Séance du 10 février 2000
CRÉATION ET DÉVELOPPEMENT
DES ENTREPRISES SUR LES TERRITOIRES
Discussion des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 189,
1999-2000) de M. Francis Grignon, fait au nom de la commission des affaires
économiques et du Plan sur la proposition de loi (n° 254, 1998-1999) de MM.
Jean-Pierre Raffarin, Francis Grignon, Louis Althapé, Pierre André, Philippe
Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Georges Berchet,
Jean Bizet, Jean Boyer, Marcel Deneux, Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire
Flandre, Jean François-Poncet, Alain Gérard, François Gerbaud, Mme Anne Heinis,
MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Jean Huchon, Patrick Lassourd, Jean-François
Le Grand, Guy Lemaire, Paul Natali, Louis Moinard, Jean Pépin, Charles Revet et
Raymond Soucaret, tendant à favoriser la création et le développement des
entreprises sur les territoires.
[Avis n°s 200 et 201 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Francis Grignon,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition
de loi que j'ai l'honneur de rapporter aujourd'hui traite de la création et du
développement des entreprises, certes, de façon générale, mais aussi de façon
plus ciblée sur le territoire.
Cette proposition de loi est l'aboutissement d'un travail de réflexion et de
maturation fait au sein du groupe de travail « Nouvelles entreprises et
territoires » mis en place par M. le président de la commission des affaires
économiques et présidé par M. Jean-Pierre Raffarin.
Le groupe de travail fait trois constats basiques sur la création
d'entreprises : le premier, alarmant, souligne le déficit chronique de création
d'entreprises depuis dix ans dans notre pays ; le deuxième, technique,
identifie les obstacles à cette création ; le troisième, politique, montre que
les réponses se font attendre.
Le déficit chronique de création d'entreprises tout d'abord.
Alors qu'un récent sondage de l'IFOP du mois de janvier montre que trois
millions de Français déclarent vouloir créer leur entreprise, on constate que
seuls 270 000 ont franchi le pas en 1999. Ce nombre a diminué de près d'un
quart depuis 1990.
On pourrait croire que le phénomène est macro-économique. Il n'en est rien.
Dès lors, comment ne pas s'inquiéter de cette situation, quand on sait qu'avec
la densité entrepreneuriale de la Grande-Bretagne la France aurait non pas 2
300 000 mais 3 400 000 entreprises et qu'avec la densité entrepreneuriale des
Etats-Unis elle en compterait 4 200 000 ?
Cette différence est, bien sûr, théorique. Ces créations d'entreprises ne
permettraient pas, d'un seul coup de baguette magique, d'éliminer 1 900 000
chômeurs. Cependant, il est clair qu'elles permettraient des créations
d'emplois, et surtout des emplois économiques plutôt que des emplois
administratifs. En tout cas, ce qui est en jeu, c'est notre capacité à créer
des emplois.
La création de nouvelles entreprises en 1999 a engendré 300 000 emplois. Si le
niveau de 1989, soit dix ans plus tôt, avait été maintenu, nous aurions
aujourd'hui, c'est certain, 500 000 emplois de plus.
Cette question est, évidemment, encore plus cruciale dans les territoires
défavorisés, où c'est plus la transmission d'entreprises, le développement
endogène et la création d'entreprises
in situ
qui permettent de créer
des emplois que l'implantation de grandes entreprises ou de filiales
d'entreprises, qui, vous le savez, privilégient les arbitrages
internationaux.
Pourquoi ce déficit de création ?
Sans avoir la prétention d'être exhaustifs, puisque nous n'avons pas pris en
compte, par exemple, l'influence de la formation, ni, de façon plus générale,
l'influence de la culture entrepreneuriale, en France, nous avons regroupé ces
obstacles à la création en quatre catégories bien différenciées.
Première catégorie : la difficulté d'accès au financement. C'est vrai qu'il
est plus difficile aujourd'hui à un créateur de trouver quelques dizaines de
milliers de francs qu'à une entreprise technologique, cotée en bourse, de
surcroît, de lever des millions d'euros. C'est comme ça !
Il existe un besoin réel de microfinancement que le marché ne satisfait pas.
Et quand on sait que 80 % des créations d'entreprises mobilisent moins de 40
000 francs, il y a de quoi se poser des questions !
La deuxième catégorie d'obstacles à la création tourne autour de la précarité
du statut du créateur d'entreprise. Notre système social et réglementaire fait
peser sur la création d'entreprise un risque excessif. Par ailleurs, le
cloisonnement des statuts de salarié et d'entrepreneur, difficilement
conciliables, prive le créateur de tout filet de sécurité. Nous avons la
volonté d'y remédier.
La troisième catégorie d'obstacles tient à la toute relative organisation des
dispositifs de soutien. C'est par exemple, l'excessive concentration des aides,
qui ne profitent qu'à certains, mais c'est aussi la carence de l'accompagnement
des créateurs et le manque de coordination des structures.
Malgré les 3 000 organismes recensés et les efforts déployés par les uns et
les autres, on estime que seulement un entrepreneur sur dix est accompagné
pendant la phase de création. C'est trop peu. Je suis personnellement persuadé
qu'il nous faut prendre conscience du nécessaire maternage des entreprises en
création, au moins de l'âge « - 2 » à l'âge « + 3 », c'est-à-dire avant,
pendant et après la création. C'est ce qui permettra fondamentalement moins de
déchets et plus d'initiatives.
Au risque de vous choquer, madame la secrétaire d'Etat, je dois vous dire que
la quatrième catégorie d'obstacles à la création d'entreprises relève de
l'absence de prise en compte réelle des PME dans les politiques publiques. Tout
d'abord, un chantier inabouti sur la simplification administrative, mais
aboutira-t-il un jour dans la mesure où les structures et les institutions
s'autoalimentent dans ce domaine ? Ensuite, une difficulté d'accès des PME à
l'achat public. Enfin, des textes qui s'empilent, l'Etat restant encore bien
souvent trop perçu comme une contrainte.
Bien évidemment, tout ne dépend pas du secrétariat d'Etat aux petites et
moyennes entreprises. Il est certain que, dans ce domaine comme dans bien
d'autres encore, la Chancellerie comme Bercy sont parfois difficiles à
convaincre, nous en avons parfaitement conscience.
J'ai personnellement rêvé d'une
small business administration
à la
française. Après tout, n'est-ce pas l'utopie qui fait vivre ? Mais j'ai vite
compris que ce qui était possible en 1954 aux Etats-Unis, parce que rien
n'existait, est tout à fait impossible en l'an 2000 en France où beaucoup
existe.
Néanmoins, sans aller jusqu'à une réforme profonde de l'Etat dans ce domaine,
nous pourrions mieux faire et les réponses se font attendre.
Depuis le « Plan PME pour la France », bien peu a été fait. Nous dénombrons
certes une vingtaine de rapports, mais ils sont souvent restés lettre morte.
Nous avons été particulièrement déçus au Sénat de l'attitude du Gouvernement
lors de l'examen de la loi relative à l'aménagement du territoire. Malgré nos
propositions, rien n'a été retenu, comme si l'on pouvait concevoir
l'aménagement du territoire sans le développement économique local.
Il y a, certes, des promesses : la réforme des interventions économiques des
collectivités territoriales et celle du code des marchés publics. Mais, à part
la route qui poudroie et l'herbe qui verdoie, on ne voit rien venir, Mme la
secrétaire d'Etat.
Soyons honnêtes, malgré tout : avec la loi Allègre, le Gouvernement n'est pas
resté inactif, mais il a concentré son effort sur les nouvelles technologies,
qui ne concernent malheureusement ni tous les Français, ni toutes les
entreprises, ni tous les territoires.
Devant cette situation, le texte que nous allons examiner propose de réagir
positivement.
A partir d'exemples étrangers et de l'examen des initiatives - nombreuses -
des sénateurs sur le terrain, la proposition de loi vise à mettre en place une
« boîte à outils » pour les acteurs du développement local, en même temps que
des mesures nationales pour donner un nouveau souffle à la création
d'entreprise.
Les objectifs sont simples : de façon très synthétique, et à partir de six
verbes, je voudrais dire qu'ils se déduisent directement de l'observation et du
diagnostic. Il s'agit d'alléger la solitude du créateur par un accompagnement
accessible et professionnel, de lever certains biais de la réglementation
sociale, d'organiser des réseaux de financement de proximité, d'aménager le
droit pour le rendre plus favorable à l'initiative individuelle, d'encourager
les investisseurs providentiels et de faciliter les transmissions, pour ne
citer que ceux-là.
Ce ne sont certes pas les cinq impératifs de Fayol - prévoir, organiser,
commander, coordonner, contrôler - qui définissent la gestion d'une entreprise,
mais ce pourrait être les six impératifs de la création et du développement du
territoire, à savoir alléger, lever, organiser, aménager, encourager,
faciliter.
Issue de réflexions croisées sur l'aménagement du territoire et de la création
d'entreprises, la prise en compte de ces objectifs donne un texte structuré en
quatre titres regroupant quinze mesures concrètes, que je me propose de vous
présenter maintenant.
Le premier volet de la proposition de loi concerne le développement économique
territorial. Les acteurs publics locaux doivent disposer d'outils efficaces de
développement économique. La proximité est en effet un facteur de souplesse et
d'efficacité. Or les initiatives se heurtent parfois à l'absence de
financements appropriés et souvent à l'inadaptation des textes qui imposent aux
élus d'agir aux confins de la légalité. Nous avons voulu donner aux acteurs de
terrain les moyens de fédérer les initiatives, d'accompagner les créateurs et
de drainer les financements vers les PME. Six mesures sont proposées dans le
cadre de ce développement économique territorial.
La première vise à mettre en place des fonds communs de placement de
proximité, les FCPP. Ces fonds sont des fonds communs de placement à risques
bénéficiant des mêmes avantages que les fonds communs de placement à
l'innovation. Il s'agit de mobiliser sur un territoire nos concitoyens pour
défendre leurs entreprises.
La deuxième mesure, c'est la généralisation des « incubateurs ». Nous avons
appelé cela les PIT : les pôles d'incubation territoriaux. A mon sens, un PIT
serait nécessaire par département. Cela pourrait devenir, ce dont nous rêvons
tous, le guichet unique de l'entreprise et - pourquoi pas ? - la maison de
l'entreprise.
