Séance du 24 février 2000






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Epizootie d'encéphalopathie spongiforme bovine. - Discussion d'une question orale européenne avec débat (p. 1 ).
MM. Hubert Haenel, auteur de la question, président de la délégation pour l'Union européenne ; Jean-Marc Pastor, Rémi Herment, Jean-Paul Emorine, Jean Bizet, Gérard Le Cam, Aymeri de Montesquiou.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.
Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance (p. 2 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d'Egypte (p. 3 ).

4. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 4 ).
M. le président.

NOUVELLE CARTE SCOLAIRE (p. 5 )

MM. Dominique Leclerc, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

RÉFORME DES TRIBUNAUX DE COMMERCE (p. 6 )

M. Paul Girod, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

AVENIR DE LA POSTE (p. 7 )

MM. Pierre Lefebvre, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

DÉVELOPPEMENT DE L'INTERCOMMUNALITÉ (p. 8 )

MM. Daniel Hoeffel, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

POSITION DU GOUVERNEMENT
SUR LE MAINTIEN DE M. ROLAND DUMAS
À LA PRÉSIDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL (p. 9 )

M. Henri de Raincourt, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

GUERRE EN TCHÉTCHÉNIE (p. 10 )

Mme Josette Durrieu, M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

SITUATION AU KOSOVO (p. 11 )

MM. Jacques Legendre, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

AVENIR DU GROUPE ALSTOM (p. 12 )

MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

CRÉATION D'UN MINISTÈRE DE LA SANTÉ (p. 13 )

M. Lucien Neuwirth, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

RELÈVEMENT DES PRIMES D'ASSURANCE
DEMANDÉES PAR AXA AUX PARENTS DE HANDICAPÉS (p. 14 )

M. Henri Weber, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé à l'action sociale.

MISE EN OEUVRE DES 35 HEURES
DANS LA FONCTION PUBLIQUE (p. 15 )

MM. Jean-Jacques Hyest, Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.

5. Rappel au règlement (p. 16 ).
MM. Philippe Marini, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; le président.

Suspension et reprise de la séance (p. 17 )

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

6. Demande d'autorisation d'une mission d'information (p. 18 ).

7. Commission de contrôle nationale des fonds publics accordés aux entreprises. - Rejet d'une proposition de loi (p. 19 ).
Discussion générale : MM. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie ; Joseph Ostermann, rapporteur de la commission des finances ; Guy Fischer, Jean-Marc Pastor.
M. le secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.

Question préalable (p. 20 )

Motion n° 1 de la commission. - MM. le rapporteur, Thierry Foucaud, Jacques Machet, Philippe Marini, Victor Reux, Jean-Marc Pastor. - Adoption, par scrutin public, de la motion entraînant le rejet de la proposition de loi.

8. Transmission de projets de loi (p. 21 ).

9. Transmission d'une proposition de loi (p. 22 ).

10. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 23 ).

