez-vous donc alors, monsieur le secrétaire d'Etat ? Si les
Mahorais vous répondent « non », déciderez-vous enfin d'appliquer la loi ?
J'ai le souvenir d'une époque, en 1966, où, déjà encouragés par le
Gouvernement français, les dirigeants comoriens avaient réussi à détourner les
élus mahorais des engagements qu'ils avaient pris devant la population. Alors
les femmes mahoraises s'étaient levées ; elles s'étaient réveillées : elles
s'étaient opposées au largage qu'on leur promettait ; elles avaient fait
entendre leur détermination, leur volonté inébranlable de rester françaises.
Comme aujourd'hui, j'étais bien isolé parmi les responsables politiques
mahorais à les accompagner et, pourtant, elle avaient finalement gagné.
Aujourd'hui, la population mahoraise pense que cette première victoire doit
être parachevée par l'accession au statut de département. Pour ma part, c'est
la mission que j'ai reçue de ceux qui me font confiance depuis très longtemps
et je ne m'en laisserai pas détourner par des promesses, par des manoeuvres ou
par des mirages.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette obstination vous agace et
qu'elle vous paraît même incompréhensible. Laissez-moi donc, pour conclure,
vous dire quelques mots personnels. Voilà plus de quarante ans que je me bats
pour cette idée simple : les Mahorais doivent pouvoir choisir librement leur
avenir et le statut dans lequel ils le vivront. S'il ne s'agissait, comme le
suggèrent vos amis, que de mon confort personnel ou de mes intérêts matériels,
j'aurais eu par le passé, et j'aurais encore aujourd'hui, le plus grand
avantage à consentir à des arrangements avec mes principes, à des compromis de
circonstance, à des accords qui se font « sur le dos » de la population. Je ne
l'ai jamais fait et je ne le ferai pas, car je crois qu'en politique l'honneur
consiste à se tenir strictement à ce que l'on croit juste et vrai.
Je crois que votre projet n'est pas juste pour Mayotte. Je sais que l'avenir
le démontrera. C'est pourquoi je m'y opposerai avec mon parti, que vous feignez
d'ignorer, le Mouvement départementaliste mahorais. Et je demanderai à la
population mahoraise de le refuser.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
quand la grande aventure tellurique faisait surgir toutes ces îles autour de
Mayotte, dans le désordre et la confusion des temps géologiques anciens, on
peut imaginer que des dieux ou des fées insensibles à la brutalité volcanique,
soucieux de paix et d'harmonie, se sont penchés sur Mayotte pour lui dessiner
une immense barrière de corail afin de la protéger des aventures du large et de
la distinguer, commme on donne une châsse à une pierre précieuse.
Cependant, lorsqu'on arrive à Mamoudzou, on est convaincu que le peuple
mahorais, pendant plus d'un siècle et demi, s'est obstiné à se réclamer d'une
France lointaine, quelquefois oublieuse, indifférente à son affection
candide.
Voilà, je crois, un démenti pour tous les pronostics politiques de ceux qui ne
croient pas à la liberté des hommes et à leur attachement à la République.
C'est pourquoi l'accord signé à Paris le 27 janvier 2000 est, selon moi, d'une
clarté implacable et ne soulève aucune ambiguïté quant à la décision d'une
consultation, que je souhaite pour la dernière fois, du peuple mahorais sur sa
volonté de répondre massivement « oui » à la question suivante : «
Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier
2000 ? »
Cet accord, approuvé par la très grande majorité des élus locaux et signé par
tous, à l'exception des parlementaires de l'île, prévoit de substituer un
statut de collectivité départementale à l'actuel statut régi par la loi du 24
décembre 1976. Ainsi, les grandes orientations du futur statut tendraient à
rapprocher progressivement du droit commun l'organisation et les compétences
des communes, à mettre en place des services déconcentrés d'Etat, à maintenir
le principe de spécialité législative tout en se rapprochant de celui des
départements d'outre-mer, voire en s'y identifiant, et à agir en faveur du
développement économique et social.
Mes propos porteront, d'une part, sur l'urgence d'un changement et, d'autre
part, sur certaines réserves concernant l'avenir institutionnel de l'île.
Mes chers collègues, Mayotte est une collectivité territoriale dotée d'un
statut original, conforme à l'article 72 de la Constitution, qui la fait
bénéficier de nombreux particularismes.
En matière fiscale, je rappellerai que la fiscalité relève de la compétence
territoriale et que l'ensemble des impôts est perçu au profit de la
collectivité. Néanmoins, les communes ne disposent d'aucune recette fiscale
propre.
Dans le domaine du droit civil et de l'organisation judiciaire, il existe un
statut civil local pour la grande majorité de la population mahoraise,
directement inspiré du droit coranique. Ce statut, certes multiséculaire, pose
de nombreux problèmes dans le domaine de la citoyenneté française. Par exemple,
un métropolitain peut difficilement concevoir que l'on puisse appliquer des
décisions civiles et judiciaires qui reconnaissent la polygamie, admettent la
répudiation de la femme, approuvent l'inégalité des sexes en matière
successorale ou ignorent la procédure contradictoire et la présence d'avocats,
comme l'a souligné ce matin notre excellent rapporteur. Aussi n'est-ce pas
faire preuve de réalisme que de constater que le statut actuel de Mayotte, son
organisation sociale et ses réalités culturelles constituent également, c'est
vrai, un frein au développement de l'île ?