La troisième mesure, qui accompagne la précédente, c'est le développement des
fonds d'amorçage.
La quatrième est une incitation à la mise en réseau des entreprises pour
développer la solidarité territoriale. Nous savons tous que les entreprises ne
le font pas spontanément. Il s'agit de les inciter à travailler ensemble, en
particulier au niveau de la veille technologique ou de l'exportation.
La cinquième mesure est une consécration de l'aide des collectivités aux
organismes distribuant des avances remboursables. C'est, bien évidemment, une
mesure prudentielle qui sera longuement expliquée tout à l'heure par M. Paul
Girod.
La sixième mesure est une incitation à la transmission anticipée des
entreprises dans les zones privilégiées d'aménagement du territoire, afin de
limiter la désertification économique de ces territoires.
Je tiens à préciser que toutes ces dispositions ont déjà été adoptées par le
Sénat lors des débats sur la loi relative à l'aménagement du territoire, mais
avec la suite malheureuse que nous lui connaissons.
Le deuxième volet de la proposition de loi est consacré au financement de la
création et du développement d'entreprise. La proposition de loi met en place
une palette cohérente et variée de possibilités de financement, autour de trois
mesures.
La première est une avance nationale aux créateurs d'entreprise. Cette avance
ne sera pas réservée aux seuls créateurs chômeurs ou en difficulté, mais elle
vaudra pour tous les créateurs d'entreprise afin de « booster » la création
d'entreprises dans notre pays.
La deuxième mesure est une mesure incitative pour les « investisseurs
providentiels », c'est l'expression que nous avons trouvée pour les fameux
business angels
. Il s'agit d'inciter certains chefs d'entreprise ayant
réussi, ayant une compétence, à s'investir dans les entreprises. Bien
évidemment, la perte déductible sera limitée à 100 000 francs pour éviter toute
exagération par rapport à cette démarche.
La troisième mesure est un avantage fiscal pour les prêts aux entreprises
individuelles. C'est une mesure d'équité par rapport à l'avantage Madelin qui
existait pour les personnes morales, les sociétés, et qui pourra s'appliquer
aussi aux entreprises individuelles. C'est ce qu'on a l'habitude d'appeler le
love money
: celui de la famille, des proches.
Le troisième thème de cette proposition de loi concerne le statut juridique de
l'entreprise. Il essaie de proposer des mesures plus souples pour permettre aux
créateurs d'entreprise soit de quitter leur entreprise, soit de bénéficier d'un
temps partiel pour créer leur entreprise. Les deux mesures proposées vont dans
ce sens. La première vise à permettre, en y assortissant des conditions qui
seront exposées, le temps partiel pour la création d'entreprise. La seconde
propose d'accorder le bénéfice de l'assurance chômage aux créateurs
d'entreprise.
Enfin, le dernier volet de la proposition de loi vise à sensibiliser les
acteurs publics aux spécificités des petites entreprises.
La proposition de loi consacre l'existence du conseil national de création
d'entreprise et étoffe ses missions. Nous n'avons pas souhaité ajouter de
nouveaux organismes à ceux qui existent. En revanche, nous pensons que de
nouvelles missions, en particulier l'examen des textes législatifs et
réglementaires, aussi bien en direction du pouvoir exécutif que du pouvoir
législatif, seraient de nature à simplifier la vie des entreprises.
Par ailleurs, nous proposons aussi, au nombre de ces mesures, de faciliter
l'accès des PME aux marchés publics par l'institution d'un régime d'attribution
préférentielle, par la consécration de l'allotissement et par l'instauration de
délais de paiement certains.
Comme vous le voyez, madame la secrétaire d'Etat, ces quinze mesures balaient
un large spectre, touchant aussi bien le code général des collectivités
territoriales, le code général des impôts, le code du travail que le code des
marchés publics. Elles s'inscrivent dans une même logique qui consiste à
embrasser tous les territoires, y compris ceux dont la fragilité exige des
dispositions spécifiques, qui consiste à s'adresser à tous les secteurs
d'activité, au-delà des seuls secteurs innovants, et à intensifier et élargir
l'accompagnement aussi bien que la création d'entreprise.
C'est dans cet esprit que nous avons travaillé avec le souci permanent de ne
pas créer de nouvelles complications pour les entreprises mais, au contraire,
de libérer de nouvelles énergies.
Je voudrais dire maintenant combien je me félicite que ce débat ait donné
l'occasion aux trois commissions saisies de ce texte d'apporter leur pierre à
la construction d'un édifice commun. Je tiens à remercier tout particulièrement
nos collègues Paul Girod et Joseph Ostermann de la qualité de leur contribution
à nos travaux.
Avec cette proposition de loi, vous avez, Mme la secrétaire d'Etat, l'occasion
de faire avancer la cause des petites entreprises qui, je le sais, vous est
chère.
En conclusion et au-delà des mesures concrètes qui répondent à certains
dysfonctionnements et qui essayent de lever certains obstacles, je tiens à
préciser qu'il s'agit surtout pour les auteurs de ce texte de créer de
meilleures conditions du développement de l'initiative individuelle dans notre
pays.
Le choix politique proposé est de permettre à un maximum de nos concitoyens de
s'assumer, quel que soit leur métier et quelles que soient la nature et la
taille de la structure qu'ils veulent mettre en oeuvre ou développer, avec un
bonus - et c'est normal - pour l'implantation et le développement dans les
territoires difficiles.
Mieux s'assumer, c'est être plus libre dans un monde où il faut « penser
global » mais « agir local ». C'est ce que je souhaite de tout coeur au plus
grand nombre de nos concitoyens créateurs et développeurs d'entreprises pour
notre pays.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR).
M. le président.
La parole est à M. Ostermann, rapporteur pour avis.
M. Joseph Ostermann,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les
motivations de la proposition de loi que nous allons examiner aujourd'hui, que
M. Francis Grignon a admirablement rappelées. Le fait est là : les créations
d'entreprises sont moins nombreuses en France que chez nos voisins, ce qui est
à l'origine d'un déficit de créations d'emplois.
Je souhaiterais, en revanche, m'appesantir quelques instants sur les
difficultés d'accès au financement des petites entreprises et sur les carences
des dispositifs de soutien, notamment financiers, à la création
d'entreprises.
La première de ces difficultés fait depuis longtemps l'objet des
préoccupations de la commission des finances, qui s'est employée, notamment en
préconisant la création de fonds de pension depuis de nombreuses années, ou en
imaginant des dispositions fiscales de nature à mobiliser les
business
angels,
à orienter l'épargne des particuliers vers le financement des
entreprises.
Les dispositions fiscales ne manquent certes pas pour mobiliser cette épargne,
à commencer par celles qui ont été mises en place par la loi dite « Madelin »
en février 1994 pour renforcer les fonds propres des entreprises, ou par les
fonds communs de placement dans l'innovation en décembre 1996. Il convient
également de mettre au crédit du Gouvernement actuel le dispositif de report de
plus-values en cas de réinvestissement dans une entreprise nouvelle, bien que
l'on puisse douter de l'efficacité de cette dernière mesure tant elle est
étroitement encadrée. Je n'insisterai pas en revanche sur le « pas de deux » du
Gouvernement en matière de stock-options qui illustre bien la méfiance dont il
fait preuve à l'égard des créateurs d'entreprises.
Toutefois, l'arsenal législatif actuel se caractérise par un ciblage trop
exclusif sur les entreprises innovantes, d'une part, et sur les entreprises
constituées sous la forme de sociétés de capitaux, d'autre part. Les
entrepreneurs individuels, commerçants ou artisans, qui se heurtent souvent à
la pusillanimité des banques, ne peuvent prétendre à aucune source alternative
de financement dans la mesure où leurs entreprises sont, par construction,
dépourvues de capital. Or, les entrepreneurs individuels constituent la très
grande majorité des créateurs d'entreprise et contribuent à la vitalité du
tissu économique local.
En outre, les dispositifs existants de mobilisation de l'épargne restent
relativement confidentiels et encore trop timorés. La loi « Madelin », par
exemple, qui accorde une réduction d'impôt sur le revenu de 25 % aux épargnants
qui souscrivent au capital de sociétés non cotées, ne bénéficie qu'à moins de
60 000 foyers fiscaux pour une dépense fiscale de 340 millions de francs. C'est
bien peu au regard des dizaines de milliers d'entreprises qui se créent chaque
année.
C'est pourquoi la commission des finances ne peut qu'applaudir aux différentes
dispositions de la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise.
L'intérêt de cette proposition de loi est qu'elle embrasse l'ensemble des
problèmes rencontrés par le créateur d'entreprise, à tous les stades de la vie
de l'entreprise nouvelle, de l'incubation au développement, en passant par
l'amorçage et le renforcement des fonds propres. L'autre intérêt est qu'elle a
pour cible les petites entreprises, les commerçants et les artisans, qui sont
les laissés-pour-compte des dispositifs actuels de soutien aux entreprises.
La commission des finances se réjouit en particulier de la création des fonds
communs de placement de proximité, qui visent à mutualiser une épargne souvent
abondante, mais dont les détenteurs ignorent les possibilités de placement dans
l'économie locale. Un tel instrument financier comblera un vide législatif en
servant d'interface entre les particuliers soucieux de mettre leur épargne au
service du développement économique territorial et les entrepreneurs locaux à
la recherche de financements.
L'actif de tels fonds devra être investi dans des entreprises indépendantes de
moins de cinquante salariés et localisées dans les zones économiquement
fragiles du territoire. Les épargnants qui investiront dans ces fonds
bénéficieront d'une réduction d'impôt égale à 25 % du montant de leur
investissement dans les mêmes limites que les souscripteurs de parts de fonds
communs de placement dans l'innovation.