11. Dépôt d'un rapport (p. 24 ).

12. Ordre du jour (p. 25 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

ÉPIZOOTIE D'ENCÉPHALOPATHIE
SPONGIFORME BOVINE

Discussion d'une question orale européenne
avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec débat suivante :
M. Hubert Haenel interroge M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur les voies pour sortir de la crise liée à l'épizootie d'encéphalite spongiforme bovine. Il lui demande quelles conditions lui semblent nécessaires pour une levée de l'embargo sur le boeuf britannique, quelles sont les perspectives de mise en place à l'échelon européen d'un système d'étiquetage obligatoire assurant une complète traçabilité, quel est son sentiment vis-à-vis du projet de création d'une autorité européenne indépendante en matière de sûreté alimentaire et, plus généralement, comment le respect du principe de précaution pourraît être mieux garanti dans le processus de décision communautaire.
La parole est à M. Haenel, auteur de la question, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions de sécurité alimentaire ont pris, au cours des dernières années, une très grande importance dans les préoccupations de nos concitoyens, à la suite notamment de deux crises, la crise dite de la « vache folle », il y a quatre ans, puis, l'année dernière, celle de la dioxine contenue dans des poulets belges. Les cas de listériose suscitent également l'alerte de manière récurrente nous vivons actuellement ce phénomène.
On pourrait juger que cette préoccupation croissante a, malgré tout, quelque chose de paradoxal car, pour plusieurs aspects, la sécurité alimentaire a beaucoup progressé par rapport à un passé qui, dans ce domaine, est souvent idéalisé. Mais il est vrai que, si les risques alimentaires « classiques » sont mieux maîtrisés, les nouveaux risques qui se sont manifestés sont apparus particulièrement inquiétants, d'autant plus peut-être qu'ils étaient entourés de très nombreuses incertitudes.
La confiance des consommateurs s'en est trouvée ébranlée. A juste raison, ils ont le sentiment que, dans les conditions actuelles de production et de distribution, certains risques alimentaires sont difficiles à maîtriser. Identifier les causes, recenser et localiser les produits à risques est devenu une opération souvent très complexe. La vogue actuelle des produits biologiques est une des expressions de cette inquiétude.
Les questions de sécurité alimentaire sont un enjeu majeur de santé publique. Elles ont aussi, même si, naturellement, ce type de préoccupation vient ensuite, des aspects économiques. Lorsqu'une affaire concernant le domaine de l'alimentation est évoquée dans les médias, il en résulte très souvent une crise de confiance dont les effets économiques peuvent être très lourds. Que l'on songe à l'affaire, très récente, du Morbihan.
Tout concourt donc à ce que le principe de précaution soit placé au coeur de l'action publique dans ce domaine.
Il est vrai que ce principe n'est pas simple à définir et surtout à appliquer, car il comporte des aspects qualitatifs qui peuvent donner lieu à des appréciations différentes.
Le principe de précaution repose en effet sur deux principaux critères : il doit être invoqué, d'une part, si l'on est en présence de grandes incertitudes scientifiques et, d'autre part, si le dommage que l'on redoute est grave et irréversible. On voit bien que de tels critères laissent une marge d'interprétation, qui peut d'ailleurs être plus ou moins grande selon les cas.
Le Gouvernement a mis en avant le principe de précaution pour justifier le maintien de l'embargo sur la viande bovine britannique.Dans cette affaire, on est effectivement dans une situation où les deux critères du principe de précaution s'appliquent.
Les incertitudes scientifiques sont de grande ampleur. Comme le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, M. Hirsch, que la délégation pour l'Union européenne a entendu il y a quinze jours, nous l'a confirmé, le nombre des modes de contamination, la durée d'incubation de la maladie, l'étendue du risque, sont autant de points sur lesquels l'incertitude règne. Et l'on sait que les évaluations sur le nombre total de personnes qui pourraient contracter la maladie en Grande-Bretagne vont de quelques centaines à plusieurs centaines de milliers. Par ailleurs, la gravité du dommage potentiel est maximale, puisque, malheureusement, on ne dispose aujourd'hui d'aucun remède contre les maladies à prions.
La Commission européenne et le comité scientifique directeur européen semblent avoir adopté, quant à eux, une interprétation plus faible du principe de précaution puisqu'ils ont estimé, en substance, que la France n'avait pas suffisamment prouvé qu'il y avait aujourd'hui de plus grands risques à consommer du boeuf français. Ainsi, la France justifie sa position en mettant en avant les nombreuses incertitudes qui subsistent, tandis qu'à l'échelon européen on réclame des preuves, des certitudes, sur l'existence d'un risque spécifique dans le cas du boeuf britannique.
Or, aujourd'hui, il existe des certitudes sur un des modes de contamination, la contamination par voie alimentaire ; il existe de fortes présomptions quant à une transmission possible de la vache au veau, et il existe des doutes sur l'existence d'autres modes de contamination. Or, si ces derniers doutes s'avéraient fondés, il y aurait des risques bien plus grands dans le cas du boeuf britannique, puisque la Grande-Bretagne ne pratique pas l'abattage systématique des troupeaux où un cas a été décelé. Mais, plutôt que des preuves, ce que nous pouvons mettre en avant, ce sont des doutes.
On voit donc qu'il n'y a pas accord sur l'interprétation du principe de précaution ou, si l'on préfère, sur la manière de l'appliquer dans ce cas ; et c'est finalement la Cour de justice des Communautés européennes qui sera appelée à arbitrer.
Nous ne savons aujourd'hui ni quand la Cour tranchera, ni quelle sera la portée de sa décision. Sur l'application du principe de précaution, il se peut très bien qu'elle ne se prononce elle-même qu'avec beaucoup de précautions !
Il ne serait donc pas opportun de se borner à attendre passivement la décision de la Cour. Il importe, au contraire, que, sans renier en rien son attitude de vigilance, la France montre qu'elle s'emploie à sortir de cette crise, qui continue à peser sur nos relations avec le Royaume-Uni.
Mais sortir de cette crise n'est possible que « par le haut », en amenant la Communauté européenne dans son ensemble à adopter des mesures telles qu'elles restreignent à l'avenir le risque de conflit entre le principe de précaution et celui de la libre circulation des marchandises.
Plusieurs pistes de réflexion peuvent être évoquées, qui sont, monsieur le ministre, autant de demandes de précisions que je souhaite vous adresser.
Ne pourrait-on, tout d'abord, rechercher un accord sur la portée du principe de précaution ? Ce principe est certes reconnu par le droit communautaire, puisque l'article 174 du traité instituant la Communauté européenne le mentionne. Mais aucune précision n'est apportée sur son contenu. Un moyen de rapprocher les points de vue pourrait être de rechercher un accord à quinze sur des lignes directrices pour l'application de ce principe. La France a déjà apporté une contribution à ce débat en octobre dernier, avec le rapport présenté par M. Kourilsky et Mme Viney. La Commission européenne, quant à elle, a présenté au mois de janvier une communication sur le recours au principe de précaution, qui constitue également une contribution importante.
Sur cette base, ne pourrait-on mener une réflexion collective, qui pourrait aboutir à une approche commune plus précise de l'application du principe de précaution ? Cela me paraît d'autant plus souhaitable que la Communauté met en avant le principe de précaution dans les négociations internationales, notamment vis-à-vis des Etats-Unis au sujet de l'utilisation des hormones. L'Union ne serait-elle pas plus crédible vis-à-vis de l'extérieur si elle se montrait capable de dégager plus clairement une doctrine commune et de la mettre en oeuvre pour son propre marché intérieur ?
Une deuxième piste de réflexion est, bien sûr, la proposition de la Commission européenne de créer une autorité alimentaire européenne, qui pourrait être un aspect important de la recherche d'une approche commune des questions de sécurité alimentaire. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions sur le sentiment du Gouvernement à l'égard de cette proposition de la Commission ? Etes-vous favorable au principe de la création d'une telle autorité ? La conception avancée par la Commission européenne pour les compétences et les pouvoirs d'une telle autorité vous paraît-elle satisfaisante ?
Un autre domaine où il paraît souhaitable de progresser est celui de l'étiquetage des produits. Certes, face à un risque grave et qui, dans l'état actuel des connaissances, concerne tous les publics, l'étiquetage ne peut sans doute à lui seul constituer une solution. Cependant, un système développé d'étiquetage apparaît comme un moyen non seulement de mieux informer le consommateur, mais surtout de garantir une traçabilité suffisante et, ainsi, de réduire globalement les risques sanitaires. Or, il semble que les discussions sur l'étiquetage obligatoire ne progressent pas très vite.
Comment se fait-il, monsieur le ministre, que ces négociations aient tendance à piétiner et peut-on espérer que cette situation va bientôt se débloquer ?
J'aborderai un dernier point. La position « en flèche » que nous avons adoptée nous expose particulièrement à la critique. Elle nous impose d'être exemplaires. Or, le rapport d'inspection publié au début de ce mois par l'Office alimentaire et vétérinaire de l'Union européenne suggère que ce n'est pas toujours le cas. Selon ce rapport, l'interdiction d'utiliser des farines animales pour l'alimentation des ruminants n'aurait été appliquée en France qu'avec retard, et ne serait toujours pas complètement appliquée. Par ailleurs, le dispositif français laisserait passer des cas où une encéphalite spongiforme aurait pu être suspectée.
Dans ce domaine également, monsieur le ministre, nous souhaiterions connaître le sentiment du Gouvernement. Ces critiques sont-elles fondées ? Ne risquent-elles pas de renforcer l'argumentation des Britanniques sur l'identité des risques de part et d'autre de la Manche ?
En posant ces différentes questions, on l'aura compris, mon propos n'est pas de conforter les présentations les plus alarmistes. Dans une affaire où les incertitudes scientifiques restent considérables, la prudence est de mise, mais le discernement l'est également. Nous devons viser à réduire toujours plus les risques, sachant qu'un monde où ils auraient disparu complètement ne serait pas le monde réel.
L'essentiel me paraît être que la France, sans rien céder de l'approche exigeante adoptée à l'égard de l'ESB, s'attache à ce que cette crise ait une issue positive pour la Communauté dans son ensemble, en conduisant à une approche commune rigoureuse, qui est de l'intérêt de tous les consommateurs européens comme des producteurs. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le lundi 7 février 2000, la France était accusée de ne pas respecter les règles liées aux mesures nécessaires à la protection du consommateur contre la maladie dite « de la vache folle » et, surtout, de continuer à utiliser des farines animales interdites dans les aliments pour le bétail.
Ces accusations graves figurent dans un rapport rédigé par des experts vétérinaires européens qui ont effectué en 1999 une tournée en France dans des fermes, des abattoirs, des usines d'aliment du bétail ainsi que dans des services vétérinaires départementaux.
Ce rapport dénonce plusieurs défaillances qui nous ont choqués, parmi lesquelles des déclarations tardives de cas suspects d'ESB. Il dénonce également le manque de formation et d'information des inspecteurs des abattoirs et des exploitants, l'inefficacité de la coordination et du suivi des arrêtés liés aux instructions administratives et aux moyens de vérification internes. Il relève encore que le prélèvement d'échantillons n'est pas suffisant eu égard au volume de production et que, par exemple, l'inscription « interdit pour l'alimentation des ruminants » sur les sacs de farine n'est pas respectée.
Sachez, monsieur le ministre, que les conclusions de ce rapport furent ressenties comme un coup de boomerang : la France, par votre voix, avait donné une ligne de conduite à l'Europe entière en traçant une voie courageuse, en tentant d'assurer la transparence, la protection et la garantie sanitaire, et elle se ferait piéger ! Nous ne comprenons plus ! Nous avons besoin de vos lumières !
En préambule à tout débat sur l'ESB, il est nécessaire de confirmer l'importance du principe de précaution, qui doit continuer de s'appliquer en France et qui doit être développé en Europe. Que font aujourd'hui les autres Etats dans ce domaine ? Où en êtes-vous des discussions avec les Quinze sur la nécessité de déterminer des critères minimaux quant à la protection ?
Plusieurs pistes, plusieurs recommandations, plusieurs espoirs existent, certes. Mais quelle autorité européenne, demain, pourra enfin réguler ces questions de sécurité alimentaire ? Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce point ?
Beaucoup d'attentes sont liées à l'accroissement du dépistage, et la France a décidé, le 23 janvier dernier, de lancer un vaste programme de dépistage par la mise en place d'un test de surveillance sur l'ensemble du territoire. Un an après la Suisse, la France est le deuxième pays à engager une opération de ce type. Quarante mille bovins à très haut risque devraient être les premiers concernés par la mesure. Mais le type de test susceptible d'être utilisé - il en existerait trois - ne semblerait pas, à ce jour, complètement déterminé.
De son côté, la Commission européenne n'a encore pris aucune décision sur le principe même de ce test. Pourtant, la France a demandé à Bruxelles, lors de discussions menées sur la levée ou non de l'embargo sur le boeuf britannique, de mettre en place un test de dépistage européen. Pourquoi y a-t-il encore des réticences et comment peut-on peser sur la décision ?
Les animaux sélectionnés pour le dépistage seront vraisemblablement des animaux conduits à l'équarrissage, c'est-à-dire des bêtes mortes, ou des animaux ayant dû être abattus d'urgence et pour lesquels la cause de la mort n'aura pas toujours été clairement établie. On n'a donc pas retenu en France les mêmes principes qu'en Suisse, où il est procédé à un dépistage aléatoire sur un certain nombre de bovins apparemment en bonne santé et qui sont conduits à l'abattoir.
Pourquoi la France n'a-t-elle pas opté pour cette solution ? Pourquoi cette restriction alors que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments saisie de cette question avait suggéré une méthode de dépistage plus large ?
Je traiterai maintenant de la tranparence, sujet que nous avons largement évoqué lors de la discussion de la loi d'orientation agricole et qui intéresse au plus haut point le consommateur.
Que fait-on pour renforcer la traçabilité des produits ? Le premier conseil européen de l'agriculture de l'an 2000 a montré l'existence d'un quasi-consensus sur la traçabilité, une majorité de pays se déclarant favorables à l'idée de faire savoir aux consommateurs où l'animal est né, où il a été élevé et abattu.
La traçabilité impose d'organiser rapidement l'étiquetage.
Presque tous les pays se sont prononcés pour la mention sur l'étiquette de l'Etat membre d'origine lorsque l'animal est né, a été élevé et abattu dans un même Etat. Mais lorsque ces phases ont eu lieu dans différents Etats de la Communauté, les positions divergent.
L'Italie et l'Irlande voudraient que l'étiquette porte la mention « origine communautaire européenne », ce qui n'assure absolument pas la transparence, des animaux étant engraissés, en Belgique notamment, grâce à l'utilisation d'hormones et de bien d'autres produits. Cela me rappelle certaines bouteilles de vin étiquetées d'« origine communautaire », ce qui, très sincèrement, n'est pas de nature à me réconforter ! (Sourires.)
En revanche, la France, comme le Danemark, la Suède, la Finlande ou l'Allemagne, souhaite la mention sur l'étiquette de tous les Etats membres concernés par les différentes étapes de la vie du bovin, ce qui est une bonne chose, monsieur le ministre.
A ce sujet, je rappelle que j'avais déposé une proposition de loi voilà trois ans et demi. Je l'avais défendue devant votre prédécesseur et notre assemblée avait bien voulu la retenir. Elle portait sur la traçabilité des bovins au moyen, entre autres, de puces.
Cette approche avait fait l'objet d'une démarche plus spécifique au niveau européen et trois expérimentations ont été décidées par les instances européennes.
Où en sommes-nous de ces expérimentations, monsieur le ministre ? Quand ce type d'approche pourra-t-il définitivement être arrêté à l'échelon européen ?
M. Hubert Haenel. Bonne question !
M. Jean-Marc Pastor. L'étiquetage est une question fondamentale s'agissant de la transparence et de la traçabilité. Une question que je connais bien, car je m'intéresse depuis quelques années à la filière de la viande bovine.
A ce propos, et me fondant sur mon expérience, je veux vous faire part d'une affaire survenue dans mon département. Après quelques déclarations que j'ai faites à propos de la traçabilité, le juge s'est intéressé à un groupe d'éleveurs et de marchands, dans le cadre d'une filière hispano-belgo-française. A cette occasion, il a pu mettre en évidence des pratiques pour le moins douteuses en matière d'étiquetage. Il est notamment apparu qu'une même boucle avait été utilisée onze fois !
Après un tel exemple, comprenez que le discrédit plane sur un certain nombre de méthodes d'étiquetage ! Il faut donc impérativement étudier attentivement les conclusions des expérimentations européennes et les mettre effectivement en oeuvre.
Qu'attend-on, au niveau européen, pour enclencher ce premier processus, qui serait une étape importante, me semble-t-il, pour mettre fin définitivement à cette interrogation ?
Enfin, sur le principe de précaution, qui est, me semble-t-il, fondamental également, je ne veux pas non plus oublier d'évoquer un point marginal, lié à la fois à la chaîne du froid et à des pratiques culinaires. Il n'est pas toujours possible de suivre l'évolution des produits et vous pourriez peut-être, monsieur le ministre, avec d'autres partenaires, donner un certain nombre de conseils, surtout quand il s'agit de produits destinés à des collectivités.
Telles sont les questions que je tenais à vous poser, et qui sont à verser au débat que vous avez accepté d'ouvrir ce matin sur ce problème concernant les Françaises et les Français.
Je dirai un mot pour terminer d'un dossier ô combien délicat : la filière de la viande bovine en Europe est - je ne le dirai pas trop fort, et seulement parce que nous sommes entre nous (Sourires) - le deuxième financeur des mafias après la drogue. Cela soulève de réelles interrogations ! (Marques d'étonnement sur plusieurs travées.) Je tiens à votre disposition un certain nombre de rapports fort inquiétants à ce sujet.
La traçabilité reste incontestablement un des points auquel je suis particulièrement attaché. Cet aspect très délicat demandera une forte volonté politique française - et je sais que vous l'avez, monsieur le ministre - mais aussi européenne. Nous nous interrogeons à ce propos sur tous les lobbies qui existent depuis fort longtemps dans ce secteur.
Le consommateur doit être aujourd'hui rassuré, et l'éleveur aussi, ne l'oublions pas. Il y va de l'avenir de nos élevages extensifs...
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Jean-Marc Pastor. ... de veaux sous la mère, spécificité bien française. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner quelques apaisements ? (Très bien ! et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Herment.
M. Rémi Herment. En décidant, le 8 décembre dernier, après avoir étudié l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, de ne pas lever l'embargo sur l'importation de viande bovine britannique, vous avez fait le choix, monsieur le ministre, de l'application stricte et maximale du principe de précaution.
Il est, certes, difficile de contester une décision pour la défense de laquelle on se retranche derrière l'argumentation de la sécurité des consommateurs et de la santé publique.
Néanmoins, ce choix comporte un certain nombre de conséquences. Il met surtout en lumière la nécessité de doter l'Europe d'instances spécifiques de prise en charge de la politique de sécurité sanitaire, afin d'éviter les distorsions d'appréciation scientifique entre les différents membres de l'Union européenne.
Pour mémoire, il est bon de rappeler qu'environ une quarantaine de pays n'appartenant pas à l'Union européenne interdisent l'importation de boeuf britannique.
En Europe, l'Allemagne n'a pas encore ouvert ses frontières et se retranche derrière les Länder pour des raisons constitutionnelles.
L'affaire du boeuf britannique ne serait-elle qu'une querelle d'experts ?
La Grande-Bretagne affirme maîtriser le risque et s'appuie, pour sa défense, sur le DBES, le schéma d'exportation basé sur la date.
La Commission européenne s'appuie, de son côté, sur l'avis de son comité scientifique directeur et estime que la viande anglaise ne présente pas de danger.
A l'inverse, l'AFSSA, dans son premier avis du 30 septembre 1999, note que l'évaluation des risques de l'ESB pour l'homme présente plus de doutes que de certitudes.
En substance, les experts français relèvent que le risque « que la Grande-Bretagne exporte des viandes de bovins contaminés ne peut être considéré comme totalement maîtrisé puisque certains paramètres d'ordre épidémiologique ou pathogénique sont encore insuffisamment connus ».
Dans son avis du 6 décembre, l'AFSSA maintient ses positions.
D'une part, elle précise que si les mesures relatives aux cohortes sont, certes, de nature à diminuer le risque, elles ne s'appliquent à une cohorte qu'après l'apparition du premier cas clinique, ce qui autorise l'entrée dans la chaîne alimentaire humaine de produits provenant d'animaux en incubation, la durée d'incubation moyenne étant estimée à cinq ans.
D'autre part, les résultats de tests permettant de déceler, post mortem la maladie chez un animal n'ayant pas encore présenté de signes cliniques ne seront disponibles, au mieux, qu'au cours du second semestre 2000.
En d'autres termes, plusieurs incertitudes demeurent quant à la maîtrise du risque infectieux, et les réponses scientifiques définitives ne pourront pas être connues, au mieux, avant plusieurs mois.
En conséquence, politiquement et éthiquement, comment pouvons-nous vous reprocher, monsieur le ministre, un choix qui repose sur la sécurité sanitaire des consommateurs et qui, il faut le reconnaître, recueille à l'évidence le soutien de l'opinion publique ?
Le lourd passif du scandale du sang contaminé et le traumatisme collectif qu'il a engendré ne peuvent que renforcer l'adhésion des Français à une solution qui met en avant la santé publique. Il est bon de rappeler, pour mémoire, que c'est précisément l'affaire du sang contaminé qui est à l'origine de la réorganisation du système de l'expertise scientifique dans notre pays.
Néanmoins, la décision du maintien de l'embargo, suite à l'avis de l'AFSSA, a engendré un certain nombre de conséquences sur les plans tant politique que commercial et démontre bien la nécessité de traiter les problèmes européens à l'échelon européen.
Fallait-il argumenter sur les incertitudes scientifiques et s'opposer, dès novembre 1998, à ce que les scientifiques bruxellois conseillent à la Commission européenne de lever l'embargo sur la viande bovine britannique ?
A cette date, en effet, les ministres de l'agriculture des Quinze avaient donné leur feu vert de principe à la levée de l'embargo. Lors de cette réunion, la France s'était abstenue. N'aurait-elle pas dû demander aussitôt une expertise scientifique européenne, pour éviter d'avoir à se retrancher uniquement derrière un avis franco-français ?
La France se trouve donc aujourd'hui dans une double impasse : d'un côté, un conflit stérile avec la Grande-Bretagne et la Commission européenne ; de l'autre, le risque d'ouverture d'une procédure juridictionnelle et - pourquoi pas ? - d'une condamnation par la Cour de justice des Communautés européennes.
Cette situation s'avère plus ou moins embarrassante au moment où la France s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne, en juillet 2000.
S'agissant des conséquences commerciales de cette décision, des mesures de rétorsion - c'est-à-dire de boycott des produits français - ont déjà été prises, et d'autres sont à craindre de la part des consommateurs britanniques. Le risque, si l'embargo venait à perdurer, serait d'en ressentir les effets négatifs au travers une diminution de nos exportations et d'une baisse éventuelle de la part agroalimentaire de notre balance commerciale.
La solution pour éviter les distorsions d'appréciation scientifique et les risques de tension diplomatique entre les pays membres de l'Union européenne sur ces questions est sans doute d'envisager la création d'une agence européenne de l'alimentation réunissant les experts scientifiques des différents pays, bien entendu sur le modèle de l'AFSSA.
M. Hubert Haenel. Oui !
M. Rémi Herment. Toutefois, il existe un autre problème, celui des farines de viande et d'os, principale voie de contamination de la maladie de la vache folle.
C'est l'information le plus dérangeante du rapport établi à la suite d'une inspection de la Commission européenne réalisée en France du 31 mai au 4 juin 1999 à propos de la maladie de la vache folle, de la tremblante du mouton et de l'interdiction des farines animales.
Ce rapport révèle en effet que des bovins atteints de l'ESB sont susceptibles d'entrer dans la chaîne alimentaire et que les vaches françaises peuvent encore manger des farines de viande interdites.
En effet, depuis juillet 1996, les protéines d'origine animale - à l'exception du lait - sont interdites dans l'alimentation des ruminants. Deux arrêtés de 1998 obligent les fabricants à inscrire sur les sacs de farine de viande : « Pas pour les ruminants ». Or cet étiquetage n'était pas respecté dans les deux usines que les inspecteurs européens ont visité en mai et juin 1999.
Plus grave, l'analyse d'échantillons d'aliments destinés aux bovins a mis en évidence des traces de farines de viande. Si aucun contrôle n'est réalisé par les autorités françaises dans les silos des fermes ou les camions qui livrent les aliments, comme le note le rapport, il y a un risque que ces aliments pour ruminants et les rations pour animaux monogastriques se mélangent.
Monsieur le ministre, n'est-il pas urgent d'obtenir une homogénéité des farines animales au niveau européen ?
Les farines animales, considérées comme le principal vecteur de la maladie de la vache folle, ne doivent plus être données aux ruminants depuis 1990 en France. Pourtant, elles sont toujours incorporées dans l'alimentation des porcs, de la volaille et des poissons d'élevage. Comment peut-on admettre qu'en Europe une majorité de pays continuent de fabriquer ces farines animales avec les matériaux à risque que constituent les cadavres ? Il faut absolument que ces pratiques cessent.
Je ferai une dernière remarque pour conclure : il faut mettre un terme à la psychose ! Environ 170 vaches ont été abattues pour rien car, en fait, ces bêtes n'étaient pas porteuses de la maladie ; elles ont été abattues avant même que les résultats des analyses soient connus. Cela n'est pas admissible ! Le dernier exemple remonte à la semaine dernière dans le Morbihan. Les examens neurologiques réalisés sur le bovin suspect de l'abattoir de Sourn ont révélé que l'animal était indemne d'ESB après que le troupeau entier eut été abattu. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Serait-ce une nouvelle forme de persécution des éleveurs ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'annonce de nouveaux cas d'ESB en ce début d'année et l'impératif de santé publique qui impose aux pouvoirs publics la recherche de la protection maximale du consommateur justifient pleinement le présent débat et l'initiative de notre collègue Hubert Haenel.
En effet, après les paroxysmes de mars 1996, lors de l'embargo sur le boeuf britannique, et de cet été, au moment de la levée de l'embargo, nous sommes à un nouveau point culminant de la crise de la « vache folle », et cela pour les raisons, relativement récentes, suivantes : d'une part, depuis le mois de décembre, à la suite d'études américaines, on sait que l'agent bovin est responsable de la nouvelle variante de la maladie humaine de Creutzfeldt-Jacob ; d'autre part, malgré les différentes mesures adoptées, parfois très contraignantes, comme, en France, l'abattage de l'ensemble du troupeau en cas de détection d'un animal contaminé, l'épidémie n'est pas éradiquée.
Les inquiétudes en termes de risques pour la santé des hommes sont donc aujourd'hui grandes, et nous devons continuer de rechercher la meilleure réponse possible aux nombreuses interrogations qui se posent à nous. Plus particulièrement, la multiplication des cas de « vache folle » chez des animaux nés après l'interdiction en 1990 de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des bovins laisse planer des doutes graves, notamment sur les modes de transmission de la maladie.
Six cas nouveaux d'ESB ont été dénombrés en France depuis ce début d'année. Au total, depuis 1991, 87 cas ont été recensés sur un cheptel de 21 millions de têtes.
Mais ce ne sont là que des chiffres. La sécurité alimentaire ne se mesure pas avec des chiffres ou des pourcentages, qui ne sont pas représentatifs de la gravité possible de l'épidémie, notamment pour l'homme. La sécurité alimentaire s'apprécie en fonction d'un risque possible et non certain : c'est là que réside toute la difficulté, en particulier celle du discours et du choix politiques.
Cependant, on le conçoit aisément, le consommateur ne peut qu'être gravement préoccupé par une maladie encore largement mystérieuse, qui le concerne dans son quotidien et qui s'inscrit dans un contexte d'alertes répétées, relatives par exemple à la listeria, à la dioxine ou au boeuf aux hormones.
Face à cette situation, tout l'enjeu consiste à savoir comment agir de la manière la plus adaptée possible, c'est-à-dire de façon efficace et proportionnée.
Dans cette perspective, de nombreuses interrogations se posent et c'est leur réponse qui nous permettra de tirer les leçons de la crise de la « vache folle » et de mieux protéger nos concitoyens.
Mon propos s'articulera donc autour de trois axes : l'organisation du dépistage, l'évolution de notre réglementation nationale, la gestion de crises similaires au niveau européen.
Premièrement, le développement du test, rapidement et à grande échelle, est très important, car il va permettre de garantir aux consommateurs que des animaux infectés n'entrent pas dans la chaîne alimentaire.
Le test français mis au point par le Commissariat à l'énergie atomique paraît particulièrement compétitif et sa sensibilité permet de pouvoir espérer une détection des animaux infectés avant l'apparition des signes cliniques.
Deux décisions doivent maintenant être prises : d'une part, le passage à l'application à grande échelle, par exemple à l'abattoir ; d'autre part, la pratique d'un test sur des animaux vivants.
Dans cette perspective, le plan annoncé au mois de janvier par Mme Gillot doit être opérationnel dans les plus brefs délais et devrait pouvoir s'appliquer à l'ensemble des animaux abattus.
Nous pouvons encore améliorer notre système de traçabilité, d'information et de protection du consommateur dans notre pays.
Sur ce point, j'aimerais poser plusieurs questions au Gouvernement.
Quelle réglementation pourrait être mise en place pour les produits dérivés, tels la viande hachée ou les plats cuisinés ?
Quelles suites le Gouvernement entend-il donner aux recommandations contenues dans le rapport de M. Kourilsky et de Mme Viney sur le principe de précaution ? Parmi les nombreuses suggestions intéressantes contenues dans ce rapport, je retiendrai l'idée de l'élaboration d'un statut applicable aux experts ou encore celle qui consiste à faire participer davantage le citoyen-consommateur à la décision.
Si, dans le récent rapport qu'ils ont rédigé à la suite de la mission qu'ils ont accomplie en France en mai-juin 1999, les vétérinaires européens ont émis un satisfecit global sur notre structure de surveillance, ils n'en dénoncent pas moins plusieurs faiblesses que nous pourrions utilement corriger. Que compte répondre le Gouvernement aux recommandations émises par ces experts vétérinaires ?
Enfin, c'est aujourd'hui une évidence de dire que la crise de la « vache folle » a été une crise européenne. En réalité, plus fondamentalement, la construction européenne et notre choix d'une intégration politique sont en jeu : paradoxalement, du fait de la gravité de la crise, nous avons une chance à saisir pour rendre l'Europe plus proche des citoyens ; à cette fin, l'Europe doit s'engager résolument dans une politique de santé publique qui ne soit pas considérée comme antinomique de la politique économique et qui soit expliquée à tous les Européens.
L'actuelle Commission paraît très mobilisée sur ce sujet ; on ne peut que partager sa volonté de mettre en place, à cours terme, une agence européenne de la sécurité alimentaire ainsi que son objectif d'atteindre le niveau le plus élevé possible de protection des consommateurs européens. Cependant, en complément de cette initiative, plusieurs autres mesures pourraient être arrêtées, et le plus vite serait le mieux.
Le fonctionnement de ce que l'on a appelé la « comitologie bruxelloise » - notamment, le comité scientifique directeur - suscite notre inquiétude. Pourquoi, par exemple, la Commission n'a-t-elle pas hésité à lever l'embargo alors que, dès le 29 juillet 1999, elle avait connaissance du résultat des tests suisses qui montrent que des animaux cliniquement sains mais infectés ont pu entrer dans la chaîne alimentaire ? Plus fondamentalement, pourquoi ce comité dispose-t-il de peu d'experts en maladies à prion ?
Est-il, d'autre part, raisonnable de continuer à dire que l'épidémie ne s'est pas propagée à d'autres cheptels européens ? En dehors du Royaume-Uni, un embargo strict a été décrété à l'égard des produits portugais, mais qu'en est-il pour les autres pays ?
Il paraît donc urgent d'organiser un système de surveillance épidémiologique ainsi qu'un système d'alerte efficace et contrôlé, au moins entre les pays de l'Union européenne.
Enfin, sachant que l'alimentation est un facteur de transmission, n'est-il pas temps d'harmoniser en Europe le mode de fabrication des farines animales ?
Pour conclure, je dirai que la crise de la « vache folle » a montré, dès le début, la difficulté, éprouvée en particulier par le Gouvernement, à gérer des situations complexes dans un contexte d'incertitude des analyses scientifiques.
De nombreuses questions se posent encore aujourd'hui, mais elles ne doivent pas nous empêcher d'agir pour la plus grande sûreté des consommateurs. Prioritairement, il nous faut aller vite dans la détection de la maladie et dans la recherche sur son mode de transmission. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Le Cam applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décision de maintenir l'embargo sur la viande de boeuf britannique a été une mesure de prudence, conforme au principe de précaution.
Les incertitudes qui continuent à entourer le mode de transmission de l'ESB, l'ignorance de l'ampleur des risques dans laquelle nous restons, les doutes sur la possibilité d'assurer rapidement la traçabilité des produits originaires du Royaume-Uni conduisaient à juger prématurée une levée de l'embargo dès la fin de l'année dernière. Les consommateurs n'auraient pas compris que la libre circulation des produits semble passer avant la recherche de la sécurité sanitaire.
Nous pouvons d'ailleurs observer que l'Allemagne ne se hâte nullement de lever l'embargo. Certes, le système fédéral permet à son Gouvernement d'assurer la Grande-Bretagne de sa bonne volonté tandis que les Länder empêchent la levée de l'embargo ; mais, en pratique, le résultat est le même : la viande britannique ne peut pas plus pénétrer en Allemagne qu'en France.
En Grande-Bretagne même, le rapport sur l'ESB demandé par le Gouvernement, qui devait être présenté à la fin mars, vient de faire l'objet d'un report de six mois, ce qui montre bien qu'il n'est facile pour personne de faire le point sur un sujet où les zones d'ombres sont aussi nombreuses.
Mais la position claire adoptée par la France lui donne aussi des responsabilités. Nous ne pouvons demander à nos voisins ce que nous ne ferions pas nous-mêmes.
Le lancement d'un programme national de dépistage est ainsi dans la logique de notre position. Toutefois, nous ne devons pas ignorer les dangers psychologiques qui y sont liés.
Logiquement, une campagne de dépistage ne devrait-elle pas être organisée à l'échelon européen plutôt qu'à l'échelon national ? Si la France, après la Suisse, est le seul pays à se lancer dans un tel programme, les comparaisons risquent d'être faussées. Les pays qui n'auront pas fait le même effort de vérité risquent d'apparaître comme des pays dont les produits seraient plus « sûrs » que les nôtres.
De même, une harmonisation ne serait-elle pas souhaitable en ce qui concerne les tests de détection, de manière que les résultats aient la même fiabilité d'un pays à l'autre, à supposer naturellement que l'effort de dépistage s'étende à l'ensemble de la Communauté ?
L'effort d'harmonisation devrait également s'étendre au classement des pays. C'est à partir d'un ratio entre le cheptel et le nombre de cas d'ESB qu'il convient de dire si un pays peut être considéré comme indemne et non en raisonnant en termes bruts.
Soyons clairs : une campagne de dépistage a toutes les chances d'aboutir à la découverte d'un nombre un peu plus important de cas d'ESB. C'est naturellement une bonne chose en termes de santé publique, car le risque pourra être alors mieux appréhendé et ainsi mieux maîtrisé ; encore faut-il que l'opinion soit préparée, qu'elle soit correctement informée, ce qui suppose un effort de communication.
Les médias ont le goût du sensationnel : pour éviter que des dérapages ne se produisent, mieux vaut réfléchir par avance à une communication définie en association avec tous les partenaires intéressés, la profession agricole, les industriels, la distribution, de manière à adresser un message cohérent, équilibré, évitant d'affoler sans raison les consommateurs.
La confiance des consommateurs passe par un effort de clarification et de pédagogie. C'est évidemment difficile lorsque, comme c'est le cas pour l'ESB, les incertitudes restent encore nombreuses. Mais du moins doit-il être possible de mettre fin à certaines suspicions, comme celle qui entourent les process de fabrication - je précise bien « process », monsieur le ministre - dans la filière fromagère ; concernant la transmission verticale de la maladie. Mieux vaut prendre les devants que de laisser circuler certaines informations pouvant susciter des rumeurs.
Une clarification s'impose également en matière d'alimentation animale.
Les deux crises majeures que nous avons connues en matière de sécurité alimentaire - l'ESB et la présence de dioxine dans des poulets - prennent toutes deux leur source dans des problèmes concernant l'alimentation animale et, plus précisément, dans l'utilisation pour l'élevage de coproduits, farines et graisses animales. Doit-on continuer à autoriser cette utilisation ?
Certes, je le reconnais, l'interdiction des coproduits dans l'alimentation animale serait une mesure coûteuse ; une estimation déjà ancienne en chiffrait le coût annuel à 5 milliards de francs.
Non seulement le prix des produits de l'élevage augmenterait inévitablement, avec des répercussions sur le consommateur, mais encore il serait nécessaire de développer fortement les importations de protéines végétales, notamment de tourteaux de soja, ce qui rendrait l'agriculture communautaire plus dépendante de l'agriculture américaine.
Par ailleurs, la destruction pure et simple des coproduits aurait elle-même un coût élevé, avec des incidences sur l'environnement. La compétitivité de l'élevage français et européen se trouverait affectée par rapport à des concurrents qui continueraient à recourir aux coproduits pour l'alimentation animale, y compris pour leurs exportations vers l'Europe.
Ces objections ne peuvent être ignorées. Mais pouvons-nous prendre le risque d'une nouvelle crise liée à l'alimentation animale ?
Dans le domaine alimentaire, la sensibilité des consommateurs est très vive. Le rapport rendu public au début du mois de février par la Commission européenne a de nouveau sensibilisé et troublé nos concitoyens : nous aimerions, monsieur le ministre, recueillir votre sentiment sur ce point.
Des crises de confiance peuvent avoir des effets disproportionnés ; leur coût final peut être très supérieur à celui des mesures de prévention même si, au départ, ces dernières paraissent lourdes. Ne devons-nous pas, à l'égard des farines animales, nous montrer aussi rigoureux qu'à l'égard des hormones de croissance ?
Certes, s'il est scientifiquement et techniquement possible de continuer à utiliser les farines animales dans l'alimentation des filières porcine et avicole, encore faut-il que leur production et leur usage soient clairement encadrés sur la base d'un cahier des charges précis et que les contrôles soient effectifs et réguliers, car l'élimination des risques sanitaires est incompatible avec une politique à géométrie variable.
Encore faut-il également que ce cahier des charges contraigne de la même manière tous les producteurs européens et que les contrôles aient partout dans la Communauté le même sérieux. Ces conditions ne sont-elles pas difficiles à remplir ?
Nous savons que l'agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, a créé un groupe de travail sur l'alimentation animale. Sans doute peut-on espérer que ses recherches apporteront bientôt des lumières supplémentaires sur certains points.
Au demeurant, il paraît nécessaire que, dès que possible, le Gouvernement prenne position une fois pour toutes sur ce sujet afin que les entreprises sachent à quoi s'en tenir et que les consommateurs ne reçoivent pas des signaux contradictoires à peu d'intervalle. Il faut qu'une attitude à la fois claire et stable soit adoptée sur l'ensemble de l'alimentation de toutes les filières animales.
La même exigence de transparence, s'accompagnant d'une information adaptée, doit s'appliquer aux mesures concernant le retrait des matériels à risque spécifié. Le durcissement des règles envisagé dans ce domaine à l'échelon national est une mesure de prudence à laquelle nous souscrivons.
Il convient en même temps de bien la présenter aux consommateurs : elle doit aboutir à renforcer la confiance et non à favoriser une suspicion généralisée à l'égard de tout ce qui relève du « cinquième quartier ».
En un mot, il est nécessaire d'avoir une véritable gestion de la communication s'inscrivant dans la durée et intégrant une totale cohérence entre les ministères concernés de manière à éviter que la rigueur maximale que la France doit s'imposer n'ait pour conséquence paradoxale de désorienter des consommateurs insuffisamment informés.
Une dimension importante de l'effort de transparence et d'information est manifestement la mise en place à l'échelon communautaire d'un système d'étiquetage obligatoire comprenant l'ensemble des mentions pertinentes pour éclairer le consommateur et assurer la traçabilité des produits.
Il y a sans doute de réelles difficultés techniques à mettre en place un système fiable, effectivement appliqué dans toute la Communauté européenne. Mais, compte tenu de l'importance de cet élément si nous voulons sortir un jour de la crise actuelle, il est malgré tout préoccupant de voir les négociations progresser si lentement et prendre une direction peu satisfaisante.
Si l'on doit s'orienter provisoirement vers un étiquetage obligatoire minimal et attendre plusieurs années pour voir se mettre en place un système répondant vraiment aux besoins, comment espérer surmonter les problèmes actuels dans des délais raisonnables ? Pourriez-vous nous expliquer, monsieur le ministre, les raisons qui empêchent d'avancer plus rapidement dans ce domaine ?
Avant de conclure, je souhaiterais évoquer le problème posé par le régime fiscal des indemnisations perçues par les producteurs dont le troupeau entier doit être abattu lorsqu'un des bovins s'est révélé atteint par l'ESB. Nous devons veiller à bien adapter ce régime aux problèmes des éleveurs qui vont devoir reconstituer leur troupeau. Je ne plaide pas pour une exonération fiscale complète, qui serait, j'en conviens, difficile à justifier. Mais un aménagement du régime fiscal de ces indemnisations aurait l'avantage d'introduire une certaine souplesse dans la gestion financière d'un événement dont il est parfois difficile d'estimer l'ampleur.
En conclusion, je voudrais surtout souligner que la crise de l'ESB et les nouveaux développements qu'elle a connus l'année dernière appellent une politique de longue haleine, qui doit être comprise par les consommateurs et concertée avec l'ensemble des professionnels du secteur. Il s'agit de construire ou de reconstruire une relation de confiance, dans un climat de transparence et de rigueur.
Dans un domaine où les rumeurs alarmantes et les simplifications abusives sont chose facile, définir et surtout maintenir une telle politique ne sera pas chose aisée. Mais, compte tenu de la décision que nous avons prise à juste raison de maintenir l'embargo sur la viande britannique, nous sommes condamnés à nous montrer paticulièrement irréprochables. Ce faisant, nous contribuerons à ce que la production européenne devienne synonyme de qualité, ce qui me paraît être le meilleur gage de son avenir. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Le Cam applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d'abord, à me féliciter de l'organisation de ce débat concernant l'épidémie de l'encéphalopathie spongiforme bovine tant les questions liées à la sécurité alimentaire et à la qualité des produits destinés à la consommation sont de plus en plus des enjeux majeurs pour notre société.