En outre, Mayotte connaît de très nombreuses difficultés économiques et
sociales. Sa démographie est galopante. Ses infrastructures sont
particulièrement faibles. Son isolement empêche tout développement économique.
Son taux de chômage touche plus de 30 % de la population active.
Dans un tel contexte, mes chers collègues, parallèlement à la mise en place
d'un projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, le Gouvernement s'est engagé
sur la voie de la modification institutionnelle, plus exactement sur la voie de
la départementalisation à terme de l'île. Pour ce faire, il propose
l'organisation, dans les prochains mois, d'une consultation populaire locale
qui permettra aux électeurs de Mayotte d'approuver ou non l'avenir de leur île
tel qu'il est prévu par l'accord du 27 janvier 2000.
C'est sur les conséquences générées par ce référendum local que j'aborderai la
seconde partie de mon propos.
Ce matin, notre débat en commission des lois vous a permis, monsieur le
rapporteur - et j'apprécie hautement votre compréhension - de modifier
l'amendement que vous vouliez présenter et visant à compléter la question qui
serait posée à la population mahoraise. Cette rédaction me paraissait
difficilement acceptable dans la mesure où elle rendait trop complexe une
question posée à une population qui, à plus de 60 %, ne maîtrise pas la langue
française, alors même que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 2
juin 1987, impose une double exigence de loyauté et de clarté, et l'absence
d'équivoque.
En second lieu, il est question de doter l'île de Mayotte d'un statut de
collectivité départementale dont l'ossature générale la rapprocherait du
département d'outre-mer, tout en lui laissant, compte tenu de son histoire et
de sa culture, une certaine marge d'adaptation. Autrement dit, l'intérêt serait
d'octroyer à l'île un statut sur mesure. Celui qui vous parle sait d'expérience
que si, dans son pays, la départementalisation a eu des effets bénéfiques sur
le plan sanitaire, elle a en revanche asphyxié l'économie. C'est pourquoi,
aujourd'hui, nous remettons en cause le système départemental.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, croyez-vous sérieusement
que l'on puisse adapter à Mayotte l'ensemble des dispositions législatives et
réglementaires appliquées dans les départements d'outre-mer ? Le 11 mars
dernier, M. le Président de la République déclarait à la Martinique que
l'institution départementale, fondée sur l'assimilation et qui a longtemps été
synonyme de progrès et de dignité, a probablement atteint ses limites, que les
statuts uniformes ont vécu et que chaque collectivité d'outre-mer doit pouvoir,
désormais, évoluer vers un statut différencié.
Si le Gouvernement admet que le système départemental ne résiste plus à une
évolution, il importe de retenir qu'il faut rompre avec une vision
traditionnelle consistant à percevoir et à traiter de façon uniforme les
départements d'outre-mer.
L'objectif gouvernemental d'adapter à Mayotte une départementalisation qui
irait à l'encontre de l'histoire et des revendications autonomistes de
l'outre-mer risquerait d'aggraver les nombreux problèmes posés par les réalités
locales. Sans la mise en place de véritables outils de développement, la
départementalisation de Mayotte nous conduira indubitablement au constat selon
lequel on ne peut pas continuer à vivre en permanence sous perfusion avec
l'argent de l'Etat. A tel point d'ailleurs que la position géographique, le
retard économique et l'importance du chômage dans les départements d'outre-mer
nourrissent trop souvent une revendication de plus en plus centrifuge par
rapport à la métropole.
Enfin, je pense sincèrement que des statuts ne sauraient à eux seuls résoudre
les problèmes de Mayotte et de sa population sans le support indispensable d'un
projet économique et social certes ambitieux et respectueux des différences et
des spécificités, mais aussi compatible avec les valeurs intangibles de notre
république.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est pour toutes ces
raisons, et après une analyse des avantages et des inconvénients pour Mayotte,
que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen votera en faveur
du principe de la consultation populaire à Mayotte.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une
délégation de la commission des lois s'est rendue sur l'île de Mayotte au mois
de janvier dernier, sous la présidence de M. le rapporteur José Balarello.
L'ensemble des contacts et des discussions que nous avons pu avoir avec les
acteurs de la vie locale mahoraise me permettent de dire aujourd'hui que
l'initiative prise par le Gouvernement après des années d'incertitudes va enfin
permettre à la population de Mayotte de s'affirmer pleinement dans son choix de
demeurer française.
L'île de Mayotte, qui est devenue française en 1841 et dont les habitants
n'ont, dès lors, jamais cessé de montrer leur attachement à la France, va
pouvoir pleinement s'intégrer à notre république avec un nouveau statut de
collectivité départementale.
Il convient tout d'abord de se rémémorer les étapes successives qui nous
amènent à clarifier le statut de Mayotte.
Lorsqu'en 1976 Mayotte a été érigée en collectivité territoriale
sui
generis
sur le fondement de l'article 72 de la Constitution, il était prévu
que la population serait à nouveau consultée sur un statut nouveau au terme
d'un délai d'au moins trois ans. Or la loi du 22 décembre 1979 a prorogé ce
délai de cinq ans. Force est de constater que cette consultation, si elle était
effectivement prévue, n'a jamais été organisée.