La commission des finances considère également comme tout à fait opportune
l'extension des avantages fiscaux de la loi « Madelin » aux épargnants qui
octroient des prêts aux entrepreneurs individuels. En effet, ne disposant pas
de personnalité juridique propre, une entreprise individuelle ne peut
bénéficier des dispositions de cette loi Madelin, ce qui est d'autant plus
injuste que ce sont précisément ces entreprises qui se heurtent le plus souvent
à la frilosité des banques. Les dispositions de l'article 10 sont de nature à
permettre aux commerçants et aux artisans de trouver des soutiens financiers
dans leur entourage.
Quant à la disposition tendant à permettre aux associés d'une SARL de déduire
de leur revenu global les pertes qu'ils pourraient réaliser, elle est
susceptible de lever les réticences des épargnants à investir dans le capital
d'une entreprise nouvelle, dont les premiers exercices sont souvent
déficitaires.
Pour compléter ces différentes dispositions, la commission des finances
proposera au Sénat de renforcer l'attractivité de la loi « Madelin » en
rehaussant ses seuils pour les aligner sur ceux des FCPI. Elle proposera
surtout de rendre aux entreprises une partie des fruits de la croissance
qu'elles ont engendrée, en supprimant progressivement la contribution de 10 %
sur l'impôt sur les sociétés instituée en août 1995. Cette suppression donnera
un ballon d'oxygène à toutes les entreprises, notamment aux plus petites
d'entre elles. Elle contribuera aussi à rapprocher le taux de l'impôt français
de celui des pays partenaires de la France, à l'heure où l'Allemagne envisage
de ramener le sien à 25 %.
En effet, il ne fait aucun doute que le déficit français en matière de
création d'entreprises est dû pour une large part à un environnement fiscal et
social trop peu propice à l'entreprenariat. Cette singularité française est
tout entière résumée dans un chiffre : le poids des prélèvements obligatoires a
atteint en 1999 le niveau inégalé de 45,3 %. Ce chiffre ne tient pas compte du
surplus de recettes fiscales enregistré en 1999, et dont le Gouvernement nous a
communiqué hier soir le montant, à savoir 30,7 milliards de francs.
En résumé, mes chers collègues, la proposition de loi qui vous est soumise est
audacieuse et inventive. C'est avec de l'audace et de l'inventivité que la
France pourra combler son déficit en matière de création d'entreprises, mais
c'est aussi en comprimant audacieusement les dépenses publiques, afin d'alléger
le fardeau fiscal des Français, que l'on y parviendra.
La commission des finances est saisie pour avis sur sept des dix-sept articles
que comportent les conclusions de la commission des affaires économiques, dans
la mesure où ils sont de nature fiscale ou financière et portent sur des sujets
à propos desquels la commission des finances a une doctrine bien établie. Les
onze amendements que je vous soumettrai tout à l'heure au nom de la commission
des finances sont, pour certains, de nature rédactionnelle et, pour d'autres,
de nature à améliorer la portée ou l'encadrement des dispositifs proposés.
Trois amendements portent en outre création d'articles additionnels.
En conclusion, j'aimerais dire combien il nous a été agréable de travailler
avec M. Francis Grignon et les administrateurs de la commission des affaires
économiques. Toutes les auditions ont été communes et le travail a pu être
effectué dans la plus grande harmonie et dans la meilleure coopération.
Sous réserve des amendements qu'elle vous soumettra, la commission des
finances a émis un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi tendant
à favoriser la création et le développement des entreprises sur les
territoires, dans le texte adopté par la commission des affaires économiques.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod, rapporteur pour avis.
M. Paul Girod,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, mes premiers mots seront pour me joindre à ce que vient de dire
notre collègue M. Ostermann en conclusion à propos de l'excellente ambiance, de
l'excellente volonté de coopération qui ont régné entre les commissions pendant
toute la préparation des rapports sur cette proposition de loi.
J'ajoute que, ayant travaillé fort en amont, nous avons pu aboutir à un texte
imprégné des réflexions des trois rapporteurs et des trois commissions. Les
quelques modifications de détail qui seront proposées par la commission des
lois, comme par la commission des finances, portent donc sur un texte auquel,
au fond, nous avons tous participé.
Nos collègues du groupe de travail « Nouvelles entreprises et territoires »,
sous l'impulsion de son président M. Raffarin, ont pris une excellente
initiative en relançant le débat sur la création d'entreprises dans notre
pays.
Je ne reviendrai pas sur le constat qui a été fait tout à l'heure par notre
collègue M. Francis Grignon. Il est vrai que l'une des grandes faiblesses de
notre pays réside dans l'insuffisance des créations d'entreprises. Et les élus
locaux que nous sommes - le Sénat a quelque raison de se faire l'écho de leurs
préoccupations - assistent navrés soit à des initiatives qui n'aboutissent pas,
soit à des créations qui, ayant démarré dans des conditions difficiles,
capotent, soit à des disparitions d'entreprises, faute de repreneur dans des
conditions convenables. Tout particulièrement quand il s'agit d'entreprises de
toute petite dimension, il est un peu triste de voir que si l'on peut aider un
créateur d'entreprise, on ne peut pas aider un repreneur, ou alors plus
difficilement.
La proposition de s'attaquer à une partie des difficultés des créateurs
d'entreprise est donc la bienvenue. Madame le secrétaire d'Etat, je me permets
cependant, au nom de la commission des lois, de rappeler qu'il est d'autres
difficultés que les difficultés financières d'encadrement des collectivités
territoriales par exemple ; il y a aussi des difficultés d'ordre juridique et
social, l'administration de l'Etat ne facilitant pas les choses, c'est le moins
que l'on puisse dire. Voyez la vitesse à laquelle on peut créer une entreprise
aux Etats-Unis et les démarches qu'il faut faire pour obtenir l'autorisation de
l'Etat d'étudier la question en France !
Toujours est-il que les auteurs de la proposition de loi ont porté leur
attention, comme l'a excellement exposé M. Grignon tout à l'heure, sur un
certain nombre de points que la commission des lois a souhaité étudier pour
plusieurs raisons.
Dès l'instant où l'aventure est née, c'est-à-dire dès lors qu'une personne a
conçu un projet et cherche des financements et des lieux d'implantation,
plusieurs acteurs entrent en jeu : il s'agit de tous les acteurs financiers
bien entendu, mais aussi des collectivités territoriales sur le territoire
desquelles l'initiative va pouvoir se déployer et de la personne qui est
porteuse du projet.
La proposition de loi prévoit, à juste titre, de modifier l'environnement
personnel du créateur d'entreprise en lui permettant d'accéder à un certain
nombre d'appuis et de facilités dans l'entreprise dans laquelle il travaille,
dans son environnement familial et amical afin qu'il puisse mobiliser des
fonds. Elle prévoit également d'amortir les premiers risques que prend le
créateur en l'encadrant et en l'aidant financièrement et moralement par toute
une série de dispositifs, notamment par les « incubateurs » et les
business
angels.
Je donnerai à ce sujet le modeste exemple du département de l'Aisne, dans
lequel le nombre de créations d'entreprises est relativement plus faible que la
moyenne nationale, mais où le nombre des entreprises survivantes cinq ans plus
tard est beaucoup plus important. Cela résulte exclusivement du fait que
l'encadrement, l'appui matériel et moral des créateurs sont assurés dès le
début.
Dans sa partie qui concerne les créations d'entreprise, cette proposition de
loi accorde une place importante aux collectivités locales et prévoit une série
de dispositions tendant à encadrer les aides aux créateurs. Je constate au
passage qu'elle permet de stabiliser au plan juridique toute une série
d'initiatives qui se déploient déjà sur le terrain, mais dont on sait qu'elles
se font dans un univers juridique plus ou moins flou, avec quelquefois comme
seule base quelquefois une circulaire de la DATAR. On ne sait d'ailleurs pas
très bien si, un jour, elle ne pourrait pas exposer un élu à des risques
juridiques que je qualifierai d'un peu excessifs.
La commission des lois a essayé, avec la commission des affaires économiques,
de trouver les formulations qui permettent cette stabilisation juridique de
l'intervention des collectivités territoriales. Elle a été animée par le souci
de faire en sorte que les choses se fassent avec une certaine prudence pour que
les collectivités territoriales ne soient pas l'objet de chantages ou de
sollicitations excessives de la part de tel ou tel et, surtout, pour qu'elles
ne s'aventurent pas à prêter leurs deniers sans possibilités de retour, voire
sans sanctions à l'égard de prestataires de fonds ou de structures
intermédiaires mal avisés.
De la même manière, elle a cherché à faire en sorte - je prie les auteurs de
la proposition de m'en excuser - de ne pas entrer dans la logique selon
laquelle une collectivité de base peut intervenir directement dans les finances
d'une personne. Elle s'est cependant ralliée à l'idée de la « bourse » qui,
elle, joue un rôle d'intermédiaire entre la formation et l'appui à la personne
pour celles et ceux, qui, trop jeunes pour entrer dans le système de solidarité
nationale, ont néanmoins besoin d'un minimum d'appuis financiers pour se lancer
dans l'aventure.
J'en viens à la deuxième partie de la proposition de loi, qui concerne le
meilleur accès des PME aux marchés publics.
Dans ce domaine, il est certainement nécessaire d'assouplir les conditions
d'allotissement qui, pour l'instant, ne sont normalement accessibles à une
collectivité que dans la mesure où elle y trouve un avantage financier et
technique alors que, dans bien des cas, cet avantage est plus difficile à
prouver qu'il ne conviendrait.
La pratique a négligé cette prescription. Il n'est pas mauvais d'en prendre
acte dans les textes.
J'aborderai maintenant un point plus difficile, plus délicat : le fait de
réserver à une PME, à égalité de prestation, l'accès prioritaire au marché.
Le droit communautaire soulève une éventuelle difficulté, mais nous pensons
que la proposition de loi peut nous permettre de la surmonter.
Enfin, madame le secrétaire d'Etat, la commission des lois entend faire un pas
en avant relativement significatif en s'inspirant d'une directive en
préparation à Bruxelles et en faisant remarquer que lorsqu'une entreprise, pas
forcément une PME, a obtenu un marché public et qu'elle n'arrive pas à se faire
payer ou que le paiement se fait attendre trop longtemps, ce n'est pas
seulement le mandatement de la collectivité territoriale qui arrête les
intérêts moratoires, mais c'est aussi le paiement. En effet, ce qui intéresse
l'entreprise, ce n'est pas de pouvoir dire à un banquier ou au greffe du
tribunal de commerce qu'elle a un mandat qui court mais qui n'arrive pas, c'est
d'avoir les deniers dans ses caisses.