L'épidémie de listériose, dont le Gouvernement a révéler l'ampleur tragique il y a quelques jours, montre une fois de plus qu'il devient urgent de renforcer les mesures de prévention, les contrôles, le cas échéant les sanctions, et l'information des consommateurs à tous les stades des filières : production, transformation, distribution et commercialisation.
En tout état de cause, les différentes crises alimentaires et sanitaires qui ont frappé notre pays depuis plus de dix ans, et particulièrement au cours de ces derniers mois, illustrent l'échec d'un modèle d'agriculture intensif, productiviste, qui privilégie la rentabilité immédiate sur les considérations humaines et environnementales, modèle où l'agriculteur se trouve souvent instrumentalisé par les fournisseurs, les intégrateurs, les grands groupes de l' agro-business, et où il ne maîtrise pas toujours les intrants proposés.
De ce point de vue, je ne suis pas convaincu que nous ayons tiré toutes les leçons de la crise de la « vache folle ». Si, partout en Europe, dans des proportions certes différentes selon les pays, on a cherché à améliorer les techniques de dépistage des cas d'ESB, force est de constater que l'élevage intensif, la recherche des techniques permettant de réduire au-delà du raisonnable les cycles de production, la course effrénée à la baisse des prix, pour s'aligner sur les cours mondiaux, continuent d'avoir leurs adeptes, malgré les dérives régulièrement constatées depuis plusieurs années.
A l'évidence, la décision prise en 1990 d'interdire le recours, pour l'alimentation des bovins, à des farines animales ne peut suffire à remettre en cause la logique d'un système productiviste qui a conduit les producteurs anglais et européens à nourrir leur bétail de façon à en accélérer la croissance. De même, la décision de l'Union européenne - après la France - d'instaurer, en mars 1996, un embargo sur le boeuf britannique ne peut suffire à se prémunir durablement contre les effets d'une libéralisation des échanges qui a facilité une circulation sans entrave de produits contaminés et potentiellement dangereux.
Or les réformes successives de la politique agricole commune de 1992 et de 1999, qui ont abouti à une baisse des prix garantis sur la viande bovine et les produits laitiers, incitent les agriculteurs à réduire leurs coûts de production et donc à privilégier des méthodes intensives.
S'il doit exister, au niveau européen, une réelle volonté de garantir aux consommateurs, autant que faire se peut, des produits sans danger pour leur santé, cela passe obligatoirement par la garantie, pour les producteurs eux-mêmes, d'un pouvoir d'achat suffisant à partir de prix rémunérateurs.
C'est pourquoi j'éprouve quelques inquiétudes lorsque j'entends parler d'une nécessaire culture du risque dans le domaine alimentaire, alors que, dans le même temps, on élude sciemment le besoin ressenti, tant par les consommateurs que par les producteurs, de mettre fin aux excès du productivisme agricole.
Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de revenir à je ne sais quel âge d'or de l'agriculture, ce qui aurait pour effet d'accroître notre dépendance alimentaire ; il s'agit, dans notre esprit, de promouvoir et de soutenir un type d'exploitation à dimension humaine, en favorisant l'installation des jeunes, en facilitant la transmission des biens agricoles et en décourageant l'extension des grandes exploitations.
Une agriculture plus soucieuse de l'environnement et de l'aménagement du territoire, à même d'assurer un revenu décent aux exploitants, n'est-elle pas le meilleur gage - même si ce n'est pas le seul - d'une alimentation saine et de qualité ?
Si chacun peut convenir que le « risque zéro » n'existe pas, encore faut-il s'assurer que l'ensemble des moyens scientifiques, humains, financiers et techniques sont mis en oeuvre pour limiter l'insécurité sanitaire et alimentaire.
Or, là encore, l'attitude de la Commission de Bruxelles dans le traitement de la crise est des plus contestables. Au-delà des négligences dont elle s'est rendue coupable dès le début de la crise et qui aboutissent à sacrifier les objectifs de santé publique sur l'autel du marché unique, il est permis de penser que, depuis le 1er octobre dernier, date à laquelle a été décidée la levée de l'embargo sur la viande bovine britannique, la Commission européenne n'a pas contribué, tout au contraire, à favoriser une sortie de la crise par le haut.
En l'espèce, il s'agit non pas seulement de dénoncer les insuffisances de Bruxelles, mais aussi, plus globalement, de s'interroger sur les fondements de la construction européenne, qui interdit à un pays de faire valoir le principe de précaution alors même que des incertitudes sérieuses et fondées demeurent sur les conséquences néfastes, pour les consommateurs, d'une décision.
En effet, alors que les gouvernements français et britannique ont tenté, à plusieurs reprises, de trouver des solutions permettant d'obtenir des assurances sur les contrôles effectués outre-Manche, la Commission de Bruxelles n'a eu de cesse d'attiser les oppositions et de contraindre la France à l'isolement.
Comment comprendre autrement les attaques répétées de la Commission européenne à l'encontre de la France, notamment par le biais de la mise en cause de notre système de dépistage, alors qu'elle-même rejetait, voilà six mois, la proposition française d'interdire l'utilisation des farines animales et préconisait de reporter à 2003 l'instauration de l'étiquetage obligatoire ?
Aussi faut-il se féliciter de la position du Gouvernement français qui, sans se laisser enfermer dans une stérile rivalité franco-britannique, a su résister aux offensives de la Commission, en prenant le risque d'une mise en demeure par la Cour de justice des Communautés européennes.
A ce jour, tout porte à croire que la France a eu raison de se démarquer de ses partenaires et de faire valoir, en la matière, le principe de subsidiarité. En effet, différents éléments, tels que la découverte récente d'une deuxième victime française de la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou la révélation d'une étude de spécialistes américains et écossais attestant la transmission probable de la maladie de la « vache folle » à l'homme, ne peuvent que conforter la position de fermeté prise par la France et rendre crédibles les recommandations de l'AFSSA.
Les auteurs de cette même étude appelaient en outre l'Europe à ne pas sous-estimer l'ampleur de la crise sanitaire et à réviser ses procédures d'expertises. Et un conseiller du gouvernement britannique déclarait il y a peu que plusieurs centaines de milliers de personnes pourraient être concernées par l'épidémie de l'ESB.
Lorsqu'on sait enfin que la France était, avant l'embargo, le principal importateur des bovins d'outre-Manche, il paraît légitime pour la France d'opposer le principe de précaution à la libre circulation des marchandises, quitte, si nécessaire, à remettre en cause les traités européens.
Du reste, le ralliement escompté de l'Allemagne peut constituer, pour le Gouvernement, un soutien précieux dans ses démarches et son combat en faveur de la santé des consommateurs.
Le refus de lever l'embargo, s'il doit être maintenu, n'est cependant pas, à lui seul, de nature à rassurer pleinement nos concitoyens sur la filière bovine française. De lourdes interrogations demeurent en effet.
Ainsi, comment expliquer le nombre toujours important de cas de vache folle en France, et qui concernent pour l'essentiel des bovins nés après l'interdiction des farines ? A l'évidence, la transmission maternelle, d'une part, et les contaminations croisées accidentelles à partir de farines destinées aux volailles et aux porcs, d'autre part, ne sont pas des explications suffisantes.
A ce sujet, monsieur le ministre, a-t-on mesuré l'importance des entrées de farines britanniques sur notre territoire entre 1990 et 1996 en dépit de la réglementation ?
L'interdiction totale des farines animales ne doit-elle pas être sérieusement envisagée, puisqu'il est aujourd'hui avéré qu'elles sont à l'origine de l'épidémie ? Une telle interdiction suppose que soit, en contrepartie, développée sur notre sol la production de protéines végétales à partir du maïs ou du soja si l'on souhaite limiter le recours aux céréales d'origine américaine, qui présentent elles-mêmes des risques potentiels.
A tout le moins, des moyens financiers doivent être débloqués au plus vite pour renforcer nos connaissances sur le degré de nocivité de ces farines, sur l'évolution des maladies à prion, sur leurs modes de transmission de l'animal à l'homme et entre espèces animales. Ne faudrait-il pas, à cet égard, remettre en cause l'épandage de déjections de volailles ou de porcs sur des sols où pâturent des bovins ?
Ces efforts pourraient être prioritairement consentis par l'Union européenne. La présidence française, au cours du second semestre de cette année, doit permettre d'accélérer ce processus.
Nous soutenons, quant à nous, l'idée d'une agence européenne de sécurité sanitaire et alimentaire qui aurait pour vocation non pas de se substituer aux instances nationales, mais de favoriser, entre les Etats membres, une coordination et une harmonisation des contrôles, des expertises et des systèmes d'alerte, dans le respect des prérogatives de chaque Etat.
Par ailleurs, le système d'étiquetage des bovins à l'aide de boucles auriculaires ne mérite-t-il pas d'être amélioré ou complété dès lors que, comme l'indique une récente enquête du journal l'Humanité, ce procédé est, Jean-Marc Pastor l'a déjà dit, aisément falsifiable et interchangeable ?
Enfin, ne conviendrait-il pas que la traçabilité, qui permet de connaître le nom de l'éleveur ou de l'engraisseur, le lieu de naissance et l'âge de l'animal, intègre également le type d'alimentation fournie à celui-ci ? Cette pratique permettrait d'épargner à une partie des éleveurs certains effets de la crise, qui frappe de façon uniforme l'ensemble des producteurs, y compris ceux qui élèvent leurs bovins à l'herbe. Ces derniers pourraient ainsi retrouver la confiance du consommateur.
Il convient de rappeler à ce propos que la traçabilité occasionne un surcroît de travail non négligeable pour les éleveurs. La traçabilité serait donc encouragée par une élévation des cours.
En conclusion, il me semble que l'opacité dans le secteur de l'agro-alimentaire ou la rétention d'informations - pratiques qui ont trop longtemps prévalu dès l'apparition de toutes les épidémies - vont à l'opposé des exigences des consommateurs, qui sont aussi des citoyens et ont le droit de connaître les risques qu'ils courent. Peut-on prétendre favoriser une « culture du risque » en infantilisant ou en déresponsabilisant les consommateurs ? Je ne le crois pas !
La transparence doit permettre, à l'inverse, de réconcilier durablement producteurs et consommateurs, dont les préoccupations peuvent converger, et de responsabiliser l'ensemble des acteurs de la filière agro-alimentaire, notamment la grande distribution, qui contraint les producteurs à brader leurs produits, sans que les consommateurs y gagnent.
La façon dont l'Europe saura gérer cette crise dépend aussi, pour une part, de l'issue des négociations internationales de l'OMC qui nous opposent aux Etats-Unis. Si l'Union accepte aujourd'hui que, sur son territoire, circulent des produits qui comportent un risque reconnu pour la santé humaine, quels arguments pourrons-nous faire valoir pour, demain, interdire l'importation de boeufs hormonés et de produits génétiquement modifiés ?
Il est donc indispendable - et je rejoins ici le souci manifesté par M. Haenel dans sa question - qu'à l'occasion de cette crise l'Europe sache donner du contenu au principe de précaution et mettre celui-ci en oeuvre si l'on souhaite le voir triompher parmi les règles du commerce mondial.
C'est pourquoi je pense que la position de la France, loin d'être une affaire franco-française, sera utile à toute l'Europe et même au-delà. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - M. Haenel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président de la délégation à l'Union européenne a souhaité, avec raison, que nous débattions aujourd'hui des modalités de mise en place d'une plus grande sûreté alimentaire au niveau communautaire. La crise dite de la « vache folle » en est la motivation majeure. Je me réjouis que nous ayons ainsi l'occasion d'exprimer les inquiétudes de nos concitoyens et de chercher ensemble des solutions.
Je ne reviendrai sur l'actualité préoccupante des cas de listériose que pour rappeler que nous avons, à l'évidence, une obligation de résultat quant à la diminution des risques alimentaires.
Quel que soit le domaine, la notion de risque est un élément de la vie quotidienne. Il n'y a pas de risque zéro ! Toutefois, si l'on ne peut imaginer d'alimentation, de pratique sportive ou de conduite automobile avec un risque nul, certains risques peuvent être évités ou, en tout cas, fortement diminués. C'est sur cette marge que nous devons travailler et améliorer la sécurité.
Dans la logique du marché unique, la question de la sûreté alimentaire relève du domaine communautaire. C'est bien dans ce cadre que les solutions doivent être recherchées. Le principe de subsidiarité, auquel nous sommes tous attachés, peut et doit être appliqué ici, mais simplement et avec bon sens.
La crise de l'ESB, qui préoccupe les citoyens de l'Union européenne depuis plus de quatre années, est significative. Elle témoigne de la difficulté des Etats membres à gérer une grave crise dans un esprit communautaire.
Monsieur le ministre, nous regrettons tous, je pense, le durcissement des relations entre la France et la Grande-Bretagne - non pas uniquement sur les terrains de rugby ! (Sourires) - qui se caractérise, d'un côté, par le maintien de l'embargo, de l'autre, par des mesures de rétorsion.
Le principe de précaution est sage, parce qu'il y a doute, mais il est statique.
Je sais que la demande d'étiquetage précis mentionnant l'origine britannique de la viande est au coeur des négociations actuelles. Le Gouvernement français s'engage-t-il, si la Grande-Bretagne accepte l'étiquetage, à lever l'embargo, ou conditionne-t-il cette levée à d'autres exigences ?
La mise en place de cet étiquetage justifierait, me semble-t-il, la levée. D'une part, elle permettrait de respecter les règles de la libre circulation des produits à l'intérieur de l'espace communautaire. D'autre part, elle responsabiliserait les citoyens français, qui pourraient choisir en toute connaissance des risques. De surcroît, si l'on raisonne en termes d'échanges commerciaux, cette mesure mettrait fin aux mesures de rétorsion qui nous ont été préjudiciables et ont affecté les relations entre nos deux pays.
Au demeurant, dans les pays n'ayant pas mis en place d'embargo, les consommateurs ont fait preuve de la plus absolue des prudences, et les ventes de viande bovine britannique y ont été quasi nulles.
Il s'agit de sûreté alimentaire et de santé, mais c'est également toute l'organisation du secteur agro-alimentaire national qui est en jeu.
Monsieur le ministre, les sorties du circuit alimentaire réglementé, avec les risques qu'elles comportent, sont réelles. Dans mon département, comme sans doute dans le vôtre, certains habitants commencent à s'organiser pour être sûrs de l'origine et de la qualité de la viande : connaissant des éleveurs fiables, ils leur achètent à plusieurs un veau, ou un porc, et contournent ainsi les bouchers.
Ce risque d'un retour à l'autarcie sans contrôle vétérinaire, paradoxal, soulignons-le, à l'heure de la mondialisation, démontre que nous devons d'urgence trouver les moyens de rassurer les consommateurs, en particulier les parents, qui craignent pour leurs enfants.
Monsieur le ministre, le 18 novembre dernier, dans une question écrite, j'avais attiré votre attention sur la mise en place d'une traçabilité rigoureuse des OGM aux échelons communautaire et français.
Aujourd'hui, cette question se pose non pas uniquement pour le boeuf britannique mais aussi pour l'ensemble des produits alimentaires. Nous devons être favorables à la création d'une autorité européenne indépendante en matière de sûreté alimentaire. Néanmoins, les politiques ne doivent pas uniquement se reposer sur les techniciens et déléguer leurs responsabilités. Nous devons donc également décider de mettre en place une traçabilité systématique des produits, matérialisée par un étiquetage précisant obligatoirement les différentes étapes de transformation.
Je n'ignore pas les dificultés techniques d'une telle proposition. Il s'agit d'un chantier important, à en juger par l'âpreté des négociations pour parvenir à un accord sur l'étiquetage du seul chocolat.
Les enjeux économiques sont importants. La France aura-t-elle avantage à cette mise en place ? A première vue, cet étiquetage systématique pourrait sembler pénalisant, étant donné la spécificité et la diversité de nos produits, tels que nos fromages non pasteurisés ou nos charcuteries. Cependant, cette traçabilité systématique permettra sans doute de garantir la fiabilité de nos produits, reconnus pour leur saveur, et de préserver leur notoriété.
Prenons l'exemple bien connu du foie gras. A ce jour, il est possible de trouver des foies « origine Sud-Ouest » alors que seule la mise en conserve a été réalisée dans cette région. L'ambiguïté est totale pour le consommateur, qui est dupé. Il n'y a qu'une solution : préciser les différents stades de la transformation, et donc indiquer la zone d'élevage de l'oie ou du canard, sa nourriture, le lieu d'abattage et le lieu de mise en conserve. Ainsi le consommateur pourra-t-il faire la différence et choisir en toute clarté, en toute sécurité.
Monsieur le ministre, je vous demande de prendre au nom de la France une initiative forte. Ainsi, au prochain conseil des ministres de l'agriculture des 20 et 21 mars, défendrez-vous le principe d'un étiquetage obligatoire précisant les différentes étapes de fabrication de tout produit alimentaire ? Demanderez-vous qu'une proposition en ce sens soit soumise au conseil par la Commission européenne, et qu'elle le soit dans les meilleurs délais ?
Cette décision aura une incidence sur le futur de notre industrie agroalimentaire mais sera aussi la réponse aux inquiétudes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis, moi aussi, de l'occasion qui nous est donnée, grâce à ce débat, de faire ensemble le point sur le difficile problème de l'ESB et de la crise de la vache folle. Dans vos interventions, tout à la fois sérieuses et intéressantes, vous avez soulevé nombre de questions auxquelles je vais m'efforcer de répondre franchement.
La sécurité sanitaire des aliments est une légitime attente du consommateur, qui s'exprime puissamment jour après jour, et, en la matière, les pouvoirs publics ont une incontournable responsabilité.
Face à cette double réalité de l'attente des consommateurs et de la responsabilité des pouvoirs publics, le Parlement a décidé, voilà deux ans, de rénover le dispositif national d'évaluation des risques en créant l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et le comité national de sécurité sanitaire.
Il est d'ailleurs opportun que notre débat ait lieu aujourd'hui : nous sommes au terme, ou presque, de la première année d'existence de l'AFSSA, ce qui m'a donné l'occasion de faire, tôt ce matin, le point avec son directeur général ; hier, le comité national de sécurité sanitaire faisait lui-même le point sur divers sujets, dont ceux que nous évoquons ce matin.
L'action doit bien sûr s'inscrire dans la durée, et elle doit encore être améliorée mais, d'ores et déjà, le dispositif a fait la preuve de sa pertinence et de son efficacité. Je me réjouis de constater les effets positifs de la décision du Parlement de créer une agence indépendante de l'évaluation des risques, qui a su asseoir sa crédibilité : elle est aujourd'hui reconnue, nationalement et même internationalement, pour sa capacité de conseil et d'évaluation des risques alimentaires.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Pour ce qui concerne le cas plus particulier qui nous préoccupe, celui de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, l'évaluation et la gestion du risque sont évolutives dans la mesure où la connaissance scientifique sur le sujet, encore largement insuffisante, est en pleine évolution. Le risque n'en est que plus difficile à appréhender.
Je ne prendrai qu'un exemple parmi plusieurs, celui des voies de transmission.
Aujourd'hui, deux voies de transmission de l'ESB sont couramment admises : la voie alimentaire et la voie naturelle de la vache au veau. Toutefois, les scientifiques n'excluent pas totalement la possibilité d'une troisième voie de transmission, et nous sommes obligés de tenir compte de cette interrogation, qui pèse beaucoup dans la gestion du risque.
Il est donc nécessaire - et c'est la première conclusion - de maintenir et même de développer les recherches sur l'ESB.
Le Gouvernement s'était engagé à élaborer un programme de recherches, en étroite collaboration entre le secrétariat d'Etat à la santé et à l'action sociale, le ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de technologie et le ministère de l'agriculture et de la pêche. Ce programme de recherches se poursuit à un haut niveau, avec pour objectif d'éliminer le plus vite possible les zones d'incertitude.
A ces données - attente des consommateurs, responsabilité des pouvoirs publics, dispositifs rénovés et connaissance scientifique évolutive - il faut en ajouter une autre : la mutation que connaît actuellement, en France et en Europe, l'agriculture.
L'agriculture abandonne progressivement la course au productivisme, lequel a eu son utilité dans le passé - pour devenir une agriculture plus citoyenne, plus respectueuse de l'environnement et, surtout, plus soucieuse de la qualité des produits, de leur traçabilité et de la sécurité alimentaire. Or cette démarche, qui est d'ailleurs largement encouragée par la loi d'orientation agricole adoptée l'an dernier par le Sénat, facilite l'action politique.
Je vais maintenant aborder les divers aspects du problème, en commençant par la levée de l'embargo, que vous avez, les uns et les autres, cité comme un élément déterminant.
Quand la France a refusé, l'an dernier, de lever l'embargo sur le boeuf britannique, elle l'a fait sur le fondement d'un avis scientifique de l'AFSSA. Cependant, si l'AFSSA a évalué le risque, c'est le Gouvernement qui l'a géré. Cette distinction entre l'évaluation du risque, confiée à un organisme indépendant, et sa gestion, qui, dans une démocratie, doit rester de la responsabilité du gouvernement, est fondamentale : au cours de l'évolution de l'AFSSA dans notre « paysage » administratif et politique, la frontière devra être mieux établie. Les scientifiques évaluent le risque, mais il appartient aux responsables politiques, je le répète, de le gérer et de prendre les décisions.
Quand nous avons pris la décision de ne pas lever l'embargo, nous avons évidemment pris en compte l'évaluation du risque faite par l'AFSSA, mais, en conscience, nous avons dû intégrer d'autres éléments : des éléments juridiques, tels que le risque d'être traduits devant la Cour de justice européenne, et des éléments de caractère économique, que certains d'entre vous ont évoqués, à savoir le risque d'une tension commerciale avec le Royaume-Uni et de mesures de rétorsion éventuelles.
Ces éléments, nous avons dû les intégrer, même si, au bout du compte, ils n'ont pesé que peu de poids dans la décision de maintenir l'embargo.
Lorsque nous avons pris cette décision, nous avons émis certaines conditions susceptibles, si elles étaient réunies, de permettre la levée de l'embargo. Notamment, et je réponds précisément à M. de Montesquiou - il nous semblait qu'au moins deux critères supplémentaires devaient être remplis, à savoir la mise en oeuvre de test, et l'étiquetage obligatoire.
Des tests sont en effet disponibles maintenant, sur le marché, ils n'existent que depuis quelques semaines, mais peuvent être produits de manière industrielle. Nous demandons donc à l'Union européenne de décider leur mise en oeuvre à grande échelle, c'est-à-dire pas seulement en France et en Grande-Bretagne, mais sur l'ensemble du territoire européen - pour que cette mise en oeuvre soit pertinente, il faut en effet pouvoir atteindre toutes les régions touchées - et suivant des protocoles unanimement reconnus par les scientifiques.
La Commission s'engage dans cette voie d'une manière qui ne saurait recueillir notre accord à ce stade, du fait des réticences de certains Etats, dont l'attitude peut se résumer par l'expression : « Circulez, y'a rien à voir ! » Ces Etats qui affirment n'être pas touchés par l'ESB sont évidemment réticents à une mise en oeuvre à grande échelle de tests sur leurs cheptels qui pourraient contredire cette formation, et ils s'efforcent d'ôter toute pertinence scientifique à ce programme, en faisant porter celui-ci sur des échantillons quantitatifs et qualitatifs qui ne sont pas pertinents en termes scientifiques.
Certes, les discussions se poursuivent, mais, même si la Commission européenne est favorable à la mise en place de tests, il est à craindre que celle-ci ne soit pas assez large.
Quant à l'étiquetage, nous avons en effet demandé l'adoption d'une règle communautaire. Je vais répondre précisément à une véritable interrogation, car, d'une certaine manière, ce ne sont pas les Britanniques qui sont en cause, c'est l'Europe.
Les Britanniques sont persuadés que leur viande est la meilleure et la plus sûre du monde. Ce n'est donc pas un problème pour eux de l'exporter avec l'étiquette « viande britannique », et l'on pourrait facilement s'entendre avec eux. Nous, ce que nous voulons, c'est nous prémunir contre le commerce triangulaire. On peut par exemple imaginer que le Royaume-Uni exporte son boeuf vers les Pays-Bas, que les Néerlandais retirent l'étiquette et réexportent la viande en France. Nous n'aurions alors aucune garantie sur son origine.
Il est donc nécessaire d'arrêter une règle européenne pour éviter toute dérive en cas de commerce triangulaire,...
M. André Rouvière. Très bien !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. ... ce qui m'amène à la mise en place au niveau communautaire d'un système d'étiquetage obligatoire.
Ce système, décidé en avril 1997, devait être mis en oeuvre au 1er janvier 2000, mais, lorsque ce sujet a été abordé au conseil de l'agriculture européen au cours du dernier trimestre de 1999, je me suis trouvé très isolé pour demander le respect de cette échéance, tellement isolé que l'échéance est passée et que la mise en oeuvre de ce texte a été repoussée... à une date ultérieure !
Dans un premier temps, la Commission avait demandé un report à 2002, voire à 2003. Mais, devant la très forte résistance de la France que j'ai exprimée, il a été accepté de mettre en oeuvre l'étiquetage obligatoire de la viande bovine au 1er janvier 2001. Puis, grâce, non pas à un miracle, mais au jeu démocratique au sein des institutions européennes, la situation a évolué : le Parlement européen a refusé, et, pour la première fois dans son histoire, sa présidente a saisi le conseil agricole européen d'un fax dans lequel il lui était reproché, s'agissant d'un processus de codécision, de prendre une décision de report de l'étiquetage obligatoire de la viande bovine contraire au souhait du Parlement européen, qui lui demandait donc de remettre en cause cette décision.
Le Conseil agricole européen suivant a tenu compte de la pression du Parlement : à nouveau saisi du dossier, il a avancé la date de la mise en place de l'étiquetage obligatoire au 1er septembre 2000.
Les choses avancent donc. Je me suis publiquement réjoui de cette pression du Parlement européen, qui va dans le sens souhaité par la France. Je me suis réjoui que le processus ait été accéléré. Mais, bien entendu, il faut veiller au grain, afin que la date fixée pour l'étiquetage obligatoire de la viande bovine en Europe soit bien le 1er septembre 2000 et qu'il s'agisse d'un véritable étiquetage, affichant une vraie traçabilité, c'est-à-dire qui précise à la fois le lieu de naissance, le lieu d'élevage et le lieu d'abattage. Cette étiquetage ne doit pas être vidé de sa substance, ce que certains demandent. Ils souhaitent en effet un faux étiquetage... une fausse bonne idée, si j'ose dire.
Ce travail est en cours. La pression exercée par la France est, grâce au Parlement européen, plus forte.
Cela me conduit à dire quelques mots sur les expérimentations en cours, et notamment sur l'identification électronique, monsieur Pastor.
Ce type d'identification - et plusieurs départements français ont contribué à cette expérience - est en fin d'expérimentation et nous en aurons les résultats dans les prochains mois.
Au passage, je souhaiterais apporter quelques précisions sur la fraude généralisée qui afficherait l'étiquetage par le « trafic de boucles ».
Ces boucles que vous voyez aux oreilles de nos bovins sont testées par l'Institut français de l'élevage. Elles sont solides. Quand elles sont arrachées - on peut toujours imaginer une fraude - leur réutilisation sur un autre bovin les fragilise et elles tiennent moins bien. J'ajoute que ces boucles ne constituent qu'un des éléments de la traçabilité parmi d'autres, notamment le passeport et le fichier national des données de l'élevage. Ce système nous permet de croiser les informations et, éventuellement, de déceler la fraude.
J'en viens au contexte européen dans lequel nous évoluons. Nous fondons beaucoup d'espoirs sur l'évolution du paysage européen, notamment sur les propositions faites par la Commission, dans l'optique du Livre blanc, de mettre en place, à l'échelon communautaire, une autorité alimentaire européenne. A cet égard, un certain nombre de questions restent encore en suspens, s'agissant notamment de la saisine de cette autorité. Sera-t-elle de la seule responsabilité de la Commission européenne, ou existera-t-il des possibilités d'autosaisine ? Par ailleurs, comment la coordination entre l'autorité alimentaire européenne et les agences nationales existantes, par exemple la nôtre, sera-t-elle assurée ?
Je voudrais indiquer que, à ce stade, la France est d'autant plus favorable à la création de cet organisme que c'est elle qui l'a proposée l'année dernière par la voix de M. Bernard Kouchner, qui était alors secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, et qui avait exprimé, au nom de la France, notre souhait d'avancer sur ce dossier.
En attendant, la France s'impose à elle-même des mesures et essaie de progresser dans la voie d'une plus grande rigueur et d'une plus grande sécurité alimentaire.
Je reviens à la question des tests puisque, en attendant les décisions européennes en cette matière, nous avons décidé de mettre en oeuvre dans les toutes prochaines semaines un programme de 40 000 tests. A ce propos, nous attendons l'avis du « comité Dormont » de l'AFSSA, spécialisé dans l'étude de l'ESB et qui avait d'ailleurs été créé avant celle-ci, qui doit nous remettre un protocole d'échantillonnage. En effet, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, nous ne voulons pas que ces tests soient une sorte de « poudre aux yeux » destinée à rassurer l'opinion, nous souhaitons qu'ils nous permettent de travailler scrupuleusement et rigoureusement, sur le plan scientifique, à la connaissance de la maladie.
Ces tests auront deux objectifs. Le premier, c'est un objectif quantitatif de meilleure évaluation de l'ampleur de l'épidémie, qui devra sans doute être revue à la hausse, car nous allons forcément découvrir des cas qui n'auront pas encore été déclarés. Le second, c'est un objectif qualitatif de connaissance de cette maladie, notamment quant à l'éventuelle troisième voie de transmission.
Donc, nous voulons que ces tests soient pertinents sur le plan scientifique et nous attendons du comité Dormont qu'il nous fournisse en quelque sorte un cahier des charges scientifique pour ces tests.
Evidemment, ce programme aura plus de pertinence scientifique si l'on fait porter ces tests sur des cheptels à risque - par exemple les animaux morts dans des conditions inconnues - ainsi que sur des régions à risque. En effet, il est plus pertinent d'aller rechercher les cas d'ESB dans les cheptels localisés dans des département qui ont connu plusieurs cas, voire plusieurs dizaines de cas, que dans d'autres départements - que je connais bien par ailleurs - où il n'y a pas eu un seul cas.
Il faut donc que ce protocole soit géographiquement et techniquement pertinent. Nous avons fait le point hier, en comité national de sécurité sanitaire. Ce protocole devrait aboutir d'ici à une semaine ; il sera transmis et nous nous mettrons en marche.
D'ores et déjà, un groupe de travail interministériel prépare la mise en oeuvre de ces tests, qui sera lourde financièrement, lourde techniquement et lourde, je me permets de vous le dire, mesdames, messieurs les sénateurs, en termes de communication bref, lourde à tous égards.
Elle sera lourde techniquement car un test, en l'occurrence, c'est un prélèvement sur le système nerveux central, c'est-à-dire sur le cerveau. Autant dire que cela ne peut pas être fait par n'importe qui : ce prélèvement doit être réalisé par des vétérinaires, dans des conditions particulières. Donc, 40 000 tests, cela veut dire 40 000 manipulations précises.
La mise en oeuvre de ces tests sera également lourde financièrement. Pas tellement au niveau du coût, d'autant que, compte tenu de l'appel d'offres international que nous allons obligatoirement lancer pour départager les trois tests existants - à savoir le test irlandais, dénommé « Enfer », le test suisse - le Prionics - et le test français qui n'a pas encore de nom mais qui est issu du CEA et de la concurrence ainsi créée, les coûts sont en train de baisser. Mais si la mise en oeuvre de ces tests révèles des cas de « vache folle », nous devrons en tirer les mêmes conclusions qu'aujourd'hui, c'est-à-dire abattre le troupeau et indemniser l'éleveur concerné. Cela représente, par rapport au budget initial du ministère de l'agriculture que je vous avais présenté, un surcoût qui pourrait, en fonction des résultats des tests, osciller entre 120 millions et 180 millions de francs.
Quand pourrons-nous pratiquer un test de manière systématique sur tous les animaux abattus ? Cela me paraît aujourd'hui, et de l'avis des scientifiques, à la fois très lourd et illusoire du point de vue de la sécurité sanitaire.
Selon les scientifiques, ces tests qui sont fiables, ne révèlent pas systématiquement la maladie. En effet, ils ne permettent de la déceler que sur une période donnée, de quelques mois. Ils permettront, certes, une meilleure approche puisque, aujourd'hui, on attend que la maladie soit déclarée. Toutefois, cette approche ne sera pas suffisamment pertinente.
Il ne faut pas ériger une fausse barrière de sécurité pour les consommateurs. Il ne faut pas faire croire que l'instauration de tests garantirait systématiquement la sécurité sanitaire de la viande. Nous devons disposer de la meilleure connaissance possible sans pour autant semer des illusions.
En revanche, toujours selon les scientifiques, c'est sur l'utilisation des matériels à risque spécifique dans la fabrication des farines animales que nous devons obtenir la meilleure sécurité alimentaire. Nous avons déjà fait ce travail. Les grandes dates sont 1990, avec l'interdiction des farines animales pour les bovins, et 1996, année à partir de laquelle ont été interdits les matériels à risque spécifique dans la fabrication des farines animales pour les porcs et les volailles.
Nous sommes en train d'étudier l'idée de passer, après l'interdiction des matériels à risque spécifique de type 1, à l'interdiction des matériels à risque spécifique de type 2, pour assurer encore une meilleure sécurité sanitaire des produits entrant dans la composition des farines animales.
Notre démarche est exemplaire sur le plan européen. En effet, certains pays d'Europe mettent encore des matériels à risque spécifique de type 1 - ils incorporent des cadavres d'animaux - dans les farines animales.
Lors de chaque conseil européen, je demande que nous fassions en sorte d'obtenir une meilleure cohérence sur le plan européen dans la fabrication des farines animales. On ne doit pas accepter que certains continuent à mettre des MRS de type 1 dans ces farines.
Nous continuons donc à avancer en même temps sur une interdiction éventuelle des MRS de type 2. Nous envisageons de prendre cette décision. A ce propos, nous avons saisi l'AFSSA, qui nous a remis un rapport ces jours derniers.
Je ne veux pas que l'on sème l'illusion en instaurant une telle interdiction alors que ne serait pas mis en place parallèlement un système de garantie à l'importation permettant d'assurer que ce que nous interdisons pour la fabrication des farines animales en France n'est pas utilisé dans des importations de farines animales pour lesquelles ne seraient pas respectées les mêmes garanties. Nous sommes en train d'examiner l'intérêt de cette rigueur supplémentaire. Nous nous appliquons à nous-mêmes ces mesures, qu'il s'agisse des tests ou des MRS.
Je voudrais dire un mot des contrôles et, en particulier, répondre à ceux d'entre vous qui ont cité le cas du Morbihan, qui a défrayé la chronique ces derniers jours.
Je ne sais pas si je dois dire aux agriculteurs bretons, et en particulier aux éleveurs bretons, que je les aime pour ôter tout doute. Ils ont eu le sentiment qu'il y avait un complot contre l'agriculture bretonne, un supercomplot contre les éleveurs bretons.
M. Alain Gérard. C'est vrai !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je tiens à dire ici solennellement qu'il n'en est rien et que, au contraire, j'ai fait preuve en l'occurrence, dès le début, d'une très grande prudence.
Quand cette affaire est apparue sur la place publique et dans la presse, je me suis permis de formuler trois commentaires.
Premièrement, à la question de savoir s'il y avait eu une volonté de fraude, de dissimulation d'un animal malade par l'éleveur, ou par le commerçant qui, intervenant entre l'éleveur et l'abattoir, avait acheté la vache et l'avait revendue - avec une marge au passage ! - j'ai indiqué qu'il appartenait non pas à moi mais à la justice de répondre. Personnellement, j'ai dit : je ne me prononce pas sur le sujet. Par conséquent, contrairement à ce que l'on m'a fait dire, je n'ai jamais évoqué de manipulation en amont. J'ai dit que je n'en savais rien, que ce n'était pas à moi de le dire, mais à la justice.
Deuxièmement, à la question de savoir si la vache était malade, j'ai dit qu'il ne m'appartenait pas non plus de répondre. Etait-elle elle atteinte de l'ESB ? Encore une fois, ce n'était pas à moi de le dire. Nous avons effectué des prélèvements et nous allons opérer des contrôles. Dès le début de l'affaire, j'ai dit que je n'en savais rien, et à juste raison puisque, in fine , les tests se sont révélés négatifs, démontrant que la vache n'était pas atteinte de la maladie de l'ESB.
Troisièmement, les contrôles ont-ils bien fonctionné ? J'ai répondu : oui, puisqu'ils ont permis de retirer cette vache du circuit de distribution pendant la durée des contrôles. A cet égard, monsieur Herment, je vous l'affirme, ce troupeau n'a pas été abattu. C'est encore dans le cadre de la grande paranoïa collective qu'il a été dit qu'un troupeau avait été abattu pour rien. Jamais on n'abat un troupeau avant d'avoir connaissance du résultat du test, avant de savoir si la vache était atteinte ou non de la maladie de l'ESB. Je démens formellement l'information selon laquelle le troupeau aurait été abattu. Il n'en a rien été !
M. Jean-Marc Pastor. Très bien !
M. Raymond Courrière. C'est clair !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. En conclusion, je souhaiterais évoquer brièvement plusieurs points à caractère international.
S'agissant de la Commission européenne, je pense sincèrement que celle d'aujourd'hui n'est pas la même que la précédente. Romano Prodi et son équipe ont su tirer les leçons de la crise qui a affecté la commission précédente qu'il s'agisse du mode de fonctionnement ou des objectifs qu'ils poursuivent, même si les choses sont bien sûr encore perfectibles. Toutefois, le seul fait que le premier acte symbolique de la Commission ait été de nommer un commissaire chargé de la sécurité alimentaire des consommateurs est un signe positif. Que son deuxième acte ait été de faire rédiger et de publier un Livre blanc sur la sécurité alimentaire est un deuxième signe positif. Qu'elle ait souhaité, dans ce Livre blanc, créer une autorité indépendante européenne est un troisième signe positif.
Je pense donc qu'il faut encourager les efforts de la Commission, même si, dans le même temps, certaines mauvaises habitudes perdurent.
Ainsi, s'agissant du rapport de l'Office alimentaire et vétérinaire, l'OAV, auquel plusieurs d'entre vous ont fait allusion, le Gouvernement français a été très choqué. En effet, la Commission européenne a rendu public ce rapport sans y inclure les réponses de l'administration française et de l'Etat français. C'est d'autant plus dommageable que, en l'occurrence, ces réponses sérieuses et circonstanciées montraient, preuves à l'appui, que près de 80 % des affirmations de l'OAV et de ses enquêteurs étaient purement et simplement erronées.
Ce genre de méthodes doit prendre fin. Les trois ministres concernés du Gouvernement français - Mme Lebranchu, Mme Gillot et moi-même - s'apprêtent d'ailleurs à exprimer une protestation très forte auprès de la Commission.
Que la France ne lève pas l'embargo sur le boeuf britannique, qu'elle veuille aller plus vite que la musique - en tout cas que la musique européenne - sur l'étiquetage et mettre en oeuvre un programme de tests à grande échelle ! cela dérange sans doute ! Mais, dans la pratique démocratique, il faut éviter de recourir à de tels procédés ; type de pratique, c'est-à-dire de rapports très contestables, simplement pour décrédibiliser la parole de la France. Cette situation doit cesser, et je vous remercie de l'avoir tous indiqué à votre manière.
La présidence française interviendra dans ce contexte dans à peine quatre mois. La sécurité sanitaire des aliments sera bien évidemment l'une de nos priorités. Nous trouverons sur la table un certain nombre de dossiers, tels que l'étiquetage, qui devra être mis en place au 1er septembre et pour lequel une décision devra donc être prise en juillet au plus tard, les problèmes soulevés par les matériels à risque spécifique, les MRS, qui font l'objet d'un débat au sein de la Communauté et le dossier de l'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments. Nous aurons donc de traduire concrètement dans les faits nos priorités.
Le dernier point de mon intervention portera sur l'OMC.
Les discussions n'ont pas encore repris mais cela ne saurait tarder. Je ne m'étendrai pas sur le sujet, car ce n'est pas l'objet de ce débat. Je ferai simplement remarquer que l'arbitrage demandé par les Américains à l'OMC à propos du boeuf aux hormones nous a été défavorable sur la forme mais non sur le fond. En effet, nul n'a contesté l'idée que nous puissions invoquer le principe de précaution en arguant du caractère dangereux pour la santé de ces viandes aux hormones ; il nous a simplement été reproché de ne pas en apporter la preuve.
Il est vrai, reconnaissons-le, que l'Union européenne et la Commission ont tardé à lancer ces études scientifiques. Dix-sept sont actuellement en cours, dont certaines dans des laboratoires français. Je pense, d'après certaines informations, que, dans le courant de l'année 2000, ces études apporteront la preuve du caractère cancérigène de certaines de ces substances, notamment du 17 bêta-oestradiol.
Les Américains ne peuvent pas nous reprocher d'invoquer le principe de précaution, puisque eux-mêmes s'en prévalent : vous savez sans doute que les Américains eux-mêmes, à la suite de la crise de l'ESB, maintiennent un embargo non pas sur le seul boeuf britannique, mais sur l'ensemble du boeuf européen, au nom du principe de précaution !
J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'indiquer au ministre de l'agriculture américain que, dans la mesure où les Etats-Unis invoquaient, à juste titre, comme l'Union européenne, le principe de précaution, il faudrait se mettre d'accord les uns et les autres sur les règles internationales permettant d'invoquer ce principe sans fausser le commerce mondial. Dans cette affaire, il y a non pas des innocents et des coupables, mais des personnes essayant de défendre chacune à leur manière la sécurité de leurs consommateurs.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments d'information que je voulais vous communiquer. Certes, je pourrais parler encore des heures sur ces sujets difficiles et cruciaux pour la sécurité de nos consommateurs, mais je bousculerais alors l'ordre du jour du Sénat ! (Sourires.)
En tout cas, ce débat, dont je tiens à vous remercier, nous aura permis d'aller au fond des choses et de poser des questions actuellement très importantes. Je me tiens à votre disposition pour le reprendre quand vous le souhaiterez. (Applaudissements.)
M. Jean Chérioux. Il faut notamment remercier l'auteur de la question, M. Haenel !
M. le président. Je tiens à remercier, d'une part, la délégation pour l'Union européenne et son président d'avoir organisé un tel débat, et, d'autre part, les orateurs et M. le ministre d'y avoir participé. Ce débat démontre bien la préoccupation du Sénat s'agissant de sécurité alimentaire, tant sur le plan européen que pour la filière et les consommateurs.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je constate que le débat est clos.
L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