Cependant, cette situation liée à un statut provisoire depuis maintenant
vingt-cinq ans n'a jamais entamé l'attachement d'une population tout entière à
la République française. Aujourd'hui, mes chers collègues, nous devons à mon
avis rendre hommage aux Mahoraises et aux Mahorais, qui ont fait preuve d'une
patience et d'une fidélité sans égales à la France.
C'est pourquoi je pense que nous désirons tous ici, dans cette assemblée, que
le nouveau statut issu des discussions que vous avez impulsées sur le terrain
dès 1997, monsieur le secrétaire d'Etat, et relayé par les travaux des deux
commissions présidées par les anciens préfets de Mayotte, MM. Bonnelle et
Boisadam, permette de répondre aux attentes de la population locale en matière
de développement social et économique, car il ne fait aucun doute que les
incertitudes liées au statut provisoire de l'île ont considérablement ralenti
son développement.
C'est, en tout état de cause, l'esprit du document-cadre sur l'avenir de
Mayotte, successivement approuvé par les représentants mahorais les 3 et 4 août
1999, par les dirigeants de trois partis politiques mahorais, par 14 des 19
conseillers généraux de l'île le 28 décembre dernier, par 16 des 17 communes et
77 % des conseillers municipaux, et, enfin, signé par vous-même, monsieur le
secrétaire d'Etat, le 27 janvier dernier et qui va, d'ici au 31 juillet
prochain, être soumis aux principaux intéressés que sont les 131 000 habitants
de l'île ; c'est d'ailleurs là l'objet même de notre discussion.
L'accord signé le 27 janvier dernier dont il convient d'apprécier le contenu,
puisqu'il a été négocié et approuvé localement, prévoit un certain nombre de
dispositions tendant à organiser un nouveau statut qui sera instauré par la loi
au plus tard avant la fin de l'an 2000, si tel est, bien entendu, le choix des
Mahorais.
Dans ce cas, la future loi modifiera profondément l'actuel statut provisoire
de « collectivité territoriale » défini par la loi de 1976 et fera de Mayotte
une « collectivité départementale ».
Cette nouvelle collectivité, bien que restant une collectivité territoriale au
sens de l'article 72 de la Constitution, marque néanmoins une réelle évolution.
C'est pourquoi la dénomination « départementale » prend tout son sens, même si
Mayotte ne deviendra pas dans l'immédiat un département d'outre-mer.
Le qualificatif « départemental » n'est pas là uniquement pour le symbole ; au
contraire, le nouveau statut de Mayotte tend à faire se rapprocher le plus
possible, en tenant compte des spécificités locales, les départements au sens
classique et le département de Mayotte, avec, comme expression directe, la
concordance entre les élections au conseil général de Mayotte et les élections
cantonales de métropole, ou encore le transfert de l'exécutif du préfet de
Mayotte au président du conseil général.
Cependant, cette concordance des élections cantonales ou encore ce transfert
de l'exécutif sont simplement les dispositifs les plus forts du nouveau statut
et sûrement pas les dispositions qui permettront à Mayotte de véritablement
décoller. Au-delà de ces clarifications institutionnelles nécessaires,
l'exercice de nouvelles compétences, la répartition de moyens supplémentaires,
la dotation de rattrapage, la contractualisation, l'éligibilité aux fonds
structurels européens sont les véritables leviers de l'amélioration de la vie
quotidienne des Mahorais et des Mahoraises.
En effet, le nouveau statut tiendra compte de l'évolution démographique pour
déterminer le nombre de parlementaires, les cartes communale et cantonale
seront réexaminées, les compétences des communes seront progressivement
rapprochées du droit commun, le code des communes sera modernisé, les élus et
les agents bénéficieront de formation ; une chambre de commerce et d'industrie,
une chambre d'agriculture et une chambre des métiers seront également
créées.
A ces mesures, il convient d'ajouter la modernisation du système fiscal et
douanier, la création d'une fiscalité communale ou encore la mise en place du
cadastre.
Une fois les structures adaptées, l'Etat prendra les mesures nécessaires pour
favoriser, d'une part, le développement économique de Mayotte - en matière de
transport pour désenclaver l'île, de protection de l'environnement, de
formation, de nouvelles technologies, d'enseignement primaire et secondaire,
et, plus généralement, d'amélioration des services publics - et, d'autre part,
le développement social, avec une modernisation du système sanitaire et social,
une meilleure prise en charge des problèmes sociaux, de l'enfance, de la
famille et des personnes isolées, l'amélioration de la permanence des soins sur
les secteurs sanitaires ainsi qu'au centre hospitalier de Mayotte.
Complétant cette action sociale, la rénovation de l'état civil est aussi
nécessaire à moyen terme, même si le régime actuel obéit au droit coranique ;
dans ce domaine, on peut citer une amélioration du statut personnel et des
droits de la femme, ainsi qu'un recentrage du rôle des cadis sur les fonctions
de médiations sociales.
Il n'est pas possible de détailler de manière complète l'ensemble du
document-cadre publié au
Journal officiel
le 8 février 2000, mais ces
quelques éléments démontrent l'importance et l'impact positif de ce nouveau
statut tant attendu.