Nous pensons, avec ce texte, pouvoir faire un signe important en direction du
Gouvernement qui, je crois, a quelques idées sur la question. Une initiative
d'ordre parlementaire permettrait en effet d'orienter désormais la relation des
entreprises avec les marchés publics plus sur le paiement que sur le
mandatement.
Tel est le sens des différents amendements que proposera la commission des
lois, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, et qui sont, d'une
part, de caractère prudentiel en ce qui concerne la première partie du texte
et, d'autre part, de caractère prospectif et volontariste en ce qui concerne la
partie relative aux marchés publics.
(Applaudissements sur les travées du
RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Madame la
secrétaire d'Etat, je souhaiterais attirer l'attention de notre assemblée sur
l'importance de cette proposition de loi, élaborée par Jean-Pierre Raffarin et
vingt-neuf de nos collègues, au nombre desquels je suis d'ailleurs heureux de
figurer, et qui vient d'être excellemment rapportée par notre collègue
Francis-Grignon. C'est un texte tout à fait essentiel parce qu'il concerne un
domaine stratégique pour l'avenir économique de notre pays. Il vient à
point.
Madame la secrétaire d'Etat, la création d'entreprises est probablement
redevenue en ce début de siècle ce qu'elle fut au début du XIXe siècle : elle
est le fer de lance de la croissance économique et le levain de
l'innovation.
Pourquoi ? Parce que l'économie mondiale - j'hésite à le dire tellement c'est
devenu banal - est entrée, depuis une dizaine d'années, dans une phase
nouvelle, caractérisée par un développement spectaculaire des moyens de
communication et, dans le sillage d'Internet, par l'avènement d'une économie
des services et du savoir. Cette « nouvelle économie », qui connaît un
développement spectaculaire et, semble-t-il, durable, dont les Etats-Unis
donnent l'exemple mais dont l'Europe est en train de récolter les premiers
fruits, ouvre à la création d'entreprise des horizons totalement nouveaux.
Or, mes chers collègues, la France est, en matière de création d'enteprises,
la lanterne rouge de l'Europe. Ainsi que le rapporteur l'a souligné, le nombre
de créations d'entreprises n'a cessé de diminuer en France au cours des dix
dernières années.
S'il en est ainsi, ce n'est pas parce que l'esprit d'entreprise décline, mais
parce que le France s'obstine à maintenir, voire à multiplier les obstacles à
la création d'entreprise. Telle est d'ailleurs bien l'image que le reste de
l'Europe a de notre pays aujourd'hui, comme en témoignent tous les sondages.
Le dire, madame la secrétaire d'Etat, ce n'est pas faire preuve d'une volonté
de dénigrement. C'est la constatation qu'impose, entre autres éléments, l'exode
d'un nombre croissant de jeunes Français qui choisissent de créer leur
entreprise aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne. Cette fuite vers l'étanger
qu'étudie un groupe de travail mis en place par la commission des affaires
économiques du Sénat, et dont le rapport sera - je l'espère - disponible au
mois de juin, est difficile à cerner avec précision du point de vue numérique,
tout simplement parce que les Français qui partent à l'étranger ne s'inscrivent
plus dans nos consultats et que nous tâtonnons. Dans notre rapport, figureront
un certain nombre d'évaluations. Nous avons, notamment, consulté les
associations d'anciens élèves des grandes écoles. Nous pourrons donc verser au
dossier toute une série d'éléments.
En tout cas, cet exode est incontestable, comme je l'ai moi-même constaté
l'été dernier en me rendant dans la Silicon Valley, en Californie, où j'ai pris
contact avec des dizaines de jeunes chefs d'entreprises français qui s'y sont
installés. Je sais bien que, lorsqu'on mentionne cette fuite des créateurs
d'entreprise français vers l'étranger, on s'efforce d'en minimiser la portée,
en rétorquant que notre pays attire, simultanément, beaucoup d'investisseurs
étrangers. Ceci, hélas ! n'a rien à voir avec cela.
Qu'une entreprise comme Toyota choisisse, moyennant des aides et des
privilèges massifs, de s'installer en France plutôt qu'en Allemagne, devenue -
soit dit en passant - aussi inhospitalière aux entreprises naissantes que la
France, est certes une bonne chose. Je m'en félicite. Mais de telles
implantations s'inscrivent dans une logique qui n'a rien à voir avec celle qui
guide nos créateurs d'entreprise.
Or, le sujet auquel s'attaque la proposition de loi qui nous est soumise
concerne les créateurs et donc les petites et très petites entreprises. C'est
ce titre conjonctif, cette repousse de petites entreprises, qui peut seul
fertiliser nos territoires. C'est la seule façon d'y opérer des greffes
économiques dont dépend leur revitalisation.
Mes chers collègues - lequel d'entre nous ne le sait pas -, le temps n'est
plus où l'on pouvait, comme dans les années soixante et soixante-dix, miser sur
l'installation des filiales de grands groupes qui venaient s'implanter dans des
régions qui leur étaient précédemment étrangères. Aujourd'hui, le développement
est endogène ou il n'est pas. Nous le savons tous, les grands groupes ne
s'intéressent à nos territoires que lorsqu'ils peuvent y prendre le contrôle de
petites entreprises innovantes qui ont réussi dans des domaines où eux ont
échoué ou qui leur ont tout simplement échappé. Encore faut-il que ces PME et
ces PMI puissent se développer !
Tout à l'heure, mon collègue M. Paul Girod se référait à son expérience de
l'Aisne. Je vais me reporter, moi, à ma propre expérience dans le
Lot-et-Garonne.
En Lot-et-Garonne, voilà dix ans, nous avons créé un agropôle. Nous y avons
accueilli soixante-dix entreprises naissantes, ce qui prouve d'ailleurs que,
malgré les obstacles, les entreprises peuvent naître à condition d'être
accueillies maternées, aidées et que toutes les formalités soient faites en
leur nom.
Ces soixante-dix entreprises ont créé en dix ans 700 emplois nouveaux, et les
grands groupes qui, il y a dix ans, lorsque l'agropôle est né, l'ont totalement
ignoré, rachètent aujourd'hui des petites entreprises dont le chiffre
d'affaires atteint environ 100 millions de francs on emploient entre 90 et 100
personnes. Ils s'installent là ou ils ne songeaient pas à venir. Par
conséquent, le moteur de la croissance est dans la création d'entreprises, dans
le développement de ce nouveau tissu de PME.
Inutile de dire que la création d'entreprises est ou devrait être l'élément
central de toute politique d'aménagement du territoire. Or, lors de la
discussion devant le Sénat du projet de loi sur l'aménagement du territoire, le
Gouvernement - je n'ose pas dire Mme Voynet parce que je crois qu'elle était
tentée d'accepter nos amendements - s'est opposé à tous les amendements de
caractère économique que nous proposait notre collègue Francis Grignon. Ces
amendements, madame la secrétaire d'Etat, ont été repris et développés dans le
projet qui nous est aujourd'hui soumis. Nous souhaitions que le Gouvernement
les prenne en compte à l'époque ; cela n'a pas été le cas, pourquoi ? On a
argué du projet de loi que prépare M. Zuccarelli.
Madame, nous l'attendons ce projet de loi, avec une impatience que nous avons
de plus en plus de mal à maîtriser !
M. Paul Girod,
rapporteur pour avis
Monsieur le président de la commission des affaires
économiques, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Je vous
en prie.
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod, rapporteur pour avis, avec l'autorisation de
l'orateur.
M. Paul Girod,
rapporteur pour avis.
Monsieur le président de la commission, je vous
remercie de me permettre de vous interrompre une seconde.
Madame le secrétaire d'Etat, nous attendons un texte non seulement sur la
création d'entreprises mais aussi sur les sociétés d'économie mixte, les SEM.
Voilà maintenant deux ans que tout le monde cafouille, attend, espère et
n'avance pas. Aujourd'hui, nous vous présentons une proposition sur la création
d'entreprises ; je vous en annonce une autre sur les SEM.
M. le président.
Monsieur le président de la commission, veuillez poursuivre.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Ce projet
de loi, tout le monde l'attend ! Nous voyons sortir des textes sur
l'intercommunalité, sur les pays ; ils sont d'ailleurs bienvenus. Bravo,
l'intercommunalité progresse. Mais où en est donc cette Arlésienne nommée
Zuccarelli ?
(Sourires.)
Nous nous posons la question : que contiendra ce texte le
jour hypothétique où il nous sera soumis ?
A la vérité, mes chers collègues, M. le secrétaire d'Etat, nous ne pouvoirs
plus attendre. L'économie mondiale est en ébullition, les bourses l'attestent.
La France ne doit pas, ne peut plus rester immobile.
Puisque le Gouvernement ne bouge pas, le Sénat se doit de le mettre le plus
courtoisement du monde en face de ses responsabilités. C'est ce qu'il fera, je
l'espère, en adoptant un texte rédigé avec sagesse - les rapporteurs pour avis
y ont veillé ; nous aurions été tentés, avec MM. Raffarin et Grignon d'aller
plus loin mais ils nous ont ramenés dans le droit chemin de la prudence - et
avec détermination, un texte qui met en place un arsenal complet de mesures
destinées à permettre à l'esprit d'entreprise, si largement répandu dans notre
pays, de s'exprimer.
Ce faisant, le Sénat n'a pas d'autre objectif que de placer la France dans le
peloton de tête des pays qui se sont engagés dans la course à la croissance,
dans la course à la nouvelle économie, qui porte en elle, madame la secrétaire
d'Etat, une nouvelle hiérarchie de la puissance et de la prospérité entre les
pays et les continents. Ne ratons pas l'occasion qui nous est offerte !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi qui nous est présentée avait déjà été soumise à notre
assemblée lors de la discussion du projet de loi sur l'aménagement du
territoire, par le biais de toute une série d'amendements de notre collègue M.
Raffarin, comme le président de la commission des affaires économiques, M. Jean
François-Poncet, vient d'ailleurs de nous le rappeler.