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SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
D'ÉGYPTE

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de l'Assemblée du peuple d'Egypte, conduite par son président, le docteur Ahmed Fathi Sourour.
Nous sommes particulièrement sensibles à l'intérêt et à la sympathie qu'ils portent à notre institution.
L'Egypte est un partenaire essentiel de la France. Nos deux pays mènent ensemble une action constante en vue du renforcement de la paix, de la stabilité et de la prospérité au Proche-Orient.
Egalement riverains de la Méditerranée, nous partageons la même conviction que notre destin se joue aussi dans cette région, où l'Egypte et la France doivent oeuvrer au rapprochement entre les hommes et les cultures.
Au nom du Sénat de la République, je souhaite à la délégation égyptienne la plus cordiale bienvenue et je forme des voeux pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens d'amitié et de coopération entre nos deux pays et nos deux peuples. (Mmes et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Conformément à la règle posée à l'unanimité par la conférence des présidents, je rappelle que l'auteur de la question et le ministre qui lui répond disposent chacun de deux minutes trente.
Chaque intervenant aura à coeur, par courtoisie, de respecter le temps qui lui est imparti afin que toutes les questions et toutes les réponses puissent bénéficier de la retransmission télévisée.

NOUVELLE CARTE SCOLAIRE

M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale.
Depuis le début du mois de février, un mouvement de protestation sans précédent des enseignants et des parents d'élèves s'est mis en place sur tout le territoire national, contestant la gestion de la carte scolaire.
M. Jacques Mahéas. Parlez-en à M. Devaquet !
M. Dominique Leclerc. Nous savons, monsieur le ministre, que vous êtes excédé par les « piaillements » - je vous cite - des professeurs et des parents qui protestent contre les fermetures de classes, mais vous nous devez tout de même quelques explications.
Comment expliquez-vous que parents d'élèves et enseignants se battent côte à côte avec autant de détermination et de volonté pour des problèmes qui, selon vous, monsieur le ministre, « n'existent pas » ?
Comment pouvez-vous continuer à ignorer toutes ces personnes qui, sur le terrain, sont confrontées à un quotidien scolaire engendrant des situations intolérables et qui, aujourd'hui, nécessitent une prise en compte immédiate ?
Leurs revendications ont pour object de pallier toutes les carences que le système scolaire actuel laisse apparaître et dont vous êtes le responsable.
Les parents d'élèves ne « fantasment » pas - je vous cite encore, monsieur le ministre - ils désirent seulement que leurs enfants bénéficient d'une scolarité dans des conditions normales.
Alors, comment expliquez-vous ces classes surchargées, ou encore ces instituteurs non remplacés ?
M. Jacques Mahéas. Il faut plus de professeurs ! Votez avec nous !
M. Dominique Leclerc. Votre carte scolaire semble mal gérée. En effet, nous sommes loin des propos que vous teniez naguère : pas de classes sans enseignants, zéro défaut, ou encore zéro tolérance lorsqu'il était question de la lutte contre la violence à l'école primaire.
Monsieur le ministre, quelle solution envisagez-vous pour agir contre cet échec ? C'est en effet un véritable échec pour le Gouvernement que de ne pas remplir l'une de ses responsabilités, qui est d'assurer l'école pour tous. Notre République se doit d'accueillir ses enfants ! Il semblerait, monsieur le ministre, que vous ayez oublié les principes que défendaient les « pères » de cette école ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le sénateur, voici quelques chiffres simples : en dix ans, l'enseignement primaire a perdu 350 000 élèves ; or nous avons maintenu le nombre d'enseignants depuis que nous sommes arrivés au Gouvernement, et j'ajoute que ce n'était pas le cas de la précédente majorité.
M. Henri Weber. En effet !
M. Jacques Mahéas. C'est exact ! (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Du calme, mes chers collègues ! Ecoutons M. le ministre !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Permettez-moi de vous citer les chiffres, messieurs les sénateurs ! Vous pourrez ensuite protester si vous les jugez incorrects.
M. Henri Weber. Si vous l'osez !
M. Robert Bret. C'est la réalité !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Malgré cela, nous n'avons pas modifié les moyens globaux.
Lorsque j'ai pris mes fonctions, la carte scolaire faisait apparaître des inégalités extraordinaires : la Seine-Saint-Denis était le département le moins bien doté de France, et de très loin !
M. Jacques Mahéas. Exactement !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. L'encadrement dans les départements et territoires d'outre-mer n'était pas digne de la République.
Nous avons mis en place un plan triennal, et j'ai pu lire dans la presse, voilà trois jours, ...
M. Gérard Cornu. Cela fait trois ans que vous êtes au pouvoir !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. ... que la Seine-Saint-Denis était aujourd'hui devenue effectivement ! en trois ans, le département le mieux doté de France, et que les départements et territoires d'outre-mer avaient rattrapé leur retard. Nous avons donc tenu nos engagements ! (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Cornu. Mais la situation s'est aggravée ailleurs !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le sénateur, dans aucun département la situation n'a été aggravée ! Le nombre d'élèves par classe est passé de trente à vingt-quatre en moyenne et, s'il y a dégradation, elle n'est pas due au ministre de l'éducation nationale : j'ai fait ce que l'on aurait dû faire plus tôt, c'est-à-dire que j'ai rétabli l'égalité républicaine et donné plus à ceux qui avaient moins. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye. Vous aviez été quatorze ans au pouvoir !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Pour être moi-même originaire d'un village, je sais, croyez-moi, ce que représente l'élaboration d'une carte scolaire et la fermeture d'une classe !
M. Alain Gournac. Pourtant, vous continuez !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Cependant, en bonne logique, on ne peut admettre des classes de vingt-cinq ou vingt-six élèves dans les banlieues difficiles alors qu'existent des classes de sept à dix élèves ailleurs, même si l'on doit tenir compte des différences qui existent entre le milieu rural et le milieu urbain.
Nous avons donc rétabli l'égalité républicaine, et je l'assume pleinement.
M. le président. Concluez, monsieur le ministre !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Donnez-moi une minute, monsieur le président !
M. le président. Trente secondes !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je reconnais toutefois que cette carte a été préparée dans l'obscurité. C'est pourquoi nous avons décidé de mettre en place un groupe de travail, au sein duquel vous serez représentés, afin que la carte scolaire soit désormais établie avec toute la transparence nécessaire. Nous n'avons rien à cacher, et nous n'avons pas à rougir des décisions que nous prenons.
Nous pouvons commettre des erreurs - je ne prétends pas le contraire - mais je vous demande de croire que nous agissons avec le souci de respecter l'égalité républicaine. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

RÉFORME DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Ma question s'adresse à Mme le garde des sceaux.
Nous avons été un certain nombre au sein de notre groupe, notamment mon collègue Bernard Joly et moi-même, à vous interroger, madame le ministre, sur l'évolution des tribunaux de commerce.
Une campagne largement relayée par les médias a, ces derniers mois, mis en cause le fonctionnement de ces tribunaux, en centrant, semble-t-il, les critiques sur les seuls juges consulaires élus.
Nul ne saurait nier l'existence de difficultés. Mais ces juges sont-ils seuls en cause ? L'affirmer est au mieux simpliste, au pire caricatural.
Or les conséquences tirées de ces affirmations par le ministère de la justice et les projets annoncés, tant en matière statutaire que sur le plan de l'organisation territoriale, ont d'ores et déjà provoqué deux séries de conséquences.
La première résulte de la réaction des juges consulaires aux projets annoncés, découlant, dans la meilleure hypothèse, d'une incompréhension et, dans la moins bonne, d'une concertation négligée ou avortée.
M. Philippe François. Et ils démissionnent !
M. Paul Girod. Si mes renseignements sont exacts, vingt-neuf tribunaux ont d'ores et déjà vu la totalité de leurs juges démissionner, parmi lesquels excusez du peu Grenoble, Reims, Rouen et Nîmes...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela ne fonctionne pas plus mal pour autant !
M. Jean-Jacques Hyest. On va voir !
M. Paul Girod. ... tandis que neuf sont paralysés : Avignon, Nice, Bordeaux, Evry, Créteil, Meaux, Montpellier, Auch et Troyes.
Quant à la réforme de la carte, elle rencontre nombre de difficultés locales et crée une grande incertitude : pour ne prendre qu'un exemple éloigné de ma région, le tribunal de Salon-de-Provence n'est pas fixé sur son destin, avec toutes les conséquences économiques et sociales que l'on imagine, tant pour les personnels et les greffiers que pour l'équilibre économique et social local.
Madame le ministre, vous avez dit que le service public de la justice pallierait toutes ces difficultés, qualifiées de passagères.
Ma question est double.
Avec quels moyens le ferez-vous, compte tenu de la surcharge déjà importante des tribunaux de l'ordre judiciaire et de l'urgence de la solution des problèmes en suspens, procédures collectives comprises ?
Ensuite, a-t-on mesuré, à l'échelon gouvernemental, qu'une paralysie de notre justice commerciale envoie sans aucun doute notre économie dans une impasse supplémentaire ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord rappeler que la réforme de la justice commerciale s'inscrit dans une perspective d'ensemble : réforme des tribunaux de commerce proprement dits, mais aussi réforme des professions d'administrateur et liquidateur judiciaires, ainsi que réforme de la loi sur les sociétés...
M. Jean-Jacques Hyest. La loi de 1985 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... par le biais du projet de loi relatif à la nouvelle régulation économique.
La réforme des tribunaux de commerce proprement dits vise à réunir dans ces juridictions à la fois les compétences juridiques des magistrats professionnels et la culture de l'entreprise des magistrats consulaires. Je pense que ce sera un « plus » pour nos tribunaux de commerce que de bénéficier en leur sein de la réunion de ces deux compétences grâce à ce qu'on appelle la « mixité ».
M. Dominique Braye. Eh oui, monsieur Dreyfus-Schmit !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Après la réforme, les juges consulaires continueront d'exercer des fonctions prépondérantes dans ces tribunaux de commerce rénovés : tout d'abord, ce sera un juge consulaire qui présidera le tribunal ; ensuite, les juges consulaires exerceront l'ensemble des missions de prévention des difficultés des entreprises et les missions des juges commissaires dans les redressements judiciaires.
Les magistrats professionnels, quant à eux, présideront les audiences des chambres mixtes, qui traiteront essentiellement des procédures collectives.
J'ajoute que la mixité sera étendue aux cours d'appel, où des magistrats consulaires pourront être nommés conseillers. Ainsi, nous n'instaurons pas la mixité dans un seul sens, nous ne nous contentons pas d'installer des magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce, mais nous installons aussi des magistrats consulaires dans les cours d'appel.
Cette réforme a été annoncée par le Gouvernement dès le mois d'octobre 1997. Elle a donné lieu à un rapport ; que nous avons commandé avec mon collègue chargé de l'économie, des finances et de l'industrie, et nous avons procédé, depuis, à une intense concertation : j'ai reçu à plusieurs reprises, pour ma part, les principaux représentants de la conférence générale des tribunaux de commerce, dont, voilà encore une dizaine de jours, M. Costes, le président de Paris, M. Castellana, le nouveau président de la conférence, ayant été reçu hier par le directeur des services judiciaires.
Aux magistrats consulaires, qui, c'est vrai, éprouvent quelque inquiétude, se plaignant que, dans divers propos, on mette en cause leur compétence et leur fiabilité, je dis qu'ils n'ont pas à être inquiets, que les dérives sont marginales, qu'ils font leur travail avec une grande compétence et beaucoup de dévouement, puisque ce sont des bénévoles, et que la réforme permettra, précisément, de montrer que cette justice est parfaitement rénovée.
A ce jour, les démissions sont au nombre de 548, soit un peu moins de 15 % de l'effectif des magistrats consulaires, un certain nombre d'entre elles - 139 étant intervenues dans des tribunaux qui, de toute façon, vont être supprimés. En tout état de cause, les chefs de cour et de juridiction, conformément aux directives que j'ai données, assurent, là où c'est nécessaire, la continuité du service public de la justice en désignant les tribunaux de grande instance qui doivent prendre le relais.
M. le président. Veuillez conclure, madame le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Dans les juridictions où le nombre des démissions atteint le tiers des postes, les préfets ont reçu mission d'organiser des élections complémentaires. Tel est le cas, c'est vrai, dans trente-sept juridictions.
Le Gouvernement déposera dans les prochaines semaines les projets de loi permettant la mise en oeuvre de la réforme et, d'ores et déjà, dans le budget de cette année, j'ai obtenu la création de cent postes de magistrat supplémentaires pour commencer à faire face à la réforme des tribunaux de commerce. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)

AVENIR DE LA POSTE

M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, vous venez de déclarer que la situation à La Poste était « tout à fait correcte ». Permettez-moi de vous dire que la réalité du terrain contredit cet optimisme. (Exclamations amusées sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Yann Gaillard. Absolument !
M. Pierre Lefebvre. Des regroupements de centres de tri, des fermetures de bureaux de poste, notamment en milieu rural, des manques de personnel...
M. Yann Gaillard. Il a raison !
M. Pierre Lefebvre. ... conduisent à une détérioration inquiétante de la qualité des prestations,...
M. Yann Gaillard. Absolument !
M. Pierre Lefebvre. ... avec des retards dans la distribution du courrier et de la presse, en particulier.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jean Chérioux. Vive la majorité plurielle !
M. Pierre Lefebvre. Soumise à une logique de financiarisation de ses activités,...
M. Yann Gaillard. Absolument !
M. Pierre Lefebvre. ... la direction de La Poste privilégie le développement à l'international au détriment des investissements nécessaires en hommes pour assurer la continuité des missions de service public.
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. Pierre Lefebvre. Ainsi, La Poste prévoit de consacrer la moitié de ses investissements à l'étranger, soit l'équivalent de 3 milliards de francs.
Dans le même temps, les postiers, nos postiers, éprouvent les pires difficultés pour accomplir dans les meilleures conditions...
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Pierre Lefebvre. ... leur mission de proximité à l'égard des populations.
M. Dominique Braye. Tout à fait !
Mme Hélène Luc. Avec vous, La Poste n'existerait plus !
M. Jean Chérioux. Et le service public, alors !
M. le président. Monsieur Chérioux, c'est M. Lefebvre qui intervient, et je vous remercie de bien vouloir l'écouter.
M. Gérard Cornu. Et le président fait preuve de libéralisme, en plus !
M. Pierre Lefebvre. Je ne doute pas, monsieur le président, que vous déduirez ces interruptions de mon temps de parole !
M. Henri de Raincourt. Ah non !
M. Pierre Lefebvre. Les délais de distribution à J + 1 sont devenus inférieurs à 80 %, ce qui nous place en deçà de nos partenaires européens.
Laisser ainsi se dégrader l'image et la réputation du service postal serait une aubaine pour ses adversaires, à l'affût des moindres défaillances du service public pour exiger ensuite sa privatisation.
Il ne fait mystère pour personne que cette vaste réorganisation des services postaux s'inscrit dans la perspective de la libéralisation programmée pour 2003.
M. Dominique Braye. C'est évident !
M. Pierre Lefebvre. Le Gouvernement de la gauche plurielle ne peut accepter, monsieur le ministre, une telle situation. (Marques appuyées d'approbation sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste) qui va à l'encontre des attentes de nos concitoyens.
M. Patrick Lassourd. Il faudra l'applaudir !
M. Pierre Lefebvre. L'Etat, qui assure la tutelle de La Poste, doit prendre des initiatives en vue de rétablir les conditions d'un dialogue serein et constructif avec les salariés et l'ensemble de leurs représentants, sans aucune exclusive. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Dominique Braye. Bravo ! Encore !
M. Pierre Lefebvre. Arrêtez, mes chers collègues ! Vous connaissez la phrase de Marx : « Quand la droite m'applaudit, je crois faire des conneries. » (Rires.)
Les difficultés rencontrées localement dans la mise en place des 35 heures ne sont, en réalité, que le révélateur d'un climat général qui ne cesse de se dégrader.
Alors que la réduction du temps de travail devrait se traduire par une création nette d'emplois, c'est toujours à des efforts de productivité que sont conviés les personnels. Et pour ceux qui ne l'acceptent pas, ce sont l'avancement professionnel mis en cause,...
M. le président. Ecoutez, mes chers collègues, c'est très intéressant !
M. Pierre Lefebvre. Les intimidations, les menaces, c'est l'antisyndicalisme, toutes choses qui sont monnaie courante dans certains établissements. (Oh ! sur les travées du RPR.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, n'est-il pas temps que l'Etat, en concertation avec les élus, se réapproprie le service public postal pour renforcer la cohésion sociale, l'aménagement de notre territoire et garantir ainsi l'égal accès de tous les citoyens au service public ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Applaudissements prolongés sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel succès, monsieur Lefebvre !
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, le Gouvernement n'accepte aucune vision récessive de La Poste, grand service public. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Je vais démontrer très brièvement, en développant les trois logiques qui sont les nôtres, comment La Poste peut affronter les défis qui sont les siens.
Logique de développement, d'abord.
En 2000, La Poste va investir 7 milliards de francs. Je rappelle qu'elle n'investissait en moyenne, avant 1997, que moins de 2,5 milliards de francs par an. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Cette logique de développement se réalise au service du client : il n'y a pas de hausse du timbre, contrairement à ce qui s'était passé au cours des dernières années. Elle s'exerce aussi en faveur des personnels, au travers de 20 000 recrutements, de la lutte contre la précarité ; 35 000 postiers sont déjà effectivement aux 35 heures et 150 000 le seront au début de l'été.
Logique de concertation, ensuite, avec les élus locaux et les élus nationaux au travers des commissions départementales de présence territoriale et grâce à un dialogue très approfondi, dans chaque établissement, avec chaque postier, pour la mise en place des 35 heures. Cent vingt-cinq accords locaux sont déjà signés par la CGT, trente-six par Sud et des centaines par les autres organisations syndicales.
Logique, enfin, qui récuse, mesdames, messieurs les sénateurs, toute libéralisation programmée.
Grâce à la mobilisation du Gouvernement, grâce aussi à celle des parlementaires français et européens, nous ne sommes pas isolés ; la mobilisation des syndicats, la mobilisation de dix postes européennes autour de notre concept français de service public et la mobilisation du Parlement européen - comme l'a montré voilà quelques jours une résolution - indiquent bien que nous refuserons toute libéralisation totale ou par segments de La Poste.
Nous entendons maintenir une logique de service public. Nous entendons que l'entreprise publique La Poste réussisse aussi bien en France, en tant que service public, qu'en Europe et dans le monde par les conseils qu'elle peut prodiguer à d'autres postes.
Notre logique est celle d'une avancée de l'entreprise publique. Nous avons foi dans l'entreprise publique La Poste, qui réussit, qui est performante et qui est un exemple pour l'ensemble des postes européennes. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

DÉVELOPPEMENT DE L'INTERCOMMUNALITÉ

M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le ministre de l'intérieur, la loi sur l'intercommunalité du 12 juillet 1999 connaît un succès qui dépasse les prévisions, ce qui est en soi positif, et une part du mérite vous en revient : 51 communautés d'agglomération et 130 nouvelles communautés de communes à taxe professionnelle unique témoignent de ce succès.
Les répercussions financières sont considérables. La loi a en effet prévu un financement annuel de 500 millions de francs, le complément éventuel étant à prélever sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle en 2000 et 2001.
Ce mécanisme de financement avait inquiété le Sénat. La répartition de la dotation globale de fonctionnement cette année justifie a posteriori ces inquiétudes. En effet, la charge supportée par la dotation de compensation de la taxe professionnelle entraînera, cette année, une baisse de 7,4 %, et même de 16 % pour les collectivités non éligibles à une dotation de péréquation.
Comme l'a demandé le comité des finances locales du 1er février dernier, ne faudrait-il pas, monsieur le ministre, envisager quatre orientations : premièrement, une majoration de la dotation de solidarité rurale, pour assurer la stabilisation de la part péréquation ;...
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. ... deuxièmement, une ouverture de crédits d'environ 500 millions de francs en 2000, correspondant au prélèvement exceptionnel opéré sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle ;...
M. Raymond Courrière. Bonne idée !
M. Daniel Hoeffel. ... troisièmement, une remise en question de l'utilisation de cette dotation de compensation comme variable d'ajustement ; quatrièmement, enfin, la constitution éventuelle, au sein de la dotation globale de fonctionnement, de trois enveloppes autonomes : une enveloppe « communes », une enveloppe « départements » et une dotation d'intercommunalité ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, la loi du 12 juillet 1999, au succès de laquelle le Sénat - principalemet grâce au rôle qu'ont joué ses rapporteurs, vous-même, monsieur le sénateur, et M. Michel Mercier - et l'Assemblée nationale - notamment avec MM. Gérard Gouzes et Jacky Darne, ont largement contribué, est un succès absolument évident : 51 communautés d'agglomération ont été constituées, deux communautés urbaines ont choisi la taxe professionnelle unique et 136 communautés de communes à taxe professionnelle unique ont été constituées. Au total, la population habitant dans les groupements à taxe professionnelle unique est passée, en l'espace de six mois, de quatre millions à douze millions. C'est d'autant plus remarquable si l'on veut bien considérer que les bases de taxe professsionnelle se trouvent très largement concentrées dans les zones urbaines. Plus de la moitié d'entre elles sont donc dotées de structures solides d'agglomération.
L'agglomération est devenue une réalité institutionnelle. Les villes et les bourgs-centre se sont dotés, ou se dotent - évidemment, ce n'est pas achevé - des outils décentralisés qui leur sont nécessaires pour relever, à l'échelle pertinente, les défis d'une citoyenneté adaptée à notre temps.
Quinze ans après les premières lois de décentralisation, ladite décentralisation accroît sa force et sa vigueur grâce à cette loi, dont l'application n'est pas terminée.
Vous le savez, la loi prévoit des dispositions permettant d'accompagner les regroupements par une dotation globale de fonctionnement substantielle : 250 francs par habitant en moyenne pour les communautés d'agglomération et 175 francs pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique.
Mais je rappelle que, pour ce qui est des communautés d'agglomération, le Gouvernement a choisi de financer l'effort par une enveloppe exceptionnelle de 500 millions de francs par an...
M. Dominique Braye. Ce n'est pas suffisant !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... pendant cinq ans, directement dépendante des recettes nettes de l'Etat, et, pour le solde, par la dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP.
Compte tenu du nombre de communautés d'agglomération créées - cinquante et une - la DGF supplémentaire de ces groupements s'élèvera à 996 millions de francs, ce qui implique, en application de la loi, que l'on prélève 496 millions de francs sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Cette indication répond en partie à votre question.
Faisons l'analyse de ce que cela signifierait.
La baisse supplémentaire de la DCTP ne concernerait qu'un petit nombre de communes, grâce aux mécanismes péréquateurs prévus par le contrat de croissance et de solidarité. En effet, les communes éligibles à la DSU sont épargnées et ne connaîtront aucune baisse de la DCTP, de même que les bourgs-centre et les communes éligibles à la DSR quand elles ont un potentiel fiscal inférieur à 90 % de la moyenne. Il en va de même pour les départements éligibles à la dotation de fonctionnement minimale.
M. Jean-Pierre Schosteck. Et la cagnotte ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. En définitive, ce sont les communes les moins défavorisées qui se trouveraient ainsi mises à contribution.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement est prêt à examiner, lors des prochains débats budgétaires, et en concertation avec les représentants des collectivités locales que vous êtes, naturellement, les conditions dans lesquelles il pourra, à titre exceptionnel, atténuer l'effet de ce prélèvement.
Concernant la DSR, le comité des finances locales a choisi d'indexer au maximum la dotation qui soutient le développement de l'intercommunalité.
Cette décision a pour effet de faire décroître faiblement la seconde fraction de la dotation de solidarité rurale, de 17 millions de francs sur un montant de 1,5 milliard de francs.
Les 33 000 communes rurales bénéficiaires de cette dotation ne reçoivent toutefois que 52 francs par habitant en moyenne.
Je tiens à rappeler que c'est la dotation forfaitaire qui constitue l'essentiel de leurs ressources et que, de ce point de vue, la décision du comité des finances locales de porter à 55 % la croissance de la dotation forfaitaire garantira la stabilité de leur budget.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Patrick Lassourd. Il n'a pas encore répondu !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'en ai terminé, monsieur le président.
Sur l'initiative du Premier ministre, la DSR bourg-centre progresse, cette année, de 25 %, ce qui est le pourcentage le plus élevé de toutes les composantes de la DGF, grâce à un abondement de 150 millions de francs.
Enfin, je ne répondrai pas, monsieur Hoeffel, à vos deux questions sur la DCTP et la DGF. Naturellement, c'est la commission Mauroy sur la décentralisation - comme d'autres ici, vous en faites partie - qui doit débattre de la répartition de la DGF et du rôle de variable d'ajustement de la DCTP. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini. C'est d'une simplicité biblique !