A ce propos, les discussions que nous avons pu avoir en commission des lois
confortent les orientations définies dans le nouveau statut ; mais l'amendement
n° 2 tendant à modifier l'article 3 du projet de loi, article relatif à la
question posée à la population de Mayotte, était, me semble-t-il, contraire à
l'esprit même de l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier
2000. C'est pourquoi je suis satisfait que M. le rapporteur ait retiré cet
amendement ce matin en commission, ce qu'il nous a d'ailleurs confirmé.
S'agissant des autres amendements de la commission des lois, qui ont davantage
un caractère technique quant à l'organisation même de la consultation, le
groupe socialiste les approuvera.
Pour conclure, mes chers collègues, je voudrais simplement saluer ici le
nouveau départ de Mayotte, qui va, dans peu de temps, conforter son
appartenance à la République française, s'intégrer plus largement dans son
espace physique et géographique, mais aussi et surtout connaître une
amélioration de la vie quotidienne des hommes et des femmes qui font toute la
richesse de cette île française.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi
qu'au banc de la commission.)
M. le président.
La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, «
spécificité », tel est bien le mot le plus approprié qui puisse définir Mayotte
: spécificité géographique, spécificité politique, spécificité économique,
spécificité sociale.
Géographiquement, à 8 000 kilomètres de la métropole, Mayotte, dans l'océan
Indien, se situe au sud de l'archipel des Comores, à 300 kilomètres de
Madagascar, à 1 500 kilomètres de La Réunion, le département d'outre-mer le
plus proche.
Avec seulement 374 kilomètres carrés pour 131 000 habitants, l'île connaît une
densité de population de plus de 350 habitants au kilomètre carré, densité
qu'aggrave encore une forte immigration, difficilement contrôlée, en provenance
des archipels voisins.
Spécificité politique, ensuite, parce que, partie de l'archipel des Comores,
Mayotte refusa d'être associée en 1975 à la proclamation d'indépendance des
îles de Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli, et vit, depuis la loi du 24
décembre 1976, comme une collectivité territoriale à statut particulier, sur le
fondement de l'article 72 de la Constitution.
Ce statut aujourd'hui en vigueur est inadapté. Et depuis vingt-quatre ans,
Mayotte attend d'être consultée sur l'évolution de son statut, consultation
pourtant prévue par la loi de 1976.
L'un des inconvénients d'une telle situation est de rendre actuellement
Mayotte inéligible aux fonds structurels européens, parce que cela exige une
mise en conformité avec le droit communautaire, et nous en sommes loin. Mais je
sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous recherchez activement une
solution loyale à cet important problème et je vous demanderai de bien vouloir
nous en dire quelques mots tout à l'heure.
Tout cela se situe dans un contexte démographique, économique, social et
surtout juridique qui marque Mayotte par un important retard de développement
en comparaison d'autres départements d'outre-mer.
Cette situation est ainsi magistralement exposée par le remarquable rapport de
notre excellent collègue José Balarello.
C'est pourquoi le projet de loi qui nous est soumis prévoit que la population
mahoraise sera consultée avant le 1er juillet prochain sur les grandes
orientations d'une réforme statutaire inspirée d'un document intitulé « Accord
sur l'avenir de Mayotte ».
Cet accord, publié le 8 février dernier au
Journal officiel
, a été
conclu par le Gouvernement, le président du conseil général de Mayotte et les
représentants des trois principales formations politiques, à l'exception - cela
doit être noté - des deux parlementaires, sénateur et député, et de la
formation qu'ils ont récemment créée, le mouvement départemental mahorais.
Le processus proposé peut être rapproché - mais à certains égards seulement -
de celui qui fut récemment instauré en Nouvelle-Calédonie puisque, s'il est
approuvé, l'accord sur l'avenir de Mayotte soumis à consultation générera, par
ses grandes orientations, un projet de loi destiné à définir un nouveau statut
pour Mayotte, qui deviendrait de manière spécifique « collectivité
départementale » pour une période transitoire de dix ans.
C'est ensuite, en 2010, qu'il est prévu que, sur proposition du conseil
général statuant à la majorité qualifiée, un projet de loi sera soumis au
Parlement concernant l'avenir institutionnel de Mayotte, en fonction de
l'évolution de la situation et de la spécificité mahoraise, sur laquelle nous
n'insisterons jamais assez.
Ainsi, pendant les dix années à venir, Mayotte restera collectivité
départementale à statut particulier, dans le cadre de l'article 72 de la
Constitution, et continuera à être régie par le principe de la spécificité
législative.
Une telle situation ne sera bien entendu définie que si, au terme de la
consultation prévue, est approuvé l'accord sur l'avenir de Mayotte. Notons
d'ailleurs qu'il a déjà été approuvé par la majorité du conseil général de
Mayotte, par 14 voix sur 19, et par 16 conseils municipaux sur 17.
Regrettons cependant - et je le déplore sincèrement - que les deux
parlementaires aient refusé de signer ce document incitatif et complet.