Nous avions à l'époque indiqué que, si certaines dispositions nous
paraissaient intéressantes, d'autres, en revanche, ne pouvaient recueillir
notre accord ou méritaient réflexion.
Je constate que la proposition initiale nous revient modifiée, et je vous
remercie, monsieur Paul Girod, rapporteur pour avis de la commission des lois,
d'indiquer dans votre excellent rapport que, « sur l'ensemble des 23 articles
composant la proposition de loi dans son texte initial, les conclusions de la
commission des affaires économiques en ont retenu 17, certaines dispositions
semblant prématurées ou méritant une réflexion plus approfondie ». Ce n'est
donc pas la proposition « Raffarin » qui est soumise à notre assemblée ; mais
c'est qu'avance le travail parlementaire, et je m'en félicite.
Qu'en est-il aujourd'hui des propositions retenues ?
Nous croyons que ce texte souffre d'une contradiction de conception,
indissociable sans doute du cadre dans lequel il a été conçu, à savoir le
groupe de travail « Nouvelles entreprises et territoires ».
Il nous est d'abord présenté comme un outil généraliste destiné à mettre en
place « des mesures pour, au niveau de la nation tout entière, libérer les
initiatives et donner un nouveau souffle à la création d'entreprises ».
Vous invoquez, monsieur le rapporteur, une évolution défavorable du nombre des
entreprises. Je confirme, à ce propos, que le nombre d'entreprises créées qui
subsistent au-delà de trois ans est l'un des plus faibles de l'Union
européenne, ce qui devrait nous conduire à une réflexion plus approfondie.
Vous mettez, monsieur le rapporteur, l'accent sur un certain nombre de
complexités, de difficultés et de carences, et vous indiquez que vos
propositions tendent à créer « un environnement global, favorable à la création
d'entreprises, et à mobiliser les capacités de nos différents systèmes d'appui
public à encourager, à accompagner et à rémunérer les entreprises ». Mais, en
même temps, vous vous inscrivez dans le cadre très spécifique du développement
économique des zones fragiles pour proposer des mesures particulières : du même
coup, nous sortons du cadre des mesures généralistes ou plus exactement nous
les concevons pour les zones peu denses ou les zones urbaines sensibles.
A la veille des Journées de la création d'entreprise, qui se tiendront au
début du mois de mars, ce texte nous apparaît seulement, hélas ! comme le fruit
d'une volonté de positionnement de la majorité sénatoriale.
Il fait d'abord écho à des revendications traditionnelles ; je pense notamment
à la transmission des entreprises, avec la réduction des droits sur les
donations, présentée au départ selon une vision minimaliste puisque son
application était réservée à des zones particulières.
On trouve également des mesures spécifiques à l'aménagement du territoire, et
nous nous en félicitons. Il s'agit, par exemple, de la création de fonds
communs de placement à risque, qui deviennent de proximité dans les territoires
ruraux de développement prioritaire ou dans les zones de revitalisation
urbaines, ce qui présente le double désavantage de désigner ces zones comme
étant à risque et de borner la mutualisation du risque à la zone même de
risque.
Mais le texte contient également des mesures novatrices. A cet égard, je
mentionnerai d'abord le recours à l'épargne de proximité. Il convient toutefois
que cette épargne ne se substitue pas à la solidarité ou à la péréquation
nationale.
On peut ensuite évoquer la reconnaissance du rôle des collectivités locales
dans la création d'entreprise, rôle encadré par des conventions entre la
collectivité territoriale et l'organisme bénéficiaire de subventions.
Cependant, il faudrait que soit précisé le cadre dans lequel seraient passées
ces conventions ; nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.
Une attention particulière est portée à la période d'incubation, aux
incubateurs et aux fonds d'amorçage.
Par ailleurs, les dispositions de l'article 11, concernant le temps partiel
pour la création d'entreprise, et de l'article 12, traitant des allocations de
chômage des salariés qui démissionnent pour créer leur entreprise, nous
semblent très intéressantes.
D'autres points nous laissent perplexes.
L'incitation à la mise en réseau des entreprises au sein d'un territoire,
inspiré de l'exemple de l'Italie du Nord, nous paraît sous cette forme un voeu
pieux, d'autant que n'est même pas mentionnée la possibilité légale du pays,
pourtant par nature espace de projet.
La modification du code civil visant à établir une distinction entre
patrimoine professionnel et patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel
nous semble poser au moins autant de problèmes qu'elle n'est susceptible d'en
résoudre, et l'analyse du rapporteur de la commission des lois sur ce sujet
nous semble pertinente.
La création d'un Conseil national de la création d'entreprises nous paraît
bien inutile et relève, selon nous, de cette prolifération d'organismes qui est
tellement à la mode.
Les propositions en matière de marchés publics sont parfois dangereuses,
souvent inefficaces, presque toujours inapplicables. J'attire votre attention,
mes chers collègues, sur l'article 16, redoutable pour les collectivités
locales, qui ne sont pas maîtresses du calendrier de réception des subventions.
Notre débat de ce matin en commission a contribué à nous éclairer sur ce sujet.
Nous y reviendrons.
Nous regrettons l'absence du tutorat, même si, comme vous nous l'avez indiqué,
monsieur le rapporteur, rien n'empêche de le faire figurer dans la
convention.
Nous constatons qu'aucune simplification concernant les formalités, tant pour
la création que pour le fonctionnement des petites entreprises, ne figure dans
le texte, alors que les progrès accomplis dans l'informatique ouvrent, à cet
égard, la voie à des avancées notables. Et il ne suffit pas de constater
l'immobilité, qui ne date d'ailleurs pas d'hier, des politiques publiques dans
ce domaine pour justifier une telle absence !
Nous constatons aussi qu'aucune clarification n'est proposée en matière
d'intervention économique. Faut-il un chef de file, monsieur Raffarin ? Si oui,
doit-on conforter la région ? Quelle place donner alors au département ? Quel
rôle attribuer aux communes ? Faut-il encadrer le risque des plus petites des
collectivités locales ou considérer que tout est bon à prendre en ce domaine ?
Nous savons ce sujet particulièrement délicat. Pour autant, est-il bien
raisonnable de l'éluder ?
J'ajoute que nous devons aussi régler le problème des fausses créations
d'entreprises, à savoir la transformation du travail salarié en travail
indépendant, le plus souvent avec un fournisseur unique, favorisée, il faut le
rappeler, par une disposition de la loi « Madelin » raccourcissant les délais
d'opposition des URSSAF, loi d'ailleurs un peu trop souvent citée dans le
texte, à notre goût.
Mes chers collègues, je ne voudrais surtout pas que ces remarques et ces
observations soient considérées comme un avis globalement négatif sur les
propositions du groupe de travail « Nouvelles entreprises et territoires » de
la Commission des affaires économiques du Sénat.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Il n'y a pas de risque !
M. Jacques Bellanger.
Vos propositions, monsieur le rapporteur, sont des éléments de progrès en
matière de création d'entreprise. Cependant, si elles s'inscrivent dans le
cadre du travail parlementaire, elles ne sont pas suffisamment achevées pour
aboutir aujourd'hui à un texte susceptible de recueillir un consensus leur
permettant de franchir le cap du débat parlementaire.
Pour notre part, nous entendons contribuer à ce débat sans aucun esprit
partisan tant le sujet nous semble d'importance.
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
L'exercice était difficile !
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comment ne pas se féliciter, tout d'abord, de l'examen, dans le cadre de la «
fenêtre parlementaire » réservée aux propositions de loi, d'un texte qui est
une contribution essentielle au vaste chantier législatif ouvert par le Sénat
et sa majorité sur les grands dossiers économiques et sociaux ?
En début de session, nous avons adopté, sur l'initiative du groupe de l'Union
centriste et de son président, M. Jean Arthuis, notamment, deux textes tendant,
l'un, au développement de l'épargne-retraite, l'autre, à celui du partenariat
social.
A présent, notre commission des affaires économiques nous présente cette
proposition tendant à favoriser la création et le développement des entreprises
sur les territoires.
Ce texte est le fruit de la réflexion engagée voilà plusieurs années déjà par
la commission et son président, M. Jean François-Poncet.
Je pense, tout d'abord, à un rapport qui fait toujours référence dans le
domaine de l'aménagement du territoire : le rapport relatif à l'avenir de
l'espace rural français. Son chapitre V incluait plusieurs propositions portant
sur la diversification des activités économiques sur les territoires. Certaines
ont directement inspiré la loi d'orientation de 1995. D'autres restent
d'actualité et sont reprises par la présente proposition de loi ; c'est le cas,
par exemple, de la facilitation de la transmission d'entreprise.
Mais cette proposition est aussi le résultat des travaux du groupe « Nouvelles
entreprises et territoires », ainsi que de la réflexion personnelle de
plusieurs sénateurs, au premier rang desquels figure notre collègue de l'Union
centriste M. Francis Grignon, auteur, en 1998, d'un ouvrage intitulé :
Richesse de l'homme, richesse de l'entreprise.
Dans sa conclusion, notre collègue appelait de ses voeux « une loi-cadre en
direction de l'entreprise ». La présente proposition est l'un des éléments
majeurs de cette loi-cadre puisqu'elle traite de sujets aussi primordiaux que
le statut juridique, le financement et l'aide à la création d'entreprise.
La création d'entreprises et d'emplois est l'affaire de tous, c'est-à-dire des
dirigeants du secteur privé, des salariés, des pouvoirs publics, aux échelons
local, national et européen mais aussi - puisque aussi bien on est porté
aujourd'hui à considérer la planète comme un village - mondial.
A cet égard, l'Etat a une responsabilité majeure dans les handicaps dont
souffre l'initiative privée dans notre pays : freins culturels, juridiques,
sociaux, financiers, comme l'indique très justement l'exposé des motifs de la
proposition de loi.
L'émergence de nouvelles activités et la résorption durable du chômage exigent
d'inverser les facteurs. Aussi faut-il donner la priorité absolue au
développement des activités productives. Mais ce développement doit être
équilibré et tenir compte des impératifs de l'aménagement du territoire ; ce
sera l'objet de la seconde partie de mon intervention.