POSITION DU GOUVERNEMENT
SUR LE MAINTIEN DE M. ROLAND DUMAS
À LA PRÉSIDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Même s'il est absent en raison d'un déplacement à l'étranger, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Le déroulement de la procédure judiciaire vient de renvoyer devant le tribunal correctionnel le président, fût-il en congé, du Conseil constitutionnel. C'est une situation inédite sous la Ve République, qui ne peut laisser personne indifférent.
L'autorité, la crédibilité, la légitimité de cette institution majeure de la République ne va-t-elle pas se trouver affectée si son président demeure en son sein ?
D'un autre côté, la présomption d'innoncence, même si elle est violée quotidiennement, est un principe essentiel consacré par le code civil. A ce titre, nous n'avons pas vocation à nous joindre à la cohorte de ceux qui s'acharnent sur un homme face à son honneur et à sa conception du devoir d'Etat.
M. Guy Fischer. Que faites-vous d'autre ?
M. Henri de Raincourt. La situation ne peut trouver son issue que si l'intéressé le décide, ou s'il est fait appel au décret du 13 novembre 1959 relatif aux obligations des membres du Conseil constitutionnel.
Je sais aussi que le Gouvernement n'a pas la possibilité de décider la démission d'office, puisqu'il n'intervient pas dans le fonctionnement du Conseil constitutionnel. Mais le Premier ministre a la charge de diriger l'action du Gouvernement, qui détermine et conduit la politique de la nation. A ce titre, il ne peut demeurer muet, sauf à altérer la confiance que nos concitoyens placent dans les institutions.
Alors, ma question est simple : malgré le droit d'inventaire que vous vous êtes conféré à vous-même, pour des motifs de confort politique, allez-vous demeurer silencieux sur les effets d'une affaire qui ne peut que ternir l'image du Conseil constitutionnel et de ses membres, ou bien, choisissant l'éthique et la morale, entendez-vous prendre vos responsabilités de chef de la majorité plurielle ?
M. Henri Weber. C'est-à-dire ?
M. Henri de Raincourt. Vous avez appartenu aux mêmes gouvernements, vous êtes membres du même parti politique : au nom de la solidarité, de la complicité, de l'amitié partagées de longue date dans les mêmes combats politiques, allez-vous agir personnellement auprès du président du Conseil constitutionnel afin qu'il prenne la décision qui s'impose, celle d'un homme d'honneur, comme vous l'aviez fait voilà quelques mois avant que l'ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie présente sa démission ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux. Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous vous interrogez sur le fonctionnement du Conseil constitutionnel et sur la situation de son président, qui a suspendu l'exercice de ses fonctions depuis le 24 mars 1999, « jusqu'à ce que les poursuites judiciaires dont il est l'objet soient terminées ». Sur celles-ci, il ne m'appartient évidemment pas de me prononcer. Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable par un tribunal indépendant et impartial.
M. Jean Chérioux. Cela a été rappelé !
M. Henri de Raincourt. Oui, je l'ai rappelé !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant du Conseil constitutionnel, qui est la plus haute juridiction de notre pays, ses décisions s'imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l'article 62 de la Constitution. Par conséquent, le Gouvernement ne porte pas d'appréciation sur les décisions qu'il prend ou ne prend pas.
Le Gouvernement a d'autant moins de raisons de le faire qu'il n'est aucunement partie prenante à la nomination de ses membres.
M. Henri de Raincourt. Je l'ai dit !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Comme vous le savez, aux termes de l'article 56 de la Constitution, le Conseil constitutionnel compte neuf membres, dont trois sont nommés par le Président de la République, trois par le président du Sénat et trois par le président de l'Assemblée nationale. En vertu de ce même article, c'est le Président de la République qui nomme le président du Conseil constitutionnel, qui veille également au respect de la Constitution et qui assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Par conséquent, en tant que membre du Gouvernement, je ne me prononcerai pas sur le fonctionnement actuel du Conseil constitutionnel, qui a à sa tête un président par intérim qui assume la plénitude de ses fonctions.
Je soulignerai qu'il est de l'essence même d'une juridiction d'être indépendante. C'est même la raison pour laquelle le mandat des membres du Conseil constitutionnel n'est pas renouvelable et qu'un certain nombre d'incompatibilités y sont attachées.
Je vous pose la question : que deviendrait l'indépendance des juridictions, et, au premier chef de la plus haute d'entre elles, si l'exécutif ou le législatif avaient le pouvoir de démissionner d'office son président, alors que le Conseil constitutionnel a le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois ?...
M. Dominique Braye. Ne transformez pas la question !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Assurément, nous ne serions plus dans un Etat de droit !
Seules les juridictions elles-mêmes ont ce pouvoir - vous l'avez d'ailleurs rappelé. C'est pourquoi le texte du décret du 13 novembre 1959 donne compétence au Conseil constitutionnel pour apprécier si l'un de ses membres a manqué aux obligations inhérentes à ses fonctions. C'est pourquoi l'article 10 de la loi organique du 7 novembre 1958 donne compétence au Conseil constitutionnel pour constater, le cas échéant, la démission d'office de l'un des ses membres.
Voilà ce que je voulais rappeler devant la représentation nationale, au Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Pelletier applaudit également.)

GUERRE EN TCHÉTCHÉNIE

M. le président. La parole est à Mme Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et porte sur la situation en Tchétchénie, situation terrible sur le plan humain et sur le plan des droits de l'homme : atrocités, viols, massacres, beaucoup de morts - des deux côtés d'ailleurs - des « camps de filtration », et même des « filtres roulants », des trains, des trafics d'otages...
Grozny est détruite et, cependant, les bombardements se poursuivent.
Bref, c'est un désastre humanitaire qui émeut l'opinion française, une affaire politique qui concerne toute la communauté internationale et que seule la France a dénoncée avec fermeté ; les autres nations européennes n'ont pas relayé cette condamnation.
Ce qui était intolérable en Yougoslavie est donc toléré en Tchétchénie.
Les pressions diplomatiques sont restées limitées et les Russes n'ont pas bougé d'un iota ! Pour eux, la guerre est justifiée : affaire intérieure, souveraineté de la Russie, lutte contre le terrorisme, le banditisme, l'intégrisme... Tout cela n'est pas faux, mais ne justifie ni la guerre, ni cette répression féroce qui s'abat sur les populations civiles. Cela ne justifie pas non plus la modération de l'ensemble des Européens - à l'exception des Français - et des Américains.
Malgré tout cela, Moscou contre-attaque : refus de tout contrôle international, nomination d'une commission pour vérifier les faits et d'un représentant spécial du président Poutine aux droits de l'homme. Moscou ouvre une enquête criminelle, mais contre le président tchétchène et pour rébellion armée. Moscou dénonce les médias occidentaux, français notamment, pour mensonges et bobards.
Monsieur le ministre, entre le crime, la honte et la realpolitik, que faire ? Moscou n'est pas Belgrade, soit, mais peut-il y avoir deux poids et deux mesures ?
Quelle action commune possible envisager ? Peut-on suspendre la Russie du Conseil de l'Europe ? Doit-on envoyer des observateurs internationaux, que la Russie refuse de recevoir ? Comment l'y contraindre ? Enfin, faut-il remettre à plat les programmes de coopération entre l'Union européenne, le Fonds monétaire international et la Russie, et soumettre leurs financements à des conditions strictes ?
Que propose la France, qui, jusqu'à présent, a été un pays moteur ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, dès le début de la guerre en Tchétchénie, la France s'est exprimée avec fermeté et clarté. Force est de reconnaître que sa voix a été relativement isolée.
Sans relâche, nous avons souligné combien, à nos yeux, la Russie se fourvoyait dans son action militaire. Nous l'avons dit aux dirigeants russes, et le ministre des affaires étrangères l'a répété le 4 février à Moscou : il ne peut y avoir de solution militaire à cette crise.
Nul ne conteste le principe de l'intégrité territoriale de la fédération de Russie. La question tchétchène ne peut trouver qu'une solution politique. Les objectifs de préservation de l'intégrité territoriale et de lutte contre le terrorisme ne peuvent en aucun cas justifier des opérations militaires indiscriminées contre les populations civiles et les souffrances qui leur sont infligées. Cela est inacceptable.
Les informations sur les exactions commises à Grozny et dans les « camps de filtration » sont tout spécialement alarmantes.
M. Christian Demuynck. Il y en a d'autres !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. De tels actes sont contraires aux principes élémentaires de la démocratie et aux engagements internationaux auxquels la Russie a souscrit.
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à une situation d'urgence humanitaire. C'est cette urgence qui guide nos actes. Les autorités russes doivent l'admettre et répondre par des mesures concrètes aux demandes que nous avons formulées.
Je les rappelle telles qu'elles ont été exprimées solennellement par le ministre des affaires étrangères, M. Hubert Védrine : cesser immédiatement la répression aveugle et les représailles contre les populations tchétchènes ; permettre sans délai la venue en Tchétchénie des représentants des organisations humanitaires internationales ; autoriser le déploiement d'observateurs du Conseil de l'Europe et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ; permettre aux journalistes de travailler librement et en sécurité.
La Russie, qui dit aspirer à devenir un grand pays moderne inséré dans la communauté internationale, se doit sans attendre de mettre ses actes en conformité avec cet objectif déclaré.
La coopération de la communauté internationale, en particulier des pays européens, avec la Russie ne peut pas ne pas être affectée par la situation en Tchétchénie. La France a été la première à le dire avec force au sommet de l'OSCE à Istanbul et au Conseil européen d'Helsinki. L'Union européenne a pris des premières mesures en ce sens.
Nous sommes en contact étroit avec nos partenaires pour apprécier avec eux les suites qu'appelle la situation. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

SITUATION AU KOSOVO

M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, mes chers collègues, la situation au Kosovo dégénère. Elle s'aggrave en particulier dans le nord de la province, autour de Mitrovica, ville où coexistent encore - c'est un fait exceptionnel - une majorité albanaise et une minorité serbe.
Nos soldats ont plus particulièrement la responsabilité de ce secteur.
Ils subissent quotidiennement les conséquences de la montée de la violence ethnique et de l'accumulation des haines. Ils doivent s'interposer entre Serbes et Albanais et, dans la situation difficile qui est celle de toute force d'interposition, ils sont accusés de partialité par ceux qui devraient d'abord rendre hommage à leur action et à leur courage. (M. Chérioux applaudit.)
Je dois dire ici clairement combien certaines accusations complaisamment rapportées par les médias américains nous ont choqués, car il faut rendre hommage, pour la mission délicate et dangereuse qu'ils accomplissent, à nos soldats, dont certains ont été blessés au cours des derniers affrontements.
Une opération de sécurité a été lancée. Elle est destinée à rechercher des stocks d'armes clandestins, tant albanais que serbes, afin de prévenir le début d'une véritable guérilla urbaine.
Mais cette situation ne pourra pas s'éterniser.
Nous sommes intervenus au printemps dernier pour sauvergarder un Kosovo multi-ethnique. Qu'en est-il maintenant ?
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions quant à la position de la France sur l'avenir de cette province ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, effectivement la France entend poursuivre fermement son engagement au Kosovo.
Le ministre de la défense vient d'ailleurs d'annoncer à Washington la disponibilité de la France à engager un bataillon supplémentaire soit environ 600 hommes, des réserves stratégiques de la KFOR, et ce alors que notre effort est déjà considérable : 3 900 militaires sont stationnés au Kosovo, au sein de la KFOR, auxquels il faut ajouter 800 militaires stationnés en Macédoine ; 138 gendarmes, au sein de la KFOR, sont chargés à Mitrovica du maintien de l'ordre public ; 78 gendarmes sont affectés au sein de la police internationale de l'ONU ; 38 policiers sont présents à l'académie de police de Vucitrn, qui est chargée de la formation de la future police kosovare ; une centaine de Français travaillent en outre au sein de la MINUK.
Cet engagement soutenu et réfléchi a eu lieu dès le départ dans des conditions difficiles. Ce n'est pas surprenant puisque l'objectif était, et reste, conformément à la résolution 1244 du Conseil de sécurité, qui est le cadre que s'est fixé la communauté internationale, d'établir un Kosovo démocratique et pluraliste, où soit assurée la coexistence des populations dans la paix et la sécurité.
L'organisation d'élections au niveau local est nécessaire dans le processus de construction d'une société démocratique. La MINUK, sous l'autorité de Bernard Kouchner, et avec notre plein appui, travaille à en réunir les conditions.
Dans ce contexte, il fallait s'attendre à ce que des tensions aient lieu. Elles se multiplient en ce moment.
La ville de Mitrovica focalise toutes les tensions. C'est là effectivement que se matérialise le plus nettement la coupure démographique : environ 15 000 Serbes et 80 000 albanophones.
Les extrémistes des deux bords qui veulent faire échouer l'action de la communauté internationale, de la KFOR et de la MINUK, multiplient les provocations. Nous devons y résister avec la plus grande fermeté. La KFOR et la MINUK s'y emploient, et nous soutenons pleinement leurs efforts, en saluant le courage et le sang-froid dont ont fait preuve les soldats français au cours des événements de ces dernières semaines.
Il faut surmonter la crise de Mitrovica, préparer les élections locales et réfléchir aux étapes suivantes. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

AVENIR DU GROUPE ALSTOM

M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ma question s'adresse à M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est pas la première fois, ni, je le crains, la dernière que vous êtes interrogé sur les perspectives de l'évolution de l'emploi chez ABB-Alstom Power, en particulier sur ses sites français, que ce soit Belfort, cher à mon coeur comme à celui de M. le ministre de l'intérieur, ici présent ! Lyz-lez-Lannoy - cher au coeur de notre amie Dinah Derycke - ou La Courneuve.
C'est que, porte-parole naturels des travailleurs concernés, de leurs familles et des collectivités locales, bref, des populations tout entières, nous plaçons en vous nos espoirs, nous attendons de vous que vous fassiez tout, pour éviter que des femmes et des hommes perdent leur bien actuellement le plus précieux, c'est-à-dire leur emploi.
La dot qu'Alstom a apportée dans son mariage avec le britannique GEC d'abord, avec l'helvético-suédois Asea Brown-Boveri ensuite, est faite du produit du travail de ses cadres, de ses employés et de ses ouvriers, et aussi des aides que l'Etat français lui a amplement apportées.
Si ABB-Alstom a le pouvoir de supprimer des emplois, elle n'en a pas moralement le droit.
Elle n'a pas non plus le droit de faire planer plus longtemps la menace de mesures draconniennes, que des « fuites » amplifient chaque jour.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez rendu publics les entretiens que vous avez eus, en compagnie de M. le ministre de l'économie et des finances, avec M. Darmon, président d'ABB-Alstom Power. Nous vous avouons qu'ils ne nous rassurent pas.
Ma question est précise : accepteriez-vous d'inviter le président Darmon à rencontrer en votre présence les parlementaires des sites concernés ? (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le sénateur, à la suite de la fusion, en 1999, des activités de production d'équipements énergétiques des groupes ABB et Alsthom, des inquiétudes fortes - vous venez de vous en faire le relais à juste titre - pèsent sur l'évolution de l'emploi dans le nouveau groupe ABB-Alstom Power.
Ces inquiétudes sont liées à la nécessité pour le nouveau groupe de rationaliser l'outil de production et à la concurrence des sites de production des pays à bas coût de main-d'oeuvre.
Ces inquiétudes pèsent en particulier sur les sites de Belfort et de Lys-lez-Lannois, qui sont déjà profondément touchés par les restructurations industrielles. Comme vous le dites, les perspectives sont plutôt inquiétantes, et mon collègue Jean-Pierre Chevènement et moi-même sommes très attentifs à cette question.
C'est pourquoi, avec M. Christian Sautter, nous avons tenu à faire part au P-DG de ABB-Alstom Power de nos vives préoccupations. Nous lui avons demandé de revoir très nettement à la baisse le nombre des postes dont la suppression semble aujourd'hui envisagée, de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer, dans l'optique d'un dialogue permanent, l'avenir de chacun des salariés, pour permettre une pérennisation et une diversification de l'activité économique sur les sites concernés.
Pour répondre précisément à votre question, monsieur le sénateur, j'indique que, d'après mes informations, le président Darmon devrait très prochainement entamer une concertation avec les représentants des personnels des établissements concernés sur les conditions de la restructuration que le groupe envisagerait.
Quant à moi, monsieur Dreyfus-Schmidt, je suis évidemment tout prêt à accéder à votre demande et à vous recevoir avec l'ensemble des partenaires des sites concernés pour étudier l'avenir de ceux-ci et pour prendre toute mesure de restructuration nécessaire.
Bien entendu, le groupe ABB-Alstom Power ne peut s'exonérer de sa responsabilité vis-à-vis des salariés et des régions concernées. Cependant, l'Etat fera son devoir pour que cette phase soit moins dure pour les salariés, qui constituent en effet la noblesse de l'industrie française,...
M. Dominique Braye. Et les charges !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ... moins dure aussi pour les régions qui risquent d'être touchées. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

CRÉATION D'UN MINISTÈRE DE LA SANTÉ

M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, mais il est en Israël. J'espère que le mont Sinaï lui inspirera de bonnes lois ! (Sourires.)
Madame la secrétaire d'Etat, l'un des soucis majeurs des Français est leur santé. Or nous entrons dans l'an 2000 avec un modeste secrétariat d'Etat, situé, malgré des charges essentielles, au vingtième rang de la liste protocolaire du Gouvernement et placé sous tutelle, puisqu'il relève de l'autorité du ministère de l'emploi et de la solidarité, lequel est largement pourvu en activités multiples.
Notre système hospitalier est en crise, en mal-être profond, en conflit avec lui-même, car il est évident qu'il ne correspond plus aux exigences du monde d'aujourd'hui. Des secteurs entiers sont à « re-situer », à redéfinir, de l'accueil des familles à l'organisation interne des services, en passant par une approche réaliste de la situation des différentes catégories sociales, des professions médicales, para-médicales et autres professionnels de la santé.
On ne peut plus se contenter de régler les problèmes dans l'urgence, d'où la pression de situations qu'on a laissé se détériorer, peut-être faute de temps et à cause des faibles moyens d'un secrétaire d'Etat.
La santé transcende tous les clivages politiques, et chacun a conscience que c'est d'un véritable ministère de la santé à part entière que notre pays a besoin. Les pollutions destructrices de santé le concernent, comme la surveillance et l'éducation alimentaires et tant d'autres domaines, tels que la prévention et le dépistage.
Pensez-vous sérieusement que Mme Simone Veil aurait pu mener à bien ses réformes si elle n'avait été ministre de la santé à part entière, et dotée d'un secrétariat d'Etat, qui plus est ?
Il nous faut un ministère de la santé entreprenant, qui sorte des routines administratives, qui se saisisse des grands dossiers et montre le nouveau chemin. Peut-être alors, aurons-nous enfin tous les éléments pour définir une politique globale de la santé, souhaitée par nos compatriotes, ainsi que l'ont démontré les états généraux de la santé car elle touche en effet à ce qui nous concerne le plus intimement : l'humain, c'est-à-dire l'essentiel.
Madame la secrétaire d'Etat, quand pensez-vous que la France aura enfin ce grand ministère de la santé à part entière dont vous devez bien quelquefois rêver ? (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur, lorsque vous rappelez l'importance du système sanitaire dans notre pays et l'attachement de nos concitoyens au système de santé.
En revanche, je ne peux pas partager votre analyse sur le manque d'objectifs et de moyens que ce gouvernement consacrerait pour faire face aux problèmes sanitaires. Bien au contraire, les moyens de ce ministère ont été considérablement renforcés ces dernières années et témoignent bien que la santé est une priorité pour ce gouvernement.
Je vais vous rappeler quelques-unes des grands réalisations de ces dernières années dans le domaine sanitaire, réalisations qui visent à permettre l'accès de tous, y compris de nos concitoyens les plus démunis, à des soins de qualité avec la loi relative à la lutte contre les exclusions...
M. Jean Chérioux. Réalisée avec l'argent des départements !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. ... et avec la création de la couverture maladie universelle.
Nous avons aussi donné toute sa place à la prévention, à l'éducation pour la santé, avec la mise en place d'un plan triennal de lutte contre les drogues et de prévention des dépendances.
Nous avons réorganisé la périnatalité et lancé le plan d'information et d'action pour garantir le droit à la contraception et à la responsabilité sexuelle.
Nous avons encore développé l'information et l'action contre les maladies évitables liées au tabagisme et à l'alcoolisme.
Par ailleurs, pour la première fois, vous le savez, des programmes cohérents de prise en compte de la dépendance des personnes âgées, d'insertion des personnes handicapées, de lutte contre le cancer ont été mis en oeuvre, et ce encore très récemment. Nous avons engagé une politique volontariste pour améliorer l'offre de soins, pour renforcer leur qualité et corriger les inégalités du service hospitalier public...
M. Louis de Broissia. C'est un inventaire à la Prévert !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Non, ce n'est pas un inventaire, monsieur le sénateur ! C'est une réponse précise à M. Neuwirth.
M. le président. Pas de dialogue, je vous prie.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. C'est aussi ce gouvernement qui a mis en oeuvre, en 1998, le renforcement du dispositif de sécurité sanitaire. Je sais combien, dans cette assemblée, vous êtes attachés à ce dispositif, pionnier en Europe.
Enfin, monsieur Neuwirth, vous avez évoqué les états généraux de la santé. Les conclusions de ces travaux, annoncées par M. le Premier ministre, feront l'objet d'un projet de loi sur le droit des malades et la modernisation du système de santé auquel le Gouvernement travaille aujourd'hui avec beaucoup de conviction et en concertation avec l'ensemble des partenaires du système de santé.
Vous le constatez, monsieur le sénateur, ce ministère ne manque ni d'ambition, ni de moyens, ni de visibilité.
Quant à la question de l'ordre protocolaire, je ferai remarquer, d'abord, qu'il y a une ministre de la santé, qu'elle est placée juste après le Premier ministre sur la liste du Gouvernement, et, ensuite, que la secrétaire d'Etat à la santé que je m'honore d'être est là pour l'assister dans ses travaux. En l'occurrence, je considère cela plutôt comme un atout que comme un handicap.
M. Jean Chérioux. La santé n'est pas la mission première de Mme Aubry !