Notre excellent rapporteur n'a pourtant ménagé ni ses efforts ni ses
arguments, persuasifs parce que pertinents, afin d'obtenir un consensus
général. Il a démontré que l'accord proposait un processus de sagesse, évitant
de précipiter les événements et se gardant des orientations hâtives, qui ne
pourraient qu'être sources de différends, voire de conflits locaux fort
éloignés de l'intérêt général intelligemment compris.
La spécificité de Mayotte implique en effet une évolution exigeante mais
prudente, tenant compte de différents éléments.
Je citerai ainsi les particularités du droit civil et de l'organisation
judiciaire, avec un dualisme délicat à traiter, et le constat d'une démographie
encore accélérée par l'immigration venue en grande part, et clandestinement, de
l'environnement. Notons en effet que la population recensée est passée de 32
600 habitants en 1966 à 131 000 en 1997, et qu'à ce rythme une prévision de 250
000 habitants dans dix ans, c'est-à-dire en 2010, est plus que probable.
Dans le droit-fil de ce contrat, je citerai encore l'aggravation du taux de
chômage élevé qui résulte de cette situation démographique, ainsi que les
énormes besoins concernant l'éducation, la formation des jeunes, le
logement.
Je citerai aussi la grande faiblesse de la francophonie, qui, pardonnez-moi
d'avoir à le dire, est une réalité. Ainsi, je ne sais, monsieur Henry, si 75 %
de la population ne parlent pas français, mais, bien que 75 % de cette même
population aient moins de vingt ans, et quels que soient les progrès de la
scolarisation que vous avez évoqués, on constate quand même qu'une très grande
majorité de Mahorais n'est pas francophone.
Bref, il faut tenir compte des handicaps liés à l'éloignement, à l'insularité
et au sous-développement, sans oublier - et j'insiste sur ce point - les
revendications territoriales de la République fédérale islamique des Comores,
qui, dès l'origine de la proclamation unilatérale de son indépendance, exigea
que Mayotte, qui s'y oppose formellement, lui soit intégralement rattachée.
La France, bien entendu, protège et continuera de protéger la liberté de choix
de Mayotte, bien qu'ayant été condamnée à plusieurs reprises par certaines
organisations internationales peu averties du problème, telles que l'ONU ou
l'OUA, en vertu de la règle de l'intangibilité des frontières des Etats issus
de la décolonisation, sans tenir compte de l'évolution de la situation.
Il importe, à l'évidence, de ne pas figer de manière définitive les
perspectives d'évolution institutionnelle de Mayotte dans le cadre de la
République française, mais en ayant à l'esprit l'expression du Président de la
République selon laquelle « les statuts uniformes ont vécu et chacune des
collectivités d'outre-mer doit pouvoir désormais, si elle le souhaite, évoluer
vers un statut différencié et, en quelque sorte, un statut sur mesure ».
Telle est bien la conclusion à laquelle aboutissent notre excellent collègue
José Balarello, rapporteur de la commission des lois, ainsi que ceux qui l'ont
accompagné dans son déplacement à Mayotte.
Il serait absurde de traiter le statut de Mayotte sans tenir, avec sagesse, le
plus grand compte de tous les éléments qui concourent à sa spécificité, et
d'arrêter, voire de fixer dès maintenant de manière législative la qualité de
son statut en 2010, alors que tout l'objet de cette période transitoire de dix
ans qui nous est proposée est de laisser le temps à la réflexion et à une sage
évolution.
Il apparaît en effet utile de tenir compte de l'évolution du monde, et
également de garantir la confiance que nous gardent ces populations
d'outre-mer, auxquelles nous lient des devoirs qui sont tout simplement ceux de
l'honneur de la paix française, n'ayant pour objet que le seul intérêt
général.
C'est pourquoi, au bénéfice des observations de la commission des lois, le
groupe du Rassemblement pour la République adoptera le présent projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'examen de ce projet de loi relatif à la consultation de la population de
l'île de Mayotte s'inscrit pleinement dans le processus en cours depuis 1997
concernant le devenir institutionnel des départements, territoires et
collectivités d'outre-mer.
La situation de l'île de Mayotte est d'ailleurs, de ce point de vue,
particulièrement significative quant aux défis et aux enjeux qui se présentent
devant nous.
Un rappel de quelques éléments historiques s'avère indispensable.
Lors de l'indépendance de l'archipel des Comores, consécutive à la loi du 31
décembre 1975 sur l'autodétermination de l'archipel, on sait que l'île de
Mayotte avait opté, par référendum, pour son maintien dans la République
française.
Il serait, aujourd'hui, quelque peu fastidieux de revenir sur les
circonstances qui ont présidé à cette situation, mais toujours est-il que nous
nous devons de constater que, depuis février 1976, date du référendum, la
situation de l'île, en tout cas au plan institutionnel, est demeurée
stationnaire, aucune solution n'ayant été mise en oeuvre malgré la promesse de
l'organisation d'une consultation.
Le temps passant, la situation mahoraise s'est cependant particulièrement
complexifiée.
L'île, à l'égal d'autres territoires, départements et collectivités
d'outre-mer, est confrontée à de multiples problèmes et doit relever notamment
les défis de l'expansion démographique, de l'éducation et de la formation, de
la santé et, de manière plus générale, du développement économique et social,
compte tenu, notamment, de la question de l'emploi.