La création et le développement des entreprises passent par un développement
de l'esprit d'entreprise de notre système éducatif, de l'école aux différents
cursus universitaires. De trop nombreux concitoyens désirant créer des
entreprises y renoncent parce qu'ils ne sont pas portés par une culture du
risque et de l'effort. Est-il normal que les élèves de nos grandes écoles
préfèrent souvent à la création d'activités privées le confort d'un statut
public ou le salariat dans de grosses entreprises, au détriment de la direction
des petites ?
Si une véritable culture d'entreprise est en train d'apparaître dans notre
pays grâce au rapprochement entre l'école et le monde du travail, l'effort
engagé le plus souvent par les collectivités locales doit être relayé et
amplifié par l'Etat.
Aujourd'hui, l'émergence de nouveaux emplois durables et leur multiplication
passent par la naissance de nombreuses entreprises innovantes, créatrices de
valeur ajoutée et génératrices de revenus élevés.
La croissance américaine repose pour beaucoup sur le développement de petites
structures : les Etats-Unis comptent 25 millions de petites entreprises. La
mentalité française, volontiers centralisatrice et colbertiste, serait-elle
inconciliable avec cette perspective ? Je ne le crois pas.
En fait, si le taux de création d'entreprises en France est supérieur à la
moyenne européenne, plus de la moitié des entreprises nouvelles y disparaissent
avant cinq ans. Charges et contraintes excessives, insuffisance des
financements et des fonds propres : voilà l'ennemi !
Il convient donc, au premier chef, d'alléger les formalités administratives et
de baisser les charges sociales et fiscales pesant sur le secteur privé. Ces
mesures doivent être durables et s'appliquer à tous plutôt que de viser des cas
particuliers.
Malgré les authentiques progrès réalisés ces dernières années en matière de
simplification administrative, avec la déclaration unique d'embauche ou
l'harmonisation des dates des déclarations fiscales, en particulier grâce à
l'action persévérante et efficace de Jean-Pierre Raffarin entre 1995 et 1997,
les chefs d'entreprise français sont encore soumis à des contraintes
excessives, que ce soit dans le domaine du droit du travail ou dans celui de la
fiscalité.
Que demandent aujourd'hui les petits entrepreneurs dans leur ensemble ? Un
système de guichet unique, la mise en place d'une déclaration fiscale unifiée,
la disparition d'innombrables impôts et taxes, aux assiettes souvent totalement
obsolètes.
Parallèlement, notre pays doit évidemment consentir un important effort de
réduction des impôts et taxes pesant sur les entreprises. Trop d'impôt finit
par tuer, non pas forcément l'impôt, mais l'emploi ! Nous le constatons tous
les jours au contact de nos entreprises.
Le préalable à un allégement fiscal durable est la réduction de la dépense
publique et, en particulier, des dépenses de fonctionnement de l'Etat. Tous les
pays européens qui ont réussi à assainir leurs finances publiques en sont
passés par là, de la Grande-Bretagne au Pays-Bas. Tout cela, sans cagnotte,
déguisée ou non, et à plus forte raison quand il n'y a pas de cagnotte du tout
!
A cet égard, on peut légitimement s'inquiéter pour l'avenir au vu, en
particulier, des évaluations du coût des 35 heures. Le Gouvernement avance le
chiffre de 110 milliards de francs en année pleine, sans inclure bien entendu
le coût de l'application de la réforme au secteur public, et sans parler de
l'accord dans le transport routier qui représente au moins 5 milliards de
francs. Il faudra bien un jour payer la note, et il est à craindre que le grand
perdant ne soit une fois de plus le secteur des petites et moyennes
entreprises.
M. Henri de Raincourt.
Hélas !
M. Pierre Hérisson.
Plus grave encore : l'augmentation du poids des charges sur le secteur
productif dans notre pays s'accompagne d'un développement des effectifs de la
fonction publique. Il convient de noter que, depuis 1981, les seules périodes
pendant lesquelles ces effectifs ont réellement baissé correspondent à celles
où l'actuelle opposition était au gouvernement.
Il faut baisser les prélèvements pesant sur le secteur productif : d'après une
étude de l'INSEE datant de 1997, l'exonération des cotisations sociales est la
mesure la plus incitative à l'embauche pour 69 % des entreprises, notamment
pour les unités de moins de dix salariés.
Réservée aux bas salaires, puis généralisée à l'ensemble des rémunérations,
cette idée, reprise par une proposition de loi adoptée sur l'initiative des
groupes de la majorité sénatoriale, répondrait donc aux attentes de beaucoup
d'entrepreneurs.
Mais, dans l'avenir, il faudra sans doute aller au-delà, en envisageant de
faire peser à terme les prélèvements non plus sur l'entreprise mais sur les
personnes elles-mêmes, processus engagé pour les cotisations d'allocations
familiales.
Ces remarques et ces propositions ont été largement reprises par la majorité
sénatoriale lors de la dernière discussion budgétaire.
Sans doute faudra-t-il attendre la fin de la session pour reprendre ce débat,
à l'occasion du collectif budgétaire qui sera examiné au printemps prochain,
selon ce qu'a annoncé hier le Premier ministre.
Dans l'immédiat, un autre point marquant de la proposition du Sénat concerne
le financement des entreprises. Il s'agit de drainer davantage de richesses
vers l'entreprise, en particulier vers nos PME. Le renforcement des fonds
propres est une condition essentielle de la croissance des petites et moyennes
entreprises, qui constituent un véritable vivier d'emplois dans notre pays. A
elles seules, les 850 000 entreprises artisanales représentent un tiers des
entreprises françaises et 2 300 000 emplois.
Pour cela, deux conditions doivent être remplies : le développement du réseau
de proximité des banques, mais surtout une meilleure mobilisation de l'épargne.
L'un des paradoxes français tient sans doute à la coïncidence d'une épargne des
ménages relativement importante - par rapport à un pays comme les Etats-Unis -
et d'une capitalisation boursière relativement faible.
On peut dire, d'une manière générale, que les grandes entreprises françaises
ont une cote en bourse surévaluée, alors que les petites et moyennes
entreprises sont sous-évaluées par rapport à la réalité des actifs et de la
richesse intellectuelle qu'elles représentent.
C'est pourquoi l'idée d'instituer des fonds communs de placement de proximité
destinés à financer les PME et les PMI semble tout à fait excellente, de même
que la transposition en France du système américain des
business
angels.
Cependant, l'indispensable développement économique ne suffit pas en soi : il
doit être équilibré. Nous ne voulons pas attendre l'examen du projet de loi sur
les interventions économiques des collectivités locales pour introduire
l'indispensable composante économique dans l'aménagement du territoire.
La loi d'orientation de 1999 nous a beaucoup déçus sur ce point. Les membres
du groupe de travail « Nouvelles entreprises et territoires » faisaient
remarquer à propos de la loi Voynet : « Comment penser l'avenir des territoires
et des quartiers sensibles sans le développement économique ? Comment ne pas
voir qu'une sanctuarisation de nos zones rurales les priverait de toute
vitalité et qu'une métropolisation excessive de nos villes ne ferait
qu'asphyxier davantage des lieux, déjà parfois trop denses, où s'accumulent
alors les problèmes ? Comment passer à côté de cette chance offerte, grâce aux
nouvelles technologies, d'un développement mieux réparti, plus durable et plus
harmonieux ? »
Soucieux de répondre à ces défis, le Sénat avait souhaité insérer dans la
dernière loi d'orientation un volet additionnel consacré au développement
économique des territoires. Le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée
nationale n'avaient pas jugé bon de retenir nos propositions. La proposition de
loi dont nous discutons aujourd'hui marque en quelque sorte un retour au bon
sens puisqu'elle reprend plus globalement le dispositif engagé l'année
dernière.
Nous sommes convaincus qu'un bon aménagement du territoire passe par la
modernisation et par le soutien au développement de systèmes productifs
cohérents, par l'appui aux initiatives locales, par le développement
d'activités existantes ou nouvelles et, enfin, par une bonne articulation entre
l'industrie et la recherche. La proposition de loi élaborée par le groupe de
travail « Nouvelles entreprises et territoires » fait de l'entreprise le
véritable moteur de l'aménagement du territoire.
En conclusion, je souhaite remercier pour leur excellent travail notre
rapporteur, M. Francis Grignon, notre collègue M. Jean-Pierre Raffarin, ainsi
que le président de la commission des affaires économiques, M. Jean
François-Poncet, sans oublier nos autres collègues rapporteurs pour avis, MM.
Joseph Ostermann et Paul Girod ni, bien sûr, Mme le secrétaire d'Etat.
Avec cette proposition de loi, nous franchissons une première étape vers un
vrai statut qui distingue enfin le cordonnier de la multinationale.
(Sourires.)
Ainsi, les hommes et les femmes auront demain le choix entre
être salariés, ou, comme on avait l'habitude de le dire, « pouvoir se mettre à
leur compte ».
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, M.
Hérisson vient de conclure son propos par des remerciements. C'est également
par des remerciements que je commencerai.
Je remercierai tout d'abord les présidents des groupes de la majorité
sénatoriale, notamment M. de Raincourt, d'avoir pris la décision importante
d'inscrire la proposition de loi de M. Grignon dans cette « niche »
parlementaire.
Je remercierai ensuite MM. Jean François-Poncet, Francis Grignon et tous les
sénateurs du groupe « Nouvelles entreprises et territoires » qui ont animé
cette réflexion.
Madame le secrétaire d'Etat, quand j'ai été élu dans cette assemblée, après
avoir quitté le Gouvernement, je me suis réjoui d'être enfin libéré de Bercy et
de la Chancellerie car je pensais pouvoir ainsi défendre les PME avec une
grande liberté. C'était compter sans la commission des finances et sans la
commission des lois... A chacun son Bercy ! A chacun sa Chancellerie !
(Sourires.)
Mais cette surveillance est évidemment constructive et nous avons eu, les
uns et les autres, des échanges fructueux.
Sur des sujets aussi compliqués que l'affectation du patrimoine, par exemple,
grâce à l'apport de la commission des lois, nous avons élargi notre champ de
réflexion. Ce travail en collaboration a été très constructif et je tiens, en
toute sincérité, à vous en remercier.