RELÈVEMENT DES PRIMES D'ASSURANCE
DEMANDÉES PAR AXA AUX PARENTS DE HANDICAPÉS

M. le président. La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber. Ma question s'adresse également à Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.
Nous apprenions la semaine dernière que le groupe d'assurance AXA s'apprêtait à doubler les cotisations des parents d'enfants handicapés ayant souscrits des contrats dits de « rente survie ».
Face au tollé général et légitime que cette décision a provoqué et grâce aussi, madame la secrétaire d'Etat, à la fermeté dont vous avez fait preuve, l'assureur est revenu sur sa décision et a annoncé un moratoire de un an.
A la fin de la semaine dernière, on apprenait de surcroît l'intention du groupe AXA d'augmenter de 62 % les assurances contre la perte d'emploi.
Ces pratiques préfigurent le système de sécurité privatisée que prônent certaines grandes compagnies d'assurance et, à leur tête, le vice-président du MEDEF. Un tel système à deux vitesses jouerait au seul bénéfice des assurés solvables et bien portants, et laisserait de côté les plus démunis de nos concitoyens. Nous ne pouvons pas l'accepter.
Madame la secrétaire d'Etat, vous avez organisé, avant-hier, une table ronde réunissant les représentants des familles de handicapés et les assureurs. Quels en ont été les résultats ? Qu'adviendra-t-il au terme du moratoire annoncé par AXA ?
Les efforts de la solidarité nationale envers les personnes handicapées et leurs familles sont considérables. Ils sont malheureusement insuffisants dans certaines situations dramatiques. Envisagez-vous d'apporter certaines modifications, notamment fiscales, en la matière ? Enfin, madame la secrétaire d'Etat, envisagez-vous de soumettre les assureurs aux obligations prévues par la loi de 1990, qui interdit toute discrimination en matière de santé ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le sénateur, dès l'annonce de la décision du groupe AXA de doubler les primes, le Gouvernement a manifesté son indignation et son émotion et s'est rangé aux côtés des familles par souci de solidarité.
Il a pris aussi l'initiative d'une médiation entre les différentes parties.
Une table ronde, sur l'initiative de Martine Aubry et de moi-même, s'est tenue le 22 février dernier à mon cabinet, réunissant les associations de parents usagers, le groupe AXA et l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés, l'UNAPEI, pour faire le point sur les problèmes relatifs aux contrats qui sont touchés. Nous avons pris acte des premiers résultats obtenus à la suite de cette table ronde, qui a permis à tous les participants d'affirmer leur forte volonté de trouver des solutions constructives, répondant à la préoccupation légitime des parents.
Soucieux de répondre à une demande d'information plus transparente exprimée par les parents, l'UNAPEI et le groupe AXA se sont engagés à dresser avec eux un état des lieux exhaustif de ce contrat, puisqu'il semble qu'il y ait eu quelques incertitudes et imprécisions sur la nature et les éléments de ce contrat.
Les pouvoirs publics ont invité l'assureur à préciser les répercussions pratiques du moratoire décidé. Le principe de la continuité des contrats dans des conditions identiques a été affirmé en séance. Une nouvelle réunion technique entre le groupe AXA, l'UNAPEI et les adhérents se tiendra dans les quinze jours qui viennent à mon cabinet.
Par ailleurs, à partir des premières pistes concrètes évoquées lors de cette table ronde, il a été convenu de mettre à profit ce moratoire pour dégager ensemble des solutions pérennes et satisfaisantes pour toutes les parties. Je souhaite que ce tour de table soit élargi à d'autres associations représentatives des personnes handicapées pour examiner les modalités techniques d'émergence d'un nouveau type de contrat, qui devra non seulement s'avérer économiquement équilibré, bien évidemment, mais également offrir la pérennité et la sécurité des garanties attendues par les familles. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

MISE EN OEUVRE DES 35 HEURES
DANS LA FONCTION PUBLIQUE

M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je souhaite interroger M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation.
Monsieur le ministre, depuis la fin de l'année dernière, le climat social s'est sensiblement dégradé dans le secteur public ; je veux citer l'administration fiscale, les hôpitaux, et, semble-t-il, La Poste - mais il existe des indications contraires !
Dans le secteur privé, alors que l'application des 35 heures est officiellement entrée en vigueur depuis le 1er février pour les entreprises de plus de vingt salariés, les conflits sociaux se multiplient et beaucoup d'accords n'ont pas été signés.
Dans la fonction publique, la perspective d'un accord-cadre fixant les modalités du passage aux 35 heures pour les 5,1 millions d'agents des trois fonctions publiques s'éloigne à mesure que se rapproche l'échéance du 28 février.
Le Gouvernement, qui promet depuis deux ans d'appliquer la loi sur les 35 heures à son administration, piétine.
Il n'y a pas lieu de rappeler le rapport Roché, qui avait bien mis en lumière la disparité existant entre les diverses fonctions publiques.
Il est évident que le passage aux 35 heures est un redoutable révélateur mettant en évidence à quel point l'Etat employeur continue à ignorer les préceptes les plus élémentaires de la gestion du personnel.
A l'heure où l'on veut imposer la vertu aux patrons privés, l'Etat offre une éclatante démonstration de son incapacité à appliquer chez lui les mesures qu'il entend faire respecter ailleurs.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Il donne ainsi le pire exemple de de qu'est un mauvais patron.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Il donne ainsi le pire exemple de ce qu'est un mauvais patron.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Guy Fischer. Or vous vous y connaissez.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le ministre, dans le climat de tension actuelle, et au moment où le personnel de certaines fonctions publiques se prépare à un printemps chaud, je voudrais savoir comment vous allez faire pour que l'accord-cadre soit signé et permette, comme vous l'avez dit, à la fois le passage aux 35 heures et l'amélioration du service public..., bien entendu sans augmentation du nombre des emplois, ce qui me paraît être la quadrature du cercle ! Comment allez-vous, vous qui donnez un bien mauvais exemple, vous sortir de l'ornière dans laquelle vous vous trouvez aujourd'hui ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre sollicitude s'agissant du climat social dans le secteur public. Mais je crois me souvenir que ce gouvernement a pris ses fonctions après une période où la tension sociale dans ce même secteur public, par la faute de votre gouvernement de l'époque... (Marques d'approbation sur les travées socialistes. - Vives protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini. Un bouc émissaire bien pratique !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ...appelait une amélioration qui, me semble-t-il, est largement intervenue depuis !
M. Henri de Raincourt. Tout va bien à Bercy ?
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. S'agissant des 35 heures, le Gouvernement a indiqué qu'il n'avait pas du tout l'intention de transposer purement et simplement au secteur public la méthode préconisée par la loi Aubry pour l'application de la réduction du temps de travail dans le secteur marchand. (Vives exclamations sur les travées du RPR.)
Il faut bien voir les choses en face. La mise en place des 35 heures constitue un progrès social dont il a été clairement dit que la fonction publique ne pouvait pas être écartée. En revanche, au cours des quinze dernières années, 20 % d'emplois supplémentaires ont été créés dans le secteur public ; cela rend moins impérative l'obligation de créer des emplois.
Voilà quinze jours, après trois longs mois de préparation, j'ai engagé avec les organisations syndicales des discussions tendant à obtenir un accord « inter-fonctions publiques », c'est-à-dire valable à la fois pour la fonction publique de l'Etat, pour la fonction publique territoriale et pour la fonction publique hospitalière. Nous savons très bien que la mise en oeuvre des 35 heures se fera après des négociations à chacun de ces niveaux, et même au plus près du terrain. Mais il m'a semblé - et je me suis battu pour cet accord - qu'il était préférable, pour l'unité de la fonction publique - notion à laquelle nous sommes attachés - d'avoir un accord-cadre définissant des règles et des principes valables pour l'ensemble des trois fonctions publiques.
M. Jacques Mahéas. Très bonne idée !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. S'agissant du projet de protocole..., à l'issue de nos discussions, les syndicats consultent leur base. Je leur ai fixé la date du 28 février pour donner leur réponse.
Nous savons d'ores et déjà que certaines organisations ne le signeront pas. D'autres ont fait des commentaires positifs. D'autres, enfin, ne se prononceront que lorsqu'elles auront les résultats des différentes consultations. Nous verrons bien.
Si l'accord-cadre est signé, les discussions se poursuivront à tous les niveaux dans chaque ministère, chaque service,...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. ... chaque hôpital et chaque collectivité, sur la base de repères communs, qui me paraissent garants de l'unité de la fonction publique.
Si tel n'était pas le cas, je le regretterais. Mais les 35 heures s'appliqueront quand même dans la fonction publique et les discussions se poursuivront au plus près du terrain, comme je vous l'ai annoncé. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Comment ferez-vous à la mairie de Bastia ?
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Philippe Marini. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 29 du règlement.
A la suite du communiqué que vous avez publié hier, monsieur le président, je souhaite exprimer ma surprise à l'égard d'une décision, au moins provisoire, qui semble avoir été prise à l'Assemblée nationale et sur laquelle je m'interroge, il s'agit du report de l'examen de la proposition de loi de M. Fauchon, que le Sénat a adoptée le 27 janvier dernier et qui tend à préciser la définition des délits non intentionnels.
Chacun connaît ce débat.
Le texte dont il s'agit est relativement simple. Il peut sans doute être amélioré sur le plan juridique.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il le doit !
M. Philippe Marini. Tel est le rôle de la navette.
Le Gouvernement, par la voix de Mme le garde des sceaux, avait exprimé une attitude positive à l'égard des propositions qui avaient été formulées en séance publique et qui se sont traduites par un vote très clair.
Je veux donc exprimer à nouveau la surprise que beaucoup d'entre nous éprouvent à l'égard de la décision de l'Assemblée nationale. Nous ne voudrions pas qu'un tel report contredise les engagements qui ont été pris à tous les niveaux, jusqu'à celui du Premier ministre, pour clarifier enfin cette question, clarification qu'un très grand nombre d'élus locaux attendent sur le terrain. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut d'autres choses que les dispositions de la proposition de loi Fauchon !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je note que votre rappel au règlement concerne l'ordre du jour de l'Assemblée nationale !
Comme je l'avais indiqué lors de la conférence des présidents du Sénat, à laquelle vous participez, le Gouvernement est favorable au principe de la redéfinition des délits non intentionnels. Il a donc inscrit cette proposition de loi sénatoriale à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale, qui devait l'examiner mardi prochain.
Hier matin, des questions nouvelles sur le dispositif envisagé ont été évoquées au sein d'un groupe important de la majorité à l'Assemblée nationale, qui a alors souhaité approfondir sa réflexion. La commission des lois devant se réunir l'après-midi, il est apparu plus sage de repousser la discussion en séance publique de quelques jours, comme cela arrive aussi parfois au Sénat, pour d'autres textes...
M. Claude Estier. Très bien !
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Croyez bien que ce report ne peut en aucun cas être considéré comme un retrait définitif du texte, qui sera de nouveau inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale prochainement.
La navette parlementaire se poursuivra et permettra, comme Mme Guigou l'avait indiqué au Sénat le 27 janvier dernier, d'apporter une réponse précise au problème de la sanction pénale des fautes non intentionnelles.
Monsieur le sénateur, je vous remercie de me donner l'occasion de témoigner devant la Haute Assemblée de l'ouverture que le Gouvernement manifeste à l'égard des propositions de loi de la majorité sénatoriale et de l'intérêt qu'il porte à l'apport législatif du Sénat sur des questions juridiques parfois sensibles et délicates. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Monsieur le ministre, votre réponse ne peut que nous faire plaisir. Elle nous conforte dans le sentiment qu'une institution comme la nôtre est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous ne l'avons jamais mise en cause, nous !
M. le président. Vous êtes par conséquent d'ardents défenseurs de cette institution, ce dont je ne doutais pas un seul instant !
Monsieur Marini, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Mes chers collègues, avant d'aborder le point suivant de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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DEMANDE D'AUTORISATION
D'UNE MISSION D'INFORMATION

M. le président. M. le président a été saisi conjointement par les présidents des six commissions permanentes d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information commune chargée d'examiner l'ensemble des questions liées à la marée noire provoquée par le naufrage du navire Erika, de proposer les améliorations concernant la réglementation applicable et de définir les mesures propres à prévenir de telles situations.
Le Sénat sera appelé à statuer sur cette demande dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.

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COMMISSION DE CONTRÔLE NATIONALE DES FONDS PUBLICS ACCORDÉS AUX ENTREPRISES