L'île est également confrontée aux problèmes liés à l'archipel comorien,
notamment aux tensions animées par les îles regroupées dans la République
fédérale islamique.
Un grand nombre d'habitants de l'île d'Anjouan résident en effet aujourd'hui à
Mayotte, ce qui, à terme, ne sera pas sans poser un certain nombre de nouveaux
problèmes.
Nous observons que le projet de loi a, dans sa rédaction, connu, en fait, une
sorte de validation par les élus mahorais, puisqu'une large majorité des élus
municipaux comme des élus du conseil général s'est prononcée en faveur du
texte.
Nous pouvons même penser que toute proposition visant à modifier aujourd'hui
le processus engagé sur la base de l'accord du 27 janvier dernier n'est pas
utile.
Nous nous félicitons, à cet égard, que M. le rapporteur ait retiré, à
l'article 3, l'amendement qui avait pour objet de modifier le texte de la
question soumise à référendum, d'autant que la rédaction assez confuse qu'il
nous proposait risquait de ne pas être comprise par les électeurs.
Nous devons permettre, au contraire, que cette étape institutionnelle se
déroule dans les conditions les plus nettes et les plus claires, facilitant
ainsi les choix de la société mahoraise.
Il est, en effet, crucial que soit mise en oeuvre une politique de
développement sanitaire et social, de renforcement des potentiels éducatifs et
de formation et de développement de toutes les activités.
L'île doit, dans les années à venir, être partie prenante de la politique de
coopération régionale que la France peut et doit mener dans la zone de l'océan
Indien.
Nous souhaitons donc que le texte qui nous est soumis soit considéré, dans sa
philosophie essentielle, comme une étape à franchir pour l'avenir de l'île de
Mayotte.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera donc ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
A ce stade de la discussion, je souhaite répondre
rapidement aux différents orateurs, en les remerciant, tout d'abord, des
observations qu'ils ont formulées et de l'analyse qu'ils ont faite de la
situation de Mayotte.
M. Marcel Henry, sénateur de Mayotte, a dit en conclusion que les Mahorais
devaient choisir librement leur avenir. Mais c'est l'objet même de ce projet de
loi et de la consultation qui sera organisée ! Les Mahorais choisiront
librement leur avenir sur la base d'un texte qui a été discuté et élaboré avec
les formations politiques, avec les représentants parlementaires, et qui,
finalement, représente, pour Mayotte, une réelle avancée.
Le projet de loi qui vous est présenté vise à organiser le scrutin de façon
transparente, démocratique, conformément aux règles qui sont celles de notre
République. J'indique d'ailleurs dès à présent que le Gouvernement est
favorable aux amendements que présentera la commission des lois et qui visent à
conforter le texte sur ce point.
Les Mahorais choisiront donc bien librement leur avenir, et ils le feront
vingt-cinq ans après que la promesse leur en a été faite.
Et si, pendant vingt-cinq ans, il n'y a pas eu de consultation, c'est
peut-être - j'y reviendrai - pour des raisons diplomatiques, mais c'est aussi
et surtout, à mon avis, parce que les modalités de la consultation, telle
qu'elles étaient prévues par le législateur en 1976 et 1979, ne pouvaient pas
être mises en oeuvre.
Faire ce constat, c'est faire le constat lucide de la réalité. Vouloir dire
aux Mahorais qu'ils doivent se prononcer cette année, en 2000, dans dix ans, ou
plus tard, comme cela avait été prévu en 1976, c'est les leurrer sur la réalité
de Mayotte et sur les évolutions possibles, c'est enfermer leur choix.
Je comprends, monsieur le sénateur, qu'en 1976 l'option départementaliste
était pour vous l'assurance de l'enracinement dans la France et la certitude
que Mayotte ne retournerait pas dans l'archipel des Comores. Vingt-cinq ans
après, en sommes-nous toujours là ? Certes non. Les conditions ont changé.
Vous avez évoqué, tout à l'heure, les motivations diplomatiques de ce
texte.
Monsieur le sénateur, quand M. le Président de la République, à Saint-Denis de
la Réunion, en présence - j'étais également dans l'assistance - du Président de
la République malgache, du Premier ministre de l'île Maurice, du représentant
des Seychelles et du représentant administratif des Comores, déclare qu'il y
aura une consultation à Mayotte en l'an 2000 sur la collectivité
départementale, n'est-ce pas une formidable avancée pour Mayotte, qui était
jusqu'à présent boycottée par tous ses voisins ?
Quand le ministre français de l'outre-mer que je suis, juste après sa visite
de Mayotte, se rend à Madagascar pour évoquer le statut de Mayotte, qu'il y
rencontre le Président de la République, M. Ratsiraka, et le Premier ministre,
et qu'il les informe des intentions du Gouvernement français, puisque M.
Ratsiraka est président de la commission de l'océan Indien, n'est-ce pas déjà
un grand pas qui est accompli pour Mayotte ?
Le sport précède souvent la diplomatie. Quand une équipe nationale de
Madagascar vient jouer à Mayotte pour la première fois et qu'un match retour
est prévu à Madagascar, n'est-ce pas, pour Mayotte, une avancée incontestable
sur le plan diplomatique ?
Il a fallu vaincre un certain nombre de résistances, c'est vrai. Ces
résistances, dans l'administration, notamment au Quai d'Orsay, ont été levées.