Nous examinons aujourd'hui un texte qui vise à inciter les pouvoirs publics à
relancer dans notre pays une vraie dynamique des PME au moment où l'économie
est en train de changer de dimension.
Au fond, le xxe siècle a mésestimé le fait PME. On a essayé de le «
ringardiser » pendant très longtemps, s'efforçant d'enfermer la petite
dimension, souvent provinciale, dans une image passéiste à laquelle on
condescendait de temps à autre à reconnaître un zeste d'authenticité, voire de
talent. Mais, globalement, cette entité semblait relever de l'artisanat, une
sorte de vestige d'une économie du passé. C'était sans doute se tromper sur
l'avenir des structures à taille humaine.
En favorisant la concentration, le gigantisme, la grande distribution, la
puissance sur la proximité, le siècle qui s'achève a globalement pénalisé les
petites entreprises qui étaient, de fait, peu reconnues dans notre société.
Heureusement, il y avait des exceptions ; heureusement, beaucoup d'entre nous
se sont battus contre ce phénomène. Mais, là, mon propos concerne une très
longue période et dépasse les clivages politiques.
Au fond, le climat culturel qui entourait les PME était empreint de mésestime.
J'y vois une grave erreur stratégique à l'égard de la véritable source de la
création de richesse.
Dans ces conditions, la création d'entreprises relevait du parcours du
combattant, parsemé d'obstacles. Il fallait avoir beaucoup d'expérience, il
fallait avoir les reins solides, il fallait avoir des atouts pour se lancer
dans une telle opération. Dès lors, les créateurs apparaissaient comme des
héros qui avaient accompli l'exceptionnelle performance de surmonter la
paperasserie et d'avoir réussi à trouver de l'argent.
La difficulté de l'exercice a conduit à considérer la création d'entreprise
comme une action économique assez exceptionnelle, voire tout à fait
extraordinaire. Cela explique le déclin progressif de la création d'entreprises
dans notre pays, particulièrement sensible, Jean François-Poncet le notait tout
à l'heure, chez les jeunes diplômés français par rapport à certains de leurs
homologues voisins.
Il est très préoccupant pour nous de voir qu'au fond, compte tenu du climat
culturel de notre société, la création d'entreprises n'est pas perçue comme un
acte économique majeur, ni même naturel.
Naturellement, le volume de paperasserie, l'omniprésence de la bureaucratie,
la permanence des tracasseries bancaires, qui rendent difficile aujourd'hui
encore de créer une entreprise, expliquent le caractère apparemment
extraordinaire de cette démarche.
Mais le temps arrange les choses, les actions aussi peut-être... Quoi qu'il en
soit, le multimédia facilite globalement les procédures. A l'évidence, les
nouvelles technologies vont alléger les fichiers et faire disparaître les
papiers. Ainsi, progressivement, la nouvelle économie sera aussi porteuse de
simplification.
Je pense également que la nouvelle économie incite le marché à s'intéresser
plus à la création d'entreprises. Aujourd'hui, beaucoup de produits nouveaux et
d'initiatives relatifs au capital-risque apparaissent. Des actions publiques,
mais aussi privées, se mettent en place. C'est ainsi que le rôle de la banque
du développement des PME, la BDPME, par exemple, comme matrice de cette action
est positif.
Je crois aussi que le marché a compris que la création d'entreprises est
désormais une fonction majeure de la nouvelle économie.
Voilà quelques instants, j'animais dans une autre salle de ce palais un débat
entre M. Jean-René Fourtou, fondateur d'Aventis et le jeune créateur d'une
start up
qui s'emploie depuis une dizaine d'années à être spécialiste du
service sur Internet. A dix-huit ans, il a créé son entreprise et aujourd'hui,
à vingt et un ans, il est à la tête d'une entreprise au capital de 21 millions
de francs et qui emploie trente personnes.
Il ressortait de ce débat que cette dynamique n'était contrariée ni par la
paperasserie ni par le financement, mais l'était par la difficulté de maîtriser
la croissance de l'entreprise. Son souci est en effet de lui conserver une
taille humaine pour en garder le contrôle et rester autonome par rapport aux
clients et aux médias.
Au fond, on voit bien que cette nouvelle économie porte en elle une nouvelle
forme de développement des entreprises. Le siècle qui s'annonce est beaucoup
plus ouvert à la dynamique de création.
De ce point de vue, je crois qu'on peut être résolument optimiste : il y a là
un potentiel extraordinaire et il est clair que les Français en général, et les
jeunes en particulier, sont demandeurs de création. Toutes les études montrent
d'ailleurs que 3 millions de Français auraient envie de créer leur entreprise.
Donc, l'obstacle, qui n'est pas à rechercher dans la culture globale de notre
pays, réside dans la perception que nous avons des mécaniques économiques. Au
fond, les choses vont dans la bonne direction...
Dans cette circonstance il appartient, selon moi, aux politiques d'accélérer
les choses. C'est l'objet du texte de Francis Grignon qui nous a tous invités à
participer à un immense travail d'écoute, de dialogue et de construction
économique.
Nous voulons, finalement, accélérer le processus. La direction prise pour la
création d'entreprises est bonne. Comme le soulignait le président Jean
François-Poncet, elle s'affiche comme un élément majeur du développement,
notamment au niveau des territoires : nous savons bien que nous ne mettrons pas
un terme au chômage en privilégiant le développement exogène - l'attente
angoissée de la venue des Toyota, par exemple ! C'est par le développement
endogène, qui apportera une fertilité nouvelle à nos territoires, que nous
trouverons les sources de l'emploi.
Cette dynamique, il nous faut l'accélérer. Telle est l'ambition de ce texte,
qui nous indique notamment trois directions qui me paraissent importantes.
La première d'entre elle, c'est la recherche de l'épargne de proximité. Cette
logique me paraît essentielle, car la France accuse aujourd'hui en la matière
un certain retard.
Quand on nous dit - je ne sais pas si le chiffre est exact, mais il est cité
partout - qu'aujourd'hui 80 % des créateurs créent leur entreprise avec moins
de 30 000 francs, cela signifie, même si le chiffre est approximatif, que les
besoins financiers sont globalement assez modestes pour être satisfaits dans un
espace territorial.
Il faut vraiment permettre, au-delà des familles des créateurs, à tous les
acteurs intéressés par la dynamique de nos territoires, d'y participer.
Méfions-nous ! A quoi correspond, dans la dynamique de nos territoires,
l'intérêt pour la Bourse qui, après avoir été réservée très longtemps à
certaines élites, devient aujourd'hui de plus en plus populaire ? Cela signifie
qu'au lieu d'investir dans le développement local, un certain nombre de nos
acteurs économiques locaux préfèrent le développement national, voire mondial,
au risque de créer un autre processus de centralisation qui « pompe » l'épargne
dans nos territoires pour aller la disperser dans le monde entier...
M. Gérard Cornu.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Les fonds communs de placement de proximité que propose de mettre en place le
texte de Francis Grignon nous donnent la possibilité de régler le problème
majeur de la proximité du capital en levant de l'épargne locale pour des
entreprises locales. Nous ne demandons rien d'autre que de bénéficier, avec le
même statut que les FCPI, d'une légère stimulation fiscale.
Les problèmes de financement des familles françaises, des communes et des
régions seront beaucoup plus facilement surmontés grâce à cette mobilisation de
l'épargne de proximité.
D'autres initiatives sont prises. Celle-ci me paraît très importante pour
l'avenir. Pourquoi irions-nous chercher ailleurs ce que le territoire peut nous
donner ?
Pour faire du développement endogène, nous avons une population qui a envie
d'entreprendre. Certains ont les moyens d'épargner. Faisons en sorte que leur
épargne profite à une dynamique économique territoriale : c'est un des
objectifs du texte qui nous est aujourd'hui présentés.
La deuxième direction dans laquelle nous devons nous engager consiste à
assurer un statut du créateur. Un certain nombre de propositions nous sont
faites.
Elles sont notamment destinées - et je crois que c'est important - aux
techniciens, aux ingénieurs. Elles s'adressent à tous ceux qui, aujourd'hui
employés dans une entreprise, souhaitent fonder la leur, veulent créer leur
propre emploi mais aussi défendre eux-mêmes leurs projets. Faisons en sorte
qu'ils puissent sortir de l'intérieur de l'entreprise et participer au
développement de nos territoires !
Aujourd'hui, dans la mesure où il leur faut tout abandonner pour initier cette
démarche, leur statut personnel est fragile et ils sont en situation
d'instabilité, notamment familiale. Les conditions ne sont donc pas réunies
pour qu'ils puissent porter des projets de développement économique et créer
leur entreprise, petite ou moyenne.
La sécurité qu'apportera aux créateurs le présent texte en leur donnant un
statut est donc fondamentale. L'idée de verser des allocations au salarié qui
quitte une entreprise pour aller vers le dispositif doit aussi être
développée.
Le texte de M. Allègre est intéressant et positif : dans la logique
d'incubateur, il veut offrir aux fonctionnaires, notamment à des chercheurs, ce
type de statut. Un statut intermédiaire pourrait les amener à la création, en
leur garantissant la sécurité du droit de retour.
Nous devons approfondir ces questions. C'est bien de le faire dans la logique
de l'offre scientifique, en partant du laboratoire, mais il faut aussi le faire
dans la logique de la demande entrepreneuriale, c'est-à-dire en partant de
l'entreprise. Des incubateurs d'entreprises doivent permettre aux entreprises
ayant des besoins de recherche et des besoins technologiques de se lancer,
seules ou par grappes, dans des logiques d'incubation à leur bénéfice,
naturellement en partenariat avec les universités ou les centres de
recherche.
Par conséquent, on voit bien que la logique de l'incubation est une logique
importante, qu'il s'agisse de l'offre scientifique ou de la demande
entrepreneuriale. Cela revient toujours à la même idée : faire en sorte de
donner au créateur un statut, de façon qu'il puisse passer du projet à
l'entreprise et qu'il bénéficie ainsi d'un certain nombre de protections.