Rejet d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi n° 163 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises. [Rapport n° 214 (1999-2000).]
Je précise que le rapport de la commission des finances porte également sur la proposition de loi n° 140 (1999-2000) de M. Guy Fischer et plusieurs de ses collègues, qui a le même objet.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, justice et efficacité sont les maîtres mots du texte qui vous est présenté.
Dans l'emploi des fonds publics, dans la lutte contre le chômage et, de manière plus générale, en économie, justice et efficacité ne doivent pas être opposées l'une à l'autre. Au contraire, réconcilier ces deux notions, voilà ce qui peut favoriser une modernisation de l'Etat dans ses modalités d'intervention ! Voilà ce qui peut permettre à notre économie, et surtout à notre société, de s'inscrire dans une dynamique de progrès !
Telle est précisément l'ambition de la proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale, sur laquelle le gouvernement de Lionel Jospin, en la personne de M. Christian Sautter, s'est déjà prononcé favorablement en première lecture à l'Assemblée nationale.
Christian Sautter avait à cette occasion souligné que, pour atteindre le double objectif d'efficacité et de justice des dépenses en faveur des entreprises, l'instrument proposé dans la proposition de loi était la transparence, qui est l'une des premières vertus de la démocratie.
J'ai appris du Sénat que M. Guy Fischer et ses collègues du groupe communiste républicain et citoyen avaient déposé de leur côté une proposition de loi de même teneur ; je salue bien sûr cette initiative.
S'agissant de la proposition de M. Robert Hue, je voudrais, au nom du Gouvernement, insister sur la pertinence d'un contrôle des fonds publics, pour préciser ensuite en quoi les modalités de ce contrôle retenues dans la proposition de loi nous paraissent très judicieuses.
Interrogeons-nous tout d'abord sur l'opportunité d'une commission de contrôle.
La proposition de loi n'est pas seulement une réaction à des événements récents qui ont choqué nos concitoyens, elle résulte aussi d'une démarche de longue haleine.
Très légitimement, la démarche qui nous est présentée aujourd'hui a été conçue par M. Robert Hue, en septembre dernier, puis après la manifestation du 16 octobre 1999, comme une réponse à ce que certains commentateurs ont appelé « l'affaire Michelin ».
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Mais la proposition de loi repose aussi sur des travaux parlementaires, qui ont poussé l'analyse avec une grande rigueur et un sens aigu du concret. Je pense notamment aux rapports de MM. les députés Daniel Paul et Alain Fabre-Pujol de juin 1999 sur « les pratiques des grands groupes et leurs conséquences sur l'emploi et l'aménagement du territoire ».
Cette proposition de loi vise à rendre à la fois plus efficace et plus équitable la dépense publique. Efficacité et justice, disais-je, loin d'être contradictoires, sont, bien au contraire, convergentes.
Le Gouvernement, en effet, est animé d'une double conviction.
Tout d'abord, il estime que les aides à l'emploi peuvent être utiles ; elles ont leur part dans ce que les économistes appellent « l'enrichissement de la croissance en emplois », ce qui explique d'ailleurs en partie les excellents résultats que nous enregistrons depuis plus de deux ans et demi dans la lutte contre le chômage.
Ensuite, il est convaincu que l'amélioration de l'efficacité de la dépense publique doit plus que jamais constituer le critère central de notre politique budgétaire.
Dès lors, il paraît nécessaire de trouver des réponses adaptées aux abus - parce qu'il y a abus, ne nous le cachons pas - liés à l'octroi de fonds publics aux entreprises.
En effet, même si les aides sont octroyées par les services gestionnaires sur des critères précis, ce qui est le cas, même si cet octroi est surveillé par les services des différents ministères et par les corps d'inspection compétents, les abus en la matière sont particulièrement choquants pour l'ensemble des contribuables et des citoyens, mais surtout pour les salariés lorsque c'est un engagement sur l'emploi qui n'est pas respecté.
Il ne s'agit évidemment pas de diaboliser les systèmes d'aides, qui ont leur logique économique et sociale ; même les plus libéraux en conviennent, au moins quand ils sont confrontés localement aux difficultés d'une entreprise. Mais il s'agit de traquer les dévoiements : tel chef d'entreprise qui s'engage à un maintien de l'emploi qu'il sait impossible, tel autre qui contracte avec une collectivité sans pouvoir respecter ses obligations, tel autre enfin qui se trouve comme « abonné » à certaines aides dont il pourrait se passer.
Pour remédier à ces abus, il fallait éviter deux écueils opposés : celui de la bureaucratie et celui de l'alibi. Contrairement à ce que certains ont affirmé un peu vite, ces écueils ont été évités par les auteurs de la proposition de loi.
S'agissant de l'écueil de la bureaucratie, la commission nationale n'est pas instituée dans l'optique d'une investigation systématique et ne fait pas peser une suspicion généralisée sur l'ensemble de nos aides aux entreprises, avec à la clef le risque paradoxal d'un procès en légitimité de l'action de l'Etat.
L'écueil de la commission-alibi, dénuée de tout pouvoir, est également évité. La proposition de loi dote la commission de moyens d'information puissants et de relais régionaux efficaces.
Le principe même d'une instance nationale d'évaluation répond donc à une lacune de notre dispositif actuel. Il n'existe pas, en effet, à ce jour, d'instance nationale d'évaluation des dispositifs d'aides aux entreprises.
Il manque aujourd'hui une instance nationale susceptible de connaître l'ensemble des pratiques abusives, de mener des évaluations des systèmes d'aides et de formuler des observations qu'elles soient d'ailleurs positives ou négatives.
La proposition de loi met fin à ce vide, en instituant une commission nationale, qui se déclinera en commissions régionales. Cette commission nationale examinera la pertinence de dispositifs existants ou projetés au regard des objectifs des aides, essentiellement l'emploi. Elle pourra proposer les réformes et modifications qui s'avéreront nécessaires.
Je souhaite maintenant préciser la position du Gouvernement à l'égard de la proposition de loi sur trois points : la composition et la saisine de la commission, ses pouvoirs et le rôle des acteurs du terrain.
Tout d'abord, la composition large de la commission, la facilité de sa saisine et son champ d'intervention enrichiront la vision des pouvoirs publics sur la mise en oeuvre des aides.
En cas de non-respect par une entreprise des engagements qu'elle a pris pour bénéficier d'une aide, les divers acteurs adoptent souvent les attitudes suivantes : les élus dénoncent le non-respect de la règle, l'entreprise en cause argue qu'en cas de retrait de l'aide elle risque de devoir licencier - combien de fois n'avons-nous entendu cette menace ! - ses concurrents soulignent la distorsion de concurrence occasionnée, tandis que les représentants des salariés peuvent souhaiter le strict respect de la règle comme ils peuvent être sensibles aux arguments de leur direction.
Face à cette diversité des points de vue, les auteurs de la proposition de loi ont retenu une composition très large de la commission, ainsi que des possibilités de saisine très ouvertes. Le Gouvernement ne peut que se rallier à cette position, qui paraît tout à fait pragmatique et qui tient compte des réalités locales.
Quant aux pouvoirs de la commission, ils sont à la fois étendus et respectueux du rôle des partenaires sociaux et des administrations gestionnaires des aides. Ils s'articulent autour de trois idées : d'abord, une information précise, grâce aux rapports qui seront transmis chaque année par les préfets de région ; ensuite, une évaluation rigoureuse, qui sera confortée par la capacité de saisir les organismes gestionnaires d'aides et par le rôle central dévolu au Commissariat général du Plan ; enfin des pouvoirs de sanction effectifs, avec la possibilité pour le gestionnaire d'aides de suspendre ou de supprimer les aides, voire d'en obtenir - cela est très important - le remboursement.
Par ailleurs, la proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale confère tout leur rôle aux acteurs du terrain, en prévoyant la possibilité pour le comité d'entreprise de saisir le gestionnaire de l'aide pour lui signaler le non-respect par l'entreprise de ses engagements.
Il y a là un progrès évident dans la procédure comme au regard de la vie économique locale et de la vie de l'entreprise.
C'est ici la généralisation d'une disposition prévoyant ce recours en ce qui concerne l'aide structurelle aux 35 heures, prévue dans la seconde loi sur les 35 heures dite « loi Aubry ».
Cette saisine des services compétents par les acteurs eux-mêmes démultiplie les moyens de contrôle des abus caractérisés sur l'ensemble du territoire national. Elle permettra d'apporter une réponse directe et rapide aux situations qui auront été reconnues comme abusives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les commentaires que m'inspire la proposition de loi de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale sont donc simples et clairs : le Gouvernement la soutient parce qu'il est comptable de la justice et de l'efficacité en matière d'emploi des fonds publics. Il y voit en outre un puissant adjuvant dans la lutte pour l'emploi et pour un développement équilibré de notre économie.
Sur cette conviction, très solidement ancrée, d'une convergence entre justice et efficacité se fonde la politique économique et sociale du gouvernement de M. Lionel Jospin.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à voter la présente proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Joseph Ostermann, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est saisi, de manière conjointe, de deux propositions de loi identiques, déposées respectivement par le groupe communiste de l'Assemblée et par celui du Sénat, qui tendent à constituer une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises.
L'Assemblée nationale a adopté, le 18 janvier dernier, le texte de M. Robert Hue et de ses collègues. Seul ce dernier texte est inscrit à notre ordre du jour.
Il s'agit avant tout d'un texte de nature conjoncturelle. A la suite d'importants licenciements et de délocalisations de production décidés par de grands groupes industriels, elle tend à créer une commission chargée de contrôler les fonds publics accordés aux entreprises, afin de contrôler l'utilisation des aides publiques qui leur sont octroyées.
Je ne vous cacherai pas, mes chers collègues, que la création d'une telle commission ne peut que susciter mon scepticisme quant à son utilité, ma perplexité ironique quant aux circonstances qui ont présidé à sa création et mon étonnement quant à l'origine parlementaire d'une initiative qui dessaisit le Parlement de ses prérogatives.
En premier lieu, la création d'une commission nationale des aides publiques aux entreprises ne me paraît guère utile.
D'abord, les arguments des auteurs et du rapporteur du texte à l'Assemblée nationale ne me semblent pas convaincants. Il s'est agi pour eux de légiférer dans la précipitation, après l'émotion suscitée dans l'opinion publique par le comportement de plusieurs entreprises peu attentives à la situation de l'emploi en France mais confrontées à la mondialisation de la production industrielle.
Il convient toutefois de rappeler que ces cas ont été fortement médiatisés. Cela ne doit pas, selon moi, conduire le législateur à recourir à des arguments de nature émotionnelle, peu conformes à l'exigence de réflexion et de sérénité qu'implique l'élaboration d'une bonne loi.
Ensuite, cette proposition de loi est étayée par une conception de l'économie qui appartient au passé : elle reflète une nostalgie certaine de l'économie administrée, qui est en complète contradiction avec les caractéristiques d'une économie de marché moderne, libre et efficiente.
Pour ma part, je considère que la multiplication des contrôles, voire des tracasseries administratives - et nous en connaissons en France ! - ne saurait constituer un moyen efficace pour lutter contre le chômage ; elle risquerait plutôt de contrarier l'allocation optimale des ressources et, de ce fait, pourrait constituer un frein à la croissance et à l'emploi.
Il est vrai que le Gouvernement a parfois succombé à la tentation de décréter le niveau de l'emploi, comme il en a fait la démonstration avec les emplois-jeunes !
Mais le principal reproche qui peut être adressé à ce texte n'est pas là : son adoption risquerait d'entraîner un affaiblissement des prérogatives du Parlement en matière de contrôle.
En réalité, je ne puis dissimuler mon étonnement et même mon incompréhension face à la volonté de parlementaires d'amoindrir leurs propres prérogatives. Le contrôle des aides publiques aux entreprises relève en effet, au premier chef, des compétences du Parlement.
Je n'entends pas faire un cours de droit constitutionnel ou parlementaire. Je rappellerai simplement que l'article 164-IV de l'ordonnance du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959 définit les prérogatives des rapporteurs spéciaux de la commission des finances des assemblées parlementaires.
Par ailleurs, ces dernières peuvent constituer des commissions d'enquête dont le rapporteur est également investi de prérogatives particulièrement étendues. Et le Parlement, le Sénat notamment, ne manque pas de faire usage de ses pouvoirs de contrôle de l'action du Gouvernement.
Dès lors, je ne perçois pas bien la nécessité de créer une commission administrative dont les prérogatives empiéteraient sur celles que détiennent des assemblées parlementaires démocratiquement élues.
Je voudrais souligner la position paradoxale de l'Assemblée nationale à cet égard. Celle-ci, en effet, ainsi que son président, M. Laurent Fabius, ont affirmé leur volonté de renforcer le contrôle parlementaire de la bonne utilisation des deniers publics. C'est dans cette perspective que l'Assemblée nationale a créé, au sein de sa commission des finances, une mission d'évaluation et de contrôle, qui a précisément travaillé sur les aides à l'emploi, sans jamais préconiser, toutefois, la création d'une commission nationale de contrôle des aides publiques aux entreprises.
Ainsi l'Assemblée nationale a-t-elle contribué à mettre en exergue le manque de pertinence de certaines aides publiques accordées aux entreprises, phénomène aujourd'hui bien connu. On ne voit pas bien ce qu'une commission de plus apporterait à ce débat.
Pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle donc décidé de créer une telle commission de contrôle alors que le Parlement dispose déjà des pouvoirs nécessaires pour remplir la mission qui serait dévolue par la présente proposition de loi à ladite commission ? Et pourquoi souhaite-t-elle affaiblir ses prérogatives en matière de contrôle budgétaire, alors que, en créant la mission d'évaluation et de contrôle, il y a un an, elle avait au contraire cherché à les renforcer ?
En fait - mais vous l'avez déjà bien compris, mes chers collègues -, la réponse à ces questions est d'ordre politique. Il s'agit pour le Gouvernement et l'Assemblée nationale moins d'assurer le contrôle des fonds publics que de renforcer la cohésion de la majorité plurielle !
Je rappellerai quelques événements qui plaident en ce sens.
D'abord, l'Assemblée nationale a rejeté la proposition de M. Dominique Paillé tendant à créer une commission d'enquête portant sur les suites données aux rapports publics de la Cour des comptes, estimant que « vouloir contrôler le contrôle » était superflu. Il me semble pourtant que la présente proposition de loi vise le même objectif, à cette différence près qu'elle prévoit la création d'un nouvel organisme de contrôle alors que M. Dominique Paillé proposait simplement d'utiliser un moyen traditionnel d'exercice par le Parlement de ses pouvoirs de contrôle, c'est-à-dire la constitution d'une commission d'enquête.
Je tiens également à rappeler les propos de M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale. En commission, il s'est déclaré « hostile en principe à cette proposition », ajoutant que « les rapporteurs spéciaux sont dotés des pouvoirs nécessaires » et que « la multiplication des organismes de contrôle se traduit par un affaiblisseemnt du régime parlementaire ». Son analyse rejoint donc parfaitement la mienne !
Il s'est pourtant déclaré « conjoncturellement favorable » à cette proposition de loi.
En fait, la conjoncture dont il est question est moins économique que politique. Il s'agit de donner un gage à une composante de la majorité plurielle, le groupe communiste en l'occurrence.
Il convient en effet de rappeler que M. André Lajoinie a déposé une proposition de loi tendant à renforcer le régime juridique des licenciements pour motif économique. Or le Gouvernement n'était pas favorable à ce texte, et l'Assemblée nationale, lors de son examen, a décidé de ne pas présenter de conclusions. Rappelons toutefois que le refus de discuter les articles résulte du vote des seuls députés socialistes, les autres composantes de la majorité plurielle ayant été favorables à une telle discussion.
Après ces tensions apparues au sein de la majorité plurielle, il fallait au Gouvernement resserrer la cohésion de celle-ci en donnant un gage au groupe communiste. Ce gage, c'est l'inscription à l'ordre du jour du Parlement de la présente proposition de loi.
Quant au dispositif proposé, il suscite de ma part un grand nombre de critiques, non seulement quant au fond - je viens de les exposer - mais également quant à sa portée concrète, en raison de son caractère insuffisamment pratique, irréaliste et parfois inapplicable.
Permettez-moi de donner quelques exemples.
L'article 1er ne définit pas les aides publiques que la commission nationale est chargée de contrôler. En outre, il ne précise pas les conditions d'exercice des pouvoirs de la commission.
Il convient de rappeler que cet article a fait l'objet d'une nouvelle rédaction, largement inspirée par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Désormais, la commission nationale pourra se voir opposer par un service gestionnaire d'aides le secret des affaires, en particulier pour des informations de caractère industriel ou fiscal, c'est-à-dire des informations en réalité essentielles à la compréhension de l'attribution et de l'utilisation des aides publiques accordées.
L'article 3 prévoit les modalités de saisine de la commission nationale et des commissions régionales. Ces commissions pourront être saisies par un nombre considérable de personnes, à commencer par les 36 000 maires de France, ce qui induit un risque réel de paralysie de leur fonctionnement.
L'article 4 permet à un comité d'entreprise ou à un délégué du personnel de saisir le service gestionnaire des aides s'il estime que l'employeur ne respecte pas les engagements qu'il a précédemment souscrits pour bénéficier des aides publiques. Le service saisi peut décider de suspendre ou de supprimer l'aide octroyée, voire d'en exiger le remboursement. Or lesdits services bénéficient déjà de la faculté de suspendre une aide ou d'en demander le remboursement ; mais les cas sont extrêmement rares en raison de la lourdeur et de la complexité de la procédure, ainsi que des difficultés qu'elle ne manque pas d'entraîner.
Je m'interroge toutefois sur les conséquences sur l'emploi d'une suspension ou d'une suppression des aides accordées aux entreprises dans le cadre du passage aux 35 heures, après intervention en ce sens d'un comité d'entreprise ou d'un délégué du personnel.
Enfin, l'article 4 ter, ajouté par l'Assemblée nationale, confie le secrétariat de la commission nationale au Commissariat général du Plan. Cette disposition prouve que la commission nationale ne disposera pas de moyens propres pour mener à bien ses missions et qu'elle dépendra directement du Premier ministre.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a estimé qu'il n'y avait pas lieu de délibérer sur la présente proposition de loi et a déposé une motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons a été déposée à l'Assemblée nationale par Robert Hue et nos collègues du groupe communiste et apparentés - nous en avons nous-mêmes repris l'essence dans une proposition de loi déposée le 16 décembre dernier sur le bureau de notre assemblée. Elle nous invite à la constitution d'une commission nationale et décentralisée de contrôle des aides publiques aux entreprises.
M. le secrétaire d'Etat, et je l'en remercie, a très précisément et très justement dégagé nos objectifs et présenté nos propositions : il s'agit de répondre à une demande déjà ancienne et exprimée au cours de nombreux débats par voie d'amendements. Il nous semble cependant utile d'y porter un regard nouveau, afin de définir avec le plus de précision possible - n'est-ce pas l'un des griefs portés à l'encontre de la proposition de loi elle-même par la majorité sénatoriale ? - le cadre dans lequel le débat se situe.
Je commencerai par rappeler qu'au début du mois de septembre les événements ont voulu que, avec mon amie et collègue Hélène Luc, nous nous trouvions à Clermont-Ferrand au moment où la direction de Michelin annonçait la suppression de 7 500 emplois sur trois ans alors que l'entreprise affichait un résultat net en progression de 17 % et que le cours de l'action avait connu une hausse de 11 %. Or, à partir des indications fournies par la presse économique et par vos services, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avions établi que, depuis 1983, Michelin avait bénéficié de plus de 10 milliards de francs d'aides publiques,...
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Guy Fischer. ... ce qui n'avait pas empêché la suppression de plusieurs milliers d'emplois !
La création d'une commission de contrôle vise précisément et avant tout à concourir à l'objectif national de maintien et de création d'emplois, à favoriser l'essor des qualifications, à lutter contre l'explosion de la précarité, à permettre le développement d'investissements utiles à la création de richesse.
Toutes ces orientations sont précisément définies dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.
Nous nous fixons trois objectifs essentiels.
Tout d'abord, nous voulons assurer la lisibilité et la transparence des aides publiques accordées aux entreprises, au moment où l'on constate que ni les salariés d'une entreprise, ni les élus, qu'ils soient locaux ou même nationaux, ne sont en mesure de connaître la réalité des sommes en jeu et les flux financiers qu'elles provoquent.
On sait pourtant fort bien qu'en 1998 l'Etat a consacré 170 milliards de francs aux entreprises, et, si l'on prend en compte les aides économiques versées par les collectivités territoriales, on doit presque doubler cette somme ! Il s'agit donc d'un enjeu financier important, et il nous semble absolument nécessaire de rassembler des informations fiables, à l'échelle locale et à l'échelle nationale, afin de connaître la réalité des concours financiers.
Le deuxième objectif est d'assurer le suivi détaillé et concret de l'utilisation des aides dans l'entreprise et de mesurer leur impact sur l'emploi tant à l'intérieur de l'entreprise qu'à l'extérieur, la connaissance de l'impact externe pouvant être utile, aux élus par exemple, pour connaître la situation du bassin d'emploi au coeur duquel l'entreprise est placée.
Pour connaître l'usage des aides publiques et vérifier que les engagements sont respectés, la commission nationale et les commissions régionales de contrôle pourront s'appuyer sur les travaux des instances de suivi paritaires.
Les sommes en jeu sont importantes. On parle, je l'ai dit, de 170 milliards de francs venant de l'Etat, si l'on s'en tient aux seules dépenses d'intervention ; il faut y ajouter une partie de la dépense fiscale connue et retracée dans le document d'évaluation des voies et moyens, sans oublier les sommes engagées par les collectivités locales.
Le bien-fondé de la proposition de loi est donc indéniable, d'autant que le troisième objectif développé dans l'exposé des motifs est de confier à la commission de contrôle nationale et décentralisée une sorte de droit d'alerte, afin de contrôler la réalité de l'impact de la dépense publique consacrée aux entreprises à partir de l'analyse concrète de son efficacité sur le terrain, rôle qu'elle pourra tenir notamment du fait des conditions de sa saisine.
Rendre possibles la modification, la suppression, la suspension, voire le remboursement des aides publiques en fonction des résultats en termes d'emploi et de formation, comme c'est l'objet de la proposition de loi examinée à l'Assemblée nationale, pourrait servir de base à une réforme globale des aides à l'emploi : on passerait d'une logique de subsides à une logique d'incitation, et, puisque la régionalisation est une réalité, on pourrait peut-être envisager la création de fonds régionaux pour l'emploi, la formation et le développement.
L'analyse de la répartition des fonds montre que les 170 milliards de francs d'aides publiques versés en 1998 ont été dispensés, pour l'essentiel, à dix grands groupes. La majeure partie des PME-PMI ont été exclues. Il convient donc, pour revitaliser le tissu économique, de réorienter les aides afin qu'elles soient appropriées à la réalité du terrain et innervent les PME-PMI.
Sans pour autant empiéter sur les droits naturels de la représentation parlementaire, à laquelle il appartient de décider de l'allocation de la ressource publique, la commission de contrôle pourrait utilement participer à la réflexion que nous devons mener sur le sens de la dépense publique et sur le renforcement de son efficacité.
L'enjeu est d'importance.
Si l'on examine, d'une part, la situation des comptes publics, d'autre part, celle des entreprises et, enfin, la situation sociale à un moment où la croissance ne permet pas encore de réduire durablement le chômage et s'accompagne de la persistance de la précarité, on ne peut que demander plus de transparence.
En outre, monsieur le secrétaire d'Etat, la transparence permettrait davantage de justice et d'efficacité, comme vous le souhaitez.
Combien d'emplois ont été créés, monsieur le rapporteur, grâce aux 45 milliards de francs de la ristourne dégressive, à la baisse de l'impôt sur les sociétés, à la réduction de la taxe professionnelle, elle-même évaluée à près de 35 milliards de francs en deux ans ?
Si l'on récapitule les aides publiques aux entreprises, force est d'ailleurs de constater que leur champ a connu récemment une importante extension !
Nous sommes en effet loin du temps où ces aides publiques se limitaient à quelques mesures ponctuelles et strictement définies de défiscalisation : décote de la TVA ou exonération de taxes assises sur les salaires, comme cela peut encore se faire dans le secteur artisanal.
Les données actuelles du problème sont tout autres.
Toutes choses égales par ailleurs, on pourrait se livrer à un exercice de pure spéculation intellectuelle sur la comparaison entre le déficit budgétaire de l'Etat en 1984 et 1985 et ce qu'il est aujourd'hui, tous comptes faits et après constat des plus-values observées à la fin de 1999.
Ainsi, pour 1999, si notre déficit public s'élève à 206 milliards de francs, on peut aussi souligner qu'il est obtenu avec un taux de l'impôt sur les sociétés réduit de 50 % à 33,33 % depuis 1985, ce qui représente une moins-value pour le moins assez considérable, qui se chiffre en dizaines de milliards de francs et qui, cumulée au processus observé depuis une décennie et demie, aurait pu constituer un puissant levier de soutien public au développement des entreprises.
Dans le même temps, nous avons connu une modification très sensible en valeur absolue et relative en périmètre du champ des dépenses d'intervention économique incluses dans le titre IV.
J'ai dit que l'on parlait à ce titre de 170 milliards de francs.
Quand on ajoute à ces sommes le coût de la défiscalisation d'une part croissante de la taxe professionnelle et les divers aménagements qui concernent aujourd'hui l'impôt sur les sociétés, on aboutit à des totaux pour le moins spectaculaires.
Ainsi, la taxe professionnelle est corrigée de près de 40 milliards de francs bruts au titre du plafonnement de la valeur ajoutée, tandis que l'allégement transitoire des 16 % peut être estimé à plus de 30 milliards de francs.
Il s'agit là, certes, de chiffres bruts, mais ils montrent bien l'importance du problème.
On ne doit, en effet, jamais oublier que certaines interactions systématiques entraînent, à choix de gestion inchangés, des majorations d'impôt sur les sociétés à proportion des réductions de la taxe professionnelle.
Peut-être, au-delà de la croissance, peut-on d'ailleurs penser que la suppression de la base imposable des salaires est l'un des éléments de progression du rendement de l'impôt sur les sociétés observé en 1999.
Toutes ces sommes et les faits que je viens de rappeler nous conduisent, en fait, à constater une opération pour le moins complexe : s'acquittant auprès de l'Etat de l'impôt sur les sociétés, les entreprises de notre pays bénéficient de sommes au moins équivalentes au titre des dépenses d'intervention, de certains allégements de la fiscalité directe locale ou de modifications du cadre d'application de l'impôt sur les sociétés. Vous m'excuserez d'avoir fait ce détour technique pour justifier la création de cette commission de contrôle.
Je pense que, en fin de compte, nous en arrivons ainsi à un jeu à somme nulle, voire favorable en dernier lieu aux entreprises plus qu'aux comptes publics. C'est ce qui a justifié notre initiative et nous a conduits à nous interroger sur la définition précise de ce qu'est une économie de marché « moderne, libre et efficiente ».
Est-ce une économie dans laquelle l'argent public est généreusement distribué, sans contreparties clairement définies, essentiellement au bénéfice de quelques-uns, en l'occurrence les entreprises ? On est, il est vrai, toujours plus libéral avec l'argent des autres qu'avec le sien !
Alors, mes chers collègues, l'Etat devrait-il utiliser tant de moyens financiers pour soutenir les entreprises et l'activité économique sans que cela puisse être examiné, étudié, contrôlé, évalué ?
M. Joseph Ostermann, rapporteur. Ce n'est pas le problème !
M. Guy Fischer. Si !
Chers collègues, je connais votre attachement à l'allocation rigoureuse des dépenses publiques, comme votre sourcilleuse attention quant au respect des règles d'application budgétaire.
Ainsi, nous connaissons votre acharnement pour exiger, en vertu des prérogatives parlementaires, le plus d'éclaircissements possibles sur la dépense publique destinée à la solidarité nationale, sur le RMI, par exemple, ou encore les aides au logement, le fonctionnement de l'administration pénitentiaire, etc.
Nous n'avons pas oublié que des propositions de création de commission d'enquête ont été adoptées pour analyser les dépenses de personnels de l'éducation nationale ou celles du ministère de l'économie.
Or, tout à coup, s'agissant des fonds publics destinés aux entreprises, il n'y aurait pas lieu de faire de même ?
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, votre sourcilleuse attention connaîtrait donc des instants de relâchement ?
Il y aurait donc une zone taboue, un sanctuaire inapprochable, réservé aux seuls initiés dans votre quête de transparence budgétaire. Ce serait le champ des aides publiques aux entreprises.
Ainsi, on interrogerait madame la ministre de l'emploi et de la solidarité sur la fraude éventuelle portant sur l'allocation de parent isolé qui ne représente que 4,5 milliards de francs et on serait un peu moins regardant sur la ristourne dégressive sur les bas salaires qui en représente plus de 45 ?
Votre logique m'échappe et votre rapport ne me convainc pas.
M. Joseph Ostermann, rapporteur. C'est dommage !
M. Guy Fischer. Ou doit-on, en fait, conclure, que, à défaut d'être logique, votre position est en réalité idéologique ?
Cela tient sans doute à l'identité des auteurs de la proposition de loi et, à vos yeux, cela suffit certainement pour escamoter un débat au fond que vous ne souhaitez pas, comme le montre d'ailleurs votre choix de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
Mais cela tient plus profondément au fait que ce débat de fond a, selon vous, un défaut essentiel : il risque, en effet, de balayer nombre des arguments réglementaires, techniques ou budgétaires que vous avez pris l'habitude d'invoquer depuis 1997, et encore aujourd'hui, avec le débat sur l'exécution 1999, au profit de la confrontation avec les faits et aux réalités.
Posons la question : a-t-on réellement quelque chose à cacher en matière de fonds publics accordés aux entreprises ?
Si oui, alors la commission de contrôle que nous invite à créer la présente proposition de loi est bienvenue.
Si tel n'est pas le cas, pourquoi tant d'objections ? Pourquoi l'objection constitutionnelle, selon laquelle nous nous substituerions ainsi aux prérogatives du Parlement ? Il y a là un vide à combler.
Il s'agit aujourd'hui, devant tant d'objections, tant d'affirmations péremptoires et définitives, voire d'ironie ou de sarcasme, de voir quelle est la réalité.
Pour conclure provisoirement dans ce débat, nous pensons, pour notre part, que cette proposition de loi est salutaire et nécessaire et qu'elle a une autre portée que celle qui est née d'événements ponctuels, qu'il s'agisse de Michelin, Daewoo, JVC ou Panasonic, et nous pourrions citer d'autres d'exemples. Monsieur le rapporteur, je le sais, vous êtes scandalisé, vous aussi, lorsque, dans votre région, une entreprise qui a bénéficié de fonds publics, de fonds de la région, ferme ses portes ou menace de le faire. Nous nous retrouvons dans ces actions. Ces événements n'ont fait que souligner l'urgence de cette proposition de loi, d'où la nécessité de l'adopter.
Cette portée citoyenne, cette transparence dans l'utilisation de l'argent public, c'est précisément ce que, d'après les solutions que vous formulez aujourd'hui, vous ne voulez à aucun prix et que nous souhaitons voir émerger.
Nous sommes pourtant entrés dans une époque où le peuple de notre pays demande chaque jour toujours plus de clarté et de transparence, où la représentation nationale doit enfin prendre appui sur les comportements politiques nouveaux de nos compatriotes. Ces comportements exigent la transparence, plus de démocratie et de morale. Cette exigence s'impose et s'imposera à nous, et je m'en réjouis.
Approuvant les termes de la proposition de loi et donc rejetant les conclusions de M. le rapporteur, nous marquerons une fois de plus notre différence, expression de la pluralité sénatoriale, en ne suivant pas la commission des finances dans sa motion de procédure. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes. - MM. Emmanuel Hamel et Victor Reux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après ce brillant plaidoyer en faveur de la proposition de loi, je serai beaucoup plus concis que mon collègue Guy Fischer, afin que vous gardiez bien à l'esprit l'essentiel des arguments qu'il vient de développer.
Nous nous félicitons de ce projet de création d'une commission de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises. En effet, celle-ci devrait permettre de mieux évaluer l'effet et l'efficacité des aides publiques attribuées aux entreprises. Chacun sait que les entreprises qui bénéficient le plus de ces aides sont généralement de grands industriels, qui utilisent lesdites aides pour parfois - trop souvent ! - se délocaliser sur le territoire national, dans un autre pays européen ou même hors de l'Europe. Les PME en pâtissent trop souvent, elles qui sont nos partenaires au quotidien et qui auraient bien besoin de ces aides pour mieux jouer leur rôle de créateurs de richesses et d'emplois, mais aussi d'aménageurs du territoire.
Tout ce qui peut contribuer à l'amélioration de la connaissance de l'utilisation des crédits publics doit donc être encouragé. Cela permettra d'aider effectivement, je dis bien « effectivement », la création d'emplois, c'est-à-dire, en particulier, de lutter contre les effets d'aubaine, dans un souci de justice et d'économie, et d'ajuster les interventions publiques, dans le souci d'une meilleure efficacité.
Les représentants de l'Etat, préfets et administrateurs des services déconcentrés, vérifient bien sûr que les engagements pris par les entrepreneurs pour bénéficier des aides de l'Etat sont respectées. Mais quelle est la réalité de la connaissance de l'effet et de l'efficacité des aides fournies par les collectivités locales, la sécurité sociale ou la Communauté européenne ?
A-t-on une vue d'ensemble, à l'échelon national comme à l'échelon régional, des aides à l'emploi accordées par les collectivités territoriales, par exemple ? Celles-ci ont-elles aujourd'hui les instruments nécessaires pour évaluer la cohérence globale de leurs interventions économiques, alors qu'elles sont toutes sollicitées quotidiennement par ces mêmes entreprises ? N'est-il pas souhaitable que le Parlement ait, lui aussi, sa part, toute sa part, dans le suivi des aides accordées par la sécurité sociale, par exemple, en direction de ces grands groupes ? N'est-il pas normal que les aides européennes, qui ont notamment pour objet de réduire les disparités régionales et sociales, soient évaluées tant au niveau régional qu'au niveau interrégional ?
Il est tout à fait satisfaisant qu'une instance nationale rassemble enfin tous les intervenants économiques pour leur faciliter un diagnostic d'ensemble de leurs interventions et la recherche d'une meilleure cohérence de leurs actions, bien sûr dans le respect des grands principes de la décentralisation qui nous animent tous, et tout en visant la recherche de meilleurs équilibres régionaux et sociaux. C'est peut-être à partir de là que nous pourrons entamer une véritable démarche autour de l'aménagement du territoire.
La composition diversifiée de la commission sera un gage de sa représentativité, empêchera ses membres d'avoir une vision trop segmentée des choses et lui permettra d'aider à l'efficacité non seulement économique mais aussi sociale des interventions.
Le Parlement pourra ainsi exercer, pour une fois, sa véritable compétence de contrôle et d'analyse, à travers l'action de ses représentants au sein même de cette commission. Le choc de l'affaire Michelin doit être un révélateur pour chacun d'entre nous. Oui, justice et efficacité - vous l'avez rappelé dans votre propos liminaire, monsieur le secrétaire d'Etat - sont des objectifs fondamentaux du Gouvernement, à l'égard des entreprises et de la société en général. Qui peut nous détailler aujourd'hui la ventilation et les retours des dotations exceptionnelles accordées par le gouvernement Balladur aux entreprises ? C'était pourtant bien en faveur des entreprises que ce dispositif avait été mis en place. Même le Parlement - je suis obligé de le rappeler, monsieur le rapporteur - aurait aujourd'hui du mal à en tirer les conclusions, parce qu'il s'agit effectivement d'une mécanique et d'une démarche qui sont restées opaques. Il est important que l'on puisse quelque peu « retoiletter » l'ensemble de ces interventions.
Cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans un souci de transparence, laquelle apparaît aujourd'hui comme une nécessité.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Jean-Marc Pastor. Ce n'est que par le biais de l'analyse fine des retours financiers par cette commission décentralisée y compris à l'échelon régional qu'une véritable démarche de réflexion politique pourra être enclenchée de façon à pouvoir assurer ce véritable aménagement du territoire auquel nous sommes, les uns et les autres, très attachés.
Les abus choquants de certaines entreprises - cela a déjà été évoqué - nous contraignent aujourd'hui à cette démarche.
C'est donc avec une grande satisfaction que le groupe socialiste soutient une initiative législative de M. Robert Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale qui s'inscrit dans la droite ligne de l'action du Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Des différentes interventions que je viens d'écouter attentivement, je retiendrai principalement cinq questions.
Première question, est-ce un texte circonstanciel ? C'est l'interrogation, préjudicielle en quelque sorte, de M. le rapporteur.
Deuxième question, cette proposition de loi est-elle adaptée aux réalités concrètes auxquelles ont à faire face les entreprises ?
Troisième question, y a-t-il une trop forte concentration des aides sur les grands groupes ?
Quatrième question, ce texte répond-il à des objectifs d'aménagement du territoire et de développement économique régional équilibré ?
Enfin, cinquième question, centrale, posée par M. le rapporteur : cette proposition de loi, futur texte de loi, je l'espère, témoigne-t-elle, dans la méthode même qui a été suivie, d'un affaiblissement des prérogatives du Parlement ?
Je reprendrai, pour y répondre, chacune de ces interrogations.
Première question, donc : s'agit-il d'un texte circonstanciel qui vise simplement - je vous cite, monsieur le rapporteur - « à renforcer la cohésion de la majorité plurielle » ?
Je pense très sincèrement qu'il ne s'agit ni d'un moyen de promotion ni d'un moyen de renforcement d'une cohésion qui existe déjà. La démarche, intimement soutenue par l'ensemble de la majorité, que traduit cette proposition de loi rejoint celle du Gouvernement. Evoquant voilà quelques instants, dans mon intervention liminaire, les principes qui ont guidé ma collègue Mme Martine Aubry à présenter, au nom du Gouvernement, son second projet de loi concernant la réduction négociée du temps de travail, je soulignais les impératifs - M. Pastor vient de le rappeler excellemment - de transparence, de justice sociale et d'efficacité de la dépense publique qui sont au coeur même de la démarche de ce texte. Cette démarche traduit la cohésion, l'entente parfaite qui existent entre la majorité plurielle et le Gouvernement.
Je ne veux pas croire que la motion tendant à opposer la question préalable qui sera défendue tout à l'heure témoigne d'une gêne face à un texte qui est - je le crois sincèrement - réclamé par l'opinion publique et, dans la pratique, par nombre de salariés, d'organisations syndicales et même d'entreprises qui, lorsqu'elles utilisent les aides publiques à bon escient - et elles sont très nombreuses dans ce cas - sont en fait navrées et gênées de constater certains abus qu'il faut en effet - M. Fischer l'a souligné à l'envi - dénoncer, combattre et sanctionner.
Deuxième question : la proposition de loi est-elle adaptée aux réalités concrètes ? La pertinence des propositions de M. Hue et du groupe communiste de l'Assemblée nationale est, à mon avis, réelle. J'ai pu le constater dans deux cas d'espèce qu'il me faut rappeler à la Haute Assemblée et dans lesquels l'insuffisance des mécanismes existants était tout à fait patente : je pense aux entreprises Michelin et Moulinex.
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Dans ces deux cas, j'ai demandé, après avoir reçu les élus nationaux et locaux concernés, qu'une commission se réunisse sur le plan régional, sous l'égide du préfet de région, pour évaluer le montant des aides reçues et faire là aussi oeuvre de transparence. Vous en avez parlé tout à l'heure, monsieur Fischer, en citant des chiffres tout à fait éloquents quant au montant des aides que certaines entreprises ont pu recevoir en une dizaine d'années.
Sur le plan national, local ou européen, il convient d'ailleurs, dans un souci de bonne gestion des fonds publics, d'évaluer, de peser, voire de critiquer, lorsque c'est nécessaire, le principe même de dévolution de certaines des aides, pour en soutenir aussi l'application dans les cas où ces aides peuvent révéler un véritable objectif de dynamisation de l'économie et d'aménagement du territoire.
M. Philippe Marini. Mais cela a toujours été le cas !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. La plupart du temps, les aides sont correctement décidées, allouées et contrôlées, comme vous en convenez, je pense, sur l'ensemble de ces travées, mesdames, messieurs les sénateurs ; mais, dans un certain nombre de cas, on constate des abus, lesquels choquent l'opinion publique et résonneraient, s'ils n'étaient pas combattus, comme une condamnation du principe même de l'intervention, de l'aide, des crédits, que j'appelle parfois « les crédits starter », visant à démarrer un processus économique, pour encourager la croissance, l'innovation et l'emploi. Il s'agit donc aujourd'hui, en fait, de bien évaluer la dépense publique, de bien la diriger, de la contrôler mais, naturellement, sans excès de contrôle, sans bureaucratie - je crois l'avoir signalé - et en brocardant tous les abus possibles.
Troisième question : y a-t-il une trop grande concentration des aides sur les grands groupes ? Monsieur Fischer, vous posez là le début d'une réflexion très importante, qui a d'ailleurs été déjà menée par une commission d'enquête, à l'Assemblée nationale.
J'ai rappelé tout à l'heure la commission dont MM. Daniel Paul et Alain Fabre-Pujol, à l'Assemblée nationale, ont été les rapporteurs, et qui a vraiment incité à réfléchir et à approfondir ces questions. Elle est d'ailleurs, pour une part, à l'origine de la motivation du Gouvernement à accepter la proposition de loi de M. Robert Hue.
M. Fischer me donne l'occasion de rappeler ici, ce dont je le remercie, que, depuis la loi de finances pour 1999, c'est-à-dire depuis presque deux ans, j'ai tout d'abord engagé une action en vue d'une plus grande sélectivité des aides aux grands groupes - elle était d'ailleurs préconisée par M. Henri Guillaume dans le rapport qu'il avait remis à M. Dominique Strauss-Kahn et à moi-même dès la fin de 1998 - en vue d'une action économique efficace au service de l'emploi.
Par ailleurs, je souhaite une meilleure orientation des aides vers les PMI et les PME, comme cela figure dans la lettre de mission que j'ai envoyée au président de l'Agence nationale de valorisation de la recherche, l'ANVAR, dès janvier 1999, souhait que j'ai réitéré au début de cette année, et ce afin que, par exemple, dans le domaine de l'innovation industrielle, la part des PME et des PMI dans la dévolution de l'ensemble des aides aille croissant.
Croyez-moi, le Gouvernement est très attentif à cette démarche difficile, longue et patiente, qui remet en cause des années et des années de tradition contraire.
Mais il y avait - je crois d'ailleurs que le mot a été prononcé - une sorte d'« abonnement » des grands groupes à une aide un peu indifférenciée qui se reproduisait d'année en année, sans véritable discernement, contrôle ou analyse fine de la justesse de cette affectation.
Je rappelle également que les outils d'intervention du secrétariat d'Etat à l'industrie sont constamment réévalués à l'aune de cet impératif absolu, dicté par le souci de l'emploi : les PMI sont prioritaires.
Et je rappelle à la Haute Assemblée que les aides pour l'investissement et l'innovation du fonds de développement des PMI ne peuvent être attribuées qu'à des entreprises petites ou moyennes ne faisant pas partie d'un groupe. Monsieur Fischer, vous voyez que l'excellente remarque que vous avez formulée tout à l'heure est mise en oeuvre par le Gouvernement avec volonté, détermination, clarté et, là aussi, transparence.
Quatrième question : cette commission sera-t-elle un bon outil pour l'aménagement du territoire ? Telle est l'interrogation tout à fait importante posée par M. Pastor. Nous avons, les uns et les autres, l'oeil tourné vers les aides convergentes attribuées tant par l'Etat que par les collectivités locales ou territoriales, les régions, les communes, les départements dans certains cas. Il faut donc que l'on puisse voir le bien-fondé des unes et des autres, et ne pas aboutir à un mille-feuilles d'interventions qui serait incorrectement construit, car incorrectement dirigé vers la priorité de l'emploi et de la lutte contre le chômage, comme vous l'avez rappelé, monsieur Pastor.
C'est un souci de cohérence. Je pense que la proposition de loi présentée par le groupe communiste de l'Assemblée nationale répond à cet objectif, partagé sur toutes les travées du Sénat, j'en suis certain, de cohérence en matière d'action régionale.
Enfin, cinquième et dernière question, fondamentale elle aussi : le texte constitue-t-il un affaiblissement des prérogatives du Gouvernement ? Cette manière d'aborder la proposition de loi me paraît erronée, monsieur le rapporteur. La commission nationale qu'il vous est proposé de créer sera composée notamment de parlementaires, et, par conséquent, de sénateurs et de députés. Elle ne pourra bien sûr travailler que dans le respect des prérogatives fondamentales du Parlement que vous avez rappelées, en particulier le respect des principes qui président au fonctionnement et à la philosophie inspira la Haute Assemblée, particulièrement dédiée aux collectivités locales.
Le rôle de la commission nationale sera donc complémentaire de celui des rapporteurs des commissions, en particulier des rapporteurs spéciaux des commissions des finances, comme chacun s'en rend compte. Il y aura non pas substitution du rôle de la commission nationale à celui du Parlement, mais, au contraire, convergence des préoccupations parlementaires, sénatoriales en particulier, et du souci - c'est l' ultima ratio de ce texte - d'une bonne gestion des aides publiques, d'un engagement satisfaisant des fonds publics, afin que la nation soit persuadée que les efforts qu'elles consent à travers l'impôt sont toujours dirigés à bon escient, sous le contrôle principal, essentiel et décisif du Parlement, bien sûr, mais aussi sous le contrôle d'une commission qui aura à coeur d'entrer plus avant dans le détail du fonctionnement économique de notre pays.
La commission sera donc une instance permanente qui recevra des flux d'informations venant du terrain, qui contrôlera, qui évaluera les systèmes d'aides aux entreprises, qui ne se surajoutera pas de manière superfétatoire à ce que fait excellemment le Parlement, mais qui viendra conforter une démarche correspondant à ce qui est votre souci permanent : la cohérence, la transparence et l'efficacité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il convient donc, selon moi, que vous repoussiez la motion tendant à opposer la question préalable qui va vous être présentée et que vous adoptiez la proposition de loi proposée par M. Robert Hue et le groupe communiste de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable



M. le président.
Je suis saisi par M. Ostermann, au nom de la commission, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
« Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que le contrôle de l'utilisation des aides publiques accordées aux entreprises est déjà assuré, tant par les rapporteurs spéciaux des commissions des finances et par les rapporteurs des commissions d'enquête du Parlement que par les corps de contrôle interne à l'administration ainsi que par la Cour ou les chambres régionales des comptes ;
« Considérant que la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises affaiblirait les prérogatives constitutionnelles du Parlement en matière de contrôle ;
« Considérant que la création d'une telle commission est incompatible avec les principes d'une économie de marché moderne, libre et efficiente ;
« Considérant que le dispositif préconisé est insuffisamment précis, irréaliste et inapplicable ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu d'examiner la proposition de loi relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises, adoptée par l'Assemblée nationale (n° 163 ; 1999-2000). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Joseph Ostermann, rapporteur. Dans mon intervention liminaire, j'ai largement exposé les raisons qui incitent la commission des finances à présenter cette motion. Je n'y reviendrai donc pas. Néanmoins, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi quelques réflexions sur ce débat en l'occurrence fort intéressant.
J'ai presque le sentiment que l'on n'arrive plus, dans ce pays, à comprendre les difficultés dans lesquelles se débattent aujourd'hui nos petites et moyennes entreprises. C'est donc un débat autour de l'entreprise qu'il nous faudrait, en quelque sorte, engager.
Les entreprises doivent s'insérer dans un espace européen et mondial dans lequel les charges sont infiniment moins importantes qu'elles ne le sont en France. Or, si l'on parle des aides qui peuvent leur être accordées, on oublie ce que les entreprises représentent en termes économiques. C'est ainsi que, dans le secteur de la chaussure, de nombreuses entreprises sont obligées de se délocaliser, ou de disparaître. Ce débat est un débat de fond et ne peut pas s'engager par le biais d'une opposition entre telle ou telle composante du Sénat !
Quoi qu'il en soit, si j'ai défendu cette motion, c'est pour éviter une superposition de commissions. Exerçons nos prérogatives parlementaires ! Au demeurant, pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle refusé de constituer une commission d'enquête ? Il me semble en tout cas difficile, dans le contexte dans lequel est déposée la présente proposition de loi, de nous engager dans la création d'une commission dont nous pressentons toutes et tous qu'elle ne pourra pas fonctionner dans de bonnes conditions. (M. Machet applaudit.)
Mme Hélène Luc. On a bien compris que vous ne voulez pas de la transparence !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je me suis déjà exprimé, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Foucaud, contre la motion.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais, après mon collègue M. Fischer, vous remercier des propos que vous avez tenus à l'égard de cette proposition de constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises.
Qu'il me soit également permis de remercier notre collègue M. Pastor des propos qu'il a tenus et qui allaient dans le même sens.
Dans sa logique, que mon collègue Guy Fischer a eu l'occasion de souligner dans le cadre de la discussion générale, la commission des finances de notre Haute Assemblée nous propose de conclure la discussion de la présente proposition de loi en rejetant celle-ci par la voie d'une question préalable.
Quatre motivations essentielles guident cette démarche.
Premièrement, la majorité sénatoriale, une nouvelle fois, affiche un dogmatisme libéral inquiétant. (M. le rapporteur proteste.) Ainsi, tout ce qui permettrait un contrôle de la nation sur l'utilisation des aides publiques pour des entreprises privées ne serait pas bon.
Auriez-vous déjà oublié l'émotion considérable soulevée par l'affaire Michelin, rappelée ici voilà quelques instants, affaire qui a démasqué ces entreprises qui engrangent des milliards de francs d'aides publiques et continuent à licencier à tour de bras ?
C'est donc clair : la majorité sénatoriale, comme au sujet des 35 heures, se comporte en relais vigilant du MEDEF dans cette assemblée.
Cette attitude est inacceptable au regard des milliards de francs de profits annoncés chaque jour par de grandes entreprises et de la situation toujours difficile de l'emploi dans notre pays.
M. Emmanuel Hamel. Ne généralisez pas !
M. Thierry Foucaud. La deuxième motivation de la commission consiste à définir, a priori, cette commission nationale décentralisée de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises comme un affaiblissement des prérogatives constitutionnelles du Parlement.
La troisième, plus directement idéologique, oppose la création d'une telle structure aux principes essentiels de l'économie de marché.
Enfin, la quatrième porte sur le caractère irréaliste et imprécis du dispositif préconisé.
Je reviendrai rapidement sur ces quatre motivations pour expliquer, in fine, notre position de fond, à savoir le rejet de la motion de procédure qui nous est proposée.
S'agissant de la première motivation, le respect des droits du Parlement, on peut souligner que le débat est pour le moins actuel, surtout à la lumière de l'exécution budgétaire 1999 et du fait de la découverte d'un déficit budgétaire très inférieur à celui que nous avions voté lors de l'examen du collectif de fin d'année.
M. Philippe Marini. Cela, c'est vrai !
M. Thierry Foucaud. Oui, c'est vrai, et le chiffre final, soit dit en passant, a largement dépassé le montant que la majorité sénatoriale souhaitait voir inscrit au terme du vote de l'article d'équilibre.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Philippe Marini. Il a dépassé mes « extrapolations » !
M. Thierry Foucaud. Les droits du Parlement ont-ils été profondément bafoués dans cette opération ?
On peut raisonnablement penser qu'une part des plus-values fiscales observées n'était pas encore tout à fait identifiée à la date de présentation du collectif.
Mais, au-delà du débat sur la technique, permettez-moi quelques observations.
Même si le président de notre commission des finances s'est très récemment exprimé dans la presse sur la nécessité d'un retour au principe du contrôle parlementaire sur l'exécution budgétaire, cela ne peut longtemps tromper.
Cette démarche n'a d'autre sens que celle de nous faire partager une option pure et simple de réduction de la dépense publique et de baisse des prélèvements au seul profit des plus aisés et des entreprises, sous couvert de favoriser l'emploi et l'initiative individuelle...
Elle est surtout marquée par deux caractères essentiels : vouloir positionner le Sénat en laboratoire d'idées de l'opposition, en faire, tirant en cela parti de son mode d'élection, le messager exclusif des idées les plus conservatrices, et masquer, par exemple, que la pratique budgétaire 1993-1997 était surtout beaucoup plus discutable que celle d'aujourd'hui.
M. Philippe Marini. Tout cela commence à vieillir !
M. Thierry Foucaud. N'avons-nous pas, n'avez-vous pas, monsieur Marini, examiné, certains automnes de ces années-là, des lois de finances que des mesures autoritaires de gel, prises dès le mois de janvier suivant, ont immédiatement remises en question ?
N'avons-nous pas, par exemple, voté un principe de compensation intégrale d'allégements de cotisations sociales au printemps 1994 que le premier projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social n'a pas mis en application dès l'automne suivant ?
Les donneurs de leçons en matière de contrôle parlementaire des dépenses publiques devraient, parfois, se pencher sur leur passé, et même sur leur passé le plus récent puisque vous avez évoqué l'actualité, monsieur Marini.
M. Philippe Marini. Le problème se pose ici et maintenant !
M. Thierry Foucaud. Pourquoi demander, monsieur Marini, comme vient de le rappeler notre collègue M. Guy Fischer, des contrôles sur l'éducation nationale, sur les enseignants...
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Thierry Foucaud. ... et ne pas vouloir, d'un autre côté, que l'on puisse contrôler les aides publiques allouées aux entreprises ?
Moi, je crois, comme M. le secrétaire d'Etat, que cette proposition de loi n'est pas circonstancielle.
M. Philippe Marini. Une commission n'est pas nécessaire !
M. Guy Fischer. Il y a deux poids, deux mesures !
M. Thierry Foucaud Je crois qu'il y a là beaucoup à gagner pour réconcilier la politique avec les Français.
Pour en revenir, par exemple, à 1999, observons que les plus-values fiscales constatées procèdent, pour l'essentiel, de l'impôt sur les sociétés.
M. Philippe Marini Pas seulement !
M. Thierry Foucaud N'y a-t-il donc pas place, dans ce contexte, pour une commission de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises quand la progression du rendement de l'impôt sur les sociétés va de pair avec celle du montant de ces fonds ?
Beau défi, à la vérité, pour une telle commission, que d'examiner la situation et d'évaluer les effets de la politique suivie en ces matières au regard des choix de gestion.
L'allégement des cotisations sociales sur les bas salaires et l'allégement de la taxe professionnelle, comme toute autre mesure de ce type, quand ils se traduisent par une plus-value fiscale au titre de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu, ne signifient-ils pas, en dernière instance, que l'utilisation des fonds publics accordés n'a pas, dans l'absolu, été uniquement centrée sur la création d'emplois, sur les revalorisations salariales ou sur l'investissement, tous choix de gestion qui réduisent d'autant le produit de ces impôts ?
Et, pour procéder à l'évaluation la plus fine possible de cette situation et de ces choix de gestion, parce qu'ils ne sont jamais dénués d'effets sur les comptes publics, sur les comptes de la sécurité sociale, ou encore sur les chiffres du chômage, la commission de contrôle nationale doit naturellement être décentralisée, au plus près du terrain et des acteurs locaux.
Comment, par exemple, ne pas trouver étrange qu'après avoir largement tiré parti d'aides publiques une entreprise comme Moulinex puisse encore prévoir plusieurs milliers de licenciements, laissant aux élus locaux de Caen, d'Alençon ou de Mamers le bonheur de gérer, en fin de compte, le coût social de ses choix de gestion ?
L'argent public, mesdames et messieurs de la majorité, est une denrée suffisamment précieuse pour que, au-delà des règles constitutionnelles de contrôle parlementaire, existent des lieux de contrôle citoyen de son utilisation.
Ce n'est d'ailleurs pas contradictoire, pour peu qu'il m'en souvienne, avec les principes de la Déclaration des droits de l'homme, intégrés dans notre bloc de constitutionnalité.
Je ne reviendrai évidemment pas aussi longuement sur les autres motivations qui guident notre rapporteur dans le dépôt de sa motion.
S'agissant des principes, que je viens d'entendre énoncer, d'une « économie de marché moderne, libre et efficiente », vous me permettrez de poser quelques questions.
Je vois déjà venir ici l'« argument massue » : la constitution d'une commission de contrôle serait assimilable à je ne sais quelle « commission de contrôle politique », ou serait le produit de quelque nostalgie de l'économie administrée...
Posons la question : qu'est-ce qu'une économie de marché moderne, libre et efficiente ? Une économie harmonieuse où les rapports entre les agents économiques seraient strictement fondés sur la liberté et le consentement mutuel, guidée par la seule recherche de la satisfaction de tous ?
Non, mesdames et messieurs de la majorité sénatoriale ! Votre économie de marché « moderne » joue la concurrence contre la liberté, le profit contre l'emploi et les salaires, la création de valeur immédiate contre le développement social et économique durable, et fait de l'argent public un simple instrument au service de ces finalités.
Votre conception de la société qui en découle est, à notre avis, inégalitaire et conduit un nombre important de nos compatriotes à la précarité et à l'exclusion.
Votre modernité pèse aujourd'hui trois millions de chômeurs, cinq millions de personnes en situation précaire, mais aussi 500 milliards de dividendes... Vous voyez bien que ce n'est pas une question de principe, monsier Ostermann !
Quant à l'imprécision ou à l'inapplicabilité du dispositif, permettez-moi de souligner, au contraire, la clarté même du texte de la proposition de loi.
L'article 1er définit en effet les missions de la commission nationale. L'article 2 en précise la composition. Les articles 3 et 4 fixent les conditions de saisine de la commission. Les articles 4 bis et 4 ter apportent des précisions utiles quant aux conditions de la négociation collective et aux modalités techniques de fonctionnement de la commission. Il n'y a donc pas là de quoi en appeler à l'imprécision ou à l'irréalisme !
Que la même architecture puisse être transposée dans le cadre régional ou départemental est par ailleurs dans la suite logique du texte qui nous est soumis. Les modalités en sont précisées dans la lettre de l'article 3, mon collègue Guy Fischer et M. le secrétaire d'Etat se sont exprimés sur ce point.
Les choses sont donc claires : on cherche, par le biais de cette proposition de loi, à procéder à l'évaluation du rapport entre le coût et l'efficacité de la dépense publique destinée au soutien de l'activité.
Dépenser mieux, n'est-ce pas un objectif qui devrait nous rassembler ?
C'est pour l'ensemble de ces raisons que nous invitons le Sénat à rejeter la question préalable déposée par M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Je viens mettre aux voix la motion n° 1.
M. Jacques Machet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Le groupe de l'Union centriste votera la question préalable présentée par la commission des finances du Sénat, et ce pour trois raisons.
D'abord, comme l'a déjà dit très justement M. le rapporteur, il ne serait pas opportun d'ajouter de nouvelles tracasseries administratives à celles que connaissent déjà les entreprises implantées dans notre pays.
L'économie mondiale est, qu'on le veuille ou non, de plus en plus concurrentielle. La responsabilité des élus nationaux que nous sommes est de tenir compte de ce contexte et d'éviter toute mesure qui pourrait, à terme, handicaper à la fois nos entreprises par rapport à leurs concurrents et notre pays vis-à-vis d'éventuels investisseurs étrangers. Ces investisseurs ont un rôle majeur à jouer dans la revitalisation de certaines régions en crise, comme la Lorraine ou le Nord-Pas-de-Calais - et la liste n'est pas exhaustive !
La deuxième raison de notre vote positif est d'ordre institutionnel.
Le Parlement est tout à fait en mesure, s'il le juge nécessaire, de procéder à des contrôles sur l'usage des crédits publics. Le souhait de mon groupe, et notamment de son président Jean Arthuis, est précisément que le Sénat use de toutes ses prérogatives.
Il y aurait un vrai paradoxe à prôner une revalorisation de la fonction parlementaire et à voter un texte qui charge une commission administrative du contrôle d'une partie des crédits publics en dehors du champ des compétences du Parlement !
Enfin, troisième raison, mes chers collègues, les propositions de loi présentées sont hors sujet par rapport aux besoins actuels du secteur productif de notre pays.
C'est fort de ces trois raisons que - on me pardonnera de le répéter - le groupe de l'Union centriste votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le secrétaire d'Etat, je salue vos efforts méritoires.
Mme Hélène Luc. Vous avez raison !
M. Philippe Marini. Vous êtes un avocat talentueux, mais ici, cet après-midi, vous êtes l'avocat commis d'office d'une mauvaise cause.
M. Guy Fischer. Quelle mauvaise foi !
M. Philippe Marini. En effet, le texte qui nous est proposé est totalement inutile. Chacun ici a pu le dire et le redire - Jacques Machet l'a fait très justement il y a un instant - c'est le rôle des commissions parlementaires, notamment celui des commissions des finances des deux assemblées et de chacun de leurs rapporteurs spéciaux, que de s'assurer du bon emploi des crédits publics.
Dès lors, mes chers collègues, qu'est-ce que ce texte, sinon un os à ronger pour un groupe de la majorité plurielle ? Ce n'est qu'un dispositif complètement étranger à la réalité et, dans un jeu interne compliqué, une satisfaction accordée à un moment donné par M. le Premier ministre. Rien de plus !
Allons-nous nous faire complices de cela ? Certes, non ! Ce sont des affaires internes d'un secteur très respectable de la vie parlementaire, mais auquel les membres de mon groupe n'appartiennent pas.
Nous allons donc vous laisser, messieurs, si vous le voulez bien, régler vos contradictions en famille... en attendant de les retrouver sur d'autres textes, comme l'épargne salariale, par exemple, ou d'autres sujets qui vont émailler l'actualité parlementaire ces prochains mois.
Dans l'immédiat, ne perdons pas notre temps : il faut absolument voter la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. Victor Reux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Reux.
M. Victor Reux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, je tiens, en premier lieu, à féliciter le rapporteur de notre commission des finances, notre collègue Joseph Ostermann, pour la qualité de son rapport et la pertinence des arguments qu'il a développés.
Nous ne pouvons que souscrire à la proposition de notre rapporteur d'opposer la question préalable à la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale sur l'initiative des députés du groupe communiste.
En effet, la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises relève d'une vision administrée de l'économie qui, d'une part, n'est pas la nôtre et, d'autre part, est en totale contradiction avec l'environnement économique dans lequel évoluent nos entreprises.
Par ailleurs, comme l'a souligné notre rapporteur, l'origine parlementaire d'une telle initiative a de quoi surprendre. Les auteurs de la proposition de loi et ceux qui la soutiennent n'ont, à l'évidence, pas réalisé qu'ils allaient remettre en cause un certain nombre de leurs propres pouvoirs parlementaires. Le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, que l'on ne saurait suspecter de mauvaise grâce à l'égard de la politique du Gouvernement, l'a d'ailleurs fort bien souligné.
De plus, un examen attentif du dispositif proposé montre à quel point celui-ci est inapplicable, tant il est incomplet et imprécis.
Enfin, la chronologie des événements présentée par notre rapporteur met en évidence le caractère purement politicien de cette proposition, qui n'a d'autre but, pour le Gouvernement, que d'apaiser la mauvaise humeur manifestée par l'une des composantes de sa majorité plurielle.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République votera la motion tendant à opposer la question préalable proposée par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Vous êtes encore contre la transparence !
M. Jean-Marc Pastor. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. J'ai déjà eu l'occasion, dans la discussion générale, d'expliquer la position du groupe socialiste.
J'entends bien l'argument de mes collègues qui soutiennent cette motion, selon lequel le Parlement a compétence pour exercer cette mission. C'est vrai, cette compétence, nous l'avons certainement ; mais je ne suis pas sûr que nous l'exercions, ni que nous ayons les moyens réels de l'exercer pleinement.
Dans mon département, j'ai l'exemple de trois grosses entreprises qui ont été soutenues à la fois par l'Europe, par l'Etat, par la région, par le département et par les collectivités locales depuis plusieurs dizaines d'années, et qui, aujourd'hui, nous échappent, nous glissent entre les doigts.
J'ai essayé de savoir quelle pouvait être l'action du Parlement dans ces affaires. Je suis obligé de vous dire, mes chers collègues, que nous sommes impuissants. Nous sommes incapables d'avoir une vision globale de toutes les interventions qui ont eu lieu.
En revanche, nous nous faisons agresser, sur le terrain,...
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Jean-Marc Pastor... par les salariés qui, demain, vont devenir des chômeurs, et par les contribuables,...
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jean-Marc Pastor... qui nous interpellent et nous demandent des comptes !
M. Philippe Marini. Cela vous avancera à quoi, d'avoir cette commission ?
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur Marini, le rapporteur général que vous êtes peut-il nous dire quelle action le parlementaire peut mener localement à cet égard ?
Le fait que des parlementaires siègent dans cette commission devrait pouvoir nous aider à accomplir notre mission de parlementaires à la fois à l'échelon national mais aussi dans nos départements, où nous sommes confrontés à des cas concrets et précis que nous n'avons pas réellement le pouvoir de traiter.
Voilà pourquoi mon groupe ne votera pas cette motion.
M. Emmanuel Hamel. Je ne la voterai pas non plus !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 35:

Nombre de votants 313
Nombre de suffrages exprimés 306
Majorité absolue des suffrages 154
Pour l'adoption 212
Contre 94

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
Mme Hélène Luc. Elle sera adoptée par l'Assemblée nationale !

8

TRANSMISSION DE PROJETS DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'archéologie préventive.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 239, distribué et renvoyé à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre un projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant création d'une commission nationale de déontologie de la sécurité.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 242, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

9

TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 241, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

10

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu de M. Louis Le Pensec une proposition de résolution, présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement n° 1488/96 du 23 juillet 1996 sur les mesures financières et techniques accompagnant la réforme des structures économiques et sociales dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen (MEDA) (n° E-1331).
La proposition de résolution sera imprimée sous le numéro 240, distribuée et renvoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

11

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu un rapport, déposé par M. Henri Revol, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur le clonage, la thérapie cellulaire et l'utilisation thérapeutique des cellules embryonnaires, établi par M. Alain Claeys, député, et M. Claude Huriet, sénateur, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 238 et distribué.

12

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 29 février 2000, à seize heures :
1. Discussion du projet de loi (n° 192, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Rapport (n° 231, 1999-2000) de M. Guy Cabanel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Rapport d'information (n° 215, 1999-2000) de Mme Danièle Pourtaud, fait au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
2. Discussion du projet de loi organique (n° 193, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna.
Rapport (n° 231, 1999-2000) de M. Guy Cabanel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Rapport d'information (n° 215, 1999-2000) de Mme Danièle Pourtaud, fait au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion générale commune de ces deux textes.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale commune : lundi 28 février 2000, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux textes : lundi 28 février 2000, à dix-sept heures.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du projet de loi organique.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi organique, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en troisième lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice (n° 212, 1999-2000) ;
Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice (n° 213, 1999-2000) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale commune : mercredi 1er mars 2000, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements à ces deux textes : mardi 29 février 2000, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





ERRATA
Au compte rendu intégral de la séance du 10 février 2000
CRÉATION ET DÉVELOPPEMENT DES ENTREPRISES
SUR LES TERRITOIRES

Page 814, deuxième colonne, dans le texte proposé par l'amendement n° 7, antépénultième ligne :
Au lieu de : « peut être exigé » ;
Lire : « peut ne pas être exigé » ;
Page 816, première colonne (texte proposé pour l'article 7), neuvième alinéa (3), septième ligne :
Au lieu de : « ou sur une société » ;
Lire : « ou société ».
Page 816, première colonne (texte proposé pour l'article 7), avant-dernier alinéa (C), deuxième ligne :
Au lieu de : « par un alinéa ainsi rédigé : » ;
Lire : « par deux alinéas ainsi rédigés : ».
Page 819, première colonne, dans le texte proposé pour l'article 9, deuxième alinéa, première ligne :
Au lieu de : « Art. 239 bis. - » ;
Lire : « Art. 239 bis AB. - ».

NOMINATION D'UN RAPPORTEUR
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES

M. André Dulait a été nommé rapporteur du projet de loi n° 229 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention portant statut de la Cour pénale internationale.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Situation des étudiants de 3e cycle

729. - 24 février 2000. - M. Jacques Pelletier attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur la situation très difficile que connaissent les étudiants. Cette situation compromet l'égalité des chances qui est un des fondements de notre République. Il convient, aujourd'hui, de favoriser un plus juste équilibre en engageant une réflexion transcendant les apparences partisanes. Le rapport Dauriac propose de créer une allocation d'étude de 20 000 francs par an pour les étudiants de 3e cycle sur critères sociaux. Ne serait-il pas possible de prévoir l'embauche systématique des étudiants de 3e cycle pour l'encadrement de nos écoles ? Cette mesure présenterait des avantages, tant pour l'éducation nationale que pour les étudiants. Pour l'éducation nationale, ce recours permettrait de disposer d'une manne ponctuelle d'emplois de qualité et de pallier aux déficits d'encadrement scolaire dans les zones sensibles. Pour les étudiants, l'emploi en collège ou en lycée à mi ou tiers temps ne serait en aucun cas préjudiciable à la poursuite de leurs recherches et leur accorderait un revenu « décent ». Outre la valeur que peut incarner le travail, les étudiants disposeraient d'une première expérience de travail (pédagogie, gestion des conflits, médiation, écoute, encadrement...). Cette solution rétablirait, enfin, l'équité entre les boursiers et ceux qui sont contraints de travailler, souvent des conditions inadaptées pour leurs études. Ainsi, pour les écoles, cette mesure comblerait un certain déficit d'encadrement dénoncé par de nombreux rapports, favoriserait la médiation entre le jeune et le personnel éducatif et montrerait aux plus jeunes certains modèles de réussite. Une réflexion sur ce sujet est-elle envisagée par les services de ministère de l'éducation nationale ?

Emploi de la langue française dans le cadre
de l'Assistance publique

730. - 25 février 2000. - M. Jacques Legendre attire l'attention Mme le ministre de la culture et de la communication sur la récente décision de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de ne comptabiliser pour l'activité de recherche clinique que les articles originaux en anglais. Une telle décision, émanant d'un service public, est en contradiction formelle avec la lettre et l'esprit de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, qui dispose en son article 1er que le français « est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics ». Il lui demande donc quelles dispositions elle a prises pour mettre au plus vite un terme à ce scandale et faire appliquer par ce service public les lois de la République.




ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 24 février 2000


SCRUTIN (n° 35)



sur la motion n° 1, présentée par M. Joseph Ostermann au nom de la commission des finances, tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale relative à la constitution d'une commission nationale et décentralisée de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises.

Nombre de votants : 312
Nombre de suffrages exprimés : 305
Pour : 211
Contre : 94

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Contre : 17.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 17.
Abstentions : 6. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin, Gérard Delfau et Jacques Pelletier.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :
Pour : 96.
Abstention : 1. _ M. Emmanuel Hamel.
N'ont pas pris part au vote : 2. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat, et M. Gérard Larcher, qui présidait la séance.

GROUPE SOCIALISTE (77) :

Contre : 77.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Pour : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Pour : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

N'ont pas pris part au vote : 7.

Ont voté pour


Nicolas About
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan


Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Raymond Soucaret
Michel Souplet

Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

Ont voté contre


Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Jean-Yves Autexier
Robert Badinter
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
Yolande Boyer
Robert Bret
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Michel Duffour
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Thierry Foucaud
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

Abstentions


MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin, Gérard Delfau, Emmanuel Hamel et Jacques Pelletier.

N'ont pas pris part au vote


MM. Philippe Adnot, Philippe Darniche, Jacques Donnay, Hubert Durand-Chastel, Alfred Foy, Bernard Seillier et Alex Türk.

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait la séance.


Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : 313
Nombre de suffrages exprimés : 306
Majorité absolue des suffrages exprimés : 154
Pour l'adoption : 212
Contre : 94

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.