C'est, me semble-t-il, un élément important que vous ne pouvez pas négliger.
Comme l'a dit Mme Bidard-Reydet en fin de discussion générale, on ne peut pas
envisager que Mayotte continue à rester, dans ce contexte, fermée à son
environnement régional. Il est bien évident que Mayotte a toute sa place à
prendre dans l'océan Indien et que cette place n'est pas simplement politique,
qu'elle est aussi économique et culturelle.
Je réponds ainsi à l'un des arguments avancés par M. le rapporteur pour
expliquer son opposition au texte de l'accord qui est proposé. L'insertion dans
l'environnement régional, c'est ce que souhaitent, aujourd'hui, tous les
départements, tous les territoires, toutes les collectivités d'outre-mer !
Dans un monde ouvert à la mondialisation, aux échanges culturels, commerciaux,
politiques, humains, on ne peut pas dire que Mayotte doit rester enfermée.
Mayotte n'existera et ne sera forte que dans la mesure où elle sera capable,
avec la France, bien sûr, d'exister dans son environnement régional.
Je ne retiens donc pas du tout, monsieur Henry, votre thèse d'une diplomatie
en coulisse qui serait organisée pour aller à l'encontre des intérêts des
Mahorais. Bien au contraire, il y a eu ces derniers mois, sur ce plan, des
avancées positives, ce qui permet d'organiser la consultation.
En ce qui concerne les motivations idéologiques, toutes les déclarations du
Gouvernement et le large consensus qui se dessine dans cette assemblée, qui va
du groupe communiste, républicain et citoyen à celui du Rassemblement pour la
République, montrent bien que tout le monde reconnaît le fait que Mayotte est
une collectivité de la République. Personne, aujourd'hui, ne le remet en
cause.
Par conséquent, dire que, pour des motivations idéologiques, le Gouvernement
voudrait vous éloigner de la République est totalement faux. Encore une fois,
le fait qu'aujourd'hui un tel consensus se dégage dans cette assemblée me
paraît tout de même être pour vous le gage que l'ensemble de la communauté
nationale reconnaît que Mayotte est dans la République.
Je regrette très sincèrement que, malgré mes efforts, malgré ceux qu'a
déployés M. le rapporteur, vous restiez monsieur Henry, à l'écart de ce qui est
en train de se passer au sein de la représentation nationale, au Sénat et à
l'Assemblée nationale, et qui, pour Mayotte, représente une formidable
avancée.
Monsieur Henry, on ne peut pas dire, en mettant la République en cause, que
Mayotte a été abandonnée en état de sous-développement. Même si l'on peut
estimer qu'il faut faire plus - c'est vrai, et on le verra à travers le contrat
de développement - j'ai tout de même le sentiment que la politique sanitaire,
la politique économique, la politique de formation qui ont été mises en place
traduisent un formidable engagement pris par les gouvernements successifs pour
faire avancer Mayotte.
Si le SMIC à Mayotte est quinze fois supérieur à celui de Madagascar, c'est
tout de même bien grâce à la République, qui garantit les droits sociaux !
S'agissant de l'effort de formation vous avez pu voir, monsieur le rapporteur,
qu'il se construisait deux collèges par an à Mayotte, et ce parce qu'il fallait
faire face très rapidement à la scolarisation de 50 000 élèves.
Quand, inaugurant l'hôpital, je constate que cet élément d'un dispositif de
santé publique est identique à un autre hôpital qu'on trouve dans la région
parisienne, je me dis que la République, même si c'est de façon insuffisante, a
néanmoins rempli une partie de ses obligations vis-à-vis de Mayotte.
Le statut personnel a souvent été évoqué. Ce statut personnel, les Mahorais,
dans leur immense majorité, souhaitent le conserver. Des évolutions se feront
certainement jour parce que la modernisation de Mayotte est en cours, mais le
respect des traditions demeure.
Cela étant, monsieur le sénateur, le statut personnel, c'est-à-dire un statut
de droit civil qui règle le droit de la famille, le droit des successions, les
problèmes de contentieux civils, et qui est régi par l'article 75, ne permet
pas d'appliquer à Mayotte le principe de l'identité législative, qui est celui
des départements d'outre-mer, en vertu de l'article 73, et qui signifie que les
lois que vote le Parlement s'appliquent automatiquement sauf clause
contraire.
Nous avons donc là un bloc de compétences locales, relevant du statut
personnel, qui est un système de droit civil dont personne ici n'entend priver
les Mahorais, mais qui ne permet pas d'aller vers un système de
départementalisation dès l'an 2000.
Aller à l'encontre, ce serait nier ce que M. Lanier a justement évoqué au
début de son intervention, à savoir la spécificité de Mayotte. Cette
spécificité peut avoir sa place dans la République, et c'est précisément ce que
nous proposons avec un statut qui permettra d'aller vers une identification
progressive au département.
M. Balarello m'a demandé ce qui se passera en 2010. En 2010, le gouvernement
de l'époque aura à mesurer l'évolution, à voir l'état du droit national
concernant l'outre-mer et, probablement, alors, à faire franchir une nouvelle
étape à Mayotte. Qu'elle devienne un département n'est pas exclu, mais moi, en
tant que ministre de la République, je ne veux imposer au Gouvernement de 2010,
quel qu'il soit, ni les termes d'un scrutin ni l'obligation même d'un scrutin.