Evidemment, si on accumule tous les risques et tous les dangers sur la personne
au moment où elle doit créer, soyons sans illusion, elle ne créera pas, surtout
quand les statuts précédents sont plutôt confortables. Par conséquent, il nous
faut mener une réflexion sur le statut des créateurs.
C'est important pour nos collectivités territoriales. J'ai été très
impressionné par les dynamiques qui sont mises en place un peu partout dans le
monde, notamment au Québec. Les logiques québécoises sont très intéressantes.
Le Québec s'est lancé dans des logiques de prédémarrage d'entreprises, mais en
impliquant les entrepreneurs et les élus dans le choix de projets, c'est-à-dire
dans le pari. On fait un pari sur tel ou tel projet de recherche et à un moment
on investit. Par conséquent, il y a des appels d'offres, des sélections et les
projets qui sont retenus sont accompagnés, pas comme on l'a fait souvent en
France, c'est-à-dire pendant une courte période suivant l'acte de création,
mais bien en amont et bien en aval, dans les cinq ans de la création, sur une
période plus longue.
Nous devons travailler dans cette direction. C'est une des dispositions du
texte, qui est très importante. Il faut effectivement faire en sorte que le
créateur soit accompagné durablement et que notamment tous ceux qui ont un
statut à quitter puissent trouver, dans la création d'entreprise, les
conditions de sérénité nécessaires.
La troisième grande orientation touche à l'action publique.
Elle me paraît très présente dans le texte, s'agissant notamment des marchés
publics. Je crois que nous avons fait un bon travail sur ce point ; M. Galland
et M. Strauss-Kahn y avaient contribué. De nombreux dossiers sont sur la table
et il est important d'avancer sur ces questions.
L'allotissement est une idée à laquelle nous sommes tous très attachés dans
nos collectivités territoriales et qui est au coeur de la
small business
administration
aux Etats-Unis. C'est une idée dont nous avons besoin pour
faire en sorte que les petites entreprises puissent trouver leur place dans les
marchés publics, sinon les logiques nécessaires de la transparence et du
développement feront que, globalement, la puissance l'emportera sur la
proximité. Or nous sommes, par définition, l'assemblée des élus de la
proximité. Nous devons donc faire en sorte que les entreprises de proximité
trouvent leur place dans les marchés publics.
La dernière orientation qui me paraît très importante dans cette logique de
l'action publique, c'est tout ce que nous pouvons faire pour mieux accompagner
la création d'entreprise. Cette idée d'accompagnement, qui est présente tout au
long du texte de M. Francis Grignon, doit, selon moi, trouver plus de place
dans les politiques publiques en France.
Il faut remonter en amont dans l'éducation, dans les dispositifs de formation.
Il est clair que nous avons aujourd'hui, dans notre république, un droit à
l'éducation, qui doit pouvoir intégrer un droit à la création. En prolongement
de la formation, il faut que les jeunes dans l'université ait cette capacité de
créer leur propre entreprise. Il faut donc des pépinières, des fonds de
capital-risque, un certain nombre de possibilités à l'intérieur même des
universités, afin que le potentiel de création soit dans les écoles
d'ingénieurs, dans les écoles de commerce et dans les universités. Il y a là,
dans cette idée d'accompagnement qui sous-tend le texte aujourd'hui proposé,
beaucoup d'avenir.
Je sais que vous organisez prochainement des assises de la création. Je
souhaite vraiment que, dans ce pays, on mobilise tous les moyens de l'action
pour la création d'entreprises. La nouvelle économie est favorable à la
création. La France est capable de dégager une énergie formidable pour la
création. Kant disait que la création est une communion ; j'espère au moins
qu'elle sera une convergence !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
(M. Paul Girod remplace M. Jean Faure au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
aujourd'hui, la Haute Assemblée doit se réjouir d'examiner un texte issu des
travaux du groupe de réflexion intitulé « Nouvelles entreprises et territoires
», présidé par Jean-Pierre Raffarin, qui, devant l'urgence d'inverser la
tendance à la diminution de la création d'entreprises dans notre pays et face à
l'attentisme persistant du Gouvernement dans ce domaine, a su nous proposer
tout un dispositif de mesures concrètes tendant à améliorer l'environnement et
l'accompagnement de la création et du développement des entreprises sur notre
territoire.
Présentant une palette variée de mesures innovantes destinées aussi bien aux
micro-projets qu'aux petites et moyennes entreprises et véritable boîte à
outils en direction des acteurs du développement local, le dispositif qui nous
est soumis aujourd'hui s'inscrit dans la lignée de la réflexion et des travaux
que mène le Sénat depuis près de dix ans dans le domaine de l'aménagement et du
développement du territoire. Comme chacun le sait ici, ce domaine constitue un
facteur déterminant de la compétitivité économique de la France et est le gage
du rayonnement de celle-ci.
Dans un environnement mondialisé et instable, le territoire et la solidarité
collective sont et seront toujours des atouts essentiels de notre pays dans la
compétition économique entre les Etats. A l'inverse, seul le développement
économique, en particulier le développement d'activités nouvelles, permettra,
d'une part, de revitaliser le monde rural et, d'autre part, de mener une
politique urbaine plus équilibrée. En effet, il est illusoire de penser, quels
que soient les moyens à mettre en oeuvre, que l'on réglera les problèmes des
banlieues et de la désertification du monde rural sans encourager l'activité
économique.
Je tiens à rappeler à notre assemblée que, dans cette perspective et conscient
de cet enjeu fondamental, notre collègue M. Gérard Larcher, lors de l'examen du
projet de loi sur le développement durable du territoire, avait déjà proposé
des dispositions allant dans ce sens.
Sur son impulsion, le Sénat avait notamment adopté la création de fonds
communs de placement de proximité, sur le modèle du FCPI, afin de drainer
l'épargne de proximité des particuliers vers les entreprises des zones en
difficulté.
Je tiens à rappeler que le Gouvernement avait refusé ces dispositions, par la
voix de son ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, au
prétexte que cette formule était « coûteuse en frais de gestion ».
On voit ici quelles sont les priorités du Gouvernement. Elles sont peu
économiques, si peu économiques que la mise en application, au 1er février
dernier, de la loi sur les 35 heures provoque de multiples conflits sociaux
dans le secteur public comme dans le secteur privé.
En admettant que « les frais de gestion » soient effectivement coûteux, pour
reprendre les propos de Mme Dominique Voynet, la cagnotte fiscale de M.
Christian Sautter, d'un montant de quelque 30 milliards de francs, comme
l'avait d'ailleurs prédit, je le fais remarquer au passage, notre éminent
collègue M. Marini, devrait permettre d'y remédier.
Ces fonds communs de placement sont essentiels quand on connaît l'importance
des financements de proximité pour la création des petites entreprises et les
tous premiers moments de leur existence.
Chacun d'entre nous a été confronté sur le terrain au moins à un exemple de
créateur d'entreprise qui, n'ayant pu bénéficier de financement de proximité, a
été contraint, au mieux, de délocaliser le siège social de son entreprise en
Grande-Bretagne ou en Espagne, véritable terre d'accueil de la jeune entreprise
où les fonds communs de placement sont monnaies courantes, ou, au pire, de se
décourager devant le risque social, ou tout simplement de fermer boutique,
faute d'accompagnement et d'aide financière.
Avec le développement des nouvelles technologies- M. Jean-Pierre Raffarin a
évoqué ce point tout à l'heure en prenant l'exemple d'un jeune créateur
d'entreprise âgé de vingt et un ans - les créateurs d'entreprise, c'est-à-dire
les créateurs de richesses et d'emplois, seront de plus en plus jeunes et donc
plus fragiles financièrement. Aussi, il faut tout faire pour aider cette
nouvelle forme de création d'entreprise. En un mot, il faut encourager et aider
ceux qui osent prendre des risques.
Ces financements de proximité, contrairement à ce que prétend le Gouvernement,
sont vitaux, et les chiffres en témoignent.
Par conséquent, on ne peut pas mener une politique d'aménagement et de
développement du territoire sans mener une politique économique énergique en
faveur de ce territoire.
Plus largement, les chiffres montrent que l'enjeu aujourd'hui est de favoriser
rapidement le développement de l'actionnariat salarié.
Là aussi, notre assemblée a déjà montré la voie en adoptant une proposition de
loi présentée par notre éminent collègue Jean Chérioux, le 16 décembre dernier.
Devant les obstacles susceptibles de favoriser la progression actuelle de
l'actionnariat salarié, le Sénat avait en effet adopté vingt-huit propositions
afin d'accompagner ce mouvement.
Je tiens, parce que c'est important, à rappeler que ces propositions
s'articulent autour de cinq grands principes.
Elles sont incitatives, l'actionnariat salarié devant rester une démarche
volontaire et relever de la négociation.
Elles visent à favoriser un développement dans le cadre contractuel,
l'ambition de l'actionnariat salarié étant justement de substituer à
l'affrontement stérile entre capital et travail une réelle association.
Elles cherchent à assurer la fidélisation des salariés, leur actionnariat
devant être conçu non comme un investissement spéculatif mais comme une
participation stable et durable.
Elles tendent à garantir l'organisation de l'actionnariat salarié dans une
démarche collective, un actionnariat individuel n'ayant aucun poids s'il n'est
pas organisé.
Enfin, elles adaptent l'actionnariat salarié aux besoins des entreprises, en
ouvrant des voies différentes et souples qui permettent aux entreprises et aux
salariés de trouver un mode d'actionnariat adapté à leurs spécificités.
Véritable réponse aux aspirations convergentes des entreprises et des
salariés, l'actionnariat est aussi un outil de développement et d'aménagement
du territoire, en pérennisant ou en créant des entreprises sur le
territoire.
Cette nouvelle initiative du Sénat, que nous encourageons aujourd'hui, montre,
une nouvelle fois, la voie à suivre.
En conclusion, pour reprendre les propos de notre collègue Joseph Ostermann,
je dirai que cette proposition de loi est audacieuse et inventive. C'est avec
de l'audace et de l'inventivité que l'on saura rattraper en France notre
déficit de création d'entreprises. Je me permets d'ajouter que, pour répondre à
cet enjeu, nous devons tous nous rassembler, au-delà des intérêts particuliers.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures cinq, sous
la présidence de M. Gérard Larcher.)