Ce sera à ce gouvernement de prendre ses responsabilités.
J'ai essayé, depuis 1997, de sortir de la situation créée par les lois de 1976
et de 1979, dont aucun gouvernement n'avait pu sortir, quelle que soit sa
volonté. Ne reposons pas les questions dans les mêmes termes en 2010, au risque
de nous voir de nouveau acculés dans une impasse !
Voilà les raisons qui me conduisent, évidemment, à souhaiter que le Sénat
adopte largement le texte qui lui est proposé.
Une question m'a été posée sur les fonds structurels européens. Ces fonds sont
réservés aux régions ultra-périphériques définies par l'article 299-2 du traité
d'Amsterdam, c'est-à-dire les quatre départements d'outre-mer français, les
deux régions portugaises des Açores et de Madère, et la région espagnole des
Canaries. Quant à ce qu'on appelle les pays et territoires d'outre-mer, les
PTOM, qui sont au nombre de vingt, ils relèvent de l'article 299-3,
c'est-à-dire du fonds européen de développement. C'est vrai, ces vingt pays et
territoires d'outre-mer européens reçoivent beaucoup moins de fonds - au moins
dix fois moins par habitant - que les régions ultra-périphériques. Il y a donc
là un déséquilibre.
Mais, même si nous votions aujourd'hui la départementalisation de Mayotte, il
faudrait renégocier avec tous nos partenaires, c'est-à-dire avec les quatorze
autres pays européens, l'inclusion de Mayotte dans la liste de l'article
299-2.
En revanche, je m'engage, messieurs Lanier et Balarello, à obtenir, dans les
discussions à l'échelon européen, que, dans la répartition de l'enveloppe des
pays et territoires d'outre-mer, qui comprend pour nous Wallis-et-Futuna, la
Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon, un sort
particulier soit réservé à Mayotte compte tenu des retards de développement.
De fait, nous ne pouvons pas faire passer Mayotte d'une catégorie à une autre
sans l'accord de nos quatorze partenaires européens parce que nous sommes tenus
par un traité. Mais je suis d'accord pour essayer de défendre Mayotte à
l'échelon européen et la faire bénéficier au maximum des fonds européens de
développement.
Voilà ce que je souhaitais dire au travers de cette intervention. Nous ne
pouvons pas figer aujourd'hui le statut de Mayotte, ni les questions qui seront
soumises et examinées en leur temps, en 2010. Aujourd'hui, ce qu'il faut pour
Mayotte, c'est ne plus vivre dans le passé. Il faut regarder l'avenir et
construire celui-ci avec les Mahorais. Ce texte et la consultation, puisqu'ils
s'exprimeront, le leur permettra. C'est à la République, maintenant, de leur
donner la capacité de s'exprimer. Le scrutin qui sera organisé d'ici au 31
juillet permettra aux Mahorais d'exprimer de nouveau leur attachement à la
République et leur volonté d'aller de l'avant, de moderniser et de faire
évoluer Mayotte tout en respectant les traditions et l'originalité de cette
île.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Marcel Henry.
Je demande la parole pour répondre au Gouvernement.
M. le président.
La parole est M. Henry.
M. Marcel Henry.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je veux vous redire que vous ne réussirez pas à
me convaincre que les Mahorais ne risquent rien, qu'il n'y a plus de danger
d'un retour aux Comores sous prétexte que les propos de M. le Président de la
République, à La Réunion, selon lesquels on allait organiser une consultation à
Mayotte et que l'on en ferait une collectivité départementale n'ont pas
provoqué de réaction de la part des dirigeants des pays voisins.
On a bien vu, en écoutant les explications de nos collègues qui sont
favorables à l'adoption du projet, que ce dossier avait une dimension
diplomatique. C'est pour ne pas faire de peine aux instances internationales,
qui critiquent le maintien de la présence française à Mayotte, que l'on n'ose
pas faire la départementalisation.
Les Mahorais sont parfaitement conscients que tant que cette décision ne sera
pas prise, la volonté de la France de maintenir sa présence à Mayotte ne sera
pas affirmée.
Apparemment, tout le monde ici semble d'accord pour voter ce projet de loi. Je
voterai cependant contre, ainsi que mon groupe, car il est évident que
l'adoption de ce projet de loi suscitera de la part des pays environnant
Mayotte, notamment les Comores, une revendication plus forte de ce territoire,
qui pèsera sur les négociations internationales.
Je suis conscient que ce n'est pas au niveau parlementaire, aujourd'hui, qu'il
est possible de redresser la situation puisqu'un consensus semble se dégager.
D'ailleurs, à Mayotte même, nous retrouvons le même accord entre les élus
locaux du parti socialiste et du RPR. Le ministre s'est fondé sur cet accord
prétendument unanime pour vanter aux parlementaires les mérites de son
texte.
Ce n'est donc pas par la voie parlementaire que je compte renverser la
situation mais en faisant appel aux Mahorais pour qu'ils sachent que leur
destin est entre leurs mains, et que c'est en refusant de voter pour ce
document qu'ils préserveront leur avenir dans l'ensemble français.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er